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1190, Ogier, jeune chevalier franc, débarque en Palestine avec la troisième croisade. Fait prisonnier par le sultan Saladin, il promet d’aller chercher sa rançon dans sa Champagne natale. Après de nombreuses péripéties et son échec à réunir la somme, il retourne auprès du sultan pour se constituer prisonnier, fidèle à son serment. Mais Saladin, devant cette loyauté inhabituelle, le libère de sa parole. Sur le chemin du retour, une rencontre bouleverse tout : un amour interdit, une foi mise à l’épreuve, une errance incertaine. Et à Jérusalem… l’apaisement, peut-être.
À PROPOS DES AUTRICES
Bénédicte Tillet-Tardi et Marie-Noël Tillet-Savornin sont deux historiennes passionnées de romans historiques. Après "Catherine de la Guette, une femme libre", inspiré des mémoires de cette figure du XVII siècle, elles signent ici leur second ouvrage. "Une Aube sur le Bellus" puise sa source dans une légende familiale, qui les rattacherait au chevalier Ogier Saladin d’Anglure. Portées par une exigence historique rigoureuse et de riches recherches, elles mettent leur savoir au service d’un récit romanesque original.
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Seitenzahl: 171
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Bénédicte Tillet-Tardi
& Marie-Noël Tillet-Savornin
Une Aube sur le Bellus
© Lys Bleu Éditions – Bénédicte Tillet-Tardi & Marie-Noël Tillet-Savornin
ISBN : 979-10-422-7367-5
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« C’était il y a très longtemps dans les années 1170 », commença le vieil homme.
Il regarda la bande d’enfants assis auprès de lui, à même l’herbe folle juste fauchée. Ils se trouvaient à l’orée du village d’Anglure, un petit bourg de cette Champagne appelée un peu à tort « pouilleuse » à cause de la pauvreté de ses terres crayeuses. Il faisait encore tiède en cette fin d’été 1680 et comme tous les soirs, après le travail dans les champs, les enfants du village se retrouvaient auprès du père Émile pour écouter les histoires fantastiques et les légendes merveilleuses qu’il racontait avec tant de détails fascinants, sans doute un peu sorties de son imagination, mais qui faisaient rêver. Ils aimaient surtout les histoires presque mythiques survenues dans la région, à Anglure même, dans les lointaines années du Moyen Âge.
Parmi les enfants, il y avait le petit Ogier. C’était le fils unique du seigneur d’Anglure. Il s’échappait régulièrement du château, ses leçons terminées, pour rejoindre ses copains de bêtises et surtout boire sur les lèvres du vieil Émile les aventures de son ancêtre le chevalier d’Anglure, beaucoup plus palpitantes que celles racontées par son seigneur de père.
« C’était il y a très longtemps, dans les années 1170… » commença Léna un jour dans les années 1950.
C’était une jeune femme, grande, élégante, belle, qui aimait rassembler ses six enfants pour leur conter l’histoire fabuleuse et romancée de son ancêtre le chevalier Ogier d’Anglure, parti à la croisade pour délivrer le tombeau du Christ tombé entre les mains du sultan Saladin. Assis autour d’elle dans le jardin plein de soleil de la vieille maison de famille, ils écoutaient avec attention tout en se taquinant et en se bousculant en riant.
Ogier se réveilla soudain et resta quelques instants à l’écoute de ce qu’il pensait l’avoir réveillé. Il faisait froid et sombre dans la grande salle du château où ils étaient plusieurs à dormir. Le feu dans la cheminée commençait à s’éteindre. L’enfant rejeta la peau de mouton qui lui servait de couverture et s’étira sur sa paillasse de foin.
C’est le vent, pensa-t-il en se frottant les yeux. Il bâilla, mais il était complètement réveillé. Malgré les couches épaisses d’herbes odorantes jetées sur le sol, l’air était lourd d’odeurs aigres qui émanaient des dormeurs mal lavés. Il se leva doucement et nu-pieds, à pas précautionneux pour ne réveiller personne, s’approcha de la petite ouverture creusée dans la muraille et fermée par un volet de bois. Il faisait encore nuit noire mais une traînée lumineuse indiquait le proche lever du jour. Dans le grand chêne, une chouette hululait. Il décida de descendre dans la cour du château.
Ayant dans le noir rapidement revêtu une chemise, des braies de toile, le tout recouvert d’un bliaud, il chercha ses chausses qui avaient glissé sous le matelas. Toujours pieds nus, ses chausses à la main, il gagna l’escalier de pierre qui serpentait dans l’étroite tour du donjon.
Au bas des marches il arriva dans la cour silencieuse. On entendait seulement les pas et les grognements des archers marchant sur les courtines. Les chiens réveillés vinrent lui lécher les mains. La nuit, il n’avait pas le droit de quitter le château. Aussi se contenta-t-il de remonter un seau du puits pour boire et se passer les mains sur le visage. Il tourna en rond dans la cour que la faible lueur de l’aurore commençait à éclairer. Il espérait que Colin, le fils d’un ancien compagnon d’armes de son père, qui avait été élevé avec lui, se montrerait. Il avait plein d’idées de bêtises en tête. Mais seule la silhouette de Marie sa nourrice apparut entre les vieux murs. Conscient que si elle l’apercevait, elle lui ferait mille remontrances parce qu’il risquait de prendre froid si tôt, il décida de remonter dans la grande salle où il faisait quand même meilleur que dans la cour humide.
Ogier avait près de huit ans. C’était un enfant déjà assez grand et bien formé. Des cheveux blonds, très clairs, peut-être héritage d’un très lointain ancêtre nordique, encadraient un visage encore enfantin où des yeux, d’un vert très clair, qu’il tenait de sa mère, attiraient l’attention, tant le regard était perçant.
Il était né en août 1172, un an après la destruction par le feu du vieux donjon de bois battit sur une motte de calcaire et de terre. Reconstruit en pierre, le nouveau château avait belle allure. Autour du donjon rectangulaire, un premier mur d’enceinte puis des douves sèches, puis une deuxième enceinte avec chemin de ronde et échauguettes. À l’intérieur, la cour avec la basse-cour, les fours, le puits, les logis des serviteurs et des gens d’armes. Le donjon abritait le seigneur et sa famille.
Le château était construit sur un îlot au milieu de l’Aube, un affluent de la Seine coulant à quelques kilomètres plus à l’est.
C’était une petite rivière peu profonde, qui sinuait avec paresse, bordée de saules et de peupliers. Un moulin était construit sur le bord.
Au-delà, des fossés secs de cinq mètres de profondeur et de dix mètres de large, creusés en défense, protégeaient le château.
Du haut des lices, le regard portait loin, surtout vers l’est, là où le vallon creusé par la Seine étendait ses cultures. À l’ouest et au nord, le plateau de craie.
Dans le village blotti de l’autre côté de la rivière, des masures de torchis et de madriers de bois abritaient des paysans libres et quelques serfs appartenant au château. Ils cultivaient des céréales et des vignes sur les coteaux offerts au soleil. Le clocher d’une petite église en bois sonnait les heures. Contre son flanc ouest, la maison du curé et de sa famille. Plus loin, des guérets, des broussailles, et un chemin creux bordé d’aulnes conduisaient à la forêt. Les chevreuils, les sangliers, les renards et les loups y abondaient.
Ogier était orphelin. Sa mère était morte à sa naissance. Fils unique du seigneur de Saint Chéron, mort également quelques années plus tôt d’un accident de chasse, il était élevé comme le voulait la coutume par le frère cadet de son père, Renaud et la femme de ce dernier, Mahaut de Chateleine.
Renaud se souciait peu de l’éducation de son neveu sauf en ce qui concernait la formation au métier des armes pour en faire un futur chevalier.
Continuellement à la chasse, il quittait dès potron-minet le château accompagné d’amis des environs et de serviteurs pour chasser. L’hiver, c’était surtout la chasse aux loups que l’on entendait hurler la nuit et qui terrorisaient les paysans car les années de famine ils s’approchaient dangereusement du village et gare aux moutons et aux chèvres s’ils n’étaient pas enfermés dans les enclos.
Il s’absentait aussi régulièrement pour rejoindre son seigneur, le comte de Champagne qui tenait sa cour à Troyes ou à Provins.
Mahaut de Châtelaine, son épouse, n’avait pas d’enfants. Ceux qu’on croisait dans le château étaient le fruit des amours de son époux avec les servantes et surtout ceux de la jeune Perrine, la préférée. La dame du château avait pourtant, au début de son mariage, couru sources et fontaines miraculeuses, priant tous les saints du paradis pour essayer d’enfanter mais sans succès.
Très imbue de ses origines poitevines, proche des grandes familles normandes, Mahaut, maigre et sèche, passait ses journées à filer sa quenouille en compagnie de deux filles du village, Aveline et Miriam qui lui servaient de servantes. Elle s’intéressait peu à Ogier qui poussait comme une plante sauvage et ne l’aimait pas, elle n’avait jamais manifesté la moindre affection à son égard et il lui en voulait amèrement. Il trouvait la tendresse dans les bras de sa nourrice, Marie, qui savait lui parler avec douceur ou rigueur suivant les circonstances. Elle essayait de tempérer le côté batailleur d’Ogier et de développer une nature qu’elle devinait fière mais franche et droite. Il l’écoutait toujours avec respect et attention.
À peine remonté dans la grande salle du premier étage, Ogier vit qu’une servante avait rallumé le feu dans la cheminée et disposé à son intention, sur une petite table, une écuelle de gruau d’avoine, un bol de lait cru et une soupe chaude au lard. Ogier sentit la faim lui tordre l’estomac et fit honneur à ce premier repas de la journée.
Des bruits parvenaient de la cour. Rassasié et rempli de curiosité, il décida d’aller voir ce qui se passait.
Le matin s’était levé et un pâle soleil de mois de mars apparaissait par-dessus les remparts à l’est. Ogier reconnut la voix aiguë de son oncle, parti avant l’aube, qui l’appelait avec autorité.
— Venez, mon beau neveu, il vous faut vous entraîner au maniement des armes. Nous commencerons aujourd’hui par un entraînement au tir à l’arc.
Le garçon ne se formalisa pas de cet appel brutal, habitué qu’il était à la rudesse de son oncle.
Ogier préférait faire des pirouettes et des galops avec son cheval préféré, baptisé en secret Arthur, comme le roi des chevaliers de la Table ronde. Ses jambes atteignaient à peine les étriers mais quand on se rêve chevalier, on choisit le plus grand et le plus beau de l’écurie !
Il ne pouvait qu’obéir. Il avait déjà appris à soigner les chevaux et à nettoyer les écuries, ce qui faisait partie de l’éducation d’un futur écuyer. Il aimait l’odeur forte des chevaux, les brosser pour faire luire leur robe et les embrasser sur les naseaux.
Il suivit donc son oncle sans cacher son plaisir.
L’arc était trop grand et trop lourd pour lui et il avait bien du mal à le tendre correctement mais il eut la satisfaction de toucher plusieurs fois la cible.
Deux heures plus tard, Renaud, satisfait, l’abandonna pour aller se restaurer avec son écuyer.
Bien qu’épuisé et en nage, Ogier décida d’aller trouver Colin, son presque frère pour lui conter ses exploits. Il le trouva occupé à nettoyer la cour. Jetant des regards à la dérobée autour d’eux pour vérifier que personne ne les observait, les deux garçons s’enfuirent vers la campagne.
Leurs projets étaient d’aller dénicher des œufs de pies et de poser des collets pour piéger de petits animaux. Ils suivirent les chemins de craie qui montaient vers les bois, longèrent des sentiers bordés de buissons de noisetiers et d’aubépines, franchirent des haies de ronces, déchirant leurs bliauds et leurs genoux. Le temps s’était éclairci et un franc soleil était apparu, réchauffant l’atmosphère de ce début de printemps. Les yeux brillants de malice, la tête pleine de désirs de bêtises, les deux garçons décidèrent d’aller se baigner avant de rentrer au château.
L’eau de l’Aube était glaciale. Ayant jeté au hasard leurs vêtements, tout nus, ils s’agitèrent dans tous les sens pour se réchauffer et s’aspergèrent réciproquement avec de grands éclats de rire enfantins.
Encore mouillés, ils rentrèrent enfin poussés par la faim.
Dans la grande salle commune, éclairée par des torches en écorce de bouleau et dont les murs encore humides de l’hiver suintaient sous les tentures, un grand feu brûlait dans la cheminée. Marie, leur nourrice à tous les deux, les accueillit froidement et les gronda pour leurs tenues déchirées et leurs corps glacés. Mais ils se jetèrent dans ses bras et se frottèrent contre elle comme des chiots. Elle les enveloppa dans son bliaud de laine en les berçant tendrement. Ils s’échappèrent d’un coup et se précipitèrent vers une table basse sur laquelle étaient posées des écuelles remplies de viande et de légumes. Ils terminèrent leur repas avec des beignets de fleurs de sureau et des noix de l’année précédente. L’eau fraîche dans un pot de grès accompagna le repas.
Puis ils s’enfuirent à nouveau, pour échapper aux tâches que ne manquerait pas d’imposer la tante d’Ogier pour lui gâcher la vie alors qu’il faisait si beau dehors !
Le lendemain arriva au château, un moine qui venait de l’abbaye de Montier-en-Der, située à une vingtaine de lieues1. Il n’y avait pas de prêtre particulier attaché au château. Ogier avait appris à lire et des rudiments de latin avec le curé du village. Ce moine venait régulièrement pour compléter l’éducation religieuse d’Ogier et confesser la mesnie. Il restait plusieurs semaines, bien soigné par le châtelain et son épouse. Quand il était à Anglure, Ogier avait moins de liberté car il devait être assidu à ses leçons, il aimait l’Histoire sainte et particulièrement celle du Déluge et la fuite des Hébreux d’Égypte vers la Terre sainte. Il imaginait ce pays brûlé de soleil, où des chevaliers francs avaient combattu pour protéger le tombeau du Christ, il savait que certains étaient devenus très riches, possédant des territoires immenses où coulaient le lait et le miel comme c’était raconté dans la Bible2.
Quelques semaines plus tard, pour le récompenser de son obéissance, et pour tester son endurance, son oncle décida de l’emmener à la chasse.
Aux premières heures de l’aube, Renaud de Saint-Chéron, suivi de ses compagnons habituels et d’Ogier juché sur Arthur, tous armés de carquois remplis de flèches aux pointes acérées et de dagues, franchirent les fossés par le pont de bois. Ils s’élancèrent en galopant vers les bois que les rabatteurs avaient rejoints avant eux. La chasse dura toute la journée. Les cavaliers rentrèrent à la tombée de la nuit, fourbus mais heureux et satisfaits : six grands loups avaient été débusqués et tués. Ogier était fier de lui, il avait tenu toute la journée mais il était épuisé. Il refusa de rester au banquet qui suivit et s’écroula sur sa couche.
En mars 1186, Ogier aura bientôt quatorze ans. Il a encore beaucoup grandi. Sa musculature s’est considérablement renforcée avec les entraînements que lui fait subir son oncle. Très mince, on pourrait le croire maigre. Seul son visage garde encore quelques traits de l’enfance, surtout quand il rit. Et il aime rire et encore s’amuser avec Colin, son presque frère. Mais il a aussi pris conscience qu’il n’est plus un enfant. Il a appris l’escrime, l’art de la fauconnerie, et de la vénerie. Mais ce qu’il préfère toujours c’est s’occuper des chevaux. Il passe des heures dans les écuries à les brosser, curer les sabots, leur parler à l’oreille, leur caresser les naseaux. Il trouve auprès d’eux la chaleur qu’il ne trouve pas auprès des siens.
À la fin de l’été, un évènement important pour Ogier a eu lieu. Il vient d’être reconnu comme écuyer par son oncle. Désormais, il portera son écu, l’accompagnera dans les tournois et à la guerre. Une petite cérémonie a eu lieu dans la cour du château d’Anglure à laquelle ont assisté les habitants du lieu et ceux du village qui ont ensuite profité d’une abondante distribution de nourriture et de vin de la région. Dans la soirée, les seigneurs des environs, amis de Renaud de Saint-Chéron, accompagnés de leurs épouses et certains de leurs enfants, ont été conviés dans la grande salle du château à un banquet.
Une grande table a été dressée. Les invités se pressent autour. Se succèdent des plats succulents, des plus variés : grues et alouettes farcies, des ragoûts de cygnes, des oies à la longe de porc et à l’andouille, des gibiers de toute sorte, des brochets et des carpes pêchés dans l’Aube toute proche, des brioches au fromage, spécialité de la région, des darioles au chaource, des flans à la crème, des pâtisseries au miel et bien sûr, les vins du pays. On plonge les doigts dans les plats, on rit fort et on boit beaucoup. Ogier est le roi de la fête. En fait, il se fait oublier ; Il n’aime pas manger trop et surtout s’enivrer. Il déteste les excès qui se préparent. De plus, il commence à s’ennuyer.
— Viens, dit-il à Colin assis à côté de lui, on va voir les chevaux.
Ils se lèvent tous les deux et s’éclipsent discrètement. Personne, dans le brouhaha général, ne remarque leur départ.
Ils descendent en courant l’escalier à vis et Ogier, parti le premier se cogne brutalement dans une ombre recroquevillée sur la dernière marche.
— Qui êtes-vous ? crie-t-il furieux en s’écartant rapidement.
— Aïe ! vous pourriez faire attention !
Colin s’était arrêté deux marches plus haut.
L’ombre se déploie lentement et les deux garçons s’aperçoivent à la lumière de la lune qui brille à travers la porte de bois ouverte qu’il s’agit d’une toute jeune fille. Malgré la nuit, ils la dévisagent avec curiosité. Prise de terreur, soudainement à la vue des garçons, elle se redresse d’un seul coup. Elle n’a pas plus d’une douzaine d’années. Elle est très menue, enveloppée dans une pèlerine fourrée de laine d’agneau. Dans son petit visage, entouré de deux longues tresses blondes, brillent deux yeux pleins d’angoisse.
— Je m’appelle Alice de Saint-Nicolas, murmure-t-elle et j’étouffais dans la grande salle à cause de la chaleur. J’ai souvent du mal à respirer surtout quand il y a trop de monde, alors, je suis descendue pour chercher un peu d’air. Mais je vais remonter tout de suite, ajouta-t-elle précipitamment, ma mère va me chercher et s’inquiéter de mon absence.
— Ne craignez rien, damoiselle, je suis Ogier d’Anglure, pour qui tout ce vacarme a lieu et, comme vous, je cherche de l’air et surtout un peu de silence. Et voici mon ami Colin, mon frère de lait. Nous allons voir les chevaux, ils font moins de bruit !
Ogier hésita un instant puis, d’une voix un peu hésitante :
— Venez avec nous, les écuries ne sont pas loin et vous ne craignez absolument rien.
La jeune demoiselle fit un geste de dénégation puis regardant Ogier, elle sourit et d’un ton précipité, elle acquiesça.
— Oui mais ne le dites à personne, si ma mère l’apprend, je serai fouettée.
Ogier avait peu l’expérience des filles. Il n’avait pas de sœur et n’avait jamais prêté attention ni aux servantes de sa tante ni aux filles des paysans du village. C’était nouveau pour lui.
Il regarda le joli visage et rassura la petite fille :
— Allons, ne craignez rien, ma mie. Je sais comment ne pas me faire voir.
Il partit devant, Colin sur les talons et la jeune Alice se mit à les suivre, à peine étonnée de son audace. Devant les écuries, de grandes torches éclairaient l’entrée. Ogier en saisit une et se retourna. Avec la lumière, il découvrit le visage d’Alice. Il eut comme un coup au cœur. Deux yeux bleu-vert comme l’eau de l’Aube le dévisageaient avec confiance et calme. Il se sentit intimidé, lui l’écuyer adoubé dans la journée et si fier de son nouveau statut. Pétrifié, il la regardait toute répartie envolée.
Heureusement, Colin vint briser la situation qui devenait gênante en le bousculant pour pénétrer dans l’écurie. Les chevaux étaient calmes. Ils encensaient doucement et frissonnaient en grattant la paille de leurs litières.
Les trois jeunes gens restèrent un moment à caresser les chevaux et à leur parler à l’oreille avec douceur. Ogier présenta Arthur, son cheval favori, qui frissonna sous leur caresse.
Soudain, Alice sursauta. Un homme était entré. C’était Quentin le valet d’écurie qui venait faire son inspection coutumière. Il salua son jeune seigneur avec respect mais son arrivée chassa les jeunes gens des écuries.