Utopia 2040 - Charles Ducasse - E-Book

Utopia 2040 E-Book

Charles Ducasse

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Beschreibung

Nous sommes en juillet 2040, et comme à quelques mois auparavant, le patron d’un journal parisien a chargé Hubert, l’un de ses jeunes journalistes, de revoir Gilles Devechter avec qui il avait déjà collaboré sur un livre. Ils avaient passé plus d’un mois ensemble sur son bateau, plongeant dans les événements entre 2005 et 2040. Cependant, un espace-temps manquait, laissant un vide en ce qui concerne l’environnement, le réchauffement climatique et la première pandémie de Covid-19 en 2020, malgré les avertissements croissants des collapsologues. Il n’y avait pas eu mention non plus de la résistance des politiciens face aux inévitables changements à mettre en place. Les enjeux liés à l’énergie, à la décroissance économique et à l’effondrement rapide de la biodiversité – faune, flore, insectes, poissons – avaient été négligés.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Inspiré par la lecture attentive de "L’Île d’Utopie" de Thomas More, Charles Ducasse construit sa propre vision de la vie sociale dans une France utopique des années 2040. Il emprunte la structure narrative de More pour dépeindre notre société au début du vingt et unième siècle entre 2005 et 2040. Dans "Utopia 2040 – Le grand effondrement", le protagoniste de l’histoire, Gilles Devechter, reprend sa place à bord de son bateau amarré à Toulouse, aux côtés du journaliste Hubert Desjardins, et tous les deux plongent dans une aventure extraordinaire.

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Seitenzahl: 403

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Charles Ducasse

Utopia 2040

Le grand effondrement

Roman

© Lys Bleu Éditions – Charles Ducasse

ISBN : 979-10-422-0518-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

L’olivier : Arbre de la sagesse

Du même auteur

Utopia 2040,Éditions Sidney Laurent en février 2021

Prologue

Les années socialistes de 2012 à 2017 furent une catastrophe politique, mais également philosophique, car la gauche avait abandonné ses principes sociétaux au profit du libéralisme capitaliste et ce depuis un certain François Mitterrand. Le Capitalisme, qu’il soit de droite ou de gauche, c’est toujours du capitalisme. Le marché, qu’il soit chinois, américain ou européen, c’est encore et toujours le marché.

Les années 2017 à 2022 ont vu l’émergence du « en même temps », porté par un président trop jeune, trop inexpérimenté, entouré de ministres trop à droite, aficionados du libre-échange, immergés dans une croyance terrible : le marché se régule tout seul. Ainsi, dès les premiers mois d’un quinquennat qui rapidement tourne au fiasco, on a vu dans les rues de France des millions de gens mécontents, des infirmières aux gilets jaunes, des avocats aux chômeurs, des urgentistes aux retraités. Et comme seuls savent faire les dictateurs en herbe, c’est la police qui a répondu aux manifestations, brisant des vies, éborgnant des gens ordinaires venus dire que pour eux la principale revendication n’était pas la « fin du monde, mais la fin du mois ».

Par ailleurs, le chômage n’avait pas baissé, malgré le traficotage des chiffres. On savait par exemple avec certitude qu’il y avait encore plus de 6 millions de citoyens qui étaient privés d’emploi, mais en ne comptant que ceux qui apparaissaient sur les listes des ASSEDIC, il n’en restait plus que 2,5 millions officiellement au chômage (en fait 8 %). En fin 2012, les comptables du trésor ont donné leurs chiffres : le déficit de la nation dépassait 3 %, chiffre immuable, ordonné par l’Europe. Le déficit du pays s’élevait à 2 milliards d’euros (30 mille euros par habitant).

Pourtant, on parlait de démocratie, alors que le Président Macron avait recueilli moins de 20 % des électeurs, même si, finalement il a été élu. La démocratie devenait presque un gros mot, tant elle était galvaudée, sans se rendre compte qu’elle n’avait jamais existé. Un opposant avait dit : « faire l’amour une fois tous les cinq ans, ce n’est pas de l’amour, et voter tous les cinq ans, ce n’est pas la démocratie ». D’ailleurs, ce pays fonctionnait comme une monarchie, le monarque en question n’étant pas un roi, mais un Président de la République. La sixième république n’était pas de mise.

Il était une fois, un pays qui se mourait, faute d’ouvrir ses yeux, son cœur, son intelligence, sa créativité…

Chapitre I

2040 / Hubert

Nous sommes le mercredi 23 mai 2040. Hubert avait changé d’appartement. Il occupait maintenant une petite maison dans une rue calme de la banlieue de Paris. Il avait eu de l’avancement grâce au reportage qu’il avait fait sur Gilles Devechter, ce qui voulait dire plus d’argent, un contrat plus juteux, une maison plus grande, une plus belle voiture. De ce côté, même si le capitalisme des années 2020 était tombé, il restait quand même les pulsions humaines d’en vouloir plus. Il avait embarqué avec lui, Charles, son ordinateur qui continuait à s’occuper de lui. Cette fois-ci, son lieu de vie était plus vaste, mais tout aussi moderne. Imaginez une grande pièce, capable de se transformer grâce à des parois amovibles. Les murs pouvaient changer de couleur, les vitrages s’éclaircir ou s’assombrir, la chambre à coucher était ornée d’un immense lit central, à eau, dernier cri pour soigner le mal de dos. Un immense bain à bulle occupait le centre de la salle de bain, et encastré dans le mur une douche à air pulsé. Il ne faut pas oublier que l’eau était devenue une denrée rare, tout au moins économisée. Au bout de cette grande pièce une petite cuisine américaine, et adjacent, une chambre vaste et lumineuse le jour, s’assombrissant à la tombée de la nuit, permettant des nuits calmes et paisibles, dans un immense lit à baldaquin qu’il avait trouvé sur un marché aux puces, du côté de Saint-Ouen.

Dans cette vaste pièce claire, une odeur de café se répandait doucement sans qu’apparemment rien n’ait bougé. Une musique suave s’éleva, et l’on aurait pu reconnaître une vieille chanson de Michel Jonas, « Dites-moi ». Réglée automatiquement, la température de la pièce augmenta, bien que ce mois de mai soit plutôt chaud. Elle était réglée sur 15° la nuit et 18° la journée. Sur un des côtés, un bureau large et long sur lequel trônait un écran plat et à ses pieds une colonne d’ordinateur qui clignotait avec régularité. Pourtant l’écran était éteint, mais la survie de Charles, le valet virtuel, nécessitait qu’il ne soit jamais déconnecté. Côté cuisine, quelques placards, mais pas de vaisselle, ni récipients. Tout au plus pouvait-on voir un long banc de travail occupant deux murs et s’enfonçant dans un trou obscur. Sur cette table de travail, une piste magnétique longeait le mur tout du long. Les murs étaient pour l’heure vert clair.

10 minutes après le début de la musique, une voie obséquieuse s’éleva :

« Monsieur Hubert, il est 9 heures ».

L’écran plat se colora lentement et pendant quelques secondes, des couleurs pastel se mêlèrent dans un camaïeu aléatoire puis des images se formèrent. C’était le premier bulletin d’informations de la chaîne télé privée Canalsat.

« Merci Charles », répondit une voix, venant du fond de la pièce. Hubert était déjà levé, attablé devant un café qu’il avait fait couler tout seul, pour une fois. Le croissant arriva un peu plus tard, dans un chuintement à peine audible.

Hubert était satisfait de sa nouvelle vie, mais parfois, la monotonie de cette existence trop calme, trop policée, lui donnait comme un goût amer, eu égard de l’expérience extraordinaire vécue auprès de Gilles Devechter, même si elle n’avait duré que quelques semaines. Le rythme de la vie sociale s’était beaucoup ralenti, et globalement la sécurité assurait aux citoyens une existence paisible, même si parfois quelques malandrins, ou d’autres anarchistes, adeptes du chaos social dérangeaient cet ordre établi.

L’ordre qui régnait n’était pas lié à de la dictature, mais bien à l’existence d’une réelle démocratie participative, qui permettait aux habitants du pays, grâce au RIC ou au référendum révocatoire par exemple, de faire pression, voire de décider sur des décisions concernant leurs existences. Dans tous les cas, le Conseil des Sages était un pare-feu fondamental, face aux attaques socioculturelles de la bien-pensance et des défenseurs du capitalisme libéral qui n’avait pas disparu. La France de 2040 était une Île, et il n’était pas rare qu’il y ait des attaques politiques internes ou bien externes venant de voisins dont l’idéologie restait le Marché et la circulation libre et non faussée des marchandises et des capitaux. N’allons pas croire que le peuple entier était d’un avis unanime et conforme. L’espèce humaine est ainsi faite, que selon la socioculture de chacun, les idées, les choix, l’éducation, le niveau social, il restait en permanence des choix politiques personnels. Par ailleurs, il y eut beaucoup et il y avait encore de nombreuses discussions autour de la majorité (50 % +1) lors des élections. L’organisation des votes, grâce à l’avis unanime des Sages, était passée de 50 % à 70 %. La dictature de la majorité était devenue impossible à accepter.

Hubert, dans sa nouvelle fonction au journal, avait cessé de traquer les « chiens écrasés », pour des enquêtes et des interviewes plus importantes. En cela, il se sentait reconnu et valorisé. C’est donc joyeux et détendu qu’il allait travailler chaque jour.

Il travaillait toujours dans le même quotidien électronique, avec ce patron irascible qui n’avait pas changé. Toujours d’une humeur massacrante, il ne respectait personne, solitaire dans son grand bureau vitré, surveillant tout le monde. Heureusement, les aléas de la vie professionnelle avaient ouvert la plupart des emplois à du travail internet, chez soi, quand cela était possible. C’était le cas pour Hubert qui travaillait la plupart du temps de son bureau dans sa maison.

La même voix respectueuse s’éleva de nouveau :

« Monsieur Hubert a bien dormi ? »

« Très bien Charles », répondit Hubert, sans regarder personne, « tu peux préparer ma tenue claire, car il devrait faire chaud aujourd’hui ».

Charles, chacun l’aura compris, c’était l’ordinateur. C’est lui qui veillait, seconde après seconde au bien-être de « Monsieur Hubert ». Ce fut le premier gros achat que fit Hubert. Ça, et la nouvelle voiture. Il avait fallu quelques jours avec un technicien en robotique et un autre en informatique pour tout régler. Ça valait le coup. C’est Charles qui réglait tout, de la température de l’appartement à l’ouverture des portes, du nettoyage des vêtements à la confection des repas, de l’ouverture des volets à la commande des courses aux magasins virtuels. Il l’avait appelé Charles en l’honneur de son arrière-grand-père, mais il aurait pu l’appeler autrement, Conchita par exemple et lui donner une voix féminine et un accent espagnol.

Les voix de synthèse étaient toujours très performantes et la reconnaissance vocale également. C’est ainsi que pour se faire comprendre de Charles, Hubert lui avait appris son vocabulaire personnel, enrichissant ainsi ses propres connaissances de base.

Eh oui, en 2040, l’apprentissage des ordinateurs comme celui des robots se faisait à la fois par leurs utilisateurs et à la fois grâce à l’intelligence artificielle qui leur permettait de mélanger les informations et d’en faire de nouveaux concepts. C’est ainsi que l’écriture des articles se faisait en parlant et plus en tapant sur un clavier et la plupart des informations en direction de l’ordinateur pouvaient se faire grâce à des écrans tactiles de nouvelles générations.

Il faut rappeler que tout (ou presque tout) était réglé par Charles. Quand il préparait un plat, il ne faisait que le réchauffer. C’est le traiteur qui faisait des plats sophistiqués, il n’y avait plus qu’à l’ouvrir et le passer aux micro-ondes. Il en était de même pour les salades ou le pain. Contrairement à ceux qui avaient vécu dans les années 1990, Hubert vivait facilement l’évolution de l’informatique et de la robotique.

En 2040, l’âge moyen était de 98 ans, le temps de travail de 20 heures par semaine si on voulait travailler (plus si on voulait gagner plus). On pouvait travailler jusqu’à 90 ans si on en était capable, ne faire que les 20 heures obligatoires ou décider de ne pas travailler du tout. D’ailleurs, le mot travail avait disparu du vocabulaire, au grand dam des syndicats, remplacé par l’activité rémunérée. Il y avait longtemps qu’un revenu universel avait été installé, qui permettait d’exister. En revanche, le salaire supprimait ce revenu, d’autant que le SMIC mensuel était autour de 1800 €. Il faut bien dire que les emplois jugés trop durs avaient été remplacés par des machines. Cela avait commencé dans les années 1970 chez Renaud, quand on avait remplacé les peintres en voitures par des robots. Ils étaient plus rapides, plus performants et ils n’attrapaient pas de maladies respiratoires comme les ouvriers. Notons que ces robots pouvaient travailler 24 h sur 24. La nuance était subtile : un robot travaillait et un humain était en activité rémunérée. Notons également qu’à la suite du COVID 19, l’automatisation s’était accélérée, et les caissières avaient disparu. La hantise de ce virus avait bouleversé les usages. Les écologistes jubilaient, car l’alimentaire en circuit court avait fleuri, et les paysans en avaient profité pour multiplier les coopératives de vente à la ferme et les laboratoires de découpe des animaux également. Il faut avouer que l’alimentation carnée avait beaucoup perdu de son attrait.

Le téléphone vibra et il s’empara de la commande qui était accrochée à sa veste. Tout passait par cette commande, car le téléphone était logé dans une dent qui utilisait les vibrations transmises par les os de la mâchoire. Il n’était pas mécontent de ce nouveau téléphone, qui était plus performant que l’ancien. Toutefois, la course à du matériel plus sophistiqué avait laissé la place au recyclage. Il n’était pas rare que du matériel usagé soit réparé et recyclé, conséquence du choix de la décroissance choisi dans les années 2030.

« Salut, Hubert, ne te mets pas en retard, le patron veut te mettre sur un super coup. Ça devrait te plaire ».

« Merci, à tout à l’heure », répondit Hubert.

C’était Angèle, une nouvelle collègue de travail, qui lui plaisait bien, mais il ne voulait pas faire couple. Son boulot le passionnait et il voulait briller. Il était comme tous les jeunes, il avait les dents longues. Hubert s’habilla, des vêtements légers, avec une chemise blanche en lin. Il mit ses pieds dans une paire de mocassins hyper ventilés, légers comme de la plume. Comme à l’accoutumée, la voix de Charles lui souhaita une bonne journée.

« Charles, je pars. Pourras-tu passer mes messages sur mon téléphone ? N’oublie pas de mettre à cuire un gratin de choux-fleurs, pour 20 heures, et tu rajouteras du saumon fumé avec des toasts grillés. Je t’avertis quand je rentre. »

« Bien, Monsieur. Vous noterez que je fais l’inventaire des aliments et que je passe la commande à l’hyper. »

Ça, c’était la révolution de la domotique (les robots et l’assistance informatique pour tout ce qui concerne la maison). La commande une fois passée était traitée dans l’hyper marché, y compris dans la partie traiteur pour les plats préparés, mis en carton et livré dans les 2 heures qui suivaient. Le paiement se faisait automatiquement et débité du compte bancaire. Le livreur apportait la marchandise, Charles lui ouvrait la porte de la réserve et grâce à des caméras, surveillait que les produits soient bien rangés dans leurs cases. Le stock était remis à jour et ainsi, Hubert ne manquait de rien.

Hubert se dirigea vers la porte d’entrée qui s’ouvrit instantanément. Charles avait commandé l’arrivée de la voiture. La portière s’ouvrit à son arrivée :

« Toujours là, Charles ? »

« Bien sûr Monsieur Hubert, comment feriez-vous sans moi ?

Voulez-vous que je conduise ? »

« D’accord, tu vas m’amener jusqu’au tramway le plus proche. Il fait beau et je ne suis pas pressé », répondit Hubert.

Les transports en commun étaient gratuits dans toutes les grandes villes. En réalité, le premier Corona Virus de 2020 avait chamboulé beaucoup de monde. La pandémie avait relevé un élément auquel personne n’avait pensé : une épidémie se transmet plus rapidement dans ces mégalopoles où le confinement et la promiscuité sont basiques. Ainsi, peu à peu, les grandes villes s’étaient vidées, les grandes tours (cages à lapin) démolies et les habitants s’étaient dispersés en milieu rural. Il n’y avait presque plus que des bureaux, souvent peu utilisés, car le télétravail était devenu la norme.

Pas de problème d’excès de vitesse, ni de feu brûlé, ni même de bouchon, la plupart des automobilistes laissaient faire la voiture toute seule. C’était plus simple, plus rapide, plus économique et moins dangereux. La voiture d’Hubert était du haut de gamme. C’était un choix. Ce n’était pas une énorme voiture, mais elle était particulièrement performante : elle consommait 1 litre de carburant aux 100 kilomètres, le reste du temps elle fonctionnait à l’électricité. Cette voiture roulait au gaz, à l’essence, à l’éthanol et à l’électricité. Il savait que la prochaine voiture qu’il achèterait roulerait à l’hydrogène.

Du fait de la désertion des cœurs de ville, l’organisation sociale de la vie quotidienne s’était calmée, la circulation automobile était presque nulle, les livraisons se faisaient de nuit, et la place faite aux vélos était presque totale. Ce sont les oiseaux qui étaient satisfaits. On avait remarqué lors de la pandémie de 2020 que beaucoup d’animaux étaient revenus. Il faut dire que durant cette épidémie et le confinement quasi total pendant 2 mois, l’air s’était nettoyé. Ce Corona virus, de l’avis de Gilles Devechter, mais je ne l’ai appris que bien plus tard, fut une bénédiction pour l’anarchiste qu’il était et pour le monde en général. Il fit le parallèle avec le diabète qui l’avait rattrapé à l’âge de 50 ans, et qui l’avait sauvé de toutes les autres maladies tellement il était analysé, ausculté, surveillé, soigné.

Charles arrêta la voiture aux portes d’un tramway, attendit qu’Hubert s’engouffre dans le wagon, puis alla se garer sur le parking. La patience d’un ordinateur est sans limites. Hubert se dirigea vers l’ascenseur. Il s’arrêta au vingtième étage. Un lecteur de puce avait déjà signalé à tout le réseau son arrivée. Il avait opté pour une puce directement introduite dans sa peau. Immanquablement, il était reconnu par tous les lecteurs de puces, mais il avait jugé que ça n’avait pas d’importance, comme la plupart des jeunes de cette époque. La notion de liberté avait changé. Malgré la puce, il se sentait libre. Et puis, disait-il, entre les cartes bancaires, les téléphones portables, le permis de conduire, la carte vitale, on était déjà pas mal fliqué. Alors, un peu plus, un peu moins, ça ne changeait rien à la vie. La liberté, c’est dans la tête.

Il entra dans la même pièce dont tout un côté était formé par des vitres donnant sur la rivière. La lumière rentrait à flot et illuminait la pièce. Le patron interpella Hubert, lui demandant de passer à son bureau.

« Asseyez-vous » lui aboya-t-il au visage. « Vous avez gagné vos galons avec le travail que vous avez fait avec Gilles Devechter. Il se trouve qu’en épluchant le temps entre 2015 et aujourd’hui, nous ignorons beaucoup de choses. Je ne sais pas si c’est volontaire ou si vous avez raté une partie de votre travail. En tout cas, qu’a-t-il fait entre 2015 et 2030, nous n’en savons rien. Comment a-t-il retourné le groupe de sages, ont-ils travaillé sur des thèmes tels que l’environnement, le réchauffement climatique, la fin des énergies primaires, l’effondrement qui a suivi la pandémie ? Je l’ai eu au téléphone. Il est d’accord pour finir l’histoire, mais seulement avec vous. Donc, mettez-vous en contact, passez à la visite médicale, nous vous préparons votre ordre de mission. C’est tout. Vous pouvez partir. »

Hubert jubilait. Il aurait embrassé son chef tellement il était content. Et pourtant, l’idée ne serait venue à personne. Il n’y croyait pas encore, et après avoir embrassé ses collègues, il repartit vers sa demeure. Les gens le regardaient bizarrement dans le tramway, tellement il avait un air benêt dû à son contentement. Ce soir, champagne. Il lui vint en tête d’inviter la petite Angèle, pour lui faire partager sa joie. Et sans réfléchir plus avant, il appela son téléphone personnel.

« Salut Angèle. Je fête mon départ vers le sud. Tu veux venir à la maison ? »

« Pourquoi pas. Bien sûr, repas en copain ? »

« Évidemment, mais prévois quand même une tenue adéquate pour prendre un sauna et un bain à bulles. En tout bien tout honneur. »

La conversation le fit rire jusqu’au retour à la voiture, qui était garée devant le tramway. Charles assurait parfaitement son rôle de majordome et de chauffeur.

« Monsieur Hubert semble heureux. Une bonne nouvelle sans doute », dit Charles.

« Tu as raison. Je pars dans le Sud, rejoindre mon ami Gilles Devechter. Un mois sur son bateau, ça, c’est du travail. En plus, nous allons voyager en plein été. Alléluia ! »

« J’ai cru comprendre que Monsieur avait de la visite ce soir. Faut-il mettre les petits plats dans les grands ? »

« Charles, tu ne devais pas écouter mes conversations privées. Ce n’est pas bien ! »

« Vous avez raison, mais je ne peux pas faire autrement. Votre téléphone est directement relié à moi. Vous ne pouvez pas tout avoir, le beurre, l’argent du beurre et la fermière. »

« Charles, voilà que tu fais de l’humour. Bravo ! En tout cas, avant de rentrer, nous allons passer à la supérette, pour acheter du vin et quelques bricoles. »

« Pas de problème, Monsieur. »

La vie était belle. Sa vie était belle. Il avait suivi une école de journalisme à Bordeaux, cela l’avait passionné. Finalement, il aimait bien les études. Peut-être, pensa-t-il, qu’il retournerait à l’école dans quelques années, dans le cadre de la formation professionnelle, dans le droit sans doute. Son salaire était confortable, il avait plein d’amis, il s’était mis à l’équitation et au judo, pour parfaire son mental et son physique. Il avait découvert le bouddhisme, lors d’un voyage en Chine, et ça l’avait enthousiasmé. Il était un peu gêné par l’idée de revenir changé en autre chose pour finir son karma, mais il avait fait l’impasse sur ce sujet.

« Nous voilà arrivés, Monsieur. »

« Merci Charles. J’en ai pour deux minutes. »

« J’ai le temps d’attendre », répondit Charles.

Cinq minutes plus tard, Hubert revenait, les bras chargés de victuailles. Sans doute n’en avait-il pas besoin, mais ça l’amusait, pour une fois, d’acheter des choses en direct. On aurait dit un gosse. Il avait même acheté des bonbons, sans sucre évidemment. Pourtant le goût sucré était présent. En fait, malgré les années de recherches, aucun savant n’avait pu résoudre le problème des papilles gustatives, avec son addiction au sucre et son aversion à l’amer. Les années modernes ne changent pas si vite les centaines de milliers d’années d’atavisme humain. Il avait pris du pain bio, complet et frais du matin, croustillant et odorant, et des tartelettes aux fraises, à l’ananas et aux pommes. Il s’était fendu d’un rosé Listel déjà frais et d’un apéro « Punch Coco ». Et puis, un peu d’alcool détendrait sans doute la belle Angèle. Il ne buvait pas souvent, mais c’était l’occasion qui faisait le larron, comme disait son grand-père.

Hubert ne parlait pas souvent de sa famille. Son enfance, sans être totalement malheureuse, n’était pas non plus au top. Son père était parti avec une jeunette alors qu’il avait 14 ans et il s’était retrouvé seul avec sa mère. Il aimait bien son père, mais c’était un coureur de jupons. Il ne pouvait pas s’en empêcher. En même temps, l’époque du couple marié pour toute une vie était révolue. Déjà en 2010, le nombre de couples recomposés comptait pour 50 % des familles. La norme était devenue au fil du temps la décomposition puis la recomposition des familles éclatées. Hubert n’avait pas échappé au phénomène socioculturel. Ce qui n’avait pas manqué, c’est que sa mère se remette avec quelqu’un, et ce ne fut pas le meilleur qu’elle eût choisi. Un abruti, disait Hubert, et méchant avec ça. Ça n’avait pas collé du tout, raison pour laquelle il est parti dès sa majorité, sous le prétexte des études. De fait, il s’est épanoui dans sa chambre d’étudiant d’abord, puis en collocation ensuite, jusqu’à la fin de ses études et son diplôme en main, il est monté à Paris.

La voiture s’arrêta devant la maison, et Hubert descendit ses sacs de courses, pendant que Charles garait la voiture au garage. La porte d’entrée était ouverte, et la musique se mit en marche. Toujours du Michel Jonaz. Ce qui était bien avec Charles, c’est qu’il pouvait tout gérer en même temps : ouvrir la porte du garage, rentrer la voiture, mettre la musique, ouvrir la porte de la maison… « J’aurais dû l’appeler Shiva », se dit Hubert, la déesse aux nombreux bras. Il était, 18 heures, ce qui lui laissait un peu de temps.

« Charles, tu n’aurais pas dû ranger la voiture, car c’est toi qui es chargé d’aller chercher mon invitée. »

« Pas de problème, Monsieur Hubert. Voulez-vous prendre un bain en attendant ? »

« Non, car je me réserve le bain à bulle avec la petite Angèle, mais merci de la proposition. »

« À quelle heure faut-il aller la chercher ? »

« À 19 heures. Je vais te donner l’adresse. »

Ce qui était surprenant, c’est que dans ce monde connecté, on finissait par parler avec la machine comme on parlerait à une personne. Surtout en ville, car dans le monde rural, la relation interpersonnelle restait de mise. Et on voyait dans les voitures, le passager, conduisant ou pas, mais toujours en discussion avec sa machine. Il faut dire que si le temps avait transformé les mégalopoles en petites villes, le nombre des habitants restait important. Le va-et-vient des piétons, des vélos et des voitures électriques rythmait les journées, agrémenté des clochettes annonçant l’arrêt des tramways. Les émissions de CO² et autres particules fines avaient été divisées par 100, du fait d’un nombre décroissant de voitures à moteur thermique. Les camions ne passaient plus dans les villes et du fait des circuits courts, leur nombre avait fondu, sans compter que le ferroutage avait été multiplié par 10. De plus, les ingénieurs avaient travaillé sur des moteurs de moins en moins énergivores. Faut-il rappeler que l’épisode du Covid avait mis un frein à la frénésie consumériste des peuples, et ce dans le monde entier, car l’épidémie n’avait épargné personne ? Je n’oublie pas les péniches qui profitant des rivières et des canaux, anciens et nouveaux, déambulaient transportant des milliers de tonnes de marchandises, sans bruit et sans dioxyde de carbone et autres particules fines, grâce à l’électricité, et surtout aux batteries de nouvelles conceptions, capables de très gros stockage et bien sûr à l’hydrogène.

« Monsieur Hubert, il est 19 h, je pars chercher votre invitée. »

« Parfait, je prépare la table et je prépare les hors-d’œuvre. »

« Je mettrai le gratin à cuire dès mon retour, il ne faut pas longtemps pour le réchauffer. »

« Parfait, Charles. »

Hubert avait vu grand. Petites entrées avec des bouchées de saumon fumé, caviar, puis crevettes avec un petit ailloli, sauté de canard au caramel, le gratin de légumes de saison, et enfin les tartelettes. Il n’était pas obsédé par le sexe, mais il avait une petite idée sur la suite à donner au repas. Bien que la reproduction des enfants ait beaucoup évolué en 2040, car 80 % des inséminations se faisant par la PMA, les rapports amoureux quoiqu’en baisse existaient toujours et les pulsions sexuelles attiraient toujours les humains les uns vers les autres. Donc, il ne déplaisait pas à Hubert de penser que la belle resterait toute la nuit.

Et ce fut ainsi. À 20 heures, elle fit son apparition, dans une robe légère et un chemisier échancré, magnifique et les yeux remplis de promesses. La soirée fut paradisiaque, et comme dans toute aventure naissante, tous leurs sens étaient exacerbés. Les frôlements, la découverte de l’autre, les soupirs, les contacts, l’embrasement final, tout fut parfait et romantique. À 7 heures, Charles ramena la princesse Angèle dans son palais, après un petit déjeuner rapide. La soirée avait tenu ses promesses.

Dès le lendemain, Hubert se mit en chasse pour trouver Gilles, et il l’appela son ami policier, Henry, qui l’avait aidé la première fois.

Henry répondit aussitôt :

« Salut Henry, j’ai encore besoin de tes lumières ».

« Du moment que tu payes une gamelle, et que ça ne me soit pas interdit par la hiérarchie, pas de problème », répondit Henry.

« En fait, il faut que je retrouve le gars que j’ai interviewé une première fois, le dénommé, Gilles Devechter. Il doit être du côté de Toulouse ».

« OK, je te contacte lundi prochain, car je pars pour un long week-end avec ma femme et mes gosses, à la campagne. »

« Je te rappelle lundi, et merci d’avance. Tchao. »

Il avait connu Henry lors d’une enquête sur un accident avec des jeunes de la banlieue. Évidemment, les banlieues n’étaient plus les no man’s land d’autrefois. Les bandes avaient été balayées, grâce à l’efficacité de la police de quartier. Les députés avaient réorganisé la vie dans ces quartiers sensibles, abattu les tours-dortoirs, offert aux habitants des logements à visages humains, maisons individuelles ou petits bâtiments de quelques étages. Des parcs et des jardins ouvriers avaient fleuri et redonné aux citoyens des villes le goût du bien-vivre ensemble en mode citadine. Notons également que le hachich avait été légalisé dans les années 2026, ce qui avait cassé les pattes aux dealers de tout poil. Le revenu universel avait également permis de régler la situation de beaucoup de pauvres. Ils n’étaient plus obligés de voler pour survivre et il y avait assez peu de gens vivant dans la rue. Pour ceux qui choisissaient pourtant cette façon de vivre, des lieux d’accueils libres et faciles d’accès avaient été construits. Pas de porte, pas de clé, des tables, des bancs vissés au sol, des couchages façon lit militaire étaient à leur disposition.

Bien sûr, cela n’empêchait pas les couacs sociaux. Quelques bandes, plutôt jeunes, subsistaient et donnaient à la police l’occasion de jouer aux cowboys. Le bien-être et le bonheur du plus grand nombre n’empêchaient pas certains écarts de quelques-uns, réfractaires aux lois ou à l’ordre. De tout temps, dans toutes les époques, il y a eu des bandes asociales. La démocratie était bien capable d’accepter les marginaux. C’est en cela que l’on reconnaît une vraie démocratie. La beauté des fleurs des champs s’épanouit au milieu des herbes folles. La vraie liberté, en dehors de choisir ses chaînes, est d’accepter l’anticonformisme de quelques-uns.

Hubert n’avait rien de prévu pour cette journée. Alors il décida de passer à la salle de sport, puis dans la foulée, de plonger dans la piscine du complexe sportif auprès duquel il avait signé pour une année d’entraînement sportif. Pour ce faire, il devait retourner sur Paris, Porte de Versailles, au centre aquatique Aqua boulevard. Un tramway le déposait directement devant la porte d’entrée. Une grande partie des activités se passait au soleil, à l’extérieur, il pouvait donc y passer du temps. De plus, des restaurants et un complexe cinéma se trouvaient sur place. La journée pouvait être fabuleuse. Il suffirait ensuite d’appeler Charles, et la voiture pouvait l’attendre. À 10 h 30 ce matin, il entrait dans cet immense complexe sportif. À 22 heures, il montait dans la voiture, salué par Charles, toujours aussi obséquieux.

« Monsieur Hubert est content de sa journée ? »

« Super. En plus, il y avait des filles magnifiques, des brunes, des blondes, des rousses, je n’avais pas assez de mes deux yeux pour admirer et me rassasier de tant de beautés. Quel dommage, mon pauvre Charles, que tu ne puisses te délecter de ce paysage avec moi ! »

« Monsieur plaisante. Du moment que Monsieur est satisfait, je suis satisfait. »

La voiture démarra sans bruit, électriquement, et pratiquement jusqu’à la maison, aucun bruit ne sortit du moteur. Il fallait atteindre 80 km/h pour passer en mode thermique. Dès l’entrée dans le garage, un système automatique commençait à recharger les batteries de la voiture. Dans les années 2020, avec la voiture Zoé de Renault, on pouvait atteindre 400 km d’autonomie. En 2040, outre que la voiture pouvait se recharger lorsque la vitesse était supérieure à 80 km/h, l’autonomie des batteries était passée à 800 km. Hubert avait choisi une Toyota hybride Lexus LS 500H 2WD Luxe essence / éthanol. Un bijou technique et une harmonie dans les formes exceptionnelle.

« Charles, tu voudras bien prendre rendez-vous pour moi, au centre de visite médicale le plus proche, pour lundi matin. »

« Pas de problème, Monsieur Hubert. »

Ce lundi, il devait, outre la visite médicale, téléphoner à son ami policier avant de contacter Gilles Devechter. Charles avait pris rendez-vous pour 11 heures, au centre médical de son quartier. Cela entrait dans les heures de travail du journaliste. Chaque salarié accomplissait cette visite au moins une fois par mois, et plus, s’il avait un doute sur sa santé. La réussite de l’allongement de la vie, qui stagnait dans les années 2020, avait repris dès lors que ces visites avaient été rendues obligatoires, rapides, indolores, non intrusives, et complètes. Il n’était même plus nécessaire de se dévêtir. Debout face à un écran, les mains posées sur des poignets, les pieds bien à plat, un scanner balayait tout le corps de haut en bas sans rater une seule miette de la surface du corps. Une goutte de sang était prélevée grâce à une petite aiguille, tout le reste était analysé par le scanner : tension, diabète, cholestérol, phénomènes cardiaques… Pour résoudre les problèmes du personnel de santé, après des mois de grève des infirmiers, des urgentistes, des docteurs, les gouvernements ont enfin accepté de concevoir que les soins de santé devaient être exclus du marché et de la rentabilité. Ils ont admis également qu’il valait mieux prévenir que guérir, comme le faisaient depuis longtemps les Chinois. En conclusion, Hubert était en pleine forme. Il pouvait donc partir travailler dans le Sud, où soleil, les pieds dans l’eau ou les fesses posées sur un transat sur le bateau de Gilles.

Charles avait appelé le policier, pour le repas du soir ce lundi, et lui avait proposé de venir le chercher. Henry était enthousiaste de rejoindre Hubert qu’il n’avait pas vu depuis plusieurs mois. Et puis, à chaque fois, le repas était spécial et copieux. Il n’osait pas demander directement à Charles quel était le menu. Mais c’est Charles qui vendit la mèche. En réalité, ce soir, huîtres du bassin d’Arcachon, crevettes grises de Gironde, langouste Aïoli et poêlée d’anguilles persillades. Le tout arrosé d’un Gewurztraminer, un vin blanc d’Alsace réputé. Pour le dessert, fraises Gariguette, glace à la fraise et chantilly. Pour finir en beauté, Charles avait dégoté un champagne rosé frappé.

Henry franchit la porte vers 20 heures, salué par Hubert, qui l’attendait, vêtu d’un ensemble crème en lin, sur une chemise bleu ciel qui faisait ressortir ses yeux clairs. Il avait un feeling parfaitement emphatique, et le policier éprouvait pour ce jeune journaliste une vraie amitié. Ainsi, chaque fois qu’il le pouvait, que sa hiérarchie ne l’en empêchait pas, il prenait plaisir à lui rendre de petits services. Ce fut le cas pour trouver le désormais célèbre Gilles Devechter, rendu célèbre par un livre, suivi d’une multitude d’interviewes et d’émissions télé. Mais ça ne lui plaisait pas. Ce qu’il voulait, c’est être tranquille. Il n’avait même pas revu les participants au conseil des sages. Pour lui, c’était déjà de l’histoire ancienne.

Ça n’allait pas être facile de retrouver et rencontrer Hubert. Henry lui donna l’adresse, à Toulouse, dans un petit hôtel près du port Saint-Sauveur. Son bateau était hors de l’eau pour une révision complète, avant de repartir, cette fois en direction de Bordeaux. Il fallait qu’il y soit vers le 20 juin, car il devait fêter son anniversaire avec des amis et un reste de famille. Il n’empêche qu’il devait l’appeler, même si le résultat n’était pas assuré. Pour l’instant, Hubert décida de passer un bon moment avec son ami, secondé par Charles pour la cuisine. Ils parlèrent de tout et de rien, faisant des blagues de potaches, parfois un peu limites sexuelles, comme des garçons entre eux, sans témoins. Même en 2040, les plus mauvaises blagues marchent toujours. Ça ne changera jamais, même dans cent ans. Le champagne n’arrangea rien, et la soirée se termina vers 2 heures du matin. Heureusement que Charles n’avait pas bu. C’est donc lui qui se chargea de ramener Henry chez lui, si fatigué qu’il s’endormit dans la voiture silencieuse. Belle soirée, pensa Hubert, puis il se coucha, et s’endormit immédiatement. Demain, le jour se lèvera.

Quelques jours passèrent avant qu’il ne puisse parler à Gilles Devechter qui ne répondait pas au téléphone, et encore moins à ses courriels. Hubert, parfois parano, pensa qu’il ne voulait plus de l’interview. Il lui fallut attendre début juin, pour enfin réussir à lui parler, et contrairement à ce qu’il croyait, il était très content de le retrouver. Ils passèrent presque une heure à papoter au téléphone. Il voulait tout savoir à propos de sa vie, ce qu’il faisait aujourd’hui. Du coup, ils convinrent d’une date de rendez-vous, à Toulouse, le 10 juin, à la gare Matabiau. Il fallait juste lui envoyer l’heure d’arrivée pour qu’il puisse venir le chercher. Vraiment, il était trop gentil. Hubert n’en revenait pas de le voir si content de leurs retrouvailles. Quant à lui, il était fou de joie. Le seul bémol, c’est qu’il y avait encore plus de 15 jours à attendre, mais son patron lui trouva de quoi s’occuper, après qu’il l’eut appelé pour lui indiquer la date de son départ vers Toulouse.

Un ancien ministre écologiste, ancien député, Yves Cochet, précurseur du grand effondrement, qui s’était installé au début des années 2000 en Bretagne, en autonomie complète, adepte de la permaculture et du retour de la traction animale venait de mourir. Hubert était donc chargé de faire une interview de quelques aficionados, afin de lui rendre hommage et comprendre en quoi il avait été en avance sur son temps. Ce soir, tout à son contentement, au moment de choisir le film qu’il allait regarder, le présentateur proposa un reportage sur le décès d’Yves Cochet. Il décida de regarder ce reportage avant de passer quelques jours en live dans la propriété dans laquelle il vivait retranché dans la campagne au nord de Rennes pour se préparer à l’effondrement du monde qui « nous arrive en pleine tronche ».

Hubert se coucha et demanda à Charles de faire défiler les titres de films sur son écran plasma et enfin il décida de regarder un vieux film des années 1980 « Mon Oncle d’Amérique », d’Alain Resnais, et d’Henry Laborit, avec Gérard Depardieu, Nicole Garcia et Roger Pierre. On n’était pas encore à l’époque « du tout informatique » dans ce film, mais on commençait à comprendre la biologie du comportement, les maladies que l’on se créait.

Pendant longtemps, les gens ont cru que l’Intelligence Artificielle pouvait détrôner l’esprit humain, casser les décisions à prendre. Mais Hubert n’était pas obligé de respecter l’ordinateur. D’ailleurs, il n’était obligé de rien. L’intelligence artificielle n’avait pas détrôné le cerveau. Tout le travail autour des neurones et des synapses n’avait pas permis de résoudre l’équation qui aurait permis de construire un cerveau artificiel totalement autonome. Trop compliqué, car les interactions ne se contentaient pas d’un système structuré et répétitif, mais d’un ensemble à la fois incohérent, aléatoire, chaotique. Le système causal était dépassé et faisait la part belle à la théorie des ensembles : le tout est un tout lié, où chaque action est répercutée sur l’ensemble, transformant l’unité et le tout. L’ordinateur se contentait donc d’assembler les informations qu’il avait apprises, les mélangeant parfois, mais il restait une machine.

Tout allait bien, il y avait peu de problèmes dans cette existence, ce qui ne voulait pas dire que la vie était banale, sans aspérité, sans coup dur. On vivait bien parce que contrairement au fonctionnement des années 2000 où l’économie était devenue le sujet principal de tous les gouvernements, gauche, droite ou centre, le choc du Corona Virus avait chamboulé toutes les habitudes et mis par terre une économie fragile. Cette maladie avait fini par remettre l’homme, le citoyen, au centre des toutes les préoccupations, et que supprimer des hôpitaux, des lits, matraquer les urgences, sous-payer les infirmières étaient de fausses bonnes idées. L’exemple des Américains ou des Anglais, sans véritable offre de soins aux citoyens, sauf pour les riches, tuant des millions de gens, les plus pauvres était devenu insupportable. Nous verrons par la suite qu’il ne s’agissait pas que de mots.

« Vive l’utopie », pensa Hubert. Si on regarde bien, toutes les avancées scientifiques, techniques, universelles, sociales sont nées de l’utopie de chercheurs fous : Edison pour le téléphone, Einstein et la relativité, Ford pour la voiture, Saint-Exupéry et ses voyages en avion, Léonard de Vinci et son hélicoptère, Freud et la psychanalyse, Descartes et ses principes, Darwin et ses travaux sur l’évolution, le richissime Bill Gates qui inventa l’informatique moderne, mais aussi Archimède, sa baignoire et la pression de l’eau, Newton et sa pomme, le docteur Henri Laborit qui a inventé les inhibiteurs supprimant ainsi les camisoles de force et a mis en lumière la biologie du comportement…

Avant de s’endormir, après avoir visionné « Mon oncle d’Amérique », Hubert se dit qu’il était prêt à retrouver celui qui fut à l’origine de la qualité de sa vie d’aujourd’hui. Il venait de décider que son reportage s’appellerait « UTOPIA 2040, le grand effondrement ».

Chapitre II

Les retrouvailles

Les quelques jours à attendre le grand départ furent interminables, malgré le reportage en Bretagne. Dans la foulée, le patron d’Hubert l’envoya rencontrer quelques néo paysans, nés lors des luttes contre la construction d’un nouvel aéroport de Nantes en 2018. L’opposition au projet d’aéroport s’était organisée à partir de 1972 et a donné lieu à de vives controverses locales (dont la ZAD de Notre-Dame-des-Landes). Cette opposition fut parfois comparée à la lutte du Larzac ayant empêché l’extension d’un camp militaire après dix ans de mobilisation, de 1971 à 1981. Le 1er juin 2017, le gouvernement d’Emmanuel Macron mit en place une mission de médiation pour comparer les deux options (construction de Notre-Dame-des-Landes ou modernisation de l’aéroport actuel). Elle rend son rapport en décembre 2017 et le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonce l’abandon définitif du projet de Notre-Dame-des-Landes.

Beaucoup s’étaient installés et étaient restés des paysans. Ils continuaient à se regrouper, sur cet espace « libre », « libéré », avec l’aide d’anciens agriculteurs, forts de leur succès face au monde de l’argent qui voulait un nouvel aéroport. Hubert passa 3 jours avec eux. Il rencontra plusieurs agitateurs, maintenant un peu vieux, mais toujours virulents et anarchistes. Ils ne se gênaient pas pour redire avec fougue que l’anarchie ce n’était pas le bordel, mais que c’était l’ordre sans le pouvoir. C’est ainsi que sur place, ce n’était pas le sauveur infaillible qui a raison, mais bien un système auto gestionnaire ou les responsabilités et les décisions sont partagées. Finalement, c’était un exemple à petit niveau, microcosmique dirions-nous, de ce qu’il advint du système français, tombé dans une utopie incroyable et impensable. Le pouvoir donné au peuple.

Ça fit réfléchir Hubert, qui se demanda de quoi Gilles allait lui parlait. Il avait pourtant raconté tellement de choses, que pourrait-il y avoir de plus à dire ? À la fin de notre Dame des Landes, il rentra chez lui, dans sa petite maison pour se préparer. Il devait aller chercher son billet de train dans sa boutique, mais Charles l’avait déjà récupéré sur le site de la SNCF, qui au fil du temps était redevenu un service public. Il en profita pour inviter sa jeune collègue, à venir passer un moment chez lui, sans oublier une soirée cinéma. Elle accepta sans réfléchir. Sa dernière visite chez Hubert l’avait enchanté.

« Dois-je ramener mademoiselle Angèle ? » demanda Charles.

« Bien vu, mon bon Charles, je vais préparer le repas, pendant ce temps. »

« J’ai sorti du magret et des frites, et quelques crevettes. »

« Super Charles, je m’occupe de tout et ne conduis pas trop vite pour frimer auprès de la belle. »

« Monsieur plaisante. »

Hubert prépara la dînette, mit la table, fit réchauffer les magrets, et ouvrit un bocal de mayonnaise à l’ail. La nuit allait être parfumée. Il avait prévu d’aller au cinéma, mais finalement il choisit le bain à bulles et un film à la maison. Il ne lui restait que deux jours avant de prendre le train. Il devait encore préparer ses affaires, mais il ne savait comment amener tout ça dans une valise. Peut-être pensa-t-il, ferait-il mieux de partir en voiture jusqu’à Toulouse, quitte à laisser Charles ramener la voiture à Paris. Il ne savait quoi choisir.

La porte s’ouvrit sur une Angèle radieuse, et belle à damner un saint. La beauté féminine résistait au temps, et le goût des garçons pour les belles filles, malgré les combats féministes, était revenu à la mode. Et c’est tant mieux, pensa Hubert, car il adorait faire le charmeur, le « dragueur », comme disaient les jeunes dans les années 1970. Pour en avoir beaucoup parlé avec Gilles, Hubert détestait ces époques, qui opposaient les hommes et les femmes avec tant de violence. Évidemment, le comportement de certains mâles au pouvoir immense, et qui avait déclenché le système « MeToo » et vu les centaines de plaintes de femmes abusées, violées, avait provoqué des levées de boucliers, puis des plaintes, des jugements, des condamnations. Il comprenait bien que ces luttes étaient normales, mais Gilles lui avait bien expliqué que cela avait beaucoup changé les relations hommes / femmes.

Heureusement, d’une certaine façon, que ces féministes avaient existé et s’étaient battues avec autant de violence qu’elles avaient subies les violences. Hubert avait lu le livre « les hommes viennent de mars et les femmes de vénus », et il avait mieux compris ce qu’était cette époque. Il avait trouvé dans Internet, grâce à Wikipédia, les raisons de cette chasse aux sorcières et entre autres le cinéma « Le milieu du cinéma français est secoué depuis quelques semaines par des affaires d’agression sexuelle portées contre des réalisateurs. L’actrice Adèle Haenel a pris récemment la parole pour accuser le réalisateur français Christophe Ruggia « d’attouchements » et de « harcèlement » quand elle était adolescente. Par ailleurs, quelques jours avant la sortie de J’accuse, la photographe Valentine Monnier a affirmé avoir été « rouée de coups » et violée par Roman Polanski en 1975, à l’âge de dix-huit ans ».

« Les États-Unis d’Amérique ont pris le pool position sur ces affaires, alors que déjà dans les années 1980 / 1990, la pudibonderie morale menait bon train. La drague était fustigée et l’affaire Harvey Weinstein a multiplié les plaintes : « Dylan Farrow, la fille adoptive du réalisateur, a accusé Woody Allen de l’avoir agressée sexuellement lorsqu’elle avait 7 ans. Rebecca Hall et Timothée Chalamet, qui jouent dans le prochain long-métrage de Woody Allen, A Rainy Day in New York, ont annoncé qu’ils allaient faire don de leur salaire à l’association Time’s Up, nouvellement créée, qui vient en aide aux victimes de violences sexuelles. »

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Ad%C3%A8le_Haenel).

De la France au reste du monde, plusieurs personnalités sont mises au ban de la société : « le réalisateur Roman Polanski, distingué par une statuette pour son film “J’accuse”, a vu des témoignages de personnes se disant victimes d’abus sexuels. L’acteur Kevin Spacey est accusé d’agression et de harcèlement sexuels par plusieurs hommes. Casey Affleck, Dustin Hoffman, Jeremy Piven, George Takei, Richard Dreyfuss, Steven Seagal, Mariah Carey, Jeffrey Tambor, le candidat républicain au Sénat Roy Moore, Sepp Blatter, Ed Westwick, Sylvester Stallone, les journalistes Glenn Thrush, Charlie Rose, Matt Lauer et Mark Halperin, le cadre d’Amazon Roy Price, le dramaturge Israël Horovitz, les acteurs Morgan Spurlock, James Franco et Morgan Freeman, les réalisateurs Bryan Singer et John Lasseter, le sénateur démocrate Al Franken, ou encore les anciens présidents George H. W. Bush et Bill Clinton sont sur la sellette. En mai 2018, le réalisateur Luc Besson fait l’objet d’une plainte pour viol. En octobre de la même année, le réalisateur Abdellatif Kechiche est accusé d’agression sexuelle par une actrice. »

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Weinstein).

Ce mouvement incroyable et mondial a changé deux choses. Une positive qui a permis de mettre un frein aux agressions et au libertinage des puissants, qui ne se rappelle les histoires d’agressions sexuelles de Dominique Strauss Kahn sur une femme de chambre noire aux États-Unis. Une négative, qui a changé le regard des hommes sur les femmes et installé un gouffre entre eux, tant du point de vue du contact que de la proposition d’aller plus loin. Il faut se rappeler que ce qui n’a pas changé, c’est ce que disait la mère de Gilles « Le garçon propose, la femme dispose ». D’ailleurs, en France, « la liberté d’importuner » est défendue. Une tribune signée par 100 femmes, parmi lesquelles Peggy Sastre, Catherine Deneuve, Catherine Millet et Brigitte Lahaie, parue le 9 janvier 2018, affirme son rejet d’un certain féminisme qui exprime, selon elles, une « haine des hommes » et défend « la liberté d’importuner. »

(https://www.france24.com/fr/20180109-tribune-centaine-femmes-catherine-deneuve-liberte-importuner-puritanisme-metoo).