Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Voyagez des rives chaudes de la mer des Caraïbes aux pins de l’Aquitaine, dans une coopérative où foie gras et produits landais sont l’objet de fraude douanière. Dans une ambiance tropicale, le charme du décor « carte postale », avec ses lagons bleus, va côtoyer la noirceur d’un trafic inattendu extrêmement rentable. Cependant, la Guadeloupe reste pleine de mystères, et dans un festival d’émotions et de surprises, la vérité s’échappera sans cesse, feu d’artifice d’imprévus, jusqu’au bouquet final totalement désarçonnant.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christine Saint-Martin vécut toute son adolescence en Guadeloupe. Menant actuellement une carrière de manager, elle affectionne aussi la peinture et la poésie. Pour l’écriture de
Turbulences aux Caraïbes, son premier roman, elle s’inspire des images et des senteurs antillaises qu’elle chérit tant.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 396
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Christine Saint-Martin
Turbulences aux Caraïbes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Christine Saint-Martin
ISBN :979-10-377-7759-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les personnages et les faits de ce roman sont peut-être imaginaires. Les lieux quant à eux sont réels, enfin presque…
5 h du matin, Vieux-Habitants, Guadeloupe
L’aube se levait et Fabrice allait fermer la discothèque.
Tout à côté, les derniers fêtards regardaient les rayons de soleil qui semblaient allumer la plage, déposant des miroirs de lumière sur la mer des Caraïbes. Il faisait déjà 18 °C, et la journée promettait, cette fois encore, d’être particulièrement chaude.
Au moment où Fabrice sortait, le téléphone sonna. Il fut tenté de ne pas répondre, tellement il se sentait fatigué, mais son instinct commercial fut le plus fort et il décrocha :
Discothèque Kréol Dreams, bonsoir, ou plutôt bonjour, Fabrice, que puis-je faire pour vous ?
Bonjour, c’est moi.
Tout d’un coup, la fatigue sembla s’envoler, et la tension nerveuse prit place, comme s’il venait de prendre une douche glacée, ce qui le réveilla.
Oui, bonjour, qu’est-ce qu’il se passe ?
Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu fais de l’humour ? On attend la marchandise, et on n’aime pas attendre. Surtout quand elle est déjà payée.
Oui, mais il y a eu un problème.
Non, non, jusqu’à maintenant, il n’y a pas de problème, mais il va y en avoir si on attend encore. Passe une bonne journée.
Fabrice n’eut pas le temps de répondre, son correspondant avait déjà raccroché.
Il fallait absolument qu’il trouve une solution, et de manière urgente.
Dimanche, 1er février
Il pleuvait à verse, il n’arrêtait pas de pleuvoir et le service météo venait d’annoncer une alerte orage et neige sur 15 départements dont les Landes et les Pyrénées Atlantiques. Quel sale temps, se dit Karina, J’ai envie de ne rien faire. Juste rester allongée sur le canapé, à regarder les feuilletons américains et à mettre des commentaires sur mon mur Facebook.
À côté, Frédéric jouait sur sa tablette et avait l’air de s’ennuyer autant qu’elle.
Tu veux boire un café, un thé ? demanda-t-il. Tu veux aller faire un tour ?
Non, non, pas envie, j’ai super froid.
Et le dimanche se poursuivit, empli de lassitude, d’ennui, de gris. Un reportage sur la Guadeloupe réveilla Karina et la replongea dans cette île où elle avait passé son adolescence. Où étaient passés ses rêves d’antan, le soleil, la mer des Caraïbes, ses copains de l’époque, le Champ d’Arbaud où elle descendait tous les soirs rejoindre « la bande » en rentrant du lycée ? Bien loin !
Aujourd’hui, elle était directrice commerciale dans une entreprise de ménage et la Guadeloupe était un peu comme un vieux film que l’on regarde et qui rappelle tellement de souvenirs.
Il y a 4 ans, Karina avait décidé de partir rejoindre ses rêves et de retrouver cette île si forte en émotions pour elle. Aussi, elle avait créé une entreprise de négoces entre les Antilles et les Landes : SLAM, Saveur Landes Antilles Mélangées. Une super idée de commercialiser des produits landais, du foie gras, des magrets fumés, du pâté, plein de produits issus du canard dans les hôtels de luxe de la Guadeloupe, mais surtout, un moyen de s’échapper de la routine, des Landes, du gris et de la pluie, du froid de l’hiver.
Elle avait commencé à envoyer des mails à des restaurateurs à Basse-Terre, à la Grande-Terre, à Gosier, à Sainte-Anne, et avait obtenu des rendez-vous. Frédéric et elle étaient donc partis en Guadeloupe et avaient commencé à vendre une partie du stock qu’ils avaient amené avec eux, mais 15 jours de prospection c’est trop peu, et ils étaient repartis, bien décidés à y revenir très vite.
Et puis… la vie avait continué et l’état de la mère de Karina, atteinte de la maladie d’Alzheimer, s’était dégradé.
Pas facile, en étant fille unique, de tout quitter et de vivre sa vie, même à 45 ans. L’insouciance de la jeunesse permet de suivre sa route et de tourner des pages sans remords, mais beaucoup plus difficile à son âge.
Comment partir l’esprit libre, en sachant que son père se débattait au quotidien pour maintenir sa mère à domicile ?
Et puis Raphaël, le fils de Karina, était toujours à la maison, encore « aux études », comme on dit, donc difficile là aussi de s’éloigner sans se retourner.
Karina n’avait pas le courage de tout quitter pour rejoindre ses rêves, elle ferait du mal à son père, à son fils, et elle ne voulait pas faire du mal à ceux qu’elle aimait.
Alors elle restait avec la sensation, parfois, d’être prisonnière d’une vie qu’elle n’avait pas choisie, d’une vie qu’elle voudrait faire éclater comme une bulle de liberté, pour pouvoir enfin être heureuse « Ailleurs ».
Donc, depuis, la Société Slam était en « sommeil juridique » et Karina partait travailler chaque matin dans l’entreprise de ménage que Frédéric gérait.
Pas très passionnant, mais bon, il fallait bien payer les factures et être raisonnable.
Lundi
Il faisait toujours aussi gris et la pluie continuait de tomber.
Karina n’avait pas beaucoup dormi. Elle avait l’impression d’être enfermée dans une routine qu’elle n’arrivait plus à supporter. Trop de responsabilités, d’habitudes, elle avait besoin d’autre chose, envie d’ailleurs, mais elle restait là à regarder la pluie et à se dire : « Je ne peux pas, je n’ai pas le droit de penser à moi, on verra plus tard quand tout ira un peu mieux. »
Et le travail reprit le dessus et estompa ses pensées d’évasion.
La saison touristique allait bientôt reprendre à Dax et les curistes allaient revenir. Depuis que Dax était passée première ville thermale de France, pour les rhumatismes, la plupart des hôtels et établissements thermaux fermaient en novembre et rouvraient au public en fin février, juste le temps de faire quelques travaux de rénovation et de laisser le personnel se reposer un peu.
Cet après-midi-là, donc, il fallait repartir dans un des établissements de thermes que Frédéric avait signé en ménage. L’office de tourisme de Dax devait venir faire des photos, il fallait commencer le « dégraissage » de trois appartements. Dégraissage, cela voulait dire le nettoyage d’avant-saison de tous les studios, et cela consistait à nettoyer à fond l’intégralité des pièces, à refaire la vaisselle, à la ranger, à laver les placards, les volets roulants, la VMC, bref, il fallait que tout soit nickel et impeccable pour l’arrivée des curistes.
Karina partit au bureau et emprunta la voie verte de la Chalosse, elle aimait ce chemin, car très souvent, dans les champs jouxtant la route, on y voyait des biches, des chevreuils, parfois des sangliers. Elle essayait de trouver tous les points positifs à sa vie dans les Landes, comme si tous ces éléments pouvaient la persuader qu’en fait elle était bien ici, et que sa vie près de Dax était ce qu’il lui fallait. Mais pas d’animaux en ce début de matinée, comme un signe du destin qui lui disait « pars ! ».
Cette pensée la fit rire. « N’importe quoi, je commence à yoyoter. » Le destin n’a rien à voir avec les biches. Allez, au boulot, Karina ! Le temps de préparer le matériel pour le chantier de l’après-midi, pour deux équipes de nettoyage, de boire un café et de lire les mails du week-end que midi arriva déjà. Retour à la maison et, cette fois encore, pas de biche ou de chevreuil…
Ils sont partis faire les soldes, pensa Karina en souriant.
Et la semaine se poursuivit, entre ménage dans les appartements, relances commerciales auprès des clients et routine à la maison.
Vendredi arriva avec des flocons et ces quelques centimètres de neiges semblaient bloquer toute l’économie des Landes et du 64. Plus de cars pour les écoliers, lycées fermés en partie et messages de précaution qui défilaient en boucle à la télévision pour inciter les gens à la prudence et leur conseiller de rentrer chez eux.
Karina s’arrêta au centre commercial de son village, à Hinx, où elle habitait, pour effectuer quelques courses et, très vite, son manteau fut recouvert de blanc.
Il faisait nuit, il neigeait et le week-end s’annonçait glacial, une fin de semaine à cocooner au chaud.
Frédéric rentra à son tour et s’installa devant la télévision, sa tablette et son téléphone portable près de lui.
Karina se posa sur son canapé et s’amusa avec le jeu qu’elle avait téléchargé sur son portable. La soirée commençait tandis que le vent et la pluie martelaient le toit et le sol glacé. Frédéric se leva et revint quelques minutes avec un plateau contenant un verre de vin blanc pour elle, de rosé pour lui, quelques chips et des tranches de chorizo.
« Allez, on va essayer de se reposer ces deux jours et de faire le vide, on verra les galères lundi. »
Pas facile de faire le vide, pensa Karina. Un peu compliqué de laisser son cerveau en mode éteint et d’empêcher les idées de faire leur chemin. Frédéric, lui, avait l’air d’y arriver, mais était-ce vraiment le cas ?
Ils étaient en couple depuis maintenant 3 ans, mais Karina n’était pas sûre de ce qu’il ressentait pour elle. Il n’était pas du genre à faire de grands serments, même pas de petits discours d’ailleurs, et pour lui, les gestes étaient plus importants que les mots.
Au contraire, Karina était une littéraire, une « pure », et avait besoin de romantisme, de sentiments exaltés, de passion. Pour cela, elle était sans cesse à la recherche du regard de l’autre, de son admiration, qu’elle ne trouvait pas. Alors elle se rassurait en recherchant plein de gestes pour se convaincre que tout allait bien, qu’il était gentil et amoureux, que sa vie, tout compte fait, était agréable.
Mais elle était tout le temps en train de combattre ses idées noires, ses doutes, et oscillait entre tristesse, nostalgie, mélancolie et sentiments d’euphorie lorsqu’elle avait eu « un geste » d’amour de Frédéric, un semblant de tendresse.
Dimanche
En larmes, Julie, la meilleure amie de Karina, l’appela, car sa cousine qui vivait en Guadeloupe était très malade. Julie et Karina, une amitié qui avait débuté à l’âge de 15 ans lorsqu’elles étaient toutes les deux lycéennes aux Antilles.
Julie était une béké, une « blanche » née en Guadeloupe dont les ancêtres étaient d’anciens colons. Une grande partie de sa famille faisait partie de la noblesse et vivait toujours aux Antilles.
Julie en était partie il y a une dizaine d’années, après un divorce douloureux, et avait refait sa vie à Bordeaux.
Même si elles ne se voyaient pas très souvent, leur complicité et leur affection étaient intactes, et lorsqu’elles se parlaient au téléphone ou se retrouvaient, elles redevenaient deux sœurs de cœur, parfois deux adolescentes avec des crises de fous rires.
Julie était très « accro » aux voyantes et souvent elle les interrogeait lorsqu’une question la taraudait ou lorsqu’elle devait prendre une décision importante, un tournant professionnel. Elle avait décidé justement de « consulter » pour avoir des réponses sur la maladie de sa cousine et promis à Karina de la tenir au courant.
Karina raccrocha, un peu pensive. Très terre-à-terre, elle avait du mal à croire en l’abstrait, et confier sa vie, ses décisions, à une inconnue qui tirait les cartes, lui paraissait un peu étrange et très loin de sa conception de la vie.
Elle aimait décider vite, parfois trop, seule, et avait du mal à se confier, encore plus à écouter les conseils de quelqu’un. Alors, une inconnue…
Encore une semaine qui commence, se dit Karina, en entendant le réveil lundi matin.
Mais aucune énergie, et Karina n’arriva pas à se lever. Elle essaya, mais sa tête semblait lourde et ses jambes refusèrent de la porter. Elle commença à avoir des frissons et la prise de température lui indiqua 39 °C.
Frédéric paraissait inquiet et lui dit de rester au lit, qu’il fallait qu’elle se repose et verrait le médecin si la fièvre ne descendait pas. Pour une fois, Karina n’essaya pas de jouer à « Wonderwoman », au brave petit soldat, et replongea sous la couette.
Tout d’un coup, elle se réveilla avec une grande soif. Elle descendit et la maison était silencieuse. À travers la baie vitrée, elle vit les flocons tomber et elle se sentit presque heureuse d’être là, tranquille, à la maison, seule.
Elle éprouva un sentiment de paix et remonta se coucher, contente de pouvoir se reposer, sans pression, sans pensées négatives.
Deux jours passés au chaud lui permirent d’aller mieux et elle se sentit « d’attaque » pour reprendre le travail le mercredi matin. Toutefois, en partant au bureau, elle eut de nouveau un sentiment d’étouffement et un mal de tête insistant.
Aucun animal dans la voie verte de la Chalosse et, arrivée devant la porte de l’entreprise, elle eut envie de faire demi-tour plutôt que d’y entrer.
Elle se força tout de même à sourire en disant bonjour à Catherine, la secrétaire, et alla se réfugier dans son bureau.
Il y faisait chaud, elle y était tranquille et, avant de se plonger dans les dossiers en attente, regarda les cartes postales qu’elle avait collées sur les murs, elles étaient presque toutes des Antilles, de la Guadeloupe et des Saintes.
Elle ne comprenait pas pourquoi elle se sentait si mal, pourquoi autant de mélancolie à propos de cette île.
Ce n’était pas seulement la nostalgie de l’adolescence, c’était plus que cela, un peu comme si ses racines étaient là-bas et qu’elle avait ce que l’on appelle « le mal du pays ».
Quelques fois, elle y était repartie passer des vacances, mais alors, pourquoi ce mal-être maintenant ?
Pourquoi cette sensation de tristesse permanente, ce malaise presque physique ?
Je ne peux pas continuer comme cela, se dit Karina, ce n’est pas possible, je vais finir par faire une dépression et faire n’importe quoi. Je me sens trop mal.
Mais entre la constatation de son état et la volonté de s’en sortir pour enfin aller mieux, quelle solution pouvait-elle trouver ?
Tout quitter et partir vers ces terres qui l’attiraient comme un aimant ? Mais que dire à Frédéric ?
Et comment faire avec son père sans avoir l’impression de l’abandonner, sans culpabiliser ? car elle en était de plus en plus persuadée, il fallait qu’elle reparte là-bas !
Mais seule.
Elle se devait de le faire afin d’essayer de trouver ce qui la rongeait, ce qu’elle voulait vraiment faire du reste de sa vie et avec qui la passer.
Peut-être était-ce aussi une des composantes des questions qui la tenaillaient.
Nouveau week-end passé entre les jeux des téléphones et les séries télévisées et quelques repas partagés.
Karina était ailleurs, à surfer sur internet et à regarder les vols pour Pointe-à-Pitre, ainsi que les hébergements.
Frédéric, comme à son habitude, gentil et prévenant, revint des courses avec un bouquet de roses, mais demeurait silencieux, comme si pour lui tout était évident et n’avait pas besoin de paroles. À l’inverse, Karina avait une obsession pour les mots, pour le dialogue.
Elle n’arriva pas à dormir cette nuit-là. Trop de questions dans la tête, sans réponses.
Elle se lança un défi qu’elle savait stupide : Si demain, dans la voie verte, il y a « une bestiole », je pars… et elle s’endormit. Vers 5 heures du matin, le réveil sonna. Trop fatiguée pour repenser à ce qu’elle s’était dit durant ses heures d’insomnie, elle prit sa voiture pour se rendre au bureau.
Un brouillard épais recouvrait la campagne et le soleil commençait juste à se lever, illuminant le ciel de reflets rose et bleu. Avec la bande de brume qui recouvrait la terre, on aurait pu se croire dans un film de science-fiction, sur le sol d’une planète imaginaire.
Karina s’engagea sur le chemin cahoteux de la voie verte et stoppa.
Sur la droite, au milieu du champ, une biche était en arrêt, comme figée et, au lieu de s’enfuir, elle s’approcha de la voiture puis, après une ou deux minutes d’observation, s’échappa vers l’orée du bois.
Karina était totalement abasourdie.
Elle, qui cherchait un « signe » comme un appel du destin, avait l’impression que le ciel venait de lui transmettre un message façon télégramme.
L’attitude de la biche n’était pas habituelle et Karina assimilait cela à un évident appel au départ.
Elle fit alors demi-tour et s’arrêta devant l’église près de laquelle son père habitait.
Il faut que je te parle, papa. J’ai besoin de partir une quinzaine de jours en Gwada, besoin de me reposer un peu et de reprendre des forces au soleil. Cela ne te dérange pas, mon papinou ?
Karina avait, avec son père, une complicité et une tendresse extrêmement fortes. Ils avaient toujours été très proches l’un de l’autre. Sa fille étant sa « princesse », il la traitait comme telle, au grand désaccord de sa femme qui jalousait un peu la relation que le père et la fille entretenaient.
Karina et sa mère n’avaient jamais été complices, plutôt en compétition, et la maladie qui s’était installée avait, petit à petit, détruit toute possibilité d’explication sur la relation conflictuelle qui les avait opposées.
Maintenant, Karina relayait son père lorsqu’il devait s’absenter pour des réunions ou des repas, car il avait conservé une vie sociale très active, et elle donnait à sa mère les gestes de tendresse qu’elles n’avaient jamais eu l’occasion d’échanger auparavant.
De toute façon, dit Karina, s’il se passe quelque chose, je reprendrais l’avion, il n’y a que 8 heures de vol jusqu’à Pointe-à-Pitre, et puis on se téléphonera tous les jours. Tu es sûr que cela ne t’embête pas ? Tu ne m’en veux pas ?
Mais non, bien sûr, répondit-il. Mais alors, tu me rapporteras une bouteille de rhum Bologne, et il l’embrassa en la serrant dans ses bras.
Karina partit au bureau.
Elle s’installa devant son ordinateur, alla sur le site d’Air France et choisit un vol Bordeaux–Pointe-à-Pitre, avec un départ en début de mois et un retour pour quinze jours après.
Il lui restait à trouver un hébergement, ce qu’elle ne mit pas longtemps à valider également. Il s’agissait d’un logement dans la commune de Bouillante : un studio avec vue sur la mer des Caraïbes et la réserve Cousteau.
Voilà, il lui restait maintenant à annoncer et à expliquer à Frédéric qu’elle partait, seule, et elle se doutait que cela ne se passerait pas sans dispute, probablement.
Dix jours avant de partir… top top, se dit-elle.
Sur le chemin du retour, Karina essaya d’échafauder un argumentaire pour s’expliquer et ne pas trop créer de tensions entre elle et son compagnon, mais elle sentait bien que la tâche allait être difficile.
Pourtant, la perspective de le perdre ne l’avait pas arrêtée, trop décidée à partir, comme attirée par un irrésistible appel et comme si plus rien ne pouvait la retenir.
Bon, on verra.
Plusieurs fois pendant la soirée, elle eut envie de lui en parler, mais n’arrivait pas à trouver le « bon moment » ni même les « bons mots ».
Le lendemain matin, ils se retrouvèrent autour d’un café, il faisait toujours aussi gris dehors comme les jours précédents, et Karina se lança :
Écoute, il faut que je te parle, je me sens plutôt mal ces temps-ci et j’ai…
Le téléphone se mit à sonner et Frédéric répondit :
C’est la télésurveillance, il faut que je parte au bureau pour voir l’alarme. À tout de suite.
Frédéric rentra juste à temps pour déjeuner, car il en avait profité pour faire quelques papiers et courriers qui étaient en retard.
Par lâcheté, et parce que Karina voulait passer un week-end tranquille, sans conflits, elle n’aborda pas le sujet.
Elle n’osa pas non plus de toute la semaine, et le dernier week-end, avant son départ arriva.
Le matin, alors qu’ils étaient assis tous les deux devant un café, à côté de leurs téléphones, Karina regarda Frédéric et lui dit :
Écoute, il faut que je te parle et, s’il te plaît, ne m’interromps pas. J’ai pris un billet pour Pointe-à-Pitre, je pars dans 3 jours pour deux semaines. Grâce à Julie et à sa famille qui est toujours en Guadeloupe, j’ai eu des contacts pour l’entreprise SLAM. J’ai besoin de soleil et de me retrouver un peu. De toute façon, 15 jours ce n’est pas long. Ça ne change rien à notre couple, mais il me faut du repos, de la chaleur. Tu ne m’en veux pas ?
Frédéric la regarda, mais Karina eut l’impression qu’il ne la voyait pas.
Non, non, ce n’est pas grave, je garderai les chiens. Pas de problème, profites-en pour te reposer, la saison qui arrive va être fatigante.
Elle s’attendait à une crise, à des cris, des claquements de porte, à ce que Frédéric ne lui parle pas et fasse la tête jusqu’à son départ, à tout, mais certainement pas à sa bénédiction. Comment devait-elle le prendre ?
En fait, elle le vivait très mal, et une foule de questions affluait dans son cerveau.
Mais franchement, il s’en fout tant que ça ? Je suis quoi pour lui ? Une colocataire ?
Frédéric était reparti à ses jeux sur sa tablette et son portable, et Karina avait les larmes aux yeux. Bien sûr, qu’elle avait horreur des cris et scènes de violence et d’énervement, mais là, elle se sentait tellement mal ! Elle avait l’impression de ne pas compter, que son absence ou sa présence indifféraient Frédéric.
Les trois jours qui la séparaient de son départ furent très tendus. Frédéric était, comme à son habitude, très prévenant, préparant le petit déjeuner, lui proposant un café, mais Karina restait presque choquée par sa réaction.
Il lui avait proposé de l’accompagner à l’aéroport, ce qu’il fit, mais elle fut soulagée d’arriver en zone d’embarquement et de lui dire au revoir. Un baiser échangé en vitesse, quelques mots, et elle franchit la porte sans se retourner.
Ça y est, elle était déjà partie et le fait de se retrouver dans cette zone était pour elle un premier pas en Guadeloupe.
Elle adorait l’ambiance des aéroports, les boutiques, la foule des gens, tous les bagages colorés et le tableau des départs des vols avec ses destinations aux quatre coins du monde.
Elle se sentait seule, mais bien.
Elle avait l’impression de repartir chez elle, de revenir aux sources, là où Karina était devenue Karina, tout ce qu’elle était aujourd’hui. Le vol pour Pointe-à-Pitre porte A fut annoncé, enfin, elle put s’asseoir dans l’avion, près du hublot, une place qu’elle avait pu obtenir en réservant sur internet.
À côté d’elle, un couple d’amoureux, qui se tenait par la main et qui se dévorait des yeux, prit place, et ce contraste avec le couple qu’elle et Frédéric formaient fit mal à Karina.
Allez, il faut que je tourne la page. Karukera, me voilà de retour.
La traversée, 7 heures de vol, parut interminable. Malgré les écrans individuels et les nombreux films proposés, Karina revenait sans cesse sur l’icône « mon vol » pour évaluer l’avancée du voyage.
Les amoureux dormaient depuis le décollage et Karina dut les déranger pour aller se dégourdir un peu les jambes.
Et, enfin, la descente commença. Il n’y avait plus une adulte raisonnable, une mère de famille censée ou une directrice commerciale posée, non, Karina était, se sentait une adolescente excitée dont le cœur battait à toute vitesse, et qui n’avait qu’une envie : atterrir et, enfin, arriver.
La descente était complètement amorcée et la Guadeloupe apparaissait comme un papillon aux ailes étendues, sur un fond d’océan bleu, merveilleusement bleu.
L’avion atterrit et Karina se dépêcha de récupérer ses bagages et, enfin, sortit de l’aéroport. Là, comme la terre promise, elle retrouva la chaleur, les gens qui souriaient, en tee-shirts et shorts, la moiteur tropicale et les splendides palmiers qui bordaient le parking de Pôle Caraïbes.
Le lieu de rendez-vous avec le loueur du gîte qui venait la chercher était la pharmacie sur le côté gauche de l’aéroport, elle s’y rendit, mais personne n’était là pour l’accueillir. Beaucoup de gens brandissaient des cartons avec des noms écrits dessus pour récupérer les touristes, mais son loueur, Mr Vindama Alphonse, n’était pas là.
Elle s’assit sur un banc, presque contente d’avoir à attendre et de pouvoir ainsi profiter de l’ambiance, de retrouver ces images et ces couleurs qui lui avaient tant manqué.
Une femme qui lui tournait le dos se retourna, et Karina eut le temps de lire « Carine Pirron ».
Coucou, dit-elle. C’est moi, je suis Karina.
Ka ou fé tì fille là ? Ou bien ? dit la femme en riant. Cela veut dire « bonjour, vous allez bien ? ».
Je sais, dit Karina, je comprends un peu le créole. J’ai vécu cinq ans en Guadeloupe, à Basse-Terre.
Ah super ! Et vous revenez chez vous, dit la dame.
C’est un peu cela, répond Karina.
J’ai ma nièce dans la voiture, cela ne vous ennuie pas ? ou vous voulez monter devant ?
Non, non, pas de problème, je vais regarder le paysage.
Et Karina s’assit sur le siège arrière, tandis que la conductrice et sa nièce entamèrent une discussion passionnée, en créole, trop vite pour que Karina puisse suivre. Elle comprit qu’il était question du « doudou » de la nièce qu’a priori la tante n’avait pas l’air d’apprécier.
Il était 18 heures et la nuit commençait à tomber. Une fois sorties de Pointe-à-Pitre et de son flot de circulation, Karina retrouva « sa » Guadeloupe.
Tout lui revenait en mémoire, mais surtout ce bouquet d’odeurs, si particulier aux îles, ce mélange venu de la mer, mais en même temps de la terre, la chaleur qui s’estompait en fin de journée avec un enchevêtrement de senteurs de fleurs, d’herbes, quelque chose que l’on ne pouvait plus jamais oublier et qui revenait d’un coup à travers la vitre ouverte de la voiture.
Et puis, partout, des fleurs, des arbres, des feuilles et du vert qui avec « l’obscurité » de la nuit se dessinaient comme des ombres bienveillantes qui semblaient sourire à Karina.
De la musique s’échappait de plusieurs échoppes que l’on dépassait et puis, tout d’un coup, la mer…
La vue de la mer des Caraïbes provoqua un nouveau choc à Karina, et des larmes montèrent à ses yeux.
Pas de tristesse, mais de joie, une immense joie avec l’impression de sérénité retrouvée. Un sentiment d’euphorie comme si enfin elle était de retour à la maison, chez elle, et qu’une nouvelle vie allait pouvoir recommencer, après toutes ces années loin de ses racines.
Elles arrivèrent enfin au gîte que Karina avait réservé et sa surprise fut de taille. Certes, le site indiquait vue sur la réserve Cousteau, mais là, on avait carrément l’impression d’être à 200 mètres de la plage.
Le complexe, situé sur les hauteurs de Bouillante, était composé de trois petites maisons suffisamment éloignées les unes des autres pour que l’intimité de chacun soit préservée. De la terrasse, la plage de Malendure s’étalait et le ciel, presque noir, semblait accueillir le soleil pour un coucher resplendissant.
La mer étincelait, comme un miroir dans lequel se reflétait le soleil et, pendant quelques minutes, Karina, resta là, complètement hypnotisée par ce spectacle de la nature.
C’est tellement beau, tellement, tellement !
Le temps de téléphoner à son père et à Frédéric pour prévenir qu’elle était bien arrivée, Karina, épuisée par toutes ces émotions, par le voyage et par le décalage horaire, s’endormit à peine allongée sur son lit.
Le soleil la réveilla. Elle ouvrit les yeux et mit quelques secondes avant de réaliser où elle était…
À Bouillante, sur la Basse-Terre, enfin revenue dans sa Guadeloupe…
Elle regarda sa montre… midi !
Donc, avec le décalage, cela signifiait qu’il était six heures aux Antilles, et déjà la chaleur se faisait sentir.
Karina se prépara un café et de quoi déjeuner, car le propriétaire avait prévu dans le réfrigérateur de la confiture de goyave, du beurre, des biscottes, du café et du jus de fruits saveur mangue.
Karina prit un plateau et le posa sur la terrasse.
De nouveau, elle fut fascinée par la vue qu’embrassait son regard, la mer des Caraïbes aux couleurs bleu et vert semblait l’appeler et formait un paysage « carte postale » avec le ciel azur qu’aucun nuage n’assombrissait. Tout autour de la terrasse, de superbes palmiers flirtaient avec des haies d’hibiscus rouges et roses et d’immenses anthuriums orangés.
Un manguier, un peu plus loin, proposait ses fruits et quelques bananiers rivalisaient d’un vert lumineux apportant encore plus de couleurs à ce petit paradis tropical.
Karina se sentait gaie, légère, comme si sa vie venait de commencer là et qu’aucun lien, désormais, ne la rattachait plus à nulle part.
Elle n’avait pas envie de penser à quoi que ce soit, ce n’était pas le moment des questions et des prises de tête, juste des émotions et du ressenti.
Elle avait envie de repartir à Basse-Terre, au Champ d’Arbaud, de voir si elle retrouvait son ancien lycée, « Versailles », avec les religieuses, et la gendarmerie où son père travaillait.
Sans même prendre le temps de défaire sa valise, Karina récupéra une juge et un tee-shirt blancs, et ferma la porte du gîte, direction Basse-Terre.
Son téléphone sonna et Karina répondit, très surprise, car le numéro était un numéro local.
Coucou, alors ça y est, tu es revenue en Gwada ?
Patrice ! Super. Mais comment sais-tu que je suis en Guadeloupe ? Je suis arrivée juste hier.
Mais sur Facebook ! Tu as écrit que tu partais, alors j’ai téléphoné chez toi, à Dax, et quelqu’un m’a répondu que tu étais dans l’avion. Alors, tu es où ?
À Bouillante, répondit Karina.
Bon, OK. On se tél demain et on essaie de se voir, à plus.
Karina était aux anges, non seulement elle retrouvait toutes ses émotions d’antan, son admiration pour ces paysages qui lui avaient tant manqué, mais en plus, ses anciens copains étaient toujours là et, mieux que ça, semblaient contents de sa venue.
Patrice était un de ses anciens amis qu’elle retrouvait en sortant du lycée le soir, une vraie force de la nature, presque un géant. Plus de 2 mètres et 120 kilos, il valait mieux être son ami… Il était aussi le meilleur copain de Gaëtan, son Gaëtan, le premier grand amour de Karina.
Patrice et Karina s’étaient retrouvés sur Facebook et s’étaient revus plusieurs fois lors des vacances de Karina en Guadeloupe. Il avait même rencontré Frédéric lorsqu’ils étaient venus dans le cadre du développement de Slam.
Pourtant, Patrice n’avait pas semblé l’apprécier, le trouvant trop froid, trop distant.
Durant ces années, le contact n’avait jamais été complètement rompu, même si les échanges avaient été peu nombreux.
Karina prit la route en direction de Basse-Terre et s’arrêta dans le village près d’Anse à la Barque. C’était un de ses endroits préférés, une anse bordée de splendides cocotiers, immenses, comme si leur cime touchait le ciel, avec un phare au bout d’un petit embarcadère où régulièrement des voiliers venaient s’amarrer.
Karina arriva à Basse-Terre et gara sa voiture près du marché.
Il était presque vide et elle fut déçue de ne pas retrouver les stands remplis de légumes et fruits locaux, d’épices odorantes, et les nombreuses « doudous » qui vantaient leurs philtres d’amour.
Basse-Terre avait bien changé, même depuis sa dernière visite il y avait un peu plus de deux ans.
Certes, elle reconnaissait certains magasins, certains bâtiments, mais dans cette ville où elle avait arpenté tellement de fois les rues, pour rejoindre le magasin de vêtements que sa mère tenait, elle se sentait un peu touriste, curieuse sensation qui la mettait mal à l’aise.
Elle reprit sa voiture et se dirigea vers le Champ d’Arbaud qui avait été, pendant toutes ses années d’adolescence, son QG, son refuge.
Le parc était en pleins travaux. Toute la terre avait été goudronnée et, à la suite de pétitions de la population, le conseil municipal avait voté la remise en état initial, et avait donc décidé de replanter des fleurs et de remettre du gazon avec des bancs. Mais pour l’instant, tout était sens dessus dessous et inaccessible.
La gendarmerie, qui jouxtait le Champ d’Arbaud, était elle aussi dans un piteux état. Les deux grands bâtiments, qui abritaient autrefois une trentaine de gendarmes et leurs familles, étaient désormais laissés à l’abandon et commençaient à être envahis par les ronces et les herbes folles.
Karina s’aventura dans la cage d’escalier du premier bâtiment où, au troisième étage, se trouvait l’appartement qu’elle occupait avec ses parents lorsque son père dirigeait la brigade.
Elle arriva à son ancien palier, mais bien sûr, tout était vide et le T3 était totalement délabré.
Mais ce qu’elle voulait c’était revoir « sa chambre ». Se retrouver dans ce lieu où elle avait été si bien, si heureuse, si insouciante.
Le balcon était intact et elle prit le temps de s’asseoir par terre. Rien ne semblait avoir changé. On apercevait le port de Basse-Terre au loin, et la mer qui brillait. Quel retour en arrière et quelle émotion !
En même temps, Karina se rendait compte que tout était différent, que le temps avait passé et que tout cela n’était que souvenir.
Peut-être qu’en fait, son mal de vivre venait de là, sa nostalgie du passé, de son adolescence.
Ce qui l’empêchait d’affronter le présent c’était sans doute cette mélancolie. Certes elle était une battante et faisait face à tous les problèmes qui se présentaient, mais elle avait tout le temps cette sensation de ne pas être à sa place, de ne pas être bien, et sans doute devait-elle enfin tourner la page et vivre dans le présent sans ressasser ces « moments d’avant ».
Karina ressortit de la gendarmerie lorsque son téléphone sonna. De nouveau, un numéro local :
Karina ?
Oui, bonjour, qui est à l’appareil ?
Beh, tu viens en Guadeloupe et tu ne m’appelles même pas, c’est pas bien du tout.
Mais qui êtes-vous ?
Alors tu ne te souviens même pas de ma voix ? Pas top, ça.
Karina était surprise et, effectivement, ne reconnaissait pas la voix de son correspondant.
C’est Gaëtan, entendit-elle.
Immédiatement, elle se sentit un peu bizarre, comme si son cœur avait des ratés :
Euh, bonjour, c’est Patrice qui t’a dit que j’étais arrivée ?
Oui, il vient de m’appeler pour me dire que tu étais à Bouillante. Tu descends quand à Basse-Terre ?
Je suis à Basse-Terre, je suis devant la gendarmerie et là je monte sur Versailles, au lycée.
C’est génial ça, écoute, on se boit un café tout à l’heure, au bar du Champ d’Arbaud. Dans une heure, ça te va ?
D’accord, à tout à l’heure.
Ils raccrochèrent et Gaëtan appuya sur la première touche favorite de son téléphone :
Ça y est, le contact est pris, j’ai rendez-vous avec elle tout à l’heure, je te tiens au courant en sortant.
Karina était troublée et se sentait terriblement euphorique. Elle qui, cinq minutes auparavant, se demandait s’il ne fallait pas, enfin, s’éloigner de son passé et se tourner désormais vers l’avenir, venait de faire un bond en arrière de presque trente ans.
Gaëtan avait été le premier amour de Karina, une passion folle qui avait transformé l’adolescente réservée en jeune femme épanouie.
Ils s’étaient rencontrés à 15 ans, peu après l’arrivée de Karina en Guadeloupe où son père avait été muté et, ensemble, Gaëtan et elle avaient grandi. Les balades main dans la main avaient évolué vers de sages baisers, puis vers des relations de plus en plus intimes et passionnées.
Pendant les vacances scolaires, toute la bande de copains et copines, dont faisait partie Karina, partait camper sur une petite île de l’archipel des Saintes, à Terre-de-Haut, une des dépendances de la Guadeloupe.
Cette île, dont la plupart des habitants sont des descendants de Bretons, était leur lieu de retrouvailles, et cet îlot de 5 kilomètres de long sur un de large ne possédait à l’époque que deux voitures : celle des médecins et celle des gendarmes. Tous les parents de ces adolescents étaient donc complètement rassurés en les laissant partir camper sur ce petit paradis où la délinquance, mis à part quelques vols de poulets ou de bagarres, était quasi nulle. C’est sur cette île que Gaëtan et Karina, qui partageaient la même tente, avaient passé leur première nuit et leurs premiers émois d’amants.
Assez rapidement, les gestes timides et maladroits avaient laissé place à des caresses de plus en plus osées et les baisers étaient devenus très torrides, ainsi que tous les moments qu’ils passaient ensemble.
Karina et Gaëtan avaient une réelle attirance physique et chaque fois qu’ils se retrouvaient, ils trouvaient un nouveau lieu pour leurs ébats, le Jardin botanique, le port, la plage à la tombée de la nuit. Ils étaient inséparables. Et puis, le père de Karina avait terminé son séjour outre-mer et avait été muté dans les Landes ; Karina et Gaëtan avaient été séparés, et la vie avait continué, chacun de son côté.
Gaëtan avait demandé à faire son service militaire en métropole et avait contacté Karina pour qu’ils puissent se revoir, mais elle avait de nouveaux amis, de nouvelles amours et elle n’avait pas voulu renouer avec lui.
En revenant en vacances en Guadeloupe, ils s’étaient croisés par hasard dans les rues de Basse-Terre et ils semblaient aussi émus l’un que l’autre, mais chacun avait, à l’époque, une nouvelle vie avec conjoints et enfants, et ils étaient retournés à leur destin.
Karina avait juste eu le temps, lors de ses rencontres rapides, d’apercevoir que Gaëtan avait toujours le tatouage qu’il s’était fait faire lorsqu’ils étaient en couple, avec leurs prénoms, Gaëtan-Karina, sur le bras gauche.
Et là, ils avaient rendez-vous, comme avant. Bien sûr que chacun avait sa vie aujourd’hui, mais Karina n’arrivait pas à réfléchir calmement.
Elle avait l’impression que son cœur battait à cent à l’heure, elle avait chaud et froid en même temps, et en se regardant dans le rétroviseur de sa voiture qu’elle avait réintégrée pour se remaquiller un peu, elle vit à quel point ses yeux brillaient.
Elle se dirigea vers le café et Gaëtan était déjà là.
Leurs regards se croisèrent et une émotion intense envahit Karina. Elle s’assit, ils avaient l’air aussi troublés l’un que l’autre, et personne n’osait parler de peur de rompre ce silence qui les unissait, comme un lien un peu magique.
Alors, les amoureux, vous voulez boire quoi ? demanda la serveuse.
Ils répondirent en même temps :
Un café.
Et la gêne commença à se dissiper. Gaëtan parla le premier :
Beh, voilà, tu vois, on est revenu en arrière, mais on a l’air toujours amoureux, même la serveuse l’a remarqué. Alors, dis-moi, comment fonctionne ta boîte de foie gras, SLAM, c’est ça ?
Euh oui, mais comment tu sais ça ?
Par Patrice, l’année dernière quand tu es venue, tu lui en as parlé, et comme on parle de toi souvent… voilà. Alors, ça marche ?
Karina était surprise et un peu déçue, elle pensait qu’ils allaient parler d’eux, de leur vie, et en fait, il ramenait tout à son entreprise. Elle ne comprenait pas du tout le sens de cette conversation.
Non, je l’ai mise en veille, car je n’ai pas le temps de prospecter ici et pour éviter les frais de gestion, de compta, j’ai préféré l’arrêter.
Ah d’accord, mais si tu trouvais des clients tu la réactiverais ?
Oui, sûrement, mais pourquoi tu me parles de ça ? Tu veux acheter des produits landais ?
Non, non, pas moi. Enfin, remarque, si, pourquoi pas ? C’est bon, le foie gras, mais j’ai plein de contacts avec des restaurants, des boîtes de nuit, cela pourrait les intéresser.
Écoute, oui, peut-être, mais là, j’avoue que je ne suis pas venue en Guadeloupe pour cela, mais plutôt pour me reposer, me retrouver un peu. Et toi, tu fais quoi ?
Je suis le gardien du centre culturel de Basse-Terre. Je surveille les locaux et je répare tout ce qui est détérioré.
Ah OK, tu habites carrément au centre culturel, cela doit être génial de croiser plein d’artistes, de comédiens. Et tu vois tous les spectacles, j’imagine…
Oui, c’est pas mal, mais pendant les spectacles, je suis en surveillance, pas le temps d’apprécier.
Tu es marié ? Des enfants ?
Oui, oui. J’ai un fils et je vis avec sa mère, mais on est en train de se séparer. Et toi ?
Je vis en couple, mais c’est devenu compliqué, c’est pour cela que je suis venue en Gwada, pour faire le point.
Bon, Karina, je reprends le boulot, là, il faut que j’y aille, mais on se revoit et je contacte mes potes pour ta boîte, s’ils veulent t’acheter des produits.
Gaëtan se leva, régla les cafés et s’approcha d’elle tout près, entourant ses épaules de ses bras musclés, et lui fit une bise sur la joue gauche.
Allez, à très vite, ma puce.
Karina n’eut pas le temps de répondre, Gaëtan était déjà parti.
À peine sorti du bar, il téléphona :
Salut, c’est moi. Oui, je l’ai bien revue et j’ai commencé à aborder le sujet, mais bon, elle est en vacances et n’a pas l’air d’avoir envie de bosser. Je vais faire ce que je peux, mais ce n’est pas gagné. Elle avait un sacré caractère d’après ce dont je me souviens, et ça n’a pas l’air d’avoir changé. Oui, pas de problème, je gère. À plus tard.
Karina, elle, reprit sa voiture, et prit la direction de Bouillante où son gîte l’attendait.
Elle se sentait presque en colère et n’arrivait pas à analyser réellement ce qu’elle ressentait.
Dans sa voiture, totalement imperméable au paysage qu’elle traversait, elle se remémorait leur conversation. Mais que croyait-elle ? Qu’elle allait reprendre une histoire avec son amour de jeunesse ? Qu’il suffisait qu’elle revienne pour que tout recommence ?
Elle se sentait tellement stupide. Une ado désespérément romantique, voilà ce qu’elle était et il était temps qu’elle évolue un peu et grandisse enfin.
Mais pourquoi être revenue en Guadeloupe, sa vie n’était-elle pas en métropole ?
Elle se sentait seule, désemparée, et pour une fois, plus du tout heureuse d’être là.
Elle se décida à aller bronzer un peu sur la plage de Deshaies, la plus grande plage de la Guadeloupe et une des plus belles.
Le soleil lui fit du bien, mais elle se sentait seule, terriblement seule. Son téléphone sonna et reconnut le numéro de Patrice.
Salut, Patrice, comment vas-tu ?
Bien et toi ? Tu as une drôle de voix, encore fatiguée du vol ? Tu as pu aller sur Basse-Terre alors ? Tu as vu comment tout a changé, notre Champ d’Arbaud il est moche hein ?
Oui, pas top, et la gendarmerie aussi, c’est nul.
Alors tu as revu Gaëtan ?
Oui, oui.
Oui, oui ? répondit Patrice. Seulement oui, oui ? Houla, qu’est-ce qu’il t’arrive ? La dernière fois que l’on s’est vus, tu n’arrêtais pas d’en parler, avec plein d’étoiles dans les yeux, et là tu le vois et juste oui oui ? Mais tu trouves qu’il a mal vieilli ?
Non, dit Karina avec une voix un peu triste.
Bon, tu es où là, Karina ?
Je suis sur la plage de Deshaies.
OK, écoute, je suis à Pointe-Noire, j’arrive, dans quinze minutes je suis là. On va aller boire un planteur, ça te redonnera le moral et tu vas me raconter. J’arrive.
Karina raccrocha et se sentit soudain un peu mieux et plus légère. Patrice, durant son adolescence, était son meilleur copain, un grand frère à qui elle pouvait tout dire.
Son arrivée ne passa pas inaperçue, car même s’il avait beaucoup maigri, sa silhouette de plus de 2 mètres était encore très impressionnante.
Coucou, alors contente d’être revenue à la maison ? En tout cas, moi ça me fait plaisir de te revoir ! Tu es toute pâle, besoin de prendre le soleil de notre île hein ?
La bonne humeur de Patrice était communicante et, le planteur aidant, Karina se sentait mieux, presque bien. Ils discutèrent pendant plus de deux heures, se remémorant le passé, parlant de leur vie respective.
Et puis, alors qu’il n’avait pas abordé le sujet, Patrice demanda à Karina pourquoi elle semblait si triste après son rendez-vous avec Gaëtan.
Écoute, j’étais super émue de le voir, mais il m’a seulement questionnée sur ma boîte de produits landais, à croire qu’il n’y avait que cela qui l’intéressait.
Je ne comprends pas, car il avait l’air super content de te revoir. Peut-être veut-il t’aider pour que tu reviennes t’installer en Guadeloupe, tu y as pensé ?
Karina écoutait, mais restait perplexe et Patrice se rendait bien compte que sa « petite sœur » était songeuse.
Je vais faire un barbecue demain et je vous invite tous les deux, ça te dit ?
Bof, je ne sais pas trop. Bon, allez, d’accord. Tu habites où ?
À Circonvallation, près du pont de Basse-Terre, à côté de la rivière aux herbes, tu vois où c’est ? 19 heures, ça ira ?
D’accord Patrice, à demain.
Karina resta encore sur la plage à se baigner et profiter des 32 degrés de la mer des Caraïbes.
Le lendemain, elle passa la journée sur la plage de Bouillante et en profita pour faire une sortie en bateau et une plongée.
La réserve Cousteau était un lieu fabuleux et très réputé des plongeurs du monde entier et on pouvait y admirer une diversité de poissons multicolores plus beaux les uns que les autres. Les coraux et les éponges abritaient des poissons-clowns, des murènes, des barracudas, des langoustes, une flore et une faune sous-marine intense et de toute merveille.
Sa balade sous-marine l’avait enchantée et elle rentra au gîte toute gaie et déjà dorée par sa journée à la plage. Les déluges de pluie et les inondations de ces derniers jours dans les Landes lui paraissaient tellement loin…
Ici, même s’il pleuvait, cela ne durait jamais très longtemps et le paysage était tellement coloré et la chaleur intense que les averses étaient plutôt les bienvenues pour rafraîchir un peu.
Karina rentra et s’endormit un peu dans le hamac, face à la baie.
Un léger souffle d’Alizés ventilait la terrasse, le soleil et la mer brillaient, il faisait bon et dans son demi-sommeil, elle se sentait merveilleusement bien.