Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
"Un soleil mauve d’automne" explore les profondeurs de l’âme humaine à travers le parcours d’un personnage tiraillé entre son passé et ses espoirs, ses désirs et la réalité. Dans un cadre dépaysant sous les rayons trompeurs d’un astre qui amorce sa « descente », il affronte ses fragilités et celles des autres, navigue entre harmonie et contradictions. Au cœur d’une improbable aventure, il révélera toute sa force et sa résilience, en luttant contre ses démons intérieurs pour surmonter les épreuves, et dévoilera au fil du récit un chemin de reconstruction.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Catherine Keime est attachée aux mots capables de traduire des émotions intenses et de rendre ses récits universels. À travers des anecdotes tragiques étranges ou drôles, elle explore la profondeur des sensibilités humaines, invitant le lecteur à une réflexion introspective sur son propre parcours. Ses histoires captivantes mettent en lumière la force et la résilience nécessaires pour surmonter l’adversité et trouver un sens à la vie.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 241
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Catherine Keime
Un soleil mauve d’automne
Roman
© Lys Bleu Éditions – Catherine Keime
ISBN :979-10-422-6163-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il n’y a pas de raison, a priori, pour que j’en dise davantage sur les motifs qui me poussent à écrire ainsi, soudain, sans crier gare, notre histoire improbable. Elle ne servira à personne, tu vas vers la maturité et moi je m’achemine vers une certaine solitude enfin consentie. Mais voilà, c’est arrivé. À ce moment de ma vie où mes certitudes étaient en passe de basculer, je cherchais une ligne droite, un chemin à suivre. Il faut que je raconte un bout de cette aventure, parce que Jules n’est plus là et parce que je veux tout de même parler à quelqu’un de ce qui survient quand on perd tout ce en quoi on croyait et qu’il faut continuer. Tous les chemins sont toujours là et personne ne se tient à côté pour vous dire quelle direction choisir. Combien sommes-nous à avoir connu cette expérience ? Un grand nombre sûrement et pourtant je pense que chacun a vécu seul cette traversée que nous n’avons, pour une grande majorité, jamais partagée, non plus que ces peines, ces errances comme les doutes ou les espoirs qui ne manquent pas de survenir dans chacune de ces chroniques.
C’est un petit bout de narration, un fragment, car, pour être dans la précision, le passé se situe pour moi un peu avant la mort de Jules et le reste du chemin qui me reste à parcourir. Au moment où j’ai commencé ce récit, je me trouvais à égale distance entre son départ de la maison et sa mort et le moment précis de notre rencontre. Ont suivi les éclaircies et les déroutes qui façonnent le début de cette histoire dont j’ignore tout de la fin, en tout cas jusqu’à aujourd’hui.
J’ai longtemps hésité : la fatigue aurait-elle raison de moi, de cette tension qui prenait possession de moi encore de temps en temps, celle du choix entre la mort ou l’espoir, alors que mon esprit cherchait vainement une autre voie de fascination qui me purgerait de mon chagrin ? De retour de voyage, j’ai décidé de tout consigner par écrit, pour l’emporter sur le sort.
De ce qui s’est passé avant dans ma vie, je ne peux tout dire en ce qui concerne en tout cas l’enfance de Jules, parce que ce serait trop long à raconter. Pour la suite, je livrerai les mois les plus riches des deux dernières années avant sa mort et les mois les plus remarquables des deux ans qui ont suivi sa disparition. En effet, c’est dans cet intervalle très court, parce que deux ans de maturation pour une association improbable cela passe vite comme un coup de poésie, c’est dans cet intervalle donc que nous avons fait connaissance toi et moi.
Je ne sais comment cela s’est produit au juste. Toutefois, j’ai fini par aimer tout ce qui t’entourait, à commencer par ce cher Léonard et après cet éveil, cette floraison de l’être, jusqu’à cette période bénie où tout est encore possible en rêve comme dans une réalité ténue où la songerie tient lieu de présent. Après cette période, l’imagination laisse avec insistance la place à un présent qui s’impose avec plus ou moins de cruauté. Tout ne tiendrait-il qu’à une acceptation ? Pas si simple, vous allez voir.
Tout est arrivé dans un éblouissement, tant la lumière était vive et le soleil puissant ce jour-là, alors que j’essayais de ne pas me retourner de peur de faire tourner mes souvenirs au vinaigre.
Le système solaire est ainsi fait qu’à partir du moment où l’astre a atteint son zénith, il amorce son déclin dans l’instant. Il n’y a pas de période intermédiaire, pas de laps de temps « entre-deux », c’est l’ascension et le crépuscule. Dans l’intervalle, il y a eu cette somme d’efforts et de souffrances qui ont fait le déroulement de nos vies, celle des plaisirs et des joies qui ont occupé le temps à un moment donné, toutes les peines additionnées, ainsi que les indicibles surprises parfois mêlées, emmêlées, ou bien même juxtaposées qui ont alterné leurs cruelles variations au gré des désirs et des haines. Toutes se sont ajoutées les unes aux autres le temps d’un tout petit voyage, celui d’une histoire. Le tout sans fin livré à l’infini des cycles cosmiques. L’instant du basculement indéfinissable.
Je me battais encore contre ma propre perte, terrible et sans fin, un peu plus récente que la tienne. Tu avais prié, disais-tu, et trouvé la paix, mais existe-t-elle vraiment, durablement sur cette terre ? Comme il faut bien trancher avant de rendre son âme, ce que tu entrevoyais dans ta sagesse abîmée, angoissée, maladroitement endossée, sur le tard, peut-être trop tard, comme il fallait trancher donc, pour vivre à plein temps et traverser dorénavant aussi courageusement qu’avant les déserts de la vie, tu devais, tu ne le dis pas, mais je le devinais, mettre un terme à une certaine insouciance. Celle peut-être de croire qu’on peut convaincre rien que par un sourire ou faire changer d’avis l’autre sur un trait d’esprit. Au jeu de la séduction, nous étions peut-être à l’âge où qui perd gagne.
Pourtant, je pensais que certains regards, certains moments auxquels s’attache cette chose indéfinissable qu’on nomme sentiment, sont inoubliables. Je nourrissais cette naïveté et tu avais sûrement de grandes leçons à me donner. Tu l’avais peut-être compris depuis longtemps cette fin de l’insouciance, et aussi ma naïveté, tant qu’on y était. Moi, j’étais dans la certitude qu’il y a parfois une trace, un rien qui s’accroche et qu’alors on n’oublie plus. Si bien que, quand tu étais partie encore, une fois de plus, étant plus jeune que toi et pas encore un être résigné, j’avais la certitude que cela continuerait, sans savoir comment toutefois. Avais-je voulu le croire ?
Cependant, tu allais m’imposer ton raisonnement, ton silence et j’allais consentir. Parce que la vie venait de m’égratigner si sérieusement que je n’étais pas de taille à lutter contre toi. Parce que c’était toi, rien que toi, qui, au fond, menaçais d’anéantir le plus sûrement mes convictions, comme personne. Il me semble important de raconter une partie de cette rencontre, le chemin étroit de toutes ces émotions, alors que je n’ai pas la certitude que nos chemins se rencontreront vraiment un jour.
Mais avant cela, que de méandres, que de contorsions !
Voici comment tout avait commencé, voici comment tout était arrivé.
1
La beauté de Jules, je ne l’avais pas inventée, elle était réelle, sublime. Je savais qu’il ne la tenait pas de moi.
Quand il était tout petit, je me penchais avec avidité, quand je rentrais fort tard parfois le soir, sur son sommeil. Je voyais sa peau qui luisait doucement dans l’ombre sous sa légère transpiration d’enfant et je gardais sa beauté comme une fleur volée, à la dérobée, dans ma mémoire qui se faisait plus large pour accueillir son odeur et sa couleur, afin de sauvegarder son image et de l’avoir à jamais et en permanence à l’esprit. Jules avait constitué mon plus beau cadeau alors que mon mariage se consumait et que la mort, déjà, mettrait prématurément fin, peu d’années après, à cette alliance dont Jules était le fruit.
J’avais donc dû l’élever en ne comptant que sur moi, une tâche bien ardue que j’avais prise très à cœur. Mais notre solitude à deux nous avait nui.
À travers cette sensibilité qui, et cela me rassura momentanément, nous réunissait, j’avais pensé pouvoir le faire grandir simplement en entretenant un environnement calme. Pourtant, je n’avais pas su l’aider à maîtriser des accès de colère incontrôlés. Ne sachant moi-même comment surmonter mes accès d’irritation parfois, je devais souvent constater combien j’avais mal guidé mon garçon par des mesures sûrement insuffisantes. Il souffrait et le manifestait. Cela pouvait prendre de dangereuses proportions. Par exemple, quand il m’arrivait de jeter mon regard sur lui, il s’inquiétait alors parce qu’il y avait été indifférent jusqu’à son adolescence et était devenu ensuite trop susceptible pour supporter le moindre coup d’œil ou commentaire à son propos. Ce qui provoquait de vraies crises de rage.
Étant de nature assez égoïste, il possédait suffisamment la dureté de la jeunesse pour éviter de se poser trop de questions et il ne me jetait jamais le moindre coup d’œil. Aussi, une fois devenu un jeune homme, non seulement il ne comprit plus du tout cet intérêt, mais encore dus-je éviter tout mouvement visuel en sa direction ainsi que toute marque d’attention. Cela nous avait éloignés sensiblement l’un de l’autre sans que j’aie pu remédier d’une manière ou d’une autre à la situation. L’entrée dans l’adolescence avait été compliquée comme il fallait s’y attendre, faite de sursauts d’énergie, de désespoir et de révoltes. Je ne connaissais pas toutes ces étapes ou ne m’en souvenais plus. Néanmoins, elles avaient créé un certain lien qui n’appartenait qu’à nous, nous nous l’étions dit à plusieurs reprises et cela m’avait permis de penser que nous étions à l’abri.
Quand je lui disais, par accident, combien je le trouvais beau, il me semblait qu’il ne me croyait pas, pire même, qu’il m’en voulait de lui mentir peut-être. Son âme tourmentée avait, qui sait, peut-être bien cultivé le doute jusqu’à la mort. Et je ne l’avais pas vu venir. Je ne l’avais pas saisi quand il en était encore temps sans doute. Je n’avais rien perçu, rien senti, rien compris. Et pourtant, je vivais depuis plus de deux ans avec cette rupture brutale qui, une fois pour toutes, avait défait ma vie.
Tout avait commencé, près de trois ans auparavant.
D’abord, la peur s’était installée, insidieusement, car je dormais de moins en moins bien, sans m’en apercevoir dans un premier temps. Et puis, j’avais remarqué qu’il me fallait faire une sieste après le déjeuner tellement la fatigue me saisissait dans la journée. Elle avait pris une place réelle sans que mon médecin ne parvienne à déceler quoi que ce fût de pathologique et mes émoluments alors me suffisant pour vivre, j’avais conclu que cesser de travailler serait une bonne solution face à ce mal insidieux. Cependant, la peur inexpliquée et la sourde souffrance m’envahissaient en permanence depuis le départ de Jules. Mon fils m’avait confié un jour avoir été heureux avec moi, je sentais cependant que cela ne lui suffisait pas.
Pourquoi ? Il n’est plus là pour me répondre. Il avait en effet décidé, sans rien me dire, de suivre un ami dans une ville éloignée. Dès lors, je n’avais plus eu de nouvelles, que quelques mails qui ne me disaient rien. Comment aurais-je pu deviner la suite de cette escalade de l’inquiétude jusqu’à la montée de l’angoisse pour ainsi dire mortelle, et pour finir : la mort elle-même, dont je vais à présent essayer de décrire comment elle est survenue.
Trois cent cinquante-sept jours après ce brutal départ, Jules était revenu pour les fêtes de fin d’année. Il ne logea chez moi que trois jours durant et cela me suffit pour voir ce que mon fils était devenu. Un individu sombre et irascible qui se maîtrisait mal, cachant à peine sa froideur et son hostilité à l’égard de cette société qui n’avait à ses yeux aucun attrait. À ma connaissance, rien ne l’avait jamais intéressé, même pas moi, même à l’époque où j’assurais pourtant sa subsistance. À présent, j’ignorais de quoi il vivait, il m’avait juste glissé qu’il dispensait des cours. Il ne semblait me côtoyer que par obligation, ce qui précisément n’avait pas de sens à ses yeux. Nous vécûmes par conséquent ces trois jours en silence l’un à côté de l’autre sans qu’aucune rencontre n’eût véritablement lieu. Pour conclure, je dirais qu’il n’y avait plus de sens à tout cela pour moi non plus.
Me furent reprochés mon indifférence, ma glaciale indifférence, mon silence, mon manque de conversation, bref, à peu près tout ce qui me constituait, que j’appelais moi : écoute de l’autre, retenue et surtout un manque d’assurance qui me caractérisait depuis longtemps et le fâchait, lui qui, cela me sauta aux yeux, méprisait ce trait. Pourquoi nier que son départ me soulagea, mais généra cette angoisse qui ne me quitta plus, jusqu’à ce que je prenne la décision de me rendre là où il habitait, commettant ainsi la faute fatale qui allait nous précipiter, du moins l’avais-je cru longtemps, dans l’enfer.
Jules ne supporta pas de me voir arriver à l’improviste bien que j’aie laissé de multiples messages, quelques heures avant mon arrivée. Il ne les avait même pas lus, comme je l’avais compris plus tard. Jules me poussa dehors dès qu’il me reconnut et avant que j’aie eu le temps de franchir sa porte, comme s’il cachait, à l’intérieur de l’appartement, un trésor inestimable. J’eus tout de même droit à quelques minutes d’entretien. Debout, face à face tous deux devant l’ascenseur, nous échangeâmes quelques paroles, ce furent les dernières que nous avions partagées. Rien n’avait été dit.
Je visitai la ville et repartis le lendemain en proie à une inquiétude grandissante et impossible à calmer. Cette fois, je savais qu’aucun psychiatre, aucun ami ne pourrait me soulager de ce fardeau. De toute manière, d’ami je n’avais plus, tant la maladie (la mienne, peu grave, mais invalidante) est facteur d’isolement, c’est bien connu, et le chagrin aussi, cela est moins connu peut-être. Parfois, le chagrin suscite la compassion, mais encore faut-il le laisser entrevoir, ce qui n’était pas mon fort. Aussi, la solitude était-elle devenue mon lot, que je supportais plus ou moins bien, mais sans doute fut-elle une préparation pour moi à ce qui allait survenir.
Je n’avais pas reçu de nouvelles de mon enfant depuis cinq semaines quand les services de police me téléphonèrent un matin vers dix heures. Ils vinrent à deux quelques heures plus tard, pour me raconter les circonstances de son départ en terre étrangère, et sa mort.
Jules avait quitté le pays dix-huit jours après ma visite inopinée, en urgence. D’après les services de police, il avait en effet réservé sur un vol non régulier, en dernière minute, pour deux personnes et sans bagages. Celui qui l’accompagnait aurait pu passer pour son père. Je le découvris avec une sorte de désespoir sur les images nettement identifiables prises par les caméras de l’aéroport et il montrait un visage hostile, presque en colère, à moins que ce ne fût autre chose. On m’avait expliqué que si je désirais regarder, cela serait très dur, voire insoutenable. Cela l’était. Mon fils semblait inquiet, apeuré, mais comme en proie à la fureur sur un certain cliché. Avait-il été forcé de partir ? Avait-il été soustrait contre son gré ? Pourquoi ?
La suite de la narration était aussi peu compréhensible, mais tout aussi péjorative.
Jules et son compagnon de voyage, dont il fut prouvé qu’ils vivaient dans le même appartement depuis l’arrivée de mon enfant dans cette ville, celui où je l’avais si fâcheusement surpris, avaient réservé également quelques nuits dans divers hôtels en marge des aéroports. Ils avaient tous les deux ainsi réalisé un véritable périple. Ils avaient rallié, dans chaque région parcourue, différents hébergements pour certains assez miteux, au cours d’un curieux trajet dont la situation des points principaux n’avait pris une signification qu’au fil du temps, quand les enquêteurs découvrirent les éléments qui permettraient d’échafauder les premières hypothèses…
La dernière chambre qui les avait abrités était la pire de toutes, sordide, borgne, m’avait-on dit, et de la drogue avait été trouvée dans le matelas. Il ne fut pas établi qu’elle leur appartenait, mais après une perquisition à l’ancien domicile, il fut confirmé une autre prise : de la drogue que les enquêteurs trouvèrent comme faite d’une texture différente, d’une origine différente, provenant d’un centre de fabrication probablement industriel, ce qui leur avait mis la puce à l’oreille. Ce genre de substance n’était pas accessible à n’importe qui. Jules, qui fumait, j’allais l’apprendre, depuis des années, mais des substances très douces a priori, avait-il pris part à ces goûts et avait-il consommé plus ? Pire : avec ce compagnon qui se prénommait Jean Baptiste, dit Jean-Ba, dans l’appartement duquel les drogues dures furent découvertes, on avait trouvé tout un catalogue de substances même pas dissimulées. Tout cela avait interpellé les enquêteurs justement parce que la drogue était bien visible et le départ de l’appartement sûrement précipité. La suite ne permettait pas encore, hélas, de savoir si Jules et Jean-Ba possédaient des substances sur eux au moment de leur décès, qui était survenu simultanément. On avait apparemment perdu toute trace d’un plan établi depuis la découverte de leur dernier séjour dans une station de montagne, au cœur d’une petite ville située à une distance importante de celle qu’ils avaient rejointe par leur dernier vol. Entre l’aéroport et cette cité montagneuse située à bonne distance et non loin de la mer à vol d’oiseau, il n’y avait plus d’indices de projet établi, on aurait pu penser qu’ils avaient improvisé.
Bien que l’on ait refusé de m’en dire davantage, je portai la conclusion vraisemblable que les circonstances, quoique non encore éclaircies, étaient accablantes à première vue pour les deux hommes. Il n’était pas encore prouvé que les derniers évènements survenus puissent être qualifiés d’attentats, mais les corps étaient impossibles à recomposer, ayant été désintégrés sous la force du souffle qui avait été déclenché, on ne savait exactement encore comment. Peut-être s’agissait-il d’un assassinat. Mon fils avait-il choisi de se sacrifier pour cette cause répandue, désormais presque à la mode, qui consistait à se détruire pour détruire d’autres vies ? Ou y avait-il été contraint ? Comment peut-on l’être vraiment dans ce genre d’aventure où le sort qui lie des personnes autour d’un tel projet est le résultat d’une maturation de la pensée, fût-elle corrompue, et selon moi il fallait bien qu’elle le fût pour en arriver là. Si l’on admettait donc qu’il n’y avait pas été contraint, parce qu’il faut bien consentir ne serait-ce qu’une fraction de seconde pour parvenir à un tel sacrifice, combien de temps faut-il pour corrompre une pensée alors que rien ne la prédestine à un tel avenir pendant au moins dix-huit ans ?
J’avais en effet partagé la vie de mon fils assurément jusqu’à ses seize ans, date à laquelle il avait quitté le domicile pour l’internat et les copains, bien prématurément à mon goût, mais quand on n’est qu’à deux, l’autorité ne se partage pas, un seul la détient et le danger est de ne pas pouvoir la dispenser correctement, ce qui fut mon cas, d’où l’internat. Dès ses seize ans. Qu’est-ce qui avait fait dévier mon enfant ? Combien de parents s’étaient-ils déjà posé comme moi la question ? Combien avaient obtenu une réponse ?
Jules n’avait rien dit, il était parti, il n’allait pas revenir et quand j’avais appris cela, comme une fatalité à laquelle je m’attendais depuis si longtemps, je me demandai lequel de nous deux avait été le plus maudit. Je me demandais comment j’allais pouvoir survivre à cet enfant dont j’avais adoré les boucles blondes, le sommeil parfois peuplé de cauchemars que je ne savais pas deviner, la peau translucide sur les tempes bleutées et l’haleine chaude du matin. Il avait probablement, m’avait-on dit, consommé des substances illicites assez tôt dans sa vie, ressenti une solitude que je connaissais moi-même et que je ne nommerais jamais, ayant trop peur d’en savoir plus. Entre-temps, j’avais appris ce dont je souffrais exactement et ce que j’aurais pu transmettre. Cela s’était-il produit ? Avais-je perpétué cette petite différence ? C’était donc moi qui aurais dû mourir et c’était moi qui restais. Cette fin tragique était-elle le fruit d’une hérédité, d’un choix délibéré ? Pourquoi et comment pourrais-je ou devrais-je accepter cela ? S’il s’agissait d’un accident, cela ne me rendrait pas la peine plus légère, mais peut-être ma culpabilité serait-elle moins importante. Celle d’avoir été un élément peut-être déterminant dans le choix d’un avenir, si choix il y avait vraiment eu. Toutefois, Jules avait fait celui de partir et cela, je ne pouvais l’oublier ni m’empêcher d’en chercher les causes.
Quand il avait quitté la maison, il n’avait même pas pris sa guitare, j’avais donc pensé qu’il reviendrait. Il disait qu’il ne trouverait pas le sens à son histoire, à la nôtre, depuis un certain temps, et que donc il ferait comme métier, puisqu’il en fallait un, n’importe quoi juste pour faire quelque chose. Je n’avais pas supporté ces mots et n’avais pas trouvé de réponse. Après, cela avait été la survenue du silence et je n’avais plus cherché à le meubler. Jules avait pris la décision de changer de ville. Je n’avais, bien lâchement, pas commenté, pensant que l’éloignement, conjugué avec le passage du temps, pourrait nous aider. Il avait un pied-à-terre et un projet, avait-il dit. Alors, que demander de plus puisque je ne savais plus moi-même comment conduire le cours des choses dont je n’avais plus la maîtrise depuis fort longtemps ?
Il était passé me saluer, comme il faut. Il m’avait fait la bise sur chaque joue, avait rempli un sac avec deux pulls plus des chaussettes et n’avait pas pris le temps de manger, car « on l’attendait ». Avais-je été trop pleutre ? Évidemment.
Je n’avais pas dormi pendant trois semaines, après ce premier départ, attendant en vain un coup de téléphone. Lui, il ne répondait jamais quand je l’appelais. Et puis un matin, l’idée avait lentement pris forme : et si c’était moi qui bougeais ? Il n’avait que moi, je n’avais que lui et j’avais fait des promesses quand il était enfant, entre autres celle d’être toujours là. Il verrait mon intérêt, même s’il n’en tirait pas de contentement. Je comptais bien qu’il accepterait de discuter un peu. Je ne demandais qu’une ou deux heures et même moins, pourvu que je puisse voir à quoi il ressemblait.
Quand la porte s’était refermée sur son image : profil amaigri, teint terreux, au bord du paillasson sale, il était déjà mort un peu, violemment, brutalement, si douloureusement que je n’avais pas pu reprendre le train avant le lendemain. J’avais dormi sur place, à deux pas de là au cas où il me rappelle et pour respirer encore un peu près de lui, avant d’aller à la gare. Je n’avais pas pensé que je venais de voir mon fils pour la dernière fois, mais j’avais gravi les marches d’un wagon gris qui était un peu différent des autres en ressentant une vive appréhension, à tel point que j’avais pensé en descendre. Comme le départ était annoncé, je n’avais pas osé bouger. Pourtant, quand la machine avait commencé à rouler, j’avais contemplé le paysage comme étant celui d’une image unique que je ne reverrais à coup sûr plus jamais, sans me poser la question de savoir si je reviendrais un jour ou si j’attendrais mon fils, parce qu’une certitude m’était apparue : ce départ annonçait la fin de quelque chose. Le vide faillit m’aspirer, j’entrevis le pire sans le nommer, comme un trou noir sous mes pieds, si profond qu’on ne pouvait voir de terminaison à cette dégringolade.
Ce sentiment avait habité mon âme ensuite sans que j’y prenne garde, car tout était plus sombre. Il y avait une ombre jetée sur chaque jour, d’ailleurs il n’y avait plus eu de jours, mais une continuité, et tout était allé si vite que le temps n’avait pas eu a posteriori de comptabilité précise. Il s’était juste résumé à une succession de moments indéfinissables. Je m’aperçus après la disparition que je n’avais pas gardé de souvenirs de ce mois-là, mais une impression de durée suspendue, peut-être celle du deuil qui n’avait pas encore ce nom-là. Si j’avais dû donner un mot pour définir tout cela, je n’en voyais qu’un seul : absence, et une couleur dominait aussi : le gris. C’était un gris profond, foncé non pas uni, mais discontinu, gravelé, tacheté, sali, déchiré, fendu comme un tissu malmené tendu à craquer, désuni, rendu informe par endroits, ceux sur lesquels ma mémoire vacillait sans parvenir à retrouver des expressions qui rendent un sens aux évènements. Mais il n’y avait plus de sens, que des lambeaux. Jules s’était absenté et tout avait perdu une grande partie de sa valeur.
2
J’avais trouvé un mince fil à tirer quand la police avait sonné un matin vers neuf heures, alors que je n’avais pas encore eu le temps de boire mon deuxième café. Le plus grand des deux barbus qui étaient gauchement entrés dans mon salon après de brèves présentations m’avait d’emblée annoncé la mort de Jules, à trois jours de là, dans un pays dont je n’imaginais même pas qu’il pût l’intéresser. Ensuite, le temps que je me ressaisisse si je puis dire, car mon état d’hébétude avait même duré plusieurs jours et j’avais entendu quelques sonorités seulement de leurs voix, puis ils avaient tenté à tour de rôle de m’expliquer les faits. Tels qu’ils les connaissaient, en l’état de l’enquête en cours, ils savaient peu de choses précises et ils gardaient beaucoup de suppositions et d’incertitudes quant à la suite de l’histoire. Ils avaient besoin que je leur parle un peu de Jules si cela m’était possible.
Pendant quelques minutes, j’avais cherché mes mots, mais je n’en trouvais pas pour décrire cet être si cher que je ne pouvais imaginer qu’il ait quitté cette terre. Je n’imaginais surtout pas pouvoir vivre sans lui. Et puis, je n’avais pas tout écouté, je n’en avais pas été capable et il avait fallu qu’ils recommencent leur récit. Il y avait à la fois trop de détails et à la fois pas assez. Je ne savais quels adjectifs trouver pour parler de Jules si bien qu’ils étaient restés en silence un bon moment au bout duquel je décidai de leur faire part des derniers instants que nous avions partagés, lui et moi. Je dis cela sans aucun fard, ajoutant quand même que les joies ne nous avaient pas manqué avant ce sombre épisode, pourtant. Ils avaient compris, me sembla-t-il, expérience oblige peut-être, mon désarroi et mes interrogations. Ils choisirent donc de me laisser un peu de temps, puisqu’ils devaient me tenir régulièrement au courant de l’évolution de l’enquête. Ils me laissèrent au silence pendant quatre jours, le temps pour eux d’obtenir quelques réponses supplémentaires, après quoi ils reviendraient, avaient-ils assuré. C’est ce qu’ils avaient fait, m’aidant indirectement à passer les séquences les plus pénibles, celles où il faut s’organiser, où on est censé être très occupé par des démarches administratives interminables et autres, sans savoir au juste comment remplir le temps face à soi-même, celui d’une nouvelle solitude à meubler, jusque-là inconnue. Il faudrait ensuite faire rapatrier ce qu’il restait du corps, c’est-à-dire : presque rien. Ils me l’avaient appris très vite, avant que j’aie eu le temps de poser la question : Jules, mon Jules, avait disparu dans une explosion. Les circonstances de cette mort étaient aussi tragiques qu’incompréhensibles, m’avaient-ils expliqué. Pas de corps, juste un paquet qui reviendrait, après les examens d’usage et une fois remplies les formalités et obtenus les certificats requis, ce qui, me dit-on, prendrait trois à quatre semaines.
J’avais tout appris sur les circonstances de la mort, mais je ne savais rien en fait ni de l’avant, tout ce qui l’avait précédée, tout ce qui avait fait l’histoire de la vie de mon fils depuis qu’il avait quitté le domicile, ni de la véritable histoire des circonstances survenues en cet endroit presque perdu. Me cachait-on les faits ou les ignorait-on et pourquoi ? Serait-il possible d’en savoir plus un jour ? Allait-il seulement suffire d’attendre ? Cette perspective me paraissait vaine et surtout chronophage et énergivore tant je me posais de questions. Ne pouvoir y répondre me rongeait lentement, impitoyablement.