Un petit grain - Suzanne Jakubowicz - E-Book

Un petit grain E-Book

Suzanne Jakubowicz

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Beschreibung

« Moi, c’est pas pareil ! J’ai longtemps pensé que l’introspection me permettrait de mieux comprendre ma place dans le monde, mais elle n’a fait que m’enfermer dans une solitude plus profonde. Ce n’est qu’en levant les yeux et en dirigeant mon attention vers autrui que j’ai découvert ma propre humanité, reflet de celle des autres. C’est jamais pareil, et pourtant… c’est pareil. » Un petit grain convie à une réflexion subtile sur la condition humaine, explorant la manière dont nos relations aux autres révèlent notre nature commune. Cet ouvrage suscite une authentique remise en question et invite à redécouvrir notre proximité dans l’altérité. Il promet une transformation intérieure, bousculant les certitudes et offrant une nouvelle perspective sur la richesse des liens humains.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Marquée par la Shoah, l’alcoolisme et la maladie de son enfant, Suzanne Jakubowicz, née peu après le retour de sa mère d’Auschwitz, a forgé une joie de vivre sur un terreau de souffrance. Elle partage aujourd’hui cette résilience à travers l’écriture, inspirant ceux qui affrontent l’adversité.

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Seitenzahl: 434

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Un petit grain

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Suzanne Jakubowicz

ISBN :979-10-422-5189-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Alexia et Joël,

mes enfants à qui je dois tout

 

 

 

 

 

S’il pleut, réjouis-toi. Si tu ne te réjouis pas, il pleuvra quand même.

Hans Scholl

 

 

 

Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple.

Jacques Prévert

 

 

 

Vous savez pourquoi il faut absolument dire oui à la vie ? Parce que si on dit non, c’est pire.

Olivier Steiner

 

 

 

 

 

Longtemps je me suis interrogée sur le sens de la vie. J’en étais venue à l’idée qu’elle n’en avait pas. Nous venons au monde, nous traversons la vie, nous disparaissons.

 

 

Ce n’est pas le sens qu’il faut poursuivre, c’est ce qu’on poursuit qui fait sens.

La vie n’a pas de sens ; mais il y a du sens en elle.

André Comte-Sponville

 

 

J’oubliais un détail : nous nous reproduisons. Nous transmettons la vie et assurons la pérennité de l’espèce. Il est sans doute là, tout simplement, le sens de la vie. Mais au-delà de la vie, n’est-il pas besoin de transmettre aussi l’expérience de la vie ?

 

 

Ta place n’est nulle part ailleurs que dans le témoignage de ce qui t’est arrivé. Ça n’est pas arrivé pour toi seule.

France Léa

 

 

 

 

 

Octobre 2019

 

 

 

Nous parlons lui et moi de la transmission, celle qui motive ma démarche d’écriture. Nous ne semblons pas en avoir la même approche, en particulier concernant nos enfants. Dans les jours qui suivent, je tombe sur un article qui vient à propos : Et si les parents n’avaient pas d’influence sur leurs enfants.1 Il se termine ainsi :

 

La sélection naturelle a greffé en nous un sentiment d’attachement pour notre progéniture. Il n’est pas nécessaire d’y ajouter des croyances sur le « pouvoir de la parentalité » pour justifier l’instinct qui nous dit qu’il est important d’être un bon parent. Imaginez : et si l’effet parental n’avait finalement pas d’importance ? Et alors ? Après tout, les preuves attestant d’effets parentaux décisifs ressemblent de plus en plus à un château de sable susceptible de nous glisser entre les doigts à tout moment. Mais, si votre constitution morale vous oblige à exercer un contrôle quasi divin sur le développement psychologique de votre enfant afin de le traiter avec la dignité qu’exige n’importe quel être humain, alors il est peut-être temps de recalibrer votre boussole morale. Vous montre-t-elle le nord ou tourne-t-elle comme le tambour d’une machine à laver ? (…) Si vous voulez des enfants heureux et entretenir avec eux une relation durant bien plus longtemps que le temps nécessaire pour les faire voler de leurs propres ailes, alors soyez bons avec eux. Sachez simplement que cela n’aura probablement que peu d’incidence sur la personne qu’ils deviendront.

Brian Boutwell

 

Je veux adhérer à cette proposition peu conventionnelle – sans doute discutable – pour me rassurer. Elle me conforte dans l’idée que ce que nous transmettons à nos enfants n’est rien d’autre que notre conception de la vie qui leur servira à construire leur propre personnalité, sans nécessairement adopter nos valeurs.

J’ai bien peu adhéré aux valeurs de mes parents, j’ai pris le contre-pied de la plupart. Est-ce à dire qu’ils ne m’ont rien transmis ? Si bien sûr, j’ai bénéficié de ce que Imre Kertesz appelle « l’expérience négative », utile elle aussi. Elle rend la vie un peu plus difficile, c’est tout.

 

Autrement dit, chacun de nous n’est qu’une goutte de pluie, anonyme parmi la multitude de gouttes qui tombent sur une vaste étendue de terre. Juste une goutte. Une goutte unique, qui possède son individualité, mais qui peut être remplacée. Et chacune de ces gouttes a ses propres sensations, elle a sa propre histoire et elle a la responsabilité de transmettre ce dont elle a hérité. Nous ne devons pas l’oublier. Même si nous perdons notre moi individuel pour être englobés, effacés dans un collectif. Je devrais plutôt dire « précisément parce que cette individualité est remplacée par du collectif ».

(…)

L’histoire n’appartient pas au passé. C’est quelque chose qui coule comme du sang chaud et vivant à l’intérieur de la conscience ou de l’inconscient et qui, inévitablement, se transmet à la génération suivante. En ce sens, ce qui est écrit ici n’est pas seulement une histoire personnelle, c’est aussi un fragment de la grande histoire qui bâtit le monde dans lequel nous vivons. Un fragment minuscule, mais qui en fait indubitablement partie.

Haruki Murakami,

Abandonner un chat – Souvenirs de mon père

 

Il me demande :

 

« Est-ce nous ou eux (enfants, petits-enfants) qui sont les principaux bénéficiaires de cette transmission ? »

 

Je réponds :

 

« Eux et nous.

Nous, pour avoir fait ce que nous pensions devoir faire du mieux que nous pouvions, sans en attendre autre chose que d’alimenter leur capacité de discernement pour acquérir leur autonomie. Contentons-nous de transmettre et non d’asséner. J’en suis d’autant plus convaincue que j’ai conscience d’avoir failli à cet égard vis-à-vis de mes enfants, je l’ai compris tardivement. J’ai trop voulu donner des leçons de vie. Je leur ai ainsi manqué de confiance, voire de respect. J’ai mis longtemps à apprendre, et je continue d’apprendre à rester à ma place. Mon bénéfice est un peu plus d’humilité.

Eux, parce qu’il n’y a pas plus important dans la vie que le rapport aux autres. Rien ne peut réussir dans nos vies si nous n’avons pas des relations humaines à peu près harmonieuses. Pour construire ces relations, nous avons besoin de références, bonnes etmauvaises. Nous sommes en qualité de parents les premiers et les plus proches dans la chaîne de transmission. À eux alors d’en tirer les leçons, fussent-elles négatives. »

 

Dès lors que j’ai perçu l’impératif de la transmission, j’entreprends le récit incertain d’une vie, la mienne. Pour laisser une trace ? Peut-être, mais je veux croire que le narcissisme est ici marginal. J’ai tant appris des autres que j’en suis venue à penser que je peux être à mon tour un maillon de la chaîne de diffusion.

Écrire ce n’est pas nécessairement parler de soi, c’est faire entendre sa voix.

Marcel Cohen

 

La Shoah, l’alcool, le handicap d’un enfant sont des épreuves qui ont traversé ma vie et m’ont construite. Chacun connaît des épreuves, les surmonte ou pas. Chaque vie est sans pareil et exemplaire. C’est à partir de la transmission par d’autres, singulièrement dans la littérature, que j’ai pu trouver mon chemin et ma place dans le monde, ni pire ni meilleure. Ni pire.

Il me reste à trouver les moyens de dire.

Je le dois.

Être au monde.

Prendre part au monde.

Offrir ma part au monde.

 

Ce sera l’évocation d’un parcours, de sentiments et sensations, de réflexions, de perceptions, d’opinions, d’un esprit peut-être, bref le dévoilement d’une personnalité banale mais unique, tel un grain de sable sur la plage immense de l’humanité, une poussière d’étoiles dans l’infini. Un petit grain… Dans une chronologie aléatoire au gré de réminiscences et de notes consignées au fil des années.

 

Du général au soldat, chacun se sentait un grain de sable dans cette mer vivante, mais avait conscience en même temps de sa force comme partie de ce grand tout.

Léon Tolstoï,

La Guerre et la Paix

 

La vie aura fait ce qu’elle avait à faire. À mon tour de faire ma part au seuil de l’hiver de ma vie.

Ce n’est pas une démarche thérapeutique, mais une déambulation dans un parcours de relèvement.

Il s’agit ici de me mettre en ordre, sincèrement sinon objectivement.

 

Je suis convaincu de la fausseté non seulement de ce que je dis, mais aussi de ce qu’on y objectera. Il n’en faut pas moins commencer à parler ; en pareil sujet, la vérité ne se trouve pas au milieu, mais tout autour, pareille à un sac qui, à chaque opinion qu’on y fourre, change de forme, mais gagne en consistance.

Robert Musil,

Essais

 

Lorsque j’en aurai terminé avec cette tâche, je serai prête.

 

 

 

 

 

 

24 décembre 1995

 

 

 

Lettre aux parents (extraits)

 

Tu as eu, toi, Papa, une petite enfance douloureuse, orphelin de père, privé pendant quatre ans d’une mère exilée en Belgique, élevé et battu par des oncles, tantes, et rabbins qui te toléraient à peine au schtetlen Pologne, une bouche de plus à nourrir. Jusqu’à l’âge de 8 ans, quand ta mère vint te chercher pour regagner la Belgique avec son nouveau mari que tu détestas.

Toi, Maman, après l’épreuve de l’exil en famille depuis Varsovie, ta ville natale, vers l’âge de dix ans, en direction de Bruxelles, tu as survécu à l’horreur d’Auschwitz et Birkenau, et aux marches de la mort.

Vos parents et un grand nombre de vos proches furent assassinés pendant la guerre. Ils n’ont pas de sépulture.

Ma naissance en janvier 1947 vint combler un vide béant, faisant de moi le centre du monde pour vous deux, l’objet de toutes vos aspirations. Oui, l’objet. Un objet.

Vous vouliez la perfection pour moi. Vous vouliez la perfection de moi. C’était trop demander à la vie, c’était trop me demander. Vous étiez donc constamment insatisfaits de la vie et de moi. Cela vous a faits tristes, et moi aussi cela m’a fait triste.

Vous avez porté aux nues l’enfant dont vous rêviez, vous désolant qu’elle ne soit pas à la hauteur de vos espérances, sans vraiment vous préoccuper d’elle en tant qu’individu.

Lourd, très lourd ! Dès ma naissance je manifestais des désordres : pleurs incessants, anorexie du nourrisson. Dès ma naissance donc, je fus pour vous un problème.

Vous vous êtes sacrifiés pour moi, c’est ce que vous me répétiez souvent. Vous aviez constamment peur pour moi, vous m’avez surprotégée et légué vos peurs.

Je devais rester enfant unique. Tu as subi, Maman, plusieurs avortements clandestins. Comment pouvais-tu envisager un autre enfant quand je te donnais tant de mal ? Ça aussi je l’ai souvent entendu.

S’en est suivie une enfance dorlotée. J’étais votre fierté en même temps que votre désenchantement.

Tant aimée, si mal aimée !

Il fallait faire attention, toujours : « Il faut ménager ta mère, elle est très nerveuse ! » Les rôles étaient inversés : l’enfant, qui comme tout enfant requérait protection, devait protéger sa mère.

S’est installée d’emblée une relation de dépendance et de culpabilité, d’égoïsme et d’amour cruel réciproque. La même que j’ai vécue (cherchée ?) avec l’homme que j’épouserai. La même que j’ai vécue (cherchée ?) avec l’alcool où je me réfugierai, à l’abri des autres et de moi-même.

Il fallait donc que j’assume ma part de la Shoah. Moi aussi, j’ai failli mourir.

Nous avons vécu une tragédie. Que de souffrance, que de souffrance !

 

Cette lettre, je ne l’envoie pas, je la porte et la lis à mes parents. Je choisis l’écrit afin qu’ils ne puissent pas réinterpréter mes propos, comme ils avaient coutume de le faire.

Leur seul commentaire à l’issue de cette lecture éprouvante : « Tu t’es débarrassée de l’alcool, tu t’es débarrassée de ton mari, maintenant tu veux te débarrasser de nous. »

Comment avais-je pu penser qu’ils entendraient mon cri si douloureux, mais aussi cruel et maladroit ?

 

 

 

 

 

 

Juillet 1997, Knokke-Le Zoute

 

 

 

Premier jour

 

Le père : Que vas-tu faire ce matin ?

Elle : Je vais faire du vélo.

Le père : C’est bien, mais tu n’es pas entraînée. N’en fais pas trop.

 

Deuxième jour

 

Le père : Que vas-tu faire ce matin ?

Elle : Du vélo. Je vais retourner à l’endroit où j’ai interrompu ma balade hier.

Le père : Le temps est menaçant. À ta place, je réfléchirais avant d’y aller. Il peut pleuvoir.

Elle : Il peut aussi ne pas pleuvoir ! S’il pleut, j’ai un K-Way.

 

Troisième jour

 

Le père : Que vas-tu faire ce matin ?

Elle : Je repars à vélo. Je vais aller vers la Hollande aujourd’hui. J’adore ces paysages. Brel m’accompagne à chaque coup de pédale dans ce plat pays. Vraiment, j’adore ça. Et si tu savais comme je me sens bien après 4 ou 5 heures de vélo. Fatiguée, mais revigorée.

Le père ne dit plus rien, mais son regard réprouve une fois de plus.

 

Quatrième jour

 

Le père : Que vas-tu faire ce matin ?

Elle : Je fais relâche aujourd’hui. Je suis fatiguée.

Le père : Tu vois, j’avais raison. Tu as fait trop de vélo. Tu veux toujours trop en faire.

 

Comment lui faire entendre le bien-être qu’elle ressent en pédalant dans les polders ? De tout temps, elle a tenté de lui exprimer ce qu’elle aimait, ce qu’elle aimerait. De tout temps, il l’a regardée d’un œil navré, son regard de cocker maussade (expression qu’elles utilisaient, sa mère et elle, pour le moquer gentiment). C’est ce regard qu’elle voudrait lui voir changer. Elle voudrait qu’il se réjouisse de son bien-être. Elle pense qu’il pourrait lui aussi connaître ce plaisir. Mais surtout ne plus lui voir ce regard triste. Elle l’aime tant son papa.

 

***

 

Première vie – Une rebelle soumise

 

Dès la naissance, elle pleure jour et nuit et refuse de se nourrir. C’est ce qu’elle a toujours entendu dire. Les photos révèlent pourtant un bébé joufflu, souriant, aimable. Une petite fille ravissante… mais si difficile.

Enfant dorlotée, avec les plus jolies robes pour la mettre en valeur : elle est la fierté de ses parents. Petite fille peureuse aussi, pas peur de grimper aux arbres, ni des acrobaties au trapèze, mais peur du noir, peur des feux d’artifice, peur du dentiste et des piqûres, peur maladive des moustiques et des guêpes, peur d’être loin des parents. Elle garde pourtant le souvenir d’une enfance solitaire mais heureuse.

Le secret n’a pas recouvert, comme dans certaines familles, la déportation de sa mère à Auschwitz/Birkenau et l’assassinat de ses grands-parents, son oncle, sa tante et sa petite cousine Régine, trois ans, tant de proches encore. C’est évoqué régulièrement, sans pathos. Avec une haine violente des Allemands et de la langue allemande.

Son père lui rappelle souvent qu’il faut ménager sa mère, si nerveuse.

 

On ne peut pas crier parce qu’elle a trop souffert. Il faut lui laisser toute la place.

Chantal Akerman

 

Une primo-infection l’éloigne de ses parents pendant trois mois, départ de Bruxelles en train le jour même de ses sept ans pour un pensionnat en Suisse, où elle connaîtra ses premières angoisses. Elle rentrera les ongles rongés au sang, et cette manie durera longtemps.

Elle n’atteint jamais la perfection que ses parents attendent d’elle. C’est bien mais… Sa situation d’enfant unique ne commence à lui peser qu’à l’adolescence. L’opposition feutrée à ses parents la laisse dans une solitude qu’elle ne peut partager avec personne, ni frère ou sœur, ni grands-parents, ni oncle ni tante. Elle a bien une cousine, son aînée d’une année, mais ses parents la mettent en garde : « Elle te monte la tête ». En effet, elle lui disait souvent : « Ne te laisse pas faire comme ça tout le temps. » Reste le trio resserré d’une famille décimée.

Ses parents la jugent ingrate. Avec tout ce qu’ils font pour elle ! En grandissant, les divergences s’accroissent. Mais peuvent-ils avoir tort ? C’est donc elle qui pense mal.

 

Parce que certaines personnes que je ne puis m’empêcher d’aimer refusent d’accepter ce que je suis, toute une part de moi-même me rejette.

Charles Juliet,

Journal I

 

Plus tard, à l’adolescence, elle a néanmoins souvent sur eux un vrai pouvoir et remporte quelques batailles. Sa mère l’y aide parfois contre les rigidités de son père.

Les désaccords n’empêchent pas un amour profond. Elle adore son père, il la chérit. Avec sa mère, c’est plus difficile. Aucun souvenir d’un geste tendre. Les disputes, ou plutôt les chamailleries sont continuelles.

Elle est bonne élève, intelligente, douée, mais dès lors que la seule intelligence et les facilités ne suffisent plus, elle s’effondre au lycée : mémoire anormalement défaillante, difficultés de concentration majeures.

 

Dans chaque nouveau-né, il y a un réservoir d’estime de soi. Il peut rester vide, ou pas trop plein, ou bien il peut être alimenté par l’amour, le regard, le toucher de l’environnement et singulièrement de la mère. Nous savons que, à QI égal, un enfant qui a bénéficié de cet amour deviendra un adulte entreprenant, créatif, bien dans sa peau, capable de donner et de recevoir de l’amour, alors que celui qui n’a pas fait le plein de son réservoir d’estime de soi risque de stagner et de s’épuiser dans une quête affective permanente qui ne sera jamais assouvie.

Elie Botbol, psychiatre

 

C’est ainsi qu’elle redouble sa seconde, et obtient d’abandonner le lycée pour une immersion en langue anglaise à Brighton, Angleterre, à l’âge de seize ans et pour deux ans, sur le modèle de la fille d’amis des parents. Une année d’approfondissement de la langue, une deuxième de secrétariat de bon niveau. C’est une de ses batailles gagnées.

Ces études en Angleterre lui sont faciles et elle réussit brillamment, brûlant même des étapes.

Un tournant funeste est sans doute son abandon honteux de Mario, son premier amour, son premier amant. Un garçon, italien, d’une dizaine d’années de plus qu’elle, rencontré à Brighton. Il l’aime et la respecte, elle l’aime et se sent bien avec lui. Ils ont un projet de mariage. Mais il ne correspond en rien au gendre rêvé de ses parents. Première raison, suffisante pour n’en évoquer aucune autre : il n’est pas juif !

 

July 30. 1965

I understand what a hard time you must have had about ourselves, and I understand your position against your parents. I felt so miserable when I met your father, just a few words, as you remember, “nothing to underestimate you”, your father said, “but we are jewish and you are not”.2

 

Son père lui répète souvent : « Je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi ! » Elle n’en peut douter.

À son retour définitif à Bruxelles, après dix-huit mois d’un amour simple, harmonieux et profond, où l’acte sexuel, le premier pour elle, avait attendu près d’un an, elle rompt brutalement, et ne lui donne plus signe de vie. Nul ne sait quel aurait été l’avenir de cette union, peu importe. Rien ne peut justifier une attitude aussi indigne, dont la faute ne lui apparaîtra que bien plus tard. Elle ne se le pardonnera jamais, jusqu’à son dernier souffle. À dix-huit ans, elle se soumet au diktat de ses parents, tourne la page et enfouit lâchement cette histoire dans les abysses. Elle n’en souffre par outre mesure. En apparence. Il est vraisemblable que la culpabilité et le chagrin refoulés accroîtront les tourments dormants, puisque c’est à partir de là que l’alcool s’immisce insidieusement dans sa vie. Oh, modestement. Seule, parfois, en fin d’après-midi, une petite bière, un petit coup de Martini. Pour calmer l’angoisse.

Elle trouve un bon emploi qui devient rapidement intéressant et une belle carrière s’offre à elle. Elle aspire à l’autonomie, voudrait se trouver un logement modeste et se prendre en charge. « Reste ici ma chérie, ne te serre pas la ceinture dans un logement précaire alors que nous sommes heureux de t’avoir à la maison. » Elle n’est pas difficile à convaincre. La facilité et le confort matériel qu’elle ne dédaigne pas, le souci de ne pas contrarier ses parents l’amènent à rester au chaud, à user de son confortable salaire comme argent de poche là où d’autres, qu’elle envie, assument loyer, train de vie et loisirs.

Le poids de sa docilité commençait à lui peser imperceptiblement. Plus exactement elle ressentait un poids, mais n’identifiera le venin de sa soumission qu’une trentaine d’années plus tard. C’est donc un nouveau renoncement, après l’abandon de Mario, la poursuite du processus sournois vers un inconfort existentiel majeur.

Elle s’entiche assez vite de Michaël, un Américain faisant ses études de médecine en Belgique. Lorsqu’il regagne New York, aussi peu concerné par elle que Dom Juan par ses conquêtes, la frénésie la prend : elle ira à New York ! Elle n’a pas trop de mal à convaincre ses parents de lui permettre, à ses frais bien sûr, de faire un séjour d’une quinzaine de jours chez le cousin de son père, George, businessman marié, trois enfants, dans la banlieue de New York. Elle fera la surprise à Michael. Ah, elle ne manquait pas de détermination.

La surprise sera pour elle : en insistant, elle réussit à le voir une seule fois en deux semaines ! Le reste du séjour, elle tue le temps jusqu’au retour dans une angoisse constante. Chez le cousin George, elle couche sur un sofa dans la pièce télévision. Ses nuits sans sommeil sont interminables devant la télé en sourdine. À côté de la télé, un placard avec des alcools. On ne saura jamais si les cousins s’interrogeront sur le niveau des bouteilles qui baisse nuit après nuit. Oh, pas significativement…

En 1970, le mariage. Aucun des garçons aimables, attentionnés, gentils qui la sollicitent après Mario ne l’intéresse : ils l’ennuient. Seuls l’attirent quelques séducteurs, qui la traitent plus ou moins bien. Plutôt moins bien. Ceux-là ne s’attachent pas et fuient rapidement cette jeune femme si vorace, avide d’amour. Jusqu’à Roger, son semblable. Ils sont l’un comme l’autre des enfants gâtés en apparence, jamais maltraités, sincèrement aimés mais, au fond, mal aimés et mal traités. Casting catastrophe. Il a besoin d’amour, elle a besoin qu’on ait besoin d’elle. Avec son amour elle pourra le réparer. Ils se sont trouvés.

Le grand amour réciproque, passionnel. Ils se suffisent à eux-mêmes. La dépendance est cette fois partagée.

 

… la passion est dégradante, car elle est exil hors de soi-même. Dans la ferveur de la passion, on est effrayé par le vide béant du néant. Alors que c’est probablement l’inverse qui s’est produit : on s’est réfugié dans la passion pour fuir un vide qui continue néanmoins à nous angoisser, et on vit comme une transcendance, une vanité, une aventure douloureuse de la passion ce qui n’est pas dans la passion, c’est-à-dire qui n’est pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de nous-mêmes.

… L’amour d’une seule personne est tragique, solitaire.

Imre Kertesz,

Journal de galère

 

Il est juif, issu d’une famille conforme aux aspirations parentales, demeurant à Neuilly, ville jumelée à Uccle, quartiers chics de Paris et de Bruxelles. Un garçon de bonne famille confirmera l’enquête discrète menée par ses parents. Il a de l’avenir, à savoir une situation prometteuse qui donnera à leur fille l’opulence dont elle est digne. Cette fois-ci, ils ne peuvent pas s’opposer, c’est un beau parti.

Ils se marient le 16 juillet 1970. Suivent pour elle trois jours d’un grand bonheur au cours du mini-voyage de noces dans les Relais-Châteaux de la Loire, les plus heureux de sa vie de couple. Après, comme avant déjà, un amour tourmenté.

Au printemps 1971, dans le camion de la Médecine du Travail au bas d’une des premières tours de La Défense, la Tour Aurore, où elle travaille depuis quelques mois, une radioscopie révèle une tuberculose pulmonaire. Arrêt de travail immédiat, fatigue, ennui, interdiction d’envisager une grossesse si désirée qui serait risquée sous le puissant traitement.

 

La « phtisie » est d’abord une variété du mal de vivre, proche des langueurs nostalgiques du spleen et des vapeurs, la maladie des âmes sensibles et des artistes.

Isabelle Grellet et Caroline Kruse,

Histoires de la tuberculose

Les fièvres de l’âme, 1800-1940 (quatrième de couverture)

 

À l’issue d’un traitement de 18 mois, la voilà enfin enceinte, et arrive Alexia en mai 1973. Le bonheur absolu, qui déborde dans une profonde dépression post-partum, heureusement de courte durée.

Cependant elle n’est pas épanouie dans son couple, quelque chose ne va pas. Elle aime son mari passionnément, dans la douleur souvent. Elle se sent aimée tout aussi fort, mais elle retrouve les perpétuelles réprobations qu’elle subissait chez ses parents. Ses parents la dévalorisaient en privé – l’harmonie devait s’afficher en public. Au contraire, son mari la rabaisse devant tout le monde, sous couvert d’humour. Elle prend conscience en même temps de l’ambiance délétère des relations familiales, tant dans sa belle-famille que la sienne. Ils ne savent pas aimer sans faire mal.

Août 1974, une sévère hernie discale lombaire et une nouvelle grossesse s’installent en même temps. La grossesse interdit tout traitement efficace pour le dos. La maladie l’emportera sur la grossesse qui s’interrompra sournoisement, laissant le fœtus sans vie dans son corps douloureux, sans s’évacuer naturellement.

 

Mais pourquoi est-ce que personne ne lui a dit qu’un jour, un de ces jours, il se pourrait bien que son utérus développe un petit cadavre ? (…) Il ne faudrait pas qu’elle garde ça en elle. Sous peine de pourrir. (…) Non, personne, personne, jamais n’aurait osé évoquer cette éventualité. Ils préféraient parler de la force des femmes. (…) Elle se sentait de plus en plus étrangère au remuement des autres.

Jean-Pierre Cescosse,

Des mots sans fond,

in Après dissipation des brumes matinales

 

Décembre 1974, opération de la hernie discale, avant un curetage en janvier pour évacuer le petit embryon sans vie logé dans son ventre depuis plusieurs mois, et… un second curetage nécessaire un mois plus tard : il était mort, oui, mais bien accroché. Annus horribilis.

L’opération du dos, dans une clinique sordide du 9e arrondissement, marque le début manifeste de son alcoolisme. Au lendemain de l’intervention, elle fait ses premiers pas et tombe en syncope, heureusement soutenue par une infirmière. Recommandation lui est faite, évidemment, de ne pas tenter de se lever seule. Le soir même néanmoins, elle aperçoit sur la télé, dans l’angle de la triste chambre, sur le plateau-repas, le verre de vin rouge, celui que l’on proposait encore dans ces années-là pour fortifier le patient. Et voilà qu’elle prend le risque de se lever pour l’engloutir. Ce n’est que des années après qu’elle se rappellera ce moment précis comme un jalon marquant de la chute.

L’enchaînement des circonstances, l’évolution des revenus de son mari la conduisent tranquillement vers le statut de mère au foyer. Ce n’est pas la situation dont elle rêvait mais, plus encore qu’à Bruxelles quelques années auparavant, elle est en voie de déliquescence ; elle accepte volontiers de s’installer dans un agréable confort matériel.

Nouvelle grossesse dans la foulée des curetages. Enceinte, elle pleure à chaudes larmes à la lecture du Milliardaire, de Michel de Saint-Pierre, s’identifiant à l’épouse d’un mari peu attentif, grisé par sa réussite et les somptueux cadeaux qu’il ne manque pas de lui faire. Il peut cependant manquer l’essentiel quand rien ne semble manquer.

 

Je voudrais, en somme, montrer sur un être humain, et sur ceux et celles qui l’entourent, les stigmates de l’argent – en même temps que j’aimerais faire ressortir, l’extraordinaire malédiction qui s’abat sur ceux qui détiennent un excès de richesse temporelle.

Michel de Saint-Pierre,

Le milliardaire

 

Il adorait en moi sa générosité.

Jean-Paul Sartre,

Les mots

 

L’engrenage de la dépendance à l’alcool l’installe lentement dans une posture de victime.

Décembre 1975, arrive Joël, le fils qui, après la fille, comble son désir d’enfants.

En même temps s’enracine l’asservissement.

Parmi les flashes qui ponctuent sa mémoire lacunaire, le bébé au sein dans un bras, le goulot de la bouteille dans l’autre main, comme un sein nourricier qu’elle tète de son côté.

Tout cela dans un secret absolu que personne ne percera.

L’alcool, pour elle, est devenu son cinq à sept. Au début, elle boit au goulot de l’une ou l’autre bouteille dans le bar du salon, passant du whisky au porto, du martini au cognac ou la vodka, veillant à ne pas faire baisser les niveaux excessivement. Puis elle peaufine le procédé. Elle achète l’alcool de la bouteille dont le niveau a trop baissé, la remplit et dissimule le reste derrière une pile de pulls. Judicieusement, elle en vient à ne plus toucher aux bouteilles du bar, et pourvoit méthodiquement la réserve de son placard. Lorsqu’elle comprend qu’elle ne recherche pas le goût de l’alcool mais son effet, elle décide avec un certain bon sens (et son côté économe) d’abandonner les alcools forts pour du vin de table, espérant en même temps que les effets seront limités.

C’est ensuite la longue période de vin blanc de cuisine au litre. Elle varie les fournisseurs, s’arrête de manière aléatoire chez des épiciers. Souvent, elle ne peut attendre d’arriver chez elle et se cache pour boire une ou deux goulées dans la voiture. L’effet diurétique est parfois immédiat, et il n’est pas rare qu’elle mouille sa culotte dans l’ascenseur. Son cinq à sept commence de plus en plus tôt. Sa consommation d’Alka Seltzer atteint des sommets. Elle a toujours un dentifrice sous la main, pour l’haleine, genre je viens juste de me brosser les dents.

 

Elle raconte un matin au téléphone une anecdote à une amie. Celle-ci reste silencieuse, et finit par lui dire que tout ça, elle le lui a déjà dit la veille au soir. Ces trous noirs ne sont pas rares, mais rares sont ceux qui ont le courage de les lui signaler.

Les années passent. Elle n’y arrive plus. Elle ne peut pas ne pas boire quotidiennement et elle ne peut pas continuer à le dissimuler. Il faut qu’elle en parle.

À qui ? À son mari, qui d’autre ? Elle lui dit « Il faut que je te parle, j’ai quelque chose de grave à te dire ». Il retardera la révélation de longs jours – pas tout de suite, pas le temps maintenant. Il redoute ces mots « faut qu’on parle », qu’elle a si souvent prononcés pour ressasser ses doléances dans des monologues épuisants et vains.

Lorsqu’elle lève le voile, il est consterné, sincèrement accablé… peut-être un peu soulagé aussi. Elle se posait en martyre jusque-là. D’un seul coup, la victime, c’est lui ! Peut-être aussi redoutait-il autre chose, un amant, la rupture…

Il aurait pu s’effondrer. Il aurait pu l’insulter. Il aurait pu la prendre dans ses bras et lui demander ce qui n’allait pas. Il aurait pu la battre. Il aurait pu… s’intéresser à elle. Elle ne comprend pas encore que ça lui est impossible.

Il organise et l’accompagne chez un des grands psychiatres parisiens. Celui-ci l’accueille avec une grande bienveillance, mais se désiste. La confiance est la base de sa relation avec ses patients. Cette confiance, il ne peut la lui accorder. Il lui confierait sans problème la clé de son coffre-fort, dit-il, mais il sait trop bien que le mensonge fait partie inhérente de l’alcoolisme. Plus tard, elle comprendra toute l’importance du message : la malhonnêteté fondamentale qui la caractérise et la mine en même temps. La malhonnêteté, un des symptômes de la pathologie.

Ce pourrait être un élément constitutif de son mal-être : une aspiration profonde à l’honnêteté, la loyauté, sans jamais cesserde mystifier son entourage, elle-même avant tout, dans une duplicité mortifère. Depuis des années, elle dissimule son problème d’alcool de manière si rusée que personne ne s’en aperçoit. Elle affiche même une force trompeuse, si bien que les autres prennent volontiers appui sur elle alors qu’elle n’est qu’un château branlant.

 

Je manque de force, de joie de vivre, suis toujours sombre, et cependant, ces jours encore, on est venu à moi pour me demander de l’énergie, du réconfort. Il semble même que je sois parvenu à donner ce que l’on attendait de moi, et cela ajoute à mon étonnement.

Charles Juliet,

Journal I

 

Elle consulte ensuite un généraliste réputé pour son approche psychologique. Il observe que ses mains ne tremblent pas et décrète que non, l’alcool n’est pas le problème, elle est juste dépressive (trop bon chic bon genre, pas le profil, devait-il penser). Il soutient que la prise en charge de la dépression éloignera l’alcool. Un demi-Lexomil le matin, un demi-Lexomil à midi, un Lexomil entier le soir sont évidemment sans effet sur sa consommation. Elle réduit les pilules. Avec l’alcool, ça fait beaucoup !

Il lui propose de l’Espéral, molécule potentiellement dangereuse en cas d’absorption d’alcool, qui en interdit la consommation. Elle ne prendra pas une deuxième de ces pilules : l’alcool est le plus fort. Elle a cru mourir et sans doute n’y était pas prête.

 

Elle consulte ensuite un des rares alcoologues de l’époque et entreprend des visites régulières dans son cabinet, sans plus de résultat. Sur son insistance, elle accepte de se rendre à une réunion de groupe à l’Hôpital Bichat où il exerce. Dans une salle sordide en sous-sol, une petite foule réjouie accueille le bon docteur comme le messie. Pour sa part, elle n’y retournera pas.

Elle introduit chaque consultation par la même phrase : « J’ai toujours eu du mal à me faire entendre ». Ces quelques mots activent mécaniquement le stylo du professionnel sur une fiche, sans doute pour l’installer dans la bonne case. Elle en ressort avec le même sentiment de n’avoir pas été entendue.

 

Lorsqu’un ivrogne répète cent fois la même chose, on le prend pour une brute, mais s’il répète, c’est qu’il sent bien qu’on ne l’a pas encore entendu.

Nicolas Bouvier,

Le Vide et le plein

 

Comme il est difficile de communiquer avec les gens ! Toutes sortes d’images et d’idées circulent à votre propos. Vous ne savez pas d’où elles viennent, comment elles sont nées, sur quoi elles reposent. Vous ne les connaissez même pas. Et, entre-temps, votre vie réelle est pareille à une île.

Mihail Sebastian

 

Une nouvelle grossesse survient au sein de son couple chancelant. Son mari ne souhaite pas garder ce troisième enfant, mais elle le convainc que ce pourrait être une chance à la fois pour leur couple et pour son problème d’alcool. Il la retrouve ivre un soir, et organise sans délai une IVG, rendue légale depuis peu. Elle s’y rend un après-midi dans une clinique de Neuilly, la même où elle avait accouché, engourdie par l’alcool, accompagnée d’une amie.

L’étau se referme. Elle fait un rêve récurrent : elle se trouve au fond d’un étroit cylindre dont la sombre paroi s’élève lentement. Le disque de lumière en haut se réduit, se réduit, et elle rapetisse inexorablement, tout au fond. Au fond de quoi ?

La volonté acharnée d’arrêter de boire est sans effet. Toutes les astuces pour y échapper échouent. Jusqu’à s’interdire d’avoir quoi que ce soit en réserve… et avaler quelques rasades d’un flacon d’alcool à 90° dans l’armoire à pharmacie. Si, si, ça se boit ! Et il n’était pas dénaturé à l’époque.

 

Or, étant alors à ce moment-là ce buveur, tout d’un coup, le cherchant dans la glace, je l’aperçus, hideux, inconnu, qui me regardait.

Marcel Proust,

Le côté de Guermantes

 

Dans la plupart des drogues, on cherche le paradis ; c’est l’enfer qu’elle trouve dans l’alcool. On ne dit pas assez qu’il s’agit d’une drogue dure. Elle aurait pu choisir un autre produit, mais elle était trop sage et bien élevée pour aller vers des produits illicites.

Elle est incapable d’estimer la durée de ces tentatives infructueuses. Son mari pendant ce temps gère la situation, ni bien ni mal, le pauvre. Et elle, elle attend de lui… ce que ni lui ni personne ne pourra lui apporter, qu’il lui faudra trouver en elle.

 

Celui qui ne s’aime pas, qui doute de lui, il est toujours à attendre ou mendier des preuves d’amitié ou d’amour.

Charles Juliet

 

Il évoque un jour les Alcooliques anonymes.

Il lui faudra longtemps encore pour franchir la porte d’une première réunion.

Et plusieurs années encore pour que l’alcool, ce faux ami, ce traître, se détourne d’elle.

Elle y rencontre des gens qui ont l’air heureux de ne pas boire, qui ont l’air heureux tout court, et racontent combien leur vie a changé. Ils parlent d’une puissance supérieure ! D’un dieu tel que chacun le conçoit !! Qu’est-ce que c’est que cette secte ? Ça ne lui plaît pas du tout, mais alors pas du tout. Tout y est pour la faire fuir.

Elle n’a jamais compris pourquoi, après une première réunion, elle y est retournée ne fut-ce qu’une seule fois. Cela reste et restera un mystère ! Et pourtant elle y va. Elle ne parle pas, vilipende tout mentalement, résiste à tout ce qui est suggéré. Mais elle y va.

Eux non plus ne comprennent pas qu’il lui est impossible de se passer d’alcool une seule journée. Eux non plus ne l’entendent pas. Ceux qui ont arrêté ne fut-ce qu’une semaine sont pour elle des extra-terrestres. Que dire de ceux qui fêtent des AAnniversaires ! « Moi c’est pas pareil » : elle n’en démord pas, restant par-là même inévitablement en dehors de la communauté humaine. Mais elle y va, encore et encore. Elle ne voit ni n’entend ceux qui lui ressemblent, ne s’intéresse qu’aux récits de parcours de vie abominables, des incestes, des abandons, des violences, la misère, tout ce qu’elle n’a pas vécu. Elle a toujours eu tout pour être heureuse. Elle culpabilise davantage encore et… boit de plus belle. Mais elle y va, encore, et encore, et encore… Le purgatoire lui imposait sans doute un test de motivation.

Elle se plonge dans la littérature proposée par les AA, dont elle critique le style et une traduction de l’anglais imparfaite. Dans ces lectures, contre toute attente, elle se reconnaît dans certains témoignages. C’est le tout début d’une ouverture au semblable dans l’autre. Le début seulement, par le trou de la serrure.

Au bout de plusieurs mois, l’alcool la quitte mystérieusement un beau jour, et elle refait surface. Quelques mois plus tard, elle croit pouvoir s’autoriser une soirée d’ivresse, « juste ce soir », persuadée de raccrocher le wagon dès le lendemain. C’était sans compter la sournoise, patiente omniprésence du démon. Elle croyait avoir touché le fond, elle creusera encore quotidiennement plus de quatre ans. Quatre ans !!

Au cours de la soirée du vendredi 5 octobre 1984, dans une salle voûtée et enfumée du sous-sol de l’Église de la Madeleine, après plus de cinq années de fréquentation régulière des groupes AA à raison de deux ou trois fois par semaine, sous alcool toujours, elle s’effondre en un torrent de larmes. Autour d’un café avec quelques-uns à l’issue de la réunion, elle pleure encore sans discontinuer. Rentrée chez elle – son mari est en voyage –, elle continue à sangloter une partie de la nuit. Elle ignorait contenir tant de larmes. Elle finit par sombrer dans un lourd sommeil. Le lendemain matin, un matin comme les autres, mais… vraiment pas comme les autres, elle sait que c’en est fini. L’alcool, C’EST-FI-NI ! L’envie, le besoin d’alcool ont disparu.

Elle avait passé des années sur un ring, luttant de toute la force de sa volonté contre le colosse maléfique, sans jamais la plus petite chance de l’emporter. Des années durant, elle se promettait chaque matin de ne pas boire d’alcool ; des années durant, à un moment de la journée, elle avait déjà bu et se promettait d’arrêter le lendemain – ce qu’elle appellera son décalage horaire. Au matin du samedi 6 octobre 1984, sans l’avoir anticipé ni décidé, sans même en avoir conscience, elle est descendue du ring. Le démon s’en est trouvé désarçonné, penaud et s’est détourné à son tour. Il n’a plus de prise sur elle, elle ne l’intéresse plus. Jamais plus il ne la titillera. Elle gagne par capitulation. Une véritable conversion, sans apparition divine, s’est opérée dans la nuit.

Tel est le paradoxe : une force surgissant de la défaite et de l’acceptation d’une impuissance totale, telle que suggérée dans la première étape du programme de rétablissement des Alcooliques anonymes : « Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool, que nous avions perdu la maîtrise de nos vies. »

Elle ne croit pas aux miracles, parlera désormais du mystère de cette nuit, et commencera à comprendre… qu’on ne peut pas tout comprendre. Première leçon d’humilité ?

« Tu as eu la volonté d’arrêter », lui diront quelques-uns avec conviction. Quiconque n’a pas vécu une telle expérience restera intimement persuadé que la volonté est le moteur, la force mentale, alors qu’il n’en est rien. Il s’agit au contraire d’arrêter de se battre, déposer les armes, lâcher prise.

Pour la plupart, l’idée que l’alcoolisme est une maladie sera concédée, avec une dose de scepticisme toujours. À un moment donné, un mot, une remarque attestera que le jugement moral n’est pas loin. La volonté sera toujours considérée comme indispensable. En témoigne la remarque récente d’un spécialiste, à la suite de la mort d’une femme de la main d’une personne alcoolisée : « Il savait bien le risque qu’il prenait en buvant ! Il aurait dû ne pas boire ce jour-là. » Comme s’il était dans le pouvoir d’un alcoolique de résister à sa pulsion. Je ne peux qu’être soulagée d’avoir été protégée de tels drames.

 

Je n’avais plus du tout de nouvelles de Rowland H. et je me demandais souvent ce qui était advenu du lui. Notre conversation, qu’il vous a si bien rapportée, comportait aussi un aspect qu’il ignorait. Je ne pouvais pas tout lui dire parce qu’à cette époque, je devais faire excessivement attention à mes paroles. Je m’étais aperçu que j’étais mal compris de toutes les façons. C’est pourquoi j’ai été très prudent en parlant à Rowland H., mais je pensais vraiment aux expériences de nombreux hommes comme lui.

Son besoin maladif d’alcool correspondait, à un niveau inférieur, à la soif spirituelle que ressent notre être pour une totalité et qu’on appelait en langage médiéval l’union avec dieu.

Comment formuler une telle vue dans un langage qui ne soit pas mal interprété de nos jours ?

La seule façon valable de connaître une telle expérience est de la vivre dans la réalité, et vous ne pouvez la vivre que si vous empruntez un sentier qui vous mène à une compréhension supérieure. Vous pourriez atteindre ce but par la grâce, ou par un contact personnel honnête avec des amis, ou par une formation supérieure de l’esprit, au-delà des limites du rationalisme. D’après votre lettre, Roland H. avait choisi la deuxième voie, qui était évidemment la meilleure dans les circonstances.

Je suis absolument convaincu que le principe du mal qui prévaut dans ce monde causera la perte de ce besoin spirituel non reconnu, s’il n’est pas neutralisé par une réelle intuition religieuse ou par le mur protecteur de la communauté humaine. L’homme moyen, s’il n’est pas protégé par une action du ciel et s’il est isolé dans la société, ne peut pas résister à la puissance du mal que l’on appelle si justement le Diable. Cependant, l’emploi de tels mots peut entraîner tant de mépris qu’on ne peut que les éviter le plus possible.

Voilà pourquoi je ne pouvais pas donner à Rowland H. une explication complète et satisfaisante. Par contre, je m’y risque avec vous, car votre lettre très juste et très honnête me montre que votre point de vue sur l’alcoolisme se situe au-delà des lieux communs trompeurs que l’on entend habituellement.

Voyez-vous, alcool en latin se dit « spiritus », et vous vous servez du même mot pour décrire à la fois la plus grande expérience religieuse et le plus dégradant des poisons. La formule utile devient donc : spiritus contra spiritum.

Carl Gustav Jung

1961, lettre à Bill W.,

co-fondateur des Alcooliques anonymes

 

***

Le 5 octobre 1984 fut le dernier jour de ma première vie.

 

Il y a donc, inclus dans cette manipulation favorable, quelque chose d’un forçage, d’une pression ferme inévitable. Il s’agit en effet de contrecarrer une errance, de détourner de la voie coutumière en vue d’ouvrir une autre voie. Le vivant qui est là ne saurait continuer à se détruire, il faudra bien le bousculer, le provoquer, l’inciter. Nous devons donc nous rendre à l’évidence : la manipulation qui tend à susciter une vie plus ample et plus intense est inséparable d’une certaine contrainte et d’un appel à la soumission obligée. Pour tout dire, la vie qui se pointe à l’horizon ne saurait aller sans un arrachement des habitudes paralysantes, sans un passage par la mort.

(…)

… ce qui compte, c’est qu’ils soient désorientés pour pouvoir réorienter leur vie.

François Roustang,

La fin de la plainte

 

J’ignorais encore que ce n’était pas la fin d’une histoire, mais le début d’une aventure humaine. J’ai bu pour survivre, j’arrête de boire pour vivre. La volonté a laissé place au désir de désirer. Le désir de devenir. Le chemin peut commencer, enfin.

 

Savoir se libérer n’est rien : l’ardu c’est savoir être libre.

André Gide,

Les nourritures terrestres

 

Comment aborder l’existence sans l’aide de l’alcool qui m’aidait à la supporter ?

La vie n’allait pas devenir un long fleuve tranquille au motif que j’avais arrêté de boire. Alors ?

Sur la première parole (le premier commandement) :

 

Je suis l’Éternel, ton dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude.

La première Parole, telle quelle, attire l’attention sur l’importance du lien entre le devenir de chacun et son passé. Comment prétendre gagner en liberté si je ne me souviens pas des chaînes que j’ai dû briser ? L’oubli de ce qui me rendit dépendant signifie que je peux retomber à tout moment dans la servitude. Vers quelle liberté puis-je me diriger si un aimant agit à mon insu pour me renvoyer en prison ? Le seul moyen de surmonter cet obstacle est de me redire journellement qu’aucune liberté ne me sera jamais accordée sans combat, que tout devenir est lié à mon passé, que la méconnaissance de celui-ci m’expose au risque de le revivre.

François Rachline,

La loi intérieure

 

Le 6 octobre 1984 fut donc le premier jour de ma nouvelle vie, la dernière.

 

***

 

Mes parents n’auront connaissance de mon problème d’alcool que deux ou trois ans après que j’ai arrêté. Ma mère me dit alors : « Ah, je comprends maintenant pourquoi tu avais parfois le regard mort. »

Je ne les sentis jamais concernés. Ils en étaient gênés. La télévision consacra un soir une longue émission, plutôt bien faite, à l’alcoolisme. Je les imaginais devant leur écran, peut-être un peu émus. Quand je leur en parlai, mon père me dit : « Non, non, on n’a pas regardé, on connaît tout ça ! » J’en pleurai. Décidément, je les intéressais bien peu. C’est une des nombreuses anecdotes qui probablement m’aideront à me fortifier sans plus attendre leur soutien, une des expériences négatives fécondes que j’évoque plus haut.

Je mesurerai le degré de honte de mon père des années plus tard, lorsque je lui suggérai de parler de mon parcours à un de ses cousins, concerné lui aussi par l’alcoolisme, afin peut-être de lui proposer de l’aide. « Tu ne voudrais pas tout de même pas que j’aille me vanter ! » me dit-il.

Quant à mes enfants, il me fallut ce même laps de temps pour leur parler de mon alcoolisme, profitant d’une discussion que nous avions à table concernant la drogue au lycée. Ils eurent du mal à me croire : leur idée de l’alcoolique était celle du poivrot titubant dans la rue. Ils se rappelèrent néanmoins que parfois Maman n’était pas bien, couchée dans la journée. Dans la foulée de ma révélation, je les emmenai, l’un, puis l’autre, séparément, à une réunion d’alcooliques anonymes. Ils assistent depuis à chacun de mes AAnniversaires, afin de transmettre à leur tour que l’harmonie familiale peut ressusciter.

 

***

 

Comment faire face au vide abyssal que laisse l’alcool, qui a si longtemps pris toute la place ? Vaste chantier. Il exige d’accepter au préalable que l’alcoolisme est l’arbre qui cache la forêt. Un long chemin.

Il s’agit désormais d’orienter ma vie plutôt que vouloir la contrôler, par des actions qui permettront de franchir les obstacles sans plus les occulter ou les contourner, en m’appuyant sur la conscience de ma soumission passée.

Les années sous alcool auront constitué une douloureuse gestation. Ne parle-t-on pas de délivrance pour un accouchement ? Je viens de naître à moi de moi, dans une destruction créatrice. Je suis comme une enfant qui va devoir apprendre à vivre pour devenir une adulte responsable. Voilà ce qui m’attend, non pas un travail que je décide de faire, mais un travail qui se met à l’œuvre en moi.

 

J’étais sur le point de construire un avenir, mon avenir, sans avoir pour autant la moindre idée qu’en fait, ce serait peut-être bien cet avenir qui me construirait.

Philip Roth,

Pourquoi écrire

 

Je vais cheminer lentement vers la maturité. Parfois je trébucherai, toujours je me relèverai. Je m’efforcerai de ne plus refuser l’aide nécessaire, en soi une révolution pour l’être bouffi d’orgueil que j’étais ! Je vais grandir, laisser émerger bravement, patiemment, une personnalité jusque-là enfouie, capable enfin de porter sur la vie et le monde une vision dégrisée.

 

Ma plus grande aventure, c’est quand même moi. (…) À présent – bien que je sois encore « en devenir » – je suis fondamentalement prêt.

Imre Kertesz,

Journal de galère

 

Tout est à remettre en question dans ma manière de vivre et de penser. Cela passe par des actes anodins, des petits changements au quotidien. On mesure mal le poison de l’habitude, fille de la paresse. Il est temps d’apprendre à me faire du bien. Poser des actes pour passer de l’insatisfaction permanente à la recherche de petites joies. En clair, après la conversion brutale en une nuit, une lente révolution qui occupera le reste de mes jours.

Je vais devoir faire l’inventaire et mettre de l’ordre dans mon être, courageusement, comme je ferais le ménage dans ma maison. Je ne vais pas le faire dans la précipitation comme autrefois. Non, je vais patiemment tout explorer, éclaircir, dénouer, trier, réaménager, pour établir un espace accueillant où la petite fille que j’accepte d’être redevenue va pouvoir s’épanouir. Mon ambition ne sera plus d’avoir fini avant d’avoir commencé, elle sera d’effectuer un travail modeste, minutieux, constant.

L’air de rien, la transformation douce est celle-là, en pensée et en actes. La recette est simple, le chemin difficile. Comme j’ai mis un pied devant l’autre pour aller aux réunions AA pendant des années, je me mets en route, sans les abandonner, au pas lent du montagnard pour escalader la vie telle qu’elle est, non plus la vie rêvée. Je découvrirai que le courage donne du courage, la patience génère la patience, la persévérance nourrit la persévérance. Un cercle vertueux se met en place.

 

Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas.

Lao Tseu

 

Seul un petit nombre d’alcooliques sur le nombre de personnes concernées se rétablissent durablement. Pourquoi la résilience fut-elle possible pour moi ? Mystère. Le mystère que j’ai évoqué déjà, que j’évoquerai souvent, parce qu’il est la seule réponse aux questions sans réponse.

 

On ne peut expliquer pourquoi quelqu’un qui aurait toutes les raisons de sombrer devient un résilient. Pourquoi il lui est donné d’inverser le cours des choses. Il y a là une fondamentale injustice. Un tel est brisé par un coup du sort. Pour un autre, ce même coup du sort est une chance.

Charles Juliet,

Apaisement

Mais non, il ne s’agit pas de résilience, qui permet de retrouver un état antérieur après un choc traumatique. L’état antérieur avait conduit au pire. Il s’agit au contraire d’aller vers un état nouveau, débarrassé des scories et dysfonctionnements.

 

***

 

Nous disons chez les Alcooliques anonymes que nous avions perdu la maîtrise de nos vies. Jusqu’au 6 octobre 1984, aucune initiative ne m’était possible sans alcool. Aucune initiative ne m’était possible non plus sous alcool. En somme, aucune initiative ne m’était possible ! J’avais bien perdu la maîtrise de ma vie.

Près de deux ans plus tard, en juillet 1986, à Megève où nous séjournions chaque été, mon mari et moi nous accordons pour nous séparer, après 16 ans d’union. Ce n’était pas la première fois que nous l’envisagions, mais j’avais cette fois-ci des raisons de penser que c’était la bonne.

Quatre jours plus tard, je décide de quitter Megève pour rejoindre des amis sur la côte atlantique, en passant une nuit dans le Cantal chez d’autres amis.

Le 22 août, donc, au volant de ma voiture direction ouest, je décide subitement que cette nouvelle étape de ma vie mérite d’être marquée d’un grand coup : je vais arrêter de fumer. J’ai arrêté l’alcool près de deux ans plus tôt, je me libère à présent de ce mariage malheureux, je vais maintenant, oui maintenant, conquérir une liberté complémentaire.