Un jour, la lumière renaîtra - Cath Van - E-Book

Un jour, la lumière renaîtra E-Book

Cath Van

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Beschreibung

Anne, enseignante et artiste, se sent prisonnière de sa vie. Elle part à Fiesole, près de Florence, pour trouver l’inspiration. Là, elle rencontre Michel, un professeur de philosophie passionné d’art. Ensemble, ils décident de recréer l’académie néoplatonicienne de Florence pour insuffler un renouveau artistique et philosophique, cherchant à éclairer un monde sombre depuis trop longtemps.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Fille de scénariste de bandes dessinées, Cath Van s’est très tôt familiarisée à l’univers artistique et littéraire, notamment à la poésie et à la philosophie. Elle écrit dans le but de créer un monde nouveau en y apportant sens, lumière et bonheur par ses mots.

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Seitenzahl: 280

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Cath Van

Un jour, la lumière renaîtra

Roman

© Lys Bleu Éditions – Cath Van

ISBN : 979-10-422-0584-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Au nom de mon espoir, je m’inscris contre l’ombre.

Paul Éluard

Prologue

Anne avait toujours été rêveuse. Enfant déjà, elle pouvait passer des heures à regarder un animal ou la beauté de la nature. Elle n’était pas comme les autres enfants. Chaque mot, chaque parole touchait son cœur avec un impact beaucoup plus fort. Elle subit d’ailleurs les moqueries et ne se sentait pas du tout comprise. Adolescente, elle lut des ouvrages psychologiques lui apprenant qu’elle faisait partie des hypersensibles, elle commença à s’intéresser aussi à la philosophie, avec une préférence pour les philosophes qui développaient une sagesse profonde et une spiritualité.

Comme Platon, elle associait le beau et le bon, et c’est pour exprimer sa vision du monde originale et singulière qu’elle étudia les beaux-arts, la peinture en particulier. Mais les rêves et le principe de réalité ne coïncident pas toujours et, pour gagner sa vie, elle fut contrainte de donner des cours de français en secondaire. Son imagination n’arrêtait pas de lui souffler que tout était possible, qu’une autre vie pouvait être vécue, qu’il lui suffisait de la créer, comme on crée une œuvre d’art. Faire de sa vie, notre plus belle œuvre.

Elle rêvait de Florence : cette ville fascinante, épicentre de la Renaissance, avait toujours exercé sur son esprit une véritable fascination. Le lien magique que l’on trouvait à cette époque entre la philosophie et l’art incarnait véritablement ses deux plus grandes passions. Elle était allée à Florence : elle s’y était sentie en harmonie totale avec elle-même, avec ses aspirations profondes qui sommeillaient au fond d’elle et qu’elle ne pouvait se résoudre à ignorer. Elle décida donc de tout mettre en œuvre pour y retourner. Elle décida de s’écouter elle-même et de se connecter à son être profond qui lui dictait de partir chercher sens et inspiration à Florence…

Peut-être aussi qu’au détour d’une rue, elle croiserait ce visage, surgissement métaphysique de l’altérité mystérieuse, incarnation d’un autre qui lui semblait pourtant un prolongement de ses rêves… était-il réel ? De tout cœur, elle espérait que l’Univers l’aiderait à trouver la réponse, à résoudre cette énigme posée comme un point d’interrogation qui avait frappé son cœur de plein fouet. Souvent, en pleine nuit, elle s’éveillait, ce visage posé devant l’écran de son esprit, comme un divin mirage. Qui était-il ? Quel était son nom ? D’où venaient cette douceur et cette bonté profonde qui donnaient tant d’humanité à son regard ?

Décider

Elle songeait, attablée, au regard de cet homme croisé dans les rues de Florence il y a maintenant un an. Un regard puissant, percutant, profond qui semblait infini dans sa profondeur, comme s’il contenait toute la bienveillance que le monde semblait avoir perdue. Elle ne l’avait jamais oublié. Et quand le monde la décourageait, elle retournait plonger dans cette immensité : un regard qui semblait renfermer en lui toutes les beautés du monde et de la nature.

Anne avait toujours été influencée par les doctrines panthéistes, depuis Plotin, en passant par Spinoza (Dieu et la nature sont reliés par une même énergie : la dualité des choses étant une illusion engendrée par notre esprit) et enfin le shintoïsme japonais qui pensait que la nature était habitée par différentes puissances, émanant à différents degrés dans la nature que les Japonais nomment les kamis.

Elle pensait que bien souvent l’homme n’était absolument pas à la hauteur de cette nature, détruisant un monde auquel il devrait rendre grâce. Poursuivant, par cupidité et égoïsme, des valeurs et des inclinations négatives au lieu de cultiver et d’incarner la bienveillance et l’humanisme dans chacun de ses actes, comme le prône le philosophe des Lumières Lessing. Anne tentait d’incarner ces valeurs dans chacune de ses toiles, dans chacun de ses poèmes.

Souvent, quand elle pensait à l’état du monde actuel, elle pensait que l’humanité n’allait pas dans le bon sens, bien au contraire. Elle semblait nier toute l’acquisition des philosophes de la Renaissance et des Lumières, ses deux périodes préférées de l’histoire de la pensée. Si seulement les gens pouvaient se réveiller et amorcer un nouveau tournant de l’humanité, vivre une renaissance comme au 16e siècle, repenser l’état du monde et de l’homme et cela sur tous les plans.

Elle-même se sentait à un tournant de sa vie.

Elle sentait qu’elle avait profondément besoin de vivre de nouvelles choses, qui porteraient en elle un vent nouveau, une transmutation intérieure pour devenir ce papillon libre et heureux flottant dans les airs.

Une renaissance de soi et du monde.

Son métier de professeur de français pour jeunes adolescents ne la satisfaisait pas. Ils n’étaient que faiblement ou pas intéressés par la matière qu’elle tentait de leur apprendre. Sa vie amoureuse s’était elle aussi avérée souvent décevante, ne trouvant pas, au fond du cœur des hommes, la générosité et la bonté profonde qui lui importaient tant. Elle avait de plus perdu beaucoup de personnes de sa famille qui s’en étaient allées et, bien souvent, sans eux, elle se sentait seule au monde, même si elle avait des amis. Comme une âme errante, à la recherche d’une nouvelle patrie au-delà ou ici-bas, sans parvenir à trouver cet asile réconfortant.

Toute son existence lui semblait dans une impasse.

Ce lundi matin, elle était décidée. Il fallait trouver une solution.

C’est ainsi qu’elle sollicita une entrevue avec son directeur d’école.

Elle ne savait pas encore très bien ce qu’elle allait lui annoncer.

— Bonjour, Anne, vous souhaitiez me parler ?
— Bonjour, monsieur, oui c’est vrai.
— Que puis-je faire pour vous ? Vous avez des problèmes à l’école ?
— Non, non, si ce n’est que je ne parviens pas à les intéresser comme je voudrais.
— Oh mais vous savez, Anne, c’est notre lot à tous. Les jeunes aujourd’hui…
— Je sais mais j’ai l’impression de m’épuiser en vain.
— Que voulez-vous me dire au juste ?
— J’aimerais prendre congé. Suspendre ma carrière quelques mois, si possible. J’ai un peu d’argent de côté et je voudrais me consacrer à un nouveau projet artistique qui me tient à cœur.
— Je comprends mais ça m’ennuie, vous êtes un bon élément et j’ai confiance en vous du point de vue des connaissances et aussi au niveau humain. Je ne vais pas trouver facilement… mais je comprends. Vous avez des projets concrets d’exposition ?
— Non, monsieur, rien de concret vraiment mais je sens, je sais que je ne vais pas tarder à trouver une nouvelle direction, un nouveau sens.
— Très bien, je me mets à présent à la recherche d’un ou une remplaçante et vous pourrez arrêter d’ici un mois. Mais vous me promettez de nous tenir au courant ?
— Bien sûr, monsieur !

Anne sortit rassurée de cette entrevue. Elle pensait réellement que chaque homme devait être l’artiste de son existence, trouver un sens nouveau, un nouveau paradigme quand l’ancien ne semblait plus nous convenir ou nous rendre heureux.

À l’instar de Sartre, l’existence précède l’essence : c’est-à-dire que chaque homme doit être l’inventeur de son existence propre, son projet jeté personnel. À la différence de Sartre, elle pensait profondément qu’une essence invisible existait en nous et dans la nature. Elle nous reliait, elle était l’empreinte spirituelle en chaque homme.

Elle ne savait pas encore bien où elle allait, mais elle devait y aller.

Un mois plus tard…

Aujourd’hui elle recevait, pour un repas, une de ses meilleures amies : Sophie. Celle-ci la comprenait depuis toujours et partageait ses passions pour l’art, l’histoire et la philosophie.

Elle avait préparé un plat de scampis aux légumes et lait de coco, et curry rouge. Elles aimaient aussi toutes les deux la gastronomie, en particulier asiatique, qui mêlait les saveurs, les couleurs et était très légère, permettant ainsi de maintenir son esprit en éveil pour leur discussion du soir.

Souvent, ensemble, elles refaisaient le monde…

— Ton plat était délicieux !
— Merci, Sophie !
— Toi et moi, tu le sais bien, sommes très hédonistes.
— Oui. Je n’ai jamais compris les gens qui n’aimaient ni manger ni boire un verre.
— Comme dit Épicure, il faut savoir profiter de tous ces plaisirs sans en devenir l’esclave. Mais je suis plus large qu’Épicure dans ma pratique des plaisirs.
— Bien sûr, Sophie, moi aussi. Contrairement à ce que les gens pensent, Épicure était strict, car il avait des problèmes de santé. Il se méfiait des plaisirs naturels et non nécessaires dont l’homme risque de devenir l’esclave, s’il ne sait pas se les procurer. Mais à l’inverse de lui, je ne pense pas qu’un morceau de pain et de l’eau suffisent quand on a faim et soif.

Je suis plutôt d’accord avec Lorenzo Valla, penseur qui est beaucoup moins connu, et qui dit que les plaisirs doivent être recherchés par la médiation de tous nos sens et que le plaisir ultime est en fait… spirituel, car on ne peut le perdre après l’avoir trouvé. C’est l’inventeur de cette synthèse improbable de l’hédonisme chrétien.

— Il fallait oser tout de même ! Placer Dieu au sommet des plaisirs et relier la terre et le ciel. Il n’y a rien à dire, la Renaissance et l’Italie… j’adore !
— Et moi alors ! Je voulais justement en venir…
— Ah ?
— Oui, j’ai un projet. J’ai demandé à mon directeur d’école de prendre congé quelques mois…
— Ah bon !
— Oui, je me sens dans une impasse.
— Et que vas-tu faire, écrire ? Organiser une exposition avec tes toiles ?
— Je ne sais pas encore précisément. Mais je sens que je dois aller puiser énergie et inspiration à Florence… pour renaître à un jour nouveau.
— Comme c’est joliment dit ! renaître à un jour nouveau dans la patrie qui avait consacré la Renaissance des arts de l’Homme et de la pensée, grâce aux Médicis (Cosme et son petit-fils Laurent le magnifique) et tous les artistes et philosophes travaillant pour eux (l’architecte Alberti, le peintre Botticelli, les philosophes Marsile Ficin et son élève Pic de la Mirandole).
— Sophie, ce que j’aurais aimé vivre à cette époque au sein de l’académie néoplatonicienne de Careggi (Florence). Je veux aller me replonger dans tout cela !
— Tu as raison ! Quand pars-tu ?
— Dans trois jours !

Comme toujours, la discussion avec Sophie avait été très belle et intéressante et Anne était à présent plus que déterminée encore à suivre son idée, projet et intuition.

Elle partait en voiture jusque Florence et avait loué là-bas un bel appartement, dans une maison, sur les hauteurs de la ville, près de la nature. Elle avait pris une location d’un mois, ce qui lui laisserait le temps de s’imprégner de ces lieux qu’elle aimait plus que tout pour renouveler son inspiration.

Son choix s’était porté sur Fiesole, un lieu de villégiature où les nantis avaient pris l’habitude de séjourner en pleine nature, non loin de la ville.

Elle savait déjà que ses superbes points de vue surplombant la ville allaient l’inspirer.

Et elle avait d’emblée une idée derrière la tête, aller revoir la villa des Médicis et ses superbes jardins aménagés, sculptés par la main humaine pour leur donner l’harmonie, l’équilibre entre les parties et le tout qui sera tant recherché aussi par les architectes de la Renaissance et de l’académie néoplatonicienne. Alberti était son favori. Un autre lieu qu’elle voulait aller revoir aussi était Pienza… Elle en rêvait aussi. Cette ville idéale en quelque sorte, Florence en miniature, avait été réalisée d’après la volonté du pape humaniste Pie II qui avait demandé à l’architecte Bernardo Rossellino (élève de Léon Batista Alberti) de transformer sa bourgade natale en ville idéale. Cette symétrie caractéristique et, à proximité, une cathédrale aux proportions parfaites jouxtait le palais du pape humaniste. La terrasse du palais offrait des vues particulièrement splendides sur la nature : ses couleurs, ce patchwork de tonalités jaunes et vertes, cette vue infinie… Cela faisait naître déjà mille étoiles dans son cœur hypersensible. Ce point de vue était classé patrimoine mondial à l’UNESCO.

Elle avait aussi une autre idée derrière la tête… aller déguster des raviolis au beurre et à la sauge dans un restaurant situé un peu en dehors de la ville, elle se souvenait en avoir mangé avec un ami à elle lors d’un séjour. Ils faisaient partie des plus succulents jamais dégustés.

Comme elle avait hâte ! Pienza, bien que située plus loin que la Toscane (vers l’Ombrie), serait sa première halte. Elle y logera deux nuits avant de se rendre à Fiesole.

Son sac était déjà prêt, elle avait emporté le minimum d’habits et d’effets personnels, se disant que si elle avait besoin de quelque chose, elle pourrait l’acheter là-bas. Bien sûr, son matériel de dessin et son matériel pour écrire faisaient partie des choses essentielles qu’elle ne pouvait pas ne pas emporter.

Après plus de 16 h de route, elle arriva enfin à Pienza dans un petit hôtel situé dans une des deux rues principales. Il faisait encore clair et elle décida donc d’aller faire une promenade dans les petites rues en lacet, dont la plupart offraient des vues plongeantes sur cette sublime nature.

Elle se disait que la main de l’homme, alliée aux splendeurs naturelles des paysages, donnait vraiment des merveilles rarement égalées et cela lui faisait encore et une nouvelle fois songer à cette « empreinte divine » que certains lisaient dans le cœur de la nature : comme le peintre Caspar David Friedrich qui était panthéiste. Il usait ainsi de divers effets picturaux comme le brouillard, les nuages afin de faire disparaître une nature trop matérielle et de faire ressurgir une nature spirituelle et sublimée.

C’était, avec Filippo Lippi (le maître de Botticelli) et Botticelli, son peintre favori.

Elle aimait beaucoup aussi les impressionnistes, avec une préférence pour Berthe Morisot car, en tant que femme, elle se reconnaissait dans cette femme artiste formidable. Mais aussi, car elle trouvait ses représentations de la nature, avec ses tons pastel et ses touches horizontales, particulièrement douces et abouties. Elle aimait aussi les portraits de sa famille et de ses amis et particulièrement ceux de sa fille et de son mari, le frère de Manet. Le 19e siècle en art lui plaisait presque tout autant que la Renaissance italienne : les symbolistes et leur onirisme, teinté de spiritualité, lui plaisaient beaucoup aussi. Elle aimait les représentations magistrales de Jean Delville, ce peintre bruxellois très versé dans les milieux ésotériques. Ils partageaient, elle et lui, le même lieu d’origine : Bruxelles.

Elle n’aimait pas la peinture moderne sauf certains. Bien sûr, elle aimait des peintres comme Miro et Kandinsky, en lesquels il y avait un talent pictural certain, des formes oniriques, même si elles tendaient vers l’abstraction et parfois un message philosophique.

Mais elle trouvait, comme le philosophe Michel Onfray, que souvent l’art contemporain flirtait avec le snobisme quand il n’y avait ni savoir-faire ni message et qu’il s’agissait seulement de représenter, par exemple, un carré noir sur fond blanc.

Elle souhaitait plus que tout, dans ses futures œuvres, retourner au savoir-faire des anciens, de la Renaissance et des impressionnistes ou des romantiques qui avaient tant sublimé la beauté de la nature. Il était 16 h et la lumière était encore belle, cela lui donna envie de s’installer en pleine nature, d’y poser son chevalet et de tremper l’encre de ses pinceaux directement dans l’essence pure de la beauté naturelle.

Le résultat ne se fit pas attendre.

Épuisée par son travail, elle décida alors d’aller déguster ces somptueux raviolis au beurre et à la sauge, de vivre une explosion de saveurs, digne de l’explosion de couleurs qu’elle avait laissé exprimer sur sa toile.

Anne avait 40 ans, des cheveux bruns coupés court, de jolis traits un peu enfantins comme les anges des toiles de Filippo Lippi. Elle mesurait 1 mètre 72 et était assez mince, ce qui accentuait encore cette impression de corps élancé.

Elle avait toujours eu beaucoup de succès, mais elle cherchait tant de beauté intérieure couplée au charme extérieur, qu’elle avait difficilement trouvé la personne qu’elle attendait tellement. Elle s’était finalement convaincue que cette personne n’existait que dans ses rêves et les méandres de son imagination.

Le lendemain, elle avait décidé de se concentrer davantage sur l’architecture des jardins et des bâtiments, palais de Pie Il et cathédrale. Une architecture à la mesure de l’homme aux proportions parfaites dans lesquelles, selon l’homme vitruvien, un homme et les proportions parfaites de son anatomie auraient pu s’inscrire. On sentait, ici à Pienza, combien Rossellino avait été l’élève d’Alberti. Elle imaginait, face à ces sublimes architectures l’homme – architecte qui les contemplait. Il s’en inspirait pour glisser cette harmonie dans ses réalisations propres, matérialisant ici-bas le supérieur spirituel. Elle montra sur sa toile l’homme contemplatif vu de dos, en quelque sorte écrasé par cette beauté de pierres travaillées qu’il admire tant.

Cette série picturale commencée ici à Pienza se liait conjointement à la Renaissance italienne, l’impressionnisme et le romantisme : trois courants de peinture qui l’inspiraient vraiment et sur lesquels elle se basait pour renouveler son style dans un sens qui manquait tant à notre monde, pensait-elle. Or, avec le confinement et la pandémie, tant avaient remarqué l’importance de la nature et le rayonnement bienfaiteur que celle-ci exerçait sur leur cœur et leur esprit.

Tandis qu’elle se promenait, rêveuse dans les salles du pape humaniste Pie Il, elle se disait que cette période était vraiment hors du commun : tous les possibles semblaient inscrits dans les rêves humains et le « paradis » semblait, en quelque sorte, une promesse résultant de la pratique des arts, de la science, des arts et de la pensée. Pie II, pape humaniste et exceptionnel de son temps, ne devait sûrement pas être, au 15e siècle, étranger à ce genre de pensée, lui qui se passionnait tant pour la religion, l’art et les sciences. Comment toutes ces disciplines, liées au destin de l’homme et de l’humanité, avaient-elles pu imprimer au monde sa plus belle forme : comme une comète traversant le ciel de l’histoire et des idées en tendant à donner à l’homme et à la société une nouvelle vision, un paradigme unique. C’est bien ce qui s’était produit à Florence, siège de la Renaissance. Elle irait là-bas sur les traces de Dante qui contenait déjà, en germe dans sa philosophie, beaucoup de thèmes de la future Renaissance. Elle mettrait ses pas dans ceux de Cosme l’Ancien, de son petit-fils Laurent le Magnifique, Botticelli, Alberti, et enfin les penseurs Marsile Ficin et son élève surdoué Pic de la Mirandole, que Cosme avait placés à la tête de l’académie. Elle ne faisait pas d’angélisme et savait bien sûr que, comme toutes les époques, celle-ci aussi avait eu son lot de violence et de cruauté : Laurent lui-même avait poursuivi de sa colère vengeresse tous les conjurés des Pazzi. Tous ceux qui avaient trempé dans le complot responsable de la mort de son jeune frère bien aimé, Julien.

Les Borgia n’étaient pas non plus un exemple de suprême vertu, mais la dynamique du monde de la société et des arts était plus forte comme une image de grâce, une trace lumineuse inscrite pour l’éternité au firmament.

Elle regardait le ciel, observant précisément les étoiles et songeait à tous les défunts aimés qui lui manquaient tant, les larmes lui montaient aux yeux. Elle songeait aussi que l’humanité et l’homme semblaient tellement dans une impasse à tous les niveaux. Il faudrait un nouveau tourbillon, une nouvelle alchimie qui sublimerait tout et emporterait tout. Retrouver des modèles, des archétypes essentiels qui réjouiraient à nouveau nos cœurs et nos âmes qui relieraient les hommes : une nouvelle religion désacralisée, une nouvelle Renaissance ! Quand elle songeait à cela, tout son être se soulevait, emporté…

Elle s’était toujours sentie, depuis petite, investie en quelque sorte d’une « mission », une volonté profonde de faire à nouveau rayonner les êtres et les choses. D’ôter cette couche de laideur absurde qui semblait s’être abattue sur le monde, comme une chape de plomb. Elle ne comprenait plus ce monde à aucun niveau et se désolidarisait totalement de ses valeurs. Ou plutôt de cette absence de valeurs. Son hypersensibilité et son empathie lui permettaient de ressentir tout plus fort. Le beau, le laid, le mal, mais elle préférait se focaliser sur le plaisir : tenter de retrancher au maximum la tristesse et d’étendre la joie, disait le philosophe Montaigne.

Elle était d’un naturel plutôt optimiste et cela depuis son enfance. Son côté empathique gênerait aussi le fait que bien souvent, on la prenait comme une oreille attentive pour se confier, ce qui lui faisait plaisir car au fond d’elle plus que jamais elle avait besoin d’être utile aux autres, de façon désintéressée. Elle naissait à la vie en aidant. Être inutile lui donnait cette impression que tout était vain. Ce qui bien sûr était en opposition totale avec ses croyances profondes.

Elle venait d’avoir une autre idée : consigner toutes ses pensées et leur cheminement philosophique dans un carnet. Le titre lui était venu « confessions d’une philosophe hypersensible ».

Le terme « confessions » se référait à Saint-Augustin, qui disait-on, avait écrit la première autobiographie spirituelle de l’histoire de la pensée. Il s’agissait de montrer son âme et son cœur nus sous le regard du très haut. Et cette idée lui plaisait. Elle pensait que quand on plongeait en soi, dans notre essence intime, il fallait en être fière et travailler inlassablement. Cela passait par la prise de conscience de ses défauts propres et leur mise à mort.

Comment renaître sans mourir à soi-même ?

Elle ne partageait cependant pas la sévérité propre à Saint-Augustin et cette notion péjorative de péché qui aurait entaché de manière indélébile l’essence de l’homme. C’est encore la Renaissance qui avait relevé la dignité de l’homme et qui considérait que l’homme avait assez de sens critique pour savoir ce qui était bon pour lui et, par exemple, quels plaisirs devaient être privilégiés, quels plaisirs devaient être écartés. Elle aussi était profondément hédoniste, tout en étant spirituelle. Elle songeait à un de ses élèves (Alain) quand elle donnait des conférences pour adultes : celui-ci n’aimait pas du tout Augustin et elle le comprenait !

La journée avait été riche en peinture, en décisions, en réflexions et elle tombait de sommeil dans la chambre de son hôtel de Pienza. La fenêtre de celui-ci donnait sur les splendides collines toscanes s’étalant comme une ligne ondulée infinie qui reliait ses rêves à la réalité. Elle aimait cette ville, elle s’y sentait comme chez elle. Cette petite ville miniature, entre Toscane et Ombrie, cet échantillon miniature de ville idéale matérialisée dans la pierre, suspendue entre nature et architecture avec les jardins de Pie Il, comme espace de transition. Elle y serait bien restée quelques jours en plus. Depuis petite, quand elle se sentait bien dans un lieu, au moment de le quitter, elle sentait toujours un déchirement intérieur qui était d’autant plus important en fonction de la multiplication des atomes crochus qui l’y rattachaient. Elle avait toujours favorisé les lieux, multipliant les centres du beau : nature, art et musées, ainsi que bien sûr la gastronomie. Elle se souvenait encore de ces vacances au lac de Trasimène il y a quelques années, avec un superbe hôtel et sa terrasse en avancée sur le lac. Elle aimait les lacs, elle trouvait qu’ils étaient une sorte de caresse pour l’âme, qu’ils en apaisaient les tempêtes et restauraient calme et sérénité à l’intérieur de l’être.

Elle ne tarda pas à trouver le sommeil, bercée par tous ses rêves et ses passions qui, pensait-elle, étaient l’essence de l’existence.

Le lendemain, elle prendrait la route pour sa deuxième destination Fiesole…

Elle sentait au fond d’elle-même que son séjour à Florence et à Fiesole serait plus long que prévu, mais elle ne pouvait dire pour quelle raison. Souvent des intuitions lui venaient, comme si elles provenaient d’une source supérieure qui se déversait en elle, et bien souvent, ses intuitions s’étaient avérées justes et conformes à ce qui, par la suite, s’était déroulé dans la réalité…

Cheminer

Ce n’est donc pas sans un déchirement qu’elle quitta Pienza. Mais elle savait que Fiesole et Florence l’attendaient les bras ouverts et que son âme et son être pourraient s’y reposer comme jamais.

Elle arriva à Fiesole vers 15 h car elle voulait encore profiter des lieux et de la lumière du jour pour s’installer. Une petite allée bordée de pins menait à une petite rue en pierre au bout de laquelle se trouvait la petite maison. Une maison en pierre, rustique, moderne avec des pans de bois à l’intérieur qui lui donnait un côté ancien et chaleureux. À l’arrière, un petit jardin implanté sur une parcelle inclinée, conduisait le regard en droite ligne vers la ville de Florence et la vallée de l’Arno. Elle pouvait même apercevoir Sainte Marie des Fleurs et son superbe dôme et coupole autoportante, conçue avec génie par l’architecte Brunelleschi.

Cette coupole était tant une prouesse architecturale que technique, mais elle était aussi le symbole vivant de la Renaissance florentine et italienne.

Brunelleschi travaillait pour Cosme l’Ancien de Médicis. Les Médicis avaient mis en place une sorte d’oligarchie capitaliste, et grâce à l’argent de l’activité drapière et bancaire, ils soutenaient les artistes et les philosophes par le mécénat. Ceux-ci, en contrepartie, rendaient indirectement hommage aux Médicis dans leurs œuvres. Après Cosme, son petit fils Laurent reprendra le flambeau, se comparant lui-même à un soleil rayonnant ayant contribué à faire rejaillir la lumière du monde, en particulier à Florence. Beaucoup d’artistes et de poètes étaient alors membres de l’académie néoplatonicienne, véritable terreau de pensée de la Renaissance.

Quelle époque flamboyante ce devait être ! Cela lui donna des frissons : elle regardait la façade de la petite maison, recouverte d’un enduit jaune, qui réfléchissait particulièrement la lumière déclinante de cette fin de journée et elle se dit en elle-même : un jour, la lumière renaîtra, et ce une nouvelle fois !

Elle vit alors un monsieur assez âgé sur le pas de sa porte. Anne parlait bien italien ; du moins suffisamment pour avoir une conversation courante.

— Bonjour mademoiselle.
— Bonjour, monsieur. Je m’appelle Anne. J’adore Florence et j’ai loué la petite maison à côté de la vôtre.
— Quelle belle idée ! Vous avez raison, Florence est la plus belle ville du monde ! Je me nomme Alberto. Mon épouse est décédée il y a quelques années et mes enfants ne viennent me rendre visite qu’une fois par semaine. Je suis vraiment content ! En plus, vous avez l’âge de mon plus jeune fils. Venez donc manger ce soir à la maison, je vous ferai des spécialités toscanes et vous me raconterez la raison de votre séjour dans notre belle ville. Je vous attends vers 18 h.
— Merci, Alberto, de votre hospitalité ! À tout à l’heure.

Anne était trop fatiguée pour descendre à Florence aujourd’hui, même si elle en avait très envie. Elle avait défait ses bagages, ses livres, son matériel de dessin et de peinture, ses toiles et ses effets personnels, habits et matériel de toilette.

La maison avait un charme fou et elle se dit qu’elle était bien satisfaite et heureuse de son choix. Elle était louée meublée, et les meubles anciens en bois s’harmonisaient très bien avec les pans de bois qui soutenaient la maison.

L’odeur qui y régnait lui rappelait celle du grenier de ses grands-parents maternels qu’elle adorait et chez qui elle allait très souvent petite. Soudain, une pensée triste lui transperça le cœur. On devrait savoir assez tôt qu’on va perdre ceux que l’on aime afin de profiter encore plus de ces moments passés avec eux, le manque était comme un trou infini et métaphysique, dans lequel souvent elle était aspirée. Elle avait aussi perdu récemment ses deux parents. Bien souvent, elle s’interrogeait sur le double sens de cette perte. Peut-être pour la forcer à résister, à ne pas se laisser aller aux passions tristes comme le conseillent Montaigne et Spinoza. À se renforcer en elle et maîtriser son hypersensibilité, chercher la résilience pour rebondir… Et elle avait atterri ici, à Florence, en quête d’un nouveau sens et d’une nouvelle orientation à donner à son existence. En quête de sa renaissance. Être comme la chenille qui devient papillon et enfin pourra s’élever vers les cieux ultimes du bonheur mais là, elle le sentait, ses ailes étaient encore entravées.

Quelle était la clé de tout, la clé de l’énigme ? Elle se sentait au début d’un jeu de piste dont elle était l’actrice et dont elle devait elle-même chercher les pièces principales qui lui montreraient la direction et l’ultime but. Mais les règles du jeu étaient déjà fixées. Elle devait lâcher prise et accepter de se laisser guider par la force de la destinée en quelque sorte. Cette mission qu’elle devait remplir qui était aussi intimement liée au fait de se trouver elle-même ou plutôt de se retrouver. Ayant perdu le logos, le lien et le sens dans une existence dans laquelle elle s’était égarée, au sein de laquelle assurément, elle ne se reconnaissait plus. Mais il était à présent temps de quitter ses cogitations philosophiques et de se rendre chez Alberto.

La petite maison du vieux monsieur était aussi chaleureuse et accueillante que la sienne, avec de très beaux meubles en bois également. L’odeur si charmante et conviviale était presque semblable. Alberto avait dressé la table pour deux, ouvert une bouteille de Chianti classico et versé le breuvage couleur rubis dans deux beaux verres. À côté, sur un grand plat, il avait disposé une série d’antipastos toscans typiques : tomates, basilic, au foie, salami au fenouil et divers jambons italiens plus succulents les uns que les autres. Il lui avait bien dit de ne pas trop manger, car après, il avait préparé des pâtes au pesto : un des plats de pâtes préférés d’Anne. Elle aimait le goût et le parfum du basilic et des pignons et la façon dont cette sauce s’harmonisait et se mêlait aux linguines.

Être reçue si chaleureusement lui donnait les larmes aux yeux.

— Merci, merci, Alberto, vous ne pouvez pas savoir combien ce repas me fait chaud au cœur.
— Anne, ça me fait encore plus plaisir ! J’aime partager les bonnes choses avec les belles personnes qui savent apprécier tout le raffinement de la gastronomie toscane. Et puis manger ensemble est tellement plus gai que d’être seul. Qu’est-on seul ?
— Je suis mille fois d’accord ! Je pense que l’on n’existe et naît véritablement avec les autres. On naît à soi-même par le fait d’être avec les autres. L’homme est un être social et de partage, il est fait pour nouer des liens avec ceux avec qui il partage des atomes crochus, comme dit Épicure.
— Oh oui ! C’est une belle philosophie que la sienne mais il était un peu trop strict avec les plaisirs !
— Bravo Alberto ! Beaucoup mélangent hédonisme et épicurisme.
— Mais dites-moi, Anne, puisqu’on en est à la philosophie… quels sont vos souhaits, vos aspirations profondes qui ont conduit vos pas ici à Florence ?
— Je sentais, comme je vous expliquais tantôt, que j’étais dans une impasse personnelle, mais aussi professionnellement, pour mon art (mes peintures) et ma pensée.
— Vous écrivez aussi ? Des poèmes ? Comme Lorenzo le Magnifique qui pensait à sa muse Simonetta Vespucci ?
— J’ai lu ses poèmes ! J’ai adoré.
— Je pourrai voir vos toiles ?
— Bien sûr, Alberto : j’en ai déjà réalisé deux à Pienza. Et j’ai commencé aussi à rédiger mes pensées philosophiques. De manière simple, afin de pouvoir les partager et les échanger avec un maximum de personnes.
— Bravo, la plus belle pensée ne sert à rien si elle n’est pas communicable.
— Oui et je pense aussi que le but de la philosophie est d’aider l’homme à mieux vivre, à se transformer dans la plus belle forme, dit Pic de la Mirandole. Je n’aime pas les philosophes complexes qui se perdent et s’égarent dans des systèmes conceptuels qui nous donnent envie de prendre de l’aspirine…

Cela fit beaucoup rire Alberto. J’espère que le chianti ne te donnera pas envie de reprendre de l’aspirine. Ils se tutoyaient à présent. Anne était enchantée, elle avait l’impression d’avoir trouvé un oncle ou un père d’adoption en terre italienne. Et de plus, il aimait l’art, la philosophie et la gastronomie. Il était vraiment là pour adoucir son séjour ici à Florence et si elle pouvait l’aider, lui apporter cette présence bienveillante qui manquait tant à son existence. J’ai vraiment passé une merveilleuse soirée, lui dit-elle !

— Moi aussi, Anne, et j’ai découvert une très belle personne ! Mais dis-moi, as-tu une idée de la première étape de ton cheminement ici à Florence ?
— J’aimerais retourner voir la maison des Médicis ici à Fiesole et ensuite aller à la casa (maison de Dante). C’est un penseur que j’aime beaucoup qui était fort influencé par Plotin (penseur du 3e siècle) avec ses différents cercles et sa géographie spirituelle qui part de l’enfer pour se terminer au paradis… par la force de son amour pour Béatrice.
— L’amour… oui. As-tu quelqu’un qui t’attend chez toi, Anne ?
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