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Ce métier c’est de la merde parce que ce con de psy ne fait que la remuer.
J’ai fait une petite pointe à 150 aujourd’hui en rentrant de la séance, sur la route mouillée peut-être qu’un jour je perdrai le contrôle. Ils diront ... Eh oui elle roulait toujours trop vite ! Mais jamais ils ne sauront ; lui il saura. Je le paie pour aller mieux, pas pour me détruire. Il vient de m’enterrer.
Ça ne lui fait ni chaud ni froid évidemment, il n’en a rien à foutre que je souffre du moment que ça remplit son portefeuille, il me fait un mal de chien et il ne dit rien. Je lui écris tout ce mal et il reste silencieux. Il répond à mes questions par des questions, il n’a pas répondu à une seule depuis un moment. C’est insupportable, alors que je crache tout dans cette écriture, il ne dit rien !
À PROPOS DE L'AUTRICE
Fille, épouse, maman et femme !
Stéphanie Amoris est née à la fin des années 1970 sur les terres d’Occitanie. Après une scolarité classique, elle suit la voie paternelle entrepreneuriale et se lance dans des études de gestion et d’organisation des entreprises. Devenue chef d’entreprise mais restant en quête de sens, elle s’interroge sur son parcours et son existence. Sa passion pour l’écriture et l’étude de la psychologie et des psychopathologies l’amènent à publier ce livre afin d’apporter sa pierre à l’édifice des métiers de la compréhension des comportements humains.
Les droits d’auteur sont directement et entièrement reversés à l’Association Européenne de Sexothérapie et de Thérapie de Couple, AESTC.
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Seitenzahl: 434
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Stéphanie AMORIS
TUMULTUEUSE
et le thérapeute engoué
À mon mari et mes enfants ; pour leur patience et leur amour.
Merci à moi-même de ne pas m’être abandonnée.
ÀVOUS
N’est pas psy qui veut.
Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière.
Michel Audiard
Notabene
Les faits relatés sont le fruit de ma perception. Afin de préserver l’anonymat des protagonistes de l’histoire, leurs noms et prénoms ainsi que les lieux ont été modifiés, excepté ceuxde :
Alexis Desjardins
Sexothérapeute, hypnothérapeute, enseignant PNL*, formateur
https://ypnosi.fr/
https://impulsion-formation.fr/
* Programmation neurolinguistique
AlainHéril
Psychanalyste, sexothérapeute, formateur, auteur
https://alainheril.com/
https://indigo-formations.fr/
Les droits d’auteur sont directement et entièrement reversés à l’Association Européenne de Sexothérapie et de Thérapie de Couple, AESTC.
https://aestc.org/
Le désir d’exister m’a toujours poursuivie, depuis ma tendre enfance. Stéphanie Amoris
Il existe de nombreux livres où des psychologues, psychothérapeutes et psychanalystes parlent de leur exercice et des liens singuliers avec leurs patients. Moi-même j’en ai écrit plusieurs ! Mais peu de livres où les patientes et patients racontent du plus intime d’eux-mêmes cette aventure si particulière de la thérapie.
Ce livre n’est pas que l’histoire d’une thérapie, c’est l’histoire d’un besoin féroce : celui de vivre pleinement sa propre vie. L’autrice nous raconte ses doutes, mais surtout, ses questionnements face à l’impossibilité de trouver du sens à la place qu’elle occupe dans sa propre vie. Et cette vie-là, existe-t-elle vraiment ?
Tout est absence au début du récit : de sens, d’envie, d’amour, de passion… Il n’y a que l’enchaînement morne et simple des habitudes et des convenances. Mais Stéphanie a le désir d’autre chose : celui d’apprendre à désirer et d’affirmer qu’elle existe dans un monde qui ne lui paraît pas vraiment hostile, juste étranger et lointain.
Dans beaucoup de parcours d’humanité, comme si le scénario était écrit d’avance, il y a plusieurs phases : l’ennui, la possibilité d’une sortie de la nasse psychique, l’effondrement et ensuite la lente reconstruction et la rencontre de soi-même. Tout cela est présent dans ce texte, parcouru par une capacité d’auto-analyse stupéfiante et froide à la fois. La descente aux enfers est terrible après l’entrebâillement d’une fenêtre lumineuse. Et cette descente est marquée du sceau du rejet, de l’abandon brutal et du figement qui l’accompagne et qui empêche de penser l’impensable. Et c’est là que l’enfance remonte avec ses fulgurances de beautés et ses moments de tristesse et d’incompréhensions… Le père, la mère, la famille, l’envol vers la maturité qui se fait à coups de chutes perpétuelles… Une vie comme un essai qui ne va jamais au bout de sa réussite…
À ce stade du parcours, la place d’un thérapeute devient essentielle. Il représente celui avec l’aide duquel on peut donner du sens à son propre chaos. Pour incarner cela, il est plus que nécessaire d’être dans un parfait alignement avec soi-même afin que la patiente ou le patient puisse déposer son âme contre un édifice solide et sans ambiguïté. Un édifice fait d’empathie et de bienveillance, ni trop complaisant, ni trop compassionnel. Une présence juste et non juste une présence.
C’est pour cela que l’agressivité d’une patiente se doit d’être interprétée et ressentie comme un cri, une recherche de dégagement face à des affects insupportables. Le thérapeute n’est jamais visé pour lui-même, mais au travers de sa capacité à recevoir les coups sans les redistribuer. À comprendre que tout cela n’est qu’une traversée vers quelque chose d’autre que ce que connaît consciemment et inconsciemment la patiente ou le patient. Et que cette autre chose se construit et se découvre pas à pas, souffle après souffle, déconvenue après déconvenue !
Dans le jargon psychanalytique, tous ces mouvements relationnels sont connus sous le nom de liens transférentiels. Le transfert qui appartient au patient, à la patiente et le contre-transfert qui appartient au thérapeute. C’est une arme thérapeutique puissante, car lorsque le sujet qui vient consulter baisse enfin les armes, il est dans sa plus grande vulnérabilité. Et à ce moment-là, le thérapeute se doit d’être présent au rendez-vous avec toute sa puissance, sa détermination et sa compréhension.
On ne peut pas jouer aux apprentis sorciers avec ces outils-là !
Lorsque l’autrice nous dit qu’elle croit en avoir trop fait au cours de sa thérapie parce que c’était les mots mêmes de son thérapeute, c’est un non-sens total ! La patiente n’en fait jamais trop ! Elle cherche, elle ausculte ses méandres intérieurs, elle envisage, elle voyage, elle teste, elle inaugure, elle détruit pour reconstruire, elle construit pour détruire, elle axe et désaxe, elle tâtonne au cœur d’elle-même pour trouver une éclaircie au bout du tunnel qu’est son histoire ancienne et présente.
Quand le transfert est fort, c’est le signe d’une thérapie qui prend corps. Certes, le travail est rude pour le thérapeute et il vient questionner les limites du cadre et de la déontologie. C’est dans ces moments-là qu’il est bon d’avoir une bonne supervision et d’avoir effectué un travail sur soi suffisamment conséquent. Bien sûr, on pourrait céder à la tentation psychopathologique de coller une étiquette à ce qui est raconté ici : état limite, histrionisme ou érotomanie. Mais on en trouve vite les limites dans la mesure où tout cela est transcendé par un impérieux besoin de résilience. Et ces étiquettes deviennent vite des marques de passages d’un état à un autre, d’une poussée vers le sens des choses à une autre poussée. Comme une naissance à soi-même.
Ce livre est une ode à la liberté. L’autrice s’y montre pugnace et pleine d’une urgence à vivre au cœur de sa vérité trouvée. Il est une pépite pour celles et ceux qui s’interrogent sur ce qu’est un parcours thérapeutique, car il en montre tous les aspects, toutes les interrogations profondes. Tumultueuse et le thérapeute engoué est donc à mettre entre toutes les mains lorsque l’on veut saisir de l’intérieur, du plus abyssal de l’être ce que c’est que de souffrir d’être un être humain et de parvenir à commencer à découvrir ce que pourrait être vivre dans la plus parfaite acception consciente de sa condition humaine.
AlainHéril
Psychanalyste, sexothérapeute, formateur, auteur
–Qu’est-ce que je fais de moi que les autres ont tenté de faire de moi ? La réponse à cette question est toujours dynamique et utile.
Prenez soin de vous.
Alain.
–Je fais de MOI ce que je SUIS. Je réalise mon chef-d’œuvre et je VIS enfin MON EXISTENCEà Saint-Héril !
Stéphanie
« Prévenez-moi si vous décidez de ne pas venir », c’est LA phrase que je retiens de notre premier contact. Pour qui me prend-il ? Je ne suis pas comme les autres, moi, quand je m’engage je suis de parole. Il commence bien mal, comme mise en matière je rêvais mieux, ne sait-il pas que je suis quelqu’un de poli ? Comment peut-il être aussi offensant au premier coup de fil ?
–Oui, samedi, je serai là, non, ne vous inquiétez pas, je serailà.
Comment peut-il me faire répéter deux fois la même phrase ? Déjà ce matin il me dit d’appeler à midi comme si je le dérangeais à une autre heure, je suis ponctuelle, je le contacte à midi pétante et en plus il me fait bien répéter qu’il faut que je le prévienne si je change d’avis. Non, mais franchement, je n’ai pas fait tout ça pour me débiner, j’y serai à ce rendez-vous, je ne suis pas comme les autres, moi. Merde, j’ai eu le courage de vous appeler, alors un peu de respect.
J’y pense tout le temps à ce rendez-vous. On est mardi, quatre jours à tenir. Je ne fais que pleurer, je suis sur les nerfs. Ma tête explose et mon corps aussi. Mes avant-bras me font terriblement souffrir ainsi que ma mâchoire, la douleur est intense. Ma nuque est bloquée depuis plusieurs semaines. J’ai consulté mon médecin traitant, mais les infiltrations n’y ont rien changé alors qu’il s’était fait un plaisir de me piquer, il adore ça, injecter, charcuter, inciser, mais peut-être que moi je ne mérite que ça, la souffrance. Peut-être que la meilleure façon de me soigner c’est de souffrir. Quand il me pique, les aiguilles me transpercent, en quelques minutes ma peau est marquée de quelques bleus qui resteront là pendant plusieurs jours pour me rappeler mon mal. Pour guérir, je dois souffrir. Mais guérir de quoi ? Je n’en sais strictement rien. Je m’énerve contre tout et contre tout le monde. Je suis toujours en colère. Les gens m’insupportent. Mon médecin ne peut rien faire contre cela, c’est ma tête que je dois soigner.
Je n’aime personne. Les journées sont interminables, j’ai envie d’en finir, je veux le voir ce psy, je veux qu’il me dise que tout va bien en fait, rien de grave et on n’en parle plus. Je veux qu’il me dise que c’est juste un mauvais passage, on en a tous à quarante ans, paraît-il. La crise de la quarantaine tout le monde en parle, mais qui la vit ? En réalité, je n’ai entendu personne me dire « je suis en pleine crise de la quarantaine », que se cache-t-il derrière cette expression ?
Moi, je ne sais pas si c’est la crise de la quarantaine, c’est juste une idée de ma mère. Nos échanges sont toujours houleux.
–Oh, à quarante ans, on a tous un mauvais passage, tout le monde y passe, nous aussi on en a eu des moments difficiles, pfff c’est rien ça, ce n’est qu’une passade. Et puis de toute façon, tu n’es jamais contente, à vingt, trente ou quarante ans, ça ne va jamais. De quoi te plains-tu ? Tu n’as pas tout ce qu’il te faut ? Il te manque quoi encore ?
–Rien, il ne me manquerien.
Je me renfrogne.
–Tu ne peux pas être gentille ?
–Qu’est-ce que j’ai fait encore ?
–Eh bien ! Pourquoi tu parles pas ?!
Je hausse les épaules.
–Moi, avec tout ce que j’ai vécu et tout ce que j’ai fait pour toi ! Des sacrifices, j’en ai fait !
–Arrête de toujours revenir trente ans en arrière ! Tu en reviens toujours à toi, maman !
–Si ça ne va pas avec ton mari, eh bien, ça sera vite fait, je te trouverai une solution, les enfants on les gardera !
Punaise, elle ne peut pas la fermer ? Ce n’est pas en me gueulant dessus que je vais lui parler. Elle m’exaspère, j’ai des envies de meurtre parfois. Qu’est-ce qu’elle en sait de ce que je vis ? Me voilà qui me referme comme une huître, je n’ai pas envie de lui parler, elle ne comprend rien. Qu’est-ce que je fiche dans cette famille ?
Je n’en peux plus. Je veux respirer. J’ai besoin d’air. J’ai besoin d’aide.
« En vous écoutant et en entendant votre demande, je serai en mesure de vous proposer un cadre de travail », c’est ce qu’il a noté sur son site internet, je me raccroche à cette phrase, je la relis, je la répète dans ma tête, elle est là comme un appel, il sera peut-être mon sauveur. « En vous écoutant… Je vous proposerai ». J’étudie son site. Il y a des fautes, pas cinquante non plus, mais je suis regardante alors que je ne suis pas à l’abri moi-même d’en faire. Des fois, il utilise la première personne du singulier, parfois la troisième. Les psys font tous ça sur leur site, je n’ai toujours pas compris pourquoi. La syntaxe n’est pas impeccable, ce n’est pas parfait et ça me plaît ! Il ne se fait pas passer pour un autre, c’est lui qui a écrit, ça se sent. C’est lui que je veux consulter, je suis décidée.
J’ai consulté trois psys avant lui, ils n’étaient pas faits pour moi. Lorsque j’ai rencontré le premier quand mon amie s’est suicidée, je n’avais pas dix-huit ans. Je l’ai pris pour plus fou que moi et ça a été vite réglé. Moi ? Un psy ? Non, mais je n’ai pas besoin de psy ! J’ai continué ma vie. Le deuxième était UNE deuxième, une femme rencontrée à plus de trente ans, condescendante, elle avait peur de ne pas être payée et elle mettait une pendule – une vraie, tic-tac, tic-tac, tic-tac – sur une chaise entre nous deux. On était distantes d’au moins quatre ou cinq mètres et pourtant la planète ne connaissait même pas le super virus à ce moment-là. Avec le troisième, à trente-neuf ans, ça s’est très mal fini, je me demande encore aujourd’hui s’il était compétent. Mon futur sauveur m’évoquera plus tard le transfert négatif, moi je dis qu’il était juste nul. Ça existe les psys incompétents. Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver jusqu’à celui-ci, quarante ans, il n’était pas loin pourtant, dans la ville où je suis née, c’est un signe, j’espère que c’est le bon cette fois. Non, en fait je n’espère rien du tout, je ne sais même pas ce que je fous là. Je suis à l’heure. Un ancien corps de ferme complètement isolé du bourg. Deux pins parasols nous accueillent au portail, un long chemin apparaît. Il a aménagé son cabinet au fond de sa propriété, derrière sa maison entourée d’arbres majestueux, de rosiers et de verdure, on est le 14 septembre, les journées sont encore belles et chaudes, le vent d’autan souffle dans son olivier, un vieil olivier aux branches solides et épaisses et au feuillage abondant. Une échelle est debout, appuyée contre la toiture comme pour atteindre les étoiles. Elle est pour moi cette échelle. J’atteindrai les étoiles. Le problème c’est que je ne sais pas quand, car pour l’instant je n’atteins rien du tout. Je traverse son jardin, ses rosiers bordent l’allée pour rejoindre son antre, mais ma première impression c’est que tout est bordélique chez lui et très artisanal ! Monsieur est bricoleur et il laisse de tout partout. Monsieur aime la nature, de loin, je vois son établi, une binette, un râteau, une pelle, des plants en attente d’être mis en terre. Il y a donc tout ça chez un psy ? Comme sa maison est une vieille bâtisse, l’humidité a gagné du terrain, j’espère qu’elle ne gangrènera pas la maison comme je suis gangrenée. La maison est portée par des murs larges et solides, elle me plaît déjà, elle est jolie, moi je ne sais pas si je le suis, je me sens pourrir à l’intérieur. Il me fait entrer dans son cabinet. Il laisse ouvert son bureau pour ventiler, un escargot en a profité pour entrer et je le retrouve à mes pieds, c’est magique tout le chemin qu’il a parcouru, lentement mais sûrement, pour arriver jusque-là. Pour m’en sortir, est-ce que mon chemin sera aussi long que celui de cet escargot ? Il me parle déjà d’une vingtaine de séances. Selon lui, entre cinq et vingt séances c’est une thérapie brève qui peut aider à résoudre quelques petits blocages. Et moi qui n’y connais rien, je me dis dans ma tête : Putain, vingt séances, c’est énorme ! Il va me coûter combien ce type ?
Il entend mes pensées.
–Ça vous coûtera ce que vous valez.
Je ricane.
–Ça, c’est un argument commercial !
–De vingt à soixante séances, on travaille plus en profondeur. Au-delà, cela s’apparente à de la psychanalyse.
–Ouep, eh bien je ne compte pas rester là aussi longtemps, je vous préviens ! Je ne vais pas rester enfermée ici, même pas en rêve !
Je l’écoute et malgré cette remarque cinglante, je me sens déjà en confiance. Je suis attentive à ses propos et en même temps je suis fascinée par les feuilles et branches que je vois trembler à travers sa large baie vitrée, elles me font respirer alors que je suis arrivée bouillonnante. Je regarde son bureau – mieux rangé que son extérieur de maison – son classeur déborde de dossiers – il y a tant de malades que ça ? Les murs ne m’emprisonnent pas et le miroir… J’aime ce miroir, je ne m’y vois pas, mais je vois comme une porte, je vois sa bouteille d’eau aussi. Il est assis dans son fauteuil, un crayon à la main, l’autre ornée de son alliance – je ne porte pas la mienne – il est détendu en short et tongs comme s’il était prêt à prendre l’apéro. Tout semble déjà si différent, si spécial, j’aime déjà cette pièce imparfaite. De tout son sérieux et de sa force tranquille, il entame notre vraie première conversation.
–Je tiens à vous informer que tout ce que vous direz ici restera ici, vous pouvez dire tout ce que vous souhaitez, cela n’aura aucune conséquence. Alors, pourquoi venez-vous me consulter ? Je vous écoute.
–C’est très simple, j’ai épousé quelqu’un que je n’aimepas.
–Ah, mais ce n’est peut-être pas aussi simple, Stéphanie !
Ça m’interpelle.
Je focalise sur ses tongs, c’est marrant, il est cool, son prédécesseur avait un balai dans le cul, tiré à quatre épingles, et cet âne, il se teignait les cheveux. Oh ! Un psy qui ne s’assume pas ! Quelle blague ! La cerise sur le gâteau c’est la séance durant laquelle il m’a parlé de sa mère ! Un psy qui parle de sa mère à sa cliente, morte de rire –morte tout court – je n’avais vraiment pas frappé à la bonne porte. Ça a été l’enfer avec ce gars-là, il a été incapable de me gérer, de gérer mes colères, mon mal-être. Au lieu de nous aider, il a poussé Camille à la déprime et moi il m’a enfoncée, il m’incitait à le quitter… Jusqu’au jour où je l’ai laminé ce pauvre psy, traité d’incompétent, j’ai hurlé ma souffrance… Par écrit, c’est mon domaine l’écrit, je ne sais pas m’exprimer autrement. Il n’a jamais répondu, il m’a laissée seule avec ma détresse, pendant des heures, puis des jours et des semaines, puis les mois sont passés jusqu’à ce que je comprenne que je souffrais encore et qu’il fallait que je cherche un autre professionnel pour m’aider. Je me suis remise à chercher, jusqu’à ce que je tombe sur un site internet chaleureux où il ne parle pas de lui, mais de ses pratiques qui s’adressent à nous.
Et le voilà, face à moi, qui me dit : « Ce n’est peut-être pas aussi simple Stéphanie. » Wahoooo, phénoménal, enfin quelqu’un qui regarde plus loin que le bout de sonnez.
Dès la fin de la première séance, j’ai envie de revenir, ses mots sont justes, il s’exprime calmement tout en percutant quasi instantanément, il comprend vite et les premières réponses ne tardent pas. L’analyse de la situation complexe ne le met pas mal à l’aise et au lieu de s’échapper rapidement vers une porte de sortie simple, il pousse au questionnement sans jugement. Il ne prend pas du tout le même chemin que son prédécesseur et les conditions qu’il me propose sont à l’opposé de mes quelques séances un an plus tôt. D’une pièce sombre, exiguë et fermée, sans âme ni personnalité, cachée, sans même un nom sur une porte, en tout cas pas celui du thérapeute, j’entre dans une grande pièce ouverte sur son jardin. Sa bouteille d’eau trône sur un vieux meuble, il y a de l’eau oui, de la lumière, des plantations, des reflets, des toiles aux murs, des écrits, de la vie quoi !
Il prend un crayon et une feuille de papier, ce geste anodin est une révolution pour moi ! Ses prédécesseurs ne retenaient même pas les prénoms des protagonistes de ma vie et voilà que lui, il prend des notes. Juste à côté de lui, il y a un tableau, sûrement pas pour peindre, non, c’est le type de tableau que l’on trouve dans les entreprises. De ma place, j’y vois un schéma indescriptible, juste des formes et des flèches qui tournoient en un gribouillage incompréhensible, mais j’imagine ses théories, son dynamisme et ses grandes idées. Il est plutôt souriant tout en étant sérieux, disons que tout est dans la retenue, il sourit sans vraiment sourire.
Comment peut-il garder son sérieux quand je lui sors des bêtises ou que je ne vois rien de ce qu’il veut me montrer sur une feuille qu’il tend bien haut en se déplaçant dans cette pièce comme un pantin qui veut me jouer un tour ?
–Alors, Stéphanie, que voyez-vous ?
–Rien.
–Êtes-vous sûre qu’il n’y a rien ?
–Oui, j’en suissûre.
–Qu’est-ce que vous voyez ?
–Vous voulez que je mette mes lunettes ?
Punaise, je suis sûre qu’il se fout de moi, ma tête commence à être oppressée. Je me sens ridicule. Qu’est-ce qu’il me veut avec sa feuille tendue ?
–Vous pouvez mettre vos lunettes, allez que voyez-vous ?
–Rien. Que voulez-vous que je voie ? Je vois un point que vous avez gribouillé.
–Quoi d’autre ?
–Rien.
–Êtes-vous sûre qu’il n’y a queça ?
Putain, il va m’emmerder combien de temps avec sa question ?
Il m’énerve.
Il change de place et vagabonde dans la pièce.
–Je vois le mur derrière.
–Ah, on avance ! Vous voyez autre chose ?
Stop arrêtez bordel, vous me gonflez.
–Votre main, je vois votremain.
–On s’approche. Quoi d’autre ?
–La feuille, je vois la feuille tenue par votremain.
–On yest.
Non, je ne voyais rien d’autre. C’était pourtant si évident. On se focalise sur un putain de point qui nous emmerde, alors qu’il y a peut-être d’autres choses à changer. Il m’a pris la tête pendant un quart d’heure pour un putain de point gribouillé sur une feuille. Un putain de point noir dessiné au fer rouge pourrissait ma vie et il était là sur cette feuille blanche et je ne voyais que ça sans savoir ce que c’était.
Non, il ne se fichait pas de moi, il était très sérieux, il m’emmène dans les méandres de mon cerveau qui se met toujours en alerte.
Bon Dieu, c’est magique ce qui se passe dans cette pièce. Ce qu’il a à dire m’intéresse. Ce qu’il me propose est nouveau. Il sort des sentiers battus. Je doute. Que va-t-il faire de moi ? Que va-t-il me faire dire ? Je suis obligée d’y revenir, c’est plus fort que moi, je veux savoir quel est ce point noir qu’il a dessiné pour moi, pourquoi il m’obsède de sorte que je ne vois rien d’autre ?
Rendez-vous pris. Je suis retournée une fois de plus dans cette pièce, dans ce fauteuil où je ne me sens pas à l’aise. J’y suis trop enfoncée. Je le déteste comme je l’aime, ce fauteuil. Sa forme nous oblige à nous relâcher, on ne peut pas se tenir droit et contrôler, si l’on perd pied lors d’une conversation on s’y enfonce, on s’y affale, on s’y referme automatiquement et lui, face à nous, n’a plus qu’à constater notre descente. Je ne veux pas qu’il me voie descendre dans mes enfers.
–Vous me faites confiance, Stéphanie ?
–Mmh, mmoui.
–Levez-vous.
Je me lèvedonc.
–Je vais prendre vos mains, vous voulez bien ?
–Mmhmmh.
–Je vais les toucher de différentes façons, vous allez me dire ce que vous ressentez à chacune.
–OK.
–Fermez lesyeux.
–C’est difficile pourmoi.
–Essayez, si je vous les prends ainsi ?
Il dépose juste mes mains dans les siennes.
–Ça va, ça ne fait rien de particulier.
–Je vais serrer unpeu.
–Je ne sens pas grand-chose.
Il serre davantage.
–Je me sens un peu oppressée, ça me met mal à l’aise.
Il serre plus fortement.
–Vous commencez à me faire mal.
Il desserre sa prise. Mes mains sont toujours dans les siennes.
–Je me sens un peu mieux.
Puis, sans m’y préparer, avec son pouce il caresse délicatement le dos de ma main gauche, ses autres doigts portant tout le poids des miens : j’ai littéralement fondu en larmes et il a continué de caresser et j’ai carrément sangloté de tout mon corps, ça tremblait de partout sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit. Des sanglots surgissent de nulle part. Mes larmes sont si fortes que je ne comprends pas d’où elles viennent. Je me tétanise. Les sanglots étouffent ma voix, plus aucun son ne peut sortir de ma bouche. Ma gorge est nouée. J’ai mal. Mes jambes se dérobent. Comment une petite caresse peut-elle me faire sangloter à ce point alors que je supporte une main fermement et douloureusement rabattue sur la mienne ?
Il retire sa main, je lève les yeux vers lui, je le regarde et lui dis en souriant qu’il connaît bien son métier.
–Il va y avoir du boulot.
–Votre matelas là, dans le coin de la pièce.
–Oui ?
–N’y pensez même pas, c’est même pas la peine !
–Jesais.
Qu’est-il en train de faire sortir de moi ?
Mon Histoire.
Confortablement assis dans son fauteuil
Lamentablement, je dépose tous mes écueils
Qu’il reproduit sur son papier
Sans broncher ni même sourciller.
Réprobateur, il prend son air surpris
Quand j’ose l’interroger sur savie.
Culottée, j’insiste pour le faire lâcher
Mais il ne se laisse pas amouracher
Il est bien plus malin queça,
La séduction ne marchepas.
I LE CONTEXTE
J’ai quarante ans et deux enfants, je suis mariée à leur père et j’ai un amant. J’ai un père et une mère. Je vis dans un pays développé avec des moyens matériels et financiers, j’ai reçu une éducation, j’ai suivi une scolarité normale, on m’a enseigné des valeurs, on m’a inculqué le travail. J’ai aussi eu droit à un enseignement religieux communément appelé catéchisme. J’avoue que je n’y ai pas retenu grand-chose, c’était plutôt barbant que transcendant. À ma place, au cours de catéchisme, il était inscrit : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux »,je n’y voyais rien, je n’entendais rien. Quand on est baptisé, le prêtre nous raconte que Dieu nous accueille dans sa maison, mais je ne l’y ai jamais trouvé, avait-il déjà fichu le camp ? Je n’ai jamais d’ailleurs reçu de message de quelconques divinités. Moi, j’aurais aimé qu’il me parle ce Dieu, mais il s’est toujours tu ! Comment comprendre que j’existe et qu’il existe s’il ne me parle pas ? J’ai fait avec. Après tout, je n’ai pas à me plaindre. J’ai ce qu’il faut pour vivre mon quotidien. Ni trop ni pas assez. Ma vie est plutôt banale, mais elle est tellement banale que je ne la vis pas. Pas de passion particulière, pas d’envie particulière, mon seul souhait c’est d’exister.
Mais c’est quoi exister ?
J’en réfère au Larousse :
✓Avoir la vie, vivre : jusque-là, c’est assez simple, oui je suis en vie, je respire.
✓Être dans la réalité, se trouver quelque part, être repérable dans le temps ou dans l’espace : au sens propre, on est pas mal, au sens figuré,aïe, ça commence à coincer.
✓Avoir une réalité : ça devient compliqué,là.
✓Avoir de l’importance, de la valeur : il y a un problème, comment mesurer cette importance et cette valeur ?
✓S’affirmer, se faire reconnaître comme une personne aux yeux de la société, d’un groupe, de quelqu’un : eh bien, on n’est pas sorti du questionnement !
S’affirmer, se faire reconnaître comme une personne aux yeux de quelqu’un, aux yeux de qui ? Du père de mes enfants ? Et pourquoi à ses yeux ? Est-on reconnu seulement parce qu’on est regardé ?
Ça serait magique si l’on était reconnu rien qu’en étant regardé. Mais la réalité ce n’est pas ça, pour être reconnu et être dans la réalité, dans notre société il faut déjà passer au service de l’état civil et nous donner un nom, mais c’est là que le bât blesse. Notre identité de femme, notre existence de femme… Elle se rapporte à un nom d’homme ! Et le comble, c’est que nous, en tant que femme, on est trimbalée d’un homme à un autre. Oui, quand je suis née, c’était ainsi, la femme donnait la vie, mais pas sonnom !
Je porte un nom de naissance comme tout un chacun et j’ai accepté de porter un nom d’usage en me faisant passer la bague au doigt, à ma demande curieusement. Je voulais me marier, mon but était de fonder ma propre famille, créer une unité, un cocon, un ensemble avec la chair de ma chair, le sang de mon sang et le même nom. Nous, la gent féminine, le sexe faible, quand nous nous marions, nous perdons notre identité. Les choses sont en train d’évoluer, me dira-t-on, moi je pense que les choses ne sont pas près de changer ! De Beauvoir a raison : « On ne naît pas femme, on le devient » mais on le devient quand ? Quelle femme ne s’est jamais demandé qui elle est, d’où elle vient ? Et surtout où elle va ? On a déjà du mal à savoir qui l’on est et l’on nous fait basculer d’un homme à un autre, on n’est – naît ? – pourtant plus en 1920, mais c’est encore inscrit, ancré, normé, malgré toutes les évolutions, généralement la fille du Père prend le nom de Monsieur. Je ne sais pas quel nom me sied le mieux, j’ai bien du mal à savoir comment je m’appelle. Je ne supporte pas qu’on m’appelle Madame, je ne porte d’ailleurs plus mon alliance depuis plusieurs années, alors je me fais appeler par mon prénom, c’est plus simple. Mon prénom est joli et commun, il passe partout, ni original ni d’une mocheté banale, il n’est pas si compliqué à écrire, il est féminin, mais pas femme. Il définit mon genre, mais je ne me sens pas femme pour autant. Je suis juste Stéphanie. Je ne suis pas une Madame et je ne suis pas une femme. Je me sens fille de, je me sens sœur de, ou nièce de, ou cousine de… Tous des messieurs. De l’homme que j’ai épousé, je ne sais pas ce que je suis et même si tout le monde s’accorde à dire « la femme de », moi je ne me sens pas sa femme. Je me sens maman, j’aime mes enfants, eux sont ma raison de (vouloir) vivre.
–Pourquoi tu vas consulter un psy, maman ?
–Pour être une meilleure maman, ma chérie.
Que dire à son enfant quand on va mal ? Quand on s’est toujours senti mal, mais sans vraiment savoir pourquoi, que dire ? Que dire quand on a tout pour être heureuse et qu’on ne l’est pas ? Un mari aimant, calme et travailleur, responsable, respectueux, simple, toujours de bonne humeur. Un mari qui a des idées, qui s’investit pour sa famille, pour les autres et pour lui. Un mari qui aime les choses bien faites, minutieux, organisé, méticuleux, qui a le sens du détail et du travail bien fait. Un mari sportif avec une vie sociale qui regorge de contacts, une vie saine, qui se contente de peu pour être heureux, qui fait passer les autres – moi ! – avant lui. Un mari qui vient d’une famille stable et unie. L’homme que j’ai épousé est équilibré et stable, c’est évident, mais je n’arrive pas à l’appeler mon mari. C’est Camille, point. Nos enfants sont en bonne santé, ils sont beaux et intelligents, dynamiques et énergiques. Eux aussi ont une excellente vie sociale, ils ont chacun leur caractère et font leur bonhomme de chemin. Nous avons des moyens matériels et financiers qui ne sont pas tombés du ciel et qui nous permettent de vivre sainement dans une belle maison que nous avons construite. Nous pouvons nous déplacer, rencontrer, nous avons une qualité de vie que tout le monde n’a pas, des amis, des copains, des relations de travail, une vie normale. Sur le papier, tout est parfait. Une vie normale, mais comment définit-on une vie normale ? Qu’est-ce que vivre normalement ? Vivre normalement, pour moi c’est mortel ! Et la routine, ça tue, ça tue l’amour.
Oui, l’amour dans tout ça ? Où est-il ? N’est-ce pas l’amour qui nous fait exister ? Suis-je aimée ? Est-ce que j’aime ? Qui et par qui ? L’amour je ne le vis pas non plus ou sans doute pas comme il faut. Quand j’ai rencontré Camille, contrairement aux couples que je voyais autour de moi, je n’ai pas connu la fusion, l’expression des gestes et de l’amour ni le rapprochement physique. Je ne recevais pas de signaux particuliers, ni attirance, ni passion, ni désir, ni admiration, alors qu’autour de moi, ils étaient tous collés. Camille et moi n’avons jamais passé des heures à refaire le monde. J’avais le sentiment que ça ne communiquait pas, il m’aimait, mais il m’aimait comment ? Je ne ressentais pas de désir ni de manque. La relation était juste stable, équilibrée, respectueuse, mais la stabilité, c’est l’ennui. Je ne m’exprimais pas, mon corps ne s’exprimait pas, je n’existais pas. Et c’est resté ainsi.
Le désir d’exister m’a toujours poursuivie, depuis ma tendre enfance. Je veux exister, mais comment fait-on pour exister, comment le ressent-on ? Je ne sais pas ce qu’est exister, je me sens vide constamment depuis très longtemps, je me vois marcher à côté de moi, je me vois de l’extérieur. Et souvent, je pleure. Je pleure tout le temps depuis longtemps. Et surtout, je suis en colère, contre tout et contre tout le monde. Par-dessus tout, je suis en colère contremoi.
Dans notre société, quand on va mal, on cherche un psy. Il est devenu commun de consulter, ce ne sont plus uniquement les fous à lier ou les hystériques – comme on nous appelait – que l’on soumet à un traitement psychothérapeutique et ne se référer qu’à Freud serait trop restrictif. Il y a encore vingt ans, c’était tabou, aujourd’hui grâce aux nouveaux moyens de communication et à l’évolution des mœurs, quand on va mal, on consulte. Mais qui consulte-t-on ?
Chacun y va de son avis, de sa méthode ou de sa spécialité : « Tu devrais consulter telle ou telle personne, tu verras, elle est géniale », mais elle est géniale pour qui ? On trouve des psys partout et en tout : des psys au travail, des psys à l’école, des psys après un accident, des psys après un traumatisme, des psys pour la famille, des psys pour les enfants, une psy pour monsieur, un psy pour madame ou bien pour les deux, un psy pour le sexe, un psy pour une maladie chronique, pour une ALD (affectation de longue durée) comme ils disent, un psy pour les addictions, un psy pour l’équilibre alimentaire, pour les TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs), pour l’anxiété ou les phobies. Il existe un psy pour tout. On dirait le rayonnage des produits industriels d’un hypermarché avec leurs superbes emballages ! À une époque c’était hypertendance. Les psys, ça me fait le même effet… C’est tendance et il y en a toute une panoplie étalée sur les vitrines du web. Chacun utilise une appellation spécifique, coach en développement personnel, thérapeute du bien-être, atelier confiance en soi, psychopraticien, psychothérapeute, psychologue, psychanalyste, psychiatre… Ah ! Non, pas un psychiatre ! C’est trop effrayant les psychiatres.
Et alors, leurs méthodes, parlons-en ! Les thérapies analytiques, la psychanalyse, la psychologie adlérienne – jamais entendu parler – les thérapies psychocorporelles avec la Gestalt – encore un nom à coucher dehors – le psychodrame – bon Dieu, c’est dramatique un nom pareil – la méthode Vittoz – qui c’est celui-là ? – la sociothérapie – là je vais finir sociopathe – la thérapie comportementale – on y passe tous. On a tous forcément un comportement à rectifier si on les écoute ces psys ! Il y a toujours matière à travailler pour un psy, bien sûr on se cogne le complexe d’Œdipe à toutes les sauces et alors le top du top, ce sont les états de conscience modifiés, rebirth, respiration holotropique, sophrologie, relaxation untel ou unetelle… Et oui parce que chacun de ces farfelus y accole son nom pour faire exister sa méthode et là, ça y est, on entre dans une secte et entre chaque secte évidemment aucune n’est d’accord avec l’autre. Sans compter ceux qui nous diront que les psys ne servent qu’à te vider le portefeuille !
Et moi dans tout ça ? Est-ce que je suis au bon endroit ? J’écoute qui ? Vous ? Les autres ? Je vais où et avec qui et quel est mon problème en fin de compte ? Parce que si je vous consulte c’est parce que j’ai un problème à résoudre, non ? Et comment vais-je résoudre mon problème ? Et surtout allez-vous vous intéresser à mon Histoire ?
S’engager dans une démarche thérapeutique n’est pas aisé. Et puis, je n’y connais rien à toutes ces techniques et ces méthodes, c’est du chinois pour moi. On a envie de vous dénigrer, vous, les psys ! Vous êtes traités de charlatans ou d’escrocs et vous ne servez à rien ! On a tant d’a priori, de préjugés, de bonnes raisons de ne pas y aller, de repousser, parce que forcément on n’est pas si à plaindre que ça, notre souffrance peut attendre, il y a bien pire quand on regarde à côté ou plus loin. Dans une thérapie, les réfractaires nous dirons que l’on paie pour souffrir, mais on souffre déjà, comment sortir de ce cercle vicieux ? On paie dans tous les sens du terme, c’est un investissement sur notre vie, un pari osé. Pour détricoter quarante années et reconstruire des bases solides, il en faut du temps et de l’investissement. Et si je l’avais enfin trouvé mon psy ? Je veux parier sur lui, je veux y croire, il va révolutionner ma vie !
Ma révolution à moi, c’est juste d’aller mieux.
Plaisir
Exister
Désirer
Ressentir
Savourer
Aisance
Respirer
Aimer
Raffoler
Vivre
Être
Confiance
Tendresse
Affection
Déguster
Se délecter
Goûter
S’amuser
Grâce
Se réjouir
Profiter
S’apaiser
Beauté
S’égayer
Plaire
Partager
Aspirer
Désir
Communiquer
Se délecter
Autant de mots et de verbes dont j’aimerais tellement user, liste non exhaustive.
–Camille, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ?
–Je dois aller aider monpère.
–OK.
–Et demain ?
–On joue. Je dois préparer le réveil musculaire, c’est un grand match.
–OK.
Voilà nos dialogues. Rien à lui dire. Rien à faire. Pas vraiment là, rien ne m’emballe avec lui. Une vie bien rangée où il vaque à ses occupations. Même le jour du baptême de sa nièce, il n’était pas là alors que j’étais la marraine. Je pleurais une fois de plus, il n’était pas là, mais personne ne me disait rien.
Non, je ne souris pas, oui je suis froide, non je n’ai pas envie de parler, je veux juste être seule. Tout le monde le voit, mais personne ne m’entend, personne n’entend ma souffrance. Pourquoi personne ne l’entend ? Pourquoi personne ne s’en soucie ?
Je m’ennuie tellement dans ce mariage que je n’ai rien à écrire à ce sujet. Aucune passion, aucune envie, aucun partage, juste un quotidien morne et dénué d’intérêt. Je voudrais être ailleurs, mais en même temps je ne peux pas partir. Il y a bien pire que ma place, de quoi ou de qui pourrais-je me plaindre ? Je suis libre en théorie, il m’aime, il ne me tape pas, je suis autonome financièrement, je peux travailler, sortir comme bon me semble, j’ai des amies, j’ai tout ce dont une femme a besoin, mais suis-je une femme dans ce mariage ? En jean et baskets toute l’année sans maquillage, je suis restée bloquée physiquement aux années collège avec un mental qui correspond à une génération bien plus âgée que la mienne.
Je l’ai choisi pour la sécurité. Il est gentil, je l’ai choisi pour un million de raisons sauf par amour, je l’ai choisi pour ses valeurs, son respect, sa simplicité, son goût du travail bien fait, ses origines, son sens de l’effort, le sport, parce qu’il convient à mes parents sans doute aussi. On veut toujours satisfaire les parents, n’est-ce pas ?
On travaille, on s’installe dans notre première maison, dans un lotissement où les jeunes ne font pas la majorité. Il entretient les rosiers. Je lis. Comme des vieux, non ? Nos rapports physiques sont inexistants, mais on s’entend bien, jamais un mot plus haut que l’autre, tout est calme, ses copains viennent partager une soirée de temps en temps, je ne vois plus les miens, je ne suis pas fan des siens et je ne pense pas faire bonne figure, je n’ai pas grand-chose à leur dire, ils sont trop clinquants, trop sophistiqués pour moi. Moi j’aime l’authentique, la profondeur, moi j’aime la génération au-dessus, celle avec laquelle je me sens bien, c’est celle qui est née dix ans avant moi. Le praticien qui me masse régulièrement me dit que je suis cérébrale. C’est la première fois que l’on me dit ça. Je ne pensais pas réfléchir à ce point. Je suis fascinée par les anciens aussi, parce qu’ils ont leur vie à raconter, à transmettre, j’ai soif d’apprendre parce que je m’ennuie.
Quelques repas de famille animent parfois les week-ends. Les gens de notre génération commencent à se marier. Dans la continuité, on fait de même. Ma journée de mariage fut belle, magnifique, animée, abondante, ensoleillée, heureuse, la famille et les amis ont été formidables. Notre cousin avait encore l’usage de ses jambes, Sara faisait encore partie de ma vie, Loreleï était là aussi. Mes amies, je les compte sur les doigts de la main, Camille en a des dizaines. Le jour du mariage, beaucoup d’anciens étaient encore de ce monde, les Latins étaient là, les Celtes aussi. D’origine latine d’un côté, celte de l’autre, grandissant sur une terre fertile et d’accueil, ça fait un mélange détonant : MOI, mais je me demandais ce que je faisais là, si c’était vraiment moi. Je me suis toujours sentie marcher à côté de moi, même le jour de mon mariage. Je ne me comprends pas moi-même. Nous sommes partis pour un beau voyage à l’autre bout du monde sur les plus belles plages mauriciennes, les plus beaux sites, les cirques réunionnais et il ne s’est rien passé de plus, rien de vibrant, rien de passionnant, plutôt l’ennui et l’anxiété d’un couple inerte. Vous savez ce qui m’a le plus marquée sur l’île paradisiaque ? La misère, les bidonvilles. Tout était triste. Je n’ai pas aimé être dans le luxe alors que de l’autre côté du fossé il y avait une simple bâche qui faisait office de toit. Camille et moi sommes rentrés, la monotonie a repris sa place. Pourquoi n’arrivais-je donc pas à vivre avec l’homme que j’avais choisi ?
Dans mon esprit, j’avais peur de tomber sur un con qui me laisserait tomber, alors c’est Camille que j’ai choisi parce que je ne risquais rien. Mais qui dit sans risque, dit mourir d’ennui. Sexuellement, il ne se passe rien, même pendant la nuit de noces qui n’en était pas une. Je voulais juste la paix. Dormir et être tranquille, rien ne m’emballait. Elle était pourtant belle cette journée, au fond de moi, avais-je bien choisi ?
Les semaines passent, les mois s’écoulent. Sara m’a délaissée, car elle ne croyait pas en ce mariage, comme si je m’étais enfoncée dans un mensonge. Comme s’il fallait me convaincre de quelque chose. Je lui ai dit de filer ailleurs puisque ma vie n’était qu’une mascarade. J’en ai beaucoup pleuré. C’était fusionnel avec elle, je me sentais vivante à ses côtés, on a vécu de grands moments, les plus beaux moments de ma jeunesse en fin de compte. Tout était génial, excitant, tout était fort, mes plus belles sorties, mes plus belles rencontres, mes plus beaux partages. Je croquais la vie auprès d’elle. Sara, je l’ai aimée dès le premier jour, un jour de rentrée, assises à côté l’une de l’autre, elle avait déjà des vues sur le beau gosse et moi sur l’intello qui était déjà maqué. Après mon mariage, je l’ai envoyée balader parce qu’elle ne comprenait rien non plus, personne ne me comprend, mais elle me manque. Elle avait raison, quelque chose clochait.
Je m’ennuie épouvantablement. Quand Camille réclame, je fais la planche. Vous savez ce que c’est faire la planche ? Un billot de bois lourd et inerte, ça vous intéresse ? Vous voulez toucher ?
Mon envie d’être maman est si forte que je surmonte ça, l’absence de désir, de sensations, l’absence d’amour, l’absence de ressentis. Rien ne vient. Mais j’écarte les jambes pour le recevoir au moins le temps de procréer parce que je le veux cet enfant, je veux être maman. Heureusement, je suis fertile, le temps que le cycle se remette en place naturellement et ça y est la graine germait. Ouf, plus besoin de me forcer à faire la planche. Neuf mois plus tard, elle était là, parfaite, passée comme une lettre à la poste, mon bijou, le bijou de tous, la première d’une nouvelle génération pour plein de générations au-dessus. Elle embellit ma vie. Elle est belle, ma fille. Mais le problème reste le même, rien ne se résout.
Je ne trouve pas Camille désirable. Je n’ai même pas envie de l’embrasser et il s’y prend comme un pied.
Vous allez me demander : « Comment s’y prend-il pour s’y prendre comme un pied ? »
C’est un tout, son attitude, il n’a aucun sex-appeal. Ses gestes ne réveillent rien en moi, pire, parfois je suis écœurée. Il ne sait pas me toucher ou s’il me touche, cela ne me convient pas. Il ne sait pas comment faire. Et je fais des efforts pourtant… Comme me frotter contre sa jambe. Et pour éviter toute crispation qui se produit à chaque fois qu’il vient sur moi, je reste sur le côté.
Il essaie de me parler pourtant, même de fantasmes, mais rien n’y fait. Je ne veux pas connaître les fantasmes des hommes ! Ne peut-il pas dire ce qu’il faut plutôt ? Bref, ça ne marche pas et comme je lui dis que ça ne va pas, il se lève, énervé, et se barre en claquant la porte.
Pourquoi ne suis-je donc pas capable d’aimer Camille ? Quand il me dit un mot doux, ça me rebute, quand d’autres ne me le disent pas, ça m’attriste. Quand il m’aime, je le repousse, quand d’autres ne m’aiment pas ou plus, c’est l’enfer. Oui je m’intéresse à d’autres, avant lui aussi, mais des hommes pas pour moi. Il ne se passe rien de répréhensible, mais je joue sur la limite et ce n’est pas vraiment joli. En réalité, le dégoût ne vient pas de Camille, juste de moi-même. Il n’y est pour rien en fin de compte.
Rien ne fonctionne, rien ne m’attire, je ne lui trouve rien de beau, rien de charmant, rien d’exceptionnel, rien d’admirable, je le trouve juste gentil et il est un bon père pour ma fille, c’est tout. On est juste côte à côte, rien de plus. Et ça m’empêche de vivre. J’ai envoyé balader tous les autres, mais rien n’y fait, je n’arrive pas à aimer Camille qui m’aime.
Je me remets à pleurer.
Quand je croise ou discute avec des couples qui se nomment par tous les mots doux du monde, des chéris, des bébés, des trésors, des ma puce en tout genre… Ça m’écœure, non pas parce que Camille ne sait pas les dire, mais parce que moi je ne veux pas l’appeler ainsi. J’aimerais pouvoir les lui dire tous ces mots, mais je ne le ressens pas. Je ne veux pas non plus qu’il les utilise, ça me fait fuir. Ça ne marche pas, je ne le désire pas, je ne veux pas être dans ses bras, ma bouche reste fermée, mes bras inertes, je n’arrive même pas à lui tenir la main en nous promenant. Il est triste. Très triste, mais il ne ditrien.
Je n’arrive pas à le vouloir.
Je pense aux pénis d’autres hommes, au sexe avec d’autres hommes, avec de plus en plus d’hommes finalement, je me dégoûte de moi-même et je deviens une statue avec Camille, silencieuse, inanimée, sans ressenti ni émotion, fermée, enfermée sous cette carapace lourde qui fait écran aux gestes et aux paroles de Camille. Je n’arrive pas à l’aimer. Pourquoi suis-je donc incapable d’aimer l’homme que j’ai épousé alors qu’il est parfait ? Je n’ai rien à lui reprocher.
Pourquoi suis-je ainsi ? À scier la branche sur laquelle je suis, la branche qui est censée être vivante et me porter.
Les années défilent, je croise de plus en plus de gens dans mes boulots, ils construisent leur vie de famille, ils ont l’air heureux, partent en vacances, ils font l’amour, ça se voit et moi toujours pas. Peut-être que je ne suis pas faite pour ça ? L’orgasme, je veux dire. Peut-être que ça n’est pas vital pour moi, après tout, a-t-on besoin de l’orgasme pour vivre ? On ne m’a jamais enseigné que le sexe et l’orgasme étaient importants. En fait, personne n’en parle. On nous enseigne plutôt que c’est tabou, voire pire, le sexe c’est sale. Il est honteux de le regarder ou d’en parler. Indécent.
Je ne ressens pas de plaisir. Le temps passe, je n’ai toujours pas d’orgasme malgré mes efforts et mes questionnements, alors qu’il m’aime, qu’il est attentionné, qu’il ne m’a jamais fait de mal, que je lui fais confiance et que je pourrai toujours compter sur lui. Il est là, fidèle et fier de moi, il me soutient, il communique, il est doux et respectueux, il partage mes valeurs, il est intelligent et agit intelligemment, il est responsable, il se remet en question, il fait des efforts pour que ça marche, je pourrais en dire encore, je n’ai toujours rien à lui reprocher et… Je me demande ce que je fais là, encore et encore, mais je ne vais quand même pas divorcer à cause de ça. Punaise qu’est-ce que ça me pourrit lavie !
Dans mon passé, je n’ai finalement jamais fait l’amour avec qui que ce soit. J’ai juste offert ma virginité à un plus jeune que moi pour ne surtout pas m’attacher. Quatre ans de moins, aucun risque ! En vacances dans un camping, c’était décidé, ça serait ainsi. Il ne fallait plus que je sois vierge. Je ne l’aimais pas et ça ne m’a rien fait. Ça ne m’a rien apporté, ce jeune homme ne m’a jamais plus reparlé. Je n’en retiens rien, ni plaisir ni dégoût. Il était gentil et c’est resté sans commentaire. Pas d’effusion, pas de sensation particulière, aucune sensibilité, aucun frisson au contact de sa peau, je ne donnais rien et ça ne m’apportait rien. Ça s’est passé, point. Je ne peux même pas comparer cette sensation à avaler un verre d’eau, déguster un plat délicieux ou le vomir, rien, le vide total de sensation. On s’est dit au revoir, je l’ai recroisé quelques semaines plus tard à l’université, mais ça ne me faisait toujours rien, ni bien ni mal.