Un cran ailleurs et si près qu’on y est - Odile Takka - E-Book

Un cran ailleurs et si près qu’on y est E-Book

Odile Takka

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Beschreibung

Notre univers est un hologramme. La Terre où nous logeons n’est pas réelle, elle est une illusion, la fabrique d’une intelligence artificielle, l’œil unique d’une technologie redoutable, travaillée et adulée par des anciens, très anciens, nommés les archontes, appelés aussi les panis, les flyers ou les gris. Nous sommes les produits de cette I.A. 

Nous ne vivons pas. Nous existons. Sans fin, sans autre savoir que ce qu’Elle nous fait croire, et tant que nous croirons à la succession absurde des histoires qu’Elle fait nôtres, tant que nous croirons que nous sommes l’ego soumis à son programme, à son karma, à son destin trafiqué, à sa réalité, nous en serons les prisonniers.

À PROPOS DE L'AUTEURE

À la suite de sa formation en musique classique, Odile Takka devient institutrice. Aujourd’hui retraitée, elle se consacre entièrement à l’écriture et nous présente Un cran ailleurs et si près qu’on y est, dont une partie de la rédaction a été entamée en 1995.

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Seitenzahl: 177

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Odile Takka

Un cran ailleurs et si près qu’on y est

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Odile Takka

ISBN : 979-10-377-7400-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Je dédie ce livre à mes amis :

Chantal Manoukian-Leduc,

Annie Hubert et Philippe Houttemane,

Yan Tengri,

Eve Corot-Morel,

Maître Steph. Grault,

Dominique Jeannet,

Karnon Yéo,

Charlie et Léo, les seigneurs de bos vert.

Avant-propos

Si près qu’on y est ? Supposons que nous y soyons.

Eh bien, nous y voilà. Et même nous y voilà bien, bel et bien.

Comment nous y sommes-nous pris pour être ici et pour en être là ? Plus important : qu’y faire ? Et comment en sortir s’il se peut, s’il se doit ?

Des personnages, curieusement anonymes ou presque anonymes, errent dans un monde presque décrit. Il s’agit d’une banlieue, un de ces espaces où l’on est, par construction, banni ; où tel qui vit n’a nulle maîtrise de ce qu’il y vit ; où les décors se suivent sans plus d’importance que ça ; où tout échappe, sauf celui à qui cela arrive. Où il n’est qu’un seul but : en sortir.

Or précisément c’est ce qu’il faut faire, s’échapper, fuir. Une fois. Mais comment ? Et quand ?

Quel récit ! Cette histoire est une déconstruction. D’une vignette à l’autre, comme dans un manga (disons une BD pour faire plus francophone), des êtres évoluent. On ne les voit pas bouger, chaque case étant par elle-même fixe. Toutefois, comme la suivante montre un nouveau moment du récit, une nouvelle perspective, voire de nouveaux êtres, on en déduit que le monde autour a changé, ou au moins bougé. Un autre monde ? Un nouveau monde ?

Les vignettes s’enchaînent, se lisent à la va-vite, comme se suivent les flashs d’un clip, avec un réalisme de même farine, ça doit aller vite et tenir le rythme, on peut sauter des images. Il est même conseillé de lire les chapitres dans le désordre. Ce sont des bribes de programmes subis par les hommes, du décousu main, comme souvent l’existence.

Cette course du rat est pleine d’obstacles dangereux, que l’on suppose, que l’on repère, que l’on constate, ou ignore. Il y a les dangers qui vont de soi en quelque sorte, et les autres. Le dédale d’erreurs est farci d’illusions, de faux-semblants, de trucages, de reflets. Va-t’en y trouver une signification qui n’y croise sans délai de quoi la contredire !

Et si, par hasard, par chance (au sens de ce mot dans les mémoires d’assurances : chance d’accident, chance de passer de vie à trépas, chance de égale risque de) tout était vrai ? Tant crie-t-on Noël qu’il vient.

Quel peut être le cheminement pour sortir de cette dystopie ? Nous serions dans la fiction. Obscure, de surcroît.

Comment s’en extraire ? Où est la métaphore adéquate pour en finir avec la nasse, avec le piège, avec le trou noir (quoique rien ne s’en puisse échapper selon les physiciens) ?

Il faut en sortir. C’est sûr. Et c’est proche d’être acquis.

PhC

I

Hacker, la sortie

Quelques flammes parcourent en silence, en avant, rapides, au rythme convenant au lieu, la transmutation du même, particulière, qui ne cesse de se déployer dans ma conscience et en se détachant, libère sa racine de tout espace.

Les choses et les formes ondoient sous leur coque, réseaux de fibres, faits d’exigences par milliers fondant à cette lumière pénétrante qui éclaire les profondeurs.

Le paysage change, les veines de la Terre d’origine saillent, un petit dragon se vautre dans les lys en un jardin où le bouscule la propre puissance des fleurs. Des pierres roulent, sinueuses, à travers les méandres des ondes. L’herbe vagabonde par touffes. Lumières liquéfiées. Moi-même j’allonge le souffle, les yeux au ciel sur les feux des petites lucarnes des chambres de la ville, sur l’esplanade poussiéreuse brossée par le vent, des papiers, des feuilles qui volent.

C’est le début de l’hiver, il pleut. Le bruit de la pluie se confond avec les bruits de casseroles des voisins quand je me dis qu’il serait bon de sortir malgré le mauvais temps. Et puis, j’aime bien marcher. J’avance, un peu comme chaque jour qui passe.

Donc je nettoie la table, les couverts, je range les ustensiles. J’enfile des chaussures montantes, un manteau, des papiers dans la poche et je pars.

Normalement, j’appelle l’ascenseur, attends, descends les étages, me retrouve en bas.

À peine dehors, je… m’échappe. Je ne reconnais plus les alentours. Tout est différent.

Peut-être est-ce un épais, très épais brouillard qui couvre le quartier, mais…

L’impression de me retrouver face aux parois du monde, dans la magie des choses, de ne plus rien comprendre. L’impression d’avoir tout oublié. L’étrange sensation de jouer avec la mémoire. De jouer avec l’âme. De relier la mémoire à l’âme. L’endroit même me dit quelque chose.

Dans la pénombre, je n’ose bouger. Un moment, je reste là. Tout paraît bien réel, et pourtant, j’ai l’impression d’être accrochée à une rambarde d’obscurité.

Je recule légèrement, me retourne et regarde. Étrange, de l’autre côté de la rue, un mur entoure un vaste terrain et au fond, une construction ressemblant à une usine désaffectée, avec une tour. Une bâtisse d’au moins sept étages, faite de briques, un peu carrée, fissurée, cassée.

Je ne crois pas l’avoir déjà vue ! Je lève les yeux et j’avance vers elle, pas vite. L’ensemble a l’air d’un au-delà massif, à la fois souple et dense, plus ou moins visible, puissant. On dirait qu’il respire. Sa lumière avale les ombres et j’y retrouve les interférences qui s’exercent rituelles dans une cité : tension, surtension, tension.

À ma gauche, le portail grince à cause du vent. Alors je ne sais pas si je dois repartir ou traverser à grands pas. J’ai une bibliothèque de pensées reliées. Des titres et des titres. Le plus fréquent étant oui vas-y.

Le portail est à proximité. Pourquoi pas ? Je me secoue. Bon moment pour explorer.

J’y vais. Quelques mètres vers le bâtiment et l’espace devient autre, balisé de panneaux et de suite, ils frappent mon visage de paroles (?) qui me guident : par ici… par là… suivant un chemin à peu près droit d’où je bifurque pour rejoindre l’allée centrale.

Nuages bas, terre orange bordée de blanc, rien ici ne me semble comme dehors, ni comme avant.

II

Quelques exemples de programmations d’existences 1

Et me reviennent en mémoire, par à-coups, sous forme de vignettes, les histoires de mon ami. Mon camarade animal. L’ami Chat.

La première image, il pend à une branche de platane. À ses côtés, un bac à sable, un seau, une pelle, un bambin aux genoux écorchés. À l’arrière-plan, un ciel bleu, un cirrus.

Le chat pense à la femme qui habite dans la cité. La femme, c’est moi, Hacker.

Avec elle (moi), il a été tout près de ce qu’il recherchait mais, depuis que l’homme m’a enlevée, sa vie n’est plus qu’une foutue complication à gérer au jour le jour.

Vignette deux, il passe une semaine dans les bois, une SPA, un cirque où il commet quelques dégâts et on l’encage dans un zoo expérimental, ultraconfidentiel, à air conditionné à condition que.

Vignette trois, le chat souffre sous un globe de matière plastique dure et transparente. Il heurte violemment la paroi incassable, étanche, ignifugée, terrifiante. Entre deux coups, il claque des dents et frémit comme le graphisme d’un enfant de six-sept ans qui prend ses premières leçons d’écriture.

Image quatre, il grimace au défilé des gardiens, des docteurs, des visiteurs, pour lui des êtres immensément insensés. Il se roule par terre, gesticule, regrette ses aventures, saute de plus belle, rattrape la branche, se balance. Avant, arrière, il tient à elle.

À chaque élan, sa vision change. Des souvenirs à leur clé de voûte, il mesure la distance qui nous sépare, radicalement une autre espèce.

— Qu’est-ce qu’une sorcière ? interroge un juge, en butte à des difficultés pour saisir le sens des images.

— C’est une qui parle aux morts, répond une vieille.

— Passez, passez, insiste le juge.

Vignette cinq, deux gardiens nettoient son réduit (celui du chat ; celui du juge, c’est impossible). L’animal accroupi les regarde travailler. Il se promet que, si je viens, il saura être moins félin et plus humain. Mais qu’est-ce qu’un homme ? Un système organique ? En voie de devenir ? Et qui devient quelqu’un ?

Le juge note la question. La vieille, de sa fenêtre, lui demande s’il n’aurait pas du décapant. Il hausse les épaules.

— Tu pourrais, fait la dame, aller m’en chercher ?

Il refuse sèchement. Elle l’en prie. Il ne cède pas.

Illustration six, le chat imite ses geôliers. Debout, il bombe le torse, pousse un ou deux grognements. Cependant, il ne ressemble pas aux dangereux anthropoïdes suréquipés d’appareils dont le maniement lui échappe. Instruments d’optique, écrans, vidéos, cartes magnétiques, machines-outils électroniques, sondes sismiques : et que s’est-il passé en mai 68 ? Parlez-nous du peace andlove, n’est-ce pas ! Techniques, informations, contradictions, l’homme déglutit, le chat refuse. Changer, ça oui, mais l’eau ferrugineuse, non.

La dame circule. Le juge est content.

Le chat a soif. Image sept, vêtu d’un costume trois-pièces en tissu à paillettes, il mime un bipède entrant dans un café. Manque de chance, il arrive trop tard. Notre couple est prêt à s’en aller. J’enfile ma veste, l’homme, un ex-comptable, paye.

— Et l’animal, formalise le barman, il désire ?

— De la limonade.

L’homme me chuchote quelque chose. Je me blottis contre lui, parle gentiment. Sans comprendre la substance des mots, le chat apprécie les accents de ma voix. Mais l’homme m’entraîne et nous sortons.

Vignette huit :

— Si c’est comme ça, fait-il, à la place de la limonade, mettez du bourbon.

— Bien.

Le chat, déprimé :

— Car j’ai soif et de la peine.

À peine le juge se retourne : dame, si on emploie son propre langage technique !

— Ah, monsieur le Président ! dit l’animal. Approchez donc.

— Et pourquoi il a du chagrin ? Il peut nous le dire ? demande le barman.

— J’ai un corps qui n’est pas fait pour l’existence qu’il mène.

— Il cherche du travail ?

— Non, un logement.

— Un deux-pièces ? Il est marié ?

— Célibataire. (Un couteau dans la plaie.)

— Un studio ?

— Ce serait le mieux.

— Je peux vous trouver ça, ajoute le barman en le servant. Ça tombe à pic, on a viré tous les emmerdeurs.

— Les emmerdeurs ?

— Ceux d’en face.

Le barman lui montre des immeubles :

— C’est qu’il y en avait, là-dedans, qui ne nous convenaient pas. On les a virés. C’est mieux.

Le chat fait la gueule. À lui non plus, ça ne convient pas. De plus, il n’a rien contre les emmerdeurs. Tiens ! Vignette neuf, il préfère partir, comme ça, sur un coup de tête et sans boire, il s’enfuit, cheval dans sa course et chien dans l’instinct. Il prend la piste de notre couple qu’il rejoint sur une terrasse.

Dehors, l’homme, il me demande :

— Où veux-tu aller ? Au restaurant ?

— Plutôt au cinéma, je réponds, ou au Louvre.

— Un samedi ? Ce sera plein à craquer !

— Alors, partons pour la Crète ! Ou, mieux, partons pour la Chine. Installons-nous le long du fleuve Jaune, dans la plaine, et oublions la civilisation.

— Impossible, je cherche du travail, explique-t-il. Depuis hier, je cherche un salaire, un emploi, une bonne place au parti. Tu comprends ça ? Oui ? D’accord, on t’a virée de la résidence, mais grâce à mes services, t’es relogée, t’as pas à te plaindre. Et même les bords du Houang Ho sont envahis par les civilisés ! Maintenant, si ce que tu demandes c’est le cadavre du chat, je cours l’attraper et je te l’amène.

— Tu le ferais ?

— Avec plaisir,

— À ce point ?

On se dispute. Maintenant je pleure et le repousse. Il me retient, sévère, stupide comme les gardes d’un tyran forcés de s’en prendre à une jeunesse inoffensive (dur métier !).

— Inoffensif toi-même ! je lui jette à la figure.

Nous nous séparons.

Illustration dix, le chat a de l’espoir. Il pourchasse l’homme. Les rues ont des noms de vertus : Fraternité, Union, il y a une impasse de la Liberté. Elles ont aussi des noms de grands hommes, choisis parmi les militaires, les martyrs et les ministres : Général-Leclerc, Pierre-Sémard, Aristide-Briand. Il y a aussi dans le lot des artistes au nom simple : Renoir, Debussy, et des végétaux : Glycines, Capucines. Non, pas de rats, pas de poux, ce serait charmant, pourtant, avenue des Reptiliens, boulevard des Vautours.

Le chat entonne : Après le Tchad, l’Angleterre et la France, le grand chemin qui mène vers Paris. Le cœur joyeux, tout gonflé d’espérance, ils ont choisi la voie qui les conduit… Le voici aux Dix-Mille, prodige urbanistique local, au coin de Joliot-Curie et de Maurice-Ravel. Vive la 2e DB ! et le chat rencontre la vieille dame qui lui demande de porter son sac. Bien élevé, serviable, il accepte.

Pendant ce temps, vignette onze, l’homme rentre triste chez lui. Comme repentant d’une inquiétude rampante : s’il avait conduit l’animal au peuple, mieux, au parti ? Il l’aurait humilié, fragilisé, découpé, jeté à la fosse commune, exposé au pilori. L’autre aurait supplié, avoué, fait la vaisselle et servi d’exemple.

Vignette douze, le chat réalise que, depuis le début, il s’est trompé. Que ce n’est ni l’homme ni la vieille qu’il fallait suivre, mais moi, la femme ! Maintenant, où peut-elle être ?

— Suis-je bête ! pense-t-il.

Moi ? Image treize, j’ai rejoint mon nouveau domicile, coincé dans un immeuble, pur cauchemar d’autocontrôle, authentique utopie de banlieue où chaque voisin a, en plus des charges substantielles, celle de surveiller ses proches et s’y conforme avec soin :

— Allô, la police ?

— Non, ici la femme. En quoi puis-je vous être utile ?

— Voilà. J’habite au tant (un nombre) de la rue Chose (un général, un ministre, un martyr, un végétal), et mon voisin du dessous dit du mal sur moi si ça se trouve. Que dois-je faire ?

— Appelez la police.

— Ça ne va pas, non ?

Au café :

— Comment va Madame ?

— Elle vous salue.

— C’est déjà ça, dit le juge en attirant le barman vers un siège. Elle n’est pas là ?

— Elle est retenue par ses obligations. Elle regrette.

— Et moi donc ! Imaginez que vous deviez choisir entre deux possibilités, les Enfers ou ma surprise, laquelle choisiriez-vous ?

— Mhm, permettez que je délibère.

— La surprise est un piège, assure le juge.

— L’enfer ? Bonne réponse ?

— Ah, décidément, aujourd’hui, il n’y en a que pour lui !

Scène quatorze, au centre commercial, sortie en express acheter des victuailles, je croise une voisine qui m’interroge sur ce que parler veut dire (?), et soutient mordicus, dans la même phrase, que l’art est thérapeutique.

— L’art s’en moque, je réplique. On y entre un peu par hasard, au sortir de l’air ambiant. On croit faire des efforts, mais tout est déjà là. Une autre façon d’exister, d’un côté, d’un autre, ici, ailleurs, rarement reliée à l’expérience profonde de l’esprit créateur ; le plus souvent conforme aux courants d’expressions qui favorisent croyances et passions. Une des meilleures techniques pour absorber l’évasion en remettant les autres en une nouvelle prison.

— Cela ne me surprend pas, déprécie la voisine, je n’y comprends rien.

— Il fait beau cet aprèm’.

— Profitons-en. Vous sortiez ?

Je m’en vais. Courses en main, je rentre chez moi.

À proximité, impression quinze, le chat déçu, dépité d’avoir perdu ma trace, pose le sac de la dame, la salue respectueusement, s’arrache de mon souvenir ! J’écarquille les yeux, il est où, le chat ?

Drrriiiinnnng !

Vignette seize, on sonne à la porte de mon nouveau logement. Drrriiiinnnng !

Je n’attends personne. Qui ça peut être ? Je suis en train de laisser un mot sur la table du salon. J’avance pour me relire : « Quand j’aurai fini d’écrire, je serai sortie de cet univers ensorceleur. »

Ouah ! Et je veux ajouter une phrase à propos de la victoire de la grande correction…

Mais la personne qui sonne insiste lourdement et je quitte le salon. Tentures, tableaux, quelques toiles sur les murs, canapé tiré à quatre épingles, j’ouvre une porte communiquant avec un petit vestibule que j’appelle le sas, je referme l’entrée de la salle et je vais répondre moi-même. C’est un homme :

— Bonjour.

— Bonjour, dis-je. C’est pourquoi ?

Il lâche la sonnette :

— Excusez-moi. Je sors de l’hôpital et pour gagner ma vie, je vends des affiches gratuites. Vous me donnez ce que vous voulez.

Pas le temps de refuser, scène dix-sept, il dépose un gros sac sur le paillasson, de manière à bloquer la fermeture de la porte :

— Attendez, vous allez voir.

— Non merci.

Il se braque : « Mais si, mais si ! » et ouvre son bagage qui regorge de rouleaux.

— C’est toutes les mêmes, ironise-t-il.

Je lui redis non. Et puis, c’est qui, toutes ces mêmes ? Je vais pour me retirer, lui claquer la porte. Il sort une affiche, la déroule devant lui, il a juste la tête qui dépasse au-dessus, et sa braguette au-dessous.

— Hein, ça a de la gueule, non ? Ça ne se refuse pas ! force-t-il en soulevant les talons.

J’ai la profession de foi du parti sous les yeux. Son règlement interne, son souci d’organisation. Pour le scrutin prochain (de toute façon, ici, les votes). En haut, sa devise : « Il n’y a pas de fumée sans feu. »Ça me percute :

— Et les réactions chimiques ?

Il m’ignore. En bas, des noms : A, B, C, D, au moins vingt-six.

— Qui sont ces gens ? Des pompiers ? Spécialisés dans les incendies sociaux ?

— Non, non, il s’agit de nos responsables ! Quand on les connaît, on peut tout se permettre.

Je fronce les sourcils. Ai-je envie de tout me permettre ? Je me demande. Pas sûr. Et pas avec eux.

— Tenez, une preuve, gradue-t-il. Moi, je suis pauvre et sans ressources, eh bien, j’ai réussi à renvoyer un comptable de son travail et pas plus tard qu’hier !

Ils m’énervent, lui et son poster. Non, c’est vraiment non, je ne peux pas tout me permettre et d’autant plus avec eux !

— Donc, conclut-il, je vous la donne.

Image dix-huit, je me décide à lui avouer que même si je suis la locataire, en ce moment je ne fais que me remémorer de courts moments passés.

Il en est sidéré :

— Vous n’êtes pas du parti ?

— Quel parti ?

— Mais, le nôtre ! s’exclame-t-il comme on profère une évidence.

— Ah, celui du café !

Il s’émeut :

— Vous payez régulièrement votre tribut à la trésorerie ?

— Oui, régulièrement.

Et j’ajoute :

— Mais je n’ai ouvert que parce que vous sonniez.

— Et il n’y a personne d’autre ?

— Je ne sais pas. Si probablement.

— Sur le palier ?

— Je ne sais pas. Il faudrait avancer dans mes souvenirs, pour savoir, mais vous êtes là à me retenir.

Renfrogné, il remballe sa marchandise, puis me tend la main en disant :

— Vous n’auriez pas une petite pièce ? Je vous ai dit que j’étais pauvre.

— Désolée.

Je clique sur l’image, plus rien.

Je recommence : des escaliers, des intérieurs, on voit que l’homme, le juge, l’autre escroc, là, avec ses posters, sont passés par là. Mais plus de Chat.

(Les hommes croient le présent à leurs dimensions, taillé sur mesures, alors qu’il leur échappe. L’histoire immédiate, c’est l’écueil, c’est à fleur d’eau. C’est tout un programme.)

Et le chat, cependant, continue, persiste et signera dès qu’il saura le faire.

III

Hacker, près du bâtiment

Au bout de l’allée centrale, on aperçoit le bâtiment, certainement une ancienne usine. Je stoppe et la regarde. Elle a un visage, quelques forces, connexion étroite entre l’idée de la liberté et la liberté elle-même. Pic vertigineux qui, les pieds dans la nuit, me renvoie aux encadrés des livres d’un artiste : Allô, qui demandez-vous ? Qui ? La Terre ? Oui, mais laquelle ?

Parce qu’il y en a deux. Parce que deux Terres s’affrontent.

Celle connue, habitée où nous croyons être, où nous croyons