Un loup chez les hommes - Joseph Deluzain - E-Book

Un loup chez les hommes E-Book

Joseph Deluzain

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Beschreibung

Mo, un homme asocial et excessif, est constamment engagé dans des missions dangereuses à travers le monde. Sa seule connexion évidente avec l'humanité se manifeste lorsqu'il est avec des enfants. Lorsqu’il n’est pas dans une mission extravagante, il se retire du monde pour vivre aux côtés des loups qui l'ont adopté et avec lesquels il s'identifie. Cette saga épique suit les cinquante années de sa vie tumultueuse et violente en tant qu'homme-loup doté de capacités exceptionnelles.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Conteur d’histoires depuis son enfance, Joseph Deluzain a transformé son goût de la lecture en une véritable passion pour l’écriture. À présent, il nous livre un chef-d’œuvre littéraire qu’il intitule "Un loup chez les hommes".

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Seitenzahl: 1209

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Joseph Deluzain

Un loup chez les hommes

Roman

© Lys Bleu Éditions – Joseph Deluzain

ISBN : 979-10-422-0006-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

L’homme est un loup pour l’homme

Adage dénué de sens… car si cela était, l’homme serait meilleur. Pour stigmatiser les déviances de l’humanité, je dirais plutôt : L’homme est un homme pour l’homme.

Joseph Deluzain

Livre premier

Qui est Mo ?

Le loup ne se laisse pas chatouiller, surtout lorsqu’il s’agit de ses couilles.

Proverbe Mongol

Prologue

L’homme a allumé l’ordinateur, et, attendant que l’appareil soit opérationnel, est allé dans la salle de bains pour y prendre une douche. Lorsqu’il était chez lui – un bungalow/chalet rustique perdu au milieu de nulle part dans une contrée d’Amérique du Nord – il s’entraînait tous les matins à un long footing, quelques exercices de stretching et des séries de katas compliqués qui se terminaient invariablement par dix minutes de « shadow fighting » intensif.

Encore humide, une serviette autour de la taille, il s’est assis devant l’ordinateur et a cliqué sur le site d’une plateforme « B to B ». Clic sur la rubrique annonces, nouveau clic sur « services divers » ; et là, parmi toutes les propositions, il a relevé une annonce qui le concernait :

Société de services aux entreprises

Recherche prestataire free-lance, expert sécurité, etc.

Mission ponctuelle. Contact… etc. …

L’homme a décrypté l’annonce qui, en réalité, était un message codé à son intention. C’est par cette voie qu’il correspondait avec ses associés lorsqu’il résidait là, entre parenthèses, loin de l’agitation de ses semblables. Personne ne connaissait cet endroit, pas même ses partenaires. Quand il n’était pas sur une mission dans quelque lieu improbable sur la planète, l’homme vivait totalement retiré du monde, hors du temps, hors de la société humaine qu’il n’appréciait guère. C’était son mode de vie depuis des années : pas de liens familiaux, pas de compagne, pas d’amis connus à l’exception d’un seul couple qui faisait partie de sa vie depuis des décennies et de ses deux associés ; pas de passé connu par le tout-venant. Quatre personnes seulement connaissaient les grandes lignes de sa vie antérieure : le couple d’amis résidant en France, et ses deux partenaires du cabinet de consultants internationaux d’où il tirait ses revenus.

Pour lui l’annonce signifiait en résumé : prendre contact – mission pour toi – urgent.

Pour cela il devait aller à la ville afin d’utiliser un moyen de communication anonyme. Jamais il n’utilisait son téléphone ou son ordinateur pour communiquer vers l’extérieur lorsqu’il était dans son repaire ; aucune trace ne pourrait jamais conduire à lui ou à son chalet. Il utilisait diverses identités pour exercer ses activités, mais son point de chute, là, paumé dans la forêt, était le seul endroit à son faux vrai nom. Pas de recoupements possibles avec ses activités ou ses autres identités, tout était bien « bordé ». Cela lui avait pris des années pour atteindre une telle liberté.

Il lui était resté un nom que ses partenaires utilisaient faute de connaître le véritable : Mo. Ce diminutif provenait d’un surnom qu’on lui avait donné dans son adolescence, époque durant laquelle il avait appris les dures lois de la vie et des hommes ; et, plus tard, de Morris, nom qui lui avait été attribué par erreur par un fonctionnaire irlandais lorsqu’il résidait dans le West Cork. Nom-aubaine qu’il adopta à tout jamais pour camoufler sa vraie identité.

Mo a lancé dans son vieux 4x4 déglingué un sac de voyage contenant l’essentiel – jamais de superflu avec lui – et, avant de monter à bord, il a jeté un dernier coup d’œil vers les collines. C’était le crépuscule et ils ne devraient pas tarder à se montrer. Presque tous les jours Mo les voyait apparaître. Ça y est, les voilà ! Une meute d’une dizaine de loups se découpant sur la crête. Ils trottinaient, afférés, puis s’arrêtaient subitement ; humant, le nez levé, dans toutes les directions ; ils regardaient en direction du chalet, puis entamaient une complainte tête levée vers la lune naissante. Ils semblaient saluer l’occupant du chalet qui, comme eux, vivait au sein de cette nature sauvage ; ils paraissaient reconnaître l’un des leurs.

Cela faisait des années que Mo passait ici ses périodes d’inactivité et qu’il rôdait tous les jours dans les collines, dans les bois. Parfois il restait plusieurs jours sans rentrer au chalet, dormant à la belle étoile ; et bien souvent une meute ou bien un loup solitaire croisait sa route. Il était même arrivé à certaines occasions, chose extraordinaire, que des loups se reposent à quelques dizaines de mètres de lui, le considérant comme un élément naturel de leur environnement. Ces instants furent des expériences qui le marquèrent à tout jamais. En général les loups se méfiaient des hommes – à juste raison – mais ce coureur des bois à deux pattes leur révélait être de la même famille : il vivait dans les bois, il dormait dans les bois, il mangeait dans les bois du produit de sa chasse, il se déplaçait sans cesse sur de longues distances, il évitait les lieux habités par les hommes, il n’empiétait pas sur le territoire des autres animaux. Il vivait comme un loup… donc il était un loup pour eux. Mais un loup solitaire. Banni peut-être ? … Exilé ? … Peu importe, il était un loup, il était considéré et respecté comme tel.

Les loups l’avaient compris, il était bien leur semblable, non seulement parce qu’il vivait comme eux dans la nature, qu’il partageait leurs règles sociales – les plus justes du règne des êtres vivants, hommes y compris – mais aussi parce que son passé l’avait fait devenir un loup, au sens figuré du terme, c’est-à-dire le sens le plus faux.

La croyance populaire, encore de nos jours, pense que le loup est un tueur avide de sang, dénué de sentiments alors qu’il est tout le contraire ; et l’imbécile croyance populaire avait posé cette même étiquette sur Mo lorsqu’il était adolescent. Jugé, méprisé, incompris de ses semblables, Mo s’était lentement transformé en un loup solitaire, mais un loup dans le sens le plus noble du terme. Un loup prudent, gardant ses distances, dont il ne fallait pas contrarier l’itinéraire ; un loup attaché aux valeurs fondamentales et ancestrales oubliées des hommes ; un loup qui, lorsqu’il était acculé, poussé dans ses derniers retranchements, devenait une bête féroce et sans pitié, un tueur.

Un dernier regard vers les collines, Mo a poussé une plainte faible qui s’est enflée, enflée, pour devenir un hurlement long et déchirant. Les loups se sont resserrés les uns contre les autres, écoutant ce long discours que leur faisait parvenir leur congénère à deux pattes, et quand ce dernier s’est tu, ils ont entamé la même complainte dans un concert harmonieux de hurlements.

Quelle conversation !

Ils s’étaient compris.

Mo était heureux. Il pouvait partir.

Mo roulait depuis des heures sur les petites routes désertes. Il évitait quand il le pouvait les villes et villages en faisant de longs détours. Il risquait peu de rencontrer du monde en pleine nuit dans les provinces endormies traversées, mais sait-on jamais, un flic insomniaque faisant une ronde pour tuer le temps pourrait arrêter le seul véhicule circulant à ces heures avancées de la nuit. Il n’était pas parano, mais les règles de vie auxquelles il s’était astreint en s’engageant dans ce métier dangereux étaient suivies au détail près. C’était la garantie de son incognito. De sa survie. Au début, c’était seulement par goût, par misanthropie, pour garder ses distances avec la société. Aujourd’hui, après toutes ces missions dans lesquelles il s’était impliqué, c’était devenu une nécessité primordiale ; il avait trop d’ennemis auxquels il avait infligé des dégâts et qui souhaitaient sa mort. Non seulement après chaque mission il devait effacer ses traces pour ne pas être poursuivi par les autorités officielles, mais il devait aussi et surtout disparaître aux yeux de ses adversaires. Beaucoup rêvaient de l’éliminer, de supprimer ce gêneur. Sa force était son indépendance, même à l’égard de sa propre agence et de ses associés. Et les règles strictes et incontournables qu’il s’était imposées. C’était les raisons qui expliquaient sa présence sur cette route déserte en cette nuit froide d’automne. Son but était d’arriver à la prochaine grande ville avant l’aube et de se noyer dans la population anonyme qui grouillerait aux heures de pointe. Il venait de nulle part, il n’allait nulle part pour un improbable observateur qui se serait posé des questions sur cet inconnu.

C’était désormais son mode opératoire pour contacter son bureau depuis que la technologie avait fait de grands progrès. Auparavant, il joignait ses associés par téléphone qu’il piratait en s’introduisant dans des locaux commerciaux ou de bureaux ; ensuite par ordinateur – lorsque ce moyen se démocratisa – au travers d’une cascade de serveurs au moyen d’un GPS sur son portable ; il avait été l’un des tout premiers à utiliser ce mode de communication. Aujourd’hui, tous les signaux de communication étaient interceptés et l’on pouvait situer avec exactitude le point de départ d’une transmission. Mo avait donc abandonné cette méthode et était revenu à des moyens plus simples. Il utilisait les cafés Internet et autres « web-shops ». Quelquefois il s’introduisait comme un voleur dans des locaux professionnels et se servait des ordinateurs de bureau comme il se servait autrefois de leurs téléphones ; mais il passait toujours par une succession de serveurs pour atteindre ses associés, et il pratiquait un langage codé mis au point entre eux. D’un message impersonnel de départ, cela devenait une bouillie à destination finale. Actuellement, ses associés et lui étudiaient d’autres méthodes de communication et de langage, car la technologie évoluait si vite qu’il leur faudrait trouver au plus tôt des parades efficaces.

Mo avait commencé ses activités par hasard. Rien n’avait été prémédité, réfléchi, l’évidence s’était imposée d’elle-même.

Alors qu’il traînait ses guêtres dans des milieux interlopes, toujours en situation borderline, il avait été contacté par une ancienne relation rencontrée durant sa vie militaire. Mo avait été commando parachutiste et lors d’un stage « nageur de combat » à Collioure, il avait sympathisé avec un commando de marine – Dubcek PELC – Tchécoslovaque qui s’était enrôlé tout d’abord dans la Légion étrangère avant de terminer sa carrière comme instructeur chez les marsouins.

Dubcek, donc, l’avait embrigadé dans une aventure folle : une opération clandestine pour libérer des otages – des ingénieurs d’une compagnie minière internationale – en coup de force. Cette opération était financée par l’employeur des otages ; elle était complètement illégale. Les démarches officielles ayant échoué, la compagnie s’était tournée vers le commando de marine qui, à l’époque, louait ses services à ceux qui en avaient besoin. Il n’était pas un mercenaire comme l’imaginaire le conçoit, mais un conseiller en sécurité indépendant qui choisissait ses missions au coup de cœur. Un artisan. Les ravisseurs étaient un ramassis d’ex-militaires renégats et de mercenaires d’un minuscule État fantoche d’Afrique qui s’autoproclamait indépendant ; ils faisaient régner sur la contrée une terreur sanguinaire. Ils avaient emprisonné des opposants et des membres d’ONG en même temps qu’ils avaient kidnappé les personnels de la compagnie minière. Comme d’habitude, les pays occidentaux avaient d’abord privilégié les démarches diplomatiques. Mais la diplomatie avec un pays qui n’existait pas était à sens unique. Négocier avec des analphabètes mythomanes psychopathes était comme pisser contre le vent : tout leur revenait dans la gueule.

Parmi les prisonniers, un jeune avocat anglais idéaliste qui s’était brûlé les ailes pour des causes perdues d’avance, mais en lesquelles il croyait. Il défendait des opposants au régime en place et il était arrivé ce qui devait arriver : il avait fini en taule avec ses clients. Son nom, Geoffrey LACOMBE, mais très vite il sera surnommé Jerry par Dubcek et Mo. La mission fut une réussite, et bien au-delà, puisque les opposants et leur avocat profitèrent de l’opération de libération des ingénieurs pour s’échapper.

Voilà, c’est ainsi que les trois hommes se rencontrèrent. Ils sympathisèrent. Et l’idée leur vint de s’associer pour créer une agence proposant des services sur mesure, inhabituels, spéciaux, quoique toujours restant dans la légalité. Ou à peu près… sur le fil quoi. Le bureau, situé à Gibraltar, un paradis fiscal leur donnant plus de latitude dans l’exercice de leurs activités, était tenu par Jerry l’avocat qui étudiait les dossiers et proposait à ses deux associés telle ou telle mission. Chacun d’entre eux menait une vie indépendante, discrète, ils n’étaient réunis qu’au cours d’affaires en commun. La plupart des missions portaient sur le conseil auprès de grosses compagnies multinationales et d’organismes paragouvernementaux, ainsi que sur la formation d’unités de protection privées ou publiques. Les missions comme celle qui avait réuni les trois hommes autrefois devenaient de plus en plus rares, mais lorsqu’elles survenaient c’était toujours la résultante d’un constat d’échec des voies officielles.

Juste avant cette opération africaine, Mo bourlinguait au gré de sa fantaisie et des petits boulots « borderline » qu’il trouvait. Pratiquant émérite d’arts martiaux en plus de sa formation commando, il mettait son expertise au service de qui le payait bien pour assurer sa protection. Il n’était pas regardant sur les aspects légaux ou non de certaines missions. Il était un asocial révolté, un écorché vif, un excessif en tout. Il portait en lui une haine de la société et des institutions, issue de son adolescence chaotique. Il n’avait aucune confiance en l’homme, il ne le trouvait pas fiable.

# # #

« Mais nous en reparlerons plus tard, dans un flash-back, car l’adolescence de Mo mérite que l’on s’y arrête longuement.

Voyons plutôt le tout début des activités de Mo au travers de deux histoires. L’une, parmi tant d’autres, survenue dans le cadre professionnel où il commençait à évoluer ; et l’autre, personnelle, affective, violente, survenue dans sa vie privée, afin de comprendre le personnage exceptionnel qu’il deviendra. Il n’avait pas trente ans au moment de ces faits. »

Les tableaux volés

Courbé dans cet espace réduit, les deux pieds dans le magma puant s’écoulant au fond de cette buse d’évacuation des eaux usées, Mo observait, écoutait depuis des heures les éventuels mouvements et bruits venant de la mer encore sombre à quatre heures du matin. Il était à son poste de surveillance depuis hier soir, la fatigue ne semblant pas avoir de prise sur lui malgré l’inconfort de la situation et le manque de sommeil depuis trente-six heures. De son poste d’observation, une bouche d’évacuation donnant sur la plage des Issambres, dans le Var, près de Sainte-Maxime, il couvrait une imposante villa avec port privé. C’est elle qui retenait toute son attention en même temps qu’il scrutait le large.

Au pied de la villa, des rochers à l’intérieur desquels avait été aménagé un petit port pouvant recevoir des bateaux de moyenne importance – jusqu’à quarante pieds environ. C’est là que se planquait Slo – Slobodan de son vrai nom. Slo était un Yougoslave – un Serbe faut-il préciser aujourd’hui, car la Yougoslavie n’existait plus – que Mo avait rencontré au cours de ses pérégrinations. Il avait quelquefois travaillé avec lui sur des missions ponctuelles, le Yougo pour des intérêts différents de ceux de Mo, mais la collaboration s’était toujours bien passée. Slo était un dur, physiquement et moralement, il exécutait des prestations diverses pour on ne sait quels intérêts privés – mais ce n’était sûrement pas pour des associations de bienfaisance – et il s’en sortait plutôt bien. Sa vie ressemblait un peu à celle de Mo, mais il n’était pas aussi misanthrope que lui, il s’adaptait assez bien à la société. Il se disait même qu’il aurait une épouse et un enfant, mais cela faisait peut-être partie de la légende qui l’entourait à cette époque. Slo avait cette particularité de laisser se construire autour de lui les histoires les plus contradictoires sans jamais les démentir, si bien qu’aujourd’hui plus personne ne savait le vrai du faux. C’est une tactique qu’il avait choisie dès le début de ses activités en marge de la société et c’était bien vu de sa part, car ce labyrinthe virtuel en avait égaré plus d’un.

Slo était recroquevillé dans une anfractuosité de rocher et, comme Mo, il attendait patiemment. Sa position était aussi inconfortable que celle de ce dernier : il était en combinaison de plongée, le corps à moitié immergé, accroché à la roche.

C’était une mission de la dernière chance.

Mission surprenante en vérité, car bien qu’officieuse, elle était couverte par les autorités.

Mo avait été contacté, indirectement, par un conservateur de musée qui avait subi des vols d’œuvres d’art et dont il pensait qu’elles partiraient à l’étranger tout prochainement, car il avait des informations à ce sujet. Ces infos disaient que les tableaux se trouvaient dans une villa blanche, en bord de mer, et seraient embarqués une nuit à bord d’une vedette rapide pour une destination d’Afrique du Nord. Deux raisons faisaient que les pouvoirs publics ne pouvaient intervenir sur cette affaire : la première était que les infos venaient d’une voyante qui avait « vu » les tableaux volés, une villa blanche au bord de mer et une foultitude de détails qui avaient permis de cibler le lieu et l’heure du trafic ; la deuxième était que le juge d’instruction ne pouvait fournir assez vite une commission rogatoire – surtout sur de telles bases – permettant aux forces de l’ordre d’intervenir légalement. Les gendarmes, qui avaient déjà « collaboré » avec la voyante dans d’autres affaires, faisaient confiance à celle-ci et avaient accepté de fermer les yeux sur l’opération que le conservateur voulait monter pour récupérer ses œuvres. Mieux, ils seraient proches de l’endroit où cela se passerait et interviendraient en flagrant délit suite au bordel que Mo et Slo provoqueraient si l’embarquement avait lieu. Ainsi, l’affaire serait résolue, en apparence, sur un simple hasard, ce qui éviterait trop de questions auxquelles personne ne pourrait répondre, et les gendarmes récolteraient les lauriers. Quant aux deux aventuriers, ils empocheraient une belle somme payée par l’assurance du musée.

Lorsque Mo avait été appelé pour cette opération, il était occupé ailleurs, en Normandie, et il avait dû louer un petit avion privé pour se rendre à Nice en se jouant des autorisations et plan de vol avec un culot phénoménal.

Extrait :

« Le pilote soulève la question du plan de vol.

— Pas le temps de déposer un plan de vol !... lui rétorque Mo. On part de suite.
— Impossible s’écrie le pilote, il y a des règlements…
— Bon, appelez le service et passez-les-moi !

Au téléphone, le pilote explique le trajet et l’urgence du vol. Mais ça coince. Mo arrache le téléphone des mains du pilote et s’exprime sur un ton ne souffrant aucune contradiction.

— Opération spéciale de police. C’est urgent et confidentiel, alors démerdez-vous comme vous voulez, mais nous on part !
— Mais dites-moi au moins de quel service êtes-vous, je dois en référer à…
— Vous vous foutez de ma gueule ?! Je viens de vous dire urgent et confidentiel, ça ne veut rien dire pour vous ? … Bon, on part tout de suite, vous communiquerez le plan en cours de vol, on ne peut plus attendre. Et si vous mettez des bâtons dans les roues de cette opération, vous entendrez parler du pays !

Et Mo raccroche.

— Allez ! C’est parti, dit-il au pilote hésitant encore. »

La force de conviction de Mo et l’enveloppe conséquente étaient telles que toutes les réticences s’étaient évanouies.

Une première étape à Valence pour embarquer le conservateur qui voulait assister à l’opération et surtout surveiller la récupération de ses tableaux. Gonflé ce mec, pas du tout le genre que l’on imagine pour sa profession. Il avait l’air de partir en croisade pour défendre et protéger sa religion : l’Art. Durant le vol jusqu’à Nice, il avait raconté le braquage dont il avait été victime, les œuvres qui avaient été volées, avec force détails sur leur valeur artistique et, accessoirement, financière. Il partait sauver ses « enfants » et n’importe quel moyen serait bon pour aboutir. Arrivés à Nice, bref entretien avec un staff original : un capitaine de gendarmerie, la voyante qui était à l’origine de la localisation de la villa, le conservateur précité, un ami de celui-ci qui avait suivi toute l’affaire et qui finançait l’opération, et Slobodan.

Les détails mis au point, Mo et Slo étaient partis dans la voiture de ce dernier, suivis d’un deuxième véhicule occupé par les autres protagonistes. Ils ne se reverront tous qu’à la fin de l’opération.

Durant le trajet de Nice aux Issambres, les deux complices avaient mis au point leur mode opératoire. L’idée générale était de surveiller la maison indiquée par la voyante – une vérification avait été faite discrètement par la gendarmerie et il s’avérait que l’occupant des lieux était suspect, ce qui apportait crédit aux dires de la pythie – et d’intervenir pour empêcher les œuvres d’art de disparaître en provoquant suffisamment de bordel pour justifier l’intervention des flics.

Voilà pourquoi en cet instant, Mo bousillait une paire de boots en peau de kangourou dans les eaux puantes d’un collecteur géant parce qu’il n’avait pas eu le temps de se changer ; et Slo se pelait les couilles dans la mer malgré la douceur nocturne de ce mois de mai.

Soudain, un peu après quatre heures du matin, la grande baie vitrée donnant sur la mer s’était illuminée, une fois, deux fois, puis éteinte. Quelques secondes sans autre manifestation lumineuse, puis à nouveau la lumière, une fois, deux fois, pour rester allumée la troisième fois. C’était un signal, sans aucun doute, mais vers qui ? Il n’y avait que le large golfe vide de bateaux, aucun feu de navigation à perte de vue. Mo a attendu dix minutes puis il s’apprêtait à faire mouvement vers la villa pour essayer de voir à l’intérieur quand il devina une ombre à peine perceptible qui se glissait en direction de sa planque. L’ombre était toute proche maintenant, Mo se préparait à recevoir le visiteur quand un léger sifflement l’avertit que c’était Slo qui rampait vers lui. Mo lui répondit sur le même mode et Slo termina sa progression plus librement pour venir se loger dans la buse près de son acolyte.

— Qu’est-ce que tu fous ?... s’est exclamé Mo d’une voix étouffée. J’allais bouger moi aussi…

— Justement, c’est ce que j’ai pensé et c’est pourquoi je suis là avait répondu Slo avec son accent jamais disparu malgré son exil en France depuis plus de dix ans. De là où j’étais, je pouvais voir le salon d’où vient la lumière ; en me redressant un peu j’ai vu un mec qui s’active dans la pièce sans comprendre vraiment ce qu’il fait. Alors je suis venu te prévenir. Qu’est-ce qu’on fait ?

— On va aller voir !

Avec méthode et beaucoup de précautions, les deux aventuriers se sont approchés près du bord de la terrasse sur laquelle donne la baie vitrée éclairée. Un homme faisait les cent pas dans le salon, une tasse à la main.

— Tu me disais qu’il était afféré, que faisait-il exactement ? Parce que là ça ressemble à un mec qui fait de l’insomnie ou bien à un lève-tôt.

— Il n’était pas comme ça tout à l’heure, il entrait et sortait par la porte que tu vois au fond, il avait l’air de bouger des trucs, il se déplaçait vite comme s’il exécutait une tâche urgente. Enfin quoi il se préparait à quelque chose…

— Ou bien il préparait son café, avait ironisé Mo.

— Fous-toi de ma gueule ! Je sais ce que je dis, et puis merde tu as vu comme moi les signaux de lumière.

— Peut-être une coïncidence, une hésitation du bonhomme mal réveillé…

— T’y crois pas, arrête tes conneries.

— Peut-être, mais il ne se passe rien en attendant. J’ai l’impression qu’on va faire un flop sur ce coup-là.

— Du moment qu’on est payé, moi je m’en fous et tant mieux si on gagne du fric sans risquer sa peau… pour une fois…

Les deux compères se sont arrêtés soudainement de parler : là, dans le salon, l’homme s’est figé une seconde puis s’est dirigé vivement vers une table basse où il a saisi énergiquement un téléphone. Il a semblé écouter avec attention et ils ont vu bouger ses lèvres une seule fois juste avant qu’il ne raccroche. Il s’est ensuite dirigé vers la grande porte vitrée, l’a ouverte et a fait quelques pas sur la terrasse. Les deux hommes se sont recroquevillés chacun dans une anfractuosité de la roche en espérant ne pas être découverts. Le type s’est juste approché du bord de sa terrasse, a scruté l’horizon, et après quelques secondes est retourné à l’intérieur en laissant la baie grande ouverte.

— Y a un truc qui se passe…

— Chut ! Écoute !

— Quoi ? Je n’entends rien…

— Écoute ! … tu n’entends pas un bruit de moteur ?

— Ben quoi !? C’est des bagnoles de l’autre côté du golfe ; la nuit, sur la mer, les bruits portent.

— Non ! C’est un moteur de bateau, pas un moteur de bagnole ; tu sais que je m’y connais en ce domaine ; et ça, c’est la sonorité de grosses gamelles d’au moins quatre cents chevaux qui tournent au tiers de régime.

— Putain ! Comment tu fais pour reconnaître un simple bruit de moteur ? Tu parles de ça comme tu parles des vins. Tu peux me donner le millésime aussi pour ce cru ? …

— Chut !... arrête de déconner, laisse-moi écouter.

Mo a scruté le large à la recherche d’un signe, d’un indice. La nuit, sur la mer, les bruits sont difficiles à situer précisément, ils semblent venir de plusieurs endroits à la fois.

— Là ! Tu entends cette fois ? Ça vient par ici j’en suis sûr, mais je ne vois rien encore. Go ! Reprends ta planque où tu étais avant. Et si c’est bien ce que je pense, on fait comme on a dit… exactement comme on a dit. O.K. ? Allez, c’est parti.

Slo est allé se replonger dans son coin, là où se trouvait son matériel. Mo n’est pas retourné dans son collecteur géant, mais s’est planqué sur le côté de la villa, collé à une palissade en canisse, pour être au plus près en cas d’intervention subite.

Le bruit moteur était de plus en plus proche, mais toujours rien de visible sur la mer. Le bateau naviguait tous feux éteints. Sur la route qui passe au-dessus de la villa, Mo a distingué un mouvement. Il s’est déplacé vivement et en silence pour s’approcher d’une silhouette qu’il devinait plutôt qu’il n’apercevait. Il ne lui a fallu que deux à trois minutes pour être tout près de la silhouette qu’il a reconnue : c’était le capitaine de gendarmerie. Ce dernier ne l’a même pas vu approcher. Mo s’est jeté sur le flic en lui plaquant sa main sur la bouche pour l’empêcher de crier. Il s’est fait reconnaître en murmurant à son oreille et a relâché son étreinte. Il a expliqué au flic que l’action semblait s’engager, que celui-ci devait rester scrupuleusement planqué, sans bouger le moindre poil sinon ils risquaient de se faire repérer. Il lui a rappelé une dernière fois les consignes et confirmé le signal qu’il ferait pour que ses hommes puissent intervenir. Consignes bien comprises, Mo est retourné se planquer près de la villa.

Le bruit moteur était beaucoup plus présent, mais toujours aucun bateau à l’horizon. « Vraiment des pros ces mecs » pensait Mo.

Tout d’un coup le moteur a été coupé, plus rien. Mo a scruté avec plus d’intensité la mer, cherchant à situer où pouvait bien être ce putain de bateau. Une ou deux minutes sans que rien ne se produise. Et tout d’un coup, la lumière de la villa s’est éteinte, allumée, éteinte, allumée, comme cela trois fois de suite et puis est restée éteinte. À peine dix secondes après, un projecteur s’est allumé et éteint par trois fois aussi tout là-bas au large, face à la villa. Dix secondes encore et la lumière de la villa s’est rallumée. À partir de cet instant, les choses se sont précipitées. De la villa est sorti le type déjà aperçu et, oh surprise, un deuxième homme. « Nom de Dieu ! Il n’était pas prévu celui-là, avait pensé Mo, d’où sort-il ? » Les deux hommes ont coltiné des colis encombrants, bien enveloppés, de la villa au ponton. Au même instant, le moteur du bateau s’est fait entendre à nouveau, il était même plus puissant, les gaz avaient été mis au moins aux deux tiers ; et, soudain, des lumières se sont allumées sur l’eau du golfe : feux de navigation, projecteur avant pour l’abordage et projecteur orientable qui fouillait les alentours. L’embarcation était plus proche que ne le supposait Mo, le pilote devait être un navigateur expérimenté. Le bateau est arrivé droit sur le port privé à grande allure, puis a coupé sa vitesse au dernier moment, juste avant d’entrer dans l’étroit passage entre les rochers qui mène au ponton.

Pendant ce temps, Slo, qui était passé par les mêmes étonnements que son partenaire en découvrant la soudaineté de l’opération, s’était préparé. Il avait remonté la cagoule de sa veste de plongée, avait mis ses lunettes, son tuba, avait saisi un lourd sac de toile et s’était laissé glisser dans l’eau. Le corps totalement immergé, le haut du crâne et les yeux seuls sortant de l’eau confondus avec l’environnement rocheux, il s’était laissé porter par la mer en surveillant l’approche du bateau. Il était dans son élément, c’était un ancien nageur de combat lui aussi. Et bien meilleur que Mo.

L’embarcation a apponté en une seule et précise manœuvre. C’était un gros pneumatique à carène semi-rigide d’environ huit mètres et quelques, motorisé avec deux moteurs hors-bord de chacun deux cent cinquante chevaux – Mo avait été un peu en dessous pour l’estimation – de couleur noire, style commando, aucune partie métallique brillante, vraiment l’embarcation militaire appropriée pour des opérations discrètes et clandestines. À peine le pneumatique était-il amarré que les deux hommes à terre ont fait passer les colis à trois personnes qui se trouvaient à bord. « Pourvu que Slo arrive à temps » s’est inquiété Mo.

À l’instant précis où le bateau s’engageait dans le passage, Slo s’était mis à nager entre deux eaux au début, et puis en immersion totale ensuite pour approcher, invisible et silencieux.

L’embarcation ne se trouvait pas encore amarrée qu’il était déjà pratiquement sous la coque.

Collé sous la carène, l’extrémité du tuba affleurant à peine la surface, l’embout camouflé par les « flaps » stabilisateurs pour ne pas être repéré par l’un des marins, il avait sorti du sac qu’il transportait une lourde chaîne à gros maillons. Il avait entouré celle-ci sur les deux embases des moteurs en prenant soin de bien passer une boucle dans chaque hélice. Sûr de son travail, il avait pris une longue inspiration et s’était enfoncé dans l’eau pour rejoindre sa planque. Là, il s’était défait de sa tenue de plongée, s’était essuyé avec une serviette, et avait enfilé son pantalon de toile et son T-shirt restés dans un sac au sec. Avec maintes précautions, il s’était approché le plus près possible du ponton pour être fin prêt à l’action lorsque Mo donnerait le signal.

Mo savait qu’il ne devait se consacrer en premier lieu qu’aux deux hommes à terre, ceux du bateau chercheraient à fuir quand ils verraient l’intervention, car leur mission ne devait être que convoyer et protéger les œuvres d’art à tout prix. Quand ils s’apercevraient que leur bateau est « out », alors là ils seraient dangereux, mais Slo serait opérationnel à ce moment-là. Et puis les flics arriveraient aussitôt dès qu’ils entendraient le bruit des moteurs qui rugiraient en s’emballant lors de la casse des hélices. Enfin Mo l’espérait… car lui et son acolyte ne pourraient pas maîtriser tout ce monde malgré leurs compétences à tous les deux des arts martiaux, surtout Mo qui était un expert en la matière. Et puis ces hommes seraient sûrement armés. Bon, on verra bien.

Le chargement était terminé. L’un des deux hommes à terre a défait l’amarre et jeté le bout à l’un des occupants du bateau. Le pilote a démarré les moteurs. Le bruit couvrant son déplacement, Mo a franchi les quelques mètres qui le séparaient du groupe d’une foulée longue et souple et terminé sa course en saut chassé des deux pieds sur la poitrine d’un des hommes sur le ponton tandis qu’il a fauché l’autre au passage avec une manchette de son avant-bras en pleine face. Mo s’est à peine réceptionné dans un impeccable roulé-boulé que Slo a surgi comme un diable du rocher surplombant le ponton et atterri sur les planches, bien planté sur ses jambes courtes et musclées. La réaction des occupants du bateau a été immédiate, le pilote a enclenché la marche arrière et mis les gaz ; un hoquet d’hésitation des moteurs, un fracas de ferraille torturée, un bouillonnement à l’arrière de l’embarcation et un rugissement des moteurs qui s’emballent en surrégime, libérés de la prise d’hélices. Stupéfaction à bord qui a laissé le temps à Slo de se projeter dans le semi-rigide et d’engager une série d’atémis des poings et coudes qui ont surpris les marins ; mais déjà l’un d’eux a repris son contrôle et s’est emparé d’une longue gaffe avec des intentions bien claires. Mo a dû faire un choix : achever de maîtriser les deux hommes du ponton ou bien porter assistance à son complice. L’agresseur à la gaffe paraissant le plus dangereux pour le moment, il a choisi de sauter à bord et d’engager le combat pendant que Slo en terminait avec les deux autres. Le bateau n’étant plus amarré s’est éloigné du bord et l’agitation provoquait un roulis avantageux pour les deux experts du combat rapproché qui maîtrisaient mieux leur équilibre que les trafiquants. Ceux du ponton s’étaient relevés et s’apprêtaient à s’enfuir lorsque plusieurs gendarmes sont intervenus et ont coupé leur retraite. Une brève pagaille, puis le calme est revenu, d’abord sur le ponton et ensuite à bord du gros pneumatique où les occupants ont compris qu’ils avaient été piégés. Mo avait lancé un bout à l’un des gendarmes pour tirer le bateau à l’amarre. Tout le monde est descendu à terre ; les trafiquants ont été menottés, Slo et Mo ont rejoint le capitaine, le conservateur et son ami, ainsi que la voyante, un peu à l’écart du bordel environnant1.

— Pour nous c’est terminé a dit Mo ; nous allons repartir tout de suite, je dois reprendre mon avion à Nice. Débrouillez-vous pour expliquer votre intervention comme il était prévu, nous n’avons jamais été là… allez, bye !

Et les deux acolytes, sans autre salutation, se sont éloignés pour rejoindre la voiture de Slo restée à quelques centaines de mètres de là, sur un parking de supérette.

Le surlendemain dans Nice Matin, un titre accrocheur : « Démantèlement d’un réseau de trafic d’œuvres d’art par le peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie.

Le Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie (PSIG) qui menait une enquête discrète sur un réseau de trafiquants d’œuvres d’art (…)… et après une longue planque que les gendarmes opéraient à la suite de renseignements venant d’une source tenue secrète, le coup de filet ramenait (…)… et c’est un succès de plus pour les méthodes de nos gendarmes du PSIG qui démontrent l’opiniâtreté avec laquelle… et bla bla bla… »

# # #

D’autres aventures de ce genre furent vécues par Mo au début de sa carrière, certaines pires encore, plus risquées, plus osées.

Il fit une rencontre qui lui donna accès aux grands contrats de sécurité : compagnies pétrolières, instituts bancaires, transports de fonds et de valeurs, services « off » des gouvernements pour des missions « diplomatiques » (voyez ce que je veux dire !), « politiques » ou autres. Cette rencontre ? Un homme, A.G.2, personnage influent, puissant, d’une grande ville du sud de la France. Un grand avenir se dessinait pour les deux hommes réunis, des projets grandioses prenaient forme, mais les relations dangereuses qu’A.G. entretenaient se terminèrent brutalement et le firent taire à tout jamais. Et les secrets qu’il détenait partirent en fumée en même temps que lui.

Ce fut quelques mois après ce drame que Mo rencontra ses futurs associés lors de la mission africaine. Autre tournant dans sa vie de bourlingue, qui ne s’arrêtera que… pfft… vous verrez bien !

La deuxième aventure de Mo – privée celle-ci…

Mais elle est significative de ce qu’est cet homme… ou devrais-je dire cet animal !?

Moi qui connais l’histoire, je vais vous la raconter. Elle est un peu plus longue que la précédente.

Mo s’était lancé aux trousses d’un salaud qui avait infligé à sa filleule – la fille de ses meilleurs et seuls amis, Jean et Evelyne – des sévices sexuels odieux.

Après bien des péripéties, il avait réussi à trouver une piste.

Tout d’abord, il avait observé les premiers mouvements de sa cible.

Puis il avait frappé. Sans pitié.

Mais replaçons ces événements dans leur contexte.

Et parlons au présent, comme si cela se passait en ce moment, et comme si vous y étiez. Ainsi vous vivrez l’aventure en temps réel.

Justice rendue

Cannes. France

Une grosse limousine rallongée s’arrête devant l’entrée du Carlton, en double file, sans se préoccuper de l’encombrement qu’elle provoque en bloquant la rue du Canada débouchant sur la Croisette. Une autre berline, moins importante, se place de trois quarts arrière de la première voiture, empiétant sur la voie de droite de la Croisette et perturbant le trafic de celle-ci. Quatre hommes en sortent et se postent sur le trajet entre la grosse limousine et l’entrée de l’hôtel. Deux grosses motos, style super-motard, ont pris position, l’une quelques dizaines de mètres en arrière, garée le long du terre-plein central et l’autre très en avant, garée sur le trottoir, ignorant superbement les piétons protestant de la gêne occasionnée.

Un taxi tente de se garer devant l’hôtel pour se mettre en attente de clients. Aussitôt, l’un des hommes postés en protection s’approche du taxi et lui fait comprendre énergiquement qu’il doit dégager. Il a sûrement des arguments convaincants, car le taxi redémarre pour aller se garer plus loin. Le dispositif mis en place crée une sorte de no man’s land où plus personne ne peut entrer ou sortir du Carlton librement. Sur le trottoir, même les passants font un détour. Le portier en grand uniforme est dépassé, il ne sert plus à rien, il n’ose plus bouger, même pour ouvrir la porte. Pas plus de deux minutes s’écoulent, et tout s’anime soudainement. Un homme de forte corpulence, costume croisé de grand faiseur, l’allure hautaine et arrogante de ceux qui ont l’habitude de commander, sort d’un pas pressé. Il est entouré de deux créatures extraordinaires. L’une blonde et l’autre rousse foncée. C’est là toute leur différence, car sans être jumelles, elles se ressemblent dans leur allure générale, leur physique. Toutes les deux dépassent certainement le mètre quatre-vingt, elles sont d’une beauté étourdissante, et leurs vêtements attirent l’attention. Elles portent des pantalons noirs amples et des chasubles très larges comme les vêtements traditionnels des paysans vietnamiens. Aux pieds, de fines espadrilles de toile. Quoique belles, elles ne risquent pas d’être importunées par un éventuel dragueur, l’aura qui les entoure projette autour d’elles des ondes inquiétantes. Pour qui sait l’interpréter, leur démarche, la position du corps, l’expression figée du visage, l’allure générale d’un fauve laissant supposer une musculature souple et puissante et le regard assuré, ces femmes représentent la force et la connaissance. Mais le danger aussi. À côté d’elles, les gorilles qui bloquent l’accès à l’hôtel et qui ont des gueules pas possibles et des physiques de catcheur paraissent inoffensifs. Vivement, elles aident l’homme corpulent à entrer dans la grosse limousine, l’une s’installe avec lui à l’arrière et l’autre devant avec le chauffeur. La deuxième voiture, où se sont engouffrés les gardes, décolle de son stationnement et barre carrément la circulation de la Croisette pour permettre à la première voiture de démarrer en toute sécurité. La moto à l’arrière rejoint la voiture de protection et la moto qui était sur le trottoir ouvre la marche cinquante mètres en avant. C’est un ballet bien réglé par des professionnels de la protection rapprochée. Beau boulot.

Les infos glanées auprès du portier et du taxi apportent à Mo quelques éléments complémentaires. Les filles sont les gardes du corps privées de Donald THORNOP ; personne ne sait d’où elles viennent, qui elles sont, de quelle nationalité sont-elles. Elles sont depuis peu – quelques semaines – au service du milliardaire. Les autres agents font partie de la protection générale depuis plus longtemps. THORNOP est un businessman international, une des plus grosses fortunes mondiales.

Le lendemain, même scénario. Mo suit tout ce petit monde sur une bécane qu’il a louée pour s’imprégner des habitudes de l’homme d’affaires. C’est au Port Canto qu’il apprend que demain, le yacht du milliardaire ferait une promenade jusqu’à Ramatuelle et rentrerait en fin de journée, car une soirée était organisée aux Marinas de Villeneuve-Loubet.

Le soir, de son hôtel minable, mais discret situé dans le vieux Cannes, il appelle Evelyne, la femme de son meilleur et seul ami.

— Allo ! Evelyne… C’est moi.

— Oh ! J’attendais de tes nouvelles. Où es-tu ?

— Quelque part. Je voulais juste te dire que j’approche du but. Dis-le à Jean. Comment va-t-il, est-ce qu’il remonte à la surface ?

— Non. Il reste prostré des heures ; jour et nuit, sans presque dormir. Il est là, le regard vague, tourné vers l’intérieur de lui-même. Il ne parle pas, il ne fait rien… il maigrit de jour en jour, je ne sais plus quoi faire. Il attend. C’est toi qu’il attend. Je suis sûre que ton appel va provoquer une réaction.

— Dis-lui bien que j’irai jusqu’au bout, que justice sera faite — pas celle des hommes, la mienne.

— Il le sait. Et c’est bien cela qui le retient encore un peu vivant. Tu es son seul espoir.

— Et Sandrine ? … comment s’en sort-elle ?

— Elle est pareille que son père : prostrée. Elle dort beaucoup. J’ai suivi tes conseils, mais elle reste inerte, elle ne pleure même plus, elle est là comme un légume…

— Ne t’inquiète pas. Ce sera long pour guérir d’une telle horreur. Lorsque j’aurais terminé ce que j’ai à faire, je prendrai soin d’elle, elle viendra se refaire une santé dans mon univers.

— Fais attention tout de même, ne prends pas des risques inconsidérés. Je sais combien tu peux être excessif quelquefois. Ne risque pas ta liberté et ta vie, même si j’ai autant envie que toi de voir ce salaud payer, de le savoir hors d’état de nuire.

— T’occupe, c’est mon problème. Je constate que toi tu es solide au poste, comme toujours. Vous les femmes, vous êtes vraiment les plus fortes.

— Oh tu sais il y a des moments où je voudrais disparaître, ne plus supporter tout ça, mais mon homme et ma fille ont besoin de moi maintenant, pas demain. Je penserai à moi quand tout sera redevenu normal, si ça redevient normal un jour…

— Ça le redeviendra, fais-moi confiance. Bon, je dois partir maintenant. Dis à Sandrine que parrain lui fait de grosses bises et qu’il s’occupe d’elle. Bye.

— Bye. Sois prudent.

Le lendemain, Mo se poste sur le trajet nautique du yacht à bord d’un petit pneumatique, équipé d’un attirail de pêcheur, loués tous les deux afin de donner le change. Il est au mouillage au large du phare de la Moutte dans la baie de Saint-Tropez, passage obligé pour se rendre à la plage de Pampelonne en venant de Cannes.

Mo cherche une ouverture pour atteindre sa cible. Peut-être THORNOP serait-il moins protégé sur son bateau ?...

Vers onze heures, le yacht passe à quelques encablures du petit pneumatique. Ce que voit Mo se dérouler sur le pont le laisse ébahi.

Sur le fly-bridge, le gros homme est avachi dans un transat, cigare aux lèvres et table chargée de boissons à portée de main, il regarde les deux amazones qui évoluent sous lui, sur le pont, quasiment nues. Elles dansent un étrange ballet. Sur un fond de musique asiatique, elles effectuent des katas au ralenti et simulent un combat symbolique. Les coups, les enchaînés, les esquives sont inhabituelles, même pour un spécialiste des arts martiaux comme Mo, ce sont des gestes appris auprès d’un maître et seuls quelques initiés devaient les connaître. Certains de ces coups, s’ils étaient portés réellement, tueraient net un adversaire. De ce ballet se dégagent une énergie, une concentration et une maîtrise presque inhumaine. Rien de comparable n’a jamais été vu, à part dans les films de kung-fu les plus oniriques. Lui, Mo, comprend ce qui se passe et regarde en spécialiste ce combat qui, tout symbolique qu’il soit, est d’une violence inouïe et d’une cruauté sans limite. Tous les coups suggérés sont là pour faire souffrir, pour amoindrir son adversaire sans le tuer directement, pour faire durer l’agonie. Malgré la houle, les équilibres sont sûrs, les appuis fermes. Quelle discipline corporelle !

Comment des êtres vivants peuvent-ils maîtriser leur corps à ce niveau ? Même les chats se cassent la gueule quelquefois.

Sachant qu’une approche est impossible encore, il rentre au port. Il rend le bateau et l’équipement et enfourche sa moto pour retourner sur Cannes.

Il allait essayer une autre approche ce soir. Plus sûre.

Marinas de Villeneuve-Loubet. Construction en espaliers d’appartements luxueux, un port privé, des boutiques cossues, un service de sécurité efficace. Un lieu où seuls ceux qui vivent des intérêts de leurs intérêts peuvent s’acheter un appartement. Ceux du dernier étage sont inabordables, dans les deux sens du terme, financièrement et pratiquement. Ascenseur privé ne desservant que leur appartement, terrasse aménagée. Autant dire que les résidents du rez-de-chaussée sont des « pauvres » millionnaires.

Durant tout l’après-midi, un va-et-vient incessant de voitures de livraison – traiteur, fleuriste, décorateur – indique qu’une grande réception est organisée dans la résidence. Le service de sécurité avait été renforcé depuis le matin. De nombreux gardes du corps arpentent le port, visitent les bateaux à quai, entrent dans les boutiques, accompagnant des femmes couvertes de bijoux. À l’entrée de la Marina, le filtrage est rigoureux. Seuls les noms inscrits sur une liste consultée par les gardiens sont autorisés à entrer.

Un minibus rempli de filles – à l’exception du chauffeur – se présente au contrôle. Se penchant à la vitre, le chauffeur annonce :

— Top Escort. Les hôtesses pour la soirée.

— Ouais, je sais, dit d’un ton rogue le gardien. Elles doivent être huit, dit-il en les comptant. Mais vous, vous ne pouvez pas entrer, ce n’est pas prévu.

— Eh ! Comment je fais-moi. Il faut bien que je les transporte et que je les ramène en fin de soirée.

— Tu dépotes ici tes gonzesses et tu fais demi-tour.

— Et je les retrouve comment à la fin de la réception ? …

— C’est ton problème. Et tu te décides vite parce que tu gènes l’entrée là. Alors ?!…

— Bon, bon ! Mais laissez-moi au moins stationner le minibus à l’intérieur et je ressors à pied. Les filles ont un tas de fatras avec elles qu’il serait difficile de trimballer à pied. Vers deux heures du mat’ je reviendrai. Ça va comme ça ? …

Le gardien interroge son chef du regard. Ce dernier ayant tout entendu donne son accord.

— O.K. fais fissa et ne traîne pas en sortant.

Le minibus roule lentement jusqu’à un emplacement en bout de parking et stationne le long d’une haie plantée dans des bacs. Le chauffeur ouvre les portes et fait descendre les filles. Que du morceau choisi. Elles ont dû être toutes miss monde. Elles sont en tenue décontractée et transportent avec elles des housses de vêtements et des vanity-cases. Tout un bazar. Ce sont de vraies professionnelles, elles ne seront jamais prises au dépourvu compte tenu de tout l’attirail qu’elles emportent.

Il prévient les filles qu’il sera là vers deux heures pour les attendre et que s’il y en avait une ou plusieurs qui devaient passer la nuit sur place, il voudrait être prévenu afin de ne pas poireauter inutilement. Il ferme les portes du minibus et rejoint la sortie où, en passant, il fait un signe au gardien. Il marche tranquillement, comme quelqu’un qui sait qu’il a tout le temps devant lui.

Pantalon de flanelle anthracite, chemise de voile, blazer léger, il porte des lunettes légèrement teintées, il a les cheveux plaqués avec une raie tirée au cordeau et une fine moustache. Pas l’air d’un maquereau mais pas loin. Le nez épaté, la lèvre inférieure épaisse, les yeux aux commissures tombantes, il est quelconque, sans relief. Si ce n’était ses vêtements de qualité, il passerait inaperçu dans une foule.

C’est dingue ce que l’on peut modifier un visage avec un peu de coton, du chewing-gum, du collodion, des lentilles et un peu de maquillage, pense Mo.

C’est utile aussi d’avoir des relations. À tous les niveaux, dans toutes les couches de la société. Le résultat d’une vie aventureuse, d’un comportement intègre avec tous ceux qu’il a côtoyés, même ceux qui étaient hors la loi. Surtout eux. Il est respecté. On lui fait confiance.

Cherchant à connaître plus d’informations sur sa cible, Mo avait pris contact avec une vieille relation d’affaires : un Corse exilé en Afrique, mais qui contrôle toujours ses réseaux en France composés de machines à sous, de trafics de pièces détachées automobiles, de prostitution de haut vol, de corruption pour les appels d’offres dans le BTP et autres joyeusetés rentables.

L’agence Top Escort lui appartient et Mo avait obtenu d’un seul coup, et les renseignements sur sa cible, et les moyens de l’approcher facilement. Jacques ALLIAGA, le Corse, lui avait juste demandé de prendre soin de ses filles, de ne pas les mêler à son histoire, c’était son capital et comme pour tous ses « investissements » le Corse veillait au grain.

Mo avait mouliné dans sa tête les premiers éléments fournis par ALLIAGA : sa cible est un homme d’affaires américain – très riche – très, très influent auprès des politiques de différents pays – très, très, très pourri aussi. Plusieurs personnes ou associations ont essayé de l’attaquer pour prise d’intérêt illégale, corruption, malversations, pollutions de terrains et de cours d’eau, délits d’initié, sévices à personnes et même tortures sur certains de ses employés et sur sa seconde femme. Il cumule à lui seul tous les vices, il a commis tous les méfaits imaginables, cela paraît impossible et pourtant c’est vrai. Comment échappe-t-il à chaque fois à la justice ? L’on s’en doute un peu. Avec son fric il a corrompu tout le monde, même les instances les plus hautes, et il doit connaître des tas de secrets inavouables lui assurant l’impunité. Tout ce que le Corse avait pu lui dire c’est que THORNOP est pour quelques jours en France ; après, il était difficile de savoir, car cet homme sautait d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre aussi facilement que vous allez de chez vous à votre bureau chaque matin.

L’américain organisait une réception dans sa suite à la Marina et il avait loué les services d’escorte du Corse.

C’est tout ce que Mo savait, mais c’était déjà beaucoup. Il avait eu une idée pour provoquer une réaction de l’Américain, car il estimait que l’attaquer de face était encore trop tôt. Il lui fallait trouver une occasion de semer le bordel dans son entourage, dans ses habitudes, et c’est ce qu’il avait envisagé pour ce soir s’il trouvait une ouverture dans le réseau de protection qui entoure l’Américain.

« Et les filles qui accompagnent THORNOP, d’où viennent-elles ? » avait-il demandé à son ami Corse. « J’en sais rien avait répondu celui-ci. Tout ce qu’on m’a dit c’est qu’un jour on a vu apparaître ces filles et, d’après certaines relations, il paraît que ce sont des extra-terrestres aux capacités physiques hors du commun. C’est tout. »

Sorti de la Marina, il se dirige vers un café-restaurant situé au bord de la mer et s’installe à une table avec des journaux et une orange pressée. Plus de trois heures d’attente, sans aucun signe d’impatience, et quelques jus de fruits.

La nuit tombée depuis presque une heure, il marche le long de la plage de galets qui va de la Siesta à la Marina. Il flâne, regardant les quelques personnes restantes sur la plage. Petit à petit celles-ci quittent les lieux, il ne reste qu’un groupe qui fait griller des saucisses et joue de la guitare, mais il est assez loin de l’endroit où il doit aller. Il fait sombre. Pas encore de clair de lune. Il s’approche d’une remorque qui sert de buvette/sandwich la journée, jette un dernier coup d’œil alentour puis, se collant à la porte, crochète la serrure. Facile, cela fait partie de certaines aptitudes de son passé. À l’intérieur, il se déshabille ne gardant qu’un slip de bain. Il récupère les clés du minibus dans la poche de son blazer et les glisse dans son slip. Il ressort de la baraque et, tout en vérifiant que personne ne peut l’apercevoir, il entre dans l’eau. Il nage vers le large alternant crawl et brasse pour ne pas se fatiguer ; contourne la digue du port et pénètre au milieu des bateaux à quai. Se faufilant de bateau en bateau, il finit par aborder à l’endroit où est garé le minibus. Avec beaucoup de précautions, il sort de l’eau, va furtivement se blottir entre la haie et le véhicule. D’un sac de toile sorti du coffre, il en retire une serviette pour se sécher, puis il enfile un pantalon noir de kung-fu, un T-shirt à manches longues, noir aussi, et des chaussons de toile souple. Se servant de la haie en bacs et des voitures en stationnement pour couverture, il s’approche de l’angle du bâtiment et, après un dernier coup d’œil tout autour, s’élance d’une foulée puissante, prend appel sur le rebord d’une jardinière et s’élève jusqu’à la première terrasse. Pause pour observer les alentours, puis, s’aidant des garde-fous, il grimpe d’étage en étage jusqu’à l’avant-dernier niveau. Les appartements de cet étage sont tous éteints. Seul le dernier niveau est allumé à profusion et une grande agitation indique que la fête bat son plein. Soit tous les résidents de l’avant-dernier étage sont invités à la soirée, soit ils ont été virés pour des raisons de sécurité. Prenant comme fond les murets de la terrasse ou les plantes dans les jardinières afin de fondre sa silhouette dans le décor, Mo inspecte toutes les possibilités d’accès au niveau supérieur. Compte tenu du nombre de personnalités présentes, il doit y avoir une armée de gardes du corps. Ils doivent être partout, et noyauter les convives, dans les escaliers et aux sorties d’ascenseur, mais sûrement pas à l’extérieur de la réception. Ils ne sont là que pour la protection de leurs patrons respectifs, pas pour boucler un quartier. L’approche n’est pas aisée, l’appartement est au dernier étage, comme posé sur une plateforme, avec trois côtés accessibles et un quatrième côté donnant sur l’arrière de l’immeuble. C’est une longue et haute façade verticale où seules les fenêtres des communs sont éclairées. Il étudie longuement cette face ; personne ne penserait que l’on puisse accéder par cette voie, il y a donc de fortes chances que ce ne soit pas surveillé. Il repère une fenêtre avec un rebord suffisant pour l’accueillir s’il parvient à franchir cette distance dans le vide. Et, tout près, une sorte de câble de fort diamètre fixé au mur et remontant jusqu’au toit. Si la fenêtre se trouvait de face, il n’aurait aucune hésitation, il sauterait, mais elle se trouve dans l’arc que forme le bâtiment. Une seule solution, utiliser son grappin et faire un saut pendulaire. C’est un grappin dépliable, muni sur ses trois branches de plusieurs petites aspérités qui donnent un « grip » sûr, pas plus gros qu’un poing une fois replié. Relié à une corde de nylon très fine, le tout est d’une résistance à toute épreuve ; c’est l’un de ses nombreux accessoires dont il se sert pour ce genre d’aventure.

Visualisant très exactement l’endroit où il voulait voir arriver le grappin, il le lance et du premier coup atteint sa cible. Il tire sur la corde pour assurer la prise et, sans hésiter, se lance dans le vide. Il freine le mouvement pendulaire à l’aide de ses pieds sur le mur puis il remonte prestement jusqu’à la fenêtre où il se recroqueville sur le rebord étroit, son corps épousant chaque aspérité du crépi. Il récupère quelques secondes, conditionne sa respiration, puis allonge le bras et saisit le gros câble passant à moins d’un mètre. Il en éprouve la solidité. Ce doit être un câble d’alimentation pour des installations spécifiques, car il est très gros et lourd, fixé solidement au mur justement en raison de son poids. Il enlève ses chaussons et s’aidant de ses orteils et de ses doigts comme des pinces, il grimpe le long de la façade comme un singe. Il parvient sur le toit après bien des efforts et se laisse tomber, dos au sol, pour pratiquer quelques exercices respiratoires et retrouver un rythme cardiaque plus lent.

Il commence à explorer son environnement. Plusieurs panneaux vitrés de très forte épaisseur donnant de la lumière aux pièces. Certains de ces panneaux ont un système d’ouverture. Un regard par la première vitre lui dévoile une sorte de couloir large et long encombré de gens, le verre à la main, riant, discutant. Une autre fenêtre lui fait découvrir l’office avec un bataillon de serveurs et cuistots qui s’affairent autour de plateaux de canapés, de bouteilles ; un peu plus loin, dans un renfoncement de la pièce, des femmes à la plonge nettoient des monceaux de verres et d’assiettes. Encore une autre fenêtre, une chambre, où l’une des filles qu’il a transportées est troussée jusqu’à la taille, sans culotte, et se masturbe en gémissant, debout devant une sorte d’émir arabe installé sur un lit, le téléphone à l’oreille, et semblant regarder la scène sans émotion particulière. La prochaine ouverture donne sur le grand salon où une foule cosmopolite se presse, se frôle. Quelques femmes font le maximum pour accrocher un homme, et les filles qu’il a amenées ne sont pas les dernières à ce petit jeu. La concurrence est rude avec les bourgeoises qui font de la retape aussi. Effets de jambes, de seins, les hommes excités par l’alcool et la promiscuité de ces sexes sur pattes laissent leurs mains se balader sous les tissus féminins. Fenêtre suivante : bingo ! Le gros Donald est là, assis dans un fauteuil, un verre en main, et toujours son gros cigare aux lèvres. Il semble jouir d’un spectacle attractif vu l’intérêt de son regard. En se déplaçant pour changer d’angle de vue, Mo aperçoit deux filles sur le sol qui se contorsionnent dans une sorte de Kama Soutra. Près de la porte les deux amazones toujours habillées à l’orientale et pieds nus. L’expression de leur visage est neutre, absente, mais il devine leur état d’esprit à cet instant. Elles savent que c’est dans ces moments de détente que l’attention se relâche. Elles sont de vraies machines de guerre, pense-t-il, comme il est peu courant d’en rencontrer dans toute une vie. L’orgie des filles au sol devient de plus en plus hard. Dans l’entourage de cet Américain, le sexe est partout et à chaque instant. Et toujours au détriment des femmes, à leur dégradation, à la bestialité. Mo n’est pas spécialement pudique, mais le sexe pour le sexe le dérange un peu.