Un certain goût d’inachevé - Alain Cossard - E-Book

Un certain goût d’inachevé E-Book

Alain Cossard

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Beschreibung

« Excusez-moi, vous êtes de quel signe ? — Lion et vous ? — Scorpion, c’est bien dommage ! Vous allez dans quelle direction ? — À droite ! — Je suis contraint d’aller à gauche, et donc je ne vous reverrai plus. Il n’y aura jamais eu qu’un premier jour entre nous et je le regretterai peut-être longtemps. Une ombre légère sembla passer sur le beau visage de la jeune femme et il eut le temps d’apercevoir l’alliance à son doigt, ce qu’il n’avait pas remarqué dans la brasserie. Elle avait dû voir la sienne, ils étaient donc à égalité. »


À PROPOS DE L'AUTEUR 


Alain Cossard a rassemblé des pensées, anecdotes et poèmes, sur des sujets divers au fil des années. Fort de ces perceptions, dans Un certain goût d’inachevé, il signe une intrigue mûrie par le temps et enrichie par ses expériences et analyses.

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Alain Cossard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un certain goût d’inachevé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Alain Cossard

ISBN : 979-10-377-9559-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

01

Quartier latin, un 26 janvier, ou la Femme-Taureau

 

 

 

Il était presque midi ce 26 janvier, Rue Saint-Sulpice, quand Alban sortit du confortable hôtel où il était descendu la veille. Il était encore sous le choc de l’étrange et surnaturel évènement survenu durant la nuit, et qui l’avait tétanisé.

 

Dehors, il pleuvotait. Un petit vent soufflait de travers comme si la Tramontane l’avait accompagné jusqu’à Paris. Des petits bouts de papier s’envolèrent autour de lui et il lui sembla que c’était l’esprit de ses ancêtres qui voltigeait ainsi, comme au temps lointain où Blanche la Castillane faisait allumer les bûchers de l’Inquisition, afin que les âmes des damnés puissent danser la sarabande et la gigue au milieu des étincelles incandescentes.

 

Alban Dalbi était languedocien. Il représentait la vingt-cinquième génération de cathares, tout au moins en était-il persuadé. Ses recherches généalogiques ne lui avaient pas permis de remonter plus haut que cinq branches dans l’arbre de sa lignée, mais il faut dire qu’il était sujet au vertige. Sa conviction d’être un cathare reposait sur son ressenti profond, la haine qu’il avait de Blanche de Castille, et surtout son extrême sensibilité à Guiraude, la châtelaine de Lavaur, suppliciée et enterrée vivante par les croisés de Simon de Montfort.

 

Son origine, il la tenait de sa mère, languedocienne pur jus et de sa grand-mère maternelle, native d’Avignonet en Lauragais, haut lieu du catharisme où quelques inquisiteurs furent massacrés, ce qui déclencha la plus terrible répression qui soit, et justifié ainsi la croisade royale. Avec le supplice du dernier ministre religieux identifié, le parfait Belibaste, c’était la fin concomitante et inéluctable de la belle religion cathare.

Mais il était évident que de simples croyants cathares devaient être passés, à l’époque, à travers les mailles du filet tendu par la très catholique Blanche, et Alban considérait qu’il était un des descendants naturels de ces rescapés du bûcher.

 

Son père, lui, était natif du Nord et, ce faisant, devait avoir une lointaine accointance avec l’ennemi : Simon, l’irréductible et honni chef des croisés, l’impitoyable bourreau. Alban était très gêné par cette dualité qui était en lui et qui lui avait été imposée, aussi prit-il très jeune le parti de partager virtuellement son esprit en deux et de n’en conserver qu’une moitié. Il extirpa donc la demi-partie « cancéreuse » de son être caractérisée par la langue d’Oïl comme on extirpe une tumeur du cerveau et ne conserva que la partie noble dont l’essence même était la langue d’Oc. Ainsi, il devint un demi-cathare tout à fait acceptable aux yeux des mortels d’aujourd’hui.

 

Peut-être, d’ailleurs, que cette dualité avouée justifiait-elle la tendance à la bipolarité dont il souffrait parfois et entraînait des accès de colère envers toute injustice, mauvaise foi, qui était le royaume de cons qu’il ne supportait pas.

 

Partant de là, il conserva viscéralement ancré en lui une aversion profonde pour tout ce qui touchait au pouvoir central parisien, et tout ce qui émanait des sphères de ce pouvoir dont toute la Province et le Languedoc en particulier, devait depuis, subir le dictat.

La décentralisation de ces pouvoirs était donc une bénédiction malgré les dérives toujours possibles. Et pour tout ce qui restait attaché au pouvoir central, Alban en faisait une analyse fine et contradictoire. De ce fait, il montait très souvent sur ses grands chevaux pour crier son hostilité et ne se privait pas d’engager des attaques par voie de presse, des tribunes libres ou des lettres, y compris au Président.

 

Mais pour l’instant, ce qui hantait son esprit était l’évènement de nature extrêmement troublante qu’il avait vécu la nuit précédente. Il pensa à Claudine qu’il devait rejoindre en début d’après-midi. Il pressa le pas et se retrouva rapidement Carrefour de l’Odéon. Bien que provincial, il connaissait parfaitement le quartier latin qu’il fréquentait régulièrement lors de ses déplacements professionnels.

Il s’engouffra dans la brasserie Le Danton qui lui rappelait certains souvenirs anciens et s’assit à une table près de la vitre donnant sur la place. Il commanda un sandwich et une bière. Près de lui, il y avait peu de monde, essentiellement une fille, deux tables plus loin, l’oreille collée à son portable.

 

Il essaya de faire le vide dans sa tête torturée en fixant son attention sur sa jeune et jolie voisine. Elle devait avoir environ vingt ans, il en avait presque trois fois plus et n’imaginait pas l’apitoyer en se présentant à elle comme un revenant cathare perdu dans la capitale et ayant besoin d’un guide.

Les cheveux de la fille étaient noués dans le dos en une lourde et sensuelle tresse blonde. Il y avait bien sûr Claudine qu’il retrouverait plus tard mais il ne put s’empêcher de mater les atouts apparents de la fille et de spéculer sur ses promesses cachées, celles qui appartiennent au domaine de l’Invisible.

 

Il aimait énormément le quartier latin pour son côté jeune, décalé et vivant. Jadis, il prenait grand plaisir à s’installer à la terrasse d’une brasserie telle que Le Danton, mais aussi le Saint Séverin ou parfois les Deux Magots et passait du temps à observer l’étrangeté habituelle de la faune qui fréquentait ces endroits de légende et en a fait la célébrité.

 

Il ne croisa jamais Juliette, hélas pour son ressenti envers l’égérie de Saint-Germain, mais à la place, des marginaux vestimentaires ou de comportement bizarre, des excentriques illuminés, des gens qui semblaient venir de nulle part et y retourner aussitôt, des hurluberlus cherchant quelqu’un qui n’avait jamais existé mais qu’ils connaissaient, des individus qui se congratulaient chaleureusement sans se connaître, des exhibitionnistes colorés, des zombies, enfin toute une faune sympathique et bigarrée. Certains de ces souvenirs que le temps n’avait pas encore effacés sortirent de sa mémoire et vinrent calmer un peu son esprit persécuté, pour lui servir en quelque sorte d’anesthésiant. Curieusement, les souvenirs qui surgissaient prioritairement avaient principalement pour héroïnes des femmes…

 

C’est ainsi qu’au Saint Séverin un jour d’hiver, il avait vu entrer une superbe créature avec un air complètement égaré et un chapeau melon sur la tête. Elle s’était assise près de la porte d’entrée, avait demandé un verre d’eau chaude et fumé une clope. Mais ce qui avait frappé Alban, c’est qu’elle était uniquement vêtue d’un ensemble blanc très léger, presque transparent, qui avait dû servir de robe de mariée, alors que dehors il gelait. Avait-elle quitté subrepticement la noce et emporté le couvre-chef de son nouveau mari en souvenir ou alors son promis avait-il brutalement changé d’avis devant le maire, au moment de dire oui ? Au bout de quelques minutes, elle était partie brusquement et vivement dans la grosse froidure de l’hiver et Alban l’avait vu traverser la place en courant. Il s’était fait violence pour ne pas se lancer à sa poursuite et lui proposer le partage de son manteau. Les paroles de la chanson du parapluie de Brassens lui vinrent spontanément aux lèvres mais il l’adapta aux circonstances :

 

Il faisait froid, Pont Saint Michel

Elle courait, sans son manteau,

J’en avais un, fruit d’un recel

Commis la veill’, me donnant chaud.

 

Mais au Danton, le souvenir de la nuit le rappelait sans cesse à lui et s’inscrivait dans son cerveau comme un leitmotiv lancinant et déstabilisant. Il avait bien reçu un signe fort cette nuit-là, mais pas de réponse à la question qu’il avait posée à l’au-delà. Comment allait-il en sortir et qu’elle voie devait-il prendre dorénavant ?

 

Il essaya, pour sortir de sa folle fixation, de porter une fois de plus son attention sur la fille à la tresse, à côté de lui. Elle faisait toujours joujou avec son portable et en était vraisemblablement à son troisième appel et quatrième SMS.

Lui-même n’avait pas de smartphone. Il s’y refusait obstinément et quitte à passer pour le dernier des demeurés, s’il devait rester un jour un seul individu sur terre à ne pas être équipé, ce serait lui.

La fille servait maintenant de guide virtuel, avec son portable, pour son amoureux qui ne connaissait apparemment pas le quartier latin. Encore un provincial, certainement !

La blonde continuait de jouer les petits Poucet :

 

— Tu es Quai des Grands Augustins ?… Continue, tu vas arriver à Saint Michel…
— … Tu y es ?
— … Remonte le grand boulevard que tu as devant toi… Saint Michel tu le vois ?
— … Tu vas arriver sur le boulevard Saint-Germain… Tu y es ?
— … Prends à droite et continue jusqu’à la grande place… Ça y est, tu y es !
— … JE TE VOIS JERÔME !… JERÔME, JE TE VOIS !… JE TE VOIS !
— … Je suis de l’autre côté, regarde, la brasserie Le Danton !… LE DANTON, je te dis !… Tu es miro ou quoi ?

Ledit Jérôme pénétra enfin au Danton. Grosse « poutounade » ! #

Alban dut admettre que dans un tel cas, le mobile pouvait avoir son utilité, le GPS encore plus. Mais il était d’une autre génération et c’était un idéaliste. Alors pour lui, dans une telle situation, rien ne pouvait remplacer le petit Poucet, la technique et la saveur des petits cailloux blancs. On a le romantisme qu’on mérite !

Un peu plus tard, Alban prit en plein dans l’estomac, la splendide tresse blonde de la fille quand elle secoua énergiquement sa tête en une vigoureuse dénégation vers Jérôme, faisant voltiger sa natte de part et d’autre de la tête. Cela lui rappela un souvenir très ancien mais encore vif, et cette pensée apaisa un peu son cerveau torturé.

 

C’était aussi au Danton, aux temps immémoriaux et bénis où le portable n’existait pas.

Il était assis, comme aujourd’hui, à proximité d’une jeune femme blonde qui prenait seule son thé. Ses cheveux étaient attachés en une longue tresse savamment nouée comportant un dégradé de mèches, très large au départ du crâne, et de plus en plus fin, plus on avançait vers le bas du dos. Un accroche-cœur rose retenait le bout de la tresse. La femme était élégamment belle et il se demandait combien d’hommes avaient réussi à se suspendre à son ruban rose…

À un moment, elle sembla attarder son regard sur lui, un regard troublant, d’un bleu translucide de saphir. Alban ne pouvait jamais soutenir longtemps le regard d’une inconnue, alors il détourna le sien mais il eut le temps de songer que voiler ce regard dans certains moments privilégiés de la vie devait avoir quelque chose de divin.

 

Bientôt, elle se leva, et comme elle redéployait son corps, il vit que son pull se gonflait soudain d’une vie mystérieuse et fort agréable. C’était une sorte de surprise car, assise, on pouvait douter qu’elle eût des seins tellement le pull les effaçait. Ce fut une découverte exquise pour Alban qui aimait que les femmes aient des seins, pas forcément lourds car à vrai dire, il les aimait plutôt moyens et ronds.

# Poutounade : Embrassade, en Languedoc

 

Elle passa très près de lui sans le regarder et se dirigea vers la sortie mais il eut le temps de percevoir les effluves légers de son parfum. Il savait qu’il avait vingt secondes pour sortir, sinon il ne la reverrait plus. Il n’avait pas payé sa consommation, fit signe au garçon, jeta un billet sur la table et se précipita vers la sortie. À l’extérieur, il eut peur de la perdre si, par exemple, elle s’était engagée dans la bouche de métro. Il n’avait pas assez de temps, il avait un avion à prendre…

 

Il ne la vit pas immédiatement mais par un rapide mouvement circulaire du regard, il put l’apercevoir s’engager, boulevard Saint-Germain. Il courut et se retrouva très vite derrière elle, bien qu’elle marchât d’un pas rapide. De près, il détailla outrageusement sa silhouette.

Ses jambes étaient galbées avec des mollets ciselés et finement musclés d’une sportive, des mollets comme il les aimait. Ils devaient être très doux au toucher, doux et fermes à la fois. La blonde tresse et son accroche-cœur dansaient allègrement dans le dos. La fille avait des hanches qui étaient loin de l’amphore romaine mais elles étaient agréablement dessinées et surtout elles étaient animées, autour de l’axe central, d’un subtil mouvement de balancement, dit du diable, dont il pensa qu’il pouvait vous envoyer directement au septième ciel. Il reconnut le parfum qui flottait délicatement, mais il n’était pas assez expert et averti pour savoir de quel parfumeur elle habillait sa peau, comme aurait dit Marylin.

 

Elle était superbement harmonieuse, diablement sensuelle, infiniment femme !

 

Le trouble d’Alban était à son apogée : il la désirait à l’instant, comme peut-être il n’avait jamais autant désiré une femme jusque-là !

 

Il était convaincu qu’elle devinait, ou savait, qu’il était dans son dos mais elle ne se retourna pas. Les femmes sont terriblement intuitives mais surtout elles ont des yeux derrière la tête. Cela leur vient de leur partie du cerveau qui est beaucoup plus développée chez elles que celui des hommes. Et cet hémisphère de l’émotion leur a fabriqué des antennes derrière la tête avec, au bout, des yeux montés sur rotules comme ceux d’une mouche.

Ils allaient arriver au carrefour du boulevard Saint Michel, il fallait qu’il prenne vite une décision car il devait prendre rapidement un RER. Il l’aborda, elle n’eut pas l’air surprise. Elle s’arrêta.

Il se lança :

 

« À chaque histoire, il y a un premier jour et ce qui est regrettable c’est qu’on n’a pas conscience, au moment où on le vit, que c’est le premier jour, ce qui nous empêche de l’apprécier à sa juste valeur. Ce n’est que longtemps après qu’on sait que c’était le premier jour. Jusqu’à présent, j’avais conçu une certaine idée de l’harmonie, mais en marchant derrière vous, je me suis rendu compte qu’il fallait que je révise complètement mon idée. »

 

Là, il eut nettement conscience qu’il l’avait touchée, la surprise ayant allumé une petite clarté dans le regard bleu translucide. Il savait surtout qu’il ne fallait pas lui laisser le temps de se reprendre. Il enchaîna :

 

— Excusez-moi, vous êtes de quel signe ?

— Lion et vous ?

— Scorpion, c’est bien dommage ! Vous allez dans quelle direction ?

— À droite !

— Je suis contraint d’aller à gauche, et donc je ne vous reverrai plus. Il n’y aura jamais eu qu’un premier jour entre nous et je le regretterai peut-être longtemps.

 

Une ombre légère sembla passer sur le beau visage de la jeune femme et il eut le temps d’apercevoir l’alliance à son doigt, ce qu’il n’avait pas remarqué dans la brasserie. Elle avait dû voir la sienne, ils étaient donc à égalité. Il partit dans la direction de gauche et elle, dans la direction opposée. Au bout de dix secondes, il se retourna et s’arrêta. Il la vit de dos marchant de son pas rapide…

Cinq secondes plus tard, elle se retourna et vit qu’il était arrêté. Elle s’arrêta aussi et lui fit un petit signe de la main. Il lui rendit son signe et peu après, il s’engouffrait dans la station de Saint Michel.

 

Alors, il eut au plus profond de lui-même, un très fort ressenti, comme un goût d’inachevé. Et il se demanda si, à cet instant, la femme ressentait la même chose que lui.

Dans le RER qui le conduisait à Orly, il songea à elle et la remerciait mentalement pour le délicieux cadeau qu’elle lui avait fait involontairement ou sciemment quand il vécut sur le trottoir son irrépressible et spontané désir d’elle ! Il se demandait si le plaisir qu’elle aurait pu lui donner aurait été à la hauteur de ce désir et si lui-même aurait été au diapason.

 

C’est ainsi qu’il s’arrêtait fréquemment devant la porte de la chambre, sans y entrer, car il est de ceux qui considèrent que le meilleur moment est la montée de l’escalier et qu’il ne faut pas galvauder les choses de l’amour. Il avait résolu de s’en tenir le plus souvent à cela, étant finalement très sélectif, peut-être trop, mais surtout extrêmement prudent.

 

Alban ne trouvait l’osmose charnelle que si l’émotion était au rendez-vous et il avait pour cela préalablement besoin d’une communion de l’esprit, et de fantasmes. Il réprouvait généralement la littérature érotique dont la vulgarité à la Catherine Machin enlevait tout sens au romantisme, au besoin de rêver et annulait ainsi les forces de l’Invisible. De nos jours, il faut absolument du cru, du voyant, de l’exhibition, des hurlements que doivent nécessairement pousser les amants lors de l’orgasme, ce qui devrait complexer les trois quarts au moins de l’humanité.

 

Si les cris étaient la norme de l’amour, alors on entendrait toutes les nuits dans les plaines et les rues de nos villes, comme des cerfs en rut, les braillements cacophoniques des amants performants.

 

Alban avait finalement connu, au sens biblique du terme, peu de femmes et ne les avait pas souvent fait crier, sauf parfois où sa partenaire avait laissé échapper un petit cri qu’elle avait immédiatement réprimé, un peu honteuse peut-être. Pour la légende du Scorpion, c’est un peu vexant, mais nul n’est parfait et Alban était certainement un mauvais, ou tout au moins banal amant. Ainsi, se demandait-il s’il avait vraiment fait jouir les femmes qu’il connût.

Ce qu’il avait constaté néanmoins c’est qu’au moment crucial, on entendait de tout petits soupirs et alors les yeux des femmes prenaient une profondeur et une lueur étrange à tel point, qu’à l’extrême, on pouvait ne plus les reconnaître et avoir l’impression de faire soudain l’amour à une étrangère, ce qui, une fois, lui avait littéralement coupé les jambes et le reste. Mais ces yeux se couvraient le plus souvent d’un voile tel que la femme, si elle les ouvrait pour vous regarder, ne devait plus vous voir qu’à travers un brouillard.

 

Lorsqu’il sentait sa propre fragilité devenir extrême, Alban, alors, souhaitait voir les yeux de sa partenaire s’entrouvrir, quelquefois il le lui demandait, et quand se révélait le divin voile, son orgasme à lui survenait, accompagné d’un léger râle, ce qui permettait à l’autre, qui était devenue lui, d’être sûre qu’il jouissait. Ce râle, qui ressemblait étrangement à celui du dernier souffle, lui avait fait comprendre pourquoi on parlait habituellement de petite mort pour qualifier l’orgasme.

 

Ce qui consola un peu Alban du regret d’avoir perdu à jamais la blonde tresse était un concept d’astrophysique qui, sans qu’il en soit un expert, était son dada. Tout le monde connaît la théorie du big-bang où l’Univers, parti d’un point minuscule initial extrêmement dense, se développe dans une expansion continue et infinie qui pourrait être tragique dans le futur.

 

Une autre théorie conduit à la notion de big-crunch où, à un moment donné, l’Univers se retourne et se contracte. La flèche du temps change de direction et oh ! surprise, nous revivons tous les évènements à l’envers comme lorsque nous lançons la marche arrière d’un magnétoscope. Cette situation est aussi tragique que la première car elle tend à ramener l’Univers à son point initial. C’est pas plus rigolo !

 

Alors, Alban était l’adepte d’une troisième théorie qui conduit l’Univers à passer alternativement et indéfiniment d’une phase d’expansion à une phase de contraction et vice-versa comme il en est de la respiration d’un poumon : inspiration, expiration, inspiration, etc. Cette théorie est particulièrement réjouissante pour le corps et salutaire pour l’esprit.

 

En effet, dans la vie, on se trouve souvent à la croisée de chemins où l’un d’eux doit être retenu. Ceci conduit à faire des choix qui sont parfois bons, parfois désastreux et dans ce dernier cas, on regrette amèrement l’option élue. Que se serait-il passé si Alban avait pris la direction de droite, boulevard Saint-Michel, et pas celle de gauche ?

 

Et c’est là que cette troisième théorie prend tout son intérêt car en se contractant, l’Univers reconstruira à nouveau un jour, à l’identique, le dilemme du carrefour Saint-Germain/Saint-Michel et offrira ainsi un nouveau choix de trajectoire lors de la phase d’expansion qui suivra. Et cela indéfiniment, ce qui permettra de parcourir toutes les trajectoires possibles, suivant le principe combinatoire des mathématiciens. C’est une situation absolument merveilleuse car on peut ainsi envisager de goûter à toutes les facettes des trajectoires de vie proposées. Éventuellement, parcourir à nouveau un bout de chemin déjà effectué s’il nous avait enthousiasmé jadis, ou, inversement, rejeter violemment une alternative malencontreusement explorée, et enfin effectuer un nouveau choix, si l’envie ou la curiosité nous en prend.

Cette idée calma les regrets d’Alban car il se dit qu’ainsi il retrouverait un jour la femme à la tresse blonde et cette fois, sans hésiter, il choisirait la direction de droite sur le boulevard Saint-Michel.

 

En retrouvant ce lointain souvenir, ce 26 janvier, Alban Dalbi se souvint du signe de la blonde : Lion. C’était curieux, car étant Scorpion, il était destiné, suivant les théories astrologiques, aux femmes Cancer et Poisson qui doivent se le partager exclusivement. Les autres signes sont plus ou moins compatibles, avec un summum d’incompatibilité pour le Verseau et le Lion. Or, la femme blonde était Lion, et sa femme, Marie, était Verseau, ce dont il se plaignait. C’était à n’y rien comprendre et seules deux hypothèses possibles pour la compréhension, sont à examiner :

- Soit les incompatibilités s’attirent comme il en est des aimants dont on sait que la polarité est de signe opposé, ceci entraînant alors la mise en porte-à-faux de la théorie ancestrale.
- Soit Lion et Verseau, pour déjouer la théorie, se parent de sournoises intentions en se drapant de leurs plus beaux atours, dans le but de clouer au pilori le malheureux Scorpion tombé imprudemment dans leurs filets. Et tant pis pour lui s’il a fait une grave faute de goût.

 

Ainsi, Alban avait pris l’habitude de demander, aux femmes qu’il côtoyait, leur signe astrologique, ce qui n’empêchait nullement l’accident de trajectoire car ne sachant pas si la théorie disait vrai ou faux, il avait pris la sage décision de goûter autant que faire se peut et sans a priori aux différentes combinaisons zodiacales que les généreuses constellations pouvaient lui offrir.

 

Tous ces souvenirs délicieux, que le quartier latin lui remémorait, appartenaient à un passé révolu qu’Alban Dalbi, ingénieur passionné d’astrophysique et dernier cathare affiché, ne pourrait plus revivre. Pourtant, au Danton qui lui avait été si familier dans le passé, il se sentait un peu rajeunir. La raison : Claudine !

Ces réflexions qui en temps normal auraient été joyeuses pour Alban ne lui faisaient pas oublier malheureusement la dernière nuit mais lui permettaient de contourner sa dangereuse fixation. Mais enfin, que s’était-il passé la nuit dernière ?

C’était étrangement sa mère, morte depuis trente ans, qui s’était manifestée brutalement. C’était une évidence, il n’y avait pas d’autre explication possible puisqu’il l’avait interrogée cette nuit, comme si elle était encore vivante.

La veille, il avait fait un rêve où sa mère lui était apparue subitement. Elle avait discuté avec Claudine, sa maîtresse, puis l’avait prise par la main pour la conduire vers sa femme !

Quelle était la signification de ce rêve ?? Il résolut d’interroger sa mère et s’installa vers deux heures du matin à une table. Il prit un stylo et écrivit :

 

« Maman, aide-moi, que dois-faire, continuer de vivre avec Marie ou vivre avec Claudine que j’aime et qui m’aime ? Maman, je t’en prie, conseille-moi ! »

 

À cet instant précis, un bruit sec se fit entendre dans la salle de bains.

Tétanisé, Alban mit de nombreuses minutes avant d’aller dans cette pièce. Quand enfin, courageusement, il entra, il fit le constat que sa trousse de toilette était au sol, au pied du lavabo où il l’avait posée. Le bruit venait de la chute de la trousse.

Pourtant, il était sûr de ne pas l’avoir posée en équilibre et puis cela faisait trois heures qu’il avait fait sa toilette…

Pourquoi cette trousse était-elle tombée à l’instant précis où il s’adressait à sa mère ?

 

De toute façon, même si sa mère avait voulu communiquer avec lui, elle ne lui donnait pas la direction à suivre : Marie ou Claudine ?

Pourtant, il ne voulait pas croire au surnaturel et à l’ésotérique, étant un scientifique de formation et de pratique, et seul, pour lui, le fait tangible comptait. Le réel avait donc un sens primordial, sauf que l’astrophysique avait bouleversé ses certitudes en le rendant prudent sur cette notion de réel. Il suffisait pour cela, par exemple, de lire les troublantes manifestations de la physique quantique sur les particules élémentaires de l’infiniment petit. Et l’Univers ? Certains scientifiques, dignes de ce nom, considèrent qu’il n’est pas ce que l’on voit.

Il ne serait en fait qu’une construction de l’imaginaire et une illusion de l’esprit…

 

Si on admet que la matière d’un corps se dégrade et se transforme à la mort, qu’en est-il de l’esprit qui est une forme d’énergie ? Personne ne le sait !

Et qu’en est-il de l’âme dont on ne sait rien, sinon ce qu’en chantent les poètes ? Pourquoi esprit et âme devraient disparaître quand rien ne disparaît et que tout se transforme ? Que devient l’âme et où va-t-elle ? Il y a là, même pour un scientifique sensé comme lui, quand il y réfléchissait, un large espace pour l’incompréhension et finalement pour la déstabilisation. Un abîme d’interrogations pour lesquelles, il n’est pas sûr que nous ayons un jour un éclairage, pensait Alban.

 

Alban arrivait cependant difficilement à admettre que l’âme de sa mère puisse chercher à communiquer avec lui depuis un au-delà où elle pourrait se trouver si cette existence a un sens autre qu’imaginaire.

Ces réflexions le mettaient profondément mal à l’aise quand il songea soudain qu’il devait passer un appel téléphonique à son fils. N’ayant pas de mobile, il le passerait depuis une cabine, au carrefour de l’Odéon.

 

Il sortit son agenda qu’il portait toujours sur lui. Il lui était familier et très utile car il renfermait outre ses notes et rendez-vous licites et illicites, et pour chaque jour, des informations historiques ou importantes, propres à chaque date et bien sûr, toutes les fêtes des saints. Il oubliait souvent de fêter ses proches quand c’était le moment. D’ailleurs le plus souvent il n’en connaissait même pas la date, sauf pour les anniversaires.

 

Il se demanda si les événements de la nuit pouvaient être liés à la date du jour afin d’apporter un éclairage à son questionnement. Il ouvrit l’agenda à la page du 26 janvier et ce qu’il y lut immédiatement le glaça de la tête aux pieds. Il resta foudroyé sur sa chaise et ses mains se mirent à trembler. Pâle comme un mort, il se mit à pleurer silencieusement pendant de longues minutes. Il oubliait qu’il était dans une brasserie, qu’il y avait des gens autour de lui.

Ayant remarqué son malaise, un garçon appelé par un client arrivait en courant. La jeune fille à la tresse s’approcha, lui demanda s’il se sentait mal, s’il voulait qu’on appelle le SAMU ou quelqu’un de sa famille.

Il fit un signe de dénégation de la tête et se reprit petit à petit. Il dit bêtement à la fille que c’était la fête de sa mère aujourd’hui, qu’il l’avait oubliée et que ça l’avait déstabilisé.

 

La fille rétorqua :

— Mais c’est pas grave, vous avez encore le temps de la lui souhaiter, il est à peine treize heures. Téléphonez-lui !

— C’est beaucoup trop tard, elle est morte !
— … Oh excusez-moi !… Elle vient de mourir ?

— Non, elle est morte depuis trente ans déjà !

 

La fille le regarda, incrédule. Ce type était givré !

Pourtant, la réalité était bien là, criante. Aujourd’hui, c’était le 26 janvier, soit la sainte Paule, et Paule c’est le prénom que portait sa mère.

 

Alban venait de découvrir d’ailleurs à l’instant, en consultant son calendrier, que la fête de sa mère tombait un 26 janvier. Et il venait de le découvrir dans des conditions démentes. C’était maintenant parfaitement clair et épouvantablement déstabilisant d’avoir la preuve formelle que sa mère voulait communiquer avec lui, car comment ne pas relier l’évènement de cette nuit survenu à deux heures du matin, alors qu’il était déjà sûr que sa mère en était l’auteure, avec la découverte que ce même jour était la sainte Paule, le prénom de sa mère ?

 

Les cathares étaient-ils aussi pour quelque chose dans ce mystère ? Leur âme avait-elle servi d’intermédiaire entre lui et sa mère ?

 

Et que voulait-elle lui faire parvenir comme message : le mettre en garde et de quoi, l’encourager et à quoi, le protéger mais dans ce cas, elle pouvait le faire en toute discrétion, sans avoir besoin de le traumatiser ?

 

La fille blonde, s’apercevant qu’il reprenait ses esprits, s’approcha :

— Vous allez mieux ? Avez-vous besoin de quelque chose ?
— Non merci, vous êtes très gentille. J’ai eu un choc émotionnel.
— Je l’ai vu. … C’était pas si grave !
— Vous savez, je vais certainement vous paraître bizarre et vous allez me prendre pour un fou si je vous dis que je suis peut-être le dernier cathare vivant et ainsi la dernière oreille à entendre leur voix venant de l’ailleurs. Je suis en quelque sorte un rescapé des croisades. Mais, avez-vous déjà entendu parler du catharisme ?
— … Non… je suis nulle en géographie !
— Vous savez, c’est plutôt de l’histoire !
— … Je dois être également nulle en histoire !
— Ce n’est pas essentiel. Vous savez, dans une autre vie, j’ai peut-être été un chevalier cathare ou un troubadour de nobles dames !

Elle le regarda avec des yeux écarquillés et éblouis, et souffla :

— …. Oh, c’est merveilleux !

 

Alban appela le garçon, demanda la note, paya, prit son manteau et sortit vivement sur la place, n’oubliant pas en partant de faire un petit signe amical de la main à la fille. Il ne put s’empêcher de penser que son geste était le même que celui qu’il avait adressé un peu plus loin, boulevard Saint-Michel, il y avait fort longtemps, à une semblable femme blonde portant la même tresse.

 

Le petit crachin, qui tombait encore, fit le plus grand bien à Alban. Le vent, qui lui semblait être une émanation de la Tramontane, était complètement tombé, de sorte qu’un début de calme l’envahit. Il pensa à Claudine qu’il allait retrouver. Que se passerait-il entre eux, aujourd’hui ? La veille, ils étaient allés de cafés en brasseries, ayant beaucoup de choses à se raconter. Il avait beaucoup parlé, ayant beaucoup à lui dire. Elle l’avait surtout écouté.

 

Mais l’horloge avait tourné, il était temps pour elle de repartir, prendre le train, et retrouver son travail à Grenoble. Il était très déçu, compte tenu de l’entente qui avait régné entre eux, et du désir qui insensiblement était monté en lui, de ne pas avoir pu emmener Claudine dans son hôtel.

Elle était astrophysicienne, chercheuse à l’Université de Grenoble. Or, elle avait fait récemment une expérience originale sur l’ESRF-Synchrotron, l’accélérateur de particules le plus puissant au monde, et elle ne savait pas si elle n’avait pas subi, accidentellement, une transmutation inédite, la faisant passer d’une femme-matière en une femme-antimatière.

Matière et antimatière ont des charges opposées. Les particules de la matière sont le proton, positif, et l’électron, négatif. Dans le cas de l’antimatière, on trouve l’antiproton, négatif, et l’antiélectron, positif. Dans la situation où matière et antimatière se touchent toutes les deux, elles disparaissent aussitôt dans une gerbe d’étincelles.

Il ne fallait donc pas qu’Alban et Claudine se touchent !

 

Cela avait été une grande déception pour Alban car il avait parfaitement organisé ces journées à Paris dans une optique sentimentale brûlante et il n’était là que pour trois jours. Il avait réservé, dans cet hôtel du XVI° siècle, rénové par Garcia, une chambre très confortable, avec une atmosphère feutrée.

Le bar était correctement approvisionné, le champagne était au frais. Pour une fois, Alban avait fait les choses très convenablement.

 

D’une excursion récente à la Cathédrale d’Images des Baux de Provence était né en lui un fantasme nouveau et profond qu’il voulait assouvir : celui de faire l’amour au son de musiques classiques, rythmant l’union des amants. L’idée lui en était venue au cours de cette multi-projection d’images sur les murs des anciennes carrières de calcaire. Un violoncelle, celui d’Anne Gastinel, déchirait l’espace avec des accords sensuels touchant l’âme, au plus profond.

Dans le noir des immenses salles, où les visiteurs évoluaient au gré de leur fantaisie, les couples, les hommes, les femmes, se frôlaient, se devinant et s’évitant tout juste dans la pénombre. Une impression d’intense sensualité s’inscrivit en lui, la musique en étant l’essentielle émanation. L’émotion d’Alban était à son comble et il sentit donc, à cet instant aux Baux, la nécessité pour lui de connaître un jour l’amour charnel, sur les accords similaires et profonds du violoncelle d’Anne, en particulier sur l’air de Standchen de Schubert.

 

Il compila donc un disque personnel où différents morceaux étaient enregistrés de telle façon que partant de la musique la plus douce qui soit, on aboutisse à un morceau très enlevé et ceci en mode crescendo, afin que cette musique donne le tempo de l’accord qu’il comptait vivre un jour avec Claudine. Il pensait ainsi reproduire l’ambiance qui devait régner, au temps des cathares, quand les troubadours séduisaient les nobles dames.

 

Son disque commençait ainsi par Standchen. Il projetait de dénuder lentement Claudine dans cette phase. Il devrait agir intelligemment pour respecter le tempo, ne pas se précipiter avidement sur les boutons, fermetures et fermoirs. Il devrait montrer sa maîtrise de l’effeuillage en étant extrêmement patient et délicat.

 

Le disque se poursuivait sur l’air de la troisième suite de Bach, puis des extraits du Lac de Cygnes, Chopin, Mozart et un final très enlevé avec la marche de Radetzky. Il lui faudrait respecter scrupuleusement, lors de cette phase d’expérimentation de Claudine, le rythme des partitions, s’il voulait jouer correctement la sienne, en particulier lors de la phase d’effeuillage et le final.

 

Pour les préliminaires de la deuxième phase, pas de problème à craindre. Compte tenu de l’évolution savamment étudiée, on pouvait sans inconvénient pour l’efficacité globale, mettre un terme aux préliminaires quand on le souhaitait ou que l’on ne pouvait plus faire autrement, afin de passer à la délicate troisième phase. Et la grosse difficulté restait de clôturer au bon moment et pas trop tôt, afin de viser avec précision l’emballement musical final. Là, Alban, qui n’avait pas fait l’amour depuis quelque temps, et avait presque deux fois trente ans, avait la crainte de tomber en panne d’essence en cours de route.

Il n’avait pas acheté le Viagra dont il aurait dû se munir, et c’était une grosse bévue qu’il se reprochait d’avoir commise, compte tenu de son expérience et de son âge. C’était une faute impardonnable que l’on aurait pu comprendre venant de la jeunesse, à ceci près que cette dernière n’aurait jamais eu besoin de commettre un tel genre d’erreur !

Il en était là, tout en marchant, de ces réflexions mais deux éléments le gênaient, l’un qu’il considérait comme mineur, l’autre, le second, qui était incroyablement majeur.

 

Pour le soi-disant mineur, il n’était pas sûr que Claudine aimât la musique classique. Alban considérait que la composition retenue était de nature à satisfaire n’importe quelle femme normalement constituée, c’est-à-dire aimant un tantinet Mozart. Mais il ne s’était jamais enquis des goûts de Claudine en matière musicale et il ne savait donc pas, si elle était plutôt Bach ou plutôt Hallyday. Bref, il avait quand même spéculé et pris un certain risque qu’il considérait comme étant mesuré car il suffisait de couper le son pour se retrouver dans la situation habituelle du commun des mortels s’agitant en silence, dans un tel cas, selon la tradition banalement répandue du missionnaire manquant d’imagination.

 

Pour l’élément majeur, le problème était d’une complexité inouïe car si Claudine était une mortelle traditionnelle, alors il espérait tirer d’elle un maximum de plaisir et lui donner en retour un satisfaisant orgasme en l’amenant au septième ciel !

Par contre, si Claudine était bien une femme-antimatière, alors leurs propres vies étaient en jeu. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle il avait soigneusement évité tout contact avec elle, même de la frôler de la main ou de l’embrasser, depuis son arrivée à Paris.

Si Claudine était bien faite d’antimatière, à l’instant précis où il la prendrait dans ses bras, lui un homme-matière ordinaire, ils disparaîtraient tous les deux dans une immense déflagration, dont un violent orage en montagne l’été ne pouvait être qu’une pâle copie.

Et tout l’hôtel se serait alors trouvé illuminé par une formidable gerbe d’étincelles, sans commune mesure avec celle d’un bûcher.

Et l’horizon se serait couvert d’un immense nuage orgasmique, emportant les amants maudits au royaume de l’Invisible.

 

Alban était en relation amoureuse depuis plus de deux ans avec Claudine. Il l’avait connue à Grenoble dans le cadre d’une présentation du Synchrotron où avaient été invités d’anciens ingénieurs, comme lui, ayant travaillé dans le temps au CNRS.

Claudine, une très jolie femme de taille moyenne, pulpeuse, à la longue chevelure, avait été chargée de la présentation où elle avait été éblouissante. À midi, tout le monde fut convié à un déjeuner et Alban se retrouva assis auprès de Claudine. Le courant passa rapidement entre eux.

L’après-midi fut consacré à différentes visites en ville. En fin de journée, Alban invita Claudine à dîner dans un restaurant réputé. Elle accepta !

 

Le repas fut soigné et Alban fut ébloui en écoutant Claudine parler de physique qui était sa spécialité. Elle lui apprit qu’elle faisait de la programmation quantique sur un des futurs ordinateurs quantiques en projet dans le monde. Alban, féru d’informatique traditionnelle et de programmation, lui posa de nombreuses questions. Entre eux, le courant passait, il ressentait une attirance de plus en plus vive et Claudine, si belle et sensuelle, ne semblait pas en retrait. Il chercha à la séduire en lui racontant son étude sur le système solaire et sa découverte d’Europe et Hidalgo, les dixième et onzième planètes, la douzième étant la planète X. Claudine se montra fort intéressée et posa de multiples questions.

 

Le temps s’écoulait, ils ne le voyaient pas passer. Tous les clients du restaurant étaient partis, le personnel attendait qu’ils sortent aussi, alors Claudine proposa d’aller chez elle, terminer la conversation et boire un verre. Alban n’attendait que cela car un désir profond le tenaillait. Claudine était divorcée et ne semblait pas avoir de nouveau compagnon !

 

Claudine était du signe du Taureau. Or la Femme-Taureau est séduisante par sa fraîcheur, sa santé et son appétit de vivre. C’est la super-femme sans complexe. Très charnelle, elle jouit voluptueusement de tout le cycle que lui apporte l’amour : la sexualité, l’enfantement, la bonne cuisine. Mais si elle est frustrée des plaisirs de la chair, son caractère peut en être affecté. Elle reporte alors l’amour du lit à l’amour de la table ou de l’argent.

 

En arrivant chez Claudine, après le restaurant, il faisait chaud et ils se mirent à l’aise, elle, en fin chemisier de lin qui laissait deviner des seins généreux, dont les tétons, en pointant, démontraient leur liberté de mouvement, sans entrave.

Claudine ouvrit une bouteille de champagne, et en buvant une coupe, elle lui dit qu’elle avait un excellent disque de danse et que, s’il était d’accord, il pourrait l’inviter à partager quelques slows. Quelle tentatrice !! Rien ne pouvait plus inspirer Alban !

Ils dansèrent serrés-collés, et Alban ressentait tout le corps de Claudine contre lui.

Il bandait et il était impossible qu’elle ne s’en rende pas compte.

Alors n’y tenant plus, il l’embrassa très longuement et elle lui rendit son baiser.

Il ouvrit son chemisier et goba des seins ronds magnifiques. Elle renversa sa tête en arrière et le laissa faire, entourant son crâne de ses deux mains en le pressant contre elle.

Alors, il l’emporta dans la chambre voisine…

 

Il la déshabilla intégralement et en fit de même pour lui ; puis il la renversa en travers du lit et la caressa très longuement tout au long d’elle. Enfin, il ouvrit sa fine toison triangulaire et s’enfonça en elle jusqu’à la garde. Elle eut un long frisson et ils partirent longuement dans un mouvement de va-et-vient d’une sensualité extrême. Il sembla à Alban qu’il n’avait jamais connu une telle ivresse. Le corps de Claudine lui appartenait, il était doux, chaud et sensuel.

Bientôt, il n’y tint plus et quand elle lui ordonna :

Donne ! il explosa en longues saccades dans ses flancs. Elle gémissait doucement !

 

Ils ne dormirent pas de la nuit et conjuguèrent aimer à tous les temps de la grammaire. Il démontra que l’Amour est un Art majeur car il mit toute son expérience à faire que Claudine se souvienne de lui. Dans la nuit, elle eut plusieurs orgasmes de plus en plus profonds et intenses. Au dernier, elle ne put se contenir et cria de jouissance !

Au petit matin, l’un et l’autre étaient épuisés mais immensément heureux.

 

Pour pouvoir aller à Grenoble régulièrement, Alban passa un contrat avec une société locale pour développer un programme informatique pour son service, ce qui lui permettait d’aller à Grenoble régulièrement et de faire un point sur l’avancement des travaux.

Au bout de deux ans, le programme étant terminé, il n’avait plus de raison d’aller à Grenoble.

 

Devant cette situation, il se résolut contre son propre souhait, à la solution extrême : mettre fin à leur liaison. La mort dans l’âme, il en informa Claudine. Il aurait voulu l’épouser, en divorçant, mais sa mère, à qui il avait posé la question, ne s’était pas montrée favorable.

Claudine s’accrocha et pleura abondamment. Il lui dit qu’ils resteraient en contact téléphonique et qu’ils pourraient se voir aux vacances, mais cela ne calma pas Claudine.

 

Alors, Alban repartit la mort dans l’âme et ressentit un immense goût d’inachevé !!

 

Ils se revirent encore quelques fois, épisodiquement, avant de rompre définitivement. Claudine ayant trouvé quelqu’un de plus présent et Alban venait de rencontrer Martine la Femme-Verseau !

 

 

 

 

 

02

Le blason du chevalier

 

 

 

Si Alban Dalbi avait vécu au temps des chevaliers et troubadours, il aurait dû faire le choix d’un blason et d’une devise. Son choix se serait porté sur deux symboles forts, touchant le Languedoc.

- Le premier concerne la croix du Languedoc ou croix de Toulouse.

- Le second concerne la fleur de lin et plus précisément une variété endémique au Languedoc, appelée lin de Narbonne.

 

Le blason d’Alban serait donc une croix du Languedoc entrelacée de fleurs de lin.

La forme du blason serait traditionnelle sauf que la partie supérieure horizontale recevrait un coup de marteau en son centre pour incurver la ligne droite, ce qui transformerait ainsi le blason habituel en une forme de cœur.

Il y aurait ajouté, une courbe de Gauss, un troubadour et un ballon de rugby.

Quant à la devise, elle se décomposerait en deux sentiments et une règle de conduite :

 

- L’HARMONIE EST UN TOUT.

- L’HARMONIE EST PARTOUT.

- L’AMOUR EST UN ART MAJEUR.

 

Pour les deux sentiments, ils caractérisent l’importance qu’Alban accorde au mot HARMONIE, pour lui le mot le plus important de la langue française.

L’Harmonie est vraiment ce qui définit le mieux ce beau pays de France, avec ses paysages variés, montagnes, mers, coteaux et vergers, ses monuments et ses châteaux. Mais aussi sa cuisine de terroir, son architecture, sa littérature, sa poésie, sa musique, ses arts si bien exprimés dans les musées, peintures, sculptures, vitraux. Mais encore ses danseuses-étoiles de l’Opéra de Paris, ses créateurs de mode et ses joailliers…

Dire qu’une chose est harmonieuse c’est dire qu’elle forme un tout d’équilibre et de beauté. Et ceci se retrouve un peu partout dans le pays de France.

Quant à la règle de conduite, elle se réfère à l’amour physique où l’homme doit jouer, à la hauteur d’une peinture d’Orsay ou d’un vitrail de Chartres, tout en caresses sensuelles, doigts inquisiteurs, baisers intimes, avant la recherche de la fusion charnelle et de l’orgasme de la partenaire, partie, si possible, pour le septième ciel !

 

Alban rêva de fabriquer un tel blason sur lequel un oiseau tenant une rose rouge dans son bec se serait posé, le prenant pour perchoir. La rose serait offerte à une jolie femme.

 

CROIX DU LANGUEDOC

 

Croix du Languedoc et fleur de lin sont pour Alban Dalbi, des symboles représentant une grande charge émotionnelle et éthique.

La croix du Languedoc a été créée vers 1200 par les comtes de Toulouse dont elle était l’emblème. Elle a pour interprétation la maîtrise de l’Univers dans l’espace et dans le temps.

Pour l’espace, la croix représente une roue solaire à 12 rayons, les boules, symbolisant les maisons du zodiaque. Depuis l’antiquité, l’Univers est découpé en 12 constellations, le zodiaque, reprises en astrologie.

Pour l’espace encore, les quatre branches caractérisent les points cardinaux et, semble-t-il, l’itinéraire des Wisigoths.

En ce qui concerne le temps, les quatre branches symbolisent les 4 saisons et les 12 boules les mois, 3 par saison.

Enfin, les cathares avaient adopté la croix du Languedoc cousue sur leurs vêtements.

Le catharisme ne doit pas être comparé à une secte, c’est une religion chrétienne plus pure que le catholicisme, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on appelait les cathares des « Parfaits » et leurs femmes des « Parfaites ». Les femmes aujourd’hui en Languedoc sont les descendantes de ces Parfaites.

 

LIN DE NARBONNE

 

Le lin de Narbonne est une variété endémique très cultivée au temps des Romains qui faisaient le commerce de sa fibre pour le textile. Étant très attaché à l’histoire antique, Alban était sensible au fait que cette fleur au bleu si pur, que l’on rencontre au printemps dans la garrigue, s’est reproduite courageusement, solitairement, pour apporter son témoignage historique.

À la renaissance, les peintres tels que Léonard de Vinci, Michel Ange ou Raphaêl, utilisaient ses graines pour en extraire l’huile nécessaire à la fluidité des couleurs de leurs prestigieux tableaux.

Il arrive fréquemment à Alban de s’asseoir près de cette fleur et de lui parler ! Il pense être un descendant des cathares. Sa grand-mère ne parlait que le patois occitan, la belle langue d’Oc. Voilà pourquoi, pour toutes ces raisons, la fleur de lin et la croix du Languedoc sont aussi des symboles « albanique ».

 

LE SENTIER AU LIN

 

Souvent sur le sentier, bravant la Tramontane,

Au ciel d’Occitanie, une mouette plane !

Floraison de printemps, cistes de la garrigue,

Riche de son histoire, la fleur de lin intrigue !

Je lui parle parfois, elle me conte à son tour,

Ce temps où les Romains la prenaient comme atours !

Mais il faut admirer son bleu si lumineux,

Qu’aima Dame Guiraude, hélas la proie des gueux !

 

En cheminant ainsi, mon esprit vagabonde,

Tantôt scientifique, tantôt pour une blonde

Dont je retiens en moi, les traits du fin visage !

Mais quand l’âge survient, il convient d’être sage !

Pourtant je rêve encore d’amitié qui se crée,

Que d’un lien ténu, naisse un jardin secret !

N’est pas qui veut Pétrarque, qui pour sa noble Dame,

Consuma tous ses jours à décliner sa flamme !

 

Que fugace est le temps, il passe en un instant !

Sans jeter le Passé, construisons le Présent !

 

Quand je ne viendrai plus au vent de Tramontane,

Près de toi, fleur de lin, il restera mon âme !

 

 

 

 

 

03

La Femme-Lion

 

 

 

Pour Alban Dalbi, une bonne relation avec une femme passe d’abord par l’intellect. Il lui faut trouver une harmonie intellectuelle ou émotionnelle pour pouvoir maintenir une communication cérébrale et de qualité, qui est son fondement. Et il semble que ce soit pour lui un préalable, afin que la communication atteigne son apogée dans la communion charnelle.

Est-ce à dire que la femme doit avoir fait de grandes études, être bardée de diplômes, maîtriser les sciences de l’Univers, et en plus être belle, pour établir une relation de qualité avec lui ?

NON ! NON ! et NON ! En aucun de ces domaines !

 

Ce qui compte pour Alban, c’est que la femme ait au moins un centre d’intérêt conforme au sien mais pas nécessairement en informatique, astrophysique ou contrôle de gestion, qui, après tout, ne sont que techniques de spécialistes.

Non, Alban aime tout ce qui touche à l’émotion, à la sensibilité profonde des êtres, leur EUX, et ne communique convenablement que si la femme peut, entre autres :

 

- Être touchée par la beauté grandiose d’un paysage de montagne ou de l’Océan…
- Se pencher sur une fleur de lin, et lui parler…
- Être sensible à la beauté d’un tableau de maître et rejeter tout ce qui est Art Moderne s’il n’y a pas d’émotion ressentie…
- Vibrer à la musique de Tchaikovski et être emportée par l’envol de l’Étoile de l’Opéra, dans Le Lac des Cygnes…
- Ressentir un frisson lorsque la clarinette module le son du concerto de Mozart.
- Vibrer au son du violoncelle de la partition de Schubert : Standchen…
- Rêver sur un coucher de soleil au Cap Sounion, ou ailleurs…
- Être sensible au trésor de Toutankhamon, non pas pour l’or affiché, mais pour ce que les objets sous-tendent de l’âme des pharaons…
- Éprouver une émotion devant une pierre inerte, simplement parce qu’elle a été touchée par un pharaon antique…
- Vibrer devant un vitrail de Chartres…
- Considérer que la poésie n’est pas un art dépassé…
- Prendre la main de son amant et avoir envie d’entrelacer ses doigts dans les siens au bruit assourdissant de l’émotion d’un instant…
- Avoir une délicatesse de comportement pour l’autre…
- Trouver que le mot HARMONIE est un des plus beaux mots de la langue française…

 

***

 

Évidemment, si en plus, la femme est attirante physiquement, on ne peut nier que ce soit un avantage, mais Alban a eu de bien meilleures relations avec un être physiquement moyen, mais ayant quelques-unes des caractéristiques précédentes, plutôt qu’avec une beauté insensible aux émotions.

 

Ce qui est rédhibitoire pour Alban, c’est la vulgarité de paroles ou de comportement, le gros rire sur le salace, la « littérature » type Catherine Machin, la clope collée aux lèvres lorsqu’on conduit, les fautes d’orthographe en cascades dans une correspondance, les abréviations dans un e-mail donnant l’impression qu’on accorde peu de temps à l’autre, l’habitude de féminiser les noms communs….

 

C’est la raison pour laquelle, Alban cherche l’assurance de certaines des qualités qu’il aime, avant de s’avancer en direction du sensuel et du charnel. Pour lui, le charnel est une construction d’harmonie.

 

Une fois, il avait mis la charrette avant les bœufs et s’était retrouvé, au matin avec une absolue étrangère, alors qu’il lui avait fait l’amour pendant la nuit.