Une fille de l'au-delà - Pao Sisu - E-Book

Une fille de l'au-delà E-Book

Pao Sisu

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Beschreibung

Un rêve, c'est banal pour des milliards d'individus, mais pour Isa, ses rêves prennent une consistance inattendue et inexplicable. Des crimes ayant été perpétrés 700 ans auparavant se reproduisant à l'identique aujourd'hui, ses rêves en sont-ils la cause ou la résultante ? est-elle devenue voyante ?est-elle une réincarnation du passé, ou une preuve de l'espace-temps avec ses univers parallèles ? alors, Isa est-elle coupable ou complice ou ...? sa vie calme et heureuse va s'en trouver fortement perturbée, ses rêves font le lien incontournable de cette énigme, jusqu'à la projeter vers une nouvelle vie.

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Seitenzahl: 479

Veröffentlichungsjahr: 2022

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AVERTISSEMENT /

Ce livre est une œuvre de pure fiction, que l’auteur fait se dérouler dans des localisations et des sites de localités, parfois réels, dans le but de donner au roman un cadre authentique qui permet au lecteur d’imaginer plus facilement le déroulement de l’action.

Les descriptions, les noms, de personnages, de faits, d’actions, de fonctions, existants réellement, ne seraient que fortuites, car issues uniquement de l’imagination de l’auteur et ne pourraient engager sa responsabilité.

En souvenir d’un fait réellement vécu et inexpliqué, qui me laisse penser que nous sommes encore très loin de tout maîtriser quant à la définition du temps passé et futur et de nos rêves.

Sisu

TABLE DES MATIERES

Rêves

Cauchemars

Le marché

Frison

Irréalité réelle

Couzan

Meurtres d’aujourd’hui

Meurtres d’hier

Avidités

Doutes

Clothilde

Prémonitions

Erreur ! Signet non défini.

Qui

Enquête

Complications

Jean le fou

Conséquences

Soupçons

Assaut

Chrystelle

Vérités

Accords

Révélations

Inquiétude

La mort rôde

Accident

Vengeance

Retour de Guy

Changements

Le couteau

Catalogne

Nouvelle vie

Dénouement

Rencontre

Disparition

Arrestation

Découvertes

Domaine

Nouvelle destinée

LEXIQUE :

Bachat :

pierre creusée servant d’abreuvoir pour le bétail

Bachelier

 : Jeune homme non marié ; vassal ou serf n'ayant pas de terre ; chevalier de rang modeste.

Baguenaud

 : Niais

Baron

 : Vassal ou seigneur important.

Bourgeois

 : Primitivement homme vivant du commerce dans une agglomération.

Ensuite, homme qui réside dans une ville et possède en conséquence la liberté. Il jouit de privilèges tels que l'autonomie judiciaire et l'autonomie financière.

Brassier

 : Ouvrier agricole, qui loue ses bras.

La

bride-bavarde

était un instrument de torture terrible. C’était ni plus ni moins qu’une muselière en fer, destiné au visage des « commères », ces femmes qui ne cessaient de critiquer, de dévoiler des secrets, de parler sur les voisins, etc. Dans la bouche, la bride-bavarde était équipée de pointes de métal qui lacéraient la langue à chaque fois qu’elle bougeait. Une façon tout à fait charmante de faire taire quelqu’un...

Buandière

 : qui lave le linge

Centenier

 : Fonctionnaire dépendant du comte, qui administrait une centaine, division territoriale, et présidait le tribunal de la circonscription.

Chambellan

 : Officier domestique chargé de diriger la chambre du roi, de la reine ou d'un prince. Il est chargé notamment des audiences.

Chambrière

 : femme de chambre

Chevalier

 : Celui qui a acquis la chevalerie par l'adoubement. C'est un noble ou gentilhomme d'un degré inférieur à celui de baron, un membre d'un ordre de chevalerie, dépendant ou fidèle d'un roi, d'une église ou d'un seigneur, auxquels il doit des services de nature surtout militaire.

Comte

 : Au Moyen Âge, fonctionnaire, révocable par le roi, chargé d'administrer des circonscriptions, puis titre héréditaire, qui devint honorifique au 15e siècle. Titre de noblesse entre ceux de marquis et de vicomte.

Connétable

 : Initialement chargé de l'entretien des chevaux, le connétable devient le conseiller militaire du roi ou du prince.

Couste

 : couche, matelas

Croque-lardon

 : pique-assiettes

Damoiseau

 : A l'origine, fils d'un Dominus ; gentilhomme non ou non encore armé chevalier

DRILLES

 : haillons, hardes

Ecuyer

 : Titre qui fut porté par les jeunes nobles aspirant à la chevalerie, qui apprenaient le métier des armes auprès d'un chevalier qu'ils servaient et dont ils portaient l'écu.

Linceul

 : draps

Louvrière

 : sexe féminin

Manant :

Paysan, vilain ou habitant d'un village.

Palefrenier

 : Esclave ou valet qui nourrit et panse les chevaux.

Seigneur

 : Individu disposant d'une autorité considérable sur des dépendants et des terres.

Serf

 : Paysan non libre, attaché à la terre et au seigneur qui le vendre.

CHAPTER UN

REVES

CAUCHEMARS

Jeudi 1er juin

L’aube se lève à peine, John, son bol de café à la main, aspire l’air à pleins poumons par la fenêtre ouverte sur le jardin. Cet air, parfumé par toutes les senteurs printanières, lui donne envie de prendre la route. Son périple va lui faire traverser la Haute-Loire et les hauts plateaux de l’Ardèche afin de gagner les Cévennes. Il adore ces routes, elles sont étroites, et parfois dangereuses, par contre la végétation y est belle, car préservée, il est facile d’oublier la civilisation croissante qui dénature tout.

Ces paysages donnent l’impression de changer d’époque, de siècle même, ou carrément de changer de monde. Ces prairies parsemées de centaines de fleurs sauvages, qui s’élèvent au-dessus de l’herbe rase, laissent imaginer des temps anciens, quand, bon gré mal gré, l’homme prenait le temps de vivre, puisque tout se déroulait au rythme de la nature. Et, comme toujours, la société a voulu accélérer le mouvement, de plus en plus vite, même les loisirs se vivent en accéléré. Heureusement, ici, pas d’industrie, seules les automobiles sont un lien avec le modernisme, mais sur ces routes on en croise assez peu.

Aujourd’hui, tout va trop vite, pas assez de liberté pour… flâner, encore quelques années et ce verbe n’existera même plus, supprimé faute de ne pas l’utiliser.

En partant tôt, John sait qu’il pourra profiter du paysage, sans stress. Pas de bouchons, sa progression risque juste d’être légèrement perturbée, parfois par une biche qui traverse ou un cycliste isolé, fuyant la circulation, avec comme seuls témoins, un rapace en train de chasser, et bien sûr pas mal de vaches affalées dans l’herbe tendre, brillante de la rosée matinale.

L’hiver, ce coin est aussi très beau, sauf que ces hauts plateaux sont souvent impraticables à cause d’énormes congères. Sur le plateau du Mézenc, les fermes sont construites semi-enterrées, seul le toit, chargé de lourdes lauzes de granit gris, dépasse du niveau du sol, unique moyen pour les agriculteurs de cet endroit, de résister à la Burle. Cette Burle dont la violence est telle qu’elle s’apparente à un véritable blizzard, et, a la triste réputation de tuer toute personne qui essaie de traverser ce plateau, à pied, en plein mauvais temps. Le paysage en est modifié, alternant entre de hauts murs de neige glacée, amassés contre les talus, et des champs gelés balayés par ce vent incisif qui vous transperce de part en part et ne vous laisse aucune chance.

Une fois, John a mis 9 heures pour arriver à le contourner, mais il savait que s’il arrêtait son véhicule, il risquait de rester longtemps avant que quelqu’un ne puisse le secourir. Pourtant, le parcours ne représentait qu’une cinquantaine de kilomètres, mais avec 40 centimètres de neige tassée, transformée en glace, en guise de revêtement sous ses roues et 2 mètres de poudreuse, de chaque côté de la voiture, impossible d’espérer une meilleure performance, la vraie performance avait été de ne pas rester bloqué.

Aujourd’hui, oui, c’est sûr, ce ne sera que du bonheur.

Salut John, tu pars déjà ?

Eh oui, chérie, le devoir m’appelle.

Quand rentres-tu ?

Demain, si tout se passe bien.

Tu n’en as pas marre de tous ces kilomètres ?

Franchement ? Non ! J’aime mieux cela que de rester bloqué ou d'avancer pas à pas dans des embouteillages interminables. Ces routes procurent un grand plaisir de conduite, elles ne sont pas confortables, mais elles ont une vraie valeur, me permettre de traverser des paysages sauvages et beaux.

C’est sûr, c’est magnifique, mais ces milliers de virages me donnent le tournis.

Parce que tu ne tiens pas le volant.

Peut-être, mais je m’en passe.

Tu as poussé un petit cri, cette nuit, j’ai cru que tu étais malade.

Non, j’ai juste fait un cauchemar. C’était très bizarre...

Comme tous les cauchemars.

Oui, mais pas que, c’était tellement réel que lorsque j’ai ouvert les yeux dans la chambre, je me demandais où je me trouvais exactement, il m’a fallu quelques secondes pour renouer avec la réalité !

Et où croyais-tu être ?

600 ou 700 ans en arrière.

Au moyen-âge ?

Quelque chose comme cela, entre les années 1000 et 1400, compte tenu du type de vêtements que portaient les gens.

Et que se passait-il ?

Au début de mon rêve, je ne sais pas vraiment, j’étais bien habillée, les passants me saluaient d’une manière affable et respectueuse, l’endroit où j'habitais semblait très fortifié, un peu comme un château.

Ce n’est pas vraiment un cauchemar !

Tu as raison, je ressentais même du bonheur, j’étais heureuse de vivre, puis j'ignore ce qu’il est arrivé, mais avant de me réveiller, j’étais dans une forêt aux arbres très serrés, la lumière ne filtrait pas et j’étais entourée de loups.

Des loups ?

Oui, je pense que je me suis réveillée juste avant qu’ils me dévorent.

Effectivement, la fin n’est pas très sympa. Bon, je vais y aller.

John !

Oui.

J’ai peur !

Pardon, de quoi ? Des loups ?

Peut-être, ou alors c’est plus le côté très réel de ce rêve, je n’ai jamais ressenti cela.

D’accord, le coup des loups est un peu chiant, sinon tu étais plutôt favorisée, peut-être riche ou noble, ou les deux, et puis ils ne t’ont pas attaquée, tu as simplement supposé qu’ils allaient te dévorer

Et pourquoi n’arrivais-je pas à sortir de mon rêve, même éveillée ?

Écoute, des loups, ici il n’y en a aucun, nous sommes dans le troisième millénaire, le printemps s’annonce radieux, tu vas prendre un délicieux café qui va te remettre les idées en place et dans 1/4 d’heure, tu auras oublié tes loups.

Je crois que je vais appréhender de m’endormir à nouveau.

Mais non, ma chérie, on fait rarement le même rêve 2 fois de suite. Dans quelle région était-ce ? En France ?

Je pense que oui, la seule chose dont je suis sûre, c’est le nom de la petite rivière, le Lignon, comme la rivière de la Haute-Loire.

Montagneux ?

Oui, de la moyenne montagne comme les Vosges ou le Massif central.

Cela pourrait bien être la Haute-Loire, alors.

Oui, les paysages étaient semblables, par contre, rien de ce que je connais, comme je viens de te le dire, il y avait ce cours d'eau, Le Lignon, très différent de celui de la Haute-Loire, nous l’avons parcouru assez souvent pour que je me repère.

Effectivement, la région du Lignon, nous y avons pas mal traîné les week-ends, et nous y avons pêché, et cela ne te rappelait rien ?

Je sais, sauf que dans mon rêve, les contours du paysage étaient autres, ce Lignon, que je voyais, était plus petit et moins sauvage que celui où nous avons pêché. Remarque, rien ne dit que ce rêve était en référence à une réalité.

C’est vrai, et en y réfléchissant, il y a une seconde rivière qui s’appelle aussi le Lignon, dans le département de La Loire. Connais-tu la région de Noirétable, Boën-sur-Lignon ?

Non, où est-ce ?

Entre Montbrison et Clermont-Ferrand, sur l’ancienne route.

Alors, c’est sûr que non, avec mes parents, les balades étaient surtout axées sur la vallée du Rhône et plus tard, avec toi, dans la Haute-Loire.

Cet endroit est joli et sauvage, moins fréquenté que la Haute-Loire. Et aussi bizarre que cela paraisse, ces deux rivières, finalement pas très distantes l’une de l’autre, portent un nom similaire et sont toutes les deux des affluents de la Loire, j’ai toujours trouvé surprenant d’avoir baptisé deux rivières qui affluent sur un même fleuve, d’une appellation identique.

Pourquoi penses-tu à cet endroit ?

Pour la similitude. Je me souviens d’un petit cours d'eau qui s’appelle l’Aix, avant on y attrapait des écrevisses, et pas très loin, le Lignon. En progressant sur les monts, la forêt y est particulièrement épaisse et sombre, comme impénétrable, d’où son nom, peut-être, les « Bois Noirs ». Cela correspond un peu à ta description. Bon, maintenant, je file.

La fosse aux loups, 1367

Elle a du mal à lever ses paupières, à chaque inspiration une douleur aiguë lui traverse le dos et lui envoie des éclairs dans la tête, jamais aucune blessure ne lui a jamais créé cette sensation. Quelqu’un lui passe certainement un linge humide sur le visage, par contre l’odeur est forte, aigre, dérangeante, inconnue. Elle ouvre doucement les yeux, tout d’abord un voile gris, puis un brouillard qui se dissipe... dévoilant une gueule noire qui recule en grognant, ce chien devait la lécher. Ce n’est pas un de ses dogues, celui-ci est très gros et sombre, ses yeux brillent comme de l’or.

Elle réalise brutalement qu’en guise de chien, c’est un loup, un loup énorme et noir qui est au-dessus d’elle. Autour, d’autres loups qui poussent de petits cris aigus, certainement impatients de dévorer leur proie.

Un grand frisson parcourt tout le corps d’Isabelle, elle tremble sans arriver à se contrôler, pourtant elle n’est pas vraiment effrayée, c’est surtout son dos qui lui procure un mal atroce, auraient-ils déjà commencé à la manger ? Elle a parfois vu des moutons dépecés par des loups, ils attaquent par le cou et ensuite les entrailles, alors pourquoi son dos ? Elle lève la tête pour mieux voir son agresseur.

Ce gros loup, qui la fixe, ne semble pas très menaçant, il se contente de la surveiller. Ce regard doré, très direct, sans peur, elle le connaît, oui, elle est persuadée de reconnaître ce loup, le seul qu’elle a pu approcher au point de le toucher, et il n’avait manifesté aucune agressivité. Elle l’avait même probablement protégé d’une mort certaine, ce jour-là. Les paysans et son père auraient tous voulu tuer ce prédateur, dont la patte était prise dans les mâchoires d’un piège de fer. Heureusement elle était intervenue.

Son père, Guy, encore une fois avait cédé à sa fille, tout en sachant qu’il s’exposait à de nombreuses protestations des éleveurs, s’ils apprenaient qu’il délivrait les loups. Oui, elle en était sûre, la tache claire en forme d’étoile sur l’oreille droite était une preuve, c’était le même loup, d’ailleurs elle l’avait surnommé Etoile, ce jour-là.

Devant la passivité de la bête, Isabelle se redresse, difficilement, pour soulager son dos, cette douleur l’empêche de respirer normalement. Elle passe sa main derrière ses omoplates et la retire couverte d’un liquide tiède et poisseux, du sang ! Puis ses doigts butent sur un objet dur, qui rentre dans son dos. Elle ramène sa main pleine de sang, et la cache rapidement dans les plis de sa robe, le sang risque d'aiguiser l'appétit des loups. Est-ce ce sang qui les a attirés ici ? Probablement, ils le sentent à des kilomètres.

Par de brèves accélérations, la horde commence à se rapprocher, oreilles rabattues en arrière, en laissant échapper de petits hurlements d’excitation, le cœur d’Isabelle se contracte, la curée est proche et c’est elle le gibier. Jamais elle n’a pensé à sa mort, son insouciance d’enfant, sa joie de vivre, la protection de son père, tout lui permettait d'espérer la vie, une vie privilégiée et heureuse, mais ce qui l’attend à l’instant est d’être déchiquetée vivante.

Etoile se retourne brusquement face à la meute en poussant un grondement féroce, tellement puissant qu’Isabelle en a ressenti la force des vibrations dans tout son corps. Le loup noir arrache un énorme bond et fonce, visant le plus hardi de la bande, celui qui était le plus proche d’Isabelle. Des grognements, des cris de souffrance et de rage sortent du nuage de poussière soulevé par les bêtes qui roulent l’une sur l’autre. Puis, Etoile se redresse, les pattes arc-boutées, babines retroussées dans un rictus impressionnant, il est tendu comme un ressort, alors que l’adversaire, la queue entre les pattes, s’éloigne en glapissant. Toute la meute, prudente, se retire derrière la première rangée d’arbres. Étoile revient vers elle, doucement, et s’assoit à un mètre, la regardant fixement de ses yeux qui luisent d’une rare intensité. Elle n’en revient pas, il la protège !

Isabelle essaie de relever le torse, péniblement, cette chose dans son dos déclenche des vagues d'élancements à chaque mouvement, il faut qu’elle la retire. Elle se contorsionne en gémissant, arrive à saisir ce qui semble être un morceau de métal et, dans un cri de rage, arrache l’objet. La douleur transperce sa tête et sa poitrine, ses yeux pleurent sans qu’elle puisse retenir ses larmes. Elle entreprend de respirer rapidement, comme si elle était essoufflée, elle a vu certains soldats blessés agir de cette façon lorsque le médecin retirait les flèches de leur corps. Petit à petit, son cerveau retrouve un peu de sérénité, la souffrance est moins intense, moins profonde.

Ce métal sanguinolent, qu’elle tient entre ses mains, est tout simplement un couteau, un très beau poignard. Quelqu’un l’a poignardée ! Oui, poignardée et jetée au fond de cette combe, que l’on appelle la fosse aux loups, car ils viennent souvent s’y abriter. La personne, qui lui a planté cette dague dans le dos, voulait faire disparaître son corps et laisser supposer que les loups l’avaient dévorée. S’il n’y avait pas eu Étoile, elle serait certainement déjà déchiquetée. Elle examine l’objet, et commence à comprendre en reconnaissant le blason sculpté sur la garde du poignard.

Cette arme, ces armoiries, sont une signature, qui désigne à coup sûr le coupable et elle connaît les raisons de cette tentative de meurtre. La colère prend la place de sa douleur et la hargne la pousse à se lever d’un coup. Elle avance de quelques pas en titubant. Étoile recule légèrement, puis se rapproche de nouveau et pousse une des mains pendantes d’Isabelle avec sa truffe, puis, lui tournant le dos, s’éloigne en direction de l’épaisseur de la forêt, il jette des coups d’œil en arrière pour vérifier ce que devient Isabelle.

Un pied après l’autre, elle progresse derrière l’ombre noire du loup, comme un automate, pour le moment, elle n’a qu’un repère, elle n’a qu’un seul ami, ce loup. La meute est tout autour d’elle, bruyante, mais prudente. Toute sa vie vient de basculer, si elle survit, plus rien ne sera comme avant.

Vendredi 2 juin

Bouche grande ouverte, elle aspire l’air bruyamment, elle a la sensation d’étouffer. Isabelle, assise sur son lit, tourne la tête de droite à gauche, en haletant, les yeux exorbités, comme quelqu’un qui sent la mort arriver, les mains crispées sur les draps, une crise de panique vient de la réveiller.

Petit à petit, sa respiration se calme, laissant sa chemise de nuit, collée sur son corps, trempée de transpiration. Elle reconnaît sa chambre et aucun loup n'est présent, elle en est presque surprise. Elle vient de se réveiller, par contre, comment un rêve peut-il être tellement réel ? Que lui arrive-t-il ? Jamais elle n’a connu ce genre de sensations, son cœur bat toujours très fort dans ses oreilles, un ressenti très désagréable.

Elle a souvent rêvé des bêtises, mais là, elle les vit aussi fort que si elle était éveillée. Un doute traverse son esprit imprégné de sa peur, en réalité, à quel moment rêve-t-elle ? Laquelle de ces deux vies est-elle la bonne, la vraie ?

Remettre en cause ses facultés de discernement de la réalité, contribue à encore plus l’angoisser. Machinalement, elle se pince, juste un peu trop fort à cause de son corps rempli d’adrénaline, ce qui la surprend, elle sursaute et cri de douleur. Qu’en est-il de son dos ? Avec précaution, elle passe sa main, qui ne détecte aucune plaie, il lui semble pourtant en ressentir la douleur.

Elle saute hors du lit et fonce à la cuisine, allume toutes les lampes. À la lumière crue, elle vérifie son état. Le reflet de sa silhouette dans la glace, en chemise de nuit, propre, sans blessure, lui apparaît, et la rassure. Elle est trempée de sueur, mais aucune plaie apparente.

Il est 5 heures du matin, trop tôt pour se lever, par contre, se recoucher et éventuellement replonger dans son rêve l’inquiète, elle préfère lancer la cafetière qu’elle a préparé la veille.

Ce qui la perturbe ? La force de ce qu’elle éprouve, dans ses rêves, les conséquences de son rêve, le ressenti physique alors qu’elle est réveillée, tous ses muscles sont tétanisés, douloureux.

Peut-être couve-t-elle une maladie quelconque, et c’est la fièvre qui crée ce délire. Elle va jusqu’à la salle de bain et applique le thermomètre électronique contre son front. Après 1 minute, il affiche 36,9°. L’explication n’est donc pas là.

Qu’a-t-elle lu dernièrement ? Quel film a-t-elle regardé qui aurait pu enclencher ce genre de cauchemar ? Elle voudrait trouver une solution, cela la rassurerait, mais rien ne lui vient, rien sur le moyen-âge, rien sur les loups.

Après réflexion et un grand soupir, la raison reprend le dessus, pourquoi ne pas accepter ce phénomène, ce rêve ne lui procure aucun risque dans sa vraie vie, environ 700 ans la séparent de ces évènements tragiques. Et ce loup, cette puissante bête noire, semble être là pour la protéger ! pas pour la dévorer ! Quelle gourde elle est, de se laisser impressionner comme une enfant, pense-t-elle, avec un petit rire gêné.

Une fois sa tasse remplie, les volutes du café titillent ses narines, cette boisson chaude finit de la reconnecter avec elle-même, avec cette Isabelle qui a une petite vie tranquille.

Isabelle ! C’est aussi le prénom de la gamine de ses rêves ! Cette similitude a dû contribuer à cette implication dans ces songes. En face d’elle, la télé commence à régurgiter les nouvelles des journaux, cela lui permet de reprendre pied dans cette vie du 21e siècle, loin des coups de poignard et des meutes de loups.

Le reste de la journée se déroule sans problème et surtout loin de ses rêves perturbants. Et puis, son nouveau livre l’absorbe rapidement. Elle adore lire, elle préfère cela aux films, beaucoup plus de détails, les sentiments et sensations sont plus présents. Peut-être que, finalement, elle est réceptive à effectuer des rêves de ce genre, son cerveau agit souvent comme une éponge, sans qu’elle en ait vraiment conscience.

Le soir, lorsqu’elle se met au lit, c’est John qui occupe ses pensées, elle le connaît, il forcera pour rentrer ce soir, quelle que soit la route qu’il doit parcourir, mais à quelle heure ?

Elle s’étire, après une journée un peu longue, elle éprouve un réel plaisir à retrouver son matelas moelleux.

LE MARCHE

#

Dès qu’elle entre en somnolence, elle bascule 700 ans en arrière, cela se réalise en 1 seconde, comme un déclic d’interrupteur.

Montbrison, 1367

Cette fois pas de loups, elle passe d’étal en étal, sur un marché en plein air, ils débordent de légumes, de fruits, de pièces d’étoffe. Des gens, par centaines, déambulent autour d’elle, dans un charivari de bruit et d’odeurs qui vous tournent la tête, et elle aime cette ambiance chaude et vivante.

Ses narines sont fortement sollicitées, à la fois par les émanations de transpiration de la foule, par celles des bêtes, et le tout mélangé aux puissants parfums des épices et des fruits exotiques. Le marché de Montbrison, le plus important de la région, reçoit des produits de pays encore très peu explorés, grâce à sa place stratégique, sur la route qui relie la Bourgogne et Lyon, à celle de Clermont-Ferrand et aux ports de l’Atlantique. La diversité des choix attire des acheteurs de tout le Forez. Toutes ces saveurs inconnues arrivent de l’Afrique et Isabelle rêve de partir découvrir ces pays fabuleux. Ses plus grands voyages, jusqu’à aujourd’hui, se résument à quelques comtés voisins que son père lui a permis de visiter, et à Montbrison où elle effectue les achats avec Berthie, une fois par mois.

Au cours de ces petits voyages, elle a eu plaisir à découvrir, soit une nouvelle commanderie pour soigner les malades, ou de nouvelles fortifications pour se défendre des routiers et autres brigands. Parfois, la découverte se limite à des gibets, érigés dans tous les comtés, tellement il y a une grande recrudescence de vols et d’assassinats. La guerre contre les Anglais crée des épisodes de disette et des périodes troubles, favorables au développement de ces bandes armées.

Elle a assisté, une fois, à l’exécution d’une sentence, cette brutalité et le déferlement de haine de la foule, lui a fortement déplu. Punir, n’oblige aucunement à se conduire en sadique, et que dire des spectateurs qui s'y complaisent pour satisfaire leurs bas instincts et pour combattre leur propre peur, comme si ce déchainement de fureur pouvait les protéger. Elle aimait son père pour tout un tas de bonnes raisons, et surtout, car il n’était pas un seigneur comme les autres, il refusait de voir appliquer une quelconque torture à qui que ce soit.

Ces déplacements lui permettent aussi de découvrir les tenues des Dames, ces draperies lourdes et chatoyantes qui mettent leur poitrine en valeur. Elle est encore trop jeune pour avoir de jolis seins, et de toute façon elle n’est pas pressée de commander une de ces robes. De plus, son père commence à lui parler mariage, car elle a passé ses 15 ans. Il ne semble, malgré tout, pas pressé ni inquiet de lui trouver un galant, pourtant elle est belle et sans fratrie, donc seule héritière du château de Couzan. Si cela ne dépendait que d’elle, son désir serait de rester au château, Isabelle ne souhaite pas quitter son père et ses amis, elle aime être libre de courir à travers champs avec ses chiens. Ici, tout le monde la connaît et les gens semblent contents de la voir et elle se sent bien avec eux, bien que son père lui en rappelle régulièrement le reproche, lui demandant de maintenir une distance qui correspond à son rang. Et puis pourquoi s'embêter d’un mari ? Déjà, il serait impératif qu’il lui plaise et les quelques garçons qu’elle a rencontrés, jusqu’à aujourd’hui, étaient soit trop efféminés, soit des rustres puants et mal éduqués ou encore des niais proches de la débilité. Plutôt mourir que d’épouser ce genre de mari. Le seul mari qui pourrait lui convenir devra ressembler à son père, fort, chevaleresque, juste et gentil, pas moins.

Elle préfère continuer à courir la campagne, la forêt, où elle côtoie des biches et leur faon, ils ont rarement peur d’elle, parfois un sanglier qui grogne d’avoir été dérangé et même une fois un loup ! Bien sûr, cette fois-là, elle a réussi à l’approcher, car il était blessé, immobilisé, une patte prise dans les mâchoires d’un piège de fer, il était énorme et beau, tellement beau. Elle était restée longtemps à le regarder, fascinée. Il l’intriguait, imposant, tout noir, et résolument fier, il la fixait sans peur, pourtant il se savait à la merci de qui voudrait le tuer, d’une flèche ou d’un coup d’épée.

Quand elle commença à lui parler en avançant doucement, il ne manifesta aucune agressivité. Petit à petit, la distance avait diminué, jusqu’à le toucher. Il avait retroussé les babines sur des crocs beaucoup plus grands et impressionnants que ceux de ses chiens. Elle avait continué de lui parler avec douceur, elle voulait lui communiquer sa confiance. Quand elle se pencha pour essayer d’ouvrir les mâchoires de fer, son épaule gauche était contre la bête, elle sentait nettement ce poitrail se gonfler et se dégonfler au rythme de la respiration de la bête. Elle eut beau forcer, le piège resta fermé. Après réflexion, elle avait foncé au château et entraîné son père qui l’avait traitée de folle et avait pris son arbalète pour la suivre.

Sur place, elle avait repris son approche malgré l’interdiction véhémente de Guy. Le loup ne retroussa même pas les babines, cette fois. Le châtelain avait mis le loup en joue avec son arme, mais la passivité de l’animal le surprenait et quoi qu’il en soit, Isabelle faisait obstacle de son corps, complètement appuyée sur le loup, suppliant son père de venir l’aider.

Comme d’habitude, ce dernier céda, s’avança une dague à la main, prêt à frapper. Devant l’insistance de sa fille, il se baissa et écarta les deux mâchoires pour dégager la patte du loup, qui immédiatement exécuta un bond en arrière dès qu’il se sentit libéré. Au lieu de s’enfuir, planté au milieu du chemin, il avait regardé le père et la fille pendant quelques secondes, puis était parti tranquillement, en boitant.

Isabelle ne dit jamais à personne ce que tu viens de me demander, je n’aurais plus aucune autorité sur mes gens.

D’accord père, je garderais pour moi le secret de votre gentillesse. Je vous aime pour ce que vous faites pour moi, et encore plus pour ce que vous avez accordé à ce loup.

Tu aurais pu y laisser ta vie.

Non, père, il avait confiance en moi, j’en étais sûre, il avait compris qui j'étais et que je ne voulais pas lui nuire.

Ma fille, tu es trop hardie, cela te jouera des tours.

Ils étaient rentrés au château, sans mot dire, mais heureux de ce qu’ils venaient de vivre, ensemble.

Oui, elle l’aimait vraiment ce père, très différent des autres nobles, qui eux se servaient de leur position pour massacrer bêtes et hommes.

Elle sursauta, Berthie, la cuisinière de Couzan, l’appelait :

Amisa ! Tu dors debout ou quoi ?

Que me dis-tu Berthie ?

Que tu es plantée comme un piquet devant ces étals, sans bouger, que cherches-tu ?

Pour se donner une contenance, Isabelle prit un fruit qui ressemblait à une énorme pomme de pin avec des feuilles vertes très dures.

Je voudrais ce fruit.

Berthie l’attrapa.

C’est très lourd, mais le parfum est exquis. J’espère que l’intérieur est plus doux que l’extérieur.

Berthie questionna le marchand et commença à discuter le prix.

Croque lardon,

à ce coût, tu vas ruiner mon maître, pour toutes ces pièces que tu me demandes, je pourrais acheter un

boisseau

de blé.

Eh !

Gente

dame, allez acheter votre blé, ce fruit-là, c’est un ananas, il est unique dans ce monde, il a fallu 30 jours de bateau et 10 jours de cheval pour vous l’amener.

Est-il bon au moins ?

Franchement, je n’en ai jamais goûté, mais il paraît que c’est une douceur sans pareille dans votre gorge.

Isabelle prit le fruit et le fourra dans le panier. Berthie soupira et paya. Elle aimait bien aller au marché avec Isabelle qui trouvait toujours des produits inconnus, qu’elle-même n’aurait jamais osé acheter.

Berthie, tu diras à mon père que j’ai insisté pour ce fruit, il me traitera de sotte et sera aussi curieux que moi de le goûter.

Et moi j’en grignoterais un peu.

Parfois, tu grignotes de trop, Berthie.

Je ne vois pas du tout à quoi tu fais allusion.

Berthie, ne trouves-tu pas qu’il y a de plus en plus de mendiants ?

Les temps sont durs, Amisa, il paraît que les approvisionnements empruntent une nouvelle route, les

bourgeois

de Montbrison ont une grise mine, ils perdent de leur superbe.

Certains ne méritent pas notre compassion, leur arrogance dépasse parfois la bienséance due à leur seigneur.

L’argent, ma fille, tout le pouvoir est dans l’argent, plus ils sont riches, plus ils sont orgueilleux, méprisants. Cet argent devrait les rendre heureux et au contraire, cela les rend méchants. Il arrive parfois que quelques nobles désargentés leur donnent leur fils ou leur fille en mariage, en échange d'une dote conséquente, un peu comme si les bourgeois achetaient leur titre de noblesse.

J’aime mieux ma liberté que de me soumettre à ces tristes personnages.

Ta naissance te protège Amisa, mais le mariage t’enfermera.

Pas question, je prendrais un homme qui ressemblera à mon père.

Doux rêve ma petite, tous les mariages ne sont qu’une affaire de pouvoir, de terres ou de politique. Même chez les gueux ce sont les arpents de champs qui décident des unions. Et une personne aussi juste et bonne que ton père, je ne crois pas que cela se trouve sous le sabot d’un cheval, il te faudra chercher longtemps.

Mon père ne me mariera jamais de la mauvaise façon, il m’écoutera, il m'écoute toujours.

Que Dieu t’entende. Mais un châtelain, fût-il aussi courageux que Guy de Damas, est aussi le vassal de plus importants personnages en titre et ils sont nombreux, et il y a le Roi. Il se peut qu’il ne puisse décider.

Alors, je m’enfuirai.

Et où irais-tu ?

N’importe où, dans la forêt, dans un autre village, ou même en Afrique, là où poussent tous ces bons fruits, ou au royaume de Catalogne où ma mère est née, il paraît que c'est très beau.

Ma fille, quand on est née dans la noblesse, il est impossible de choisir de vivre en gueuse, à travailler dans les champs, à ramasser du bois pour se chauffer un peu l’hiver, de ne manger que de pauvres légumes flétris ou des tubercules moisis et véreux. Malgré ton courage, quelques jours suffiraient à te convaincre de revenir à ta vie de princesse. Et puis tu ne serais pas à l’abri de te faire attraper par un paysan plein de vinasse qui t’engrosserait et te frapperait à chaque soûlerie. Quant à la Catalogne, il faudrait que tu sois plus assidue à l’apprentissage de la langue, le colporteur se désespère de ton peu de patience.

Le voyageur catalan ne vient pas souvent et je n’irais certainement jamais.

Ne veux-tu pas rencontrer tes aïeux ? Une fois mariée, ce sera trop tard. Tes grands-parents doivent se languir de toi.

Peut-être, je ne sais pas, mon père n’y fait que rarement allusion, mais j’aimerais bien les connaître et qu’ils me parlent de ma mère. Mais toi, Berthie, tu n’as pas de mari !

Justement, pour éviter ce que je viens de te décrire. J’ai vu ma mère mourir de fatigue à force de retourner la terre, j’ai vu mon père devenir dément de ne plus pouvoir s'opposer à la maladie de mes frères et sœurs, et de devoir les mettre en terre, les uns après les autres. Puis cela a été son tour, et ton père m’a récupérée alors que j’étais seule au pied de la tombe de mon père, transie de froid. Il a arrêté son cheval, m’a regardée et m’a dit « suis-moi ». Lui aussi venait d’enterrer son père et il allait partir en croisade. Au château, il m’a fait laver, habiller, nourrir et j’ai appris ce jour-là qu’il pouvait exister une autre vie que de souffrir chaque minute de son existence. Ne plus avoir la faim qui t’arrache les tripes, ne plus avoir les mains et les pieds bleus de froid, et pouvoir avoir des couvertes pour dormir l’hiver, personne ne veut perdre cela. Pour ton père, je mourrais sans hésitation, s’il le fallait, je lui dois ma vie.

Mais, n’as-tu jamais eu d’amoureux, Berthie ?

L’amour... des racontasses pour faire rêver les petites princesses et qu'elles croient que, lorsque leur père les donne à un autre, c’est la promesse d’une vie d’amour. Le seul homme que je n’ai jamais aimé, en secret, est ton père, pour sa bonté et toutes ses autres qualités.

Le sait-il ?

Oh, non ! Je n’aurais jamais voulu le gêner.

Isabelle regarda Berthie avec attention. Finalement Berthie était beaucoup plus qu’une cuisinière, elle connaissait la vie, les gens. Et puis, quand Guy de Damas était revenu des croisades, il avait une petite fille avec lui, qu’il avait déclaré être la sienne, et, depuis ce moment-là, Berthie s’était occupée d’Isabelle. Cette dernière prit la main de Berthie et se serra contre elle.

Moi aussi, je t’aime Berthie.

Allons, allons, Amisa, trêve de verbiage, il faut rentrer bientôt, sinon je serais en retard pour préparer le dîner. Chargeons la charrette.

Isabelle admirait Berthie qui était une des rares femmes à mener un attelage. Pourtant quand elles allaient aussi loin du château, un bachelier et son damoiseau les accompagnaient pour les protéger, mais chacun à cheval, Berthie voulait rester maître de son charriot.

Mais, que fabrique ce palefrenier de malheur, que de temps il lui faut, pour choisir un cheval !

Je vais aller le chercher, Berthie.

Drôle d’idée de ton père que de lui confier autant de pièces d’argent.

Un cheval c’est très cher.

À condition qu’il n’ait pas confondu la taverne avec le marché aux bestiaux.

Je le ramène, Berthie.

Fais-toi accompagner par le damoiseau, pas question de te laisser seule au milieu de tous ces brigands.

Après quelques minutes de recherche, ils l’aperçurent qui tournait autour d’un cheval.

Que fais-tu Bertrand, cela fait des heures que tu choisis.

Damoiselle Isabelle, il y a beaucoup de bêtes, je ne voulais pas me tromper et décevoir mon seigneur votre père. L’un est trop vieux, l’autre trop gras, l’autre a des sabots déformés, ou la gale...

Mais, Isabelle ne l’écoutait plus, et avait foncé vers un cheval à la robe d’un noir profond marquée de cicatrices, mais au fier port de tête.

Celui-ci, Bertrand !

Mais, Damoiselle Isabelle, c’est une race bizarre, un mélange d’espagnol et de destrier.

Et alors ? Il est beau, non ?

Je ne sais pas.

À quoi le destine mon père ?

Pour l’attelage et aussi la chasse.

Celui-ci est très fort, non ?

C’est un cheval de frise, seuls les croisés les montaient pour se battre contre les Sarrasins

Est-il plus cher que les autres ?

Non, au contraire, ici, personne n’en a l’utilité.

Alors on le prend, paie et arrive, sinon c’est Berthie qui va venir te chercher.

L’arrivée au château, au retour du marché de Montbrison, attirait les autres serviteurs, pour décharger, bien sûr, mais aussi pour découvrir ce que Damoiselle Isabelle avait bien pu ramener comme nouveauté. Bien sûr, pour beaucoup, ces produits bizarres, ils n’en connaîtraient jamais le goût, mais cela leur permettait de rêver, eux aussi, et puis souvent, Berthie leur en gardait un peu.

Ils aimaient bien Isabelle, elle passait plus de temps avec eux qu’avec son père, elle voulait toujours les aider dans leur travail, elle était parfois gauche, cela les faisait rire, mais elle essayait et essayait encore. Et puis quand l’un d’entre eux était malade, elle n’avait de cesse que son père appelle un médecin de la commanderie de l’Hôpital-sous-Rochefort. Entre eux, ils l’avaient dénommée Amisa, une contraction de « amie et Isabelle », mais devant le châtelain, ils l’appelaient Damoiselle Isabelle, ce qui faisait beaucoup rire la jeune fille.

Sauf que cette fois, au lieu de leur montrer ses dernières découvertes culinaires, Amisa est plantée devant un grand cheval noir accroché à la charrette. Le palefrenier est resté en retrait, mort d’inquiétude, devait-il vite aller cacher ce cheval dans les écuries ?

Une voix forte leva son indécision.

Vous voilà enfin, j’allais envoyer la garde à votre recherche... par le

ventre bleu,

Bertrand, as-tu trop bu ? Je t’ai demandé un cheval, pas ce diable qui sort de je ne sais où !

C’est moi qui l’ai choisi, Père, c’était le plus beau et en plus, pas coûteux.

Que veux-tu que j’en fasse, trop haut pour l’attelage, je ne repars pas en croisade et il ne serait même pas bon pour la viande !

Non, mon Père, au contraire, il est tout en muscle, il est fier et sera rapide, quant à l’attelage, il suffira d’agrandir les courroies.

Isabelle, c’est la dernière fois que tu vas aux achats de Montbrison. Que tu nous ramènes des fruits ou des légumes bizarres, passe encore, mais un cheval bizarre qui a la valeur de 2 bœufs, cela me courrouce énormément.

Alors, tu prendras l’argent sur ma dote et ce cheval sera à moi.

La voix du châtelain fit trembler Bertrand tant elle était forte.

Ici, je suis le maître, ton père et ton seigneur, petite

gourdasse,

ma gentillesse a ses limites que tu franchis trop souvent. Le couvent n’est pas loin, ce qui me dégagera les jambes de ne plus t’avoir ici et cela te mettra de la sagesse dans la tête.

Père, vous seriez aussi triste et malheureux que moi.

Pas sûr !

Père, quand je vous rapporte un légume ou un fruit de ces pays lointains, est-il bon à manger ?

Étonnant, parfois, mais bon, je le reconnais.

Ce cheval, c’est exactement la même chose, il est issu des croisades que vous connaissez, vous aviez besoin de chevaux capables de résister à tout. Ce cheval réalisera tout, et mieux que les autres, je le sais.

Bon, Bertrand, soigne-le, cet animal, malgré sa jeunesse, n’a pas eu que de bons moments, semble-t-il. Après, c’est Damoiselle Isabelle qui sera chargée de son entretien, le panser, le bouchonner et le peigner, et de le mener au pré, tu ne t'occuperas que de le nourrir à l'étable. Quant à toi,

sorceresse,

va te rafraîchir, tu sens plus fort que l’écurie.

Bien, mon seigneur et maître.

Et elle s’échappa avec un rire clair et joyeux.

Le père secoua la tête, elle était née pendant ses croisades, d’une fille rencontrée en Espagne alors qu’il attendait l'arrivée d'un bateau pour embarquer à Barcelone. Lui et sa troupe étaient restés 1 mois à espérer ce bateau, et il était devenu fou d’amour pour Angelina, rencontrée alors qu’elle était venue livrer des marchandises, avec ses parents. Un véritable coup de foudre, il avait même envisagé d’abandonner les croisades pour rester avec elle. Il lui avait promis de la retrouver à son retour et, quand il taillait ses ennemis en pièces, il ne pensait qu’à elle, vaincre le plus vite possible pour la rejoindre.

Mais, rentré de ses batailles mauresques, quand il poussa la porte de l’hacienda des parents d’Angelina, il comprit que quelque chose n’allait pas. La nouvelle le ravagea complètement, lui, si fort, était laminé par la douleur et pleurait comme un enfant. Angelina était morte de la peste peu de temps après avoir donné naissance à une fille. Le coup avait été rude, et il avait quitté l’hacienda, dévasté. Plus tard, il était revenu à la ferme et avait demandé à voir l’enfant. Dès qu’il l’avait eu dans ses bras, cette fillette avait créé un lien entre Angelina et lui, elle ressemblait physiquement à sa mère, brune légèrement bouclée, ses yeux vert clair faisaient pétiller son visage, une Angelina miniature.

Depuis, l’espièglerie d’Isabelle le ravissait sans cesse. Elle était intelligente, apprenait vite, et était toujours attentive aux autres, trop parfois. Elle était plus intrépide que beaucoup de garçons, toujours à courir par monts et par vaux, d’ailleurs ils avaient tous renoncé, depuis longtemps, à lui enseigner la tapisserie, par contre elle était d’une adresse particulière avec une arbalète ou une dague. Il soupira, devait-il la marier ? et comment allait-il la marier ? Il avait beau y penser, il ne trouvait rien de satisfaisant, il ne connaissait aucun prétendant qui pouvait mériter une perle aussi rare. Son autre option lui semblait satisfaisante, mais il hésitait à la mettre en œuvre, car c'était se priver de sa fille qu'il adorait. Alors, il retardait sans cesse l’échéance…

FRISON

samedi 3 juin

Dans le noir, un bruit la fit sursauter. Elle se redresse, comment se fait-il qu’elle soit couchée ? Son père l’avait-il punie ? Pourquoi a-t-elle si chaud ? Sa main se promène sur le linceul qui recouvre sa couste, trop fin, trop doux, ce n’est pas son lit ! La porte s’entr'ouvre, laissant passer un trait de lumière crue, très blanche, qu’était-ce ? Rien de connu ne brille de la sorte, sauf le soleil en pleine saison des moissons, d’où pouvait bien venir une lumière aussi diabolique ? Elle sursauta.

Tu es réveillée, chérie ? Désolé, mais la porte m’a échappé et a claqué.

Une avalanche, de sentiments contradictoires, envahissent Isabelle ; que se passe-t-il ? Quelle Isabelle est-elle ? Si c’est John, c’est qu’elle n’est plus au château d’un siècle lointain. La lumière intense vient des halogènes du couloir. Un vent de panique la submerge, cette façon de tout confondre la perturbe de plus en plus, était-elle en train de perdre le sens de la réalité ?

Qu’as-tu, chérie, tu es bizarre, tu te sens bien ? Désolé de t’avoir réveillée brutalement.

Rien, ce n’est rien, qu’elle heure est-il ?

Bientôt 2 heures. As-tu passé une bonne journée ?

Oui, au marché...

Isabelle se mord les lèvres.

Ah, il y avait le marché ?

Non, je dis n’importe quoi, je suis mal réveillée, j’ai encore sommeil.

Rendors-toi, encore désolé de t’avoir réveillée

Isabelle se tourne sur le côté pour cacher son émoi, elle s’identifiait complètement à cette gamine du moyen-âge, au point de confondre leurs vies. Bien sûr, elles ont le même prénom, mais de là à mélanger 2 périodes aussi différentes, à 700 ans d’intervalle ! Angoissée de replonger dans son rêve, elle mit longtemps avant de s’endormir.

Quand elle se lève, John est déjà reparti. Elle se demande souvent comment il arrive à dormir aussi peu et ne jamais s’écrouler. Beaucoup de volonté, certainement.

Le petit déjeuner se passe tranquillement, elle repense à cette nuit et à ses rêves, ou plutôt à son rêve, car il y avait une continuité, une histoire qui s’étoffait de détails et de situations chaque fois plus précises. Comment peut-elle concevoir cette période, alors qu’elle n’en avait jamais entendu parler, à part quelques anecdotes sur Jeanne d’Arc, et était-ce seulement la même époque ?

Elle se met sur internet et vérifie : 1 412 / 1 431, Jeanne d’Arc avait 19 ans à sa mort, pauvre gamine, pensa-t-elle. Et son rêve, était-il avant ou après cette période, elle aurait bien aimé le savoir. Dans son rêve il était fait référence à la guerre contre les Anglais, mais cette guerre avait durée près de 100 ans. Finalement, elle commence à être curieuse de mieux connaître ce que son imagination inventait chaque nuit. Oui, imagination, car si elle ne l’avait pas lue, pas apprise la vie de cette époque, ce ne pouvait être qu’une invention pure et dure de son esprit. Quand elle réfléchissait aux détails qui lui apparaissaient, elle était impressionnée par ce que le cerveau était capable de fabriquer en dormant.

Un léger sourire étira ses lèvres, cette petite Isabelle commençait à lui plaire, elle était attachante, son esprit l’avait-il inventée pour combler un manque de sa vie actuelle, à elle ? Aucune témérité, une préférence pour une vie calme, contrairement à la fille de ses rêves. Un bon livre ou du jardinage, la satisfaisaient, par contre, elle aimait beaucoup les voyages et découvrir d’autres cultures, d’autres paysages. Et que dire de l’espièglerie d’Amisa ne lui ressemblait pas du tout, elle se considérait comme plutôt calme et pondérée, parfois un peu trop attentiste. Une explication différente, qui lui plaisait beaucoup moins, perdait-elle tout simplement la tête ?

Après avoir déjeuné et un grand tour dans le jardin, à replanter de nouveau pied de fleurs, elle se plongea dans son roman, un thriller qui se passait en suède. Ces écrivains nordiques savaient créer des atmosphères grises et froides, particulièrement propres à établir une certaine angoisse, toujours dans la crainte d’un danger, d’un avenir inconnu. Aimait-elle ce genre pour venir contrebalancer sa vie trop monotone

Quand, en fin de journée, John rentra, ils dînèrent rapidement et s’installèrent au salon pour prendre un verre. Il en profita pour lui raconter quelques péripéties de ces derniers jours. La sentant lointaine, il s’arrête de parler.

Que se passe-t-il ?

Pourquoi ?

Tu es ailleurs, je sais bien que mes histoires ne sont pas passionnantes, et là, tu as franchement décroché.

Un peu de lassitude, certainement.

As-tu eu de mauvaises nouvelles ?

Oh non, je n’ai pas eu un seul coup de fil. Le calme plat, comme d’habitude.

Au fait, où en es-tu avec tes loups ?

Ça va.

Mais encore ?

Plus de horde, fini le cauchemar.

Tant mieux. Cela t’avait pas mal angoissée.

La fille est toujours là.

Ils ne l’ont pas dévorée, alors.

Je ne sais pas si ces rêves respectent une chronologie, ce serait dommage qu’ils la mangent, elle est sympa. De plus, il se pourrait qu’elle soit copine avec les loups.

Sûr que l’on est dans un rêve, le copinage entre humain et loup est assez rare, bien que ce ne soit qu’une sorte de chien, un loup est terriblement sauvage, sa survie en dépend.

Il semble se souvenir qu’elle lui a sauvé la vie.

Dis donc, c’est un roman, ton rêve.

Tu ne crois pas si bien dire, quand je m’endors, je change d’épisode, en quelque sorte, heureusement, car les loups m’avaient effrayée, imaginer leurs crocs arracher des lambeaux de ma chair alors que je suis encore vivante...

Isa, ce n’est pas de toi qu’il est question.

Parfois j’en doute, d'autant plus qu’elle se prénomme Isabelle.

Ah, carrément ! Tu établis un transfert, c’est assez courant. Te ressemble-t-elle ?

En réalité, je ne la vois pas.

Pourquoi ?

Parce que ses yeux sont mes yeux, je vis toutes ces actions à sa place. Je sais juste qu’elle a 15 ans, brune, légèrement bouclée et les yeux vert clair, comme sa mère.

Dis donc, à part l’âge, il y a quand même pas mal de ressemblance avec toi.

Peut-être.

Que distingues-tu d’autre ?

Ses domestiques, son père, des commerçants, j’ai même acheté un cheval sur un marché aux bestiaux.

Tu n’y connais rien en chevaux !

Ce cheval était un cheval de frise, le genre de monture utilisé par les croisés, mon père était furieux. Ce marché avait l’air génial !

Ton père ?

Enfin, celui de l’Isabelle de mes rêves.

Sais-tu quand cela se passait ?

Non, pas du tout. J’aimerais bien le savoir, ce qui m’étonne, c’est que mon imagination construise des villes, des costumes, des personnages, d’une période que je n’ai jamais étudiée.

Oui, néanmoins, tu as dû voir des films, ton cerveau a enregistré plein de détails et il te les ressort.

Je ne sais pas, ce que je ressens est très particulier, très bizarre et tellement réel.

John la regarde, un peu d’affolement dans les yeux, il se rend compte que ce rêve a une emprise sur sa femme.

Et comment te sens-tu ?

Physiquement, bien, John, ne t’inquiète pas. Je me suis aussi posé la question, car ce qui est perturbant, c’est la facilité à basculer d’environ 700 ans en arrière, avec un tel réalisme, à tel point, que lorsque je m’éveille, j’arrive à douter de ma vie actuelle.

Tu devrais peut-être prendre quelque chose pour t’aider à dormir.

Je dors super bien, j’ai juste l’impression d’avoir 2 vies et parfois de ne plus savoir laquelle est la vraie. Heureusement que c’est maintenant, ma véritable vie, car l’époque du moyen-âge ne devait pas être folichonne. Et toi, où vas-tu demain ?

La routine, ma chérie, parti à l’aube, rentré à la nuit, je vis ma dure destinée.

Je te plains, sincèrement.

Quand le travail se présente, autant ne pas le laisser.

J’ai sommeil, je vais au lit, retrouver Damoiselle Isabelle.

Essaie plutôt de rêver à moi, je trouve que tu me délaisses.

Eh bien, viens...

Château de Couzan, 1367

Ce matin, Isabelle a foncé à l’écurie, dans le fond, en pleine pénombre, elle le distingue difficilement. Quand elle s’approche, il réagit et souffle par les naseaux, signe de nervosité.

Calme, Frison, calme, ici tu ne risques rien.

Maintenant, elle est tout contre lui, et pose sa main sur l’encolure et, sous ses doigts, ressent le tressaillement d’inquiétude du cheval. Il a dû être battu et craint la main de l’homme. Doucement, Isabelle le caresse, essayant de lui transmettre, à travers la peau, sa propre sérénité, sa douceur, lui apprendre qu'une main peut aussi traduire de l'amour.

Après quelques minutes, cela semble marcher, il approche ses naseaux de la tête de la jeune fille et respire son odeur. Cela doit le changer de la puanteur habituelle des maquignons. Isabelle continue de lui murmurer des mots d’apaisement en le caressant.

Bertrand qui est resté à l’entrée de l’écurie la regarde avec amusement, elle n’a jamais peur des animaux, et les bêtes, quelles qu’elles soient, s’attachent rapidement à la petite. Il l’avait vue agir de même avec un énorme taureau, elle avait 12 ans et le seigneur Guy avait cru mourir d'angoisse pour sa fille, ce taureau ayant déjà envoyé deux paysans par-dessus la barrière de l’enclos. La gamine lui avait beaucoup parlé et avait fini par lui passer la corde autour du cou. Elle avait tendu le lien à Bertrand, en lui disant « ne le brusque pas, il te suivra jusqu’à l’écurie », et cela avait été le cas. Aujourd’hui, par sécurité, Bertrand avait pris la cravache, au cas où ce cheval réagisse sauvagement, pour l’instant il semble calme.

Je vais le sortir, Bertrand cache ton fouet, rien ne doit l’effrayer.

N’est-ce pas trop tôt, Damoiselle Isabelle ?

Si nous le laissons tout seul dans le noir, il ne va pas être rassuré sur son avenir. Il a vu que nous ne le frappions pas, il a bien mangé, et il est propre, de plus je suis trop minuscule par rapport à lui pour qu’il me craigne. Ouvre la porte et efface-toi.

S’il vous blesse, votre père me tuera.

Alors, va à la cuisine, tu diras que tu ne savais pas ce que j’allais voir ce cheval.

Non, je reste, tenez-vous toujours sur le côté et partez en courant s’il se cabre.

Ne t’inquiète pas Bertrand, il m’aime déjà, je le sens.

Le bruit des sabots sur la pierre traduisait un pas calme. Inquiet, Bertrand angoissait d’une réaction de nervosité du cheval, dès qu'il aurait franchi les portes.

Tu vois Bertrand, un cheval de guerre n’a pas la crainte d’une petite fille sans cravache. Je le mène au pré, tu devras m’aider pour la barrière, elle est trop lourde.

J’y vais de suite.

Une fois dans le parc, Frison jeta un regard circulaire, puis tourna la tête vers Isabelle, immobile à côté de lui.

Tu peux aller courir, Frison, personne ne te battra.

Il commença par avancer en reniflant l’herbe dont il arracha quelques brins, puis accéléra et traversa d’un trait la prairie, revint comme une flèche sur Isabelle qui n’avait pas bougé. Un instant, Bertrand pensa qu’il ne pourrait pas s’arrêter, mais le cheval, en hennissant, frôla la fille et repartit de plus belle. Il refit le manège 3 fois, contournant Isabelle à chaque fois, puis il se mit à brouter.

Isabelle était heureuse, elle ne s’était pas trompée sur ce cheval, il était vif et intelligent, ce serait le meilleur cheval que son père aurait. Elle sortit de l’enclos.

Pour le moment, Bertrand, ne mets aucun autre cheval mâle avec lui, des juments, des vaches, des chèvres ou des moutons, tout ce que tu veux, surtout pas un autre mâle.

Je sais Damoiselle, c’est un chef, cela se voit. Vous aviez raison, il est très beau et fier.

Je viendrais ce soir pour le rentrer.

Très bien, je vous attendrais.

Les jours passèrent avec un Frison qui suivait Isabelle, pour aller au pré, comme un petit chien. Il commençait même à jouer avec elle, la poussant du museau pour la mener au milieu de l’enclos, puis il attaquait un galop endiablé autour d’elle. Isabelle riait aux éclats, de le voir s'éclater. Les domestiques sortaient pour regarder le manège, amusés. Oui, cette jeune Amisa était particulière.

Un autre observateur, plus discret, au sommet de la tour, hochait la tête. Sa fille savait se comporter avec tout le monde, avec grande facilité, et obtenait des gens et des animaux, un résultat identique, ils lui accordaient tous leur confiance. Elle avait le sens inné des choix et des décisions qu’il fallait prendre, et cela en un instant. Chaque fois qu’elle mêlait son grain de sel dans des conversations d’adultes, elle montrait une grande sagacité et de la sagesse, et ne s’en laissait pas compter. Bref, il était très fier de sa fille.

Il rentra, il avait à entendre des personnes convoquées suite à la découverte d’une femme de bourgeois, retrouvée assassinée et mutilée, pas très loin des murs de Sail, le hameau proche. Il devait parfois enquêter sur des morts, souvent suite à altercation, jusqu’à aujourd’hui encore, jamais sur un meurtre de femme mutilée. Au début, tout le monde avait pensé à un loup, mais ces marques ne ressemblaient en rien à des traces de dents. Il avait vu la morte, elle avait été découpée, les oreilles, la langue, les mamelons et le ventre ouvert.

Il s’installa dans la salle du conseil, à sa gauche son scribe, à sa droite le chef de sa garde.

Faites entrer le mari !

CHAPTER DEUX

IRRÉALITÉ RÉELLE

COUZAN

Dimanche 4 juin

Isabelle se réveilla au milieu de la nuit, maintenant elle imaginait des morts bizarres. Cela la rassura, finalement elle fabriquait ses rêves en fonction de ce qu’elle vivait dans sa vraie vie, tellement d’histoire de meurtre à la télé que cela rejaillissait sur ses rêves. Pourtant elle ne voyait pas comment elle pouvait situer ses rêves au moyen-âge, elle ne trouvait pas encore le lien. Elle finit par se rendormir, elle n’avait plus d’appréhension, maintenant, elle avait donné une connotation normale à des rêves, elle rêvait comme tout le monde, en fait.

Château de Couzan, 1367