Une mission pour Annabel - Claudine Rekawiecki - E-Book

Une mission pour Annabel E-Book

Claudine Rekawiecki

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Beschreibung

Après ses études à Paris, Jérémy rentre au Ghana pour mettre en œuvre son projet humanitaire d’aide au développement. Dès son arrivée, il apprend que sa sœur est atteinte d’une maladie incurable. Pour l’aider à lutter contre ce mal, Jérémy l’impliquera dans sa mission. Plongé au cœur de la culture ghanéenne, il vivra des évènements tout à fait inattendus qui changeront le cours de sa vie.


À PROPOS DE L'AUTRICE

À la suite d’une carrière remplie pour un organisme de protection sociale, Claudine Rekawiecki s’adonne à ses deux passions : le dessin et l’écriture. En 2020, elle publie aux éditions Vérone une nouvelle intitulée "Un vol pour Dag", dont le récit se situe dans les Pyrénées. Avec "Une mission pour Annabel", elle récidive et nous fait voyager jusqu’au Ghana.

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Seitenzahl: 358

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Claudine Rekawiecki

Une mission pour Annabel

Roman

© Lys Bleu Éditions – Claudine Rekawiecki

ISBN : 979-10-422-1712-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Par le hublot, Jérémy aperçut les lumières d’Accra. Son cœur se serra. Il était à la fois heureux et stressé. Cela faisait cinq ans qu’il avait dû quitter son pays natal pour aller faire ses études en France. À présent, il était de retour chez lui.

Jérémy est né à Accra, d’une mère française et d’un père anglais. Ralph et Leslie Hudges sont arrivés au Ghana alors qu’ils n’avaient que trente ans. Ralph Hudges s’était promis de faire de florissantes affaires dans l’import-export. Leslie Hudges l’avait suivi par amour, après avoir terminé ses études de médecine. Jérémy a grandi au Ghana et il aime cette terre de tout son être. Il revient avec tout ce qu’il a appris durant ces cinq années et il compte bien s’investir pour donner à son pays tout ce qu’il a engrangé comme techniques pour améliorer la vie des Ghanéens. Pour commencer, il s’occupera d’apporter un peu de mieux-être aux habitants d’un petit village situé non loin de la Volta, ce fleuve si précieux pour le pays.

Après s’être soumis aux différents contrôles qui s’imposent lors d’une arrivée à l’aéroport d’Accra, Jérémy se jeta dans les bras de sa mère. Comme à son habitude, elle était habillée sobrement, mais très élégante. Les cheveux relevés, elle portait une robe de lin kaki qui rehaussait son teint. Il la trouva très belle et cela ajouta à sa joie de retrouver définitivement son univers. Celle-ci l’attendait également avec un cœur réjoui à l’idée de retrouver son fils, qu’elle avait vu si peu ces dernières années. Il faut dire que le départ de Jérémy ne s’était pas déroulé dans le calme et durant ces cinq années passées, cela n’avait pas pu s’arranger. C’est le moins que l’on puisse dire. À chaque fois qu’il revenait pour un court séjour, il ne réussissait jamais à faire la paix avec son père et son frère et la plupart du temps, il partait en mission humanitaire loin d’Accra.

L’année de son baccalauréat, Jérémy n’avait nullement envisagé de partir en France pour poursuivre ses études. Mais Ralph Hudges, son père, ne l’entendait pas ainsi. Son fils devait faire ses études supérieures en Europe, à Londres ou à Paris. Ralph Hudges avait espéré que son fils ferait des études de commerce international pour prendre la suite de son entreprise, mais très vite il comprit que son vœu ne serait pas exaucé. Pour autant, il n’en démordrait pas, Jérémy devait faire des études supérieures, quelles qu’elles soient, et en Europe obligatoirement. Ralph Hudges ne jurait que par la qualité des études dispensées à Oxford, là où il était allé lui-même. Mais à défaut, il accepterait l’idée d’une université française.

Après de nombreux échanges et bien des disputes, Jérémy présenta à son père son projet. Il avait décidé d’opter pour un master professionnel en management de l’environnement, des collectivités et des entreprises, à l’université Paris VII. Son rêve était de pouvoir participer au développement des zones rurales du Ghana. Ralph n’ignorait pas que son fils nourrissait cet espoir d’œuvrer dans ce sens. De nombreuses fois, ils avaient entamé des discussions qui finissaient toujours par des points de vue très différents. Le père, PDG de l’entreprise d’import-export qu’il avait créée de ses propres mains, était loin des préoccupations de développement rural et encore plus de développement durable. Le fils, depuis sa plus tendre enfance, avait posé un regard effaré sur le monde si différent qui l’entourait. Autant de pauvreté, alors que lui vivait dans le luxe, cela lui paraissait inconcevable. Petit à petit, il s’était forgé ses convictions, en lisant, en observant, en échangeant parfois, plus ou moins secrètement avec des Ghanéens. Ralph avait longuement entendu les arguments de son fils, et après tout, il acceptait de faire des études supérieures et de les faire en Europe. Ralph savait que son fils était intelligent et il avait aussi perçu à la fois la rigueur d’un projet bien construit et une grande détermination. Il valait mieux ne pas pousser Jérémy dans des retranchements qui ne le mèneraient à rien. Puis, quelque part, cela faisait écho à sa fibre de chef d’entreprise. Son fils savait ce qu’il voulait. Il finit donc par donner son accord à ce projet et à le financer.

Chaque été, Jérémy était rentré pour mener des missions dans différents villages. Il a participé à l’installation d’une bibliothèque, accompagné une équipe pour construire des sanitaires, rejoint un groupe qui a fait un bilan sur les pollutions subies par la mangrove et s’est, tout particulièrement, investi dans une classe d’éducation culturelle et sportive de jeunes enfants. Son objectif était surtout de s’imprégner des besoins et des données à respecter pour aider au mieux les gens de ces villages éloignés des centres urbains. Ses différentes missions lui ont également permis de se créer des contacts précieux.

Aujourd’hui, Jérémy revenait plus mûr, avec un bagage de techniques éprouvées, toujours aussi enthousiaste, mais plus prudent, plus réfléchi.

Assis dans le salon, il se remémorait son parcours depuis son départ et se disait secrètement qu’il devrait d’une manière ou d’une autre remercier son père de l’avoir poussé à faire ses études. Il se sentait mieux armé, plus sûr de lui, même s’il était bien conscient d’avoir encore beaucoup à apprendre lorsqu’il serait sur le terrain.

Jérémy se laissait aller, en redécouvrant cette belle demeure. Le salon était peint d’un vert rafraîchissant avec des fauteuils et des canapés de cuir blanc. Ici et là des objets d’art africain créaient un contraste élégant. Il y avait en particulier une collection d’éléphants que son père avait constituée pour le plus grand plaisir de sa mère. Son père avait été jusqu’à acquérir une pièce en marbre blanc de la taille d’un éléphanteau. Assurément magnifique, se disait Jérémy. Il y avait aussi des volatiles en verre, comme une cigogne blanche, un canard pilet, des masques rapportés des nombreux pays que son père visitait au cours de ses déplacements professionnels. Des objets choisis pour leur beauté, leur raffinement, qui traduisaient le luxe, l’argent, le confort de vie de ses parents. Une mezzanine, conduisant aux chambres, surplombait le salon et la salle à manger avec une décoration tout aussi raffinée qu’au rez-de-chaussée. Un escalier en marbre, très large et légèrement incurvé, menait à l’étage. Nombre de visiteurs restaient ébahis par la splendeur de cette architecture intérieure.

Son père avait fait installer un système de rafraîchissement de haute qualité, bien entendu. Un luxe, mais aussi un réel confort dans un pays où la température oscille souvent entre 25° et 35° selon que l’on soit en saison sèche ou en saison des pluies. L’atmosphère était donc agréable. À l’étage, il savait qu’il allait retrouver sa chambre meublée avec une grande sobriété, mais également avec un goût très assuré. Sa mère l’avait aidé à concevoir son espace tel qu’il l’avait souhaité.

Cette demeure représentait la réussite de son père et de sa mère. Il était conscient de tout le travail accompli et de tous les sacrifices qu’il avait fallu faire pour en arriver là. En observant tout cela, il éprouvait du respect pour ses parents, ce qui n’avait pas toujours été le cas, dans sa jeunesse.

J’étais un peu fou et pas très futé, se dit-il. Mes paroles ont souvent été au-delà de l’acceptable.

Mais aujourd’hui il avait une autre appréciation des choses.

Le monde est ainsi fait et chacun doit choisir sa voie en fonction de ses convictions, se dit-il pour se conforter.

Il est également certain que Jérémy avait bien en tête qu’il était revenu avec un diplôme d’ingénieur en poche grâce à l’argent de son père. Toutes ces réflexions défilaient dans sa tête rapidement, lorsque sa mère le rejoignit. Elle sentait que Jérémy était en train de réapprivoiser la maison dont il s’était éloigné depuis cinq ans.

Leslie commença par meubler un peu le silence laissé par Jérémy. Mais elle craignait que Ralph, son mari, arrive trop vite et qu’il ne lui laisse pas le temps d’échanger avec son fils. Elle voulait que celui-ci lui dise ce qu’il comptait faire à présent, ensuite elle avait une chose importante à confier à Jérémy. Enfin, elle souhaitait tellement que son fils prenne à nouveau le temps de se sentir chez lui dans la maison familiale.

Leslie n’était pas du genre à palabrer longtemps pour combler le vide ou faire semblant. Aussi se lança-t-elle, sans plus de préalables.

— Quels sont tes projets maintenant, Jérémy ? Vas-tu prendre un peu de vacances, reprendre contact avec tes amis d’ici ?

— J’ai peu de temps avant de partir pour le village de Akuraadua. J’ai obtenu la possibilité de mener un projet expérimental pour concevoir un modèle de développement rural pour conduire le village à l’autonomie tout en respectant des règles écologiques. Je dois encore avoir quelques échanges pour fixer les derniers détails, trouver un véhicule, un peu de matériel, et j’y vais. Je serai à seulement cent soixante kilomètres de la maison, Maman.

— Mais où vas-tu loger ? demanda Leslie.

— Chez Grayson, répondit Jérémy, l’été dernier nous avons vu le projet ensemble, il est d’accord pour me louer une chambre. Puis, je suis payé pour cette mission Maman. L’université Paris VII m’a octroyé une bourse. Je vais pouvoir subvenir à mes besoins. Ne t’inquiète pas.

— Je ne m’inquiète pas, je veux seulement savoir où, quand, comment. Tu comprends ? lui dit sa mère.

— Oui je comprends, rétorqua Jérémy. Mais tu sais aussi que cela est la suite logique de mon projet. Je prends aussi toutes les précautions pour assurer ma santé et ma sécurité. De toute façon le contrat qui me permet de mener à bien cette mission m’a obligé à définir précisément le contexte dans lequel j’escomptais travailler. J’ai beaucoup de chance d’avoir rencontré Grayson, car sans lui je ne sais pas si j’aurais obtenu cette possibilité. Pour moi c’est capital, Maman, si j’arrive à mettre au point un modèle de base sur lequel on pourrait s’appuyer pour engager de nombreux villages sur cette voie ce serait fantastique.

Jérémy parlait avec conviction et Leslie se sentit malgré tout rassurée.

— Voilà, je te retrouve bien là avec ta passion, se réjouit Leslie. Je suis contente mon Jérémy malgré mes craintes. Tu peux en être sûr, je suis contente pour toi. Tu réalises ton rêve. De plus, je sens que tu as mûri et je sens bien que tu es sur la voie qui te convient. Maintenant avec ton père…

— Maman, l’interrompit aussitôt Jérémy, avec Papa, c’est mon affaire, mais ne t’inquiète pas non plus, je n’ai pas envie de recommencer les disputes. Je sais qu’il aura toujours du mal à me comprendre, comme j’ai du mal à le comprendre. Ce n’est pas grave, c’est comme ça, dit-il en souriant. Et où sont Annabel et William ?

— Ah oui, je ne t’ai pas dit, ta sœur et ton frère seront là pour le dîner, pour t’accueillir. William est rentré, il y a deux jours, il est chez les Sanders. Il avait hâte de retrouver ses amis Loïc et Rebecca et comme ils doivent partir en voyage ce week-end, il voulait les saluer avant leur départ. Annabel est chez le médecin, elle sera là dans une demi-heure, je pense, dit Leslie sur un ton qui traduisait quelque chose d’anormal.

— Maman, Annabel a des problèmes de santé ? demanda Jérémy inquiet.

— Non, euh oui, bafouilla la mère. Annabel est malade depuis le début de l’année. Elle n’a pas voulu que l’on t’en parle pour ne pas t’inquiéter. En fait, cela fait trois ans qu’on cherche ce qu’elle peut avoir.

— Trois ans ! Et vous ne m’avez rien dit ! s’écria Jérémy ahuri.

— À quoi cela aurait-il servi ? Annabel ne voulait surtout pas t’inquiéter pendant tes études. Puis au début, elle n’avait qu’un peu de fièvre, des douleurs articulaires et musculaires. Au fil du temps, elle a perdu du poids et c’est ce qui nous a le plus inquiété.

— Et maintenant, on sait ce qu’elle a ?

— Après avoir éliminé un bon nombre d’hypothèses, aujourd’hui un médecin de Paris soupçonne la maladie de Takayasu.

— Un médecin de Paris, mais elle est venue à Paris ? renchérit Jérémy maîtrisant à peine sa colère.

Leslie était si mal qu’elle avait du mal à retenir ses larmes. Elle prit sur elle et s’efforça de trouver les mots pour s’apaiser, mais elle s’emporta quelque peu.

— Jérémy, Annabel voulait que les choses se passent ainsi. Je t’en conjure, essaie de comprendre. Essaie de la comprendre. Évidemment que je t’aurais immédiatement informé si elle avait été d’accord.

— Mais Maman, ma sœur est dans un état grave, n’est-ce pas ? Et tu m’annonces ça maintenant seulement, et pendant tout ce temps je ne savais pas !

— Ne penses-tu pas que j’aurais préféré partager cela avec toi ? dit Leslie en élevant la voix plus qu’elle ne l’aurait souhaité. Tu n’imagines pas combien ce secret a été lourd à garder. De plus, je peux te dire que ton père et ton frère ne m’ont pas beaucoup aidée, alors je t’en prie, ne me fais pas de reproches. C’est assez dur comme ça !

Voyant que sa mère allait craquer, Jérémy s’approcha d’elle et la prit dans ses bras. Tous les deux pleuraient. Le ciel semblait s’effondrer sur eux.

— C’est grave, Maman ? interrogea-t-il d’un ton plus calme, en espérant peut-être encore avoir mal compris.

— Oui, c’est très grave. On ne peut pas faire de pronostic, je ne peux pas te dire s’il est question d’années ou de mois, souffla-t-elle. Je sais simplement qu’il faut se préparer dès à présent à vivre des choses douloureuses dans les prochains mois, car la maladie a déjà fait des dégâts et elle progresse irrémédiablement.

— Il n’y a pas de traitements, des interventions possibles ?

— On a déjà essayé pas mal de choses, ce qui freine bien sûr l’évolution, mais ce qui est à craindre, c’est que son cœur souffre énormément. C’est le point qui m’inquiète le plus. Combien de temps va-t-il résister aux attaques de cette fichue maladie ? Ta sœur a toujours été d’une constitution fragile, ce qui ne l’aide pas.

— Mais où a-t-elle attrapé cette maladie ?

— On ne sait pas d’où vient ce type de maladie. C’est une maladie rare, c’est certain et c’est bien la raison qui fait que l’on n’a pas pu la diagnostiquer plus tôt. À présent, pourquoi Annabel l’a développée, je ne sais pas et aucun spécialiste ne peut nous en dire plus. Des études montrent qu’on la trouve plutôt en Asie du Sud-est, en Inde ou en Amérique du Sud, plus rarement dans le monde occidental.

— Est-elle d’origine génétique ?

— Il n’y a pas eu assez de recherche encore pour pouvoir le dire.

— La grand-mère de papa avait de lointaines origines chinoises, me semble-t-il ?

— Oui, mais nous ne sommes pas plus avancés. Je sais qu’il y a des programmes de recherche en cours, mais rien qui puisse nous aider directement, ni rapidement. Au début, les traitements de corticoïdes marchaient plutôt bien. Dernièrement, on a ajouté un immunosuppresseur, mais il faut du temps pour en voir les effets. Et ce temps nécessaire est défavorable à Annabel, car elle fatigue beaucoup.

Tout en essayant de se reprendre, Leslie poursuivit.

— Jérémy, je t’assure, je me suis mise en quatre pour faire tout ce qu’il fallait pour aider Annabel. J’ai essayé de faire au mieux pour elle, pour toi, pour vous tous, mais…

— Je n’en doute pas, Maman, bien évidemment, répondit Jérémy avec bienveillance pour rassurer sa mère qui semblait désespérée.

Leslie fournit à nouveau un effort pour ne pas se laisser aller.

— Nous devons être forts, Annabel l’est de manière étonnante. Nous n’avons pas le droit de nous montrer effondrés devant elle. Elle se bat et ne veut pas que la vie change autour d’elle. Promets-moi de respecter ses désirs. Elle t’aime tellement et je sais que tu l’aimes aussi. Alors, fais ce qu’elle te demande, fais-lui plaisir, elle en a trop besoin pour mener son combat.

Jérémy était déchiré, mais il promit à sa mère de faire ce qu’Annabel souhaiterait.

Jérémy encaissa l’annonce de ce diagnostic comme un grand coup au cœur. Il aimait sa sœur et celle-ci le lui rendait bien. En fait, ils étaient très complices et elle avait été la seule à le défendre ouvertement lorsqu’il avait annoncé son désir de se former pour contribuer à développer le milieu rural ghanéen. Il avait été étonné de ne pas la voir à l’aéroport, mais s’était dit qu’après tout, elle avait ses obligations professionnelles et qu’ils se retrouveraient certainement à la maison.

— Nous aurons de nouveaux résultats dans trois ou quatre jours, je te dirai ce qu’il en est. Voilà, tu sais tout. Si tu veux bien on en reparlera vendredi ou samedi. Annabel ne veut pas que l’on gâche la fête de ton retour. Elle est tellement heureuse de te voir rentrer. D’accord ?

— Oui, bien sûr, Maman, dit Jérémy abasourdi. Je pars dans quinze jours autour du 15 juillet.

Je dois passer du temps avec Annabel, se dit-il en réfléchissant à la manière d’adapter son agenda.

Mais il acceptait volontiers de remettre à plus tard le moment de faire face à une probable situation difficile : parler avec sa sœur de sa maladie.

— Où est Sabaïna ? demanda-t-il pour reprendre le cours de la conversation sur un autre sujet et surtout pour essayer de se remettre avant qu’Annabel n’arrive.

— Elle revient exprès pour te préparer le dîner, elle va arriver d’une minute à l’autre.

Sabaïna était cuisinière et femme de ménage, chez les Hudges depuis vingt-quatre ans. Annabel avait deux ans lorsqu’elle a commencé à travailler pour cette famille. Jérémy puis William sont nés ensuite à deux ans d’intervalle. Annabel et Jérémy sont très attachés à la personne qui a toujours été très présente aux côtés de leur mère pour les élever. William, quant à lui, ne témoigne que de la froideur polie à Sabaïna. Elle fait partie du personnel, semble-t-il lui dire dans son attitude. Jérémy voit son frère comme un égoïste, imbu de sa personne, attiré par le luxe, l’argent et uniquement « son monde d’hommes blancs ». Cela le dégoûte et a créé entre les deux frères un fossé qui paraît impossible à combler.

En effet, le hasard, et peut-être la volonté de chacun a fait que, les deux frères ne se sont pratiquement pas revus depuis cinq ans. Il faut dire que même s’il savait qu’il causait beaucoup de peine à ses parents, Jérémy n’était jamais revenu pour les fêtes de Noël par exemple. Tout ce passé récent pesait donc très lourdement au moment du retour de Jérémy.

Sabaïna arriva dans le salon et se jeta, en larmes, dans les bras de son petit Jem’. Des larmes de joie, bien entendu. Elle le serra, le regarda sur toutes les coutures et constata avec bonheur que son petit était devenu un bel homme, solide.

— Le petit diable blanc est devenu un beau dieu blanc ! dit-elle ravie.

Enfin, heureusement, Jérémy avait les cheveux de sa mère, brun très foncé, et une peau colorée. Après quelques semaines au soleil, il arriverait à nouveau à passer pour un métis et il s’épargnerait de se faire traiter d’Obroni ou Oburoni. Dans les langues locales, notamment en twi, ce mot signifie étranger ou très exactement « ceux qui viennent de l’horizon ». Pour simplifier, on le traduit par « homme blanc ». Mais pour la plupart des Ghanéens, il désigne toute personne ayant la peau claire ou les cheveux plus droits qu’un Ghanéen à la peau foncée.

Sabaïna retrouvait son petit Jem’, qu’elle ne considérait d’ailleurs pas comme un Obroni, mais plutôt comme un être cher qu’elle avait porté dans ses bras et chéri comme un fils adoptif. La réciproque était vraie pour Jérémy, cette femme noire était chère à ses yeux et il l’aimait comme une seconde mère. Peut-être, quelque part, voulait-il donner à ce pays tout ce qu’il aurait voulu pour le bien-être de sa chère Sabaïna. Elle était son symbole et l’élan de son cœur était le même pour cette femme et ce pays.

Un bruit dans la baie vitrée du salon interrompit les effusions de Sabaïna et Jérémy. C’était Akwaaba, l’antilope naine qui venait comme chaque jour chercher quelques friandises. Avait-elle senti que quelqu’un était de retour ? Jérémy avait envie de le penser et les sauts de ce petit animal pouvaient le laisser croire. Le reconnaissait-elle vraiment ? Akwaaba était borgne et son seul œil valide ne lui permettait pas vraiment de bien voir. Néanmoins son odorat la guidait avec assurance. C’était la seule antilope du parc aussi apprivoisée.

Ralph et Leslie avaient, pour leurs enfants, accepté d’adopter différents animaux qui peuplaient aujourd’hui le parc : des antilopes pygmées de Bates, des tortues, des paons, auxquels s’étaient joints des lézards qui ne passaient pas inaperçus. En effet, ces petites bêtes, qu’on appelle aussi des agames, sont recouvertes d’écailles et de quelques formations épineuses sur la nuque et autour des tympans. Elles peuvent atteindre quarante centimètres de longueur totale. Les mâles ont une couleur allant du brun sombre à l’orange clair, qui peut devenir brun sombre à taches blanches lorsqu’ils sont en posture de combat avec un autre mâle, alors que les femelles sont vert olive avec quelques taches brunes sur le dos et la queue. Le matin, l’agame des colons prend un bain de soleil pendant lequel sa couleur brune nocturne laisse place à des couleurs vives. Ils s’adaptent très bien à la vie du parc, car ils sont actifs le jour et passent la nuit dans un terrier ou un arbuste. Omnivores, ils se nourrissent de végétaux et d’insectes, ce qui n’est pas à négliger dans l’équilibre de la nature, avait un jour déclaré Jérémy du haut de ses sept ans. Cette réflexion avait étonné ses parents et les avait amusés. Nous avons un écologiste en herbe, avait plaisanté son père. Il ne croyait pas si bien dire.

Ralph Hudges aurait fait n’importe quoi pour combler sa fille et ses fils. En 1995, Annabel avait quatre ans et Jérémy deux ans, il avait acheté un terrain de cinq hectares sur lequel il avait fait bâtir une superbe maison. En utilisant la végétation déjà en place, il avait fait aménager un parc qui avait constitué le terrain de jeu et d’expérimentation des enfants Hudges. Pour ce père parfois à la limite de l’extravagance, ce parc était l’expression de son amour. On y trouve des arbres magnifiques, des fleurs toujours entretenues avec soin par les jardiniers, des animaux bien sûr et comme il se doit un terrain de tennis et une piscine qui ont permis aux enfants de passer tellement de bons moments en famille et avec leurs amis.

En reprenant contact avec tout cela, Jérémy prit conscience des privilèges qu’il avait eus pendant dix-huit ans avec sa sœur et son frère. Il ne reniait pas l’avoir apprécié effectivement. Pourtant, tout en serrant les mains de Sabaïna, et comme à son habitude, il se disait que rien n’importe plus que les gens que l’on aime.

— Bon, lui dit Sabaïna, maintenant au boulot. J’ai un repas à préparer et il va falloir que ce soit un repas de roi, puisque mon petit Jem’ est de retour.

Sabaïna était aux anges. Un instant, Jérémy se sentit submergé par un torrent d’émotions agréables. Ce fut de courte durée, car il entendit la voix d’Annabel qui demandait à sa mère si son frère était arrivé. Jérémy et sa sœur s’embrassèrent avec un large sourire, comme si de rien n’était. Seul le moment de se retrouver importait, semblait-il. Jérémy jouait le jeu parce qu’il avait une très grande affection pour sa sœur, mais son cœur battait très fort. Il fit un effort terrible pour ne pas pleurer et pour ne rien laisser paraître sur son visage.

Ce soir, il ne serait pas question des problèmes de santé de ma sœur, se dit-il intérieurement avec la force d’une injonction. Et Annabel l’aida fort bien à passer outre ses émotions, car elle commença à le bombarder de questions.

— Alors Jem’, tu as fait bon voyage ? Tu veux boire quelque chose ? Comment vas-tu ? Tu es content d’être à présent un fameux diplômé ?

Jérémy avait à peine le temps de répondre. La frénésie d’Annabel était mêlée de joie et d’autre chose. Mais Jérémy sentait toute l’affection et l’attention que sa sœur avait pour lui. Elle n’avait pas bonne mine. Son teint était pâle et elle était très amaigrie, à faire peur même. Il avait régulièrement échangé avec elle tout au long de son séjour en France.

Annabel, qui était une jeune fille douce et très réservée, était restée à l’université d’Accra pour faire ses études de langues. Elle parlait couramment l’anglais, le français, l’espagnol et l’arabe. Elle avait également de sérieuses notions en allemand et en russe. Elle était évidemment surdouée pour les langues et son projet avait été d’être interprète. Dès la fin de ses études, elle avait été prise comme traductrice et interprète à l’ambassade des États-Unis.

Il écoutait Annabel, mais les interrogations défilaient dans sa tête. Même si Jérémy avait toujours gardé le contact et su comment se passaient les études de sa sœur, à présent, il se demandait comment elle avait pu faire pour étudier avec cette maladie. Il essayait de ne rien laisser paraître, mais la réalité lui paraissait faussée. Il se sentait déstabilisé et ne pouvait pas s’empêcher de culpabiliser, car il n’avait rien perçu. Comment cela était-il possible ? se demanda-t-il intérieurement.

L’arrivée de leur frère William permit à Annabel de se mettre légèrement en retrait et Jérémy se détendit un peu. Il appréhendait sa rencontre avec son frère, mais paradoxalement celui-ci était arrivé à un moment de telle tension, que Jérémy aurait pu l’en remercier.

— Bonjour grand frère, lui dit William. Comment vas-tu ? Ça fait plaisir de te voir.

William avait l’air sincère. Jérémy prit le parti de répondre sur le même ton et dans la même intention. Chacun avait peut-être l’inquiétude de l’état de santé d’Annabel et remettait en perspective les priorités qui, malgré tout, unissaient la famille.

Tous les trois évoquaient les derniers évènements anodins de leur vie. La rencontre de William avec les Sanders, le dernier bar à brunch qu’Annabel avait découvert à Accra. Jérémy parlait peu, mais il accepta, en particulier, de partager un brunch avec sa sœur et son frère le week-end prochain. Ils échangeaient des banalités qui faisaient flotter un climat paisible dans le salon des Hudges, avec un petit quelque chose de surréaliste lorsque l’on pense que cette famille avait été littéralement éclatée durant ces dernières années et par-dessus tout qu’Annabel était si malade.

Voulaient-ils tous se rattraper ? Pour Annabel ? Pour eux-mêmes ?

Ralph Hudges arriva, alors que ses trois enfants baignaient dans cette atmosphère paisiblement surprenante.

— Jérémy, mon garçon, comment vas-tu ? dit Ralph en étreignant son fils dans ses bras, comme il ne l’avait plus fait depuis longtemps. Lui aussi paraissait sincèrement heureux de ces retrouvailles.

Jérémy avait envie de prendre toutes ces marques d’affection. Il se rendait compte que cela lui avait beaucoup manqué ces dernières années. Il se sentait fondre au sein de cette famille si accueillante. Il décida donc « de prendre ». Oui, lorsque la parole ou le moment est agréable, Jérémy se dit « oui, je prends ». Et c’était bien le cas, même si en arrière-plan de toutes ces démonstrations flottait ce qui arrivait à Annabel.

Le dîner fut délicieux pour Jérémy qui retrouvait les saveurs de sa jeunesse. Bien entendu, Sabaïna n’avait pas oublié ses petits plats préférés. C’était aussi une femme attentive et elle avait prévu un repas pour un appétit modeste, mais un fin gourmet. Aussi, pour ce premier soir, avait-elle judicieusement choisi de préparer un poulet Palava. Elle avait cuisiné celui-ci dans les règles de l’art avec des épinards, des tomates, des oignons et de la purée de cacahuètes. Accompagné d’un simple riz blanc, cela était parfait pour ne pas gaver Jérémy dès le premier repas. En dessert, elle avait donné sa préférence à une salade de papaye préparée avec de la menthe et du gingembre. Elle espérait que dans les prochains jours, elle pourrait lui faire un waathi, c’est-à-dire un riz aux haricots ou un riz jollof avec un tilapia. En fait, son cœur débordait de joie et elle aurait tellement voulu le gâter comme lorsqu’il était enfant.

Tout au long du dîner, chacun chercha à alimenter la conversation de manière agréable, sans sujet qui fâche, sans heurt. La famille Hudges ronronnait comme elle ne l’avait d’ailleurs jamais aussi bien fait.

Après le dîner, Ralph invita ses enfants à partager une petite liqueur au salon. Mais Leslie, avec sa finesse habituelle, ne laissa pas traîner en longueur ce moment. Il était évident que chacun avait fait d’énormes efforts pour jouer le jeu de retrouvailles paisibles et qu’il convenait de ne pas risquer de tout compromettre en s’éternisant dans la soirée. De toute manière, tous étaient fatigués et une bonne nuit de sommeil serait la bienvenue.

Jérémy retrouva sa chambre après tout ce torrent d’affection et cette horrible nouvelle. Il se mit à pleurer comme un petit garçon. Accablé par la fatigue et noyé dans ses émotions, il s’endormit profondément.

Chapitre 2

Jérémy se réveilla aux premières lueurs du jour, vers 6 heures du matin. Un court instant, il ressentit un moment de plénitude : bien dans son corps, bien dans sa tête, bien dans son cœur. Il était chez lui, il baignait à nouveau dans son univers. Mais ce fut bref, car il se souvint qu’Annabel était très malade. C’est ainsi qu’il eut l’impression de se réveiller une deuxième fois dans un cauchemar. Sa gorge se serra et il eut une boule à l’estomac.

Sa mère avait évoqué l’idée d’un temps relativement court. Jérémy cherchait à retrouver les mots exacts. Ah oui, se dit-il, elle a dit« je ne sais pas si c’est une question d’années ou de mois ».De mois ? Est-ce possible ? pensa-t-il horrifié.

Il essayait de se remémorer les échanges avec Annabel ces dernières années. Comment avait-elle pu lui cacher ses problèmes de santé ? N’avait-elle pas confiance en lui ?

Et moi, se reprocha-t-il, comment n’ai-je pas perçu quoique ce soit ? Comment ai-je pu m’obstiner à ce point et me tenir si loin de la maison ? Si j’étais revenu au moins pour les fêtes de Noël, j’aurais vu ce qui se passait. C’est vrai que les seules fois où j’étais passé à la maison, Annabel avait des engagements et je ne la voyais presque pas. Peut-être avait-elle aussi calculé cela pour ne pas me rencontrer. En fait, je ne me suis rendu compte de rien, pensa-t-il, car elle ne manquait jamais une occasion de communiquer par téléphone, par mail ou SMS. Je me sentais constamment en lien avec elle. Cependant, elle avait refusé d’utiliser la vidéo téléphonique sous prétexte qu’elle ne saurait pas faire avec son téléphone.« Sois gentil, ne m’embête pas avec ces trucs, cela me prend trop la tête », avait-elle prétexté. Il avait trouvé sa réaction un peu étrange, mais n’avait pas insisté pour ne pas fâcher sa sœur.

Jérémy ressassait tous les souvenirs de ses échanges avec Annabel pour essayer de trouver… il ne savait pas trop quoi. Il commençait à avoir mal à la tête, tant il se posait de questions sans réponses. Aussi, il décida de se stimuler pour vivre au mieux aujourd’hui, demain et les prochains jours. C’était sa façon à lui de gérer cette douleur violente qui lui tordait le ventre. Il devait également se mobiliser pour la préparation de son départ pour l’écolodge « Good Here » puis Akuraadua. Je ne peux pas reculer, se dit-il, donc debout !

Annabel était déjà partie travailler et avait laissé un message à Jérémy : « À ce soir, au Bloom Bar vers 18 h. Bisous mon Jem’ ».

Le Bloom Bar se trouvait dans le quartier d’Osu. Celui-ci est connu à Accra, car c’est le quartier des bureaux, de la bourgeoisie et des expatriés. On y trouve de nombreux commerces et restaurants, et le soir il y a du monde dans les bars et les clubs. C’est un endroit où l’on peut profiter d’une ambiance moderne et cosmopolite avec des infrastructures agréables. Avant son départ, Jérémy y était allé, à plusieurs reprises, avec Annabel et des amis et ils y avaient passé de bons moments. En fin d’après-midi, l’endroit était encore calme et Jérémy se dit qu’Annabel avait probablement choisi cet endroit pour parler tranquillement en tête à tête.

En attendant, il avait une journée bien chargée et tant mieux, car il avait un énorme besoin de s’occuper.

Il avait rendez-vous à l’alliance française avec un représentant de l’association Ozdon qui était chargé de faire venir et d’installer des panneaux solaires à Akuraadua. Jérémy s’y rendit à pied, en flânant dans les rues d’Accra. C’était bon de retrouver cette ambiance de la ville qu’il aimait tant.

Les tro-tros étaient toujours aussi actifs. S’il existe bien des transports en commun à Accra, le tro-tro reste le moyen de se déplacer le plus populaire. Une flotte de minibus appartenant à des intérêts privés circule sur des itinéraires fixes et tente de faire au maximum le plein de clients avant de prendre chaque départ. C’est ainsi que ces véhicules sont gérés par un chauffeur et, comme on l’appelle au Ghana, un partenaire qui doit collecter l’argent, crier la destination ou l’indiquer à l’aide de gestes connus des Ghanéens qui utilisent ce mode de transport. Les tro-tros constituent une véritable attraction. Ils sont à la fois hauts en couleur avec des slogans et des dictons, souvent religieux, mais également omniprésents sur les voies de circulation. La plupart du temps, ils s’arrêtent et repartent sans s’occuper outre mesure des autres véhicules. L’objectif est unique : faire le plus de clients possible, quitte à se bousculer pour y arriver.

Jérémy sourit en retrouvant ce spectacle si caractéristique. À Paris, l’ambiance des rues lui semblait tellement plus austère et il ressentait souvent de l’agressivité chez les automobilistes. Alors qu’à Accra, tout lui paraissait convivial. Les rues étaient également animées par les vendeurs à la sauvette. On pouvait acheter une multitude de produits, rien qu’en s’arrêtant à un feu rouge : bouteilles d’eau, lessive, cartes de téléphone, toutes sortes de fruits, pain de mie, etc., et même du papier toilette. Jérémy eut plaisir à acheter une bouteille d’eau fraîche avant de terminer son petit tour de ville.

Il arriva à l’alliance française. Il y était déjà venu avec des amis français. Le lieu était assez plaisant, avec des bars, des restaurants et des commerces où l’on pouvait trouver des produits importés directement de France. Il retrouva Daniel Lekerdant, chargé de missions dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Autour d’un verre, ils firent un point détaillé du déroulement des opérations pour l’équipement du village en panneaux solaires.

Jérémy devait préparer l’arrivée de ces équipements auprès des habitants. Daniel l’invita à revoir précisément avec Grayson Crompton, responsable de l’ONG « Working for a Big Ghana » le travail de communication qui devait être fait avant cette implantation. Jérémy nota également les différents travaux qui devaient être effectués, impérativement, au préalable. Daniel prit rendez-vous pour faire un état des lieux suffisamment tôt pour prévoir une installation dans les meilleures conditions, mais également pour pallier les éventuelles difficultés.

Nos deux compères se quittèrent satisfaits de cette entrevue. Ils se sentaient sur la même longueur d’onde et cela était plutôt positif. Chacun savait qu’il serait nécessaire de mener l’opération au coude-à-coude pour faire face aux problèmes qui ne manqueraient probablement pas de survenir.

Jérémy se retrouva seul et retomba dans un état de tristesse qui lui enleva toute envie de poursuivre ses démarches. Il décida de rentrer et de mettre au propre toutes ses notes.

À son arrivée à la maison, Sabaïna fut à nouveau heureuse de voir son petit Jem’. Elle décela très vite que quelque chose le tracassait. Sabaïna n’avait pas été mise au courant pour la maladie d’Annabel, mais observatrice comme elle était, elle avait perçu qu’elle avait un problème de santé. Son instinct lui disait aussi que celui-ci devait être grave. Aussi, sans rien dire sur ce dont elle se doutait, fit-elle des pieds et des mains pour remonter le moral de Jérémy.

Après son déjeuner, Jérémy s’endormit pour une généreuse sieste. La fatigue du voyage, le changement de climat et les mauvaises nouvelles l’avaient anéanti. Il se réveilla à nouveau avec l’impression de se retrouver dans un cauchemar. Quelle affreuse sensation ! se dit-il. Mais à présent, il fallait qu’il s’arme de courage pour son rendez-vous avec Annabel.

Comme il l’avait fait le matin, il se rendit au Bloom Bar à pied. On était en juillet et il ne faisait pas trop chaud, probablement 26° ou 28°. Cela était plutôt favorable pour lui permettre de se préparer à être fort, comme sa sœur l’espérait sans doute. Il enclencha toute une discussion avec lui-même, mais celle-ci n’allait pas dans le sens souhaité. Non, se dit-il, je ne suis pas fort et je n’ai pas envie de l’être. Je ne veux pas qu’Annabel meure, ce n’est pas juste. Les larmes lui montèrent aux yeux. Ce n’est pas possible, continua-t-il, Jérémy, tu ne peux pas te montrer faible. Tu ne vas pas pleurer, alors qu’elle est si courageuse. Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour se reprendre, car il arrivait près du bar.

Il aperçut Annabel déjà installée à une table. Il fut surpris, mais prit le temps d’approcher lentement pour l’observer un peu. Elle était si délicate avec une grande élégance comme notre mère, pensa-t-il. Bien sûr, la maladie lui avait dévoré ses pommettes roses, mais elle était toujours aussi gracieuse. Jérémy se dit que le lien qui les unissait dans cette belle affection s’était peut-être renforcé ces dernières années à cause de la vie tumultueuse qu’il avait eue avec son père et son frère. Enfin, il prit une grande inspiration et entra dans le bar pour la rejoindre.

— Comment vas-tu ? demanda-t-il de manière automatique.

Mince, ma question est stupide, se dit-il intérieurement. Il s’exhortait au calme, mais il était fébrile et n’arrivait pas à cacher sa peur.

Annabel prit les choses en main, car elle avait senti que son frère était dans un état de mal-être qu’il n’arrivait plus à gérer.

— Oui, je vais bien, petit frère. On commande tout de suite, de cette manière on pourra parler tranquillement, dit Annabel avec un sourire chaleureux.

Jérémy était au bord des larmes, mais réussit à se contenir, pour l’instant, pensa-t-il. Sans plus attendre, Annabel se lança.

— Je voulais te voir seul à seul pour tout t’expliquer. Mes problèmes de santé ont commencé il y a trois ans. Au début, si je ne t’ai rien dit c’est que cela avait l’air un peu banal. J’avais des fièvres, mal aux articulations. Puis mon état ne s’est pas arrangé et même si on a sérieusement cherché avec Maman et les médecins, on ne pouvait pas mettre de nom sur tous ces symptômes. C’est drôle au début, j’avais presque honte d’être malade, je me demandais si je ne me faisais pas du cinéma toute seule. C’est bête, hein ! Mais j’ai bien senti que cela s’aggravait progressivement.

En début d’année, je suis allée à Paris pour rencontrer des spécialistes, je crois que c’est parce que je suis rentrée dans une phase plus aiguë qu’ils ont pu identifier ce que c’était. Mais je ne voulais surtout pas te perturber. J’étais tellement fière de savoir que tu réussissais brillamment toutes tes épreuves. J’étais tellement heureuse de te savoir dans ton élément. Je me disais que tu allais pouvoir entreprendre tout ce dont tu as toujours rêvé. Je puisais dans toi, dans nos échanges, de la force pour affronter ma maladie. Oui Jérémy, tu m’as aidée, mais il ne fallait pas que tu le saches, sinon tu ne te serais plus comporté de la même manière. Tu m’aurais plainte et cela m’aurait ramollie. Alors que, pendant ces cinq dernières années, on a ri au téléphone, on a débloqué dans nos mails, comme si de rien n’était. Jérémy, tu comprends maintenant ?

Jérémy sourit et acquiesça d’une voix faible. Il voulut poursuivre, mais Annabel reprit la parole.

— Maintenant, Jérémy, tu sais tout, mais tu ne dois rien changer à tes projets. Si tu as bien compris ce que je viens de te dire, tu dois intégrer que tu m’aides, si tu avances comme tu l’as prévu. Peut-être que je vais vivre assez longtemps pour voir ce que tu vas réaliser à Akuraadua. Tu vas m’envoyer des photos, tu me tiendras au courant comme tu l’as fait lorsque tu étais à Paris.

— Annabel… dit Jérémy, mais il avait tellement de mal à parler qu’il ne put ajouter un mot.

— Tu veux sans doute savoir combien de temps il me reste à vivre, continua sa sœur. Je ne sais pas exactement bien entendu. Vendredi, le Professeur Dumontier me dira s’il s’agit bien ou non de la maladie de Takayasu. Aujourd’hui et après ce que j’ai pu lire sur Internet, j’en suis presque sûre, ce qui veut dire pour moi, au stade où j’en suis arrivée, que je ne vais pas pouvoir guérir. Te dire combien de temps il me reste, je ne crois pas que je vais vivre encore beaucoup d’années. C’est tout ce que je peux dire et je pense que les médecins ne s’avanceront pas plus.

Jérémy ne pouvait plus retenir ses larmes. Il en avait honte, mais c’était impossible. Il sentait qu’il s’écroulait intérieurement et faisait des efforts monstres pour tenir. L’idée de perdre sa sœur lui faisait si mal qu’il avait l’impression qu’on lui enfonçait une flèche dans le cœur. Ils étaient tellement proches, tellement complices.