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"Un biathlète dans le viseur" est structuré en neuf parties de courts chapitres, créant un rythme rapide. L’histoire suit le capitaine Mérignac, un Bordelais qui découvre le monde du biathlon en menant une enquête en Haute-Savoie. Le lecteur explore à travers lui la montagne, le ski nordique, et la vie au Grand-Bornand, centrée autour de la coupe du monde de biathlon. L’intrigue, riche en culture savoyarde et paysages montagnards, s’étend aussi à des thèmes d’actualité au-delà des frontières françaises.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Petit, passionné de ski nordique et directeur d’école retraité, a décidé de partager son expérience en écrivant. Ayant du temps libre, il s’est lancé dans l’écriture d’un polar pour faire découvrir le biathlon au grand public. Dans son livre, c’est le héros qui entraîne les lecteurs dans des aventures nordiques, plutôt que l’auteur exposant son savoir.
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Seitenzahl: 298
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Michel Petit
Un biathlète dans le viseur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Petit
ISBN : 979-10-422-1184-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préface
C’est la première fois que l’on me demande de signer une préface de roman. L’émotion est double. D’abord parce que c’est un ami qui a écrit ce polar prenant, mais aussi parce que l’intrigue se déroule en pleine Coupe du Monde de Biathlon, au cœur d’un village que je connais bien ! Alors, comment traverser cette histoire plus vraie que nature sans perdre pied entre fiction et réalité ?
Michel Petit nous livre ici une enquête pleine de rebondissements et de révélations. Il nous plonge dès les premières lignes dans l’intensité si particulière du biathlon, nous fait ressentir le rythme et les émotions des étapes de Coupe du Monde ! Au travers de son récit finement documenté, l’auteur nous entraîne avec précision dans les coulisses de cette discipline et de son événement le plus médiatique. Une discipline que Michel connaît dans tous ses aspects sportifs, organisationnels et politiques puisqu’il a un parcours de fondeur, d’entraîneur. Il a été Président du Ski-Club d’Agy et élu au Comité de ski du Mont-Blanc, et en tant que bénévole multirécidiviste de l’étape bornandine de Coupe de Monde, il est plus que jamais passionné de biathlon !
Au-delà de la rigueur sportive et technique de son roman, ce sont toutes les valeurs du biathlon qui sont décrites et mises en scène : l’exigence physique et mentale, cette maîtrise de soi que le personnage principal va découvrir dans sa rencontre inattendue avec ce sport unique. Mais aussi l’engagement, le dépassement et plus encore cette détermination de fer qu’on connaît bien aux biathlètes et qui va permettre à notre héros de boucler son enquête.
Michel nous offre une aventure passionnante au cœur de la planète biathlon, et ce au beau milieu de notre village de montagne ! On est littéralement captivé par l’histoire dont on connaît si bien le décor qui nous entoure chaque jour : les paysages majestueux des Aravis, les chalets, les chapelles et les pistes de ski, les Bornandins, leurs façons et leurs traditions… C’est tout le Grand Bornand qui nous accompagne dans son récit.
Un thriller aussi vibrant qu’immersif dont l’intrigue s’appuie sur la réalité dans les précisions locales comme les actualités internationales et où, page après page, le Capitaine Mérignac et ses soupçons nous semblent de plus en plus réels. Au point que les Bornandins se reconnaîtront sûrement, même cachés entre les noms et les lignes.
Du pas de tir du Grand-Bornand aux instances internationales du biathlon, Michel Petit et son personnage nous lancent à la poursuite d’un insaisissable meurtrier, dans une enquête semée d’embûches qui nous laisse un doux frisson d’hiver et de suspense.
Passionnés de biathlon, amoureux de la montagne et du Grand Bornand, lecteurs d’ici et d’ailleurs, chacun y trouvera un plaisir de (re)découverte et de lecture.
André Perrillat-Amédé,
Maire du Grand-Bornand
Dimanche 18 décembre 2022, 14 h 20
« Nous voici de retour, après une courte page publicitaire, sur la Coupe du Monde de Biathlon du Grand-Bornand. Pour celles et ceux qui nous rejoignent sur la chaîne Team 22, nous sommes en direct de la dernière épreuve de ce long week-end de compétition au pied des Aravis.
Alexandre, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur la course d’aujourd’hui ?
— Il s’agit de la Mass-Start hommes, qui réunit les meilleurs biathlètes de la planète sur un format de course spectaculaire. Trente athlètes ont pris ensemble le départ de cette épreuve, il y a quelques minutes : les 25 meilleurs au classement général de la Coupe du Monde, plus les 5 meilleurs de la semaine qui n’entrent pas dans ce classement. Au programme : 15 kilomètres de ski de fond, entrecoupés de quatre passages au Pas de Tir, pour deux tirs, couché, suivis de deux tirs, debout.
— Visiblement, peu d’écarts ont été réalisés sur cette première boucle de 3 km, ce qui nous assure une arrivée assez groupée au Pas de Tir, n’est-ce pas Alexandre ?
— Oui, Anne-Cécile, pour ce premier tir couché, chaque biathlète va s’installer à la cible correspondant à son numéro de dossard. Voici le peloton qui s’étire dans la descente, avant le passage sous la passerelle et la dernière montée qui précède l’arrivée sur le stade.
En première position, vous reconnaissez le dossard jaune de Jonas Brodahl, le Norvégien, numéro 1 au classement général.
— Et on aperçoit également les combinaisons bleu, blanc, rouge de nos Français, idéalement placés en tête de course. Les voici basculant tous dans la légère pente qui redescend vers le Pas de Tir. Les athlètes se redressent pour prendre un maximum d’oxygène et ralentissent leur gestuelle afin de faire baisser le rythme cardiaque. Chacun s’arrête face à sa cible, sous les encouragements des nombreux spectateurs massés dans les tribunes. À présent, tous les athlètes sont allongés sur leurs tapis, dans un silence de cathédrale. Les premières balles sont lâchées.
— Comme vous pouvez l’entendre, chaque tir réussi par un Français est accompagné par une clameur qui envahit les tribunes et les zones spectateurs sur la piste, où sont disposés des écrans géants. Vingt mille personnes qui crient à l’unisson leur amour du biathlon : c’est la ferveur du public français, très appréciée par les athlètes étrangers ! Cette étape du Grand-Bornand est surnommée le Monaco du biathlon, en référence au Grand Prix de Formule 1 du même nom, car c’est la seule épreuve qui se déroule au cœur d’un village.
— D’ailleurs, vous avez pu apercevoir le magnifique clocher à bulbe de l’église bornandine, juste avant la plongée en direction du stade. Alors Alexandre, quel est le verdict de ce premier tir ?
— Beaucoup de tirs réussis, comme vous pouvez le voir sur la simulation, en bas de votre écran.
Le Pas de Tir du Grand-Bornand est réputé assez facile, car plutôt bien abrité du vent.
Alors qu’en est-il des tirs de nos Français ? À part Adrien Pascalin, qui devra effectuer un tour de pénalité, soit 150 mètres supplémentaires et une trentaine de secondes de perdues, il semble que tous aient fait le plein, ce qui est de bon augure pour la suite de la compétition…
Donc, dans l’ensemble assez peu d’erreurs, ce qui nous vaut un peloton compact à la sortie du Pas de Tir. J’essaie de voir si parmi les favoris, il n’y aurait pas eu de contre-performance au tir…
— Mais si, regardez Alexandre ! Ça n’a pas l’air de bien se passer pour le numéro un mondial qui est toujours allongé sur son tapis. La simulation nous montre qu’une seule balle a atteint sa cible. Jonas Brodahla-t-il un problème de carabine ? Que se passe-t-il donc ?
— C’est sans doute un problème au niveau de la simulation, Anne-Cécile. Ce qui m’inquiète davantage, c’est qu’il ne se soit pas encore relevé…
— Oh là là ! Le gros plan nous montre l’athlète complètement affalé sur sa carabine.
— Il semble qu’il ait fait un malaise à l’issue de son premier tir. Je ne vois pas d’autre explication.
C’est incroyable, je n’ai jamais vu cela par le passé. On se souvient de quelques défaillances d’athlètes sur la piste, et notamment après la ligne d’arrivée franchie, mais jamais sur le Pas de Tir !
Tout le monde a encore en mémoire le malaise d’Ingrid Thorvall, l’an dernier, aux jeux de Pékin, qui l’avait privée d’une potentielle médaille.
— Les secouristes accourent au chevet du Norvégien. Espérons que cela ne soit pas trop grave… »
Samedi 17 décembre 2022, 21 heures
Jonas Brodahl vient de regagner sa chambre à l’Auberge Nordique, au hameau de Lormay.
Membre de l’équipe norvégienne de biathlon, dont il est le leader incontesté, il se concentre pour préparer au mieux l’ultime course de cette Coupe du Monde Annecy/Le Grand-Bornand 2022.
Il adore venir ici où il se sent un peu chez lui. Cette auberge, blottie au bout de la vallée du Bouchet, est un endroit paisible, à l’écart du village où règne une animation incroyable !
Si les premières fois, il était un peu déçu d’être ainsi isolé, aujourd’hui, il apprécie ce havre de paix et son espace détente qui permet de préparer de manière optimale chacune des trois épreuves programmées dans le village. Cela lui permet aussi, finalement, de mieux savourer la ferveur extraordinaire qui anime ce public chaleureux lors des compétitions au cœur de la station.
Cette étape du Grand-Bornand est complètement atypique dans le circuit mondial.
C’est la seule où tous les athlètes sont portés par une foule enthousiaste et compacte, massée tout au long d’un parcours sinueux et spectaculaire. Ces Français ont le sens de la fête !
C’est là qu’il a remporté sa toute première victoire en coupe du monde, en décembre 2013, sur le sprint, le premier jour. Il avait tout juste vingt ans. Cette victoire inattendue reste gravée dans sa mémoire et demeure un de ses plus beaux souvenirs en carrière, avec ses titres olympiques.
Cette année-là, il avait terminé troisième au classement général de la coupe du monde, remportée par Martin Fourcade, son mentor. Depuis, chaque année, il se réjouit à l’idée de venir concourir au Grand-Bornand. Quand l’épreuve a été annulée en 2020, à cause du COVID, il a été très déçu. Vraiment, il se sent bien dans cet endroit tellement exotique pour un scandinave !
Cette pensée le ramène à cette fille qu’il a rencontrée pour la première fois, à Holmenkollen, en mars dernier. Là aussi, on est en plein exotisme ! Elle est si différente des Norvégiennes et autres biathlètes féminines du circuit qu’il a côtoyées jusqu’à présent. Depuis cet été, leurs échanges et leurs brèves rencontres ont bouleversé sa vie. Bien sûr, il a maintenu ses programmes d’entraînement pour ses préparations estivales et automnales, augmentant même ses charges de travail sur certaines périodes. Il se sent en pleine forme, comme le confirment ses résultats de ce début de saison, avec encore une victoire jeudi, sur le sprint, et son podium d’aujourd’hui, malgré un problème de matériel sur cette neige glacée.
Pourtant, si le corps répond bien et que la concentration sur le Pas de Tir reste optimale, il sent bien que de plus en plus souvent son esprit est accaparé par cette passion dévorante.
Comment rester concentré sur ses performances et sur les moindres détails qui font son quotidien de champion, où rien ne doit être laissé au hasard, quand il la sait malheureuse et bien seule, à des milliers de kilomètres ! Pendant cette trêve de Noël, il devra faire le point sérieusement…
Jonas se lève de son lit où il s’était allongé de longues minutes, casque audio sur les oreilles, pour écouter quelques bons morceaux musicaux d’un autre temps. C’est un petit rituel qu’il réitère chaque veille de course, pour faire le vide dans sa tête. Cette fois-ci, ça n’a pas fonctionné du tout !
D’habitude, pour sa relaxation, la musique des Pink Floyd, entre autres, fait des merveilles.
Il connaît leurs principaux albums par cœur, avec une préférence pour « Wish you were here ».
Ironie du sort, ce titre prend tout son sens dans les circonstances actuelles…
Il décide de passer à la suite de son protocole : préparer ses vêtements, méticuleusement, penser à mettre en évidence ses protections contre le froid pour ne pas les oublier demain matin, s’assurer que ses chaussures sont bien sèches, choisir la paire de gants qu’il va utiliser.
Puis il remplit son sac de sport avec les vêtements de rechange qu’il portera après la course.
C’est essentiel de se changer pour ne pas attraper froid après l’effort, surtout lorsque les séances avec les journalistes s’éternisent ! Il prévoit plusieurs types de vêtements, car après les interviews, le contrôle antidopage, et peut être la cérémonie des fleurs, il faut rechausser les skis pour la récupération, afin d’éliminer en partie l’acide lactique accumulé dans les muscles.
D’autant plus que la séance de kiné sera abrégée, étant donné que les coachs ont réservé l’avion à Genève, en soirée. Demain soir, ils seront à Oslo pour la trêve de Noël.
Les épreuves reprendront dès le 5 janvier, à Pokljuka, en Slovénie. S’il fait le bilan de son début de saison, après les trois premières étapes, il est largement en tête du classement général et peut encore creuser les écarts demain. Mais la saison est encore longue !
De nouveau trois étapes en janvier, avant les championnats du monde à Oberhof en Allemagne.
Il espère bien y glaner encore quelques titres ! Puis ce sera la tournée du mois de mars, qui s’achèvera à Oslo. Un beau programme en perspective, avec les finales à la maison !
L’occasion de finir la saison en beauté et d’être reçu dans la tribune officielle de sa majesté Harald V, roi de Norvège. Finir la saison ou finir sa carrière ?
Il s’est toujours dit qu’il voulait partir au sommet de sa gloire, à l’instar de Martin Fourcade.
Quitter le circuit au mois de mars prochain, s’il fait une saison pleine, serait une belle opportunité. Pas sûr que ses fans apprécieraient… D’autant plus qu’il ambitionnait de dépasser le palmarès fabuleux de son mentor qui a remporté sept gros globes de cristal au cours de sa carrière !
Avec déjà trois gros globes de cristal en poche, et le quatrième à sa portée, il faudrait gagner encore les trois prochaines saisons, ce qui l’amènerait aux Jeux Olympiques de Milan/Cortina d’Ampezzo en 2026 où il sera sans doute l’un des plus âgés du circuit !
Et s’il se contentait des records déjà obtenus, comme ses cinq médailles, dont quatre en or, obtenues lors des mêmes Jeux Olympiques, à Pékin ?
À 29 ans, il a déjà un superbe palmarès, avec huit récompenses olympiques, vingt-cinq médailles aux championnats du monde, et près de cent podiums en coupe du monde !
Il n’est pas sûr d’avoir la motivation pour s’entraîner dur jusqu’à Cortina. Et puis, les nombreux déplacements en stages ou en compétitions commencent à lui peser. Il est vrai qu’il a débuté sa carrière internationale fin 2010 à Beitostolen, en IBU Cup. Voilà déjà donc douze années qu’il fréquente tous les Pas de Tir du circuit ! Que de temps passé dans les aéroports, dans les avions ou dans les bus ! Et ces changements d’hôtels incessants !
À Chaque printemps, il lui faut davantage de temps pour récupérer de ce rythme infernal.
Puis, dès le mois de juin, c’est la reprise des stages en Norvège ou à l’étranger.
À bien y réfléchir, il n’est pas souvent à la maison ! Il lui tarde tant d’y retourner, de revoir ses proches pour fêter Noël et de passer un peu de temps avec sa bien-aimée.
Tout en se brossant les dents, il contemple la photo de celle-ci, qu’il laisse sur le bord du lavabo afin de ne pas l’oublier demain matin. C’est son nouveau porte-bonheur. Un grigri qui, associé à de petits rituels, constitue une part de sa préparation mentale avant chaque compétition.
Il est temps d’aller dormir. Le sommeil est essentiel dans l’accomplissement d’une performance !
Dimanche 18 décembre 2022, 14 h 20
À l’étage de l’Espace Grand-Bo, tout est calme. On entend à peine les bruits de vaisselle au rez-de-chaussée. Les personnes affectées à ce poste ont encore fort à faire : près de mille couverts ce midi pour les 850 bénévoles et tous les journalistes, techniciens, cameramen et photographes.
La salle de presse est déserte, car tous sont partis couvrir l’ultime course du week-end.
Les trois volontaires qui gèrent la relation avec les médias sont inoccupés : il y a juste le matériel à surveiller. Robert abandonne ses camarades peu enclins à sortir par ce froid. Il revêt sa tenue de bénévole, veste sombre et bonnet orange, et se dirige vers le stade.
À l’entrée du tunnel qui franchit l’aire d’arrivée en souterrain, il doit montrer « patte blanche ». Son accréditation lui permet d’accéder uniquement à la zone mixte au pied des tribunes ou au couloir réservé aux médias derrière les entraîneurs de tir, face aux cibles. C’est bien sûr cette option qu’il choisit, car les athlètes qui sont encore en piste vont bientôt arriver pour leur premier tir. Le tunnel, très fréquenté à certaines heures, est à présent désert.
Robert, parisien néophyte en biathlon, tente d’imaginer les couloirs du métro désertés par ses concitoyens, en pleine journée… Perdu dans ses pensées, le voici qui débouche en pleine lumière sur le stade. La tension est palpable sur le Pas de Tir alors qu’on entend au loin la rumeur qui accompagne les coureurs tout au long du parcours. Chaque coach de tir est concentré derrière sa jumelle et observe l’évolution du vent grâce aux fanions qui jalonnent les 50 mètres qui séparent la banquette de tir, de la cible. La brise est faible et régulière mais a un peu forci depuis les essais de tir. Il se peut que, si la tendance se renforce, il faille que leur poulain modifie le réglage de sa carabine. Fera-t-il le bon choix ? Ne cédera-t-il pas à la pression de la concurrence et du public ? Chaque athlète doit rester dans sa bulle. Ce n’est pas si simple quand on entend basculer les cibles des concurrents immédiats ou que l’on ressent le souffle des spectateurs dans son dos. Pour les Français l’exercice est encore plus difficile : on ne veut pas décevoir ce public acquis à sa cause.
Robert jette un œil au grand écran. Il reconnaît la portion de piste où sont en train d’évoluer les coureurs qui viennent d’amorcer le retour vers le stade. Son regard se porte maintenant à droite de la cible numéro 1. Un grand anneau ovale est matérialisé au sol. C’est l’anneau de pénalité que les biathlètes devront parcourir à chaque cible ratée. En retrait, trônant au-dessus de ces installations, il aperçoit le cameraman juché dans une nacelle, à près de dix mètres au-dessus du stade. La vue depuis là-haut doit être spectaculaire : aucun détail ne peut vous échapper ! Retour sur le Pas de Tir. Ses collègues bénévoles finissent de balayer les tapis sur lesquels les athlètes vont bientôt se coucher. La rumeur enfle sur la piste et contamine toutes les tribunes lorsque les coureurs entament la ligne droite qui mène aux tapis.
Tout va très vite. Dans un ballet désordonné, tous les athlètes effectuent la même chorégraphie, s’agenouillant d’abord, après avoir déposé soigneusement leurs fragiles bâtons en carbone, et récupérant leur arme sur leur dos. Enfin, ils s’allongent jambes écartées et engagent le chargeur dans la carabine. Le silence qui règne à cet instant est saisissant et contraste avec le vacarme qui a accompagné les coureurs à leur arrivée sur le stade.
S’ensuivent le crépitement incessant des balles heurtant les cibles et les hourras qui accompagnent les tirs réussis par les Français. Robert, lui, se concentre plutôt sur l’attitude des athlètes.
Après un tel effort, comment font-ils donc pour atteindre cette immobilité parfaite, en une poignée de secondes ? C’est absolument fascinant ! Il observe tout particulièrement le Norvégien installé à la cible numéro 1, dont on lui a affirmé que c’était le meilleur biathlète du monde.
« Tu ne peux pas le louper, il porte un maillot jaune, comme au tour de France ! », lui avait expliqué Michou, son compagnon de chambrée.
Jonas Brodahl est parfaitement statique. Robert ne distingue plus les légers mouvements respiratoires de son buste. Il perçoit alors la détonation de son arme et voit blanchir instantanément la première cible, tout à gauche. Simultanément un sursaut inattendu agite la statue norvégienne, suivi d’un faible tressaillement. Puis plus rien ! Le corps gît, inerte, recroquevillé sur sa carabine. Que s’est-il passé ? La course continue. Tous les athlètes se relèvent et enfilent les dragonnes de leurs bâtons, en commençant à patiner. Pas un ne tourne la tête en dépassant le tapis numéro 1.
Désormais sur le Pas de Tir complètement vide ne demeure que ce dossard jaune, affalé à quelques mètres devant lui, dans un silence glacial. C’est la stupeur dans les tribunes !
Une tache sombre envahit lentement le dos de l’athlète. Cette image insoutenable va hanter Robert durant de nombreuses années. Lui, le citadin venu passer des vacances originales à la montagne, se retrouve témoin d’une tragédie, en première loge !
C’est alors qu’il réalise qu’il n’est pas le seul témoin de ce drame, mais que des milliers de spectateurs au Grand-Bornand et des millions de téléspectateurs dans le monde ont eux aussi assisté à la scène. Il prend à peine conscience du tourbillon médiatique qui se prépare et dans lequel il sera sûrement emporté étant donné son rôle sur cet événement.
Robert se hâte donc de regagner l’escalier qui descend dans le tunnel, toujours désert. Il rejoint ses collègues, complètement hébété, restant un long moment en apnée, incapable de dire un mot.
Dimanche 18 décembre 2022, 9 h
La nuit a été agitée. Jonas a eu du mal à trouver le sommeil. Il a encore tourné en boucle sur la fin de sa carrière et n’est pas plus avancé à ce sujet, ce matin. La nuit porte conseil, dit-on, mais là, c’est tout le contraire… Il va falloir bientôt prendre une décision, sinon cette incertitude va finir par trop le perturber et compromettre ses performances !
Et puis, il y a eu ce cauchemar où il voyait sa bien-aimée dans les griffes d’un monstre, aux contours indécis, mais ô combien terrifiant ! Depuis peu, il ne parvient pas à la joindre et ses messages sont sans réponse. Que se passe-t-il à Oslo ?
Tout à ses réflexions, Jonas s’est habillé et a rejoint ses camarades de l’équipe pour un copieux petit déjeuner. Les filles, qui prennent leur départ à midi et quart, ont déjà regagné le stade.
L’ambiance est détendue à table, chacun se réjouissant du retour imminent au pays.
Bien sûr la Mass Start, qu’on appelle aussi la course des rois, est une épreuve stressante, avec une confrontation directe entre les trente meilleurs biathlètes de la planète. Si certains partent favoris, rien n’est joué d’avance, et tout peut basculer jusqu’au dernier tir. Il n’est pas rare de voir des outsiders prendre l’avantage sur les cadors… Mais tout de même, l’idée de rentrer à la maison après plus de trois semaines en déplacements et compétitions rend les cœurs plus légers !
Jonas, d’ordinaire si avenant, ne participe pas aux conversations. Il semble préoccupé…
« Oh ! Jonas ! Tu fais la gueule ? Pas content de rentrer au pays ?
— Il craint sans doute que les petites Françaises lui manquent…
— Chut ! Ne déconcentrez pas la star !
— Arrêtez avec vos conneries. J’ai mal dormi, voilà tout.
— Tu descends en bus avec nous ?
— Non, je préfère descendre en ski : un petit échauffement en douceur, avant les essais de tirs. »
Jonas remonte dans sa chambre pour y mettre un peu d’ordre. Ce soir, il n’aura pas beaucoup de temps pour le faire avant de prendre le bus pour l’aéroport. Il tente de retrouver la photo qu’il avait laissée sur le bord du lavabo hier soir, sans succès. Ce matin, il ne l’a pas aperçue.
Elle a dû voler quand il a ouvert la fenêtre et se nicher, il ne sait où.
Bien vêtu et équipé, Jonas sort de l’Auberge Nordique et dépose son sac avec ses affaires de rechange dans le bus. Puis il chausse ses skis d’entraînement et entame la descente jusqu’au village. Il fait encore moins douze degrés. La sensation de froid est augmentée par l’humidité qui remonte du torrent, que le tracé longe sur près de sept kilomètres.
Le profil de la piste est peu accidenté : il s’agit de perdre un peu moins de deux cents mètres d’altitude, répartis régulièrement sur toute la longueur du parcours. Il est rare que Jonas prenne le bus pour descendre au village avant une course. Ses camarades préfèrent ne pas risquer de prendre froid ou dépenser trop d’énergie et se blottissent dans le véhicule. Jonas, quant à lui, considère ce trajet à ski comme un moment important dans sa préparation mentale. Il se reconnecte à la nature, seul au milieu des bois et des prés enneigés. La piste longe par endroits d’authentiques fermes, vastes chalets de bois aux balcons ouvragés. L’air y est parfumé par l’odeur animale des étables et du tas de fumier. On est bien loin du cirque médiatique qui règne sur le stade et le tracé des compétitions !
Ce matin, pourtant, Jonas a du mal à « rentrer dans sa bulle ». Quelque chose le contrarie.
Est-ce la perte de cette photo qui bouscule son nouveau rituel adopté pour cette saison ?
Serait-ce le mauvais œil jeté par cette vieille connaissance rencontrée jeudi, après le sprint ?
Arrivé sur le stade, il n’a plus guère le temps de tergiverser. Il y a d’abord la reconnaissance de la piste. Un tour qu’il connaît par cœur, mais qu’il est nécessaire de parcourir pour prendre des informations sur la qualité de la neige, les éventuelles plaques de glace dans les virages, les portions de montées où l’on a les meilleurs appuis, les secteurs où il est plus aisé de dépasser un concurrent… Il faut ensuite faire le point avec les techniciens. Depuis neuf heures ce matin, après avoir relevé températures et hygrométries de la neige et de l’air, ils ont farté de nombreux skis de manières différentes. Puis ils les ont testés sur la piste, parcourant ainsi plusieurs kilomètres.
De ces multiples essais, ils ont sélectionné les meilleurs fartages qu’ils appliqueront sur les paires sélectionnées pour leurs structures sous la semelle et leur rigidité. Pour aujourd’hui, ils ont préparé cinq paires de skis de course après la déconvenue de la veille. Mais les conditions de neige sont bien meilleures ce matin. Il ne devrait pas y avoir trop de problèmes de matériel.
C’est maintenant à Jonas de choisir la paire de skis qui lui convient le mieux pour la course du jour.
C’est le moment pour les essais de tirs. Les Norvégiens se sont vu attribuer la cible numéro un.
C’est un avantage certain pour Jonas, au premier tir. De quoi le mettre en confiance !
Mais il n’y est pas, sans savoir vraiment pourquoi. Il est trop nerveux, alors qu’il n’y a aucun enjeu.
Le coach de tir remplaçant perçoit tout de suite que son poulain n’est pas dans son meilleur jour.
« Jonas ! Rappelle-toi ce que t’a dit Cédric Malet en début de semaine : reste “focus”. Ne laisse pas le doute s’installer en toi. Il y a des points à prendre aujourd’hui encore. Allez, ça va le faire ! »
Les essais de tirs terminés, Jonas rejoint ses camarades et décide d’aller encourager les filles pour faire diversion. C’est une course très disputée et les Françaises jouent les premiers rôles.
Il n’attend pas la fin de la course, car il a décidé de s’isoler pour se concentrer à nouveau…
Dimanche 18 décembre 2022, 14 h 30
« Les images de la réalisation nous ramènent sur la piste avec cinq hommes en tête, légèrement détachés du peloton. Ce premier tir n’a pas fait de gros dégâts, hormis le malaise de Jonas Brodahl. Visiblement l’anneau de pénalité n’a pas été trop fréquenté.
— Alexandre, je vous interromps, car Thierry a recueilli de nouvelles informations, dans la zone mixte. Thierry, que se passe-t-il en ce moment sur le Pas de Tir ?
— Eh bien, Anne-Cécile, juste après la sortie du dernier concurrent au Pas de Tir, quatre secouristes sont intervenus auprès de Jonas Brodahl, toujours inconscient. Très rapidement le médecin en chef de la compétition les a rejoints. Actuellement, j’aperçois également Christian Bassano, le directeur de l’épreuve, accompagné des autres représentants de l’IBU et de deux gendarmes…
— Nous sommes contraints à un commentaire radio, la réalisation ayant choisi de continuer à suivre la course. Thierry, vous intervenez dès que vous avez de nouvelles informations. Alexandre, c’est à vous.
— Nous sommes toujours avec les cinq hommes de tête, dont deux Français, qui sont en train de creuser les écarts avec les groupes de poursuivants. Il y a désormais une vingtaine de secondes avec le premier groupe de chasse, mené par un autre Français.
— Anne-Cécile, c’est la stupeur ici sur le stade. On vient de m’annoncer l’arrêt de la course.
Les coureurs vont être neutralisés avant l’arrivée sur le Pas de Tir, pour leur deuxième couché ! Nous n’avons pas davantage d’explications sur les causes exactes de cette décision.
— Merci Thierry. Oh là, là ! C’est incroyable… Alexandre, vous me confirmez que l’on n’a jamais connu une telle situation en Coupe du Monde ?
— Non, effectivement. Le motif doit être très sérieux. Je crains pour la santé de Jonas Brodahl, à moins qu’il ne s’agisse d’un problème technique sur le Pas de Tir qui aurait pu être à l’origine de son malaise et que l’organisation veuille éviter à tout prix un nouvel incident.
— Désolé de vous interrompre, on vient de m’informer dans l’oreillette que l’IBU a demandé aux télévisions de cesser toute retransmission d’images en direct. Nous n’avons pas davantage de précisions pour le moment. La direction de la chaîne Team 22 a décidé de vous retransmettre, en replay, la Mass Start hommes de l’an dernier, après une courte pause publicitaire. »
Dimanche 18 décembre 2022, 13 h 15
Jonas, d’habitude imperturbable, est gêné par toute cette agitation qui règne autour de lui. Il ne comprend pas cet étrange malaise qui le saisit. Sans doute le trac, qui atteint aussi les plus grands artistes ! Il voudrait déjà être dans l’avion pour décompresser. Il n’a pas le sentiment d’être en méforme, ce qui le rassure après le test positif au COVID 19 de Cédric Malet, son coach de tir, qui a dû quitter l’équipe dans la précipitation, dès vendredi. D’ailleurs, son propre test de ce matin est encore négatif ! Non, il s’agit d’autre chose : une profonde lassitude arrivée sans crier gare, un sentiment de quête inutile…
Peut-être que cette annonce qu’il a faite dans les médias lui met trop de pression. Vouloir remporter son quatrième globe en fin de saison et viser le record de Martin Fourcade à plus long terme est sans doute trop ambitieux. Le voilà prisonnier de cet objectif ! Ces dernières années, il gérait course après course, sans calcul, et ça lui avait plutôt réussi…
Jonas décide de s’isoler complètement. Il quitte la piste de compétition et s’engage sur le tracé qui mène à l’Auberge Nordique, celui-là même qu’il a emprunté ce matin, en sens inverse. Quitte à s’échauffer, autant le faire en pleine nature. Il skie longtemps, essayant de faire le vide dans sa tête, sans y parvenir complètement. Il se sent tout de même apaisé, lorsqu’il consulte enfin sa montre. Il n’a pas vu le temps passer. Il doit retourner au plus vite prendre sa place dans l’arène où tous les athlètes vont bientôt se mettre en place sur la grille de départ. Pourtant, il hésite un court instant avant d’opérer un demi-tour. Et s’il déclarait forfait ? Il ne peut pas faire ça à tout le staff qui s’est défoncé pour le placer dans les meilleures conditions. Enfin, il rebrousse chemin vers le stade. Lorsqu’il y parvient, il a tout juste le temps de changer ses skis et d’endosser sa carabine, sous le regard réprobateur de l’entraîneur en chef. C’est la première fois de sa carrière qu’il enfreint les règles ! Au moment du compte à rebours, il a encore le temps de penser qu’il aurait peut-être dû écouter son instinct. Il était sans doute écrit qu’il ne devait pas prendre le départ de cette course…
Au coup de pistolet du starter, Jonas bondit tel un fauve sur la piste. Le salut est dans l’action ! Rien de tel pour éliminer les pensées parasites. Au bout de la ligne droite, il a déjà plus de dix mètres d’avance sur tous ses concurrents. Il se ravise et temporise un peu. Il faut éviter de se mettre dans le rouge dès le premier tour ! Ses adversaires se rapprochent, mais Jonas garde une petite marge d’avance, pour la sécurité. Les bris de bâtons ou les chutes sur un premier tour sont assez fréquents. Les voilà sur la passerelle et déjà la première grosse montée se dessine. Sous les hourras de la foule en délire qu’il ne distingue même pas, Jonas en franchit le sommet, toujours en tête. Puis il plonge dans la descente, qui se termine par un virage serré. Cette piste est vraiment spectaculaire avec un tracé en montagnes russes et de nombreuses courbes.
La glisse est bonne. Les techniciens ont bien bossé ! Cela va lui permettre de bien récupérer, voire de gagner du terrain à l’aspiration dans les prochains tours, s’il se trouve à l’arrière.
Après avoir mené de bout en bout, Jonas passe sous la passerelle et avale la dernière petite bosse, en leader incontesté. Puis il se laisse glisser vers le stade, en position de recherche de vitesse, dans un vacarme étourdissant.
Se redresser, respirer fort, enlever ses dragonnes et progresser vers la cible une en patinant au ralenti. Poser ses bâtons sur le côté, s’agenouiller en saisissant sa carabine, s’allonger sur le tapis, engager le chargeur et armer, se mettre en position, expirer profondément. Faire le vide dans sa tête, porter toute son attention vers ce petit rond noir, là-bas, au bout du canon, bloquer sa respiration…
Ces gestes, il les a accomplis des milliers de fois ! Habituellement, tout se déroule dans un automatisme parfait, inconsciemment ou presque. Mais aujourd’hui, le temps se démultiplie. Il a pleine conscience de chacune des actions qu’il engage, comme si le film tournait au ralenti. Dans un effort d’intense concentration, il presse lentement le doigt sur la détente. Il a tout juste le temps d’apercevoir la première cible qui bascule.
Soudain une douleur atroce envahit sa poitrine, un goût de fer se déverse dans sa bouche tandis que sa vue se trouble. Puis plus rien : le néant absolu !
Jonas Brodahl, le grand champion, n’est plus qu’un pantin de chiffon, affalé sur sa carabine.
Dimanche 18 décembre 2022, 14 h 30