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"Un cœur qui bat" retrace le parcours bouleversant de Caroline, une femme façonnée par les silences de l’enfance et un profond désir de devenir mère. Lorsque les confidences d’Astrid, une jeune étudiante confrontée à l’éventualité d’une grossesse, viennent éveiller en elle des souvenirs enfouis, le passé resurgit, chargé de blessures, d’espoirs tus et de décisions irrévocables. De Paris à Bruxelles, jusqu’aux rives discrètes de Bâle, les destinées se croisent aux travers des générations, portées par une écriture délicate qui interroge la mémoire, la filiation et l’amour sous toutes ses formes. Dans ce roman où chaque révélation résonne comme un battement de cœur, Caroline s’engage sur un chemin aussi intime qu’universel : celui de la résilience. Mais certaines vérités, longtemps dissimulées, pourraient bien tout faire basculer…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Scientifique de formation, Eva Stream a troqué la recherche pour la plume. Co-auteure de N’acceptez plus n’importe quoi dans votre assiette et J’accompagne mon enfant, mon ado, elle interroge depuis des années santé, éducation et transmission. Militante d’une parentalité éclairée et d’une parole féminine affranchie, elle dévoile aujourd’hui son premier roman, Un cœur qui bat.
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Seitenzahl: 437
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Eva Stream
Un cœur qui bat
Roman
© Lys Bleu Éditions – Eva Stream
ISBN : 979-10-422-8053-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La douleur n’est pas toujours dans les larmes, parfois elle est dans le sourire.
Rafaël
Pour toi, mon enfant, qui m’aura donné l’immense joie, de connaître le bonheur, d’être une maman.
Restez à l’écart des personnes négatives, elles auront toujours un problème pour chaque solution.
Albert Einstein
Si le cœur a ses raisons que la raison ignore, il en est dont les battements nous aident à interroger les territoires profonds de notre identité humaine, pour révéler les trajectoires complexes de notre existence. Savoir les interpréter dans les méandres des meurtrissures de nos vies, relève toujours d’un douloureux ressenti, dont les contours demeurent difficiles à cerner, impalpables, intemporels, car ils convoquent en nous nos antagonismes les plus sombres, ainsi que nos aspirations les plus lumineuses. Mettre en cohérence et en continuité les différents chapitres du livre de nos vies, dont le cœur s’ouvre et se referme sans cesse suppose une capacité à s’explorer de l’intérieur, à transcender notre intime pour le sublimer et renaître vers de nouveaux horizons. Transmettre pour donner corps et âme à une destinée, à l’image de ce qu’engendre la maternité, est au cœur de ce magnifique ouvrage, à la fois très touchant et percutant. C’est à ce voyage passionnant, fait de riches émotions, de silencieuses passions et d’une intense résilience que nous invite Un cœur qui bat sous la plume sensible et éclairante d’Eva Stream. Un voyage à cœur ouvert, dans les couloirs du temps où s’écrit la partition d’une histoire bouleversante et captivante, celle de Caroline, à travers les lieux singuliers d’un récit humain qui nous interpelle et nous montre la voie.
Serge Borg,
Professeur des universités et diplomate
Caroline s’est levée ce matin avec un léger vague à l’âme. Rien de bien violent, mais une sorte de blues, un voile de mélancolie qui semble peser sur ses épaules. Est-ce la saison qui veut cela ? Elle n’a jamais vraiment aimé le mois de novembre.
Aujourd’hui, à Paris, le ciel est bas, la lumière est tamisée par une épaisse couche de nuages et l’air humide s’infiltre partout. Le froid n’est pas encore mordant, mais il s’installe doucement, et Caroline a déjà sorti son manteau le plus chaud. Elle redoute ce moment où le changement d’horaire vous plonge subitement, au milieu de l’après–midi, dans une pénombre précoce.
Pour survivre à l’hiver, elle passe du temps, le plus possible, devant sa lampe de luminothérapie. Sans cela, elle le sait, c’est une descente inexorable vers la dépression saisonnière. Maintenant, son médecin lui donne régulièrement son ampoule de vitamine D. C’est mieux, ainsi. Mais une certaine fragilité subsiste. Le moindre événement, la plus petite remarque peut suffire à la faire vaciller. Elle est souvent sur la défensive sur ce qui peut se passer.
L’été, en revanche, a toujours été sa saison préférée. Plus particulièrement ces soirées, où l’on peut dîner dehors, les épaules nues, enveloppé dans une chaleur douce et réconfortante. L’été paraît plus doux, plus facile à vivre.
Cet après-midi, cependant, elle a rendez-vous au Café des Libertines, près de la Sorbonne. Elle doit y retrouver Astrid, la petite amie de son neveu Mickaël.
Caroline apprécie beaucoup Astrid. Chaque rencontre avec elle est un plaisir sincère. Elle aime l’enthousiasme pétillant de sa jeunesse, ce mélange unique de gravité et d’insouciance, oscillant entre la femme affirmée et l’enfant espiègle qu’elle est encore parfois. Astrid a de magnifiques cheveux blonds et longs, si semblables à ceux qu’avait Caroline à son âge. Et quelque part, en la regardant, elle est attendrie par cette légèreté, mais aussi par son assurance et son aplomb, complétés par un franc-parler. Cette jeune femme dévore la vie à pleines dents. Caroline ne se souvient pas avoir été aussi bien dans sa peau. La confiance en soi n’a jamais été son point fort.
Pourtant, aujourd’hui, quelque chose est différent. Alors qu’Astrid entre dans le café, ses épaules sont légèrement voûtées, son pas moins affirmé, et son regard semble éviter celui des autres. Caroline, réceptive aux moindres changements, perçoit immédiatement que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas la jeune femme assurée qu’elle connaît. Sans trop réfléchir, elle lui adresse un sourire chaleureux et l’invite à s’asseoir.
Astrid la remercie, d’un sourire qui semble figé, forcé, bien loin de son habituelle spontanéité. Caroline, fidèle à sa discrétion, fait comme si elle ne remarquait rien.
Mais Astrid la regarde, hésite, puis lâche soudain :
Caroline ne s’attendait pas à entendre une telle révélation. Décontenancée, elle cligne des yeux un instant, mais garde son calme. Avec sa sensibilité naturelle, elle choisit une approche rassurante, cherchant à alléger la tension.
Mais en elle, ses pensées s’emballent, se précipitent à une allure folle ! Astrid, enceinte ? Non, ce n’est pas possible. Elle et Mickaël ont certainement pris leurs précautions, c’est évident. Caroline ne pose pas la question et se contente d’une affirmation à mots couverts. Ce ne sont pas de jeunes collégiens à leur première expérience. Ce doit être une fausse alerte, un simple retard.
Et pourtant, une petite voix intérieure insiste, un accident peut toujours arriver. Elle pense immédiatement à son amie Claire, qui avait eu son quatrième enfant malgré son stérilet. Caroline n’arrive pas à y croire, ne veut pas y croire. Mais son corps, lui, réagit immédiatement. Une douleur brutale noue son plexus. Elle ressent comme un uppercut porté au niveau de son estomac. Sa respiration se bloque un instant. Elle essaie de garder tout son contrôle, et avec un effort immense, réussit à camoufler son trouble.
Elle prend une gorgée de café, mais il a subitement un goût acide, désagréable.
Heureusement, Astrid ne la regarde pas. La jeune femme fixe les yeux baissés sa tasse de chocolat chaud, jouant distraitement avec sa cuillère.
Caroline se force à reprendre contenance. Elle sait qu’elle doit rester réconfortante, trouver les mots justes.
Et si c’était vrai ? Astrid enceinte à 19 ans. Caroline sent son esprit s’emballer dans toutes les suppositions. Ce ne serait qu’une ultime répétition de son histoire familiale. Un bébé. Une vie qui choisirait de s’incarner chez cette jeune étudiante résonne comme un écho du passé.
Caroline se perd dans ses pensées. Si c’est le cas, Astrid va-t-elle vouloir garder cet enfant, ou choisir d’interrompre sa grossesse ? En 2024, les femmes ont le choix de leurs décisions. Mais ce choix, bien que libérateur, n’en reste pas moins lourd. Comment réagiraient ses parents s’ils l’apprenaient ? Va-t-elle seulement leur en parler ? Caroline imagine Astrid confrontée à cette situation, et son cœur se serre.
Quoi qu’il arrive, elle sait qu’elle sera là pour lui apporter son soutien. Tandis que ces réflexions se bousculent dans son esprit, une idée saugrenue surgit. Et si elle et Henry s’occupaient de ce bébé pendant que les jeunes parents terminaient leurs études. Cette pensée lui arrache un demi-sourire, malgré elle.
Au fond, Caroline sent qu’elle serait presque heureuse qu’Astrid attende un enfant. Peut-être est-ce par égoïsme, mais l’idée d’un bébé lui semble presque comme un baume. Un cadeau magnifique qui viendrait combler ses souffrances du passé, soigner ses propres failles. Elle imagine tenir ce petit-être, l’aimer, le protéger.
Ce sentiment est fugace, et à cet instant précis, Caroline sent une vague douloureuse monter en elle, implacable. Une blessure qu’elle croyait enfouie, cicatrisée, se rouvre brutalement. Comme un tsunami, des souvenirs enfouis depuis des années remontent à la surface. Elle pensait avoir fait la paix avec ce passé, mais il s’impose à elle avec une intensité qu’elle ne peut ignorer.
Après avoir quitté Caroline, Astrid marche d’un pas mesuré vers la pharmacie rue Soufflot. À l’intérieur, elle demande un test de grossesse. La pharmacienne, avec un sourire professionnel et une voix douce, lui conseille de réaliser le test au réveil, utilisant ses premières urines.
Astrid acquiesce, laissant ses pensées s’enrouler autour de cette information, et glisse le petit paquet dans son sac. De retour à l’air libre, le froid de novembre lui mord légèrement les joues. Elle poursuit son chemin, s’enfonçant dans les rues sinueuses jusqu’à la rue Galande. Là, au sixième étage d’un immeuble haussmannien, elle a déniché une chambre de bonne, après bien des recherches. C’est tout petit, mais cet endroit lui plaît énormément. C’est son petit cocon au calme.
Quand Caroline et Henry s’absentent pour des vacances ou un week-end, elle retrouve Mickaël dans leur domicile de la rue Monge. Elle adore cet appartement, plutôt spacieux, avec son mélange harmonieux de meubles anciens et contemporains qui forment des contrastes heureux et élégants. Aux murs, des œuvres d’art sélectionnées sur des coups de cœur ajoutent une touche personnelle. Rien de très précieux, mais Astrid perçoit à travers ces choix une sincérité et un amour pour les belles choses. Elle est particulièrement touchée par ce petit tableau représentant une fleur d’hibiscus rouge et jaune éclatant, signé Andréas P., dont les pétales semblent déborder de la toile. Cet appartement respire la sérénité, à l’image de Caroline.
Astrid sait qu’elle n’a pas été très claire avec Caroline. Elle affichait un petit air accablé, mais elle ne pouvait pas tout lui raconter. Elle apprécie énormément la tante de Mickaël, avec son côté très attentionné et toujours prête à vous aider. Caroline a cette rare qualité d’écoute qui invite à la confidence, mais, cette fois, Astrid s’est tenue sur la réserve. Peut-être plus tard, elle ressentira le besoin de lui en dire davantage.
Sans hésiter, Astrid avait acquiescé rapidement :
Astrid prenait la pilule depuis l’âge de 14 ans. C’est la gynécologue de sa mère qui avait proposé cette solution pour atténuer ses menstruations terriblement douloureuses. Une semaine avant leur début, Astrid se tordait de douleur au point de manquer un à deux jours de classe. Sa mère, convaincue par l’idée, lui avait acheté sa première boîte de pilules, trouvant en ce médicament une double utilité. Cela réglait non seulement les douleurs, mais apportait une certaine tranquillité d’esprit.
Grâce à cette contraception, ses règles étaient devenues moins douloureuses et l’avaient libérée du risque de grossesse. Elle avait pu vivre sa sexualité d’adolescente sans trop d’inquiétude. Souvent, elle était invitée à des soirées chez des copains ou copines de sa classe. Les parents, généralement absents, confiaient leur maison à leurs enfants, bien conscients que ce serait un peu le bazar, mais ne souhaitaient pas en savoir plus. Il fallait bien que jeunesse se fasse.
Les parents d’Astrid la laissaient volontiers sortir, d’autant plus qu’ils connaissaient les parents de la plupart de ses amis. Dans cette petite ville de province, les notables se fréquentaient tous entre eux, formant un cercle fermé, ce qui renforçait une confiance mutuelle.
Astrid, portée par ce vent de liberté, finissait facilement la nuit dans les bras d’un garçon. L’alcool aidant à délier ses inhibitions. Elle se sentait protégée, et profitait pleinement de ces instants d’abandon. Comme elle était très jolie, elle pouvait se permettre d’être assez volage. Il y eut pendant un an Gabriel, ensuite Maxime puis Grégoire. Elle était sortie un peu plus longtemps avec Alexandre. C’était le couple de la terminale. À 16 ans, la sexualité n’avait plus de secret pour elle.
L’alcool non plus. Lors des soirées, des copains apportaient des bouteilles d’alcool fort, comme de la vodka, qu’ils diluaient largement avec des jus de fruits. Ces mélanges se buvaient très facilement. C’était bon et l’euphorie douce et planante s’installait assez vite.
Au début de la soirée, la musique était assourdissante, mais elle baissait ensuite pour éviter les plaintes des voisins. Parfois, de petits joints circulaient, mais Astrid n’avait jamais voulu en fumer.
Contre la drogue, ses parents l’avaient bien mise en garde. Ils ne cessaient de lui parler de Clarisse, la fille de leurs amis qui avait beaucoup fumé de cannabis pendant son adolescence. Clarisse passait généralement toutes ses vacances d’été sur la Côte d’Azur, dans la magnifique villa de ses parents, à la Croix Valmer. Dès l’âge de 14 ans, avec sa cousine, elle pouvait aller autant qu’elle le souhaitait au Copacabana, une boîte de nuit au bord de la plage.
Chaque année, elle retrouvait une bande de copains et renouait avec l’ambiance grisante de ces nuits d’été qui ne finissaient qu’à l’aube. Clarisse adorait danser, se perdre dans les rythmes de la musique, s’oublier dans le mouvement. De temps en temps, elle allait se reposer sur la plage, en général accompagnée pour regarder la mer, l’horizon dessiné par la lune, boire et fumer jusqu’à s’étourdir, et se perdre dans les sensations voluptueuses de l’amour. Tout semblait s’articuler autour de l’alcool, de la drogue et du sexe.
Néanmoins, quelques années plus tard, après ses études, les effets des drogues ont commencé à se faire ressentir. Clarisse s’est révélée incapable d’exercer son métier de décoratrice d’intérieur. Atteinte de schizophrénie et de dépression, elle vivait toujours chez ses parents à 30 ans sous des traitements lourds.
Non, Astrid n’a jamais touché à la moindre drogue. Elle se contente de fumer une cigarette de temps en temps.
Le baccalauréat obtenu à 17 ans, puis la faculté de droit. Grâce à son excellent dossier, Astrid a intégré Paris 1 Panthéon-Sorbonne, classée parmi les universités internationales les plus prestigieuses. Pour elle, c’est comme entrer dans une autre vie. À Paris, avec son petit chez-soi, elle s’est sentie devenir une femme. Elle a enfin quitté l’univers provincial de son enfance et de son adolescence. Elle rêve de construire une vie qui lui appartienne, d’exercer un métier et devenir une femme libre et indépendante.
Astrid ne veut surtout pas reproduire le modèle de sa mère, gentille, mais sans envergure. Sa mère a passé sa vie au crochet de son mari et à occuper son temps avec des activités entre copines. Certes, elle a bien essayé de travailler. Elle a ouvert une boutique de bijoux fantaisie et d’objets de décoration. Mais après quelques années, elle l’a revendue, se plaignant sans cesse d’avoir trop de charges, des arrêts maladie et des grossesses à répétition de ses vendeuses.
Ce qu’Astrid détestait par-dessus tout, c’étaient les ventes d’artisanat local que sa mère organisait à la maison avant les fêtes de Noël. Les objets venaient principalement de ses amies qui se prenaient pour des artistes : figurines en pâte à sel, boules de Noël peintes à la main, écharpes et bonnets tricotés, cartes de vœux en collages… Toutes s’amusaient comme des petites filles à piailler et caqueter.
Il y avait aussi la vente des gâteaux, où chacune partageait sa recette :
— Ta galette est si délicieuse ! Quelle merveille ton cake aux noix !
Astrid se forçait à saluer ces femmes avec politesse, avant de s’enfuir pour se réfugier dans sa chambre, loin de ce qu’elle considérait comme un véritable poulailler.
Son ambition est de devenir commissaire-priseur et pourquoi pas de travailler ensuite à Londres ou à New York. Pour cela, elle sait qu’elle doit effectuer au moins cinq ans d’études afin d’obtenir un double diplôme de droit et d’histoire de l’art. Un parcours exigeant, mais c’est vraiment le métier qu’elle veut exercer.
Astrid consacre une grande partie de son temps libre à arpenter les galeries du Louvre, du musée des Arts décoratifs, et du musée d’Orsay. Paris est pour elle une source inépuisable qui nourrit sa passion. Elle envisage d’ailleurs de s’inscrire, dès la prochaine rentrée, aux cours du soir d’histoire de l’art proposés au Louvre.
Récemment, elle a regardé en replay avec Mickaël le film The best Offer réalisé par Giuseppe Tornatore. Ce thriller sentimental, ancré dans le monde de l’art, l’a particulièrement marquée. Elle avait adoré la tension d’une vente aux enchères, mais aussi les scènes qui capturent l’excitation lors d’une découverte artistique ; une émotion qu’elle ressent également lorsqu’elle se tient devant certaines œuvres.
Tout en marchant, elle pense à Mickaël, son Mickaël. Il est si doux, si différent de tous les garçons qu’elle a pu rencontrer avant. Actuellement, il vit chez sa tante Caroline, ayant choisi de faire ses études à Paris. Sa mère, la jeune sœur d’Henry, s’est installée à Tokyo avec son mari Takumi, avec qui elle a eu cinq enfants. Mickaël est le petit dernier de la fratrie.
À 22 ans, il lui paraît incroyablement mature, posé et adulte pour son âge. Il a ce don de la rassurer et de l’encourager dans ses projets. Il dégage quelque chose d’un autre temps, presque chevaleresque, avec un côté « amour courtois » complètement décalé par rapport aux garçons d’aujourd’hui.
À l’heure des rencontres orchestrées par les réseaux sociaux, leur histoire est née du plus grand des hasards, et cette simplicité la touche profondément.
Lors de sa première année de fac, Astrid était partie à la recherche d’un livre chez Gibert Jeune, Boulevard Saint-Michel, pour un cours de littérature. Cette immense librairie, répartie sur cinq étages, regorge de trésors : romans, mangas, bandes dessinées, mais aussi des livres anciens. Elle y cherchait précisément un exemplaire de la Pléiade de Chrétien de Troyes, le poète français, considéré comme le fondateur de la littérature arthurienne.
Après un long moment à fouiller dans les rayonnages, elle finit par dénicher un ouvrage singulier : une édition bilingue. Sur la page de gauche, le texte était en vieux français, et sur celle de droite traduit en français moderne. Pour elle, c’était une véritable découverte. Ce livre lui offrait l’occasion de plonger avec délice dans les histoires du roi Arthur, de Lancelot et de Perceval tout en explorant l’évolution de la langue et de l’écriture.
Le vieux français lui semblait à la fois familier et énigmatique, presque comme une langue étrangère dont on devinerait le sens par bribes. Cette trouvaille la ravit d’autant plus qu’elle avait proposé à sa professeure de préparer une présentation sur Chrétien de Troyes, ce grand auteur du Moyen Âge.
Astrid se remémore qu’en sortant en trombe du magasin pour rentrer chez elle, son précieux trésor à la main, elle avait marché sur quelque chose de mou. Un hurlement strident l’avait immédiatement sortie de ses pensées. Elle venait d’écraser légèrement la patte d’une petite chienne qui se promenait par là. L’animal, manifestement très sensible, exprimait sa douleur avec une énergie qui fit naître un vif sentiment de culpabilité chez Astrid.
Sans attendre, elle s’était penchée sur la petite chienne pour la caresser et la consoler. Très rapidement, ses gestes apaisants furent récompensés par de grands coups de langue sur ses mains, avant de lui offrir une léchouille inattendue en plein visage. Astrid, d’abord surprise, avait éclaté de rire.
En se redressant, elle avait alors découvert, au bout de la laisse, un jeune homme, légèrement typé asiatique, qui la regardait avec un sourire plein de douceur.
Embarrassée, Astrid s’était empressée de lui présenter ses excuses et, pour dissiper sa gêne, avait demandé le nom de la petite chienne.
Astrid s’était à nouveau penchée pour prodiguer quelques caresses à Maya, qui la faisait littéralement craquer. Avec ses grands yeux expressifs, ses longues oreilles blanches et brunes et son joli petit corps tout gracile, elle ressemblait à s’y méprendre à Belle, dans le dessin animé La Belle et le Clochard.
Alors qu’elle s’apprêtait à les laisser, Mickaël, contre toute attente s’était présenté à elle en lui tendant une main. Ce geste, probablement lié à sa culture en partie anglo-saxonne, où les gens engagent facilement la conversation en commençant par se présenter, avait surpris Astrid. Elle s’était sentie obligée de décliner à son tour son identité.
Un court silence s’était installé entre eux, bientôt brisé par les aboiements soudains de Maya. La petite chienne, manifestement impatiente, tirait vigoureusement sur sa laisse pour poursuivre sa promenade.
Puis, il était parti, entraîné par Maya, la petite chienne trottant joyeusement devant lui. Astrid était restée immobile sur le trottoir, un peu interloquée. Mais très vite, une impulsion l’avait poussée à le rattraper pour faire quelques pas à côté de lui. Elle ne pouvait pas laisser cette rencontre s’évanouir aussi facilement. Sans trop réfléchir, elle avait griffonné rapidement un numéro, sur le carnet qu’elle gardait toujours dans son sac.
Astrid, le cœur battant, s’était dit que c’était son jour de chance. Non seulement elle trouve le livre rare qu’elle cherchait depuis des semaines, mais elle rencontre aussi un jeune homme qui ne la laisse pas indifférente.
Ils se sont revus peu de temps après. Lors de leurs premières rencontres, Maya était bien sûr présente, fidèle compagne de promenade. Ils avaient pris l’habitude de se retrouver devant la librairie Gibert Jeune, comme si ce lieu marquait le point de départ d’une histoire à écrire ensemble.
Quant à Caroline, elle était ravie que Mickaël montre autant d’enthousiasme à promener sa petite chienne.
Astrid repense à ces instants avec émotion en arrivant dans son studio niché sous les toits. Elle ouvre la fenêtre et admire le clocher de l’église St-Julien-Le-Pauvre. En se penchant légèrement sur le côté, elle entrevoit les tours imposantes de Notre-Dame. Déposant son sac, elle s’allonge, fatiguée, sur le lit.
Le test de grossesse est toujours dans son emballage, posé là, comme une présence discrète, mais pesante. En sortant la boîte, une réflexion lui vient à l’esprit. Dans les publicités, qu’elles soient dans des magazines ou à la télévision, les femmes découvrant un test positif rayonnent toujours d’une immense joie. Elles sont souvent entourées d’amies qui exultent de gaieté avec elles, comme si cette nouvelle était universellement heureuse. Pourtant, en réalité, bien des femmes sont soulagées quand le test est négatif. Et d’autres, désespérées quand il est positif.
Peu après son arrivée à Paris, Astrid avait décidé d’arrêter de prendre la pilule. Ses études étaient devenues sa priorité, bien plus qu’un petit copain. Une décision que sa mère n’aurait certainement pas comprise. Elle fait partie de la « génération pilule », celle qui a connu la légalisation en France en 1967 et célébré la grande libération des femmes, pouvant enfin vivre leur vie sexuelle sans la peur d’une grossesse. Sa mère d’ailleurs n’a eu qu’un seul enfant, Astrid. Un choix assumé, fait après la trentaine.
Mais Astrid supportait de moins en moins cette contraception. Elle souffrait de migraines lancinantes, et surtout avait l’impression de prendre du poids. Elle se souvenait d’un article lu dans un magazine féminin qui relatait que de plus en plus de femmes choisissent d’abandonner la pilule. L’article mentionnait les risques : des caillots sanguins pouvant entraîner une embolie pulmonaire ou un accident vasculaire cérébral. Une autre étude évoquait un risque accru de cancer du sein pour les femmes sous contraception orale. Ces informations la troublaient, d’autant plus que sa mère venait de perdre une de ses amies d’un cancer du sein.
L’article, pour couronner le tout, relatait l’histoire glaçante d’une jeune étudiante victime d’une embolie pulmonaire. Le médecin d’Astrid, quant à lui, lui avait formellement déconseillé l’association du tabac et de la pilule, et lui avait prescrit toute une série d’examens biologiques. Mais Astrid, sous le stress de ses études, avait fortement augmenté sa consommation de cigarettes.
Elle ne pensait pas rencontrer Mickaël.
Pour son grand bonheur, Mickaël avec son côté chevaleresque et très respectueux ne lui met jamais aucune pression. Il attend simplement, sans insistance. Un comportement qui tranche avec les adolescents affamés qu’elle a connus. Ensemble, ils font preuve de prudence, et ont recours à la bonne vieille capote anglaise.
Mais il y a eu cette fois…
Caroline a toujours désiré un enfant, sans vraiment savoir pourquoi. Très jeune déjà, elle prenait plaisir à s’occuper des plus petits qu’elle. Parfois, elle avait même l’impression que c’était son rôle, qu’elle était faite pour ça. Être mère, pensait-elle, donnerait un sens à sa vie. Comme on le dit parfois, c’était inscrit dans son ADN. Mais au fond d’elle, ce désir semblait répondre à un besoin plus profond. C’était comme combler l’impression de ne pas se suffire, de manquer d’importance en tant que personne.
Pourtant, adolescente, l’idée de tomber enceinte la terrifiait. Elle savait qu’une telle nouvelle provoquerait la colère de ses parents. La sanction serait alors sans appel : d’abord la porte… ensuite la rue. Ils n’avaient laissé aucune place au doute à ce sujet, alors qu’elle n’avait même pas l’âge d’avoir le moindre petit copain. Elle se demandait souvent ce qu’elle faisait dans cette famille. Avec ses cheveux blonds et son teint clair, elle ne leur ressemblait pas du tout. L’idée, saugrenue, d’un échange de bébés à la maternité, lui avait même traversé l’esprit.
Un souvenir lui revient en mémoire. Elle n’avait que neuf ans, dans une résidence de vacances. Avec des enfants de son âge, elle jouait à se cacher, à se poursuivre, à se saisir. Un garçon l’avait attrapée et la tenait dans ses bras. Tous deux riaient aux éclats, insouciants, pris dans la joie légère du moment. Mais son père les avait surpris. D’un regard dur, il s’était approché et l’avait arrachée du jeu. Caroline se souvient de cette scène comme d’une bulle d’innocence éclatée trop tôt. Sans un mot, il l’avait entraîné à l’écart et lui avait ordonné de rester enfermée dans sa chambre. Pas d’explication, pas de discussion. Juste une action brutale et incompréhensible. Pendant trois jours, Caroline fut privée de sortie, confinée dans l’appartement de vacances.
Faute d’explication, elle se tortura l’esprit, essayant de comprendre ce qu’elle avait fait de mal. Mais aucune réponse venait, si ce n’est ce sentiment accablant d’avoir toujours été coupable, même sans avoir commis la moindre faute. Une suspicion constante planait sur elle, comme une ombre. Coupable par anticipation !
Avec le temps, elle comprend que cette culpabilité n’était pas vraiment la sienne. C’était le poids d’une autre faute, celle de sa mère, enceinte d’elle à 15 ans. Caroline, elle, devait payer pour cela. Elle portait sur ses épaules un poids hérité d’autrui, les conséquences d’actes qui n’étaient pas les siens.
Par la suite, pour préserver sa sécurité et sa tranquillité, Caroline s’est tenue éloignée de toute relation amoureuse. Elle se contentait d’amours secrets et platoniques, gravant les prénoms des élus de son cœur dans un recoin caché de son bureau. Aux yeux des autres, elle passait pour une fille timide, un peu réservée, voire timorée.
Au lycée, son attitude discrète alimentait les rumeurs. Certains élèves, intrigués par son silence, avaient échafaudé l’idée qu’elle entretienne une relation secrète avec un homme bien plus âgé qu’elle. Elle n’avait pas cherché à démentir. Laisser planer le doute lui assurait un peu de paix. Mais personne ne pouvait imaginer les verrous qu’elle avait installés en elle, ni les murs invisibles qu’elle avait érigés pour se protéger.
Même plus tard, lorsqu’elle est devenue étudiante, Caroline est restée sur ses gardes. Le jour de ses 18 ans, sa mère lui a annoncé froidement que désormais, rien ne l’obligeait à subvenir à ses besoins. Financer ses études était un plus au contrat, « un pacte tacite » qui pouvait être brisé au moindre faux pas. Un seul écart, et les ressources familiales seraient coupées.
Caroline s’inscrivit à la faculté de droit et loua, pour une somme modique, une chambre chez une dame d’origine bretonne, Mme Le Guen. Cette femme, agréable et bienveillante, vivait à quelques stations de métro de l’université. Sa mère, toutefois, imposait à Caroline de rentrer chaque week-end, dans leur petite commune près d’Orléans. Une petite bourgade sans charme, nommée La Chapelle-Saint-Mesmin, traversée par une départementale monotone.
Ces retours hebdomadaires n’étaient pas sans raison. Ses parents comptaient sur elle pour s’occuper de sa petite sœur, née 9 ans après elle. Une présence providentielle pour eux, qui n’hésitaient pas à partir des week-end entiers en lui confiant la responsabilité de cette petite fille.
À la fac, Caroline restait fidèle à sa discrétion naturelle. Elle ne participait pas aux soirées d’étudiants et préférait se concentrer sur ses cours. Une bosseuse, timide, mais très jolie, dont la présence passait souvent inaperçue. Un profil effacé dans un monde où tout semblait crier pour exister.
En deuxième année de fac, un jour de grève, le 2 mars, Caroline se heurta à un amphithéâtre bloqué par des étudiants en pleine agitation. Peu encline à se mêler aux discussions et aux revendications, elle préféra rentrer étudier tranquillement dans sa chambre. En repartant, elle croisa Henry, seul, sur le chemin.
En la voyant, il s’arrêta et lui demanda des nouvelles de la grève : est-ce que leur cours avait été maintenu ou annulé ? C’était la première fois qu’ils avaient l’occasion de se parler, seuls, sans être entourés par d’autres étudiants. Caroline lui répondit que le cours était reporté. Henry, sans hésiter, lui proposa d’aller boire un café à la brasserie d’en face.
Surprise, elle s’apprêtait à décliner. Mais contre toute attente, une petite voix intérieure lui souffla : pourquoi pas ? Elle se sentait un peu gênée qu’un garçon comme Henry, si sollicité, puisse vouloir passer du temps avec elle, ou même perdre son temps. Après tout, il était connu pour être un étudiant brillant, plutôt séduisant et les filles tournaient autour de lui comme des mouches.
Mais, en buvant son café, Caroline se rendit vite compte qu’elle ne s’ennuyait pas à discuter avec lui. Au départ, elle avait craint de se retrouver face à quelqu’un de méprisant et légèrement prétentieux. Pourtant Henry s’avéra curieux, sincèrement intrigué par cette fille discrète et mystérieuse qu’il semblait enfin découvrir. C’était l’occasion parfaite.
Et sans vraiment s’y attendre, Caroline se surprit à parler d’elle, un peu plus qu’elle n’en avait l’habitude. Elle n’avait pas le choix, Henry posait des questions, véritablement attentif. Peu à peu, elle se dévoila et ils découvrirent avec amusement qu’ils avaient passé la plupart de leurs vacances d’été dans le même village en Bretagne, près de Concarneau, la Forêt-Fouesnant. Par un hasard incroyable, ils logeaient à quelques rues l’un de l’autre et fréquentaient la même plage, celle de Kerléven.
Ils auraient pu s’y croiser des dizaines de fois. Quelle coïncidence ! Mais comment cela aurait-il pu arriver ? Caroline n’allait jamais avec les jeunes de son âge. Elle avait pris goût à ses promenades solitaires, ou passait son temps à s’occuper de sa petite sœur.
Puis Henry commença à la faire rire, avec des boutades faciles sur les enseignants, puis d’autres plaisanteries plus subtiles. Il avait ce talent rare de mettre les gens à l’aise. Très vite, ils découvrirent qu’ils partageaient une même fascination pour la mer, les dauphins, le monde marin. Enfants, ils avaient rêvé de tours du monde, laissant leur regard flotter des heures au-delà de l’horizon. Ils regardaient les voiliers passer au large dans le golfe de Gascogne et faisaient le même vœu, d’être un jour sur ces bateaux. Henry n’avait rien du garçon superficiel, qu’elle avait cru au départ.
Caroline passa un moment délicieux, un de ceux qui restent gravés. Quand ils se quittèrent, c’était avec la promesse de se revoir très vite. Et « très vite », fut le lendemain même. Puis le surlendemain encore. Bientôt, ils ne se quittaient plus. Pourtant, ils prenaient soin de se voir en toute discrétion, comme s’ils avaient envie de protéger quelque chose d’encore fragile, ou simplement eux.
Caroline parvint à cacher sa relation avec Henry à ses parents pendant une année entière. Le plus difficile pour elle était de ne pas pouvoir le voir pendant les week-ends et les vacances. Elle ne supportait plus cette atmosphère familiale pesante, entre le côté autoritaire de sa mère et l’indifférence complice de son père. Heureusement, elle trouvait un peu de réconfort dans l’amour sincère qu’elle partageait avec sa petite sœur.
Mais un jour, tout bascula. En fouillant dans ses affaires, sa mère découvrit le petit carnet intime où Caroline aimait écrire ses réflexions, ses émotions et les moments les plus intenses de sa vie. Peut-être que son air joyeux, souvent rêveur, lui avait mis la puce à l’oreille. Elle flottait dans une bulle de bonheur, impossible à dissimuler.
Sa mère découvrit, avec rage, l’amour de Caroline pour Henry. Un « conseil familial » fut rapidement organisé, et Caroline se trouva convoquée face à ses parents, comme devant un tribunal. Avec une froideur tranchante, sa mère prononça, sans plus de procès, la sentence sans appel :
Ces mots tombèrent comme un couperet. Sa mère lui tendit alors, sans plus d’explications, le contrat de location de sa chambre à Paris, tout en répétant :
Le dimanche soir, Caroline repartit avec quelques affaires. Avant de quitter la maison, elle embrassa longuement sa petite sœur, qui ne comprenait absolument rien à ce qui venait de se passer. C’était un point de non-retour.
Caroline se retrouvait seule, sans ressources, mais étrangement, elle ressentait une forme de soulagement, une sensation inattendue de liberté. Pourtant, elle en a voulu à sa mère pendant longtemps. Cette violence, ce manque d’amour, ce rejet… elle les a vécus comme une profonde injustice.
Mais aujourd’hui, avec le recul et le temps, Caroline voit les choses autrement. Elle réalise que ce moment, aussi brutal fût-il, a peut-être été le plus beau cadeau que sa mère lui ait fait. Lui rendre sa liberté !
Ce qui allait lui manquer le plus, c’était sa petite sœur. Caroline se demandait si, plus tard, elle lui en voudrait. Est-ce qu’elle vivrait ce départ comme un abandon, elle qui voyait en Caroline une deuxième maman ? Ces pensées la hantaient tandis qu’elle était assise dans le train qui la ramenait à Paris. Mais une autre angoisse, plus immédiate, se faisait sentir. Comment allait-elle subvenir à ses besoins ? Heureusement, son hébergement n’était pas trop cher… pour le moment.
Mais, comme souvent dans la vie, les difficultés s’enchaînent. Dès son arrivée, Mme Le Guen lui annonçait qu’elle allait reprendre sa chambre à la fin du trimestre. Sa petite-fille venait suivre une école d’esthéticienne à Paris, et bien sûr elle viendrait loger chez elle. La nouvelle frappa Caroline de plein fouet. Un immense sentiment de solitude s’abattit sur elle, la laissant désemparée.
À 22 ans, allait-elle être obligée d’arrêter ses études, chercher un travail, un logement ? Mais que pouvait-elle faire avec seulement deux années de droit, elle n’avait même pas terminé sa troisième année. Ce qui jusque-là avait été des rêves et des projets devenait soudain une lutte pour la survie.
Henry est invité par un client à une soirée événementielle au Château de Vaux-LeVicomte, organisée pour le lancement du dernier parfum Homme d’Yves Saint-Clément. La soirée promet d’être somptueuse. Les grands moyens ont été déployés pour séduire la presse, les célébrités, ainsi que les acteurs influents du monde du parfum et de la cosmétique.
Henry arrive accompagné de Caroline. Il a également proposé à Astrid et Mickaël de se joindre à eux, désireux de leur faire découvrir un univers bien différent de celui de leurs études. Maya, leur chienne, est restée dans l’appartement, non sans avoir manifesté son mécontentement, en aboyant fort.
En cette belle soirée d’octobre, encore très douce pour ce début d’automne, les invités commencent à arriver, parés de leurs plus belles tenues. Les invitations, imprimées sur un délicat papier de lin imprégné du parfum, avaient donné un avant-goût olfactif de l’évènement. À l’entrée, de luxueuses voitures défilent sous les regards admiratifs des hôtes et des organisateurs.
Dans le jardin à la française baigné d’une lumière tamisée, la musique d’ambiance subtile et raffinée s’élève tout doucement dans l’air. La soirée prend vie, mêlant discussions animées, éclats de rire discrets et tintements de verres. Henry, rapidement sollicité, s’immerge dans les échanges avec les organisateurs, discutant avec aisance des détails de la réception.
Caroline, de son côté, a retrouvé une amie. Toutes deux, une coupe de champagne à la main, échangent des nouvelles récentes, ponctuées de rires et de légers murmures. En apercevant Mickaël et Astrid de l’autre côté de la terrasse, Caroline leur fait signe de les rejoindre. Elle souhaite les présenter à son amie.
La conversation, bien que légère et joyeuse, n’en demeure pas moins empreinte de banalité. Astrid, pourtant, s’éloigne discrètement. Elle laisse vagabonder ses pensées en observant Mickaël. Ce dernier enlace tendrement sa tante par la taille dans un geste très affectueux. Astrid ne peut s’empêcher de sourire. Elle sait que tous les deux s’adorent. Pour Caroline, Mickaël est un peu l’enfant qu’elle n’a jamais eu. Entre eux existe un lien unique, profond et indéfinissable.
Mickaël, quant à lui, se sent bien à Paris, loin de Tokyo. Ce changement d’air lui apporte un renouveau dont il avait besoin. Il sait qu’avec Caroline et Henry, il est entre de bonnes mains, entouré de chaleur et de bienveillance.
Astrid, poursuivant son exploration, déambule parmi les invités. L’atmosphère est vibrante, saturée d’animation et d’échanges. Ici et là, des visages familiers attirent son regard. Il lui semble reconnaître des journalistes, des influenceurs et des mannequins, qu’elle a pu voir dans des magazines ou sur des écrans. Tout respire le luxe et la fête. Les discussions fusent, rythmées par le cliquetis des verres, tandis qu’au bar, le champagne coule à flots. Astrid s’arrête un instant, contemplant le spectacle de cette soirée où tout semble briller. Il règne une magie étrange dans ces moments, comme si tout était suspendu, éclatant et éphémère à la fois.
Elle remarque une station expérimentale, où les invités peuvent découvrir les différentes notes du parfum. Intriguée, elle se plonge dans cette expérience sensorielle et trouve fascinante l’association méticuleuse des essences et des fragrances sélectionnées avec soin pour composer un tout nouveau parfum. Elle réalise que le « nez » créateur du parfum, n’est pas seulement un chimiste d’exception, mais aussi un véritable artiste.
La responsable de la station lui explique les subtilités de la pyramide olfactive.
— Les notes de tête, lui dit-elle, constituent la partie la plus volatile et éphémère des fragrances. Puis viennent les notes de cœur et enfin les notes de fond, les plus persistantes, qui s’évaporent lentement et prolongent l’empreinte du sillage.
Le parfum présenté ce soir mêle des accords d’armoise et de coriandre en notes de tête, suivis par des touches de géranium et d’œillet en notes de cœur. Enfin, les notes de fond dévoilent des accords boisés et profonds de mousse de chêne et vétiver. Quelques autres ingrédients restent confidentiels, préservant une part de mystère.
Sa curiosité satisfaite, Astrid quitte la station et continue à marcher tranquillement parmi les convives. Malgré l’effervescence et le raffinement de la soirée, elle ne se sent pas forcément à l’aise. L’atmosphère, bien qu’envoûtante, lui semble étrange et un peu oppressante.
Se souvient-elle que le château de Vaux-le-Vicomte date du XVIIe siècle, construit par Nicolas Fouquet, le surintendant des finances de Louis XIV ? Ce château, associant à la fois beauté et équilibre, a inspiré la conception de celui de Versailles.
Peut-être a-t-elle laissé échapper ses pensées à voix haute, car un homme à ses côtés, probablement un historien, lui répond aussitôt :
Pensant que ces informations intéressaient Astrid, l’homme continue, prenant un ton professoral :
Astrid, bien que passionnée d’histoire, ne se sent pas d’humeur à approfondir la leçon. Elle remercie poliment son interlocuteur pour ces précisions intéressantes, puis s’éloigne discrètement, cherchant un prétexte pour mettre un terme à cet échange.
C’est alors qu’un bruit inhabituel attire son attention. Une voiture fait son entrée bruyamment dans le domaine, contrastant avec l’élégance feutrée de la soirée.
La Star arrive dans un beau coupé Porsche au moteur vrombissant attirant tous les regards. Astrid pense avec amusement qu’à cette occasion, la Tesla électrique n’a pas encore détrôné la symbolique de la Porsche. Le ronflement du moteur semble encore associé à une certaine image de la virilité. Elle se demande si les organisateurs ont, pour cette soirée, oublié toute notion d’écoresponsabilité. Elle garde cette réflexion pour plus tard, décidée à en parler avec Henry.
L’homme, pourtant, capte son attention. C’est lui qui portera le parfum sur tous les supports de communication : articles de presse, films, vidéos, affiches jusqu’aux arrêts de bus. Elle ne sait pas qui il est. Il est vrai qu’elle est plutôt branchée histoire et œuvres d’art que people. Des applaudissements fusent à son arrivée. De nombreuses personnes se pressent autour de lui. Elle lui trouve un air juvénile, mais son charisme est indéniable. Pas très grand, de beaux cheveux bruns assez longs, l’allure décontractée, très élégant dans son costume blanc cassé. Mais c’est surtout son sourire, irrésistible, qui illumine tout autour de lui.
— Pas mal, pense-t-elle curieuse.
Elle n’ose pas demander de qui il s’agit au couple à côté d’elle, elle attendra de retrouver Mickaël pour savoir. Elle a juste capté le prénom de Timothée.
La fête peut officiellement commencer. Des discours inspirants, des projections de films soigneusement orchestrées, tout s’enchaîne avec une fluidité parfaite. La mise en scène, presque théâtrale, raconte l’histoire de la création du parfum, en dévoilant ses inspirations et ses ambitions. Astrid aperçoit Henry, qui commence enfin à se détendre après un début de soirée riche en échanges.
Mickaël la rejoint. Elle se blottit contre lui et savoure ce moment, se réjouissant d’être dans ce lieu somptueux, baigné par la lueur magique de deux mille bougies. Il lui prend doucement la main, et ensemble, ils se dirigent vers un magnifique buffet, préparé par le prestigieux traiteur parisien, 6E SENS. Chaque plat semble être une œuvre d’art, certains s’inspirant des notes du parfum. Ici, l’expérience olfactive est complétée par l’expérience gustative.
Ils picorent avec curiosité, goûtant à des associations inattendues tout en discutant avec d’autres invités. Mickaël, à l’aise et souriant, semble évoluer dans cette ambiance avec une aisance naturelle, presque comme s’il était chez lui. Astrid, plus réservée, observe avec amusement sa capacité à se mêler aux conversations et à charmer tout le monde.
Une fois leur faim apaisée, Mickaël se tourne vers elle avec un sourire complice.
— Et si on s’éloignait un peu ? J’aimerais découvrir ce lieu magique, juste toi et moi.
Mickaël prend la main d’Astrid et l’entraîne à travers une grande pièce, puis grimpe un escalier somptueux qui les mène au dôme du château. À la lueur vacillante des bougies, les œuvres d’art, les tableaux et les statues se dévoilent dans une ambiance empreinte de mystère et d’élégance. Astrid, très sensible à l’esthétique et à cette mise en valeur, est subjuguée.
La nuit n’est pas encore complètement tombée, mais en haut, depuis le lanternon qui surplombe le dôme, point culminant du château, à 25 mètres de hauteur, ils découvrent une vue panoramique à couper le souffle. Les jardins à la française, baignant dans une lumière dorée, s’étendent à perte de vue. Mickaël mentionne que ce dôme peut être privatisé pour des dîners romantiques. Astrid sourit, touchée par cette attention.
Ils vivent un moment de bonheur intense. Ils s’enlacent tendrement, avant de s’embrasser avec toute la passion et la douceur de jeunes amoureux. Un instant suspendu hors du temps.
Main dans la main, ils redescendent vers les jardins, traversant à nouveau les pièces principales où la fête bat son plein. La musique baroque raffinée se mêle aux rires qui fusent çà et là et aux bavardages enjoués, amplifiés par le champagne et les grands crus servis à profusion.
De nouveau dans le calme des jardins, les deux tourtereaux flânent à travers un cadre féerique, 33 hectares illuminés par la lueur délicate des bougies. La nuit s’installe doucement et soudain, les jets d’eau jaillissent dans les fontaines, scintillant sous les étoiles. Un rêve éveillé !
Tous deux marchent jusqu’à s’éloigner complètement des autres invités. Astrid propose à Mickaël de s’asseoir sur un banc, à l’abri du tumulte pour respirer et savourer cet instant suspendu. Le lieu, baigné par la lueur des bougies, et le murmure lointain de la fête, semble chargé de magie.
Mais le désir qui les avait déjà envahis sur le dôme refait surface encore plus puissant, plus brûlant. Astrid, emportée par une onde irrépressible, entraîne Mickaël derrière un immense châtaignier. Là, elle le plaque contre le tronc rugueux et se jette contre lui, ses lèvres cherchant les siennes avec une passion vorace.
Mickaël lui rend son baiser avec la même intensité, ses bras enserrant sa taille pour la rapprocher davantage. Un feu violent, incontrôlable s’est emparé d’eux. Là, debout, dans l’instant, ils se laissent totalement emporter par cette envie dévorante.
Mickaël marque un moment d’hésitation.
En vérité, elle n’en sait rien. Depuis qu’elle a arrêté la pilule, ses cycles sont devenus imprévisibles, loin de la régularité qu’elle connaissait. Mais dans cet instant, emportée par le paroxysme du désir, elle a complètement oublié toute notion de prudence. Le moment présent éclipse toute réflexion. Désormais, plus rien ne peut les arrêter, rien ne peut contenir cette impulsion d’amour, sauvage et sans limite.
Ils s’embrassent avec une telle fougue qu’ils en perdent leur souffle. Les caresses s’intensifient, les mains glissant sur et sous leurs vêtements. La petite robe noire de soirée n’oppose pas grande résistance. Débordé par son envie, Mickaël soulève Astrid dans ses bras, elle lui semble d’une légèreté envoûtante, presque irréelle.
Astrid enserre immédiatement ses jambes autour de sa taille. Leurs corps se cherchent, s’imbriquent, leurs baisers deviennent plus voraces. Ils se découvrent, se dévorent, se lèchent comme deux animaux guidés par un instinct primitif et irrésistible.
Cédant à l’insistance brûlante d’Astrid, Mickaël se perd en elle, incapable de résister à cet appel délicieux. Elle l’enserre fortement entre ses cuisses, puis laisse son corps partir en arrière, dans un voluptueux abandon. Toute notion du temps s’efface, engloutie par l’intensité de leur étreinte. Le monde autour d’eux disparaît, réduit au simple contact de leurs deux corps.
Quand le feu en eux laisse place à une douce langueur, ils s’allongent sur la pelouse aussi accueillante qu’un tapis de soie, leurs respirations encore irrégulières, cherchant un rythme apaisé. Leurs regards tournés vers le ciel étoilé, ils tentent de trouver des repères, de revenir de ce voyage d’amour.
Puis Mickaël remarque un mouvement sur le parvis du château. Les invités commencent à sortir. Il est temps pour eux de les rejoindre. Ils prennent un instant pour vérifier leurs tenues, s’assurant que leur élan de passion n’a laissé que quelques traces discrètes ; une mèche décoiffée ici, une feuille accrochée là. Tout semble en ordre.
Lorsqu’ils arrivent près du château, Caroline les accueille avec enthousiasme.
— Venez, le feu d’artifice va bientôt commencer, leur annonce-t-elle.
En effet, c’est le clou de la soirée, un moment grandiose. Le feu d’artifice éclate dans le ciel nocturne, tout d’or et d’argent, reflet parfait des couleurs du flacon du parfum. Les explosions lumineuses captivent les invités, projetant leurs regards émerveillés vers le haut. Chaque détail a été soigneusement pensé, jusque dans la signature finale. Des lettres dorées s’inscrivent dans le ciel : « Homme de Yves Saint-Clément » en une ultime touche éblouissante. C’est un triomphe. Tout le monde est subjugué, transporté dans un univers onirique.
Après ce spectacle mémorable, la soirée se poursuit. Les invités partagent un dernier verre, les discussions se prolongent encore un peu, portées par la joie. Les embrassades et les félicitations vont bon train. Avant de partir, chacun reçoit un flacon du parfum, un souvenir précieux afin de graver l’événement dans leur mémoire.
Peu à peu, le lieu se vide lentement, rendant le château au silence et au fantôme de Fouquet.
Dans l’arrière de la voiture qui les ramène vers Paris, Astrid et Mickaël se tiennent fermement par la main, plongés dans une douce complicité. Leurs regards échangés en disent long. Ils sont encore plus amoureux que jamais.
Le lundi matin, face à son petit déjeuner, Caroline se sent submergée par une vague d’inquiétude. Sa situation est oppressante, bientôt elle n’aura plus de logement, plus d’argent, et aucune solution immédiate se dessine à l’horizon. Tout a été si rapide, elle ne l’avait pas anticipé. Elle a l’impression qu’un gouffre s’ouvre sous ses pieds. Une énorme bouffée d’angoisse monte en elle, lui serrant la poitrine. Son visage, habituellement calme, est torturé, elle est au bord des larmes.
Mme Le Guen l’observe. Elle aime bien sa jeune pensionnaire, discrète et studieuse, toujours polie et respectueuse. Puis quand elle comprend ce qui arrive à Caroline, elle est profondément choquée. Pour elle, la famille est sacrée, une unité indissoluble où chacun doit trouver force et réconfort, pour pouvoir faire face aux défis de la vie. C’est une valeur qui a nourri toute son existence. D’ailleurs chaque dimanche matin à la messe, elle prie avec ferveur pour ses enfants et ses petits-enfants, les tenant au cœur de ses pensées. Elle a consacré sa vie à être un pilier nourricier pour sa famille.
Mais en y réfléchissant, Mme Le Guen n’est pas totalement surprise. Elle se rappelle encore, de cette fois, où elle a rencontré la mère de Caroline. Cette femme froide, hautaine, à l’air dédaigneux et à la voix sèche, ne ressemblait en rien à une mère aimante. Son regard semblait glacial, dépourvu de la moindre tendresse. À l’époque, elle s’était même interrogée sur la nature de leur relation. Aujourd’hui, tout prend sens.
En voyant Caroline dans cet état, Mme Le Guen est partagée entre la révolte et la compassion. Comment des parents peuvent-ils traiter leur enfant ainsi ? Dans son esprit, une chose est certaine, elle doit faire quelque chose pour aider cette jeune fille qui se retrouve seule face à un avenir incertain. Après tout, une famille, c’est aussi celle que l’on choisit de créer à travers la bonté et le soutien.