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Au cœur du Kigali post-guerre et post-génocide, le vol étrange de la valise d’un diplomate suisse lors d’une fête mondaine déclenche une série de meurtres. Sally, un ancien hors-la-loi dans le viseur de la police fait appel à Kazadi, un puissant chef de gang, pour tenter de naviguer dans ce jeu mortel. L’agent Sam, chargé de l’enquête, devient lui-même le principal suspect, se lançant dans une cavale désespérée, tandis que son supérieur découvre la double vie d’un homme : héritier d’une immense fortune, il a tout sacrifié par amour pour sa psychologue, qui dissimule elle aussi un lourd secret. Au milieu de cet enchevêtrement de suspense, de trahisons et de révélations, quel est le véritable mystère derrière cette valise ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ikawa Niragire a grandi à Kigali à la fin du XX siècle, au sein d’une société marquée par les tensions ethniques et les enjeux identitaires. Témoins des crises socioéconomiques qui ont conduit le pays à la guerre et au génocide, ces expériences ont profondément influencé son écriture. Valise meurtrière s’inspire de cette période tumultueuse.
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Seitenzahl: 1256
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Ikawa Niragire
Valise meurtrière
Roman
© Lys Bleu Éditions – Ikawa Niragire
ISBN : 979-10-422-4480-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Toutes mes pensées affectueuses à mes tantes,
À ma famille…
À Violeta Doval, tu me croyais capable, moi, j’hésitais…
Le pauvre est un étranger dans sa propre vie
Il était environ dix-huit heures à l’aéroport international de Kigali lorsque le taxi-moto Yamaha-AG-100 s’était arrêté non loin des marches menant au hall d’entrée. Un homme de type mulâtre, affublé d’une veste noire, portait des Ray-Ban noires malgré la clarté du jour qui laissait peu à peu place à l’ombre du soir. Il descendit de la moto, glissa la main gauche dans une des poches de son jean et en sortit une liasse de billets rouge et vert, que l’on ne voyait pas souvent en circulation en ville. Instinctivement, il se ravisa et remit la liasse dans sa poche. Il plongea alors délicatement sa main dans l’autre poche et en sortit quelques coupures en monnaie locale. Le motard lui demanda un billet de mille francs en brandissant les doigts, cinq-cinq. Il le paya sans hésitation, avec un air méfiant, comme si cet argent n’était pas un problème majeur pour lui, à en juger par la tête que le motard fit face à ce geste de générosité, devenu rare dans son métier. Le motard afficha un sourire plein de joie, comme après un coup de chance, et le remercia d’un hochement de tête. Puis il fit demi-tour, en laissant un crissement de pneu sur le tarmac, soulevant un nuage de fumée.
À peine la fumée dissipée, cet homme, qui avait le profil d’un homme d’affaires mais l’air de quelqu’un dégoûté de son métier, huma l’air. Il humecta rapidement son corps mais ne sentit plus son eau de parfum signée Ralph Lauren, qui, avec le temps, était passée de parfum à insecticide. C’était un flacon d’imitation bon marché. Perplexe, cet homme en veste noire contourna d’un pas décidé les trois voitures garées le long du parking pour rejoindre les marches montant vers le hall de départ. À mi-chemin, il fit volte-face comme s’il venait de voir quelqu’un à qui il ne s’attendait pas. Il s’arrêta et fit mine de réfléchir.
En cette fin de journée, l’aéroport connaissait un afflux de passagers plus important que durant les autres créneaux. Les voyageurs se précipitaient avec leurs grosses et petites valises. Certains tiraient des enfants par la main, d’autres, en groupes, immortalisaient l’instant sous une pluie de flashs. Puis, après un moment, chacun se dispersait à la recherche de son vol. Ils laissaient place à d’autres groupes, arrivés dans un décor différent, en fonction de la provenance du vol. Il se croyait dans une pièce de théâtre. L’endroit lui semblait étrange. D’habitude, il n’aimait pas ce genre d’endroits bondés de gens qu’il considérait comme « normaux », selon ce qu’il avait appris de son environnement proche. Le matériel et les mœurs de la société idéale allaient de soi. Là, il en était témoin, en observant ces familles et groupes d’amis dans une ambiance euphorique, comme dans les illustrations des Témoins de Jéhovah représentant une vie d’au-delà époustouflante. Il se força à sortir de cette impasse d’une vie idéale, qui était à l’opposé de la sienne.
À peine revenu à sa propre réalité, il reprit sa réflexion sur la meilleure façon de gérer sa situation. On lui avait souvent dit que l’environnement dans lequel on grandit ne nous quitte jamais, malgré tous les efforts pour s’en éloigner. Arrivé au sommet des marches, il s’arrêta devant la porte d’entrée principale, détourna la tête et prit un moment de recueillement. Il ne savait pas ce qui l’attendait. Derrière ses lunettes de soleil, il promena son regard à 360° pour mieux appréhender l’endroit. On lui avait dit que l’aéroport était l’un des lieux les plus surveillés au monde, non seulement pour la sécurité aérienne, mais aussi à cause des cartels de narcotrafiquants et d’autres organisations criminelles, qui y déployaient de multiples agents. Néanmoins, il tenta de cerner l’endroit en vain. Les silhouettes de tout acabit qui peuplaient l’endroit auraient pu lui prendre un an à analyser. Il hésita un moment avant de franchir le seuil. Soudain, il fit volte-face et recula d’un pas pour remettre ses idées en place, créant involontairement un embouteillage. À peine écarté du chemin, il sentit des gouttelettes de sueur descendre le long de son échine jusqu’au fond de sa culotte.
Il ôta ses Ray-Ban, observa le ciel bleu se fondant peu à peu dans l’obscurité, puis remit ses lunettes noires. Il inspira profondément, comme si c’était son dernier souffle. Il se retourna une dernière fois avant de franchir la porte d’entrée. Il balaya du regard l’étendue de la ville, arpentée par les collines environnantes. À travers ses lunettes teintées, son regard parcourut le chemin depuis ses pieds jusqu’à la grande route menant de l’aéroport de Kigali au centre-ville, en passant par la banlieue de Remera, avec en toile de fond des tours modernes rétro-réfléchissantes. Les accotements étaient couverts de panneaux publicitaires vantant des produits garantissant une peau presque parfaitement blanche et des aliments en boîte censés apporter l’harmonie, à en juger par le sourire éclatant d’une famille dont la photographie occupait toute la surface du panneau, dissimulant ainsi les inscriptions sur les ingrédients contenus dans la boîte. Taxis, minibus, motos et voitures se disputaient la place avec les piétons, qui se pressaient pour rentrer chez eux avant la nuit.
Après avoir pris une profonde inspiration, il franchit finalement la porte d’entrée du hall de départ. À en juger par son attitude, c’était sans doute l’un des endroits où il n’avait jamais mis les pieds. En entrant dans le hall, il fit mine de chercher quelque chose dans les pochettes de sa valise, dans l’idée d’observer discrètement le lieu. Il repéra les positions stratégiques des agents de sécurité, des employés des agences de voyages et du personnel de maintenance. Il sortit alors de sa petite mallette un passeport, comme un ancien homme d’affaires en reconversion, légèrement désorienté. Il vérifia sa propre photo, comme s’il doutait de sa véracité, ainsi que son nom et sa date de naissance, qui lui semblaient corrects.
Il prit une grande bouffée d’air, expira et se dirigea vers la zone de contrôle des passeports. Un agent, qui lui parut jeune pour ce poste de gestionnaire d’afflux de voyageurs, l’accueillit. Cet agent, en costume bleu marine de qualité médiocre, arborait un sourire mécanique dénué de sentiment, mais fit preuve d’une bienveillance administrative.
— Bonjour monsieur. Votre passeport, s’il vous plaît ?
— Tenez, je vous en prie, dit-il en tendant son passeport sans le lâcher.
Néanmoins, l’agent de voyage ne s’inquiéta guère, même s’il avait déjà vu de nombreuses personnes en désaccord avec leur choix de destination jusqu’à la dernière minute. Cela pouvait le pousser à jouer les psychologues de voyage. Il ne pouvait pas compter combien de fois il avait été obligé d’arracher les documents des mains des voyageurs, au nom de la flexibilité du métier, avant de les diriger vers la file du vol mentionné sur leur titre de voyage. Il avait lui-même trouvé un nom pour ce geste, sans même consulter les psychologues ou d’autres professionnels en lien avec les comportements humains dans ce genre de situation : le « syndrome du gamin chiant voyageur ». En outre, fort de son expérience de terrain et d’observation, il avait souvent vu ce genre de cas chez les couples développant deux langages parallèles : l’un disait une chose, l’autre la contredisait. Au retour de leur expédition, l’agent avait remarqué que ces personnes rentraient soit l’une avant l’autre, soit à une distance notable l’une de l’autre, comme si l’une d’elles avait développé un dégoût pour l’autre pendant leur séjour. Il en avait conclu que ce type de comportement, le « syndrome du gamin chiant voyageur », pouvait bien être le symptôme d’un divorce imminent. Par contre, pendant l’exercice de son métier d’agent de voyage, ceux qui se montraient sûrs attiraient souvent son attention, car il avait deux patrons et devait rédiger deux rapports différents avant minuit ou midi.
— Merci, je vois que vous avez profité du bon temps, j’ai envie de dire que le soleil vous a bien accompagné durant tout ce temps-là. On ne dirait pas vous sur la photo, pas vrai, euh ? Le soleil a fait son effet ! Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas le premier, ironisa la personne de l’agence en le fixant d’un regard perçant. Beaucoup de gens changent en si peu de temps, reprit-il en tapotant le clavier.
— Oui, c’est vrai, lâcha-t-il dans un rire malicieux avant de chercher un mot cohérent pour dissuader l’envie insatiable d’en savoir plus sur son projet de voyage.
Rien n’était étonnant dans ce genre de situation, et il le savait bien, c’était son boulot de sonder quiconque osait se présenter devant son bureau.
— Le bon soleil d’Afrique, j’en ai bien abusé, je pense, dit-il timidement.
L’agent lui décocha un rire méprisant.
— Un coup de soleil, et vous voilà transformé, vous n’êtes plus le même. C’est un bon pays, ce petit pays, n’est-ce pas ! conclut l’agent, les yeux rivés un moment sur le moniteur, puis balayant en mode scan le visage de cet homme à la peau sensible, blanchi par le soleil.
— Euh… Ouais, j’étais plutôt dans le nord, j’ai bien profité du bon temps au bord du lac Kivu. Vous avez raison, c’est vraiment un pays magnifique. Qu’est-ce que j’aime ce pays ! ajouta-t-il en lâchant un sourire étrange, ni froid ni chaleureux, qui se dissipa rapidement dans un air de gêne. Perplexe, il se caressa le menton rasé la veille, jusqu’à se rendre compte qu’il se faisait mal en arrachant quelques poils échappés à la lame, lors de son rasage précipité de la veille.
— La plage du lac Kivu est bel et bien un paradis sur terre, je suis d’accord avec vous, enchaîna l’agent, tandis que l’homme, blanchi par le soleil, se caressait le menton, perdu dans ses pensées. Et combien de bagages avez-vous ? s’empressa l’agent, cherchant à éviter de s’enliser dans cette conversation sur la beauté du pays. Il jeta un coup d’œil vers un monsieur derrière l’homme, sur le point d’éclater d’impatience.
— Vous n’avez que celle-là ?
— Oui, monsieur… répondit-il en retenant la fin de sa phrase.
L’agent chef, derrière le moniteur, acquiesça en envoyant un faux sourire, accompagné de jurons silencieux à l’adresse de ce monsieur au bord de l’explosion après une attente interminable. L’agent semblait penser : « Je fais mon boulot de contrôler des rien du tout… faites le vôtre d’attendre pour rien, comme un idiot. »
— Ma petite valise, là, répliqua-t-il en tapotant la poignée de la valise. Je les ai envoyées bien avant, je veux dire… les bagages. J’aurais bien aimé rester encore un moment, mais j’ai d’autres responsabilités qui m’attendent.
— Je comprends, vous avez bien fait, répondit l’agent d’un ton nonchalant. Comme s’il cherchait une incohérence sur l’écran de l’ordinateur, il se lassa et continua son travail.
Depuis deux ans qu’il exerçait ce métier d’agent de voyage, il n’avait jamais laissé au hasard une seule lettre du mot « ordre » dans son travail. Ce qu’il venait de vivre au fond de son âme n’était ni un acte d’amour, de corruption, ni de patriotisme. Il venait de commettre une erreur professionnelle, une chose qui pouvait arriver à n’importe qui ayant des responsabilités dans l’exercice de son mandat. Quelque chose lui murmurait qu’il l’avait fait selon les règles de l’art du métier, sans traitement de faveur à des fins lucratives. Tant mieux si cela tombait sur lui, se dit l’agent, sous l’adrénaline de la désobéissance. De même, il était conscient de la procédure à suivre dans ce genre de cas, dès que ce message venu d’en bas atteindrait le sommet de la hiérarchie.
— J’ai un boulot qui m’attend chez moi. Mais je ne tarderai pas à revenir. Je me sens déjà attaché à ce monde naturel qu’on ne voit plus dans les grandes villes.
— Bon voyage, monsieur Owen, et bon retour. Votre avion est à vingt heures trente, terminal cinq, dit l’agent de voyage en lui tendant le passeport et le billet d’avion.
— Merci, monsieur, dit-il enfin. À bientôt.
Les deux hommes échangèrent un regard affublé d’un sourire factice qui, soudain, se fusionna en celui de reconnaissance d’un geste amical entre deux espèces inconnues. L’homme en veste de cuir gagna le terminal indiqué par l’agent de l’agence. Celui-ci le contempla de dos jusqu’à ce qu’il s’engouffre dans la foule des voyageurs. Comme pour dire qu’il avait eu quelque chose à lui dire, mais c’était trop tard. Quand le regard de l’agent revint sur le moniteur, il croisa celui du monsieur qui attendait impatiemment, mâchoires cette fois-ci crispées. Flexible comme son métier l’exige, il prit les devants et lui envoya un autre sourire, recommandé par son mentor avec cinq ans d’expérience :
« Genre, tout va bien, ce n’est qu’un petit retard, tout va s’arranger, ne paniquez pas… »
Quant au monsieur au corps sensible au soleil, il se laissa délibérément absorber par les deux dispositifs portiques hydropneumatiques. De l’autre côté, deux autres agents en costard bleu marine, arborant des sourires mécaniques, l’accueillirent. Il sentit son corps si affaibli qu’il était sur le point de s’évanouir. Au moment où il fouillait les pochettes de sa valise, l’un des agents, laissant paraître les traits de son corps athlétique, lui indiqua le chemin vers son vol en s’inclinant à la mode nipponne. Son collègue lui souhaita à son tour un bon retour, avant même de lui souhaiter un bon voyage. Cela eut un effet troublant, et il sentit une boule d’air se gonfler dans sa gorge pour atterrir au centre de sa poitrine. Soudain, il perdit la voix, alors qu’il essayait de prononcer un mot bienveillant, mais une révélation floue lui traversa l’esprit. Était-ce un code ? se demanda l’homme sensible au soleil. Il ne comprenait pas pourquoi on lui souhaitait un bon retour avant un bon voyage, alors qu’il était censé rentrer chez lui. On lui avait dit que quitter ce pays était bien plus compliqué que d’y entrer. Mais il tint bon, car il croyait en quelque chose de plus grand que la croyance de l’humanité, à un être cher pour un être humain.
Tout commence le soir d’un vendredi du mois de mars, un jour qui avait bien exhibé son charme arrogant et son côté cool durant la journée. Rien d’étonnant, car ce dernier cernait la semaine pour inaugurer le week-end festif des citadins. Ce fut même le dernier vendredi d’un des collaborateurs du CICR, Comité International de la Croix-Rouge. Même s’il avait plu des cordes dès le début de la semaine, la terre boueuse et les eaux avaient envahi les rues. Cependant, ce vendredi constituait la journée idéale, avec un ciel bleu et des îlots de nuages immaculés gravitant autour d’un soleil adoucissant. Ce décor naturel ne tarda pas à se dissiper, remplacé par une nature polluée par la poussière et la fumée des pots d’échappement des 4x4 arborant les logos d’organismes internationaux, revendiquant l’espace de parking sur les accotements habituellement occupés par les marchands ambulants du quartier populaire situé au pied de la colline de Kimihurura. Ce fut la coutume chaque fois qu’il y avait un évènement festif et qu’il n’y avait pas assez de places de parking devant les domaines d’expatriés arpentant la colline.
Ce soir-là, Peter Kilmer se prépara à rejoindre son pays natal dans les jours suivants. Son contrat d’un an et demi atteignait son terme. Indéniablement, dans ce genre de fêtes, on rencontrait presque toutes les nationalités du monde, sous l’euphorie des discussions sur l’actualité politique, socioéconomique et scientifique. Rien d’étonnant pour ceux qui fréquentaient ce monde mondain, souvent dénué de sincérité. Ce n’étaient que des diplomates en mission pour rétablir la paix, promouvoir la bonne gouvernance et relancer l’économie sociale dans un pays sorti de la guerre. Pas besoin de carton d’invitation pour les expatriés mandatés par une agence internationale. Contrairement aux locaux, qui devaient répondre à une série de questions pour justifier leur présence, souvent des personnes présentes grâce à des relations professionnelles, des couples mixtes ou simplement des « escort-girls ou boys ».
Dans cette ville tout juste sortie de la guerre, les expatriés disposaient de réseaux spécifiques à eux, à travers lesquels ils pouvaient échanger des informations sur les activités de loisirs et les hobbies. Pour les Américains, il suffisait de feuilleter la Gorilla-Gazette pour savoir ce qui se passait dans le pays : les restaurants, les boîtes de nuit, les compétitions de différents jeux, ainsi que des petites annonces comme des chiens à adopter ou des baby-sitters à recruter. Enfin, il était très important de connaître les lieux dangereux déconseillés à fréquenter dans ce monde « d’après », comme les locaux l’appelaient pour éviter de répéter ce maudit mot : la guerre.
Cependant, à la fête, régnait une ambiance harmonieuse : certains dansaient, d’autres discutaient dans une atmosphère détendue, car les lieux étaient protégés par des gardes privés et la patrouille de la police nationale surveillait régulièrement les environs. Avec le temps, une autre catégorie de personnes dites « intruses » s’était infiltrée dans ces fêtes. Ces derniers s’y immisçaient pour établir des contacts, tout en profitant de la bonne nourriture et des boissons industrielles. De toute façon, le reste de la nourriture finirait dans les bennes à ordures. Le lendemain de la fête, les habitants du quartier populaire alentour fouillaient les bennes à la recherche de restes de viandes de toutes sortes et de plats rares localement, qui nourriraient une famille entière pendant plus ou moins une semaine.
Ce plaisir-là s’était raréfié avec l’arrivée des sociétés privées de sécurité, employées par les personnes fortunées. Dès lors, plus personne n’osait s’approcher des dépotoirs, autrefois considérés comme des mines de nourriture, qui étaient désormais récupérées par le personnel de ces sociétés pour être revendues. C’était tout le contraire du personnel embauché dans les environs quelques années plus tôt, ceux-là mêmes qui subissaient l’impact environnemental causé par les 4x4, qui laissaient derrière eux une poussière dorée et la fumée de leur moteur diesel.
Ce vendredi soir là, à peine la poussière et la lumière des lampadaires fusionnées, la fête battait son plein et affichait une belle ambiance jusqu’à la première moitié de la nuit. Ici et là, de jeunes filles africaines en tenues de gala hollywoodiennes et des rastas, couronnés de dreadlocks, brandissaient des joints en hommage à Bob Marley, les doigts levés en signe de victoire contre la « Babylone » destructrice, imitant le slogan des rastas jamaïcains. Ces jeunes hommes, livrés à eux-mêmes, trouvaient leur liberté dans ces maisons protégées par l’immunité diplomatique. Pourtant, consommer cette plante mystérieuse dans ce pays des mille collines était passible d’une peine allant jusqu’à cinq ans de prison ferme. Cependant, l’autorité locale ne se préoccupait pas de ce qui se passait dans ces résidences appartenant à la communauté internationale et protégées par l’immunité.
Ces jeunes rastas et ces filles émancipées étaient appréciés par la communauté des expatriés. Ils cherchaient à fuir leur propre communauté locale, perçue comme trop conservatrice. Certains terminaient leur aventure au sein de la communauté internationale en formant des couples avec des hommes ou des femmes venant du monde entier. La question de l’âge ou de la couleur de peau n’avait plus d’importance sous ce climat tropical, dans ce pays surnommé les mille collines. Dans ce contexte, chacun ne souhaitait que profiter de l’existence éphémère de cette vie.
Vers la deuxième moitié de la nuit, Peter Kilmer, le héros de la soirée, commença à paniquer. Trois jours avant son vol de retour, sa valise avait mystérieusement disparu. Malgré ses recherches dans chaque recoin de la maison, la valise resta introuvable jusqu’au lendemain. À l’aube, la valise demeurait disparue, emportant avec elle tous ses documents importants : son passeport, ses cartes bancaires et de l’argent de poche déjà converti en monnaie du pays de destination.
Terrifié, il ne comprenait toujours rien à ce pays malgré un an et demi passé sous mandat du CICR. Déterminé à rentrer chez lui, Peter tomba sur un petit livre en faisant le tour de la maison. Il était posé juste à côté du téléphone, sur une étagère pleine de bouquins que personne n’avait touchés depuis longtemps. Il y trouva aussi le guide de séjour destiné au personnel du CICR. Personne ne semblait se soucier de rien, chacun étant absorbé par la cigarette, la musique ou l’alcool. Les couples s’embrassaient et dansaient dans tous les recoins de la maison, rendant la circulation presque impossible. La fête avait visiblement réussi.
Peter prit le guide et se faufila dans la foule jusqu’à sa chambre, au fond du couloir. Là, il se mit à le feuilleter précipitamment. À la troisième page, il trouva un titre qui l’intéressait : « Numéros et adresses des services d’urgence. » Il prit le téléphone posé sur la table de chevet et composa le numéro de la police de la ville. Aussitôt, une sonnerie résonna dans l’écouteur, comme un écho lointain traversant sa tête, tel un poisson géant réveillant la marée dormante. Soudain, son esprit s’envola loin, emporté par des souvenirs réapparaissant sous ses yeux. Il fixait un objet sans le voir, son regard vide braqué sur un point dans l’espace.
Il se revoyait jeune diplômé, plein de vie et d’ambition pour une carrière prestigieuse. Après de longues études en business et logistique internationale, Peter Kilmer avait été séduit par une offre d’emploi à l’étranger, proposant un package social intéressant : un salaire important et des opportunités de voyage, ce dont rêvaient la plupart des jeunes diplômés. Ce recruteur était un véritable magicien avec les mots, utilisant des arguments si convaincants que Peter n’avait pas eu le temps de se renseigner ou de réfléchir. Il avait sauté sur l’occasion, comme l’avait suggéré un jeune professeur remplaçant dans l’un de ses cours de business, qui spéculait sur le potentiel de chaque étudiant.
Ses premières missions l’avaient conduit au Kenya, au Soudan, en Ouganda, en RDC, là où le HCR avait des camps de réfugiés surpeuplés. Après un an, Peter portait des lunettes. Son regard avait été ébloui par les milliers de bâches recouvrant les abris des réfugiés. La misère était omniprésente. Tous ses efforts semblaient vains, comme si la fin du monde avait été annulée. Les convois de camions chargés de vivres et de médicaments étaient souvent détournés par des groupes armés, et il était rare que les chauffeurs s’en sortent indemnes.
Déçu par son travail et au bord du burnout, il rencontra un homme se prétendant être un messie moderne, capable de faire des miracles et de le sauver du burnout. Celui-ci avait écumé la compagnie et d’autres compagnies partenaires sur le terrain. C’était un des gars qu’il avait rencontrés lors de soirées mondaines réunissant des expats basés à Nairobi. Il lui avait conseillé de changer de boîte. En sortant ce mot, « la boîte », de sa bouche, et en observant au vol son apparence extrêmement soignée, un genre d’homme d’affaires en humanitaire international, un drôle de titre se forma dans les pensées de Peter. Il n’arrivait guère à chasser ce discours apaisant venant d’un collègue doté de l’expérience de la première ligne en humanitaire. Certes, il n’avait jamais entendu parler de cela. Au deuxième verre de scotch glacé, Peter le suivit pour mieux comprendre son plan, à peine ébauché dans son cerveau ramolli, constamment engourdi par cette boisson couleur jus de pomme et les médicaments qu’il prenait depuis quelques mois pour tenir dans ce travail d’aide à l’humanité.
Désespéré, il finit par lui tomber dessus au milieu d’un groupe de jeunes filles et d’hommes qu’il lui présenta instinctivement comme ses étudiants à l’université Jomo Kenya, à Nairobi. Peter, lui, n’eut pas le temps de lui expliquer quel cours il donnait, car il avait un autre problème à traiter. Comment pourrait-il se sauver de ce burnout ? Cette question frappa à la porte de sa jeune santé mentale.
Robinson Thomas, expert en politique internationale et en gestion des conflits, lui conseilla de postuler au CICR.
« Là-bas, tu seras tranquille, ce sont souvent des trucs pas compliqués, genre match de foot, concert, festival. » Thomas lui avait donné des exemples précis. « Les catastrophes naturelles, les inondations ou la mise en place d’une organisation sociale de base après une guerre ne sont pas fréquentes et ne durent pas longtemps, contrairement aux camps de réfugiés qui existent partout dans le monde. »
Peter Kilmer le remercia humblement et lui demanda ses coordonnées. Ce dernier lui expliqua gentiment que, vu son agenda, il ne pouvait pas. Il avait tout laissé dans la voiture, garée loin de l’hôtel, avait dit Thomas en lâchant un rire malicieux et désintéressé, en vue d’une prochaine rencontre. Cependant, il ordonna tout de même à l’une des filles de la fac où il enseignait de prendre les coordonnées de Peter. Aussitôt, Thomas Robinson s’excusa et alla interpeller un ministre kenyan des affaires étrangères qui se trouvait à quelques mètres. Ce monsieur le ministre était entouré d’autres hommes, étouffés dans des costumes dont les boutons menaçaient de lâcher à chaque verre absorbé. Néanmoins, cela dissuada Peter de toute envie de rejoindre le groupe charmant. Ce n’était ni du racisme ni du respect, simplement dans sa position d’acteur de terrain dans des zones de conflits, les politiques l’avaient souvent déçu. Négocier vingt-quatre heures de trêve pour distribuer des vivres aux personnes en détresse, prises entre deux parties antagonistes, lui prenait un temps et une énergie inestimables. Dans une vive émotion libératrice, Peter n’eut pas l’occasion de le remercier du fond du cœur, car Thomas avait déjà été absorbé par la foule de gens qui lui étaient visiblement familiers. Vu de loin, il s’effaça du deuxième cercle, puis du troisième, du quatrième, et finalement, Peter ne le reconnut plus dans la foule lointaine.
Tout s’était bien passé, comme par magie : Peter avait obtenu un poste au CICR et hérita de tout ce dont Thomas l’avait épargné ou avait mis en dernière position dans les catégories rares de son tableau, comme l’après-guerre. En se basant sur son expérience, sa nouvelle mission l’envoya sur le terrain. Le CICR avait besoin de bras en urgence.
Dès le début, Peter ne vit que des choses atroces partout où il regardait. Les souvenirs atroces l’accompagnaient souvent quand il cherchait à apaiser son esprit en dehors du travail, raison pour laquelle il ne prenait pas de congés. Ou, s’il les prenait, il en faisait autre chose, comme du tourisme humanitaire, afin de tenir, car il ne comptait plus faire marche arrière. L’adrénaline des situations catastrophiques l’avait séduit. Peter devint insensible après avoir constaté que le monde avait pris une autre tournure.
Enfin, le burnout vaincu, selon lui, il commença à s’interroger sur les raisons pour lesquelles les gens investissaient autant de temps, de moyens matériels et humains pour construire des biens qui allaient disparaître dans le néant en si peu de temps. Selon ses collègues, il avait développé une expertise dans les zones de conflits armés et de guerres que d’autres évitaient. Il était souvent parmi les premiers à arriver sur le terrain une fois le calme fragile rétabli. Même s’il constatait que dans son nouveau travail, comme dans le précédent, rien n’avait changé, il avait quand même vaincu le mal qui rongeait son être, caché derrière ce burnout.
Soudain, un son différent de celui qui l’avait précédé retentit dans son oreille gauche et le tira de ses pensées. C’était son collègue qui venait de frapper à la porte avant d’entrer sans y être invité. Un certain Martin Pierre, qui se prenait pour l’ange gardien de l’équipe. Vingt-cinq ans de carrière en poche. Cela dit, Martin avait vu, entendu et connu beaucoup de choses. Il avait travaillé en Angola pendant la guerre civile à l’époque des rebelles de Jonas Savimbi, en Palestine où il avait passé cinq ans, et enfin au Burundi après l’assassinat du président Ndadaye, qui avait été suivi d’un bain de sang. Maintenant, il se trouvait au Rwanda, à Kigali, après la guerre et le génocide de 1994.
Français d’origine, Martin détestait cette identité européenne dont il était porteur. Fortement en désaccord avec la politique française en Afrique, et encore plus avec celle de l’ONU, ainsi que la présence de tous ces cadres onusiens garants de la paix après les conflits, au lieu de préserver la paix avant que les guerres n’éclatent. Telle était sa façon d’appréhender la question géopolitique qui engageait la responsabilité directe des Nations Unies et de la France, son pays d’origine.
Instinctivement, Martin vint le contacter de sa propre initiative. Le chargé de la sécurité auprès de l’ambassade de Suisse à Kigali l’informa également, ainsi que la police nationale et la société privée en charge de la sécurité de la maison de Peter. Dans ce genre de situation, quand il s’agissait d’une affaire impliquant un fonctionnaire d’une agence internationale comme la Croix-Rouge ou l’ONU, dans un de ces pays sortis des conflits, les nations dites sous surveillance de la communauté internationale, l’autorité prenait immédiatement les choses en main. Car l’image du pays, gagnant progressivement la grâce des pays influents garants de la démocratie universelle, ne devait pas être compromise. Ce calme précaire, à peine rétabli, ne devait pas être mis en danger. Autrement dit, adieu les échanges commerciaux, les touristes qui faisaient tourner l’économie du pays avec leurs dollars, et bonjour la misère et la guerre, deux compagnons inséparables. Pas question que cela arrivât. Toutes les agences du pays chargées de la sécurité nationale se mirent donc au travail, malheureusement plus par patriotisme que par devoir.
Ce fut le dernier samedi du mois d’avril de l’an deux mille, ce qui pouvait expliquer les travaux communautaires qui se déroulaient dans des recoins de proximité sous un climat ensoleillé, tandis que chez Peter Kilmer, les services importants du pays se succédaient sur place les uns après les autres, de la sécurité nationale au département d’investigation du bureau du procureur. Ici, la prise de clichés, là, les prélèvements d’indices sur les objets retrouvés sur place.
Les riverains se dépêchèrent de rejoindre l’endroit prévu pour les travaux communautaires. C’était comme un rituel légué par les aînés, dont la finalité était le bien-être de la collectivité. L’Umuganda était un rassemblement organisé par l’autorité locale chaque dernier samedi du mois. L’activité était avant tout un moment de convivialité entre les voisins, ainsi que ceux venus d’autres coins du pays. Au bout de deux ou trois heures de travaux, enfin, venaient les animations et la cagnotte pour les boissons. Les femmes papotaient entre elles, à l’exception de celles qui étaient déterminées à se joindre aux conversations masculines. Les adolescents, les plus jeunes et les enfants avaient leur propre monde de jeux, tout en surveillant les matériaux utilisés. Au fil des heures, les petits groupes finissaient par se mélanger les uns avec les autres. L’aventure de la journée n’allait pas tarder à commencer.
Puis, des invitations pour le prochain débit de boisson s’échangèrent dans une atmosphère enthousiaste, animée par l’euphorie d’un verre de Primus ou de Mützig. Ces boissons industrielles avaient progressivement remplacé les boissons locales, autrefois servies lors de ce genre d’occasions traditionnelles.
Le crépuscule s’imposa et la festivité suivit son cours, que ce soit dans un café ou chez quelqu’un, de près ou de loin. En cette période d’après-guerre, les habitants cherchaient nonchalamment à se réapproprier les anciennes habitudes : celles du partage, de vivre en harmonie. Cette habitude, jadis oubliée, refaisait surface, contrairement à quelques années plus tôt, lorsque le pays était plongé dans l’obscurité. Black-out total. La guerre, qui avait débuté sous l’ombre théâtrale du sabotage et de la déviation de la réalité sociétale, avait débouché sur trois longs mois qui marquèrent l’histoire de l’humanité : trois mois de génocide.
Cependant, dans des quartiers aisés de la cité, la réalité était bien différente : les rues et leurs environs étaient soigneusement aménagés. Évidemment, ces résidents privilégiés avaient recours à des entreprises proposant des services payants pour entretenir les lieux. L’Umuganda y était aussi rigoureusement organisé. Ceux qui étaient contraints d’y participer sans raison valable risquaient même une amende administrative. Quant aux représentants politiques, ils se rendaient dans les lieux choisis pour les activités collectives. Les fêtards, eux, restaient chez eux durant la matinée, attendant la fin des travaux, car tout était fermé durant l’Umuganda, à l’exception des services spéciaux tels que les hôpitaux, les services d’urgence, la police et l’armée.
Chez Peter, à cette matinée, ce fut la foire d’agents des services de sécurités différentes en train de griffonner, Dieu seul savait de quoi il s’agissait, dans leur calepin.
— Bonjour monsieur, agent Samuel, tendit-il la main à ce monsieur qui venait de l’accueillir au portail d’entrée. Je m’appelle Samuel Mugisha de la police nationale. Que se passe-t-il, monsieur ? Encore du vol d’une voiture ou un truc du genre comme ça ? dit-il en tendant la poignée de main à Peter.
— Bonjour monsieur l’inspecteur, Peter Kilmer, dit-il en tendant la main à son tour. Je me suis permis de vous contacte…
— Attendez… l’interrompit le policier au même moment où il sortait de poches le calepin et le stylo Bic bleu. Il médita quelques secondes sur la note à peine griffonnée.
— Êtes-vous Martin ? C’est vous, c’est ça !
— Non… et… euh euh…
— Et vous êtes qui, vous ?
— Oui… non bien sûr, répliqua-t-il d’un air paresseux et embarrassé.
« Enfoiré Martin, que lui a-t-il dit, bon sang ? se dit-il au fond de son âme. » Monsieur l’agent, je veux dire… c’est mon collègue Martin qui a pris l’aimable initiative de vous contacter à ma place.
— Martin, répéta-t-il en retirant ses yeux de son calepin.
Cela lui épargna du temps car parfois il ne pouvait pas lire ce qu’il avait noté à la hâte et souvent c’était sa mémoire d’éléphant qui le tirait d’affaire en régurgitant au moment voulu certains détails importants qu’il avait pris au vol.
— Ma valise s’est volatilisée, comme je viens de vous le dire, reprit Kilmel. Je me suis permis, au fait, Martin, se ravisa-t-il, si on peut dire ainsi. Nous nous sommes permis de vous informer de la disparition d’une valise, ma valise. Nous ne savons ni quand ni comment elle a disparu, ni l’heure approximative de la disparition. Nous ignorons également par où elle a pu passer et qui a pu faire une chose pareille en ces jours de mon départ. Elle était là au début de la soirée. J’avais encore beaucoup à faire ici et là, et je me prépare à prendre mon avion dans peu de temps. Donc vous comprenez mon inquiétude.
— Eh, je vois, la disparition d’une valise, enchaîna le policier en lui adressant un regard foudroyant qui vacilla de l’empathie à la véracité de l’info. Ce fut comme s’il voyait dans ses yeux les successions d’évènements précédant la disparition de cette dernière.
— Il y a quoi dans cette valise ?
— Toutes mes affaires y sont dedans, continua-t-il sous un ton vulnérable. La veille, on partage un verre à l’occasion de mon départ et j’ai remarqué en me précipitant pour chercher mon carnet d’adresses que la valise n’était plus absolument là où elle était. On a tenté de la retrouver en vain. On a fouillé partout, pas de trace. Ce qui m’inquiète surtout, c’est mon passeport de voyage.
— Qui habitent cette maison ? Où est le concierge ? demanda l’inspecteur en scrutant le lieu.
Son regard s’arrêta un moment, puis se fixa sur un recoin sombre regorgeant de cadavres de bouteilles et de restes d’aliments tristement abandonnés. Des chaussures impaires et le soutien-gorge par-dessus. Des mégots de cigarettes et les joints délaissés à moitié. Le lieu dégageait une odeur de viande cramée. À un instant, elle se mêla à l’odeur d’urine qui se heurta à l’air humide d’un brouillard matinal en évaporation, cédant la place à la lueur du jeune soleil de la matinée, qui se faufila désespérément au milieu des feuilles des arbres fruitiers parsemant l’étendue de la pelouse.
Tout de même, rien ne fut étonnant, le week-end de ce quartier mondain était le théâtre des cocktails et les barbecues assaisonnés, ce qui le plaçait au premier rang à l’instar d’un endroit idéal aux voleurs de tout genre. Les domaines regorgeaient d’objets précieux susceptibles d’attirer les bandes des caïds de la ville.
— On va faire le nécessaire pour retrouver votre valise, comme vous le savez, ce genre de personne n’a plus une place dans notre communauté.
— Merci Monsieur. J’attends de vos nouvelles.
Dans ce quartier de résidents diplomates et des fonctionnaires importants du pays d’habitude, la police intervenait suite au signalement d’un vol d’une voiture ou des cambrioleurs amateurs.
Retour au bureau Sam se mit à défricher tout ce dont il avait récolté sur terrain. Il dégagea toutes les pistes susceptibles de résoudre dans les plus brefs délais cette affaire insignifiante pour lui. La valise disparue en avait vue et entendue partout et on ne l’avait jamais sollicité pour ce genre d’affaires selon sa position d’agent expérimenté. Grâce à l’efficacité de son équipe, dès l’arrivée au bureau, il eut les détails qui lui permettront d’avancer, voire de bâcler l’affaire. L’un des agents lui présenta à peine la liste d’invités du soir même de la disparition de la valise de Peter. On y voyait que des noms pas familiers, ce qui ne lui facilitait pas la tâche. Soudain, le policier du bureau d’en face revint avec un bout de papier dans sa main et lui annonça que ses informateurs lui avaient dit qu’à la fête il y avait d’autres personnes pas notées sur la liste des invités.
« Ils ne vont pas s’en tirer facilement cette fois-ci, se dit l’inspecteur alors que ce policier était déjà parti comme si cette affaire pour lui était déjà résolue, et ce, grâce à la magie de ce bout de papier sur lequel il avait aligné des noms méconnus dans cette société, les noms venant du monde entier. »
Le téléphone sonna au même moment où l’inspecteur méditait sur cette info concernant les personnes non mentionnées sur la liste. Il décrocha et échangea des salutations formellement hiérarchiques avec la personne à l’autre bout du fil. Il écouta attentivement la personne dont la voix lui semblait familière et de même retentit comme qui dirait d’un fond d’un puits. Perplexe, Sam se contenta de lâcher quelques phrases emplies des mots choisis sans doute puisés dans les cours à la fac de droit. Il ne comprit pas comment le proc tenait tant à une telle affaire. Quand il avait besoin de lui sur une affaire qui lui paraissait importante, le proc l’envoyait balader. Et là comme par magie, il était disponible pour une affaire du vol d’une valise d’un diplomate.
À ce moment, rien n’avait changé dans l’avancement de cette enquête, qui lui avait d’abord paru simple mais était devenue compliquée, car les étrangers présents à cette fête n’étaient que des fonctionnaires d’agences internationales et leurs associés. L’informateur disait aussi que dans les groupes des gangs criminels, personne ne revendiquait l’action. Et cela lui semblait absurde aussi. La liste était longue. L’enquête de voisinage n’aurait donné rien de plus intéressant. Sam assis dans son bureau en train de se demander quoi faire avec cette valise disparue dans un endroit protégé par l’agence privée de sécurité, le téléphone retentit de nouveau.
Il en avait mis du temps avant de répondre, en cogitant sur la mystérieuse disparition d’une valise. Pourquoi la valise alors que la maison regorgeait d’autres ressources qui pouvaient générer pas mal d’argent aux malfrats ? Pourquoi la valise ? Les malfrats avaient préféré la valise et dedans, il n’y avait que ses papiers ? Alors pourquoi cette foutue valise de rien du tout ? Aussitôt, la sonnerie du téléphone retentit, à peine l’aire fut-elle envahie par la suite. Il tendit son bras et, les yeux restant braqués sur sa liste, il prit l’appareil qui n’arrêtait pas de s’agiter en émettant un bruit de tube en métal tombé de haut sur un sol bétonné. Après les salutations et les remerciements emplis du respect hiérarchique, dénués de sincérité, et les potins de rien du tout, oreille collée à l’écouteur, Sam retira ses yeux de cette liste de noms dont la plupart lui semblaient être du mandarin. Cependant, il fixa le mur comme si toutes ces instructions venaient de ce mur, en passant par ce tableau auquel les photos et les versets sacrés au règlement interne étaient affichés.
Inspecteur Sam écouta attentivement les directives ordonnées à l’autre bout du fil, et ce, en vérité, ce qu’il devrait faire. Enfin, il raccrocha en murmurant quelques jurons, Dieu seul savait ce qui sortait de sa bouche. Cela dit, au bout du fil, il avait eu affaire à son procureur qui lui reprochait la vague semée par la fameuse valise. À peine revenu à lui-même, il prit le temps de méditer sur ce qui se disait là-haut. Perplexe, son regard fut braqué sur cet appareil en forme de tortue, et le cheminement des phrases de la bouche de l’autre bout du fil à son ouïe fut présent, à cet instant même, après ce coup de fil. Il pouvait lui-même reproduire la suite de ces évènements, à peine débutés sous un air théâtral du vol d’une valise qui pourrait, si rien n’était fait pour la retrouver, selon son procureur, reproduire un drôle de drame de la politique internationale par la suite. Visiblement, à en juger par son visage figé et orienté à cet instant même après cet appel d’en haut, aux fardes des affaires classées, même s’il n’était pas d’accord avec les directives données de là-haut, il n’y pouvait rien, se disait-il intimement.
Aussitôt, la porte du bureau s’entrouvrit après un toc-toc vite fait. Son collègue s’invita dans son bureau. Après les salutations et les potins du travail, ils se remirent à leur boulot ingrat, pour un salaire minable en échange. Suivi la retraite, les femmes et les enfants insatisfaits malgré tout. Avant de repartir, lui tendit son collègue, la liste qui vint juste de sortir de l’imprimante gigantesque placée au coin dans le couloir, dont la file d’attente était longue telle celle de la poste. La feuille était toute tiède. Sam se mit à décrypter ces noms comme si c’était un message codé. Il commençait de même à avoir des doutes sur tout. Au départ, il avait devant lui une affaire simple qui se métamorphosait, et ce, à chaque instant que le téléphone sonne en une affaire simple mais aussi plus sombre que la précédente. À peine un pas dans le couloir, avant de disparaître de l’embrasure de la porte, son collègue fit volte-face. Il hocha la tête, puis lui lança un regard à la fois désolant et encourageant, en vain. Sam le prit d’avance en avançant ses arguments et son point de vue vis-à-vis de cette affaire, son collègue manifesta moins d’intérêt à en parler et il referma la porte derrière en lui souhaitant une bonne chance dénuée de sincérité.
« Il me file l’affaire et les suspects. Et moi, je suis censé faire quoi ? Juste un simple secrétaire pour rédiger correctement les rapports, se dit Sam tout seul, le regard braqué sur la porte, là où son collègue était à peine suspendu sur la pointe des pieds en lui souhaitant bon courage, rempli d’empathie professionnelle, du genre “je t’avais dit et tu ne m’avais pas écouté”. »
Dès lors, il lutta comme d’habitude, une lutte interne l’empêcha de casser tout ce qu’il pourrait trouver sur son chemin à contrecœur, il préféra suivre la piste de ces gens-là en haut. Une chose était sûre : non seulement il n’était pas en accord avec la méthode d’en haut, mais il tenait aussi à cœur la fiche de paie mensuelle qu’il allait déposer délicatement sur la table basse, du côté de sa bien-aimée. Un financement du projet du bien-être commun. Un concept imposé par sa nouvelle compagne visionnaire. Pour tenir, il s’était accroché à un dicton de ceux qui se disaient experts car ils étaient passés par là. « La vie est une succession d’expériences », lui avait dit une de ces personnes passées par là.
Mais aussi, ce dicton, Sam le trouvait inachevé. Il avait gardé dans ses pensées celui-là correspondant à ce qu’il vivait à ce temps-là. Ce dernier balancé par ceux passés par là aussi, d’un autre chemin, pensait-il. L’un d’eux lui avait dit que la vie en couple n’était qu’une succession de compromis par la suite lâche prise aussi longtemps qu’il le pourrait. Si seulement ce n’était qu’une histoire de gagne-pain, il l’aurait envoyé promener avec toutes ses recommandations tombées d’en haut comme la manne du ciel. À contrecœur, il se mit au travail, lui qui avait juré d’exercer avec loyauté et respect du cadre.
En tête de la liste des suspects, Jean Marie Bigirimana, dix-huit ans. On pensait que le gosse était né grâce à l’aide d’une voisine, une sorte de sage-femme, qui avait déménagé avant qu’il n’atteigne l’âge de la scolarité. Quant à sa mère, elle avait disparu dans la nature lorsqu’il approchait ses trois ans. À la fin de son adolescence, la rue l’avait accueilli à bras ouverts, et ses acolytes, sa famille d’accueil, l’avaient aimablement baptisé du surnom de « Bill », un nom de bande de rudes boys. Dieu seul savait où il vivait avec sa bande, dont certains noms figuraient sur la liste que Sam venait de recevoir du policier du bureau d’en face.
Né à Gitega, l’un des quartiers animés de Kigali, Bill parlait trois langues étrangères, français, anglais et swahili, tout de même ne savait ni lire ni écrire. Selon quelques descriptions peu fiables, ce jeune homme venait d’une famille modeste campagnarde. Il avait grandi à côté de son oncle ramasseur de balles aux terrains de tennis à l’hôtel Diplomate situé à côté de l’ancien Camp militaire de Kigali. Avant la guerre qui avait commencé en nonante et qui par la suite s’intensifia vers l’année nonante-quatre, ce camp abritait l’École Supérieure Militaire E.S.M. Après la guerre, elle devint Kigali Institute of Science and Technology KIST.
Sam prit une pause qui l’amena faire un tour de bureau des collègues, essaya de créer les conversations suscitant l’intérêt en lien avec son affaire qui faisait à cet instant un sourd bruit aux couloirs. Par la suite, il fut surpris par les comportements adoptés soudainement par ses collègues vis-à-vis de cette affaire. Personne ne manifesta d’intérêt pour commenter, ne serait-ce qu’un mot à ce sujet. Néanmoins, ils s’échangèrent les regards du genre, de quoi tu parles ! Par contre, l’un d’eux qui ne savait pas bien cacher son émotion introduisit un autre sujet qui n’avait rien à avoir avec le boulot. Ce dernier préféra parler de foot, le sujet dont tout le monde savait qu’il l’ennuyait à chier, de même qu’animait le fanatisme maladroit chez les autres par la suite.
De retour dans son sanctuaire de bureau, perplexe, Sam s’affala dans sa chaise derrière son bureau et prit la liasse de papiers posée sur le clavier de son ordinateur, dont une dizaine étaient retournées. Il procéda à l’examen des profils de trois suspects potentiels. Il tourna la page nonchalamment.
Kayitare Claude, lui aussi, avait été accueilli à bras ouverts par la rue, qui lui avait trouvé le surnom de Kay. Ce fut le deuxième suspect en lien avec cette affaire d’une valise disparue d’un blanc diplomate. Connu par la police depuis quelques années, il devait avoir dix-neuf ans. À peine arrivé à la ville de Kigali, il avait retrouvé la famille de son oncle dans un recoin de Gitega sur le ticket d’éducation jugée meilleure en ville là où ses parents croyaient le mettre à l’abri de la délinquance juvénile émergeant constamment dans le milieu rural d’après la guerre. Là où ce jeune était devenu un sacré numéro. Cela dit, un lourd fardeau aux yeux de sa communauté chrétienne de l’église Baptiste à Bugesera.
Il faisait partie du district de Nyamata qui s’étendait aux limites du sud de la ville de Kigali vers la frontière du nord avec le Burundi. C’était là où ce jeune-là avait vécu son enfance avant d’atterrir dans la grande ville de Kigali et la capitale économique et politique du pays. En confiant son fils à sa sœur installée en ville depuis des lustres, son père pensait changer la donne. Au contraire, ce Bugesera était magnifique par rapport à sa cousine, la grande ville de Kigali, fondée vers les années 1907 et devenue par la suite devenue le centre administratif pendant la colonisation allemande sous le mandat du colon allemand, Richard Kandt. En s’imposant comme le choix de métropole, dès lors, Kigali prit la place de Nyanza-Astrid qu’était, à l’époque royale, la capitale du Rwanda ainsi que le siège royale. La force belge avec ses alliées chassant celle des Allemands en mille neuf cent seize lors de la Première Guerre mondiale. Cependant, la Belgique obtint la souveraineté sous mandat de la Société des Nations Unies. Sans consulter ni demander au peuple national de ce petit pays de mille collines fondé par Gihanga. Dans les années soixante-deux, le pays avait obtenu soi-disant son indépendance, qui avait été précédée par l’abolition de la monarchie, un scénario orchestré par le pouvoir colonial. À cette époque-là, c’était sous le règne de Kigeli V Ndahindurwa.
Dès lors, Kigali devint la capitale du Rwanda et connut son apogée jusqu’au six avril dix-neuf cent nonante-quatre qui énonça la fin de l’époque glorieuse. Début des moments sombres et tristes suite à l’attentat contre l’avion du président. Un moment pris pour certains à l’instar d’un élément déclencheur du génocide. Suivi par les trois mois de massacres et la guerre, plus d’un million de pertes en vies humaines.
À ses neuf ou dix ans, Kay avait vécu ses années de guerre dans un recoin de cette ville provinciale de Nyamata. À l’instar de tout le monde, en dépit de son jeune âge, la guerre ne l’avait guère épargné. Aux instants d’après, Kay ne retrouva quasiment pas ses meilleurs gars avec qui ils traînaient. Autour de lui à ce temps-là, les écoles et les églises étaient emplies des restes des corps des victimes. Des débris et les décombres laissant derrière ce portrait de l’intensité des forces destructives utilisées durant ces trois mois. Un décor qui avait pris la place de celui du bon paysage vert et les bêtes ornant les pâturages ainsi que des églises modernes qui chapeautaient des montagnes et les écoles aux pieds.
Après la guerre de nonante-quatre, la capitale du pays connut son essor économique par la suite et se métamorphosa en une ville qu’allait se disputer dans les années suivantes de la place au premier rang des grandes villes d’Afrique de l’Est. La sécurité, le progrès numérique, la propreté et le tourisme furent piliers de la relance économique. Unité et la réconciliation nationale, la charpente de cette dernière.
Arrivé dans cette ville qui lui semblait un prototype venu tout droit des extraterrestres par rapport à celle de son enfance, Kay fit la connaissance d’un certain Bill six mois plus tard, avant la fin de sa quatrième année secondaire à l’École Saint-André, où il s’était fait un nom en tabassant un gars qui, selon lui, lui avait manqué de respect devant une fille. Par-dessus tout, cela lui avait coûté l’exclusion de deux semaines. Cette rencontre n’avait pas tardé à susciter de gros ennuis avec sa tante qui l’avait accueillie dans cette ville, celle-ci aussi se peinait à surmonter ses moments de tristesse et sanglants. Souvenirs des trois mois de la guerre et le génocide.
Après quelques disputes et les remarques de bonne conduite persistantes, Kay prit la tangente. Autrement dit, il fut contraint de prendre les choses en main. Il fit son premier nouveau contact avec lequel le courant passait direct. Tous les deux partagèrent le même rêve de vivre en pleine liberté. Voler de leurs propres ailes comme tous ces jeunes de son âge grandis avec les cicatrices de guerre de même essayant de se relever, se libeller d’anciennes habitudes. L’avenir seul savait la prochaine étape de son aventure en ville en pariant sur son autonomie. De même, la seule industrie recrutant un nombre important de jeunes, c’était l’armée. Qu’elle soit régulière ou pas. Le reste de l’économie locale, voire régionale, était en berne ou complètement détruite par la guerre.
Comme passion, Kay aimait bien la lecture, il avait tant de livres qu’il dérobait un peu partout dans son passage, et ce, pour combler sa solitude en lien avec son approche de la réalité sociale embellie par une réussite illusoire. Peu après, la solitude devint problématique car il ne trouvait pas de quoi lire, non seulement la ville n’avait pas assez de bibliothèques mais aussi la guerre avait tout détruit. Par la suite, le pays vira du français à l’anglais. La musique fut sa deuxième option néanmoins il s’était mis à gratter les cordes de la guitare. Son niveau, il est difficile de lui en attribuer un. Une chose était sûre, il s’amusait à fond sans la mélodie. Dans tous ces hauts et ces bas, ce Kay arrivé à peine de la campagne incarnait un gars plein de talents mais qui ne supportait pas l’éducation dictée.
Sam se remua dans son siège de bureau puis se força à reprendre la lecture. Vint le nom d’une fille, il se remua de nouveau puis se gratta le crâne. Il émit un coup de fil et écouta attentivement ce qui se disait de l’autre bout du fil. La conversation n’avait duré que quelques minutes qui le laissèrent dans un état embarrassant. Sa première impression, la jeune femme sur la photo lui disait quelque chose dans ses souvenirs lointains, pas vraiment clairs de même l’interpellant.
Pamela Umurungi à vingt-deux ans, connue sous le pseudo de Cynthia. Un titre qui pouvait être en lien avec son caractère hybride, genre féministe et guerrière révoltée. Ou humaniste, si l’on voulait et cela dépendait de son humeur. Rescapée du génocide, elle avait tout perdu pendant la guerre. Ses parents et ses deux frères avaient été tués et la maison de famille réduite en cendres. Après la guerre, elle eut de l’audace de reprendre le chemin de l’éducation. Secondaire n’était pas un problème, elle s’en était tirée avec la bourse d’état. Puis vint le collège. Là, elle commençait à comprendre le monde réel et ses contraintes. Étant une jeune fille orpheline embellie d’une beauté naturelle époustouflante, appât aux hommes malhonnêtes.
Étudiante en deuxième année en faculté de Computer Science à K-Polytechnics, situé non loin du centre-ville, son intérêt pour l’éducation moderne diminuait de jour en jour, et sa beauté n’était qu’un fardeau pour elle face aux regards des chasseurs de jeunes filles orphelines. Sa liberté ou le manque des proches devinrent un obstacle majeur.
Rien ne surprit Sam submergé par les caractéristiques de ces personnes en lien avec la disparition de la valise. Cela dit, Cynthia était déjà connue par les différentes instances correctionnelles, et ce, depuis qu’elle avait fracassé le visage de son oncle qui était, et ce, après la mort de ses parents, son tuteur. Par chance, elle s’en était échappée belle sans casier judiciaire. Selon elle, ce dernier l’avait maltraitée. Il l’avait vendu aussi la partie importante de ses biens de ses parents décédés pendant le génocide de nonante-quatre. Aussitôt, elle s’était tirée de son quartier pour rejoindre celui de Kiyovu-bas, un endroit aussi mouvementé comme tant d’autres qu’elle avait connu lorsqu’elle avait bien compris que sa vie n’était que son propre fardeau et que la société en était un autre.
Ce moment de sevrage avec sa famille fut une épreuve éprouvante. À cette période douloureuse, elle changeait continuellement de foyer jusqu’à ce que personne ne se souvienne plus de son adresse. Souvent, elle passait ses nuits des week-ends dans différentes stations de la police juste après quelques bagarres qui se terminaient dans la main de la police. D’où Sam pensait la connaître.
Depuis qu’il avait investi la vie nocturne, elle avait tout de suite adopté plusieurs personnalités, pour ces regards absorbants d’autrui. Techniques de survie, pour elle-même. Jolie, cultivée, pleine d’empathie et dotée d’un sens de l’humour simple et relatif, telle était sa description pour ceux qui ne la connaissaient pas. Beaucoup se trompaient sur ses charmes. Elle changeait comme le nuage dans le ciel et elle le savait bien. Elle y était pour rire tout de même.
Ce fameux quartier fut coincé au bon milieu de celui de Nyamirambo et le quartier aisé de Kiyovu-contre haut. Les deux quartiers se départageaient le début de l’histoire de la ville. Kiyovu en contrebas se prenait pour la pierre angulaire de la ville. De même, il avait été au fil du temps dépourvu d’infrastructures modernes. Ses habitants vivaient de petits commerces et de prestations précaires dans les domaines ou les firmes des riches de la partie en contre-haut. D’où venait le surnom de Kiyovu riche pour désigner la partie en contre-haut, et Kiyovu précaire pour désigner la partie en contrebas.
Des magasins du coin, dit les moins grands, ne proposaient essentiellement que les produits génériques étalés devant leurs taudis. C’était avant tout les produits du quotidien des légumes, des braises de la petite quantité possible au sac entier. Les cigarettes de paquet à la tige. Autrement dit, tout se vendait par pièce. Néanmoins dans quelques bâtisses modernes, de mêmes arrières proposaient les services de bar et de restauration pour ceux qui avaient eu la chance de trouver un boulot précaire.
Ces bars et boutiques accueillaient aussi les personnes qui ne pouvaient pas se payer la facture exorbitante des magasins d’en haut au centre-ville qui n’étaient pas loin aussi de ce recoin de Kiyovu pauvre aux pieds de la colline couronnée des commerces et les hôtels de luxe. Au fait, tout ce qui était destiné à la substance éphémère de la cité moderne pouvait se trouver facilement dans des magasins d’en haut. Kiyovu-haut qui était aussi le prolongement d’un quartier chic du plateau et le centre commercial.
Un peu plus loin, aux recoins limitrophes, non loin du pont desservant le grand boulevard Kinamba-Kicukiro en contrebas, et celui de Kimihurura centre-ville en contre-haut, la plupart des logements avaient été construits en toute ignorance du plan urbain initial. Contrairement aux autres quartiers, absorbés par la dépendance à cette modernité bouleversante du quotidien de la cité, ce recoin semblait se noyer jour après jour dans la pauvreté inhérente, voire dans le désintérêt pour la nouvelle ère de modernité, lente mais agressive pour un pays à peine sorti des années marquées par la guerre. Tout s’était transformé en si peu de temps, devenant rare et indispensable au quotidien par la suite.