Une vie de compromis - Ivan Jacquin - E-Book

Une vie de compromis E-Book

Ivan Jacquin

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Beschreibung

"Une vie de compromis" vous plonge dans le parcours tumultueux d’un homme qui, du jour au lendemain, aspire à une liberté totale, sans les entraves de la société. Sa quête d’une plénitude absolue l’entraîne dans un voyage à travers les territoires de l’utopie et de la désillusion. Au cœur de cette aventure existentielle captivante, il découvre la véritable signification du détachement et du compromis, tout en explorant les méandres de l’amour et du bonheur.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Ivan Jacquin, auteur-compositeur, puise dans sa musique pour créer des ouvrages littéraires explorant les émotions. Il a écrit "La symphonie du juif errant", Livres I et II, en 2018 et 2020, ainsi que "Solitudes" en 2018, tous publiés chez Edilivre. Il présente "Une vie de compromis", qui met en avant la quête de liberté au-delà des pressions sociales.

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Seitenzahl: 220

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ivan Jacquin

Une vie de compromis

Roman

© Lys Bleu Éditions – Ivan Jacquin

ISBN : 979-10-422-0916-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Changement

En se levant ce matin-là, il sut que quelque chose avait changé. Ne prenant pas la peine de manger un morceau ni de boire un café, il se dirigea vers la salle d’eau et ferma la porte à clé. Il alluma le petit radiateur soufflant et retira ses habits de nuit, boxer et T-shirt.

Il se plaça devant le miroir et observa le reflet d’un homme qu’il ne reconnut pas. Non pas qu’il eût abusé la veille d’un trop-plein de nourriture ou d’alcool, la soirée avait été calme et sans excès, mais les traits de ce visage fade et inexpressif ne ressemblaient pas à ceux qu’il avait entraperçus hier soir dans ce même miroir en allant se coucher.

Les cheveux ébouriffés et fournis semblaient avoir changé de teinte, plus sombre, plus opaque, les yeux n’avaient plus l’expression de vie qu’il avait encore remarquée en éteignant la lumière de la pièce, les quelques rides aux commissures des lèvres semblaient disproportionnées par rapport à ce qu’elles étaient habituellement, et sa peau gardait un effet terne et un affaissement qu’il n’avait jamais remarqué avant. Était-il en train de rêver, de somnoler ? Pensait-il qu’il se tenait réellement à cette place alors qu’il était encore au chaud dans son lit ?

Il s’approcha de cette glace maudite, ouvrit grand la bouche, tira une langue courte et rosâtre, émit un son grave, continu et guttural, comme pour vérifier qu’il était encore capable de produire des bruits avec son corps. Il s’éloigna un peu et observa cet homme de haut en bas, s’attarda sur quelques endroits en les palpant, comme pour réaliser qu’il s’agissait bien de lui ; ses avant-bras, son torse peu velu, son abdomen dont la rondeur paraissait s’accentuer de minute en minute. Il se retourna pour vérifier les deux joues étrangement séparées d’une petite ligne droite, sans réel attrait ni sens. Les cuisses étaient longues et maigres, quelques poils clairs les couvraient comme un duvet depuis longtemps épuisé et les pieds lui semblèrent démesurés, les orteils s’accrochant au tapis de bain crème et écorché.

Il posa le regard sur la chose qui pendait au bas de son ventre, à peine cachée par une toison clairsemée d’un brun délavé. Il ne reconnaissait pas non plus cette protubérance qui n’avait de sens qu’avec la fonction d’expulser de l’urine. Était-ce la même chose qui lui procurait autant de plaisir lors de ses frottements avec Maddy ? Était-ce le même attribut qu’il laissait fureter à divers endroits du corps de sa compagne, avec lequel elle avait l’habitude de jouer avec entrain ?

Il ne fit aucune grimace comme cela lui arrivait parfois et resta immobile à scruter le visage sans vie et ce corps plus tout à fait jeune et laissant apparaître de plus en plus de défauts. Quelques minutes après, il lui lança :

« Allez, on arrête tout ça ? On arrête de se voiler la face ? Tu crèves l’abcès et tu vis enfin ! Deviens enfin vrai, deviens enfin toi ! »

Il prit une douche rapide et déclama à nouveau à ce reflet qu’il commençait à haïr :

« Tant d’années à te frustrer, tant d’années à t’occuper de ce que les autres pensent de toi, tant de moments de vie à ne pas agir ni penser comme tu le veux, comme tu le dois, tant de temps à ne jamais t’investir pour toi-même, ou alors seulement en dernier lieu et après les autres, tant d’occasions manquées de plaisir, de projets, de rencontres par manque de courage, d’envie ou même de force morale… Ça suffit ! Aujourd’hui, tout cela s’arrête ! Tu débutes un nouveau chapitre, non… un nouveau tome de ta propre histoire, car elle t’appartient. Fais enfin ce que tu veux de ton temps, peu importe que cela plaise ou non. Assez de leurs regards, de leur appréciation, de leur jugement ou de leur goût. Assez de se forcer à l’appréciation morale et bien-pensante et aux humeurs des autres, tout cela s’arrête maintenant ! »

Il eut peine à reconnaître cette voix, il se crut alors possédé par une entité immatérielle, qui aurait pris le contrôle de son esprit, de ses sens, de son éveil… Peut-être gardait-il une pathologie à tendance bipolaire, voire schizophrène, dormant tranquillement en lui jusqu’à surgir aujourd’hui, de lancinante à puissante et volontaire. Il prit peur en pensant à cet état qui pouvait remettre en question tout ce qui faisait de lui ce qu’il pensait être, jusqu’à cet instant présent. Vertige existentiel, remise en question de soi, annihilation de son propre caractère, de son mental, de ses vérités personnelles.

Il pensa à Maddy qui dormait encore dans le lit qu’il venait de quitter, il réalisa qu’en rentrant ce soir, elle ne le reconnaîtrait peut-être pas, si cette chose en lui restait en constance, présente et active. Dans son esprit, un changement était enclenché. Non pas physiquement comme dans La métamorphose de Kafka ou Je suis d’ailleurs de Lovecraft, mais dans son caractère et sa façon d’agir, de parler et de penser.

Cependant, à suivre cette nouvelle philosophie de vie, il se devait de ne pas jouer à l’égoïste, il désirait seulement faire ce dont il avait envie sur le moment, un désir qui le hantait soudain, à assouvir de la plus normale des façons. Pas n’importe comment non plus, ni au détriment de son bien-être avec les personnes qu’il aimait, ni d’une manière anarchique, mais l’assouvir de toute façon, pour sa survie nouvelle, pour sa deuxième naissance.

Comme exemple du renouveau qui s’opérait, à la vue de son membre se levant un peu grâce à une image qui se formait devant lui, il aurait pu sortir de la pièce et entrer dans la chambre, se glisser à nouveau sous les draps tout contre la chaleur de Maddy, relever la nuisette légère, retirer sans honte la fine culotte, et se servir de l’érection intense qu’il vivait à présent pour la prendre délicatement dans son sommeil.

Il sentait une envie irrésistible d’assouvir ce besoin primaire mais ne plus se mettre de barrière ne signifiait pas spécialement être mauvais, ni pervers, ni irrespectueux envers quiconque, qui plus est, la personne qu’on aime le plus.

Il rangea donc son excitation dans son jean à contrecœur, prit une chemise légère et se lava les dents, se peigna à peine, quelques pressions de déodorant sans odeur sous les aisselles et d’eau de toilette subtile dans le cou et descendit les escaliers sans un bruit. Il se sentait enfin lui-même, régénéré, prêt à affronter le monde extérieur et plus personne ne contrerait ses envies et ses desseins, peu importe les répercussions. Tout en démarrant sa voiture, il repensa à un de ses collègues qui l’avait emmerdé la veille et se promit de réagir différemment aujourd’hui, car il était devenu, depuis une heure seulement, un autre homme, enfin, irrémédiablement.

***

En entrant par le hall lumineux et vitré, il lança au gardien de l’accueil : « Hey man, how are you doing ? » Il s’esclaffa en imaginant les yeux incrédules de l’autre qu’il n’avait même pas pris le temps de regarder. Il avait toujours eu envie de balancer ça en arrivant le matin, à cette personne qui exécutait son travail à demi-conscience, sans effort, sans pensée, sans lumière dans le regard. Il se sentit heureux de l’avoir enfin fait au moins une fois.

Avant d’atteindre l’open-space et son affolante longueur infinie, il croisa Valérie, qu’il trouva encore plus séduisante que d’habitude. Elle lui fit un petit bonjour avec une bise légère comme toujours et reprit son chemin. Il se retourna sur ses petites fesses mouvantes et les imagina sans ce pantalon en toile beige très serré. Il exulta son ravissement sans s’en rendre compte, mais elle avait déjà pris l’escalier en face. Les jours précédents, il se serait offusqué lui-même de cette attitude un peu machiste et presque indécente, et se serait réprimandé en son for intérieur. Aujourd’hui, il se sentait comme un homme normal, avec ses pulsions intimes et son instinct primaire de chasseur, appréciant les formes de cette belle femme. Aucune humanité ni raison, juste un désir d’être bien, heureux et à l’aise avec ses sensations les plus profondes et si souvent réprimées.

La journée se passa sans anicroche particulière, les boxes de l’open-space ne ronronnaient pas moins que d’habitude, les blagues de mauvais goût fusaient toujours avec autant de bêtise, et les salles de réunion ne désemplissaient pas, avalant et recrachant des employés toutes les demi-heures ou toutes les heures, tous avec ordinateur portable sous le bras, une régularité impressionnante dans l’intention, presque robotique.

Mais Byron ressentait un changement, imperceptible, suspect, subtil, était-ce à nouveau de son fait ou au-dehors ? Les visages ne changeaient pourtant pas d’expression, les gestes restaient les mêmes, les paroles toujours aussi techniques par-ci, commerciales par-là, les allées, les bureaux et les boxes n’avaient subi aucune modification depuis la semaine précédente. Alors se pouvait-il que ce changement, cette variation de tempérament ne provînt que de lui-même ? Ou s’en convainquait-il seulement ?

Sensation mitigée, aussi agréable que dérangeante, comme si le monde ouvrait ses portes sur un vide inconnu à l’envi mais où la ou les conséquences d’une telle liberté engendreraient certainement un point de non-retour. S’il s’engageait sur cette voie brumeuse si tentante, il savait qu’il n’en reviendrait que transformé, à jamais.

Le soir même, il rentra dans son appartement du centre, retrouva Maddy et Nathan, le fils de celle-ci, devenu pré-ado, flasque et incontrôlable, se comportant comme des millions de jeunes du même âge dans le monde entier à savoir, passant ses soirées et ses week-ends à jouer aux consoles vidéo, à surfer sur les réseaux sociaux, à écouter de la musique dénaturée, antisociale et violente, d’une bêtise affligeante par les textes et les attitudes et jouant avec les nerfs de tous ses proches adultes. Byron pensait qu’il ne supporterait pas une nouvelle preuve de paresse de ce gosse, ni une énième réflexion désobligeante envers sa mère ou sa propre vie tellement malheureuse de jeune collégien perturbé, sans but, si mal aimé. Bien heureusement, ce soir-là, il se tint tranquille, correct et particulièrement silencieux.

Que lui arrivait-il alors ? Cet artefact en plus, presque surnaturel, avait soudain envahi une partie de son être profond et se faisait à nouveau sentir, désirant sortir un peu plus chaque heure passée, comme si rien d’autre n’avait plus d’importance que la vérité des paroles et des actes, au nom d’un sacro-saint bonheur idéal. Devenait-il fou ? Comme si un soubresaut de conscience resté tapi dans les limbes de son esprit depuis tant d’années l’abordait enfin et lui insufflait une nouvelle façon d’agir, de penser… de vivre.

***

Quelques jours plus tard, il demanda à Maddy si elle désirait partir en vacances. Elle répondit qu’elle serait d’accord dans l’absolu, si elle n’avait pas toutes ces choses à faire qui l’obligeaient à repousser cette proposition.

— Pourquoi dans l’absolu ? dit-il. Tu as envie de vacances ou non ?

— Oui, bien sûr, mais pour le moment c’est impossible.

— Et pourquoi ?

— Enfin, chéri, je ne peux pas prendre des jours de congés à l’improviste, Nathan est en pleine année scolaire et je ne veux pas le laisser se débrouiller seul plusieurs jours de suite.

— Tu le laisses à son père, ce n’est pas un problème.

— Non, je dois continuer à…

— Ok, tu n’as donc pas envie de vacances.

La discussion s’acheva ainsi, lorsqu’il se leva pour aller travailler dans son petit bureau, laissant Maddy sans voix, laquelle suivit son homme des yeux sans vraiment le reconnaître.

Un jour comme un autre, devant son ordinateur, il préparait quelques devis pour deux gros clients de sa boîte. Byron aimait bien cet emploi de technico-commercial, son salaire était convenable et les relations qu’il entretenait avec la plupart de ses clients étaient plus que confortables et respectueuses. Il s’occupait de la vente d’une grosse partie des logiciels d’entreprise pour l’automobile et le transport ferroviaire, et son secteur couvrait largement tout l’ouest de l’Europe, jusqu’en Autriche, Scandinavie inclus. Conscient du poste-clé qu’il détenait et de la responsabilité qui lui incombait, il se devait de rester concentré et sérieux, du moins lorsqu’il était à son poste.

Mais un après-midi, Amaury, son collègue et voisin de droite, se comporta à nouveau de façon déraisonnée avec un fournisseur au téléphone. Cela lui arrivait fréquemment, leur chef de service Benjamin l’ayant déjà rappelé à l’ordre mais sans grande conviction et surtout sans résultat. Ce blanc-bec de trente ans à peine prenait toujours les gens de haut, rabaissait les employés plus bas que lui dans la hiérarchie, s’énervait toujours pour un rien, en parlant toujours plus fort pour que tout le monde autour de lui pense qu’il était bien le seul à faire son travail correctement avec ordre et intelligence, il était en tout cas persuadé de sa propre importance.

Byron, n’ayant encore rien dit ouvertement depuis deux ans qu’il supportait tant bien que mal ces accès puérils et perturbateurs, se leva promptement, lui prit le téléphone des mains et raccrocha avec un bruit de plastique tonitruant.

« Hé ! Tu n’es pas un peu malade, non ? » sursauta Amaury, devenu blafard par cet affront imprévu.

— Écoute-moi bien, toi ! C’est maintenant fini, tes sauts d’humeurs, finis tes éclats de voix, pour montrer que Môssieur Amaury travaille, lui, qu’il est consciencieux, lui, et qu’il ne se laisse pas faire par les fournisseurs, lui… Tu fais chier tout le monde ici, personne n’a jamais osé te le dire tout autour, on se demande bien pourquoi. Alors tu vas fermer ta grande gueule, faire ton boulot en silence comme nous tous et surtout dans le respect de tes collègues. Maintenant, ce sera comme ça ! Deux ans que je la ferme, que je ronge mon frein, maintenant ça suffit, arrête d’emmerder le monde !

Amaury n’eut même pas de répartie, il se rassit penaud, translucide et les mains tremblantes, entre surprise et colère, se demandant s’il allait pleurer ou décocher une droite sur le visage de Byron, puis se mit à lire nerveusement ses mails, comme si rien ne venait de se passer. Byron se rassit, souriant et satisfait, sous l’œil surpris de son chef de service un peu plus loin, attiré par les éclats de voix si rares de Byron. Océane, leur collègue voisine d’Amaury qui se tenait à quelques mètres dans le dos de Byron, et avec laquelle celui-ci s’entendait très bien, lui lança un sourire approbateur.

Le reste de la journée se passa dans un calme peu habituel, sans aucun autre élément perturbateur, jusqu’à la prochaine poussée de colère, jusqu’au prochain éclat d’un collègue mal luné ou constipé. Océane, comme souvent, retrouva Byron au point détente. Elle était un petit bout de femme lumineuse, les cheveux bruns coupés courts, toujours habillée de façon sexy, mini-jupe ou robe courte et bas noirs, montée sur escarpins de très bon goût mettant en valeur des petits mollets élancés. Parfois, elle portait des vêtements plus habillés mais toujours moulants. Son attitude n’avait pourtant rien pour provoquer, elle se montrait très gentille avec les hommes mais ferme, histoire de montrer à ces chers mâles qu’elle voulait bien se laisser regarder mais sans aucune équivoque.

— J’ai adoré ton intervention si spontanée, dit-elle, le nez dans son café.

— Oui, il fallait bien que cela arrive un jour. Les gens insupportables doivent apprendre à vivre en société, c’est juste dommage que ce soit à moi de mettre les points sur les « i », étant le dernier arrivé dans le bureau, et que notre chef, si peu autoritaire, est déjà prévenu et sait très bien ce qui se passe.

— Oh, tu sais, on le connaît Amaury, il n’est pas méchant…

— Non, mais ce n’est pas la question. Il gonfle tout le monde, il nous empêche de nous concentrer sur notre travail et personne ne lui dit jamais rien… Vous avez peur de quoi ? Qu’il pète un plomb là au milieu, qu’il insulte tout le monde, qu’il casse son PC, ou même qu’il tape quelqu’un ? Ce ne serait pas un mal. Il a intérêt à vite se calmer, cela fait trop longtemps que je supporte ça. Les choses seront différentes maintenant. Je ne suis pas payé pour supporter ces attitudes puériles, l’impunité, c’est terminé.

***

Le soir même, alors qu’il lisait dans son lit un texte d’Apollinaire, « Le passant de Prague », Maddy entra dans la chambre et partit se démaquiller dans la petite salle d’eau attenante. Elle chantonnait très doucement, ce qui sortit Byron de son livre en jetant un œil de côté. Elle se « cotonnait » le visage et s’appliquait à ne pas se mettre de lait dans les yeux. Elle portait un T-shirt mauve et une petite culotte blanche dentelée sur les bords, le bas de son dos se cambrait à force de se tenir sur la pointe des pieds.

Il la trouva soudain très désirable ainsi et se leva pour se poster devant la porte, les bras croisés. Maddy fit une pause et regarda son homme torse nu et pantalon de toile souple la dévisager, un sourire coquin sur le visage.

— Que se passe-t-il ? fit-elle d’une voix haut perchée.

— Je te mate…

— Mmh, je vois… Tu n’as pas honte ?

— Pas le moins du monde, je me régale de tes petites fesses suspendues, c’est magnifique.

— Tu es bien un mec, toi… Un bout de fesses et tu n’en peux plus… Allez, laisse-moi me démaquiller et file au lit. J’arrive bientôt.

Au lieu de lui obéir, il marcha jusqu’à elle et se posta derrière. Il posa ses mains sur les hanches fines, ce qui fit sursauter Maddy.

— Tu vas me faire faire une bêtise, rit-elle, tentant de contrôler sa lotion démaquillante qui avait débordé sur ses mains.

Ils se regardèrent dans le miroir et il l’embrassa tendrement sur la nuque. Elle accepta cette douceur et, sentant glisser sa culotte sur ses jambes jusqu’au sol, elle tenta de dire :

— Attends que j’aie fini, s’il te plaît, tu ne vas quand même pas me prendre au-dessus du lavabo ?

Mais elle sentit quelque chose de très dur tenter de s’introduire en elle, parcourant son intimité de haut en bas, et elle soupira, comme pour elle-même :

— Ah ben, si… Bon, n’attends pas alors…

Leur acte fut intense et court, Maddy manqua par deux fois de s’encadrer dans la glace, car ses mains glissaient sur l’émail du lavabo, au rythme des mouvements brusques de la bête derrière elle. Ils se couchèrent peu après, en s’embrassant encore. Maddy éteignit la lampe de chevet de son côté mais Byron semblait n’avoir aucunement l’intention de dormir. Ils se déshabillèrent totalement sous les reflets moirés de la petite veilleuse et passèrent une bonne heure l’un sur l’autre et l’un dans l’autre, comme deux jeunes amoureux pétris de fougue, prenant leur temps à explorer le corps de l’autre, avec délicatesse et engouement.

Maddy se surprit à penser qu’elle n’avait pas senti Byron aussi attentionné depuis des mois, leurs actes étant souvent bâclés et répétitifs, comme des millions et des millions de couples sur Terre, ayant tous succombé à cette horreur qu’on appelle la routine, la répétition ou l’habitude, annihilant le désir pour l’autre et éloignant peu à peu les corps entre eux. Elle se laissa faire et apprécia cette tendresse, puis cette intensité réconfortante, laissant échapper par trois fois sa jouissance un peu oubliée.

***

Durant les semaines suivantes, Maddy trouva son compagnon très affectueux et très investi dans la vie de son fils, il en était presque paternel. Il s’était toujours un peu mis à l’écart, la laissait l’éduquer, ne désirant pas interférer avec elle et son ex-mari, Pierre, le père de Nathan. Nathan lui avait demandé un soir de l’aide pour son anglais et Byron avait accepté. Depuis, une à deux fois par semaine, ils s’attelaient après le dîner à réviser le vocabulaire et la grammaire d’outre-Manche, langue natale de Byron par sa mère qu’il utilisait d’ailleurs quotidiennement avec ses clients européens.

Même sur d’autres points de leur vie, les choses s’étaient attendries, les cadeaux plus nombreux et sans occasion particulière, les petites attentions nombreuses et quelques soirées au restaurant avaient coloré quelque peu le train-train quotidien. Byron semblait différent, plus à l’aise avec toute chose, moins stressé que d’ordinaire, plus détaché parfois, moins réservé lorsqu’il s’agissait d’adresser la parole à des inconnus ou des personnes lointaines.

Maddy voulut plusieurs fois lui demander les raisons de cette profusion de bien-être et de sollicitude, mais elle pensa à un changement passager et bienvenu, dont elle ne voulait certainement pas accélérer la fin. Elle préféra se taire et profiter de cette nouvelle légèreté. Non pas qu’elle fût malheureuse habituellement, mais Byron était plutôt quelqu’un de très sérieux et de discret naturellement et portait en lui un stress permanent qu’il diffusait parfois tout autour sans s’en rendre vraiment compte. Alors cette absence de noirceur et ce sourire qu’il ne quittait plus pour elle et son fils la ravissaient au plus haut point. Elle était, hélas, très loin de se douter de la nature du profond changement qui s’opérait dans les profondeurs mentales de son compagnon.

***

Depuis quelque temps, Byron voyait des choses voler, planer autour de lui. Il ne s’en inquiétait que très peu car cela se passait par courtes périodes très espacées. Il mettait cela sur le compte du stress, de la fatigue et probablement de légères baisses de tension artérielle. Ces symptômes remontaient à loin, les manifestations avaient commencé vers ses seize ans, lorsqu’il en avait parlé à ses parents, sa mère l’avait tout de suite conduit chez des spécialistes, ophtalmologue, cardiologue, neurologue et même un psychiatre sans qu’aucun symptôme physique ou pathologique grave ne fût décelé et que ce qui restât à contrôler fut sa santé mentale.

Il avait vécu quelques semaines ainsi, accompagné de ses hôtes virtuels puis tout avait soudain disparu. Quelques réminiscences s’étaient invitées un peu avant qu’il ne rencontre Maddy, pendant une période assez compliquée et négative, enchaînant les petits boulots instables, les histoires amoureuses sans lendemain et supportant très douloureusement la perte brusque de ses parents, décédés à deux mois l’un de l’autre. Restées quelques semaines autour de sa tête, les choses volantes s’étaient à nouveau évanouies aussi subitement qu’elles se fussent installées.

Il ne pouvait les nommer précisément car elles ne constituaient pas des visions ni des hallucinations, juste des ombres rapides qui auraient survolé le haut de sa tête. Elles ressemblaient à des petits papiers très légers suspendus ou virevoltant autour de lui. Parfois se manifestaient des étincelles blanches, scintillant pendant quelques minutes, ou même des mini-oiseaux silencieux, semblant planer au ralenti.

Il ne désirait pas en parler à Maddy ni à personne d’autre, les manifestations revenaient sporadiquement, par moments espacés, et de plus en plus rarement. S’il s’avérait qu’elles fussent plus tenaces à l’avenir, il redemanderait certainement une série d’examens médicaux poussés, mais là n’était pas son occupation première. Il se devait de continuer à changer sa façon de vivre, sa façon d’être pour coller au plus près de ses aspirations de liberté, pour plus de sérénité et de bien-être poussés à l’extrême, évitant les contraintes et les divers compromis que la société impose à chaque instant à tout individu qui la compose, cette envie se manifestait comme profondément vitale, quitte à modifier ses relations aux autres et à se fâcher avec certains.

Il avait tenté de relire les classiques des auteurs beatniks cultes des années cinquante et soixante, désirant se plonger dans une idéologie de liberté à tout prix et de légèreté, Sur la route de Kerouac, les œuvres de Bukowski, plus récemment Into the Wild de Jon Krakauer, porté majestueusement au cinéma par Sean Penn, même L’insoutenable légèreté de l’être et L’Immortalité de Kundera et certains poètes presque oubliés. Il relut même pour la centième fois La nausée de Sartre et L’étranger de Camus, hélas délavés par des décennies d’une autre littérature, d’un autre monde moderne et d’un autre mode de vie. Non pas que ces romans devenus ses livres de chevet à l’adolescence ne lui plurent plus, mais l’écriture et la façon de penser de ces auteurs jadis adulés s’effaçaient petit à petit dans la résonance moderne et peut-être moins littéraire du vingt et unième siècle, pour le pire et le meilleur de notre avenir.

Alors un manque restait en lui à chaque fois qu’il tournait la dernière page de tel ou tel de ces ouvrages, comme si les auteurs parlaient tous de la même chose, et cessaient leur réflexion à un moment où Byron aurait voulu avoir une suite… Car c’était cette suite, cette continuité qui l’intéressait, il voulait aller plus loin que tous ces érudits, philosophes et aventuriers de l’esprit, il voulait plus que ces belles phrases et ces émotions torrides mais qui se révélaient assez faciles à atteindre finalement. Que lui faudrait-il donc pour dépasser cette limite que tous s’étaient donnée, par force ou par raison ?

Chapitre II

Le lâcher-prise

Byron était apprécié dans le service commercial au sein de son entreprise. Il s’occupait du bien-être de ses clients, de ses collègues et restait toujours respectueux de la hiérarchie, tenant son supérieur en grande estime, ce qui semblait d’ailleurs réciproque. Il détenait un humour « pince-sans-rire » qui pouvait troubler au départ, mais auquel on s’habituait, car exempt de méchanceté et très peu moqueur, ses plaisanteries étaient simplement placées sous le ciel de la taquinerie.