Un emploi du temps chargé - Markus Selder - E-Book

Un emploi du temps chargé E-Book

Markus Selder

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Beschreibung

"Un emploi du temps bien chargé. Farce macabre".

La petite Régine Barnard prend un bien mauvais départ dans la vie. Inceste, mutilations, abandonnée, baladée de famille d’accueil en institutions psychiatriques, elle finit par tuer son psychologue.
Jugée comme une adulte, elle prend perpète…

Dix-huit ans plus tard, elle sort de prison, armée d’une licence de lettres, de courage et d’un talent indéniable et solide en Penchak-Silat - sport de combat ultra-violent et ultra-efficace.
Employée dans une pompe funèbre grâce à une vieille connaissance généreuse, elle va apprendre le métier mais aussi à satisfaire ses immenses besoins sexuels, en dissimulant les corps de ses victimes.
Ah oui, Régine Barnard prend plaisir à tuer des gens, c’est là son moindre défaut.

Le lecteur va avoir le privilège d’entrer dans la tête d’une tueuse hors du commun, s’étonner des moyens qu’elle déploie pour accomplir ses forfaits et passer à travers les mailles de la police.
Un vrai guide technique gore, drôle et macabre.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Markus SelderBoucher, ancien légionnaire, routier, croque-mort, ce héros de l'inadaptation sociale traverse la vie entre écrits troglodytes et fantasmes quotidiens.

Une chance pour l'humanité qu'il n'ait point passer le pas et conservé pour ses lecteurs un sens de l'humour à faire glacer les sangs - fraise le parfum...

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Un emploi du temps bien chargé. Farce macabre.

Markus SELDER

Première partie.

La petite Régine Barnard se souvient.

-Moi, c'est Régine. Je sais que ce prénom est nul mais ma maman était une fan de la dame au boa et mon papa ne s'occupait de moi que les nuits où maman ne voulait pas qu'ils jouent à la poupée.…C'est comme ça que j'ai eu mon petit secret, que j'ai appris à compter en silence,… c'est grâce à papa. A la fin, même que c'était plus un secret, je devais dire quand même à mon papa combien il avait fait. Des fois je me demande si je n'ai pas fait de cauchemars, mais ça colle entre mes cuisses quand je me réveille.…Alors je sais, je me rappelle, trois fois cinq, douze. Merci papa.

Chapitre 1. Les échassiers rouges

-Aussi loin que ma mémoire peut remonter, le souvenir des échassiers rouges est le seul positif. Sensation de bien-être à défaut de sentiment d'exquise félicité. Beau souvenir, féérique, au point que je me demande si ce n'est pas un rêve auquel je m'accroche et qui ressort quand je suis en faiblesse. Impossible à vérifier. C'est trop loin, pas envie, de peur de le laisser partir et que je doive m'en inventer un autre. Celui-là est très bien, je l'arrange, je l'embellis à ma guise, je n'en dépasse jamais les limites. Parfois, je monte le son de la musique dans ma tête quand les outrages sont trop forts. Je me rends sourde. Une réminiscence qui fait que je me laisse envahir par la douce jouissance de la mélancolie en attendant l'étourdissement du coup de massue avant le tranchant du couteau du boucher qui précède la mort, les tourments que je subis, les insultes ou mon viol. Je fais défiler les images du générique de fin. Un truc qui s'apparente à la vie qui passe pour éviter d'affronter la réalité le temps de l'agonie. L'ultime évasion, la fuite. Pour s'accrocher à ça et s'y tenir sans se déconcentrer, c'est du travail. Il faut avoir beaucoup subi. Cette espèce de méditation, cette sortie de soi, ce décrochage éveillé, on y arrive avec du temps, de la solitude, de l'abandon et des tourments.…Par chance, j'ai eu beaucoup de tout ça pour la maîtriser. Ce n'est pas toute une existence qui trotte dans la tête mais vingt minutes. Il ne faut que vingt minutes de jolis souvenirs pour laisser passer l'orange, ça suffit. Il faut me croire sur parole. Pour les autres, je ne sais pas, mais pour moi, ce sont les échassiers rouges. Je vous emmène ?

Il y a ma mère, il y a son mec du moment. Ma mère ne me tient pas la main malgré mes six ans. Ce doit être l'hiver, de la condensation sort de nos bouches. Nous sommes en ville, ne me demandez pas laquelle. C'est le soir puisqu'il fait nuit. Ce n'est pas très tard, il y a du monde. Ce monde sourit.

Je me souviens de cette musique propagée par un monsieur qui traînait une enceinte dans un chariot à courses. Cette musique est une compilation instrumentale de chansons de Mylène Farmer. C'est de la féérie pure, je suis envoutée. Tel le rat, j’accompagne le joueur de flûte de Hamelin, irrésistiblement attirée.

Et puis, surgissent de je ne sais où, de drôles de personnages sur échasses habillés de rouge. Ils ont l'air si angéliques, si purs qu'on ne discerne pas s'ils sont garçons ou filles. Ils sont quatre. Ils se poursuivent gentiment, en silence, se lancent des baisers, s'enlacent, dansent pudiquement. Leur message est clair, l'amour. Ils distribuent en soufflant, des cœurs en papier rouge aux gens qui les suivent. Ce doit être un amour partagé, les deux « Colombines » batifolent d'un « Pierrot » à l'autre, ce qui a pour effet de les rendre tristes. Alors elles reviennent à eux, leur tendent la main. « Allons, je t'aime, viens, ne sois pas triste, je ne veux pas que tu sois triste ». Et le bonheur renaît, ils sourient. C'est beau l'amour. Quand la compile de musique touche à sa fin, ils se séparent et s'endorment en se voilant de leurs ailes de soie rouge, le regard plein de joie d'avoir aimé et d'être aimé, rêvant à leur réveil, à leur jeu de séduction.

Bref, les vingt minutes de bonheur des échassiers rouges s'arrêtent au moment de leur endormissement et s'il y a besoin, si mon tourment dépasse les vingt minutes, je me le repasse en boucle dans la tête, en replay. Comme à Noël sur la tv et ces foutues nanars de programmes insipides qui reviennent entre deux pubs de chocolats à offrir avec un grand sourire aux grands-mères abandonnées dans un ephad du bout du monde en attente de tsunami, de grippe, ou d'un nouveau virus bien tordu.

Voilà, le bonheur a commencé à s'estomper juste après.

Les échassiers rouges se sont réveillés pour poursuivre leur déambulation à travers les rues de la ville. J'ai dû les suivre un moment. Quand ils tournaient sur eux-mêmes ou quand ils s'enlaçaient, je les imitais. Je dansais avec eux. Quand ils distribuaient des cœurs de papier, je les ramassais pour les distribuer à mon tour aux gens. Je faisais déjà partie de la troupe ! Il était tard, je devais être la seule du cortège à les avoir suivi depuis le début de leur prestation. Ils se sont arrêtés, le spectacle était fini. Ils se sont assis pour se défaire de leurs longues échasses, enlever leurs voiles, leurs masques et leur maquillage, puis se parlèrent entre eux. Le monsieur qui traînait la musique les aidait à se défaire. La magie était finie pour eux mais pas pour moi. A ce moment précis, je veux être un échassier rouge, ce sera mon métier plus tard. Je reste figée pour mieux me remémorer leur chorégraphie. Je dois le mémoriser, m'en imprégner. Je sens que si je bouge, mon rêve va être chamboulé ou disparaître. Je suis une luciole dans la nuit….

Je ne sais pas combien de temps j'ai rêvé toute éveillée. Je cherche maman. La place est vide. Je sais qu'elle me cherche, que nous allons nous retrouver et que tout va rentrer dans l'ordre.

Comme je n'ai pas la notion du temps, je m'épuise. Je m'assois sur un perron, bien en évidence, persuadée qu'on va me trouver. On ne me trouve toujours pas, je pleure pour attirer l'attention. Rien. La nuit passe.

C'est à partir de ce moment, je crois, que j'ai commencé à faire défiler, en musique dans ma tête, les échassiers rouges.

Je me souviens juste que je me suis réveillée dans une chambre toute blanche avec des gens très gentils habillés en blanc aussi. Ils étaient aux petits soins pour moi. Comme on ne venait pas me réclamer et que je savais juste mon prénom, on m'a sortie de la chambre blanche pour m'emmener avec des messieurs habillés en noir, très gentils aussi. Une dame est venue me chercher pour me dire qu'on avait enfin retrouvé ma maman et qu'elle allait venir me récupérer.

J'ai attendu jusqu'au soir. Un homme en noir m'a donné son manger, de la purée.

Maman est enfin arrivée, elle avait l'air fâchée dans sa robe décollettée.

Les hommes en noir l'ont disputé, elle s'est énervée, ils se sont dit des gros mots, nous sommes sortis.

-Tu t'es chiée et pissée dessus, tu ne t'es pas retenue, tu as pourtant l'habitude. Il n'y en aurait pas un qui t'aurait changée, putain ! Ce soir et demain, tu ne mangeras pas, tu chieras moins comme ça.

J'avais retrouvé ma maman. C'est à partir de là que ça se gâte.

Chapitre 2 - Maman

Mère est une trentenaire dynamique. Dynamique au niveau hormonal, j'entends. Voyez plutôt :…

-Bon, Régine, tu me saoules, tu ne pouvais pas rester chez les flics ou placée à l'assistance publique ? Que vais-je faire de toi ? En tous les cas, tu ne vas pas manger, je n'ai rien prévu et tu n'étais pas censée revenir. Je vais devoir te perdre encore mais demain, ce soir j'ai la flemme. Reste habillée et attends dans le couloir en silence. Maintenant.

C'est ma maman. En fait, elle dit silence mais je ne parle jamais, je n'ai pas le droit à la parole. C'est elle et son nouveau mec qui me l'ont dit. Je ne l'ouvre que pour manger, me brosser les dents de temps en temps et pleurer. Quand je pleure, maman me tape pour que je me taise. Je voudrais tellement me taire et pleurer en silence quand elle me tape mais je n'y parviens pas. C'est ma bouche qui crie, ce n'est pas moi.

Maman ne travaille pas. Elle a haut degré hormonal pour les choses de la chambre mais pas pour le travail. C'est son nouveau mec qui fait bouillir la marmite. Maman ne sort pratiquement jamais de sa piaule, occupée à tester ses nouveaux sous-vêtements chinois. Moi je reste seule dans le salon qui me sert de chambre et de pièce à vivre. Nous n'avons pas la télévision, ni la radio. Le canapé me sert de lit quand le nouveau mec de maman ne s'endort pas dessus le soir devant sa console ou qu'elle ne veut pas de lui dans son lit. Je dors sur le tapis.

-Demain tu dégages, Régine, tu me dégoûtes, je ne veux plus te voir, c'est dit.

Son compagnon a réagi.… Enfin. C'est pas un méchant... De temps en temps en temps, il s'adresse à moi :

-Tu n'es pas encore morte, la grenouille ? Vas-y, fais la grenouille, je t'autorise à imiter la grenouille.

Je ne sais pas si ce que sortait de ma bouche ressemblait au cri de la grenouille, mais il riait aux éclats. J'étais presque heureuse de lui faire plaisir. Il m'arrivait de désobéir mais seulement quand maman n'était pas là. Je lui faisais la grenouille et il riait.

-T'es vraiment trop nulle, la grenouille !

J'étais presque contente d'exister. Sauf que là.

-Tu ne peux pas la laisser mijoter dans sa merde, elle schlingue, elle empeste, c'est intenable. Passe-là au moins sous la douche, donne-lui des fringues propres, c'est le minimum, t'es sa mère, quand même.

-Fais le toi si tu veux. Et tu arrêtes de me les briser car tu vas dégager avec elle, je me suis lassée de toi.

-Tu vas faire comment ? Tu ne peux pas te lasser de moi, c'est moi qui paye tout et on vient juste de se mettre ensemble. Je suis ton mec.

-J'ai un plan avec le guetteur du bloc, un mec friqué qui va remplir le frigo de façon efficace. Il a la trique pour moi et il attend ton départ. Top départ, dégage !

-Traîtresse, saloperie ! Je vais te défoncer, profiteuse, ingrate, gauchieuse !

-C'est toujours la même histoire depuis la nuit des temps. Vous, les mecs, vous imaginez qu'on ne va plus pouvoir se passer de vous ? Ah bon ?

La femme lambda est un animal différent des hommes qui se désintéresse du sort de l'humanité, du réchauffement climatique, de tout comme du reste. Seuls comptent sa parure, son apparence physique, sa survie et le remplissage de son frigo. Le reste, elle s’en fout. La femme est un Pokémon légendaire.

Maman a attrapé une poêle sale de longtemps, abandonnée dans l'évier et s'est acharnée sur son ex nouveau mec. Il est débordé. Il revoit sa virilité de mec à la baisse immédiatement.

-Maintenant tu dégages et sans tes affaires. Tu attendras que je te les balance par la fenêtre. Tu as de la chance, il ne pleut pas.

L'ex nouveau mec de maman est ivre de rage. Mais, vaincu, il décide de se venger quand même. Il fait un tour d'horizon de la pièce pour pouvoir sévir contre quelque chose, un truc auquel tiendrait maman. Mais rien. Son regard s'arrête sur moi. Il ne devrait rien m'arriver puisque maman ne tient pas à moi. Finalement si, il s'en prend à moi.

Il me tire rageusement les cheveux, comme quand une petite fille colérique arrache les cheveux de sa poupée. Je tente une demi-seconde de lui faire la grenouille pour le calmer mais rien n'y fait. Il est plongé dans sa haine de maman à travers moi et que je le vois dans ses yeux. Je ne dis plus rien, je suis consciente. Contre toute attente, je ne souffre pas. Il y a du bruit dans ma tête, un vent fort qui siffle. J'essaie de me passer la musique des échassiers rouges mais j'ai du mal. Si je suis toujours vivante et que cette affaire par malheur se reproduit un jour, il faudra que je me concentre un peu mieux.

-Ça va mieux ? Tu es bien défoulé ? Grâce à toi, on va me l'enlever définitivement. Bien joué. Tu dégages avec elle, tu feras qu'un voyage.

Je n’ai plus jamais revue maman.

L'ex officiel dorénavant me traîne dehors et me laisse au pied de l'immeuble. Lui non plus je ne le reverrai plus.

-Bonne chance pour la suite, la grenouille !

C'est le guetteur, le futur ex mec à ma maman qui me porte de l'aide. Il court vers moi mais face à mon odeur pestilentielle et mon apparence, il reste à bonne distance. On dirait que je lui fais peur. Il me parle mais je ne comprends rien, c'est à cause du vent qui siffle dans ma tête ou les quelques notes de la musique des échassiers rouges qui tentent de se mettre en mesure.

-Régine, wesh ? Comment tu t'es fait défoncer, wallah, je n'ai jamais vu un truc pareil. Attends, pour la première fois de ma vie, je vais devoir appeler la police, je ne te laisse pas sur le carreau. Franchement c'est abusé, tourmenter une enfant, c'est le truc que je m'interdis de penser !

Comme je n'ai rien mangé depuis longtemps et que ça me lance, je m’endors.

Après, plus rien pendant un moment. Je vais me murer dans le silence, pour tâcher d'éviter les coups et voir venir.

Je me remémore ma vie d'avant, quand ça n'allait presque pas trop mal avec ma maman. Je tente d'accrocher un beau souvenir d'adieu, un cadeau de départ. Mince, j'ai beau chercher dans ma mémoire, je ne trouve pas, même un sourire.…

Maman est une partisane convaincue de l'idée qu'une amitié entre un homme et une femme sans l'ombre d'un nuage est possible. Louable, non ? Quand le mec juste avant son nouveau mec travaillait, (garde barrière tous les jours de 7h à 19h) - maman faisait les étages. Ça lui prenait tout son temps. Entendons-nous, elle faisait la pute, grimpant en talons dans une robe moulante d'étage en étage, à la recherche d'un mari oublié par sa femme partie aux courses. Des fois elle m'emmenait pour exciter le chaland, des fois elle me laissait toute seule à la maison, consigne de silence, sinon c'était la trempe. Je dois sûrement faire du bruit dans ma tête qu'elle doit percevoir parce qu'elle me tapait toujours en rentrant pour effacer la honte de bas déchirés.

C'était le mec juste avant son nouveau mec. Mon papa officiel, mon géniteur. Enfin je crois. Celui que j'ai vu le plus longtemps et qui m'apprenait à compter la nuit.

Maman, bonne voisine, glandait chez les uns, chez les autres, pour un thé, un café, papoter ou plus si affinité.

Plus spécialement lors des montées d'hormones, elle m'emmenait en face chez le voisin plus âgé, bedonnant. Sa femme à lui travaille au même endroit que mon papa mais ils n'y vont pas ensemble parce qu'ils ne font pas les mêmes heures. Elle rentre en fin d'après-midi. Lui ne fait rien, il accompagne maman.

Ils sont amis. Elle se sert dans le frigo. Ils sont arrivés à un tel degré de confiance et d'intimité qu'elle se balade dans son salon en T-shirt et en short quand il fait trop chaud. Ma présence ne les gêne pas.

Son ami sait tellement tout d’elle, elle a confiance, c’est son confident.

Cet ami, ce confesseur absolu est d'une neutralité, d'une compréhension et d'une gentillesse excessives. Il écoute, il fait rire, il rassure, sans manifester aucune envie, aucune impatience, aucune équivoque. Comme un ami gay. Maman lui raconte son intimité avec papa. C'est toujours comme ça, une fois qu'on en a fini de discuter des banalités quotidiennes. Demandez donc aux routiers qui roulent en double équipage ou aux gardes barrières nocturnes. Je sais, je suis avancée pour mon âge.

On sait qu'il y a un truc qui flotte dans l'air, il est là, omniprésent. Le savoir dans les parages en permanence est presque mieux que l'acte lui-même. C'est le fameux truc qui fait naître des papillons dans le ventre des femmes et suinter le slip chez un homme. L'amour, paraît-il.

Quant au reste, il découlera naturellement. L'amour physique sera l'étape logique. Le but pour l'ami sera de rassurer l'amie tout en tournant autour du sujet sans l'énoncer, qu'il n'y aura ni gêne, ni séquelle et qu'entre amis, au corps à corps ou dans une dispute, ça ne comptera pas, on l'oubliera dans l'instant. C'est sans danger. Ami, c'est mieux que tout.

Ça s'est donc fait comme ça, le plus naturellement du monde.

-Tu me laisses tenir ta bite dans ma main ?

Elle s'est surprise de sa demande mais ne se sent pas coupable ni gênée. S'il décline, on fera un café. Pas grave.

Lui répond de façon spontanée, un peu comme quand il demande à sa femme un truc dans la boite à gants de sa voiture.

-Si tu veux, par contre, tu la veux, tu la trouves. En ce moment, je suis en mode « stockage » tant elle ne sert plus. Le seul truc que j'insère en ce moment, c'est ma carte bleue.

Ils regardent la télé et elle malaxe la saucisse du voisin. Au bout d'un moment, il bande. Le doute n'est plus permis, il va se passer quelque chose.

Maman attache ses cheveux en arrière, sort l'engin de son ami et se met en devoir de le sucer. Longtemps. Maman gémit d'aise. Il arrivait à maman de passer ses matinées à ça ou s'asseoir sur l'engin de son ami. Elle se sentait si comprise, il savait tant d'elle qu'elle jouissait bien et fort. Lui aussi.

Maman aimait l'amour dans l'autre trou. Ça lui faisait mal mais elle préférait quand même. Maman apprenait sur elle et sur le reste. Par exemple, quand elle allait au toilettes après une séance poussée dans tous les sens du terme et que son fondement était gercé par les aller-retour sans lubrifiant, elle constatait que ses déjections étaient imprégnées de sang de façon uniforme. Exactement comme le dentifrice prend ses couleurs rayées à la sortie du tube, sur les abords du pas de vis. Elle fit le rapprochement du pas de vis, du sang et de son anus au bout de très longtemps quand même.

-Ah ouais, tout s’explique, je suis trop une tronche !

Son ami, soucieux de la santé de maman, lui a un jour demandé s'il fallait un peu lever le pied en changeant d’orifice.

-Non, ça pique, c'est bon !

Quand on rentrait à la maison, elle ne me tapait pas, elle était apaisée. C'était les seules fois où elle m'emmenait avec elle, quand elle allait voir le voisin d'en face. Ma présence, au cas où on nous aurait vu entrer chez lui, rassurerait. Je servais de chaperon, de bouclier, d'alibi. Plutôt de bouclier, car quand maman s'engrainait avec un voisin et que la dispute risquait de finir en pugilat, elle m'emmenait et m'agrippait ma main. Quand les coups allaient pleuvoir, car maman était une querelleuse, elle me prenait dans ses bras. Personne n'attaque une femme accompagnée de son enfant, même les gros fauves sans culture des cités le savent et le respectent.

Ces affaires ont duré un moment. Jusqu'à ce qu'un jour, un inspecteur de l'éducation nationale frappe à notre porte pour demander pourquoi je n'allais pas en classe.

Trouvant porte close, il a frappé aux autres portes du palier. Les voisines sorties de leur torpeur ont fini par frapper chez l'ami de ma maman. Ils ont été tous bien surpris de trouver maman cul nu, vautrée sur le canapé et moi patientant, assise dans le couloir, attendant je ne sais quoi. La fin des temps, probablement.

L'inspecteur n'a vu que moi. Les voisines ne se sont pas faites prier pour exagérer mon statut de potiche qui mijote dans sa merde. Et aussi frapper maman mais seulement d'indignité notoire et définitive.

-Je reviendrai, vous aurez de mes nouvelles, votre fille doit aller à l'école.

-Mais oui, dégage, je l'élève comme je veux !

En fait, je ne vais pas à l'école car maman se lève toujours trop tard ou pas du tout.

Maman ne s'est pas démontée. Pas son genre. Quand papa est rentré du travail, ses sacs à lui étaient déjà prêts dans le couloir.

-Je suppose qu'on t'a déjà mis au courant, alors pars sans faire d'esclandre. Tes affaires sont déjà prêtes. Tu peux emmener la petite si tu veux. Dans ce cas, si tu la prends, tu restes dehors et laisse-moi deux minutes pour rassembler ses papiers et ses affaires. Pose tes clés sur la table, que je ne les cherche pas.

Comme c'était un être réfléchi et probablement fatigué d'une vacation de douze heures de travail non-stop, il ne s'est pas fait prier. Il a disparu dans l'instant, ses valises à la main.

Voilà. Je n'ai jamais revu celui qui, a priori, était mon papa.

Son nouveau mec est arrivé en fin de soirée, on connaît la suite.

Au fait, à quoi je ressemble ? Je n'ai pas de photo de moi et je ne me regarde jamais dans la glace. Celle de la salle de bain est trop haute pour moi. Quand il m'arrive de passer devant une vitrine de magasin, je n'y pense pas. Je sais que mes cheveux arrachés à la racine ne repousseront pas et que cette blessure, cette morsure indélébile, sera mon distinct pour la vie. Pour le reste, aux autres de m'imaginer comme ils le veulent…

En toute amitié suspendue à ton portable Tu m’allonges sur la table virtuellement En toute amitié tu es le dieu de l’amour Jusqu’à la pointe du jour tu me prends En toute amitié lorsque je m’endors enfin Tu raccroches d’une main fatiguée En toute amitié félicitons-nous tout bas Car une amitié comme ça c’est sacré

Jeanne Cherhal

Chapitre 3 - Les services sociaux

On m'a parlé, on s'est adressé à moi, rien qu'à moi. C'est la première fois. Comme je n'en n'avais pas l'habitude, j'ai baissé les yeux et n'ai retenu que des bribes de la conversation. Il est question, à cause de mon jeune âge, de me trouver une famille d'accueil. En attendant, je loge dans une maison d'enfants. Un foyer de la DDASS pour que les plus vieux comprennent. Je suis propre et j'ai des nouveaux habits à ma taille, je mange correctement. Je suis dans une classe ou je passe mon temps à rêvasser et à regarder les autres en attendant mon placement. La maîtresse m'a présenté aux autres.

-Voici Régine Barnard.

On a respecté mon silence, au début. Puis on s'est demandé si j'avais des difficultés d'allocution, de motricité. J'avais si peur, j'étais si impressionnée que je n'osais pas parler. Le temps que je trouve mes mots, une autre question m'était posée. On m'a alors emmenée chez un docteur qui m'a examinée. Il m'a posé des questions, fait faire des dessins, manipuler des cubes, tenter de me faire chanter une comptine mais rien. Je restais en moi-même, attendant la première gifle. Je ne voulais pas que le docteur se moque de moi car je ne savais presque pas parler. Mais attention, je comprends quand même, sauf quand je suis prise dans une bourrasque brutale, là, je n'arrive à rien.

Le docteur a expliqué grosso-modo que je souffrais d'un grand retard général dû à ma condition familiale de maltraitée et laissée pour compte ou bien alors une débile de plus larguée à l'assistance publique qu'on va devoir nourrir et jeter dehors à la merci des prédateurs à sa majorité.

Ce médecin, un tantinet d'extrême gauche, s'adresse alors à mon accompagnateur.

-Le temps nous le dira, je ne peux rien prononcer, je n'ai pas envie de la revoir ou alors pas avant l'an prochain, pour bien me rendre compte d'éventuels progrès. Au suivant, car j'ai encore beaucoup de cas comme elle à examiner et tenter de fourguer aux services sociaux avant la prison, la drogue, une mort brutale ou grossir les rangs des assistés chroniques, traumatisés de la vie. Leur nombre ne cesse d'augmenter. Entre les gamines qui se font engrosser et qui, sous prétexte de donner la vie, veulent garder leur enfant et qui sont, une fois dépassé le délai légal d'avortement, dans le regret de l'avoir gardé, ça donne des gamins délaissés. On devrait allonger le délai légal d'avortement de quatorze semaines à au moins quarante, il y aurait moins de « sans repères » coûteux qui traînent à l'état sauvage dans la nature ! Pensez, tous ces pauvres... il faudrait rouvrir la chasse, dragonnades, camps, extermination, ya, ya Mengele... euh... je m'égare... l'enthousiasme s ans doute...

Dans les toilettes et les salles de bains de cette maison d'enfants, il y a des miroirs. Nous nous y retrouvons tous le matin, le midi avant de manger et le soir pour la douche. Je sais que je suis dans cette salle d'eau, je sais que je suis dans ce groupe de gamins. Je sais reconnaître dans le reflet la plupart de mes camarades mais je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas me reconnaître, pourtant je me cherche. Ça me déboussole. Il y a trop de monde, oui sûrement. Comment me trouver dans cette foule ? Il faudra que je me retrouve seule pour enfin savoir à quoi je ressemble.

Pour le moment, je suis déjà la vilaine à cause de ma calvitie partielle. On m'évite, on me traite de vilaine, on se moque déjà. Bon.

C'est mercredi, nous sommes tous devant la télé à regarder un documentaire sur les animaux. Je suis fascinée et effrayée en même temps, je m'aperçois que j'ai tellement de retard à rattraper, tellement. Je viens de découvrir un truc, je me fiche du sort des animaux. Je décide que c'est le moment de profiter d'aller me découvrir devant le miroir des sanitaires. Je vais aller au premier pour être plus tranquille. Je monte l'étage mais je suis essoufflée, oppressée. Je suis obligée de m'arrêter à l'entresol pour faire une pause. J'ai juste peur de la sentence, de la découverte de moi-même. Et cet escalier qui n'en finit pas. J'ai envie de redescendre.

Je suis devant la porte battante, je la passe, je me plante devant le miroir la tête baissée… Puis, doucement, je lève ma tête et me regarde pour la première fois. Comme je ne me connais pas, je ne me reconnais pas. Je ne me regarde pas dans les yeux. Il va bien falloir que je le fasse. Je passe d'abord de longues minutes à me scruter le corps de haut en bas, que les yeux s'habituent. Puis, une fois fait, j'ose enfin regarder mon visage. Je suis figée, hypnotisée.

-C'est moi, c'est moi. Je regarde mes lèvres énoncer mon prénom.

-Régine, Régine. Pas de doute, les lèvres ne mentent pas, c'est moi.

Effectivement, sur le côté de ma tête, il y a un découvert dans mes cheveux, comme un trou, blanc, disgracieux. On ne voit que ça. En langage bancaire comme en topographie, ça s'appelle un découvert. Mince, il est conséquent. Je regarde mon visage pour le mémoriser. Puis, prenant mon courage, je me fixe dans les yeux. Mon reflet à l'air plus courageux que moi. Je prends peur en me regardant dans les yeux.

Je m'enfuis en courant rejoindre les autres en salle télé. Je sais à quoi je ressemble et je comprends le dégoût de mes camarades à mon contact. Je me dégoûte aussi. Cette confrontation visuelle avec moi-même sera la dernière. Je ne participerai pas aux photos de classe et je tâcherai à l'avenir de m'éviter dans la salle de bain. A l’heure de la toilette, sans rechigner, je frotterai suffisamment fort avec de l'eau et du savon pour avoir à éviter les retouches du quotidien et passer pour une négligée. C’est dit.

Je rejoins les autres presque soulagée. Je reste murée dans le silence et c'est très bien comme ça. Passer pour une anormale n'est pas insurmontable, c'est mieux que bégayer et subir les moqueries des autres enfants.

Je déteste les enfants. Pour le moment, ma vie, c'est fuir, éviter et détester. Joli programme.

On m'a demandé si ma maman me manquait, j'ai fait une grimace. Pour être certain que je comprenais ce qu'on me dit, on m'a à nouveau demandé si je voulais revoir ma maman. Alors je me suis mise à pleurer en silence en guise de confirmation. C'est laid une fille qui pleure, les yeux sont gonflés, ça mouche, ça mouche, ça ressemble à Clémentine Célarié. Berk !

-Elle n'est pas idiote, elle comprend, elle est juste traumatisée. Bon, Régine, écoute, on va t'envoyer dans une famille d'accueil la semaine prochaine. J'ai rencontré cette famille, ce sont de braves gens. Il y aura des enfants comme toi, de l'assistance publique, que tu devras considérer comme tes frères et sœurs, une vraie famille, tu comprends ?

Je suis tellement surprise par ce qu'on vient de me raconter que j'ouvre les yeux d'étonnement. L'effet escompté n'était pas celui attendu par l'éducateur.

-Si ça se trouve, elle est peut-être complètement idiote !

Après tant d'années d'études, ce jeune paroissien me semble plus proche de l'Emile Louis que de la congrégation des frères du saint Prépuce...

Et une semaine prochaine plus tard…

Chapitre 4 - Chez les Mercier, famille d’accueil

Et l’orage a passé Sur le village encore vide Les gens sont arrivés C’est le vieux chien qui les guide Quelqu’un s’avance au-devant d’eux La maison est jolie

On se présente un peu Voici l’enfant qu’on vous laisse Dis bonjour au monsieur Il a la main bien épaisse La dame ajuste son col bleu Comme on est bien ici

(Nicolas.) William Sheller

NB : Vous allez me dire, je vous connais, Selder, tête de mort, tu as déjà mis un troisième chapitre... Mes lecteurs, mes amours, si vous continuez, je vous raconte l'intégrale de Michel Onfray, le normandphrodite et là, vous allez vraiment pleurer... mais Régine dans tout ça ?

J'ai une chambre et un lit pour moi toute seule. Je passe carrément de l'état de semi-indigence au confort d'un hôtel de luxe. Ça me fait drôle, me met limite mal à l'aise. Tout ça pour moi.

Voyant que je n'osais pas toucher au mobilier ni à quoi que ce soit, madame Mercier a tenté de me rassurer.

-Tu es chez toi, c'est ta chambre. Djamil et Sarah sont tes frères et sœurs. Tu fais à présent partie de la famille, Régine. Elle aurait pu accompagner cet encouragement d'un baiser furtif, mon premier.… Elle a bien tenté, mais sa bouche était trop près de ma cicatrice, ça l'a refroidi.

Ce sont de braves gens, patients, paisibles. Des gens simples mais sales. Mes dieux qu'ils sont sales, on se croirait chez ma maman. La chaleur humaine fait oublier ce détail.

Cependant, jaloux d'une nouvelle arrivante dans leur famille sur le papier, qui pourrait prendre l'attention et l'affection de leurs parents sur le papier à leur détriment, Djamil et Sarah ne m'adressent pas la parole. Pire, ils m'ignorent. Lui est en CM2 et elle en CM1. Ils sont grands.

-Tu es une pièce rapportée, tu vaux moins que rien, en plus t'es moche, mais moche on dirait un loukoum écrasé par un trente tonnes. Nous aurions voulu une vraie petite sœur normale, une jolie, sans anomalie. Ta cicatrice diminue ta valeur. Toi tu es l'enfant de personne pour de vrai, d'ailleurs, tu ne vas pas rester, nous allons y pourvoir. Ça sera avec douleurs, vu que t'as pas pris l'option gros seins et on te prévient, on ne parle pas la bouche pleine !

Les parents d'accueil touchent une somme pour moi qui équivaut à un SMIC net. Nous sommes trois, donc les Mercier vont bien. Pour les repas, on se régale tous ensemble le matin. Le midi comme je vais aller à l'école, je mangerai à la cantine, ça ne compte pas. Le soir, c'est café au lait et tartines. Les repas de fin de semaine c'est cordon bleu midi et soir avec des pâtes au beurre, je n'ai rien mangé d'autre.

Demain, j'irai à l'école pour la première fois. Je ne serai pas avec mes frères et sœurs sur le papier car l'école est scindée en deux. L'une pour la maternelle et l'autre pour la communale. Je ne pourrai pas non plus les apercevoir, la séparation est un grand et long mur. A ce que j'ai compris, nous pourrons nous croiser le midi à la cantine.

Lundi matin.

On me regarde déjà comme une bête curieuse, on se moque déjà. Et je ne suis seulement qu'en grande section de maternelle malgré mes six ans.

La maitresse calme son petit monde et impose ma présence à côté d'Isabelle la censée être très calme.

Mais Isabelle me repousse, me chasse, me violente, je ne réponds pas. La maitresse n'insiste pas. Elle me met au fond de la classe près du matériel pédagogique.

-C'est juste pour le moment, Régine, le temps que tu sois tolérée par les autres élèves et toi acclimatée à l'ambiance. Prends sur toi.

Là, personne ne fait attention à moi, la maitresse, non plus. Pas grave. Je me mets en devoir de ne pas écouter les consignes en touchant ce matériel pédagogique. Pour la découverte.

Midi. Tout le monde en rang, direction le réfectoire. Cette salle à manger est immense où se tiennent la totalité des demi-pensionnaires des deux écoles. On me met avec les tout-petits. J'essaie d'apercevoir Djamil et Sarah. Une fois repérés, je tente de croiser leur regard mais ils ne me calculent pas. Je ne dois pas être encore leur sœur confirmée, juste débutante. Et à la débutante, on ne prête pas encore attention. Il me faudra faire mes preuves comme sœur pour enfin devenir sœur en titre, même si je n'ai aucune idée à quoi cela devra correspondre. Comme je suis en grande section, on nous autorise, dans un but de responsabilisation et d'autonomie, à avoir un set de couverts complet. Le couteau en inox à bout rond avec des dents m'impressionne beaucoup. Mince, j'ai un couteau, comme les grands.

Tout à coup, un « grand » passe à notre hauteur et soustrait les pommes de deux de mes convives de table. Aucun ne bronche, la pratique doit être coutumière, probablement une tradition. J'attends avec impatience qu'on me prenne la mienne, pour être enfin comme tout le monde !

Un autre « grand » repasse. Cette fois ci, il pique le fromage en portion de la petite à côté de moi. Elle essaie de l'en empêcher, il la frappe, elle pleure, le fromage est parti. Il repasse dans la foulée et lui prend son pain et sa pomme et accompagne son méfait par un :

-Si tu le dis à la maîtresse, je te casse la gueule à la récré.

Mince, ça ne rigole plus.

Une colère monte en moi, je ne sais pas à quoi elle ressemble encore. Les pleurs de mes convives de table n'émeuvent personne et surtout pas les surveillants. Je ne laisserai pas faire. Finalement, on ne me piquera rien, c’est dit.

Le même « grand » arrive confiant et se dirige vers moi, j'agrippe ma fourchette, je suis prête.

Il me donne une claque derrière la tête et prend ma pomme. Je plante sans la moindre hésitation ma fourchette dans sa main. Il saigne. Je recommence. Cette fois ci, je la plante encore sanguinolente dans son poignet. On n'entend pas ses cris, il y a tellement de brouhaha dans ce réfectoire ! Il tombe par terre à côté de moi, il est à ma portée. Je pique une fois sur le haut de sa tête mais la fourchette ne rentre pas. Je ne dois pas être assez forte, il faudra y remédier. Le « grand » tourne sa tête et je plante ma fourchette de toute mes forces dans sa tempe. Les piques glissent et arrachent la peau de la tempe et finissent dans son œil. But !

Je laisse le « grand » dans son état, en position fœtale. Je continue de manger avec ma cuillère. C'est au bout d'un certain temps, quand un surveillant a remarqué les élèves des autres tables se lever pour contempler les dégâts qu'il a daigné se bouger.

Il a simplement ramassé ma victime pour le porter au dehors et appeler les secours dans le calme. La fourchette est encore plantée dans sa tempe. Je continue de manger, parfaitement indifférente à ce qui se passe autour de moi. Je vais bien, il faut me croire.

-Régine, tu restes à table. Me fais une surveillante.

-Pour les autres, debout, dehors, et en silence.

La surveillante m'a laissée seule dans le réfectoire. D'ailleurs, les portes ont été fermées de l'extérieur, je suis enfermée. Je suis la star du moment, j'ai réussi à effrayer un parterre de gosses et d'adultes. Je tâche de profiter des derniers instants de paix en la sublimant en me passant dans ma tête, la musique des échassiers rouges. Je suis apaisée. Ça marche.

J'ai attendu seule comme j'ai l'habitude, puis, un bon moment plus tard, des messieurs en noir sont venus me chercher. Malgré que je sois petite, on m'a mis mes mains derrière le dos et passé des bracelets en fer. Ils ont respecté mon âge et ne m'ont pas bousculée ni malmenée.

Chez les policiers, car je sais enfin leurs noms, une assistante sociale et une dame de la justice sont passées me voir pour me demander des explications. Mais comme je ne parlais pas et que personne ne m'avait jamais entendu parler, la conversation a tourné court. Vu mon jeune âge, je n'ai pas été condamnée mais conduite dans un centre spécial pour les cas comme moi, dans la journée, avec un régime de surveillance accrue et un suivi psychiatrique.

Je ne suis restée qu'une semaine chez les Mercier. Je n'ai été que sœur de papier. Une matinée dans une école en bois de mirliton et une semaine dans une famille de papier…

Un truc aussi, pendant que je piquais mon voleur à la fourchette, j’ai ressenti un truc qui ressemblait vaguement à du bien-être, du plaisir, même si je ne connaissais pas ces ressentis ni leur nom. J'étais juste bien au point de me tortiller et me frotter sur le bord du tabouret.

Chapitre 5 - On progresse !

Je suis restée une quinzaine de jours assise dans la cours, en récréation continue, attendant la fin de l'année scolaire. Et quand il faisait mauvais, que c'était l'heure de manger ou trop tard, je rentrais. On ne m'a pas embêtée, sûrement parce que je devais être la plus jeune. Il y avait de tout dans ce centre. Des illettrés, des anormaux, des secoués, des abusés, des délinquants, des tourmentés, des violents naturels ou pas et surtout des indigents. On se croirait au festival d’Avignon. C’est un joyeux bordel semi-sédaté où je suis avec ceux qui me ressemblent, des monstres. C'est une récréation perpétuelle, un palier, un tremplin, une dernière goulée d'air avant la liberté. La liberté qu'ils redoutent tous. Ils sont fous. Qu'ils disent ! Les gros durs, si on cherche à fixer leur regard, ils fuient. C'est une preuve de lucidité. Ils refusent d'en sortir. Et l'administration qui fait des efforts, essayant de faire semblant de les comprendre. Ici, on écoute, en attendant d'être écoutés par l'administration suivante. On paye cher des gens diplômés en « écoutologie » pour écouter et prendre des notes. On en vit, c’est une pratique à défaut d'un métier qui s’apprend. Il faut bien que tout le monde bouffe.

Les grandes vacances sont arrivées. J'ai regardé partir tous les enfants du centre. Comme je suis arrivée la dernière et que rien n'a été prévu pour moi, assujettie sociale, je suis restée seule avec monsieur Antoine.

Monsieur Antoine est un ancien légionnaire, ancien routier et ancien croque-mort. Si, si ça existe ! Et dans l'ordre, si you plé. Normalement, il est à la retraite. Mais comme sa pension est insuffisante, comme il dit, il arrondit ses revenus en tant que surveillant éducateur. Il me fait peur, il est si fort malgré son âge. Quand il parle, il fait peur à tout le monde. Il a des yeux de fou. Lui et un autre qui fait le ménage dans le centre va rester avec nous pour nous faire à manger. Quand ils s'en vont, c'est l'éducatrice spécialisée et veilleuse de nuit qui s'occupe de moi : lavager, surveillage et couchage. Comme je suis surveillée, pour ne pas que je m'échappe, ma porte est fermée. Si j'ai une envie pressante pendant la nuit, j'ai un seau. On ne me délivre qu'au matin.

Monsieur Antoine m'a parlé pendant que je déjeunais.

-Bon, mademoiselle Barnard, il est huit heures et demie. J’ai l’honneur de te rendre compte que nous allons passer deux mois ensemble, soixante jours, weekends compris. Il est hors de question de te laisser végéter. Nous allons donc travailler tous les deux à te faire progresser. Mais travailler et progresser dans la joie et la bonne humeur, on commence tout de suite ! Viens avec moi, on va en salle télé. Au fait, tu sais parler, tu n'es pas muette, nous sommes bien d'accord ? je t'écoute ?

-Oui.

-Il me semblait bien. Tu as une jolie voix, nous allons la faire sortir et l'améliorer, tu veux bien ?

-Oui !

-Parfait alors !

-Oui !

-Mais dis-moi, Régine, trois mots d’un coup, quelle pipelette ! T’es bien une fille, toi !

Je rigole de bon cœur pour la première fois de ma vie. Tout à coup, je n'ai plus peur de monsieur Antoine, c'est un faux méchant. Plutôt, il est gentil avec qui il veut.

Arrivés dans la salle télé, monsieur Antoine déballe un carton avec un étrange appareil. Il me dit que c'est un électrophone.

-On appelle ça aussi un tourne-disque ! Celui-là, je le tiens de mon vieux papa.

Il y a un carton plus petit avec un tas de choses que je ne connais pas.

-Ca, ce sont des disques en vinyle, un trésor de culture et de distraction. Du bonheur en concentré. Tu vas voir, on va bien s'amuser !

Une fois installé, réuni et branché tout le bazar, monsieur Antoine extrait du carton un petit disque habillé d'une pochette avec des dessins d’animaux colorés magnifiques. Il le sort et l’essuie d’un chiffon doux.

-Rien de mieux pour apprendre à parler et à articuler : chanter en même temps que le disque. Tu vas voir, je vais chantonner avec toi, j’adore ça !

Ce disque est une compilation des rondes et chansons de France. C'est très vieux, ça date des années soixante. Il me tend la pochette et je m'enchante de l'image. J'essaie de déchiffrer ce qui semble être les titres des chansons mais je ne sais pas lire. Monsieur Antoine le remarque. Il remarque tout, il est fort.

-Pas de souci, dans deux mois, tu liras et tu écriras comme moi. On va bosser dur.

Monsieur Antoine pose le disque sur le plateau tournant et actionne le bras de lecture.

-Attention, c'est parti !

La chanson s'appelle « les crocodiles ».

Monsieur Antoine chante, danse et mime la chanson en même temps qu'elle passe. Je ris, je ne peux plus m'arrêter. L'émotion est si forte que je ris et je pleure à la fois.

-C’est trop vite. Dis-je.

-Pas de problème, la miss, on va le régler sur 33 tours, écoute !

Et là, comble de magie, simplement en actionnant un bouton, la chanson défile lentement. Monsieur Antoine recommence à chanter, mimer et danser à la cadence d'un disque de 33 tours. Je ris de plus belle. Il est plaisant, je le voudrais tellement comme papy.

-Tu as retenu un peu les paroles ?

-Oui !

-Maintenant chante avec moi, tu n'es pas obligée de danser, je te rassure !

Il ne m'a fallu qu'une matinée pour maîtriser les crocodiles mais en vitesse de 33 tours.

-On recommencera demain. En attendant, on va écouter les autres chansons et tu me diras celle que tu veux apprendre, d'accord ?

-D'accord !

-Avant d'aller manger, on va prendre l'apéritif, Régine ! Nous allons apprendre le gainage pour te muscler et ainsi te rendre forte ! Nous prendrons l'apéritif midi et soir !

-Oui, je veux !

-Moi aussi je veux, ça tombe bien. Ma femme me dit que mon ventre ressemble à du flan aux pruneaux !

Tous les jours, midi et soir, je souffrais de plus en plus longtemps en position de gainage.

Pendant les repas, nous parlions de tout et de rien avec le cuistot et monsieur Antoine. J'étais le personnage central, tout était prétexte à me faire parler. On me noyait de questions.

L'après-midi, je lisais à voix haute, j'écrivais. Nous prenions souvent des pauses durant lesquelles monsieur Antoine me faisait faire des exercices de dextérité avec des balles, des billes des cailloux. Il m'a appris à faire des avions et des cocotes en papier aussi.

Avant de dîner, j'avais droit à une projection de deux épisodes d'il était une fois la vie.

Nous avons fini par dîner tous les trois en salle de projection. Le cuistot aussi posait des questions sur les épisodes projetés. Il était aussi ignare que moi mais monsieur Antoine ne se moquait jamais et répondait à toutes les questions.

-Au fait, à quelle heure est l'extinction des feux quand ta marâtre t'enferme dans ton donjon, princesse Régine ?

-Je réintègre le dortoir à vingt heures trente et extinction des feux à vingt et une heure, monsieur Antoine.

-Pas de veillée ?

-L'éducatrice me laisse chanter dans la salle télé jusqu'à ce que ce soit l'heure de monter en chambre.

-Tu veux de la lecture ? Des Lucky-Luke, des Tintin, des Astérix, des Picsou pour lire au lit ?

-Oh, je pourrais ?

-Bon, je vais te chercher ça. Un par soirée, ça ira bien. Après tout, BD, romans, c'est de la lecture. On verra Proust et Colette dans quelques années. Au fait, ça se passe comment avec la surveillante de nuit ?

-Ca se passe, elle ne me dit pas un mot, pourtant je dis bonne nuit.

-Je vais l’attendre pour lui donner quelques consignes te concernant.

-Monsieur Antoine, vous restez tard, les autres éducateurs partent à dix-huit heures et l'éducatrice de nuit attend que vous partiez. Vous êtes obligé de partir si tard ?

-Je n'ai que ça à faire et tu es une bonne élève, alors je reste. Sinon, je ne le ferais pas.

Les paroles de monsieur Antoine m'ont touché, plus que je ne suppose. Des encouragements.

Comme il l'a dit, monsieur Antoine est allé parler à l'éducatrice de nuit. Elle était figée, au garde à vous, hypnotisée. Après cette mise au point, j'obtins le droit de lire dans ma chambre malgré l'interdiction du règlement et un petit « Bonne nuit Régine » timide en bonus.

Je parle, je chante, je ris, je m’exprime, je lis, j’écris. J’ai les bras, le dos et le ventre bien durs. J’ai changé. J’ai sept ans et j'ai salement progressé. Je n'ai rien à faire dans cet asile de fous, je dois intégrer un cursus scolaire normal.

C'est déjà la rentrée. Monsieur Antoine a remballé son électrophone et ses disques. Les BD ont réintégré la bibliothèque du centre et puis il est parti. Tout le monde est rentré. L'intimité du lieu a été violée. On a ouvert les fenêtres en grand. Le bonheur s'est échappé. Les monstres caractériels ont repris du service et chassés les derniers vestiges de ma stabilité émotionnelle.

-Bonne chance pour la suite, Régine, t'es une bonne petite. Continue de t'instruire, lis, n'importe quoi mais ne régresse pas et impose toi au moins dix minutes de gainage par jour, tu seras sauvée.

Durant les deux mois passés avec monsieur Antoine, je ne suis pas passée chez le coiffeur. Mes cheveux ont bien repoussé, on voit à peine ma cicatrice. Un peu mais pas trop. Un peu.

Avant mon transfert le jour même dans un foyer pour sujets difficiles, j’obtins, grâce aux consignes de la surveillante de nuit laissées aux éducateurs de jour, de rafraîchir ma tignasse chez le coiffeur du centre. Par pure question d'hygiène, naturellement.

-Eh ben voilà, tu as à peu près la même coupe que mon arrière-grand-mère à la libération !

Cette fois ci, on ne remarque que ma cicatrice. Comme on ne m'a pas parlé, je n'ai pas répondu. Personne ne s'est aperçu de mes progrès. J'ai peur.

Je me passe dans ma tête la musique des échassiers rouges. Les crocodiles du bord du Nil sont loin à présent. Ils sont partis, n’en parlons plus.

Un crocodile, s'en allant à la guerre Disait adieu à ses petits-enfants Traînant sa queue, sa queue dans la poussière Il s'en allait combattre les éléphants.

Jacques Offenbach. Le hourra du crocodile

Chapitre 6 - Décidément

C’est également l'éducatrice et surveillante de nuit qui a préparé mon sac pour mon départ. Elle aurait dû partir au moment de la relève des éducateurs de jour mais elle a tenu à rester pour moi. Il ne lui a fallu que vingt secondes chrono pour entasser grossièrement mes affaires. J'ai eu droit, au moment de monter dans la bétaillère du centre qui m'emmenait loin d'ici à un franc et sonore :

-Bonne nuit Régine !

Je ne suis pas la seule dans cet utilitaire qui s'apparente à un transfert de détenus. Il y a deux autres pensionnaires qui se sont mal comportés durant les congés d'été. Ils ont été jugés dans un tribunal pour enfants en comparution immédiate du fait de leur jeune âge et qui sont mutés dans un centre pour sujets difficiles. Ils ne me regardent même pas. Ils ont l'air hagards, sales, usés, au bout de leur vie. Leurs doigts sont jaunes de tabac, leurs ongles sont rongés, leurs dents sont gâtées et élimées à force de se ronger les ongles. J'ai presque pitié d'eux. Mais moi, que vais-je faire là-bas ? J'ai déjà oublié cette affaire de fourchette plantée. D'un côté, je ne vaux pas mieux qu'eux puisque je suis dans la même galère.

Nous avons fait un arrêt pipi sur une aire d'autoroute, la fille aux doigt jaunis en a profité pour se carapater. Les accompagnateurs n’en n’ont pas fait un drame.

-Elle a dû faire du stop ou proposer un truc bien salace en échange d'une place à un automobiliste pour qu’il la prenne. C’est bien son genre. Elle est perdue, tant pis pour elle.

Par contre, ils ont rossé fort la fille qui ironisait sur la situation. L’accompagnateur s’est fait plaisir durant au moins une minute à s'acharner sur elle. La gamine était comme une poupée chiffon, totalement incapable de se défendre ou du moins tenter de se protéger avec ses bras ou ses mains. Elle n'était pas inconsciente et ne pleurait pas. Je crois qu’elle n'en avait pas la force. Avant notre arrivé au centre pour enfants difficiles, le chauffeur et l'accompagnateur ont à nouveau frappé la fille. Longtemps. Peut-être qu’elle aussi se passait l'air des échassiers rouges durant les moments compliqués ? Elle a quand même eu l'énergie et un semblant de lucidité pour se défendre, d'expirer deux mots sous son apnée juvénile.

-Vous n'avez pas le droit, j'ai des droits !

-Nous ne sommes pas affiliés à la ligue des droits de l'homme. Tu réclames la justice après ce que tu as fait, misérable ? Là où tu vas, on va bien s'occuper de toi, tu vas la vénérer la bonne vieille justice républicaine !

-Comme tu es trop faible et trop lâche à faire du mal aux bêtes, dorénavant, si tu dois te venger, te défouler ou t'acharner sur quelqu'un, ce ne sera que sur toi même, ne l'oublie pas !

Sur place, j'ai été prise en compte immédiatement par un éducateur qui m'a parlé très calmement. Il m'a longuement expliqué les fondamentaux de cet établissement pour filles, ce que j’allais y faire, ce qu’on attendait de moi et les inévitables sanctions qui allaient en découler si je débordais. Comme je ne répondais pas ni faisais au moins semblant d'acquiescer, il m'a laissé installer mes affaires dans ma chambre avant de me dire en partant.

-Tu es prévenue au moins. Je viens te chercher dans cinq minutes, tu vas passer chez le psy, c'est un point de passage obligé, tu iras régulièrement.