Un vent d’Afrique - Michel Marchal - E-Book

Un vent d’Afrique E-Book

Michel Marchal

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"Un vent d’Afrique – Au pays du khat et de l’arachide" vous transporte au cœur de Djibouti, de l’Éthiopie, du Yémen et du Sénégal, dans un récit inspiré du vécu de Michel Marchal. Ce roman, où la romance se mêle aux enjeux agricoles, éclaire avec finesse les défis de cultures emblématiques comme le khat et l’arachide, témoins d’histoires profondément enracinées. À travers les luttes intimes et collectives de ses personnages, il explore les bouleversements provoqués par la mondialisation et les réformes européennes, tout en offrant une réflexion sur les relations humaines et les traditions confrontées au changement. Une invitation à un voyage aussi passionnant que lumineux, où chaque page révèle un monde en pleine mutation.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Michel Marchal, agriculteur retraité et engagé politique, a publié "Le temps passa si vite" et "À la croisée des chemins" respectivement en 2018 et 2021. Dans son nouveau roman, il mêle aventure sentimentale et grands enjeux historiques, explorant l’agriculture française des Trente Glorieuses, le commerce du khat en Afrique orientale et la production d’arachide au Sénégal, au seuil de la décolonisation.

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Seitenzahl: 322

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Michel Marchal

Un vent d’Afrique

Au pays du khat et de l’arachide

Roman

© Lys Bleu Éditions – Michel Marchal

ISBN : 979-10-422-5543-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Tant que la couleur de la peau sera plus importante que celle des yeux, nous ne connaîtrons pas la paix.

Hailé Sélassié, dernier empereur d’Éthiopie

1892-1975

L’enfant du pays a beau vivre ailleurs pendant des années, il pensera toujours à sa terre.

Proverbe sénégalais

Préface

Depuis 1939, date de l’entrée en guerre de notre pays avec le Troisième Reich, un enchaînement de conflits se succéda sans laisser place à des temps de paix. L’armistice de la Deuxième Guerre à peine signé, déjà de nouveaux combats engageaient les troupes françaises en Extrême-Orient. L’enlisement de la guerre coloniale d’Indochine ébranla notre nation. Sans répit, des conflits surgissent en Afrique du Nord. Les accords d’Évian mettront fin à cette guerre d’Algérie. La décolonisation était en marche.

Les combats d’Indochine et ceux du Maghreb sont encore dans la mémoire du peuple français, plus particulièrement de ceux et celles qui ont vécu ces moments intenses et douloureux. Aujourd’hui, les célébrations patriotiques, nombreuses, nous invitent à regarder notre passé, à ne pas l’oublier, mais surtout à en tirer les conclusions les plus adaptées. La question n’est pas uniquement celle du repentir. Le monde a changé, mais la mémoire ne s’efface pas. Les films, les livres, les témoignages sont là pour nous rappeler d’où nous venons. C’est notre histoire.

Les pays colonisés manifestaient légitimement une volonté d’indépendance. Les premiers à la revendiquer et à l’obtenir furent les territoires d’Indochine : le Tonkin, le Laos, le Cambodge, l’Annam et la Cochinchine. Successivement, les pays d’Afrique prennent leurs distances avec la « Mère Patrie ». La Guinée de Sékou Touré sera le premier pays africain à dire non à la France. L’Histoire basculait. La contestation s’invitait dans les débats, mais aussi dans la rue, et parfois avec violence. Notre pays était régulièrement accusé de néocolonialisme. Nos dirigeants, dépassés par les événements, s’interrogeaient. Cependant, dans les années 60, les visites des délégations africaines se succèdent à Paris. Elles portent la voix de leurs peuples. Les négociations débouchent sur des accords d’autonomie. La présence militaire française sera maintenue dans de nombreux états africains devenus indépendants. Elle sera présente en soutien des forces locales.

Dakar, la capitale du Sénégal et Djibouti, entre autres, accueilleront des troupes françaises.

Ces deux pays sont au cœur de cet ouvrage.

Suite à la décolonisation, le rôle et la présence de l’armée française ont évolué. Elle devra gérer les conflits pacifiquement, afin de trouver une solution négociée aux crises qui pourraient émerger, plutôt qu’une escalade de l’affrontement. Plusieurs situations de troubles ont provoqué des états d’alerte, la plupart du temps dans les capitales, cœur névralgique des pouvoirs politiques. C’est ainsi qu’à Dakar, en 1962, le coup d’État de Mamadou Dia est neutralisé. Les parachutistes français, en force d’appui, viennent soutenir les troupes sénégalaises restées loyales au président Senghor.

L’influence française, plus communément appelée la « France Afrique », est toujours bien présente. Elle le sera encore longtemps. En métropole, plus particulièrement à Paris, le général de Gaulle fait face à une contestation massive des étudiants soutenus par le monde ouvrier. Des barricades se dressent dans la capitale. Les grèves paralysent le pays. Pourtant, au lendemain de ces événements, couverts par les médias internationaux, la France maintiendra des liens durables avec un grand nombre de ces pays africains.

L’Afrique suscite la curiosité. La pauvreté qui y règne génère un élan de solidarité. En France, un Service National de la Coopération est créé. Avec fierté, de jeunes Français s’engageront dans cette démarche citoyenne et solidaire. À partir de ce moment, la coopération fait l’objet de nombreux débats entre ceux qui considéraient cette forme de service utile aux jeunes Français et ceux qui voyaient là une perversion du principe même de la conscription, permettant ainsi d’échapper au service militaire. Ces jeunes coopérants interviendront principalement dans les domaines de l’éducation et de l’économie agricole. Les détracteurs s’empressèrent de dénoncer la démarche. Ils considéraient que notre pays apportait des compétences en fournissant de la main-d’œuvre bon marché à des structures économiques ou éducatives locales.

Dans tous les cas, les jeunes Français, engagés dans ces programmes, bénéficieront d’une expérience professionnelle et humaine enrichissante et inoubliable. Ce type de contrat fera découvrir à toute cette jeunesse empreinte d’humanisme, un continent en plein développement.

L’arachide au Sénégal et le khat en Éthiopie seront chacun au cœur de l’essor économique de leur propre pays. Ces deux cultures ont ce point commun, bien qu’elles soient très différentes, l’une étant une drogue et l’autre un produit alimentaire. Mais toutes les deux ont pourtant un impact économique et social important.

En Europe, sous l’impulsion de dirigeants visionnaires, un élargissement de la CEE fait l’objet de négociations. Le Royaume-Uni, mais plus particulièrement l’Angleterre, ennemi héréditaire de notre pays, souhaite intégrer la Communauté Européenne. Cette entité économique récente, issue de ce qu’on appelait la Communauté économique Européenne du Charbon et de l’Acier, élargit ses compétences et fait de la PAC (Politique agricole commune) un pilier majeur de cet engagement.

Tous ces éléments alimentent les pages de ce livre.

Synopsis

À l’école primaire du village, Romance, une petite fille dont la famille vient de s’installer dans la commune, se rassure auprès de Raphaël, un gamin un peu plus âgé, scolarisé dans les grandes classes. La vie les séparera et pourtant ils ne s’oublieront pas. Le hasard les conduira à se retrouver. Ils séjourneront tous les deux sur le continent africain, Romance, la juive, en Afrique orientale et Raphaël, le fils de paysan, au Sénégal.

Dans ce livre, l’auteur nous plonge dans les années 70.

S’inspirant de son vécu, attaché au territoire de Djibouti et ayant voyagé en Éthiopie et au Yémen, il fera de ces trois pays, ainsi que du Sénégal qu’il a aussi visité, les lieux de son récit.

Le khat, plante hallucinogène, produite essentiellement dans la Corne de l’Afrique et dans la péninsule arabique, sera au cœur de ce roman. Les feuilles de cet arbuste, dont la consommation est interdite dans de nombreux pays au monde, croiseront l’arachide, l’or jaune qui, au lendemain de la colonisation, faisait les beaux jours du Sénégal bien que le marché soit pourtant contrôlé par la communauté religieuse des mourides.

Sans oublier la France, le narrateur intégrera les bouleversements de son agriculture liés à la construction européenne et à la mondialisation. Il vous sensibilisera au défi de la coopération internationale.

En lisant ce roman, vous serez entraînés au cœur d’une histoire humaine et sentimentale. Vous irez à la découverte de ces territoires d’Afrique, de leurs productions agricoles, de leurs religions et bien évidemment de leurs coutumes.

Chapitre 1

Le soleil, tout à son zénith, illuminait le vallon, offrant ainsi au regard un paysage très coloré. Quelques nuages ondulaient sur la colline. Bien que le moment ne soit pas à la contemplation, cette vision était cependant apaisante. En ce mois de juin, les travaux des champs étaient d’une grande intensité. Les Rougier n’échappaient pas à la règle, ils faisaient de longues journées. Bien que la chaleur et la poussière soient toujours très présentes, la mécanisation avait rendu le travail beaucoup moins pénible. Les orages n’étaient pas annoncés et pourtant la précipitation au travail était de mise. « Radio Luxembourg », par la voie de son Monsieur météo, ne prévoyait pas de pluie avant quelques jours. Les paysans, méfiants à l’égard de ces météorologues de nouvelles générations, avaient peu confiance dans ces prévisions radiophoniques. Ils croyaient davantage à l’avis des anciens et, comme eux, ils se fiaient à l’observation des nuages, à la direction du vent et à la couleur du ciel au lever du jour. Ce matin-là, ces éléments leur faisaient craindre une arrivée de la pluie dans les tout prochains jours. C’est pourquoi ils se hâtaient tous à effectuer les travaux. Cependant, la société changeait, la nouvelle génération d’agriculteurs, davantage réceptive à la modernité et aux technologies du futur, émettait des doutes à l’égard de ces observations ancestrales. Le monde rural était en pleine mutation. Le paysan laissait place à l’agriculteur ! Cette nouvelle terminologie faisait bougonner les anciens. À vrai dire, le bouleversement était tout autre.

Raphaël, depuis son plus jeune âge, accompagnait fréquemment son père accaparé par les travaux de la ferme. Curieusement, alors qu’il ne faisait quasiment rien, il éprouvait un sentiment d’utilité. Il considérait qu’il aidait beaucoup son papa ! En cela, il ne différait pas des autres enfants de la campagne. Il fallait le voir s’activer, chaussé de ses petites bottes en caoutchouc. Né prématurément, ses parents, dans la précipitation, lui avaient donné le nom du Saint du jour de sa naissance. Il ne semblait pas en être traumatisé. Les engins agricoles le fascinaient beaucoup. Il se tenait droit et fier lorsque André, son père, le prenait sur ses genoux au volant du tracteur. Si par bonheur quelqu’un était là pour le voir, il se redressait encore davantage. Alors son plaisir était immense. S’amuser aussi à courir après les agneaux dans la bergerie lorsqu’ils venaient d’être paillés semblait être également un bon moment. À peine était-il rentré de l’école qu’il se précipitait pour rejoindre son père. Parfois, dans l’excitation, il en oubliait de se changer, ce qui lui valait quelques remontrances de Marie, sa maman, surtout si, au retour, ses vêtements étaient souillés. Mis en confiance par l’œil complice de son père, il ne craignait pas ces gronderies.

Un soir après la classe, l’instituteur du village rendit visite à ses parents. Jamais il ne le faisait et cela inquiéta beaucoup le gamin. Ils accueillirent l’enseignant dans la cuisine. Cette pièce, comme chez tous les gens de la terre, était le lieu de vie. D’un regard, le père fit comprendre à son fils d’aller jouer dehors. Ce dernier s’exécuta. Ce n’était pas la première fois que le père écartait son fils de la conversation des adultes. Cependant, animé par la curiosité et persuadé que cette visite le concernait, ce dernier s’installa pour écouter derrière la porte. L’instituteur alla direct à l’essentiel.

— Je suis venu vous voir pour vous parler de votre fils. Il va quitter l’école primaire et je voudrais échanger avec vous sur son avenir. Comme vous le savez, il travaille très bien. La société évolue, certes, mais nous voyons encore beaucoup d’agriculteurs qui s’empressent de faire revenir très vite leurs enfants sur l’exploitation. Je pense qu’il serait bon que Raphaël fasse des études.

Avec discernement et sagesse, tout en évitant de trop afficher un dénigrement de la profession agricole de peur de froisser les parents, l’instituteur fit comprendre que leur enfant méritait mieux qu’un simple certificat d’études.À peine avait-il terminé sa phrase que le père lui rétorqua :

— Détrompez-vous,nous faisons le même constat. Nous savons également que les temps ont changé. La société est en grande mutation et l’agriculture n’échappe pas à cette évolution. Avec ma femme, nous évoquons souvent ce bouleversement et nous avons décidé que notre fils poursuivra ses études. Pour ne rien vous cacher, nous avons déjà pris contact avec une école privée, une institution catholique de Nancy.

Connaissant les positions anticléricales de l’instituteur, il ajouta.

— Peut-être auriez-vous imaginé un établissement public ?

Le maître se renfrogna un peu.

Les enfants issus de la « haute société » que l’on qualifiait également de bien-pensante, mais aussi les filles et fils de certaines familles d’agriculteurs appartenant bien souvent à l’aristocratie paysanne, fréquentaient ce genre d’établissements.

Sans se soucier de leur rang social, les Rougier avaient fait le choix d’une institution religieuse nancéenne, surtout parce qu’elle avait une très bonne réputation.

L’enseignant ne semblait pas pressé. Le père Rougier fit un signe à son épouse. Ils n’avaient plus besoin de se parler, instantanément cette dernière apporta des verres et une bouteille. Tout en servant, il s’adressa à l’enseignant.

— Goûtez-moi ça et vous m’en direz des nouvelles !

— Il est sacrément bon votre breuvage ! C’est quoi que vous m’offrez-là ?

— Du vin de groseille de l’année dernière. Nous en faisons un peu tous les ans. Pour tout vous dire, c’est plutôt le domaine de mon épouse.

Avec malice, il ajouta :

— Elle le réussit très bien. C’est elle qui le fait et c’est moi qui le bois !

Avant de remercier ses hôtes et de prendre congé, l’enseignant leur dit avec beaucoup de sincérité :

— Monsieur Rougier, j’ai toujours grand plaisir à échanger avec vous.Je trouve que vous avez une vision réaliste de notre société. J’ajouterais même que, contrairement à un grand nombre de vos collègues agriculteurs, vous ne geignez jamais.

— Merci. Vous me flattez beaucoup. À quoi bon pleurnicher. Je pense que les autres sont indifférents à nos soucis, de plus ils ont les leurs.

L’instituteur ne s’en alla que lorsque la bouteille fut vide. Tout guilleret et rassuré, il se satisfaisait d’avoir accompli son devoir. L’Éducation Nationale incitait les enseignants à encourager leurs élèves à poursuivre des études.

Cette attitude interpellait le monde rural. Les anciens assis sur leur banc installés devant leur maison, entre deux tas, l’un de bois et l’autre de fumier, glosaient sur l’évolution de la société. Ils comprenaient aisément que l’instruction était de plus en plus nécessaire, mais se méfiaient des gens trop instruits. Ils s’inquiétaient, car, de toute évidence, cette politique éducative allait dévitaliser les campagnes. Ne resteraient donc à la terre que les enfants de paysans les moins instruits et peut être les moins intelligents. Un des anciens prenait toujours plaisir à faire l’intellectuel. Radotant un peu, il s’exclamait régulièrement.

— Je vous l’ai peut-être déjà dit,ce n’est pas de moi, c’est de notre député, il le répète souvent « J’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers. » Je crois que ce n’est pas de lui non plus.

Ces amis ne réagissaient plus, ils avaient trop entendu cette boutade.

Les parents de Raphaël s’en inquiétaient aussi et les réflexions sur le sujet étaient fréquentes. Il se disait souvent qu’un tel était paysan parce qu’il ne pouvait et ne savait rien faire d’autre ! Ils avaient conscience que cette politique allait conduire le monde rural vers une diminution du nombre d’agriculteurs et fatalement à l’agrandissement des exploitations agricoles.

Cette mutation préoccupait au plus haut point les parents Rougier. Ils s’interrogeaient sur le devenir de leur exploitation. Il n’avait qu’un fils et voilà que ce dernier allait faire des études. Ils se rassuraient en se disant que tout n’était pas perdu, Raphaël pouvait poursuivre ses études et ensuite reprendre l’exploitation. D’ailleurs le père Rougier n’était pas pressé de laisser sa place.

Un jour, à la fin du repas, Joseph, le grand-père, un peu courroucé par tous ces débats, évoqua le sujet. Ce dernier, depuis le décès de son épouse, habitait chez son fils.

— Si je comprends bien toutes vos histoires, il n’y aura plus de Rougier sur la ferme. Je vous rappelle que nous sommes là depuis cent cinquante ans !

Le message était clair. André partageait les vues de son père. Il savait, mieux que quiconque, que plusieurs générations avaient fait fructifier cette terre. Il ne pouvait, lui non plus, imaginer que leur ferme soit exploitée par des étrangers à la famille. L’ancien évoquait souvent une histoire particulière qu’il avait entendue de ses parents. Ces derniers l’avaient reçue de leurs aïeux. Au dix-septième siècle, des membres de leur famille quittèrent leur village pour aller s’installer agriculteurs au Banat, une région d’Europe centrale, espérant ainsi un avenir meilleur. Raphaël en éprouvait une certaine fierté. À l’évidence, il fallait beaucoup de courage pour tenter une telle aventure, surtout à pareille époque. Les conditions de vie, en Lorraine, devenaient de plus en plus rudes. Les Habsbourg, pouvoir monarchique régnant sur l’Europe, encouragèrent cette migration. Cette région agricole était sous-exploitée. Attirés par cette distribution des terres, de nombreux Lorrains furent tentés par cette aventure. Le Banat était devenu un Eldorado, une sorte de terre promise !

En repensant à cette histoire humaine, André se disait, sans trop y croire, que demain ses terres seraient peut-être travaillées par des étrangers !

L’établissement scolaire qu’allait rejoindre le fils Rougier avait de bonnes références. La qualité de l’enseignement de cette institution religieuse n’avait d’égal que sa discipline. Bien que la plupart des élèves soient issus du monde rural, très peu se connaissaient. Ils étaient, pour la plupart, natifs de différents villages de l’arrondissement.

À la rentrée de septembre, Raphaël rejoignit cette école. Habitué aux grands espaces de la ferme et à une certaine indépendance, il vécut très mal les premiers mois d’internat. Il n’appréciait guère ces grands dortoirs et ces interdictions fréquentes de causer avec les autres. Il avait hâte de retourner dans son village, de retrouver ses parents et de jouer avec les animaux domestiques. Là-bas était encore son univers. Pourtant, son retour à la ferme ne se ferait qu’aux vacances.

Dans des moments de nostalgie, il se revoyait dans sa campagne avec les autres enfants de la commune. Il se remémorait tous les jeux et les farces qu’ils avaient faits ensemble, notamment quand ils allaient tambouriner à la porte de la « Marie ». Cette brave femme avait des difficultés à se déplacer. Quand elle sortait dans la rue pour voir qui venait la visiter, ils avaient tous déguerpi. Ils l’épiaient, cachés derrière un tas de bois. Elle brandissait sa canne en criant :

— Ah, les garnements, ils n’ont pas pitié de mes vieilles jambes !

Et, courroucée, elle refermait violemment la porte. Alors, ils laissaient éclater leur joie.

Épisodiquement, des souvenirs lui revenaient. La ferme, les animaux, ses copains de classe, avec lesquels il partageait les jeux dans la cour de l’école, occupaient ses pensées. L’image de cette gamine, scolarisée dans les petites sections, et qui était si belle lui revenait sans cesse. Quand les autres enfants l’importunaient, elle venait vers lui, chercher sa protection, en se blottissant dans ses bras. À chaque retour à la ferme, il interrogeait ses parents à son sujet. Sa famille n’était pas originaire du village. Elle y avait loué une maison et fréquentait peu les habitants de la commune.

À peine rentré, il se changeait et s’empressait d’aller saluer son père. Ce dernier ne le laissait jamais inactif. Après avoir échangé quelques mots, il lui trouvait instantanément une occupation. À la ferme des Rougier, l’oisiveté n’avait pas cours. Connaissant le jour de son retour, tout était programmé de longue date. La complicité masculine s’imposait très vite. Sa mère s’en attristait. Elle l’interpellait.

— Tu n’as pas de devoirs à faire ?

Espérant ainsi contraindre son enfant à rester au logis. Il lui répondait par la négative en hochant la tête. Elle avait compté sur lui pour faire quelques petits travaux dans la maison ou au jardin. Elle constatait que son fils lui échappait de plus en plus. Elle lui avait pourtant donné beaucoup de tendresse. Attristée, elle vivait ce que toutes les mères sont amenées à connaître. Elle avait pourtant beaucoup espéré que son histoire soit différente de celles des autres.

À chaque retour, Raphaël voyait le visage hâlé de son père se creuser de plus en plus. Il n’était plus aussi exubérant qu’avant. Le travail l’avait usé. La fatigue se lisait sur son visage.

Ses études secondaires se terminaient. Espérant que son fils allait lui dire qu’il souhaitait revenir sur l’exploitation, son père osa la question.

— Que souhaites-tu faire maintenant ?

Le fils n’était pas naïf, il savait que son père espérait son retour. Cependant, ne voulant pas lui déplaire, il lui fit une réponse de normand.

— Je pense que revenir maintenant à la ferme me semble prématuré. J’aimerais faire une école d’ingénieurs et pourquoi pas celle de Nancy, tu sais, l’École Nationale Supérieure de l’Agronomie et des Industries Alimentaires.

Le regard du père s’illumina. Les propos de son fils le rassuraient. Il ne lui avait pas dit qu’il ne souhaitait pas être paysan et de plus il envisageait de faire des études agricoles supérieures.

— Je te rejoins. Tu as raison, ainsi tu pourras acquérir une bonne formation te permettant de faire, plus tard, les choix les plus pertinents.

Il fut accepté dans cet établissement.

Chapitre 2

Un boucher nancéen, ami des « Rougier », pour les besoins de son commerce, s’approvisionnait régulièrement en animaux de la ferme. Les transactions se faisaient, à l’ancienne, en se tapant dans la main, validant ainsi l’accord des deux parties. Ses affaires étaient très florissantes. Elles l’avaient conduit à être propriétaire de plusieurs appartements à Nancy. Fréquemment, sans être plus particulièrement un homme d’argent, il abordait le sujet avec ses interlocuteurs.

Quand le père Rougier évoqua le départ de son fils vers la capitale lorraine, pour y faire des études supérieures, spontanément il lui proposa une chambre meublée.

— Tu vois André, je ne fais pas confiance à tous ces marchands de papier.

Il faisait allusion à tous ces démarcheurs qui proposaient des placements financiers au revenu aléatoire.

— Je préfère du « dur », du « bien au soleil », à tous ces titres fantoches. Ce ne sont que des papiers qui s’envolent au vent.

Le père Rougier ne le contredit pas. D’ailleurs, il n’avait pas de souci de cet ordre. Le peu d’argent qu’il amassait, il le réinvestissait dans l’exploitation agricole. Cependant, une fois par an, à la date d’anniversaire de leur mariage, il achetait un petit bijou à sa femme.

La chambre proposée à Raphaël était située sous les combles, en vieille ville, dans la « Grande Rue ». Bien qu’elle ne soit pas très luxueuse, cette petite pièce plaisait beaucoup au jeune étudiant.

Dans la rue, devant son habitation, au sol, une inscription réalisée en pavés l’intriguait. Elle indiquait uniquement un chiffre 1477. Il avait beaucoup de respect pour cette inscription. Il la contournait lorsqu’il marchait sur ce trottoir. Il se souvint que ces chiffres avaient un lien avec l’histoire. La femme qui occupait l’appartement du premier lui en donna la signification.

— Jeune homme, vous n’êtes donc pas du pays ? Cette inscription, « 1477 », est là pour rappeler la date de la bataille de Nancy. Elle marque l’emplacement où a été tué Charles le Téméraire, le duc de Bourgogne, donnant ainsi la victoire aux troupes du duc de Lorraine René II. Mon jeune ami, toute l’histoire de notre Lorraine commence là.

Face à une telle érudition, Raphaël mesura son ignorance. En baissant honteusement la tête, et avec humilité, il remercia respectueusement cette femme. Son inculture était flagrante, il en était complexé. Il est vrai qu’il se passionnait peu pour l’histoire.

Ses retours à la ferme étaient de plus en plus espacés. Selon ses dires, ses études l’accaparaient beaucoup. Ses parents n’étaient pas naïfs, ils savaient que si la vie étudiante avait ses contraintes, elle générait aussi ses plaisirs. Ce qui pouvait expliquer que certains jeunes prenaient du temps avant d’entrer dans la vie active. À chaque retour au pays, il éprouvait du bonheur à retrouver sa famille et l’environnement qui avait bercé ses jeunes années. L’intérêt qu’il manifestait rassurait le père Rougier. Il pouvait encore rêver de voir son fils lui succéder sur l’exploitation.

Raphaël n’avait pas non plus oublié cette petite gamine qui, autrefois, dans la cour de l’école, venait chercher protection auprès de lui. Elle occupait fréquemment son esprit. Elle s’appelait Romance. Il la revoyait à chaque vacance. Elle était maintenant devenue une belle et jeune demoiselle. Empreint de jalousie, il se dit qu’elle ne devait pas laisser les hommes indifférents.

En cette fin de premier trimestre, il quitta sa chambre mansardée, le cœur joyeux. Il se réjouissait de pouvoir passer les fêtes de Noël en famille. Cependant, les liaisons entre la capitale lorraine et son petit village ressemblaient à un parcours du combattant. Une vraie galère ! Dans Nancy, les transports urbains, dotés d’autobus diesel, remplaçaient dorénavant le tramway électrique. Il n’y avait rien d’innovant, de nombreuses villes adoptèrent ce mode de déplacement dont les gaz d’échappement rendaient l’atmosphère nauséabonde. Il se rendit à la gare et se présenta aux guichets.

— S’il vous plaît, un billet de troisième classe pour Lunéville. Le guichetier, tout en lui tendant un ticket, lui dit.

— Désolé, jeune homme, la troisième classe est supprimée. Votre train est en attente au quai principal. Il part dans dix minutes.

Il s’installa dans le premier wagon. En voyant le prix de son ticket de transport, il se posa la question de savoir pourquoi la Société Nationale des Chemins de fers Français avait supprimé la troisième classe. Il constata que la personne assise en face de lui consultait également son billet. Il n’hésita pas à engager la conversation.

— Vous semblez être comme moi, vous vous interrogez sur le prix de ce voyage.

La personne lui répondit :

— Oui effectivement. Habituellement je prenais un billet de troisième classe, mais cela n’existe plus. Ils l’ont supprimé. Pourtant, les tarifs étaient intéressants.

— Je suis en parfait accord avec votre analyse d’autant plus que je suis jeune et que le confort ne m’est pas indispensable.

Ils partageaient le fait que cette tarification modeste permettait au plus grand nombre d’utiliser les transports en commun. De plus, au nom de la modernité, les locomotives à vapeur alimentées au charbon lorrain avaient totalement disparu. Elles laissaient place à de nouvelles motrices diesel. D’ailleurs, le train qu’il empruntait ne laissait plus s’échapper son grand panache de fumée qui, en fonction de la météo, retombait parfois en pluie. Une odeur particulière, différente, se répandait dans les gares. Les deux voyageurs, peu soucieux du confort, éprouvaient une certaine nostalgie et considéraient que ce progrès générait surtout une augmentation substantielle du prix du billet.

Arrivé à destination, à la gare de Lunéville, il se mit à sourire. Il revoyait les images du film d’Henri Verneuil, « La vache et le prisonnier » avec Fernandel, qu’il avait vu au cinéma paroissial de Lunéville. Il fit le constat que contrairement à ce que la pellicule dévoilait, il n’y avait pas de souterrain et pourtant l’acteur comique et sa vache « Marguerite » utilisaient un tel passage. Les voyageurs qui l’accompagnaient, le voyant si joyeux, s’interrogeaient. Qu’est-ce qui pouvait bien faire sourire ce jeune homme. Certains faisaient probablement les suppositions les plus saugrenues. Ces compagnons de voyage étaient sans doute loin d’imaginer que c’était Fernandel et sa vache qui déclenchaient son rire. Ce dernier était tellement communicatif que les voyageurs se mirent à partager gaiement son hilarité. Il en conclut que la vie n’est pourtant pas un film, mais on peut dire qu’elle est une scène. Il y a, bien évidemment, un monde entre le cinéma et la vraie vie. Cela lui était confirmé.

À la sortie de la gare ferroviaire, il se dirigea vers celle des autocars situés à quelques pas de là. Il consulta les horaires. Alors qu’habituellement il y avait peu de temps d’attente pour obtenir une correspondance, un grand panneau affichait que des lignes, en raison d’un mouvement de grève, étaient supprimées. La prochaine liaison était prévue dans deux heures. Il prit son mal en patience et se dirigea vers le café Rivolet, une institution lunévilloise. Il poussa la porte. Son entrée passa inaperçue tellement les volutes de fumée et l’odeur de tabac rendaient l’atmosphère irrespirable et embrumée. Cette ambiance n’empêchait pas les potins d’aller bon train ! Dans ce café personne ne le connaissait. Des jeunes s’acharnaient bruyamment sur un flipper. Le juke-box diffusait « Elle était si jolie » d’Alain Barrière. En entendant cette mélodie, il ne put s’empêcher de penser à Romance. L’idée de la revoir le mettait en joie. Au comptoir, les consommateurs s’écharpaient au sujet de la journée de grève. Avec autorité, pour calmer les esprits, le cafetier offrit une tournée générale. Semblant avoir l’habitude de ces situations, il relança la musique et détourna la conversation en interpellant les clients un peu éméchés.

— Vous êtes au courant pour la famille Landmann ? Surpris, personne ne lui répondit. Alors qu’il continuait, Raphaël se redressa et prêta attention.

— Ils auraient quitté le petit village de la vallée où ils s’étaient installés il y a maintenant sept ou huit ans.

Attendant la suite, il tendit les oreilles.

— De ce que les gens disent, le père serait impliqué dans une affaire suspecte.

L’homme, installé derrière son bar, ne semblait pas vouloir en dire davantage. Cependant, face à la sollicitation présente des clients, il ajouta.

— Si j’écoute la rumeur, il aurait une activité plutôt louche en Afrique.

Cette information le surprit. Il aurait aimé en savoir plus, mais l’autocar qui devait le conduire au village venait de s’avancer.

Chapitre 3

À son arrivée à la ferme, il fut accueilli par sa mère. Après le moment habituel d’effusion, elle lui signala que son père était occupé, à la cave, à découper un sanglier. Chez les Rougier on ne badinait pas avec les principes. Si par malheur un de ces mammifères venait « braconner » dans les cultures, il était accueilli par un coup de fusil. On se faisait justice soi-même ! Au printemps, les pigeons ramiers avaient droit à la même punition !

L’accueil était chaleureux. Il était pressé d’avoir des nouvelles. Les travaux des champs, les animaux, l’évolution des cours de la viande ou du blé aiguisaient sa curiosité.

Son père, après lui avoir parlé de l’exploitation, lui annonça brutalement :

— J’ai deux mauvaises nouvelles à t’annoncer. La première, « le Gaston » est décédé.

— Que lui est-il arrivé ?

— Il s’est suicidé. Depuis que sa femme est morte, il n’avait plus de goût à la vie. Il ne sortait plus, il ne rencontrait plus personne. Il s’est pendu. Il avait tout organisé. Il avait laissé un mot sur la table de sa cuisine disant que pour son enterrement il souhaitait être enseveli dans le carré des indigents. C’était un homme d’une grande simplicité. De plus, en raison du suicide, le curé a refusé de célébrer ses obsèques. Paraît-il que le pape s’y oppose ! Le pauvre Gaston, il n’a pas eu droit à un enterrement de première classe.

C’était un brave type. Il n’était pas du village. Mobilisé en 14, il avait combattu chez nous. Il n’est jamais reparti. Il a rencontré la Marthe, une fille de la commune. Son mari était mort à la guerre. Il a vécu avec sans jamais passer devant le curé ni le maire. Qu’est-ce que les gens ont pu jaser. Il était incollable sur la météo. Tous les jours que Dieu faisait, il relevait les températures et la pluviométrie. Personne ne fera plus ça. Tu sais, sur le Gaston, les gens racontent beaucoup de choses. Il paraît que sa femme le trompait. Le marchand de bestiaux venait souvent visiter ses bêtes. Lorsqu’il était absent, il ne caressait pas que la croupe des animaux ! Raphaël un peu surpris lui répondit.

— Je n’avais pas connaissance de tout cela. Paix à son âme.

Etsouhaitant passer à autre chose de moins macabre, il interpella.

— Et la deuxième mauvaise nouvelle, c’est quoi ?

Son père lui répondit :

— Tu sais, la petite Romance qui était à l’école avec toi, dans les petites classes, eh bien sa famille a quitté le village.

Une ombre obscurcit le regard de son fils. Davantage préoccupé par la deuxième information, il eut un temps d’hésitation.

— Ils sont partis où ?

— On ne sait pas, un jour on a vu la maison avec les volets clos. Et au village personne ne sait où ils sont. Le maire n’a pas plus de nouvelles. Il faut dire qu’ils fréquentaient peu les habitants de la commune. C’étaient des « gens de la ville ».

Le fils évoqua ce qu’il avait entendu au café, à Lunéville. Son père n’avait pas eu d’échos concernant une affaire dans laquelle cette famille pouvait être mêlée.

Il répondit à son fils :

— Je n’ai rien entendu. Méfions-nous des ragots et surtout des discussions de bistrot.

Raphaël se sentit un peu déstabilisé par la disparition de cette famille. Il prit une chaise. Le père avait deviné depuis longtemps les sentiments de son fils à l’égard de cette jeune fille. Averti de son retour, il s’était posé la question de savoir comment annoncer cette nouvelle. Le jeune homme l’interrogea beaucoup. Le chien de la ferme, heureux de retrouver son jeune maître s’assit à ses côtés. Le père Rougier ne sachant quel nom donner à cet animal de compagnie l’avait appelé Black, sa robe étant noire. Son regard l’invitait à jouer. Mais il avait d’autres soucis. La plupart de ses interrogations restèrent sans réponses.

Le cœur blessé, il se ressaisit. Il ne pouvait pas rester sans nouvelles. Son objectif immédiat était de retrouver la famille. Il profita de ses vacances pour aller à la rencontre du maire. Ce dernier lui communiqua peu d’indices. La maison qu’ils habitaient n’était pas à eux. Ils la louaient. Le propriétaire résidait à Nancy. Le maire prit un vieux bulletin de vote, non utilisé, dans la pile posée sur le bureau de la mairie. Ces bouts de papier, nécessaire à la démocratie, lui servaient de bloc-notes. Il y griffonna une adresse et lui tendit le document qui, au verso, affichait le marteau et la faucille. Raphaël ne partageait pas les idées de ce parti politique. Il interpella le maire :

— S’il reste des bulletins, je peux être rassuré, c’est que tout le monde n’a pas voté communiste ! sourit l’élu.

Lui non plus ne partageait pas ces idées-là.

Après une nuit agitée, pleine d’interrogations, il décida de se rendre à la ville pour rencontrer le propriétaire. Il fut très bien accueilli, mais les échanges ne lui permirent pas d’avancer davantage dans ses recherches. Pourtant, un élément lui donna satisfaction. La famille avait réglé tous les loyers et toutes les charges. Il se dit, ce sont d’honnêtes gens. Le propriétaire lui expliqua qu’il les avait reçus dans son salon et qu’ils étaient accompagnés de leur fille. Et il ajouta :

— Un joli brin de femme, une belle petite brune, de plus très bien élevée.

— Vous ont-ils dit où ils allaient ?

Alors que son interlocuteur hochait de la tête négativement, Raphaël le remercia ravi tout de même de savoir que son hôte trouvait cette jeunette jolie. Raison de plus pour la retrouver. Le propriétaire le raccompagna jusqu’à la porte. Avant de se quitter, il lui dit :

— J’ai beaucoup échangé avec les parents. Bizarrement la conversation s’est orientée vers les problèmes du continent africain. Ils semblent être passionnés par ces territoires. Désolé, mais je n’ai pas d’autres informations. Cet indice t’aidera peut-être à les retrouver.

Sur le chemin du retour, son esprit était tourmenté. Il n’osait pas imaginer que cette famille s’expatrie en Afrique. Il s’interrogeait sur la manière dont il pourrait mener les recherches. Il disposait d’un seul indice, Romance venait de terminer sa scolarité dans un établissement scolaire de Lunéville. Une rencontre avec ses camarades de classe pourrait peut-être le mettre sur la voie. Ayant quelques années de plus, il ne les connaissait pas. Intérieurement, il se dit que lorsque l’on est au collège ou lycée, on se souvient davantage des plus grands que des plus jeunes.

Il y a quelques années, allant à l’encontre de l’évolution de la société, cette famille avait fait le choix d’habiter à la campagne. Ils venaient de la ville. Pourtant, dans la même période, les ruraux faisaient le chemin inverse. Ils étaient nombreux à quitter la terre, espérant trouver un avenir meilleur en zone urbaine.

Le lendemain, il expliqua à ses parents qu’il ne serait pas présent de la journée, prétextant des courses urgentes. Sa mère, par instinct, se rendait compte que son fils était contrarié. Cela la perturbait.

Tenace, il se rendit au lycée de Lunéville. La grille était fermée et il fit le constat qu’il n’y avait pas beaucoup d’activité. Cela n’avait rien de surprenant, il l’avait oublié, mais nous étions en période de vacances scolaires. Il appuya sur la sonnette. Instantanément une voix masculine lui répondit d’un ton bougon.

— Le lycée est fermé. C’est pourquoi ?

— Je suis Raphaël, le fils Rougier, j’aimerais vous poser quelques questions sur une personne qui a fréquenté votre établissement.

Instantanément le portail s’ouvrit et l’homme vint à sa rencontre.

— Vous êtes un fils Rougier, les paysans dela ferme au bout du village ?

— Oui, c’est bien cela. Je cherche une jeune fille qui a passé son BAC ici. Elle s’appelle Romance Landmann. Avec ses parents, ils ont quitté la commune et personne ne sait où ils sont allés. Peut-être pouvez-vous m’aider à les retrouver ?

— Effectivement nous avons accueilli une personne de ce nom. À vrai dire, si le patronyme est commun, le prénom l’est beaucoup moins. Cela aide à mémoriser. Malheureusement, je n’ai pas ses contacts, mais je peux peut-être vous aider à retrouver ses camarades de classe. Nous avons les photos de chacune des sections. Si vous pouviez me donner un indice. Quel âge peut avoir cette demoiselle ?

Raphaël n’avait pas besoin de calculer. Il répondit spontanément :

—18 ans.

Presque aussi rapide, l’homme sortit une photo d’un classeur et lui présenta. Son regard s’illumina. Cette fille apparaissait bien sur ce document. Il lui fallait maintenant identifier d’autres jeunes présents à ses côtés sur le cliché. Plus il contemplait cette image, plus il trouvait cette demoiselle jolie et attachante. Ses pensées s’égaraient. Il se ressaisit. Sur la photo, il reconnut certains visages. Ses recherches allaient pouvoir aboutir. Le responsable du lycée lui donna quelques noms et adresses.

Bien décidé, il s’en alla visiter un jeune qui figurait sur cette photo. Affairé à réparer sa mobylette, ce dernier ne l’entendit pas s’approcher. Son interpellation le fit sursauter.

Bien sûr qu’il se souvenait de Romance. Cela ne faisait pas si longtemps qu’il l’avait côtoyée. Ils étaient dans la même classe. Raphaël reprenait espoir. Craignant la réponse, il se décida tout de même à poser la question.

— Sais-tu où habite cette fille ? Elle est partie. Ses parents ont quitté notre village sans laisser d’adresse. Peut-être que tu peux m’aider à la retrouver ?

Son interlocuteur le fixa dans les yeux. Son regard en disait long et le rendit mal à l’aise. Ce jeune homme avait-il perçu ses sentiments ? Peu importe, il avait décidé de retrouver cette jeune fille et rien ne l’arrêterait. Les quelques informations fournies lui redonnèrent espoir.

— C’est possible qu’ils soient allés à Nancy. Romance nous parlait souvent de ces nouveaux logementsqu’elle avait visités avec ses parents,