Un enfer pour deux - Villaescusa Jean Pierre - E-Book

Un enfer pour deux E-Book

Villaescusa Jean Pierre

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Beschreibung

Juliette s’endort et plonge dans un rêve où les frontières se dissolvent. Aux côtés de Jules, elle explore des contrées oscillantes entre l’enfer et le paradis, croisant des figures emblématiques de l’Art nouveau viennois… y compris Freud. Pourtant, derrière ces rencontres se cachent des vérités enfouies et des trahisons qu’elle n’avait jamais souhaité affronter. Puis apparaissent Gustav Klimt et une toile singulière : celle de la jeune Mäda Primavesi, résolue et déterminée. Cette œuvre, mystérieusement connectée à Juliette, au potentiel de bouleverser son existence, révèle un passé insoupçonné. Rêve ou réalité, ce voyage promet de transformer son destin à jamais.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Élu à l’Assemblée des Français de l’étranger de 1997 à 2014 et président de la commission des affaires européennes de l’AFE pendant une décennie, Jean Pierre Villaescusa est le fondateur de l’initiative Europe en mouvement au sein du ministère des Affaires étrangères. De plus, il a été récompensé par diverses distinctions honorifiques, dont les Palmes académiques, l’ordre national du Mérite et la Légion d’honneur.

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Seitenzahl: 224

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Jean Pierre Villaescusa

Un enfer pour deux

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Pierre Villaescusa

ISBN : 979-10-422-5133-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

À Mariette.

L’arrivée

Mais qu’est-ce que je fais, ou plutôt nous faisons là tous deux ?

C’est complètement glauque ici. Et d’une tristesse à mourir.

Je vous reconnais. Nous étions assis côte à côte sur ce vol qui, pour une fois, était parti à l’heure. Ah oui ! Mon voisin de siège.

Un bonheur… Il ne mâchait pas de chewing-gum, ne froissait pas constamment un paquet de chips, n’écoutait pas de musique inaudible pour moi avec un casque qui laissait entendre un désastre de notes agressives. Bref, un homme normal selon moi.

En plus, il était agréable à voir, bien parfumé. Le rêve.

Pas mal. À mieux connaître. D’ailleurs, je l’avais remarqué lors du dernier concert. Il était au premier rang des violoncelles, et moi au violon. À la Konzerthaus de Wien, belle adresse.

Nous avions commencé par l’ouverture de La Force du Destin. Présage.

On dit que c’est un opéra qui porte malheur. Il faut se souvenir de la première ratée à Saint-Pétersbourg ; la cantatrice malade, pas de remplaçante à la hauteur pour le maestro Verdi.

Le librettiste Piave n’y a pas survécu non plus. Une série de catastrophes. Certains chefs ne veulent pas la diriger, un petit nombre de chanteurs l’évitent. Superstition. À voir !

Nous aurions dû les imiter.

Après, ce fut Ravel. Un petit boléro et une valse. Pour nous, ce fut une dernière.

On ne se connaît pas vraiment et nous avons emprunté le même vol de retour. Mais je ne sais ce qu’il fait avec moi ici.

Moi, c’est Juliette, et toi ? Jules ! Dommage, tu aurais dû te prénommer Roméo.

Inaccueillant, c’est le moins que l’on puisse dire avec ce fond musical incessant ; toujours, ce boléro de Ravel en boucle qui revient à nos oreilles. Merci de nous le rappeler. C’est beau, mais cela devient vite lassant.

C’est ce qui reste dans mon cerveau. Le reste, c’est flou.

Rebonjour, dit-elle. Le souvenir revient finalement.

Au concert puis dans l’avion. Un bruit, une secousse au décollage, des cris, un choc puis des sirènes d’ambulances. L’ambulancier conduisait trop vite. On sort indemnes d’un accident pour en subir un autre. Je ne pensais pas à moi, je pensais à mon violon, de peur de le voir en morceaux.

Et tout s’efface jusqu’à maintenant.

En un mot, je suis morte, il est mort, nous sommes morts.

Moi, dit Jules, j’avais un violoncelle, je n’ose même pas y penser. C’est plus que fragile. Où peut-elle être maintenant ? Adieu, mon ami.

Mais nous nous voyons et nous pouvons parler.

Étrange. En principe, quand on est mort… on ne discute plus.

Problème : où sommes-nous ? C’est moche, sombre, triste au possible, et je croyais que la mort c’était le néant. Et puis finalement, on se voit, on se parle.

Mais si c’est ça, le Paradis… On nous a trompés sur la marchandise.

Le Paradis, évidemment. Notre place ne peut être qu’ici.

Que faisiez-vous dans la vie ?

Comme vous, musicienne. Vous le savez bien. Je suis certain que vous m’aviez repéré. À peine modeste, le petit Jules.

On était ensemble à Vienne.

J’ai aussi beaucoup travaillé durant la pandémie. Mais de façon bénévole. Cela m’est arrivé aussi, dit Juliette. Coïncidence ou pas. On aurait pu se rencontrer avant, au chevet d’un même patient, mais nous sommes restés devant la même partition. Pas si mal.

Il faut souvent deux métiers pour en vivre, mais ce n’était pas le cas. Les concerts payaient bien. Par pur humanisme.

L’envie d’aider. C’était une sale période.

Pour l’heure, je me suis retrouvé avec toi dans le même hôpital.

Je t’ai vue portée sur des brancards, moi, cela pouvait encore aller. Une commotion, comme ils disent ; en fait, un long étourdissement sans conséquences mortelles. On s’est retrouvés ensemble, alités dans la même chambre, mais j’étais trop fatigué pour apprécier. Après cela, on t’a emmenée je ne sais où et tu étais mal en point. Tu as vaguement émis quelques notes de musique. Cela te tenait à cœur. Mais un duo aurait été malvenu. Bien que transformée en momie avec tous tes pansements, que tu étais belle ! Je me suis tout de suite posé cette question : pourquoi toi avec moi, alors que nous étions si nombreux dans le bus ; un orchestre au complet. Il y avait une jolie pianiste qui nous avait accompagnés, je m’en souviens, mais pas de son prénom, cela commençait par un « J ». Mignonne.

Mais c’est avec toi, la violoniste, que je me retrouve, et je ne m’en plains pas.

Restons sérieux. L’heure n’est pas à la légèreté ni à la drague, mon cher ami. Il fallait y penser et entreprendre avant.

Avec moi ou avec ta pianiste inconnue. Je n’en ai pas souvenir.

C’était un beau concert, le dernier programmé. Nous avons bien joué, tous, et le chef était content, sans reproches, sans moue dubitative comme il en a l’habitude. Je déteste.

En fait, c’était la fin d’une tournée d’été. Les gens imaginent que nous sommes heureux, tétanisés par notre succès.

En réalité, nous nous souvenons surtout de voyages, aussi longs que fastidieux, à écouter les egos de chacun. De ceux qui vous expliquent quel tempo il aurait dû respecter, quel sentiment le compositeur avait voulu exprimer, les fautes de départ, trop vite, trop lent, pas assez molto, trop ceci, trop cela… Vous avez toutes les notes, mais pas le sentiment.

À se demander si cette folie musicale n’est pas à l’origine de ce crash. Une vengeance divine.

Cela n’explique pas ce que nous faisons ici.

Nous sommes tous deux des gens de bien, nous méritons un doux Paradis, s’il existe, pour avoir donné une partie de notre vie à donner du plaisir à nombre de nos contemporains, et en avoir accessoirement soigné, consolé, cajolé, écouté certains.

Et gratuitement.

Faire de la musique, c’est donner du plaisir. C’est sa fonction première selon Debussy.

Quelqu’un vient.

Sombre personnage, mais tout est sombre, cela ne choque pas dans ce lieu.

— Bonjour, jeunes gens ! Vous avez l’air perdus !

— C’est le moins que l’on puisse dire. Il faudra rediscuter avec l’agence de voyages. Où sommes-nous ?

— Ah ! Je vois. J’ai l’habitude des paumés. Suivez-moi.

Et l’on se retrouve devant une sorte de bureau, à attendre la permission d’entrer, et tout d’un coup notre mémoire revient.

Tous les deux simultanément. Nous réagissions comme des horloges.

Nous avons déjà vécu cette scène, il y a… on ne sait plus.

Nous étions tous les deux déjà devant un autre bureau, mais il y avait une foule de gens tous différents les uns des autres. Des langues variées : du russe ou approximatif, de l’hébreu, de l’arabe, bref, des gens venus de tous les conflits du monde. Et j’en oublie. Et des gens plus ordinaires.

Alors on a attendu, attendu et encore attendu. Au fil des heures, la file devenait moins dense. Les gens entraient, restaient parfois trop longtemps à notre goût puis ressortaient en allant vers des directions opposées, en général avec un air grincheux pour les uns, affolé pour d’autres. On se serait crus à Pôle Emploi par temps de chômage. Et le temps a passé lentement, trop lentement. Nous nous sommes peut-être endormis, épaule contre épaule. Avec tout ce qu’il fallait de tendresse pour nous rassurer. Et réveillés. Mais surprise, il n’y avait plus personne. Finie la foule, les portes du bureau étaient fermées.

Alors nous avons attendu et encore attendu.

Il fallait prendre une décision : nous avons entrepris de marcher dans ces couloirs peu encourageants, mais nous l’avons fait. Nous avons tourné, tourné à droite, à gauche, si bien que nous aurions été incapables de retrouver notre chemin.

Chemin que nous avons repris après une petite pause.

Et toujours personne, pas la moindre indication, le moindre fléchage.

La promenade s’est arrêtée devant une nouvelle porte, grande et grise, une sorte d’ascenseur géant pouvant embarquer bien du monde.

Après réflexion, nous avons décidé de tenter notre chance et sommes entrés dans ce caisson curieux.

Plus encore, il n’y avait qu’un seul bouton. Noir.

Pas d’alarme, juste ce gros bouton banal sur lequel j’ai appuyé.

La bête s’est mise en marche, allant vers le bas et cela n’en finissait pas ; combien de temps de descente ? Aucune idée.

Et nous nous sommes retrouvés ici, dans cette atmosphère si peu sympathique. Je ne trouve pas d’autres mots.

Je commence à comprendre, dit leur rencontre.

Vous étiez au bon endroit avec une sorte d’éternité se profilant, mais vous gardez en vous ce besoin de faire les choses rapidement.

Les hommes sont toujours pressés. Il fallait encore attendre.

Il faut comprendre que dans ce système, je n’ose pas dire notre monde, tout est encore organisé comme cela l’est en bas. Ceux du bureau que vous attendiez, bureau devant lequel vous avez beaucoup poireauté, certes, sont d’anciens fonctionnaires qui ont gardé leurs petites habitudes.

L’heure, c’est l’heure, surtout quand il s’agit de partir. Les portes se ferment tous les jours à la même heure ou même avant, et il faut dans votre cas attendre ou revenir le lendemain ou bien plus tard.

Cela peut durer. Une semaine, deux, trois. Nos ex-employés municipaux ou autres se font un malin plaisir de faire attendre afin de montrer leur petit pouvoir devant des personnes bien plus importantes le plus souvent. Rien n’a changé.

D’autres que vous avez poireauté des lustres à attendre le bon vouloir de ces messieurs engagés par la firme du haut, je veux parler de ce qu’on surnomme le Paradis. Après tout, qu’importe le temps qui passe, il ne sert plus à rien.

Un ancien fonctionnaire reste un fonctionnaire, muni de son attirail, : montre, calculette, papier collant, agrafeuse, stylos, gommes, classeurs et autres objets de papeterie.

À se demander d’où ils les sortent…

Et vous, impétueusement, vous vous êtes engouffrés dans un ascenseur sombre et inhospitalier que vous ne connaissiez pas. Précipitation, précipitation… et maintenant vous voici dans de beaux draps. Vous êtes descendus avec un monte-charge qui n’est qu’une « descente-charge » puisqu’il n’a pas de bouton allant vers le haut. Cela aurait dû vous alerter.

On descend en Enfer et on y reste sans aucune chance de remonter… sauf pour de rares exceptions… Donc pas d’autres boutons.

Parce que c’est l’Enfer ?

Oui, mais sans aucun rapport avec ce que l’on en dit en haut. Du roman, de l’imaginaire pour petites filles. Ici, c’est bien plus élaboré, plus subtil. Je vous expliquerai.

En temps et en heure… si le temps a encore une importance.

Mais nous sommes des gentils, nous étions tous deux dans un avion avec presque tout un orchestre. Nous nous sommes retrouvés dans une ambulance. Il fallait aller vite, très vite pour nous sauver. Le conducteur a pris cela trop à cœur et ce fut l’accident, presque programmé. Encastrés dans… je ne sais quoi, mais quelque chose de gros.

D’abord l’avion, puis le bus. Le sort était contre nous. Nous nous sommes retrouvés dans une autre atmosphère, curieuse. Et nous avons réalisé.

Zut ! nous sommes morts. Un drôle de personnage s’est avancé vers nous, a posé des tas de questions et comme nous étions musiciens, il a parlé de nous aiguiller vers un domaine qui serait une zone réservée à notre art. En fait, nous sommes des instrumentistes. Dans un orchestre de renommée.

Pas les plus connus, sans célébrité, mais méritants pour le moins. Un moindre mal finalement, puisque les choses en sont là, mais les formalités d’admission nous ont conduits là où nous sommes. Égarés et forcément déçus.

Que faire ?

Nous allons étudier vos dossiers et si, éventuellement, vous êtes ici vraiment par erreur, par votre stupide impatience qui frise l’étourderie, nous envisageons de chercher une solution… mais il vous en faudra de ce que vous semblez manquer : la patience.

En attendant, vous allez me suivre et comme nos agendas sont vides et que le temps, encore lui, ne compte pas, j’avais tenté de vous expliquer ce qui se passe ici.

Tout en ayant conscience que nous ne sommes qu’au premier sous-sol du lieu, mais c’est une tout autre histoire.

Commençons !

Posez-vous la vraie question : pourquoi certains se retrouvent-ils en Enfer et non pas au Paradis, dans ce lieu si ennuyeux, soit dit en passant ?

Vous m’avez l’air sympathiques, alors je vais tout vous expliquer. D’abord, oubliez tout ce que vous savez sur le sujet. Damnés, Orphée et sa copine Eurydice, sans parler de la philosophie de bistrot, Sartre inclus. Si vous savez de qui je parle.

Non ! Trop jeunes, évidemment.

— Mais si, rétorque Jules. Nous ne sommes pas analphabètes. Nous avons lu. Vous nous prenez pour qui ?

La vie en enfer

L’Enfer, ce n’est pas un univers de flammes et de douleur, mais ce n’est pas un lieu enchanteur non plus.

Ici, on doit payer ses erreurs, sa mauvaise vie, et notre méthode, peu élégante, je l’avoue, c’est la vengeance, mais une vengeance sophistiquée. À petit feu.

Le principe : chacun devra vivre avec et subir les aléas et autres tortures morales qu’il a fait endurer à ses contemporains.

Je fais endurer, donc j’endure… à mon tour.

La facture, finalement, est douce. Et de plus, on s’ennuie moins qu’au Paradis.

Ici, au moins, il y a du mouvement.

Et de l’humour, finalement.

Je vais vous faire visiter.

Il faut d’abord savoir que nous ne sommes qu’au premier entre -sol, au premier palier. Ici, pas de meurtriers, de tueurs en série, de pédophiles, de violeurs, de génocidaires évidemment.

Pas d’âmes totalement perdues à jamais.

Le public moyen est fait de petits voyous, d’escrocs, de diffamateurs, de voleurs, enfin bref, de gens dont la conduite était loin d’être irréprochable, et d’autres encore, qui ont été accusés d’avoir perverti et d’avoir été responsables du déclin intellectuel de leurs contemporains.

Cela peut paraître anodin, mais nous considérons cela comme un crime d’avoir participé trop activement à rendre le monde stupide. Et l’on sait où la stupidité peut mener ; le flétrissement de l’âme, la perte des convictions et de la lucidité, qui ont conduit nombre d’humains à mener des combats aussi sanglants qu’inutiles. Rendre idiot constitue un crime.

Nous n’avons d’estime que pour ceux qui ont voulu et essayé d’élever l’humanité, de la rendre intelligente et, de ce fait, parfois, parfois seulement hélas, meilleure. Et puis, il y a les ennuyeux, de toutes sortes, ceux qui ont gâché le quotidien des autres, des toxiques. Pas dangereux, mais finalement nocifs.

Leur dette envers l’humanité, leur facture, n’est pas trop élevée. La sanction n’est pas trop lourde. Il aurait été bien de faire régler cette dette de leur vivant. Une bonne leçon pour les autres.

Plus en bas, c’est autre chose. Il y a aussi des places déjà réservées pour l’avenir, avec des faiseurs de troubles, de guerres, irresponsables et malfaisants. L’Enfer les attend, comme on disait dans Faust. Je ne peux citer de noms, mais si vous avez quitté le monde des vivants depuis peu, vous voyez de qui je veux parler. C’est un petit, avec une face de lune, oui, vous avez compris. Mais chut ! Mais il n’est pas le seul. La liste est longue. Nous avons le temps pour nous.

La facture

Nos deux malheureux égarés se laissent conduire de nouveau dans un dédale de couloirs, sombres en général, déserts, bref, peu accueillants.

Une porte devant nous : « MÉDIAS ».

La télévision ici, pourquoi faire ?

Notre référent du moment nous explique. Derrière cette porte se trouvent quelques anciennes gloires du petit écran, comme vous l’appelez. Ils ont été nocifs pendant trop de temps.

Je vous en montre un ; regardez par le hublot.

Celui-là a passé des années à obliger la population à regarder des jeux de vachettes, avec des mises en scène de situations ridicules, provoquant les rires gras d’une population en phase d’abêtissement. Je ne peux citer son nom, mais ce Guy ne devait pas être une lumière, si vous me suivez.

Son copain avait un nom ressemblant à un fruit acide un peu jaune.

Vous semblez intelligents et vous m’avez compris.

Ils ont gâché l’intellect de toute une génération, au moins.

Dans le même style, nous attendons encore quelques tourneurs de torchons, qui seront en parfaite adéquation avec ceux-là.

Je ne peux les nommer tous, ils seraient capables d’intenter un procès une fois parmi nous ; mais nous pensons à faire agrandir la salle. Alors que font-ils ? C’est simple, ils sont condamnés à visualiser les pires stupidités dont ils sont les créateurs, mais les visualiser en boucle, et ce pendant des années, sans le moindre repos, sans relâche, et c’est une torture ; pas physique, mais affreusement psychique.

Certains crient, demandent pardon, s’évanouissent de dégoût, mais nous les réveillons. Ils ne doivent pas perdre une miette de leurs œuvres passées. La rédemption va venir pour eux.

Dans la salle mitoyenne, toujours un écran. Ceux-là sont obligés d’écouter sans relâche des anonymes qui s’imaginent avoir de la voix et reprennent devant un prompteur les chansons les plus stupides qui soient, reprises par des amateurs de pacotille excités devant un micro, et leur famille les admirant par écran interposé.

Entendre cela pendant des heures, c’est déjà un supplice, mais lorsque cela dure presque indéfiniment, là encore on demande pardon. Ceux-là ont sévi dans nombre de pays tous les samedis en soirée, détournant les gens de la lecture, des discussions familiales ou de sorties plus culturelles comme le cinéma ou le théâtre. Nous ne sommes pas trop sévères avec eux.

Le cinéma, le théâtre, nous y venons. Les faits sont beaucoup moins graves que les précédents.

Abêtir l’humanité est un travail d’orfèvre qui n’a pas été mis entre les mains d’amateurs.

Alors, il y a les ennuyeux. Leurs péchés sont assez légers, mais le comité a jugé bon de les accueillir ici plutôt qu’en haut. Décision contestable certainement, mais ils auraient, selon certains, beaucoup ennuyé leur public.

Le genou de machine, ma nuit chez une autre… pour rester discrets. Discutable.

Alors ils sont condamnés à revisionner leurs films un nombre de fois considérable, de quoi leur permettre une petite introspection salutaire pour un futur qu’ils n’ont plus.

C’est discutable et je ne sais qui a pris cette décision à leur endroit.

On y accueille aussi les rois du vaudeville, théâtre vulgaire et primitif pour certains. Mais là aussi, il y a exagération.

Nous aurions pu être moins intransigeants. Ici aussi, nous souffrons de maîtres à penser, des censeurs professionnels qui se prennent trop au sérieux.

Nous sommes restés dans l’art populaire, celui que l’on est plus ou moins obligés de voir et revoir. Peinture, musique échappent à cela. Les musées et expositions ne sont pas obligatoires.

Tout est art, paraît-il.

Vous remarquerez que l’on reste dans des malfaisances légères.

Certains d’entre eux pourront peut-être remonter vers des cieux plus cléments. Cela dépend de la commission, du PE (comprenez : le PARADIS – ENFER) et de ses instances qui décident un peu de tout. Nous y reviendrons.

Vous pourrez peut-être y échapper avec des procédures simplifiées ne demandant pas des décisions à l’unanimité.

Pour l’heure, la visite. Il reste beaucoup de sites insolites pour vous.

SOCIAL

De nouveau, la promenade à travers le dédale de couloirs et d’alcôves.

Un coin un peu plus sombre.

Les antisémites

Ici sont regroupés des individus qui ne supportent pas la différence, la culture des autres. On ne peut pas tous les citer.

Pour exemple, derrière cette porte, des personnes se disent antisémites sans trop savoir pourquoi. Une habitude, un mode culturel. Il y en a de toutes les générations. Je ne parle pas de ceux de la Shoah et de tous les pogroms des périodes parfois ancestrales. Ils sont regroupés bien plus bas.

Mieux vaut ne pas savoir.

Alors : pour eux, c’est une vidéo qui de nouveau passe sans discontinuité : des gens heureux dansant, chantant, priant à l’occasion de toutes les fêtes, de la Pâque, des Azymes des Prémices, de Shavouot (des Trompettes), des Expiations (Yom Kippour), de Souccot (cabanes – Tabernacles)), de Hanoukka, la fête des Lumières… Regarder la joie, le bonheur, pendant des périodes sempiternellement longues, cela peut agacer.

Mais c’est la facture. Et ce n’est pas cher payé.

Islamophobes

Même punition. On remplace les fêtes juives par d’autres :

Ramadan, Laylat al-Qadr, Aïd el-Fitr, Aïd-el-Kébir. Des chants de la musique berbère, Oum Kalthoum la plus connue.

Cela peut être beau, mais au bout d’un moment, cela lasse. Pour le moins.

Idem pour tous les racistes, et intolérants de tous bords.

Les autres

Difficile de les citer, les humains ont tellement de préjugés, de haine en eux, c’est un fait, la condition humaine pour certains, un dévoiement pour nous.

D’anciens fonctionnaires des impôts, des banquiers peu scrupuleux, des agents d’assurances, de ceux qui vous agressent presque avec leurs propositions de contrats toujours avantageuses… pour qui ?

On a même un vendeur de matelas qui nous avait été signalé, capable de tourner la tête et de rendre fou tout acquéreur du précieux objet de literie. Ils sont certains que sur Terre on a envie de damner à juste raison.

Les auteurs de délits sexuels sont un peu à part, peu respectés dans ces murs. Les simples indélicats font un stage court, à vous d’imaginer la facture, c’est presque un amusement pour nous. Quant aux vrais agresseurs, violeurs, ils ne sont pas à cet étage. Ils ont écopé de punitions moins douces et sont relégués à l’étage inférieur. On ne plaisante pas avec cela ici. Sans parler des homophobes, pas toujours bien acceptés non plus. Et pourtant, il n’y a pas d’anges au sexe indéterminé, contrairement à la légende.

Il y a des choses plus étranges, par exemple la vie ici d’un homme ordinaire qui malmenait son personnel ; jamais content du ménage, des rangements faits dans sa superbe villa.

Poussant finalement au suicide deux de ses employés ayant dépassé les limites du burn-out. Un méchant gratuit. Alors ici, il est forcé de faire du ménage, tous les jours, et le matin suivant, tout est de nouveau en désordre. Un ménage sans fin, le mythe de Sisyphe revu et corrigé à notre façon. Amusant, non ?

Dans l’idéal, il devrait faire un petit stage en nos murs avant la naissance, cela éviterait beaucoup de déboires personnels et à l’humanité les dérives qui ont marqué toute son histoire.

Il semble donc toujours indispensable de connaître les sanctions avant de débuter une action peu recommandable.

Mais ce n’est pas prévu par la Firme qui dirige nos destins et notre après. Au Paradis, ils se connaissent bien. À ce propos, contrairement à ce-dit « Paradis », il n’y a pas de castes ici.

Pas de carré des musiciens, d’écrivains, d’artistes de tout poil, de scientifiques.

Tous logés à la même enseigne, selon l’expression populaire.

Je vous passe les endroits plus scabreux, mais comme déjà dit, ce premier palier ne rassemble que de petits pécheurs, souvent plus stupides que méchants.

Il faut maintenant revenir à vous. Apparemment, deux petits volatiles perdus dans une volière faite d’oiseaux plus rapaces, loin de l’hirondelle, du rossignol ou du merle moqueur.

Je vais tenter de vous aider. Les démarches sont longues et difficiles. Des paperasses, des paperasses.

Dans un premier temps, je vais vous obtenir un rendez-vous au bureau d’accueil qui filtre les visiteurs et quémandeurs au PE, notre instance officielle.

Le PE

Nous y sommes allés, heureusement accompagnés, car pour les indications, rien de rien, et inutile de compter sur un quelconque GPS. Tout se ressemble et, d’ailleurs, cela ne ressemble à rien. Du Kafka après l’heure. Une masse imposante sans ouvertures, hormis une grande porte qui mène à un guichet tristounet.

Nous avons attendu mais nous commençons à devenir des pros de l’attente. Notre guide est intervenu et, miracle, une lucarne s’est ouverte. Derrière, un être sans forme nous a tendu des documents papier qu’il nous fallait remplir au moyen d’un stylo bizarre, mais peu importe.

Nous avons écrit, chacun de notre côté, nom, prénom, date de naissance, origine, activité chez les vivants, et enfin le motif de la demande.

Il nous a fallu l’aide de notre ami d’enfer pour trouver les bons mots.

Nous avons donc remis les papiers, et la fenêtre s’est refermée sans explication. « On vous rappellera », a-t-on entendu sans comprendre d’où venait le son.

Oui, mais quand ? L’attente va encore être longue.

« Ce ne sera pas pour maintenant », dit notre convoyeur du jour. « Nous repasserons.

En attendant, il faut que vous rentriez dans votre nouveau gîte.

Nous y sommes allés. Un studio presque rudimentaire, annoncé comme un palace luxueux ici. On peut comprendre, après tout, nous sommes morts. Mais puisqu’il y a autre chose après la mort, autant que ce soit agréable.

Nous allons nous adapter. Jules et Juliette obligés de cohabiter sur une petite surface. Nous ne nous connaissons pas et nous allons nous reposer ensemble. Le repos, un comble pour un mort.

Le problème, c’est que nous nous sentons vivants. Il fait chaud, Juliette se dévêt. Lui aussi, par conséquent. Et nous nous retrouvons nus comme des vers, même pas gênés, ce serait ridicule ici.

On se regarde, souvenirs de situations équivalentes.

Autrefois, cela aurait été… aurait été… mais ici, tout change.

Pas de réactions sensuelles, mais un désir d’amitié et de complicité qui naît et s’amplifie. C’est beau aussi. Nous allons être soudés à jamais, si l’on arrive à rester ensemble.

Il faudra de la diplomatie et savoir négocier.

Elle est belle, Juliette. Je me demande pourquoi je ne l’avais jamais remarquée. Il faut dire que les costumes de scène, de concert, ne sont pas seyants. On ne voit souvent que l’instrument ; un joli cor rutilant, une harpe majestueuse…

Et je ne vous parle pas de la période des masques, je me souviens des coronas aux noms impossibles.

Nous allons de nouveau attendre, c’est devenu une habitude, mais avec elle, c’est autre chose. Cela devient un plaisir.

Et qu’en pense Juliette ? Se trouver nue devant un inconnu, bof, elle avait l’habitude des vestiaires et des voyeurs impénitents.

Voir un homme dans le même état, aucun problème.