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On connaît tous cet instant où l'on ment pour se justifier. La majorité de ces mensonges sont sans grande importance. Et puis, il y a ces autres, ces secrets inavouables que l'on ne verbalise pas de peur de mettre en avant notre vulnérabilité, ceux qui nous renvoient une image de soi pernicieuse. Mais il s'avère que parfois, la vérité, bien qu'elle fasse mal, devient salvatrice. Moi aussi, j'ai eu, durant des années, un secret inavouable que je gardais pour moi, que je taisais. J'étais devenue une victime de mes mensonges jusqu'au jour où je n'ai plus pu me taire, où la vérité est devenue une question de survie. Je me pensais seule et incomprise, mais l'étais-je réellement? Découvrez l'histoire de Claire, cette femme qui, sans s'en rendre compte, s'est retrouvée prise en otage de ses mensonges. Peu à peu, elle va dépérir jusqu'au geste de trop, celui qui lui fera réaliser que l'amour ne pas tout disculper. #Relationtoxique #Perversnarcissique #Violencesconjugales 76 294 mots
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Seitenzahl: 353
Veröffentlichungsjahr: 2023
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On connaît tous cet instant où l’on ment pour se justifier. La majorité de ces mensonges sont sans grande importance. Et puis, il y a ces autres, ces secrets inavouables que l’on ne verbalise pas de peur de mettre en avant notre vulnérabilité, ceux qui nous renvoient une image de soi pernicieuse. Mais il s’avère que parfois, la vérité, bien qu’elle fasse mal, devient salvatrice.
Moi aussi, j’ai eu, durant des années, un secret inavouable que je gardais pour moi, que je taisais. J’étais devenue une victime de mes mensonges jusqu’au jour où je n’ai plus pu me taire, où la vérité est devenue une question de survie.
Je me pensais seule et incomprise, mais l’étais-je réellement ?
Découvrez l’histoire de Claire, cette femme qui, sans s’en rendre compte, s’est retrouvée prise en otage de ses mensonges. Peu à peu, elle va dépérir jusqu’au geste de trop, celui qui lui fera réaliser que l’amour ne peut pas tout disculper.
Comprendre et retranscrire le parcours d’une personne sous emprise de violences conjugales est très difficile et pourtant, le sujet me tenait à cœur. Encore aujourd’hui, il y a trop de victimes et pas assez d’aide pour ces personnes avant que le drame arrive. On les montre du doigt, on les juge sans savoir. J’ai voulu, par la voix de Claire, donner une voix à ses victimes que l’on stigmatise de se défendre. On ne parle pas de femmes ou d’hommes, mais de victimes devenues des survivant(e)s.
Enfin, je vous remercie, vous lecteurs et lectrices qui prendront le temps de lire ce roman.
Un proverbe dit : « celui qui se relève est plus fort que celui qui n’est jamais tombé. »
Ce livre, je le dédicace aux deux femmes qui m’ont permis de devenir celle que je suis aujourd’hui : ma tante et ma mère, deux femmes exceptionnelles et fortes, deux femmes qui sont sorties de cette emprise, ainsi qu’à Charly sans qui se projet n’aurait jamais vu le jour.
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
ÉPILOGUE 1
ÉPILOGUE 2
NOTE DE L’AUTEURE
BIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
« La vraie liberté consiste dans la faculté de choisir ses propres contraintes. » Reine Malouin, Auteure québécoise.
— Peux-tu m’expliquer ce qui t’arrive en ce moment ? Tu as l’apparence d’une ménagère débraillée aux traits flétris ! Fournir un effort serait si difficile ? Quand je te regarde, tu ne m’inspires que de l’écœurement ! Peut-être n’as-tu aucun amour propre pour toi-même, que cela t’importe peu, mais ce n’est pas le cas pour moi ! Après tout ce que j’ai fait pour toi, c’est ainsi que tu me remercies ? Tu n’es qu’une putain de profiteuse ! Tu as intérêt à te reprendre, et rapidement, car ma patience est à bout ! Je ne vais pas continuer à supporter ces simagrées encore longtemps. Alors, soit tu te plies à mes désirs soit tu dégages. Après tout, tu te retrouverais à la place qui est la tienne : sur le trottoir. Tu n’es bonne qu’à ça, et encore...
C’est ainsi qu’après cette dernière remarque acerbe, Christopher partit sans un quelconque geste à mon égard. Délaissée et totalement anéantie, je me recroquevillai sur moi-même. Oui, j’avais le spleen depuis quelque temps ; oui, j’avais tendance à me laisser aller… Mais j’étais si fatiguée… Fatiguée de cette comédie burlesque qu’il m’imposait. Ce n’était pas la première fois qu’il s’emportait de la sorte. Au moins cette fois, il avait su maîtriser ses poings. Pourtant les mots étaient parfois plus douloureux que des coups. De nouveaux maux à l’âme qui s’ajoutaient aux autres. Des mots qu’il ne pensait pas, des mots qui avaient été dits sous le coup de la colère, une colère dont j’étais, je le savais, invariablement la cause. Comme un mauvais film, ces scènes étaient devenues routinières. C’était mon quotidien, fait d’excès, de l’amour à la haine…
Tout en me relevant péniblement, je partis me passer de l’eau fraîche sur mon visage. En me regardant dans le miroir, je me trouvais lamentable. Il avait raison. Je n’étais bonne à rien. Ce n’était pas faute de tout faire pour le satisfaire, mais cela n’était jamais suffisant à ses yeux. Pire encore, personne n’essayait de me disculper, de comprendre l’origine de mon mal-être. Au contraire, mon entourage avait tendance à enfoncer un peu plus ce clou qui me fixait au pilori, refusant de m’écouter. J’en avais eu la preuve pas plus tard que la veille. Marine, la meilleure amie de Christopher, avait décidé de me rendre une visite amicale. Ce qui en apparence devait être une parenthèse bienfaitrice dans ma morosité avait alors pris une tout autre tournure.
— Je ne te comprends pas, Claire. Tu devrais rayonner de bonheur. Tu as un compagnon qui t’aime, qui te permet de vivre ta passion sans te soucier de l’aspect financier. Tu bosses de chez toi, sans autre astreinte que de tenir tes engagements auprès de ton employeur et encore, on ne peut pas dire qu’il te mette une pression de dingue. Personne pour venir t’asticoter pour un oui ou un non, toutes les deux minutes. Tu as tous les avantages d’une femme au foyer tout en ayant la possibilité d’avoir une certaine autonomie. Moi la première, je rêverais d’avoir ta vie. Regarde-moi. J’en suis malade rien qu’à l’idée de reprendre mes obligations après mon congé maternité, me retrouver avec des collègues que je n’apprécie pas forcément, avec mes élèves et leurs humeurs, laisser mon bébé, d’à peine quelques mois, à des inconnus. Je suis déjà fatiguée d’envisager le stress que je vais emmagasiner entre le boulot, le petit, en plus des tâches domestiques quotidiennes. Erwan est un bon père, mais il ne sera jamais aussi prévenant que Chris l’est avec toi. Je sais qu’il n’est pas question d’enfants entre vous, du moins pour le moment, mais je présume que tu y songes. C’est logique après tout. Aujourd’hui, avoir un enfant est une marque d’amour bien plus forte qu’un mariage, mais cela ne se fera jamais en l’état. Christopher te traite comme une reine et toi ? Tu le négliges alors que beaucoup rêveraient d’être en couple avec une personne aussi attentionnée qu’éprise. Non, je ne te comprends pas. Pourquoi te comportes-tu de la sorte ? as-tu pensé à lui, à ce qu’il peut ressentir ? Je ne vais pas te mentir. Il s’est confié à moi récemment, tellement il se sent impuissant et dévasté par ton attitude. Il a tellement de projets pour vous deux, mais toi, tu fais tout pour le contrarier. Tu es sa compagne, celle qui doit le soutenir et non pas être un poids pour lui ! Claire, un couple, c’est avant tout une question de concessions. Si tu ne veux pas tout perdre, je te conseille vivement de te ressaisir.
J’étais restée stoïque face aux remontrances de celle que je considérais comme une personne de confiance. Que pouvais-je répondre à cela ? Il m’était impossible de lui avouer que la vérité n’était pas toujours celle qui était énoncée, que les apparences s’avéraient bien souvent trompeuses. Je ne pouvais lui confesser que dans notre intimité, derrière les portes closes, sans spectateur, son meilleur ami si parfait, si prévenant, était tout autre. Il me manifestait de plus en plus son agacement plutôt que sa mansuétude. Pour Marine, mon compagnon ne souhaitait que mon bien-être. Me bousculer n’avait pour but que de me faire réagir positivement, mais la réalité était bien plus lugubre qu’elle n’en paraissait. Alors, imaginer un être innocent entre nous n’était même pas envisageable. Pourtant, je ne pouvais pas avouer non plus cette vérité à Marine tant cela ne paraissait pas être concevable. À ses yeux comme aux yeux de tous, je me victimisais, avais tendance à des affabulations. Ce n’était pas lui qui était en tort, mais moi. « Ce ne sont que des disputes de couples. Cela est “normal” que vous ayez des différends. Fais des efforts... » Ces mots je les connaissais par cœur. On me les assénait en boucle, y compris Christopher quand il revenait vers moi pour s’excuser, une fois calmé.
Qui devais-je croire ? Seule contre tous, je ne savais plus quoi penser et cela ne faisait qu’ajouter une dose de culpabilité à mon mal-être.
Je me forçais à me reprendre, ne pouvant continuer à m’apitoyer sur mon sort. J’avais du travail qui m’attendait. Ainsi, après m’être débarbouillée, je m’installais à mon bureau, bien décidée à me changer les idées. Toutefois, au bout d’une heure et après un énième soupir devant mon écran, je compris que je n’étais pas en état de me concentrer. J’avais un besoin impérieux de m’aérer l’esprit, loin de ce vase clos. Je me sentais littéralement étouffer entre ces quatre murs. Me rappelant le dîner que je devais préparer pour le lendemain soir, sortir pour faire des courses serait une raison justifiable au cas où Christopher l’apprendrait ; car dire la vérité revenait indéniablement à énoncer un « mensonge » qui se terminerait par une énième confrontation. Or, je n’avais plus la force de l’affronter, de devoir m’excuser, encore et toujours, sur mes faits et gestes.
Après avoir pris mon sac à main et mon cabas, je partis en direction de la rue commerçante où se trouvait le maraîcher que Christopher affectionnait tant pour la qualité de ses produits. Une chose de plus sur laquelle nous avions des divergences, mais où je n’avais pas mon mot à dire. Nous faisions nos achats alimentaires au supermarché pour nos repas du quotidien, mais, dès qu’il s’agissait d’un dîner avec ses amis ou ses collègues, il fallait toujours que je prépare des mets sophistiqués, dignes d’un repas gastronomique. Tout devait être parfait. Christopher ne pouvait supporter la moindre erreur. J’ai dû m’adapter, apprendre sur le tas, à satisfaire ses exigences. Depuis, je suis devenue une fine cuisinière qui, malgré tout, appréhendait un quelconque signe de contrariété. La moindre fausse note se payait cher. L’hématome sur mon bras pouvait confirmer ma dernière bévue. J’étais en permanence en état de stress. Malgré cela, je me taisais et continuais à m’exécuter, comme une gentille compagne docile. Ma vie était à l’image d’une représentation de pièce de théâtre, où j’incarnais un rôle qui n’était pas le mien.
Arrivée chez le marchand, je revêtis mon masque d’apparat, un semblant de sourire aux lèvres, à la vue du gérant qui m’accueillit avec sa bienveillance habituelle. Même absent, Christopher gardait un œil sur mes faits et gestes. Les commères étaient partout. Après les salutations d’usage, je partis dans les rayons, focalisée sur ma liste, fuyant tout autre contact. Pressée d’en finir, je n’entendis pas une personne m’appeler. Quand je sentis une main me retenir, je ne pus contenir un sursaut. Machinalement, je repris mon bras d’un mouvement brusque, lâchant mon panier rempli de victuailles. Tout en me retournant, j’essayais de temporiser les battements affolés de mon cœur, observant cet inconnu qui s’était figé sous le coup de la stupéfaction, son regard ahuri, ne devant pas s’attendre à une telle réaction de ma part. Je devais avoir l’air d’une biche prise dans les phares d’une voiture, frappée de stupeur. Tout en reprenant un minimum de contenance, je m’étais mise à le dévisager à mon tour, avant de le reconnaître, avec cette impression de voir un revenant. Toujours chamboulée, je ne pus que chuchoter, quelque peu incertaine :
— Alban ?
L’intéressé était resté muet quelques secondes, complètement déstabilisé. La perplexité dans le ton de sa voix ne put que me confirmer son hésitation.
— Claire ? C’est bien toi ?
J’avais gardé mes lunettes de soleil, ce qui n’aidait sûrement pas à m’identifier. Malgré mes traits tirés, je me hâtais de les enlever, tout en cautionnant :
— Oui, c’est bien moi. Je suis désolée, tu m’as surprise. J’étais trop prise dans mes pensées et je ne t’ai pas entendu ; m’étais-je dépêchée de lui répondre prestement, tout en essayant de reprendre une certaine contenance.
Je le vis me dévisager avec attention. Mon apparence ne devait pas être très glorieuse. Il faut dire que la Claire dont il avait fait connaissance autrefois n’était plus qu’une très pâle copie de celle qui se tenait devant lui, aujourd’hui. Il dut pressentir mon mal-être à être épiée de la sorte, car malgré les interrogations que je percevais dans son regard, il me confia, avec indulgence :
— Ne t’excuse pas, c’est moi qui suis désolé de t’avoir fait peur. Je n’étais pas sûre que ce soit toi. J’ai eu beau t’appeler, tu n’as pas réagi. J’aurais dû me présenter face à toi au lieu de t’alpaguer de la sorte. C’était maladroit. Enfin bref, je suis content de te revoir. Ça fait un sacré bail depuis...
Malgré le plaisir de le retrouver, je ne l’écoutais que d’une oreille, mon attention se focalisant sur les autres clients qui s’étaient réunis autour de nous tandis que le gérant du magasin, alerté par ce brouhaha, nous rejoignait, un regard suspicieux envers Alban.
— Tout va bien, Mademoiselle Claire ? Cet homme vous importune-t-il ?
— Merci de votre prévenance, Monsieur Pomeros, mais tout va bien. J’ai été surprise, voilà tout. Pardonnez-moi pour la saleté, l’avais-je rassuré tout en m’accroupissant pour ramasser avec empressement les légumes éparpillés sur le sol, ne souhaitant pas attirer plus que nécessaire la curiosité malsaine des badauds.
— Ce n’est rien Mademoiselle Claire. Laissez-moi vous aider… s’était-il proposé avant d’être coupé dans son élan par Alban qui, tout en s’abaissant, lui avait rétorqué, avec autorité :
— Laissez, je vais m’en occuper. Mes excuses pour le dérangement occasionné.
— Merci, lui avais-je répondu dans un chuchotement, un sourire fébrile aux lèvres, soulagée qu’il me tire de cette situation plus qu’embarrassante.
Alors que chacun retournait à ses courses, Alban me prêta main-forte pour récupérer les derniers tubercules au sol. Me voyant m’agiter, il m’escorta jusqu’à la caisse. Monsieur Pomeros ne dit rien, mais je pressentais qu’il devait s’interroger sur cet homme qui m’accompagnait, son regard scrutant tous mes faits et gestes. Une fois mes articles payés, mon compagnon d’infortune me précéda vers la sortie, sans prêter attention à ce qui nous entourait. Loin des oreilles indiscrètes, il se pencha vers moi pour me saisir mon panier des mains afin de me décharger de ce poids. Tout en me désignant du regard un petit bistrot non loin de là, il me proposa d’aller prendre un café, histoire de pouvoir continuer notre conversation en toute quiétude. Il est vrai que j’étais encore chamboulée par toutes ces tribulations. Un moment de répit me serait bénéfique. Au vu de l’heure matinale, je me doutais qu’il y aurait peu de monde, ce qui me décida à accepter. Je pourrai enfin relâcher quelque peu mon attention, rassurée de pouvoir simplement profiter de cet instant, sans devoir regarder par-dessus mon épaule.
À peine installé, Alban m’interpella, l’air soucieux.
— Tu es sûre que ça va ? Tu es pâle comme un linge. Tu es malade ?
À cette remarque, la panique me saisit me faisant me redresser d’un seul homme sur ma chaise. Bon sang ! Quelle image devais-je donner en ce moment ? Je devais le rassurer, sans pour autant l’alerter. Il était inenvisageable de laisser entendre quoi que ce soit sur mon état.
— Je n’ai pas eu le temps de prendre une collation, ce matin. C’est une petite baisse de tension, rien de méchant. Je devrais manger quelque chose… ça va passer, ne t’inquiète pas.
Malgré sa mine perplexe, Alban n’insista pas, ce dont je l’en remerciais silencieusement. Ne souhaitant pas me faire attendre, il prit l’initiative d’aller directement commander au comptoir un petit déjeuner complet : croissants, thé et jus d’orange et un café pour lui. Il revint avec un large plateau qu’il disposa devant moi. Il me laissa manger, rassuré de me voir me détendre et reprendre de nouveau des couleurs. Une fois son breuvage bu, il entama la discussion sur des généralités.
— Alors, quoi de neuf ? Ça fait quoi ? Trois, presque quatre ans, que je ne t’ai pas revue. Je n’étais pas sûr que ce soit toi dans le magasin. Tu as tellement changé, enfin ce style te donne une autre allure.
Je ne pus que m’empourprer à la suite de cette remarque, pourtant anodine. Fin observateur, il se dépêcha de préciser :
— Hé, je dis ça en bien. Tu es superbe ! J’ai l’air d’être un souillon à tes côtés, avec mon pull troué et mon pantalon déformé. Je ne sais pas, ce style te rend davantage mature. Il faut dire qu’à l’époque, tu étais plus… colorée, mais cela te va très bien, se dépêcha-t-il d’ajouter. Ça fait très Madame.
— Je te remercie. Adieu folie des chapeaux et autres tenues négligées. J’ai opté pour une apparence plus sobre et féminine, en effet, lui avais-je rétorqué sur un ton ironique, essayant de masquer, de nouveau, mon embarras.
Il ne pouvait soupçonner la vraie raison de ce changement si brutal. Personne ne s’en était jamais douté, à mon plus grand soulagement. Il n’eut pas l’air de se formaliser de la pertinence de mes arguments, se contentant de poursuivre avec loquacité :
— Alors, dis-moi ? Qu’es-tu devenue ? Tu es toujours avec ton enseignant ? La dernière fois que nous l’avions croisé, c’était lors de ton anniversaire, il me semble ?
J’avais pris le temps de boire une gorgée de jus d’orange avant de répondre à cette question, somme toute banale, mais ô combien difficile. Je n’avais pas envie de m’étaler sur mon couple ou sur ma vie en général. Pourtant, je savais que je ne pouvais pas ne pas lui répondre. Après tout, Alban était bien plus respectueux avec moi que la majorité de mes connaissances. Je décidais donc de jouer le jeu, sans pour autant m’épancher plus que de raison. Dissimuler la vérité par des petits mensonges était devenu ma spécialité.
— Oui, je suis toujours avec Christopher. Il enseigne avec assiduité, et moi, je collabore toujours en tant que correctrice pour une maison d’édition. Et toi alors ?
— Eh bien, tu ne t’en souviens peut-être pas, mais j’étais dans l’armée. Les missions se sont enchaînées jusqu’à celle de trop. J’ai perdu un camarade sur le champ de bataille. Un ami dont j’étais très proche. Ne pouvant plus assurer mes obligations sur le terrain, on m’a proposé un travail administratif à la base, mais je ne pouvais plus rester dans ce corps de métier. J’ai donc pris la décision de quitter définitivement l’armée.
— Je suis sincèrement désolée pour toi. Mais que fais-tu depuis ?
— J’ai réalisé mon rêve : ouvrir mon restaurant. C’est assez récent, mais j’en suis fier. Cela ne fait que quelques mois. Ce n’est pas le Ritz, mais j’ai à cœur de mettre la qualité en avant et ainsi faire la différence avec mes concurrents qui proposent de la junk food. Ma carte suggère des mets simples, mais variés et équilibrés. Comme à l’accoutumée, je suis toujours en recherche de produits d’exception pour mes futures préparations. Je me rendais chez le boucher quand j’ai été happé par la beauté et la diversité des fruits et légumes de cette épicerie. J’étais loin d’imaginer te revoir au détour d’une allée.
— C’est vrai que le hasard fait bien les choses. Je ne peux que te féliciter. J’imagine que Angèle doit être ravie de cette annonce, elle qui avait pour ambition de monter une affaire avec toi.
— Eh bien, elle l’est, mais ne fait pas partie de l’aventure. Tu te souviens qu’elle était partie en Italie ? Elle a réussi à décrocher un poste de cheffe dans un palace à Rome. Elle y est restée depuis, mais elle envisage de revenir bientôt.
— Que de nouvelles, dis-moi.
— Oui. Je te l’avoue, ce n’est pas évident tous les jours, mais je commence à remonter la pente. Professionnellement, je peux dire que ma reconversion est de bon augure. L’établissement marche bien, je me constitue peu à peu une clientèle régulière. Cela m’aide dans ma reconstruction. J’ai fait une grave dépression à la suite de ma démobilisation. Le choc de cette perte m’a amené un stress post-traumatique. J’ai suivi une longue thérapie et le restaurant a été ma bouée de sauvetage, un moyen de passer à autre chose.
— C’est en bonne voie, lui avais-je répondu maladroitement.
Je ne pouvais qu’être admirative et envieuse. Lui, qui avait vécu un drame, avait eu cette force de rebondir, là où moi j’en étais incapable.
— Merci. Et toi ? Qu’en est-il de toi ? Je sais que tu t’étais un peu éloignée des filles après avoir emménagé avec ton professeur, ce qui est normal quand on se met en couple. Mais tu peux peut-être me donner des nouvelles de Charline, Mathéo, Élodie et Hugo ? Je dois avouer qu’avec le départ de Angèle et mes missions à l’étranger, j’ai pris mes distances. Je n’en suis pas fier, mais bon...
— Eh bien, tout comme toi, j’ai eu de nouvelles obligations et la vie se faisant, nous nous sommes perdues de vue, lui répondis-je, très embarrassée par cette confidence.
— Ah. Cela m’étonne, tu étais très proche de Charline, il me semble. Vous étiez comme des sœurs de cœur aux dires de ma sœur.
— En effet, mais nous avons eu quelques différends et à la suite d’une dispute plus violente que les autres, nous avons pris nos distances.
— Ho ! C’est dommage, mais bon… La vie, le boulot, les relations, tout ça… On évolue, on change. En tout cas, je suis vraiment content de te revoir. Mais tu ne m’as pas dit ce qu’il en était de Christopher et toi. Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble maintenant ?
— Presque cinq ans.
— Déjà ? Waouh, ça commence à faire ! Et donc ? Vous avez des projets pour l’avenir ? Mariage ? Enfants ? Enfin si ce n’est pas en cours, ajouta-t-il d’un ton complice.
À l’écoute de ces demandes, je sentis, de nouveau, des sueurs froides traverser tout mon être. Alban ne pouvait deviner avoir mis le doigt sur un sujet sensible. Tout en gardant un masque de neutralité, je lui répondis, d’une voix monocorde :
— Non, Christopher est trop carriériste pour penser avoir des enfants.
— D’accord, mais le mariage ? Au bout de cinq ans, on parle d’engagement, non ?
Encore cet axiome, et sans conteste cette éternelle honte, accompagnée de cette culpabilité qui me rongeaient de ne pouvoir avouer la réalité. Cela n’était pas envisageable, mais que pouvais-je rétorquer ?
Trop prise dans mon introspection, le regard perdu au loin, je n’avais pas remarqué qu’un lourd silence s’était imposé entre nous. Alban ne souhaitant pas laisser la situation s’envenimer m’avait alors ramenée sur terre en posant délicatement sa main sur la mienne. Ce contact, pourtant anodin, m’avait fait tressauter, déclenchant de nouveau une réaction inappropriée ; ce qui n’était pas passé inaperçu auprès de mon vis-à-vis. À la vue de ses mâchoires contractées et de son regard soudainement sombre, je compris qu’il devait se douter de quelque chose. La panique refit surface, me faisant panteler.
— Hé, tu n’es pas obligée de me répondre. Tout comme tu me l’as dit, je ne demande aucune explication si tu ne souhaites pas m’en donner. Je ne devrais pas être aussi curieux. Après tout, quand tu vois ma situation, je suis mal placé pour poser toutes ces questions. Le mariage, c’est qu’un bout de papier. Qui suis-je pour prétendre quoi que ce soit ? M’avait-il affirmé calmement, me permettant ainsi de reprendre mon souffle.
— Non. Non, c’est bon. Tu ne fais que demander de mes nouvelles, il n’y a rien de pernicieux. Il est vrai que cela fait un moment que nous sommes ensemble, mais je ne suis pas prête pour un tel engagement actuellement.
Trop perspicace pour ma santé mentale, Alban se pencha vers moi sans pour autant me toucher et me confia, d’une voix apaisante :
— Bien. Pourtant j’ai l’impression que quelque chose te tracasse. Sache que si tu as besoin de parler, d’une écoute, je suis là. Voici mon numéro de téléphone portable ainsi que celui de mon restaurant, me dit-il en me tendant sa carte de visite. Quelle qu’en soit la raison, si tu as besoin de te confier à quelqu’un en dehors de ton entourage, n’hésite pas à me contacter. Je ne te jugerai pas. Je sais ce que c’est de se retrouver avec un mal-être qu’on a du mal à verbaliser. Ce n’est pas toujours évident de pouvoir se livrer à quelqu’un sans aprioris. Parfois, parler à une personne extérieure, c’est plus facile. Ça fait un bail que nous ne sommes pas vus certes, mais nous ne sommes pas totalement des inconnus. Je réside non loin de là ; cela ne me prendrait que peu de temps pour te rejoindre autour d’un café si tu en as envie, n’hésite pas.
Étais-je si transparente ? Un début de vertige me saisit, la peur s’insinuant en moi tel un serpent, remontant le long de ma colonne vertébrale. Comment Alban, cet homme que je n’avais pas revu depuis trois ans, pouvait-il être si perspicace ? Que penserait-il de moi ? Les larmes commençaient à affluer, mais je me forçais à les retenir. Je ne pouvais pas m’effondrer en plein café, dans une rue où je pouvais être reconnue.
Je me ressaisis tant bien que mal avant de lui avouer, les yeux dans les yeux, d’une voix que j’espérais la plus convaincante possible :
— Je vais bien, je t’assure. Je traverse juste une période de grande fatigue, c’est tout. C’est passager, cela arrive à tout le monde. Je vais me reprendre. Ne t’inquiète pas, mais merci pour ta proposition.
À peine avais-je prononcé ces mots que je ressentis une aigreur dans ma bouche. En le disant à haute voix, je commençais à réaliser que je m’étais résignée à cette relation et que jamais je ne pourrais m’en sortir. Malgré mes efforts, je ne pouvais plus duper mon monde. Mon apparence ne dégageait plus ce semblant de bien-être idyllique, mais une lassitude qui ne faisait qu’aggraver ma situation.
Ne voulant pas m’éterniser plus que de raison, je m’excusais, prétextant devoir rentrer pour ranger mes courses. Alban parut déçu par mon départ précipité, mais ne me fit aucun reproche.
— Prends soin de toi et surtout, n’oublie pas. Si tu en ressens le besoin, je suis là.
Après l’avoir de nouveau remercié, plus que mal à l’aise par son insistance, je me mis en route, d’un pas que j’essayais d’être le plus tranquille possible. Sa carte toujours en main, j’attendis d’être hors de sa vue pour me hâter de rentrer ses coordonnées sous un nom d’emprunt dans mon téléphone. Bien qu’il soit inenvisageable que Christopher apprenne cette rencontre fortuite, quelque chose me poussait à conserver ce numéro. Je ne pouvais pas l’expliquer, l’instinct peut-être. Après tout, Alban ne faisait plus partie de ma vie depuis si longtemps. Une fois fait, je déchirais la carte avant de la jeter dans une poubelle non loin de là. Je repris la route, mais au lieu de rentrer directement, je ressentis cette nécessité presque vitale de m’isoler, de me laisser aller à pleurer loin de tous. Cette rencontre inopinée m’avait trop bouleversée. Passant par le bord de mer, je savourais cette bouffée de quiétude qui me saisit à la vue de ce paysage hypnotique. Prise dans mon élan, j’enjambais la rambarde. Une fois mes bottines et bas enlevés, ma jupe négligemment nouée au niveau des mollets, je déposais mon cabas sur le sable et m’approchais des abords des flots. Les vagues léchaient mes pieds et mes chevilles nus. L’eau froide m’anesthésiait, m’engourdissait entièrement. C’était presque salvateur. Dans cet environnement sauvage, devant ce spectacle éblouissant, je regardais cet horizon au loin, ce silence seulement ponctué par le ressac des vagues. Laissant mes pensées vagabonder, je m’abandonnais totalement.
Tout comme cette nature qui m’entourait, tout paraissait idyllique en apparence. Mais rien n’est jamais figé. Un drame n’est jamais loin si l’on n’y prend pas garde… Alors que j’observais ces mouettes planer dans les airs, je les enviais. Je faisais un rêve pieu, être comme elles, libre de m’envoler très haut dans les cieux. À cet instant, je ne pouvais qu’avouer être lasse de cette vie qu’était devenue la mienne. Je ne souhaitais qu’une chose ; que tout s’arrête. Sans que je puisse m’en empêcher, je sentis les larmes couler silencieusement sur mes joues. Mon corps se fit lourd, lourd de ce poids que je portais sur mes épaules. Alors que je me laissais aller dans ce tumulte, des frissons me saisirent. Je reculais et décidais de m’asseoir un instant, offrant aux pâles rayons de soleil de l’hiver l’opportunité de réchauffer ma peau à présent humide. Seule devant cette immensité bleue aux reflets dorés par le doux soleil du matin, je fermais les yeux et respirais à pleins poumons cet air marin.
Les souvenirs commencèrent à affluer, les uns après les autres.
Christopher m’avait charmée, subjuguée par ses connaissances et sa prévenance. Aussi hypnotique que cette mer, il m’avait envoûtée au point de m’aveugler. Similaire au soleil qui se réverbère dans cette eau salée, faisant ressortir des grains d’or qui se meuvent dans ces courants instables, il était aussi éblouissant que fascinant. Christopher était ainsi, un être qui attirait l’attention, semblable à la lumière appâtant un joli papillon. On ne pouvait pas l’ignorer, mais derrière ces apparences trompeuses, il était le genre de personne qui pouvait vous mettre à terre si vous n’y preniez pas garde.
Notre histoire avait commencé comme un conte de fées. Puis, peu à peu, le ciel s’était assombri et ma vie, si colorée était devenue tel un nuancier de gris. Je l’aimais, de cela j’en étais sûre et c’était réciproque. Mais notre relation était-elle normale ? Tant de questions sans réponse…
Quand je refais le film de ces cinq dernières années, je reste persuadée que quelque chose n’allait pas, que cette relation n’a jamais été « normale ». Mais ne suis-je pas la seule responsable de ce résultat ? Comment sortir de cet engrenage ? Et s’ils avaient tous raison, et si c’était moi qui étais en tort ? Ne devrai-je pas tout simplement accepter cette réalité, me résigner totalement ?
Plus le temps passe, plus je doute qu’elle ne puisse être meilleure…
« Qu’est-ce donc que ce langage qui ne dit rien, ne se tait jamais et s’appelle littérature ? » Michel Foucault, Philosophe français.
5 ans auparavant
Après avoir dit au revoir à mes collègues, je repartis vers mon domicile. Cette journée s’achevait avec cette sensation merveilleuse du devoir accompli. J’avais réussi le tour de main de faire un nouvel adepte de lecture, chose qui était loin d’être aisée. Tout en remontant ma rue, je pris plaisir à me remémorer la scène qui avait eu lieu quelques heures plus tôt.
Tandis que je mettais en rayon un nouvel arrivage de livres, j’avais remarqué cette femme qui s’emboucanait avec un jeune adolescent. Au vu de leurs traits communs, je devinais sans difficulté qu’ils étaient parents. J’avais délaissé ma pile en disposant mes ouvrages dans un endroit qui ne gênerait pas le passage puis m’étais dirigée vers eux. C’est alors que j’entendis des bribes de leur conversation devenant quelque peu houleuse. La mère de famille tenait à la main le boîtier d’un jeu vidéo et essayait, de manière maladroite, d’encourager son fils de faire un tour dans le rayon des romans jeunesse. Comme beaucoup de parents que je croisais au magasin, tous avaient le même discours auprès de leur progéniture : « Tu ne peux pas continuer à t’abrutir devant tes jeux vidéo qui ne t’apportent aucune culture. Il faut que tu t’ouvres à d’autres centres d’intérêt ! Pourquoi ne lirais-tu pas ? Il y a plein de livres adaptés à ton âge ! » Cela me faisait rire. Au même âge, ma mère devait me menacer de tous les maux pour me sortir du rayon littérature. La lecture était telle une drogue, tout le contraire de cet adolescent, à cet instant. Lui restait là, faisant semblant de flâner dans le rayon, bien que son attention soit tournée vers le combat qu’il devrait mener pour atteindre son Graal. La partie était loin d’être gagnée, mais je voyais en ce jeune homme un nouveau challenge. Voilà ce qui me faisait vibrer, littéralement. C’était ce pour quoi j’avais fait ces études, et par la suite m’étais employée à perpétuer cet amour des mots. C’était une tâche de plus en plus ardue, la génération actuelle étant plus attirée par les écrans et le virtuel.
Feintant le drame qui se déroulait sous mes yeux, je me présentais l’air de rien et proposais mon aide. La mère, après avoir regardé son fils en soufflant d’exaspération, m’avait expliqué la situation. Tout en l’écoutant, je m’étais mise à dresser une liste mentale de tous les romans qui pourraient être susceptibles de capter l’attention de mon futur client. Après mûres réflexions, je m’étais adressée directement à lui, sans me préoccuper davantage de sa mère.
— Bonjour, je vois que tu es fan des jeux de rôle. J’aime beaucoup celui-ci aussi. J’y ai encore joué avec le copain de ma meilleure amie, hier soir. Quoi ? lui avais-je rétorqué en souriant malicieusement face à son regard incertain. Oui, tu as bien entendu. On peut être une fille qui vend des livres et apprécier les jeux vidéo. Ne serais-tu pas curieux de découvrir le même genre d’aventure, mais en lecture ?
— J’avoue que la lecture m’ennuie. On a déjà assez à faire avec celles qui nous sont imposées en cours…
— Je te comprends, mais que dirais-tu d’incarner le héros, comme dans ton jeu vidéo ? Si tu es d’accord, je te montre le livre et tu pourras te faire une idée par toi-même. Pas de lecture barbante, je te le promets.
Je vis le regard de ce jeune homme changer. Là où tout trahissait jusqu’alors un certain blasement, ses yeux avaient à présent des étincelles de curiosité. Ne souhaitant pas perdre cette attention fugace, je l’enjoignais à me suivre. Après lui avoir déposé le livre entre les mains, j’enchaînais avec sa présentation qui, je n’en doutais aucunement, allait éveiller son intérêt.
— Le rôle du lecteur est d’incarner le héros avec ses objectifs et d’agir sur les divers éléments, au travers d’interactions comme les dialogues ou actions. Par ce biais, tu n’es plus un simple lecteur, mais acteur. L’avantage est qu’il y a toute une série.
— Ouais, ça me plairait bien, consentit-il avec enthousiasme.
Sans rien dire, ignorant tout ce qui l’entourait, je le vis commencer à manipuler le roman, observant la couverture, lire le synopsis puis l’ouvrir et feuilleter quelques pages. Son regard se dirigea ensuite vers le rayon. Ses doigts touchèrent les tranches des tomes suivants. Tout en lui prouvait qu’il avait envie de s’immerger dans cette histoire. Je ne pouvais que sourire face à ces signes de réussite. J’invitais sa mère à s’éloigner de quelques pas afin de le laisser consulter l’achalandage, malgré l’air quelque peu perplexe de cette dernière. Je pouvais la comprendre, les romans pour adolescents étaient très souvent très qualifiés de « pavés ». J’entrevoyais ses interrogations à l’égard de la soudaine curiosité de son fils pour la lecture. Je me devais de finir mon travail en la rassurant sur les choix que je leur avais proposés.
— Je vous garantis Madame, que cette lecture est adaptée à sa tranche d’âge. Il n’y a pas de scènes trop violentes ou romanisées comme les romances Young Adult. C’est plus tourné vers les stratégies, un peu comme son jeu. Pour vous donner une idée, pensez à une partie d’échecs. On doit considérer chaque tenant et aboutissant avant de déplacer une pièce pour envisager de gagner. La série est ainsi construite. Beaucoup de réflexions, mais aussi une part d’enseignement, l’action se déroulant dans un contexte historique (moyen âge, l’aire industrielle, l’époque contemporaine…).
— Je vous fais confiance. Vous êtes une des rares personnes à avoir réussi à captiver l’attention de mon fils sur autre chose que ses satanés jeux vidéo. Je sais maintenant à qui m’adresser à l’avenir. Merci beaucoup, Claire, me remercia-t-elle après avoir jeté un coup d’œil à mon badge.
— Je n’ai fait que mon travail, Madame. J’espère qu’il te plaira autant qu’à moi, répliquai-je au jeune homme qui ne lâchait plus le livre, fermement agrippé entre ses mains. Je te préviens, une fois que tu te prends au jeu, il est difficile de stopper ta lecture. N’hésitez pas à revenir me voir pour me donner votre avis.
Après avoir présenté quelques romans du même genre, suite de la demande du jeune homme, ils étaient repartis en direction des caisses avec un second roman d’aventures sous le bras. Encore un défi relevé à ma plus grande satisfaction.
— Comment arrives-tu toujours à capter l’attention des plus réticents et parvenir à les faire acheter des livres ? M’avait demandé avec envie Pierre, un de mes collègues, accompagné d’Élodie.
Je n’avais pu m’empêcher de sourire à cette affirmation bien que je ne me trouve rien de particulier. Pourtant, ce n’était pas la première fois que l’on me le faisait remarquer. J’étais à l’aise avec les gens et j’aimais passionnément mon métier. Pour une majorité, je n’étais qu’une simple vendeuse, dans le meilleur des cas une libraire ; mais pour moi, c’était un travail enrichissant et ô combien satisfaisant ! Donner l’envie d’ouvrir un livre, de lire était mon saint Graal. Tel un relais, je me considérais comme une coordinatrice. Je transmettais ma passion à quelqu’un d’autre, qui allait à son tour, le recommander et ainsi de suite. En finalité, nous formions une chaîne humaine. Il m’arrivait de revoir des lecteurs revenir pour que je les aiguille vers d’autres histoires. Élodie en avait été souvent le témoin privilégié. Il faut dire que c’était elle qui m’avait formée quand j’avais été embauchée par l’enseigne après avoir obtenu ma licence. D’une relation professionnelle, celle-ci était devenue complice et amicale. Depuis lors, elle aimait me charrier avec bienveillance. C’est pourquoi encore aujourd’hui, elle prenait un malin plaisir à ne pas intervenir, me laissant exposer aux novices ma manière de faire, alors qu’elle savait pertinemment que je n’aimais pas être le centre de l’attention.
Après avoir lancé un regard courroucé à l’intéressée, je retournais mon attention vers Pierre et répondis à sa demande, placidement.
— Je n’ai aucun pouvoir magique, ou autre emprise sur les clients. Je me mets simplement à leur place. Nous sommes passés par là, nous aussi. À ce moment critique de l’adolescence, on est en pleine débâcle. Les adultes nous ennuient. On a tendance à se rebeller contre l’autorité. Les parents ont tort, quoi qu’ils disent et les profs ? Ils nous obligent à lire des classiques qui sont loin d’être attrayants, avouons-le-nous. Tout le monde n’a pas la fibre littéraire. Moi, je leur propose des lectures « détente », des lectures qui abordent des sujets qui suscitent leur intérêt. Voilà pourquoi cela passe mieux avec quelqu’un d’extérieur qui ne nous impose pas une lecture.
— Et c’est ainsi que l’on devient « accro »… reprit-il. J’espère y arriver à mon tour.
— Mais oui, ne t’inquiète pas. C’est en pratiquant qu’on trouve ses propres astuces. Et puis tes goûts littéraires jouent aussi dans ta démarche. Je ne te connais pas encore assez, mais si tu es amateur de romans policiers, tu les vendras mieux que des romans à l’eau de rose.
— Ça tombe sous le sens, ajouta mon amie, avec bienveillance. Prenons mon exemple. Je me suis positionnée sur les romances pour adultes. Mon public n’en est pas moins difficile, mais il est plus facile de les guider, tant je suis amatrice de ce genre.
Pierre hocha la tête d’un air convaincu. Après nous avoir remerciées de nouveau, il repartit avec un air plus confiant. Élodie et moi-même échangeâmes un sourire de connivence avant de reprendre nos activités.
Ma journée terminée, je repartis le cœur léger, heureuse de ma besogne. Arrivée devant le seuil, je sortis mon trousseau, m’automotivant à la corvée qui m’attendait de l’autre côté de la porte. Mon studio n’était pas des mieux agencé, mais c’était mon chez-moi. Mon unique pièce à vivre était à mon image, colorée. En plus des photos de mes proches jonchant les murs porteurs trônait mon plus grand trésor : ma bibliothèque, remplie de livres en tout genre. En face d’elle se présentait une cuisine à l’américaine petite, mais fonctionnelle. J’adorais mon cocon, à la fois vivant, mais aussi un vrai capharnaüm selon certains. Je grimaçais en imaginant la pile de vaisselle qui débordait dans l’évier, attendant d’être lavée et rangée. Eh oui, j’avais beau être majeure et indépendante, il était clair que je n’allais pas remporter le prix de la parfaite petite femme d’intérieur de l’année.
Alors que j’allais me mettre à la tâche, mon téléphone s’était mis en branle. Levant les yeux au ciel, légèrement agacée, je n’avais pu que sourire en lisant le nom de mon destinataire, Charline.
— Coucou toi.
— Salut, ma Clairon. T’as fini pour aujourd’hui ?
— Oui. J’allais me mettre à la vaisselle quand tu m’as appelée.
— Tu sais qu’il existe une invention très pratique : le lave-vaisselle. Je te jure, c’est révolutionnaire ! m’avait-elle rétorqué avec humour. Bon sinon, t’avais prévu un truc ce soir ?
— Eh bien, je pensais faire un brin de ménage dans l’appart avant de me poser avec un bon livre… Bref une soirée tranquille.
— Ouais. Une soirée pantouflarde, quoi. Tu as vingt-cinq ans, Claire. À cet âge, on sort. On ne s’enferme pas comme un ermite.
— Dixit celle qui était trop fatiguée pour une virée en boîte samedi dernier ? lui avais-je fait remarquer sournoisement…
— Nan, le week-end dernier, j’étais avec mon homme et on avait d’autres projets si tu vois ce que je veux dire… me répondit-elle du tac au tac, sachant que cela allait me mettre mal à l’aise.
— STOP ! Je ne veux rien savoir !
— Rohhhh ! Ne fais pas la prude ma Clairon adorée ! Tu sais que j’adore te taquiner.
— Et comment que je le sais depuis le temps…
Charline, une amie, une sœur de cœur. Quand on y pense, ni l’une ni l’autre n’auraient imaginé devenir aussi fusionnelles à l’époque. Nous étions dans le même lycée, mais dans des sections différentes. Alors que j’étais en section littéraire, Charline, elle, était en marketing. J’étais timide et réservée de nature.