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La Terre est détruite. Les derniers survivants s’élancent alors vers Terrédénia, une planète similaire habitée par d’étranges humains. Ces deux mondes partagent plusieurs réalités, y compris celle du changement climatique. Cependant, sur Terrédénia, grâce à leur spiritualité et leur créativité, les peuples s’activent pour faire face à leurs innombrables problèmes. Parviendront-ils à mettre sur pied une organisation sociétale, libre de toute politique ou idéologie, pour aller vers un nouvel Éden ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Face à l’état alarmant de la Terre,
Lysiane Griot a jugé nécessaire de partager quelques convictions et aspirations pour la planète, l’humanité et la vie. C’est ainsi qu’elle écrit
Vers un nouvel Éden, ouvrage qui condense sa culture littéraire, scientifique et spirituelle.
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Seitenzahl: 439
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Lysiane Griot
Vers un nouvel Éden
Roman
© Lys Bleu Éditions – Lysiane Griot
ISBN : 979-10-377-7334-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes enfants :
Cyril
Rachel
Blandine
Vincent
Rémi
À mes petits-enfants :
Antoine
Louis
Joséphine
Pierre
Léonard
Samuel
Anna
Et à tous les enfants de la terre
Un grand et chaleureux merci :
À Maurice, fidèle compagnon de mes jours ;
À Rachel et Blandine pour leur partage d’expériences ;
À Bernadette, Jean pour leurs conseils et soutien ;
À Valeska pour son enthousiasme stimulant ;
À Rachel encore et à Jeff, dont l’aide et la créativité ont été précieuses pour la réalisation de la couverture ;
À Muriel, Jacqueline, Cyril, Christine, Marc, frère Michel, Paul, Sylvain.
Et un immense merci à Jean-Michel qui a inspiré les passages d’ordre spirituel, et sans qui l’idée même de ce livre n’aurait pu germer.
L’amour ne sait rien du passé ni du futur, il est sans cesse nouveau.
Jidu Krishnamurti
Sur la planète Terre,
la belle aventure de l’humanité s’achève
Tendu, le visage figé, le vieil homme fixait l’océan. Soudain, une forme blanche sortant des flots sembla se diriger vers lui, il sursauta.
Il essaya de courir vers la forme, mais ses jambes tremblantes ne le portaient plus, il tomba à genoux. Quand il leva à nouveau les yeux, seule une mouette affamée s’affolait à la surface de l’eau, survolant les flots, inlassablement, en vain. Il ne la quitta pas du regard jusqu’à ce que la mouette épuisée disparaisse à jamais dans l’eau sombre.
À l’horizon, le soleil semblait accélérer sa course, il plongea soudain dans les flots, embrasant tout sur son passage, le ciel, la mer, seuls les énormes cargos qu’on aurait pu deviner au loin manquaient au décor.
Cécile s’était approchée de lui, elle avait posé la tête sur son épaule, l’odeur des embruns accrochée à ses cheveux. Ils s’étaient assis sur le sable, serrés l’un contre l’autre, savourant l’instant et la beauté du lieu. Ils étaient restés ainsi un long moment, seuls sur ce petit bout de plage. C’était leurs premières vacances sans les enfants qui, pour la première fois, étaient partis camper avec leurs amis. Ils s’étaient sentis désemparés sans eux. Comment faisaient-ils avant leur naissance ? Des souvenirs de leur jeunesse remontaient.
Ils avaient ri, l’arbre était si petit, un arbuste. Ils s’étaient allongés, s’étaient enlacés et s’étaient aimés avec fougue, comme aux premiers jours.
Soudain, le temps avait changé, des nuages noirs s’amoncelaient à l’horizon. Une fraîcheur nouvelle la faisait frissonner. Elle s’était levée, avait enfilé sa robe et fait quelques pas pour se réchauffer. Lui la regardait, elle était belle encore, sa longue silhouette se détachant sur le ciel assombri. Il aurait pu la suivre, mais il était resté là, adossé à l’arbuste, jouissant du spectacle. De temps à autre, elle se retournait, lui faisait un petit signe et souriait.
Ils avaient navigué depuis le matin. Partis de la pointe de Penmarch, ils avaient longé la côte bretonne en direction du sud, scrutant au passage la plage de Beg-Meil où vivait un couple d’amis, puis contournant Belle-Île, ils avaient rejoint les îles des Glénan avant de ramener l’embarcation au port de Saint-Guénolé. Le soleil était déjà bas vers l’horizon, mais ils n’avaient pas souhaité rentrer. Pas tout de suite. Ils voulaient profiter encore et encore des couleurs changeantes de la mer. Ils avaient suivi le chemin côtier et rejoint la plage, en contrebas de la chapelle de Notre-Dame-de-Tronoën qui a maintenant les pieds dans l’eau. On entendait le bruit des vagues s’échouant sur la plage, le battement d’ailes des cormorans et le rire des mouettes. À l’horizon se dessinaient les silhouettes de deux énormes cargos.
Ils avaient passé tant d’années ensemble ! Il savait tout d’elle. Elle savait tout de lui.
Ils s’étaient rencontrés à la gare du Nord. Alors qu’elle s’apprêtait à monter dans le train, sa valise s’était ouverte, répartissant son contenu sur le quai. Matthieu s’était précipité pour l’aider. Ils s’étaient regardés, avaient éclaté de rire… Le train était parti sans eux. Ils avaient pris un café au buffet de la gare, avaient parlé musique, théâtre, nature, des choses de la vie… Et ne s’étaient plus quittés. Puis les enfants étaient venus, avec leur lot de joies, de peines aussi parfois. Le travail avait accaparé Matthieu, beaucoup. Il rentrait tard, et souvent fatigué. Elle s’occupait des enfants, des repas, de la maison et elle l’attendait, l’été, en regardant pousser les fleurs du jardin, et l’hiver, en lisant au coin du feu. Elle lui reprochait parfois ses longues absences. C’est vrai, il se laissait trop accaparer par son travail.
Durant toutes ces années, leur amour s’était enrichi d’une grande tendresse, et il était heureux de la voir marcher sur la plage, de la voir s’approcher de l’eau, se laissant lécher les pieds par les vagues, les cheveux en bataille et sa robe blanche soulevée par le vent. Bercé par le bruit de la mer, il fermait à demi les yeux quand il entendit un cri. Il vit Cécile reculer, se retourner, courir, mais trop tard. Une vague, énorme, surgissant du fond de l’océan, l’avait engloutie. Le temps qu’il se lève, la vague était sur lui. Il ne dut la vie sauve qu’à cet arbuste auquel il s’était agrippé de toutes ses forces. Puis la vague s’était retirée, balayant tout sur son passage. Quand il reprit ses esprits, il était seul sur la plage. Il avait couru dans tous les sens, criant son nom :
Après, il n’arrivait plus à se souvenir, tout était flou dans sa tête. Les secours dépêchés sur place n’ont rien pu faire à cause de la nuit. Ils ont cherché encore tout le lendemain et le surlendemain et le jour encore d’après, mais jamais l’océan n’a rendu Cécile.
Quinze années déjà que ce terrible souvenir hantait sa mémoire. Quinze années qu’il venait là, comme on se rend sur une tombe.
La pression sur la planète était trop forte et notre Terre souffrait. Une blague a circulé un moment sur le Net : « Une petite planète croise notre terre. »
Ça faisait rire et… la vie continuait. Les bateaux chargés de marchandises parcouraient en tous sens les océans, crachant leurs noires fumées et déversant leur lot de pétrole dans la mer. Le ballet effréné des avions ne faiblissait pas, pâlissant le bleu du ciel. Ils transportaient des touristes insouciants, des produits périssables ou des hommes d’affaires qu’on disait importants, sans savoir pour qui ni pour quoi. Voitures et camions embouteillaient les routes, pétaradant leurs gaz d’échappement, tandis que les fumées d’usines recouvraient les villes, et que les tracteurs de paysans endettés sous la pression des géants de l’agrochimie déversaient leurs pesticides sur les champs…
Les hommes avaient choisi. « C’est la vie », disaient-ils. Mais c’était leur mort, ils ne le savaient pas encore.
Les amis de Matthieu, sa famille et lui-même, bien protégés dans leurs appartements parisiens cossus, en avaient vu passer des pluies torrentielles et des inondations, suivies de longues périodes de sécheresse, d’incendies, de guerres pour l’eau, de misères et de famines, jetant des milliers de personnes sur les routes d’un exil ne menant nulle part, toutes frontières bien fermées pour cause d’égoïsme. Combien d’enfants, d’hommes et de femmes noyés en mer pour avoir tenté de fuir ces fléaux ?
Matthieu n’osait plus se baigner en Méditerranée. Il chassa avec force ces images de cadavres s’échouant sur la plage, cherchant dans sa mémoire celles d’un bonheur passé : les petits lapins perdus, recueillis par les enfants qui se sont multipliés sur la pelouse du jardin et qui venaient grignoter le goûter d’Élise quand elle s’asseyait dans l’herbe ; les petites bêtises des enfants, comme le jour où Brice posa le réveil sur la lampe de chevet avant de l’allumer, répandant dans toute la maison une abominable odeur de plastique fondu. Matthieu avait alors pris sa grosse voix. À présent, seul demeurait un souvenir attendri.
En vacances, les enfants, découvrant tant de merveilles, se fondaient dans la nature. Ils se roulaient dans l’herbe, se chamaillaient pour un joli caillou ou une coquille d’escargot. Ils pouvaient observer un long moment les poules derrière leur grillage, regarder, fascinés, le poulain tétant sa maman dans le pré, essayer, sans y parvenir, de compter les moutons dans les alpages.
Certains matins d’été, animés d’un ardent désir de découvertes, l’aube les trouvait dehors. Ils pouvaient alors admirer les rochers se teintant d’un bel orangé sous la caresse des premiers rayons du soleil. Puis sac au dos, ils gravissaient les pentes en direction d’une grande cascade, d’un petit lac, ou simplement pour apercevoir ce qui se cachait de l’autre côté de la montagne. En chemin, il n’était pas rare de rencontrer des marmottons espiègles.
Comme la terre était belle !
Les premières années de leur vie commune, Matthieu et Cécile n’étaient pas très riches, mais leur vie était confortable. Puis Matthieu avait grimpé les échelons, comme on dit. Il était devenu directeur adjoint, puis directeur, ensuite il avait pu racheter l’affaire. Il fit du business, ça rapportait gros, il ne l’a pas vraiment fait exprès, l’opportunité, beaucoup de chance aussi, et peut-être quelques coups fourrés dont il n’est plus très fier aujourd’hui.
Et tout ça pourquoi ?
Plus tard, quand Matthieu eut fait fortune dans le commerce de bois précieux, il acheta un très grand appartement à Paris dans le quinzième. 400 m² avec une grande terrasse. Il avait tenu à embaucher une cuisinière et une femme de chambre. Cécile continuait à faire pousser des fleurs sur la terrasse. Elle reprit ce goût qu’elle avait dans sa jeunesse pour l’art et s’adonnait à la peinture, elle prenait même quelques cours de chant avec Julietta, la chanteuse la plus en vogue de l’époque. Ils participaient à des soirées mondaines pour lesquelles Cécile avait peu d’attirance. Elle préférait les rencontres plus authentiques avec son amie de toujours, Émilie, institutrice dans le vingtième. Leurs enfants, eux, fréquentaient l’école privée la plus renommée.
L’été, la famille partait en voyage de plus en plus loin, se logeant dans des hôtels de luxe, profitant de plages de rêve. Un soir, ils entendirent parler d’une petite île de Polynésie.
C’est ainsi qu’un soir d’été, ils atterrirent sur Funati, dans l’archipel des Tuvalu, au centre de l’océan Pacifique. Un ferry assurant la liaison entre les îles les conduisit sur Nuitao où ils rejoignirent le village de Kuilia. On ne pouvait pas rêver de coin plus tranquille, et dans un paysage beau à couper le souffle. Mais les enfants, presque adolescents, avaient protesté.
Cette réponse avait attristé Cécile qui les réprimanda. Elle se sentait bien dans cette île. Ils avaient loué une petite maison dans le village. Une jeune femme d’ici s’était tout de suite présentée pour préparer leurs repas et entretenir la maison. Élise, désirant vivre simplement, comme autrefois, avait hésité. Puis elle s’était dit que ça ferait un petit revenu pour cette femme et elle avait accepté en gardant pour elle la tâche du ravitaillement. Elle allait au marché, y achetait les légumes locaux, du poisson, et surtout, y faisait des rencontres. Elle aimait le contact avec la population locale, avec qui elle pouvait échanger dans un anglais parfois approximatif. Certains jours, avec Maria, elle apprenait à cuisiner quelque plat exotique.
Trois jours après leur arrivée, des jeunes du village étaient venus inviter Brice et Élise à se baigner. Alors qu’ils rechignaient à se décider, prétextant mille excuses, Cécile avait insisté pour qu’ils acceptent. Elle en avait assez de les voir sur leurs jeux vidéo ou tourner en rond sans rien faire. De mauvaise grâce, ils les suivirent. Le soir, ne les voyant pas revenir, Cécile, partie à leur recherche, avait découvert le petit groupe sur la plage, creusant le sable à la recherche de coquillages. Depuis ce jour, on ne les vit plus guère à la maison.
Les parents, eux, se promenaient sous les palmiers ou se baignaient dans l’eau tiède du lagon. Ils arpentaient les rues, parlaient à l’un ou l’autre au fil des rencontres. Les habitants étaient affables et accueillants. Ils vivaient de leurs cultures et de la pêche, ne travaillant pas plus que nécessaire, ne désirant rien d’autre que ce qu’ils possédaient, c’est-à-dire pas grand-chose : leur petite maison, construite de leurs mains en terre du pays et couverte de paille épaisse pour conserver la fraîcheur, le lopin de terre qu’ils cultivaient, une barque pour la pêche côtière, une chèvre, quelques poules… De quoi nourrir la famille. Ils pratiquaient un petit artisanat qu’ils vendaient aux quelques touristes de passage pour trois fois rien. Ça leur permettait d’acheter le nécessaire et de payer les frais de scolarité pour les enfants.
Régulièrement, les soirs de pleine lune ou pour toute autre raison, les villageois se retrouvaient sur la plage, et sans l’avoir vraiment organisée, faisaient la fête. Tous participaient. Certains jouaient du tam-tam, d’autres d’un instrument à cordes inconnu chez nous. On dansait beaucoup aussi et on buvait une sorte de bière locale très légèrement alcoolisée, réalisée sur place par les femmes qui gardaient le secret de sa fabrication. Les vieux racontaient des histoires aux enfants. Un petit coin de paradis.
Mais le dérèglement climatique s’accéléra, l’île paradisiaque ne fut pas épargnée. L’eau a d’abord envahi les terres les plus basses, partageant l’île en deux. Les habitants furent contraints d’utiliser la barque pour se rendre à leur jardin. Puis la mer continua à grignoter les terres, lentement, régulièrement, avec application. Il a fallu déplacer des maisons. On les reconstruisait plus haut. Bientôt la place manqua et quelques habitants se réfugièrent sur une île voisine. Plus tard, il fallut bien se résigner, les premières familles s’exilèrent sur le continent. Peu après, d’autres ont suivi, jusqu’aux dernières. Car bientôt ce fut l’île tout entière qui disparut sous les flots. Comme bien d’autres ensuite ! Après avoir connu le paradis, les habitants de l’archipel vécurent un enfer. Mal accueillis, ils furent relégués dans un bidonville où régnaient promiscuité, insécurité et insalubrité.
La situation mondiale continuait à s’aggraver. Les dirigeants ne pouvaient, ou ne voulaient rien faire, plus soucieux d’assurer leur réélection. Les banquiers entretenaient une énième crise qui les arrangeait bien. Les plus fortunés se dépêchaient d’amasser davantage, de peur de perdre un peu. Les gens ordinaires avaient d’autres préoccupations, conserver leur emploi, s’ils en avaient un, et remplir la marmite chaque jour. La télévision distrayait par ses émissions débiles et éloignait les esprits des problèmes majeurs. Des jeunes, addicts aux jeux vidéo, perdaient le sens des réalités, d’autres plus informés, déprimaient, angoissés par leur avenir.
Pour rassurer ceux qui commençaient à s’alarmer, les responsables politiques avaient depuis longtemps inventé les « Sommets de la Terre ». Un bien joli mot ! Ils discutaient. Beaucoup ! Et à chaque fois se séparaient sans avoir pris de décisions majeures. Quelques mesures encourageantes furent bien prises ici ou là. Mais très en deçà de ce qui aurait été nécessaire. « Impossible ! Trop cher ! » entendait-on.
Comment calcule-t-on le prix d’une planète ?
Quelques dizaines d’années de ces sommets n’ont rien changé dans les agissements des hommes, et les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé d’augmenter.
Mais nous, nous avions le nucléaire !
Grâce au nucléaire, notre pays participait bien moins que les autres au réchauffement climatique ! Matthieu avait longtemps été favorable au nucléaire. Il voyait là le moyen infaillible pour notre pays de devenir une grande puissance. Nous pouvions vendre notre technologie, nos centrales, dans le monde entier.
Il y eut Three Miles Island en 1979, incident classé 5. On en parla. Un peu. Puis en 1986, il y eut Tchernobyl !
Et en 2011, il y eut Fukushima qui rejeta ses eaux radioactives dans la mer pendant des années et des années, sans qu’on trouve comment arrêter ces fuites. On a fini par ne plus en parler.
L’Allemagne et bien d’autres pays ont arrêté leur programme nucléaire pour passer aux énergies renouvelables.
Mais pas nous.
Et si nos centrales vieillissantes avaient des défaillances, des fuites radioactives, l’affaire était vite minimisée. Enterrée. Secret défense ! Et pendant qu’on prévoyait la fermeture de Fessenheim, la plus ancienne, pour montrer qu’on faisait des efforts, on développait l’EPR à Flamanville qui, malgré sa cuve défectueuse, obtint le feu vert des autorités pour sa mise en service, et malgré les risques et le coût exorbitant, la construction d’autres EPR était prévue.
Matthieu parlait maintenant à Cécile comme si elle était près de lui, comme autrefois. Il avait tant de choses à lui dire, à se dire à lui-même. Ce dialogue intérieur lui était nécessaire, mais il ne savait comment commencer. Tout était si douloureux.
J’essayais de te convaincre, sans y parvenir, que tu te trompais, que tout était sous contrôle, qu’il n’y avait aucun risque, aucun danger.
Il n’a pas fallu 20 ans pour qu’un autre accident survienne, en Asie, là où nous étions si fiers d’avoir vendu nos réacteurs, faisant des milliers de morts, des centaines de milliers d’irradiés, et durant les années qui ont suivi sont nés en grand nombre des enfants que les parents préféraient cacher. Puis quelques années plus tard, ce fut cette bombe artisanale, fabriquée par un savant fou à la solde de terroristes, lancée d’un endroit qu’on n’aurait jamais pu imaginer, un si petit pays, et avec de l’uranium dont personne n’a jamais su la provenance… De l’uranium circule à travers la planète depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, mais d’où vient-il ? Où est-il ? Personne n’est en mesure de le savoir. Disparu, introuvable. Pas pour tout le monde !
En Sibérie, là où nous entreposions nos déchets les plus redoutables, ceux qui restent après le retraitement de La Hague et radioactifs pour des dizaines et des dizaines de milliers d’années, les fuites ont commencé. Avec l’oxydation, les fûts laissés à l’air libre sont devenus de moins en moins étanches, polluant des hectares et des hectares de terres. Les fûts enfouis à grande profondeur subissaient le même sort et la radioactivité commençait à se propager dans le sol. Le niveau de radioactivité de la planète est monté de façon inquiétante. Alors, sur le papier, les normes admises ont été augmentées…
Toutes ces terres inhabitables ! Toutes ces régions saupoudrées de poussières radioactives poussées par les vents, les tempêtes…
Matthieu se sentit soudain très vieux. Il n’était pas prêt. Pas tout de suite. De tout son être, il refusait la vérité. Il refusait ce passé trop récent qui faisait si mal. Il préférait chasser ces images insoutenables et forcer à ressurgir des images d’un passé plus lointain, des images de bonheur, quand le bonheur était encore possible.
Il se revit avec Cécile avant la naissance de leur premier enfant. Cécile l’avait appelé à son travail.
Matthieu était sorti en trombe de son bureau sans dire au revoir à personne, avait descendu à pied les 3 étages. Il avait couru, pris sa voiture au parking et s’était retrouvé vociférant dans les embouteillages. Il se souvient avoir klaxonné des gens qui l’injuriaient au passage. Il ne s’en souciait pas, seul comptait le fait d’arriver à temps. Il trouva Cécile dans un fauteuil du salon. Elle lui souriait. Par moments, elle portait les deux mains à son ventre et le sourire prenait des airs de grimace. La petite valise, prête depuis longtemps, était posée à côté d’elle. Il l’avait embrassée, l’avait aidée à passer un manteau, à marcher jusqu’à la voiture et le cauchemar des embouteillages recommençait. Mais il était près d’elle. C’est elle qui le rassurait.
Matthieu étouffa un sanglot.
Heureux, ils venaient de passer quelques jours de vacances. Ils étaient sur la route du retour quand cette explosion a eu lieu dans la centrale. Trop près, au moment du drame !
Beaucoup d’autres sont morts avec eux. On n’a jamais su combien exactement, 50 000 ? 80 000 ? 200 000 peut-être… Secret défense ! Comme on ne saura jamais le nombre d’infirmes, de malades ou d’enfants mal formés, déformés, handicapés à vie qui sont nés après, plusieurs années après. Parfois, moi qui crois si peu, si mal, je me surprends à penser qu’ils sont près de toi.
Le nucléaire est plus propre !
Une larme coula sur la joue de Matthieu, s’égara dans sa barbe, glissa sur sa main avant de s’écraser au sol, laissant un creux dans la poussière.
Perdu dans ses pensées, Matthieu n’entendait pas. Une petite main se glissa dans la sienne.
Matthieu, tiré brusquement de sa rêverie, encore tout ému, garda un moment dans la sienne, la main de sa petite fille. Puis de ses bras toujours robustes, il la souleva et la serra contre lui.
Du doigt, Matthieu désigna un point sur la mer, derrière la chapelle.
Ils restèrent un long moment à fixer ce point invisible sur l’eau.
Ils restèrent ainsi, la petite fille et le grand-père, dans les bras l’un de l’autre, au bord d’une plage bretonne où le soleil venait de se coucher.
Cette parole de l’enfant fit sourire Matthieu.
La petite Marie posa un gros baiser sur la joue de son grand-père.
Matthieu sourit. Il posa l’enfant au sol, repris sa main dans la sienne et fixa une dernière fois la mer.
Le dernier mot s’étrangla dans sa gorge.
***
Élise n’avait pas accompagné son père jusqu’à la plage. Il n’y tenait pas, préférant être seul, pour la dernière fois. Elle l’attendait là, près de la voiture surveillant les environs.
Mais quand ils furent près d’elle, voyant le visage ravagé de Matthieu, elle ne les questionna pas davantage. Elle aussi d’ailleurs, avait pleuré. Cette journée était si particulière… Elle posa les mains sur les épaules de son père, le regarda avec tendresse et déposa un baiser sur sa joue humide.
Ils roulaient toutes vitres ouvertes préférant se passer de climatisation. Respirer à pleins poumons, l’air brûlant de cette terre desséchée. Profiter au maximum de ces instants.
Soudain à proximité de Quimper, une forme sombre se jeta devant la voiture. Élise, surprise, appuya de toutes ses forces sur le frein pour ne pas renverser l’homme en guenilles qui se trouvait là, il n’avait que la peau sur les os. Il criait, leur montrait le poing, tapait sur le pare-brise. Il réclamait à manger. Eux n’avaient rien à lui donner. L’homme insistait. Il était maintenant agrippé à la portière, la tête rentrée à l’intérieur. Élise commençait à avancer doucement, mais l’homme agrippant ses cheveux lui tira la tête en arrière.
Mais l’homme ne lâchait pas. Marie terrorisée, regardait tantôt sa mère tantôt le visage hideux de l’agresseur. Matthieu, lui, cherchait tout autour ce qui pourrait les sortir de ce mauvais pas. Et puis, il les vit. Deux petits corps rampant derrière l’homme, presque nus, ils tendaient la main vers la voiture, le regard vide, sans expression.
Elle eut moins peur. Il était père. Il voulait nourrir ses enfants. C’est humain. Cela l’étonna pourtant. Depuis des années, avec l’augmentation de la mortalité infantile, et la baisse de la fertilité masculine, le nombre d’enfants avait chuté dans les milieux populaires. Les produits chimiques, auxquels personne n’échappait, ne permettaient plus au corps de fabriquer les hormones nécessaires à la spermatogenèse. Le fossé entre riches et pauvres n’avait cessé de s’élargir, nourriture de moindre qualité, santé au rabais, instruction défaillante pour les uns et nourriture bio, cliniques et écoles privées de qualité pour les autres.
Les fortunés, les puissants assuraient ainsi leur suprématie sur les opprimés souvent méprisés. Peut-être même certains se réjouissaient-ils de cette diminution. Les machines pouvant assurer en grande partie le travail pourquoi s’encombrer de tous ces pauvres devenus inutiles et qui réclamaient leurs droits.
Cet homme avec deux enfants ne devait pas toujours avoir été aussi misérable.
Marie, alertée par les paroles de son grand-père, avait vu les enfants. Vite, elle tira de sa poche les deux petites brioches que sa mère lui avait faites la veille. Elle tendit les gâteaux vers l’homme. Quand il les aperçut, ses yeux s’agrandirent, il lâcha les cheveux d’Élise, lâcha la voiture et se jeta sur les brioches avec une telle avidité que Marie en fut tout interloquée. L’homme semblait épuisé par l’effort qu’il venait de fournir. Ses jambes ne le portaient plus, il s’aidait d’une main sur le sol pour avancer. Il se laissa tomber près des enfants, et en tremblant, posa une brioche dans les mains de chacun d’eux. Ils regardèrent d’abord la nourriture puis commencèrent à manger, lentement, avec peine, tellement ils étaient affaiblis. L’homme les encourageait. Il avait perdu son air cruel. Il n’était plus qu’un père aimant. Il ramassait les miettes que les enfants laissaient tomber, les gardait au creux de sa main pour les leur redonner ensuite.
Marie regardait la main de l’homme nourrissant les enfants. Elle aurait voulu les sauver, mais comment ? Cela était impossible.
Alors, elle se roula en boule sur son siège cachant son visage dans ses genoux, bien décidée à ne plus rien voir.
Élise, encore sous le choc, redémarra doucement. On apercevait, ici ou là, d’autres affamés, certains tendaient encore la main, d’autres n’avaient plus la force de bouger.
Cette nuit était si claire ! La lune toute ronde montrait le chemin, les étoiles lumineuses, innombrables, piquetaient le ciel et la Voie lactée éclairait l’horizon. C’était une nuit splendide ! Le sol nu accentuait cette impression de lumière. Les quelques arbres disséminés tendaient vers le ciel leurs branches noircies des derniers incendies. Parfois quelque forme sombre se dressait encore devant eux, Élise donnait un coup de volant pour l’éviter et accélérait brutalement. Toutes les vitres étaient maintenant fermées et par une sorte d’acharnement de la malchance, la climatisation venait de tomber en panne. La chaleur devint insupportable. Personne pourtant n’avait envie de revivre la scène passée. Marie somnolait.
Matthieu sortit un mouchoir et s’épongea le front. Il en proposa un à Élise dont les mains humides collaient sur le volant, puis entrouvrit légèrement sa vitre.
Il n’était plus possible de suivre l’ancienne autoroute menant à Lorient, elle était maintenant sous les flots. Ils remontèrent donc par les petites routes en direction de Pontivy.
Sur les conseils de Matthieu, elle coupa le contact et laissa glisser la voiture sans bruit quelques deux cents mètres encore, avant de mettre le frein. Un peu plus bas se trouvait une rivière et donc un danger potentiel. Les survivants, en effet, préféraient se tenir dans les creux près des anciens points d’eau. Ils scrutèrent les alentours et quand ils furent certains d’être seuls. Elle souleva prestement le tapis de la voiture sous ses pieds, enleva l’ouverture du double fond et attrapa un bidon d’essence. Elle sortit rapidement, sans refermer la portière, ses mains tremblaient sur le bouchon du réservoir. Elle versa le précieux liquide disparu de la planète pour des milliards d’années. Élise n’avait pas conscience du privilège qu’elle avait là. Elle avait simplement pris un jerrycan dans la réserve familiale cachée dans une fosse, à l’écart de la maison. Elle referma et remonta vite à l’abri dans la voiture, claqua cette fois la portière et démarra en trombe. Elle ne remarqua pas le petit groupe fantomatique qui avançait, clopinant dans leur direction, avant de renoncer.
En traversant le Blavet, ils virent deux personnes creuser à l’aide d’une pelle, dans le lit de la rivière. Ceux-là avaient de la chance, avec un petit pichet, ils recueillaient l’eau qui arrivait encore à sourdre à cet endroit, et la versaient dans un seau, même boueuse elle était précieuse, car le fond des rivières aussi s’asséchait.
Cette scène en évoquait d’autres pour Matthieu, il avait vu les mêmes images autrefois, en Afrique sahélienne. Chaque scène entrevue sur leur passage lui brisait le cœur.
Leur allure était assez régulière, malgré le délabrement de la chaussée. Ils suivaient maintenant la direction de Rennes et bientôt le panneau Montfort apparut.
On apercevait déjà les hauts murs surmontés de barbelés qui ceinturaient toute la propriété. Matthieu sortit un talkie-walkie, seul appareil permettant de communiquer à quelque distance, les téléphones portables étant devenus inutilisables. Il appela Étienne, le mari de sa fille.
Élise avait rencontré Étienne de Jointigny alors qu’elle était étudiante. À la mort de Charles de Jointigny décédé prématurément, Étienne avait repris l’affaire de son père dans l’exploitation du pétrole. C’est sa société qui fournissait l’armée en carburant.
Étienne sortit, attrapant au passage son arme, un fusil d’assaut prélevé sur les stocks de l’armée et le chargea. Précaution presque inutile, car beaucoup de ceux qui s’agglutinaient là, dans l’espoir de profiter des richesses qu’ils savaient cachées derrière le mur, épuisés par le manque de nourriture et la chaleur dormaient. Un petit garçon pourtant attendait debout. Quelques hommes assis le dos au mur rêvaient en regardant le ciel.
Étienne marcha rapidement en direction du lourd portail qui fermait l’enceinte.
Élise accéléra, un peu tendue.
Le portail glissa lentement. Au bruit du moteur, des hommes s’étaient levés. Étienne se précipita à l’extérieur. Brandissant son arme, il les fit reculer. Marie, réveillée par le changement de rythme et l’échange de paroles, cherchait quelqu’un du regard. Elle le vit, et fit un geste de la main.
Dès qu’ils furent à l’intérieur, Élise arrêta la voiture un bref instant, permettant à Marie de descendre. Déjà, Étienne, brandissant toujours son fusil, appuyait sur le bouton de fermeture, le lourd portail se refermait lentement. Le petit garçon s’avançait ignorant la menace. Décontenancé, Étienne hésita, ne baissa pas son arme, mais ne tira pas. Il n’avait rien à craindre d’un enfant.
Étienne actionna le système de sécurité qui fonctionnait comme le système de fermeture grâce à un panneau solaire situé à l’intérieur de la propriété puis il s’en retourna vers la maison. Marie le regarda partir. Il était si préoccupé qu’il ne remarqua pas la direction prise par la fillette.
Elle longea le mur d’enceinte jusqu’à une fissure connue uniquement des deux enfants.
***
Marie s’était souvent sentie seule dans la grande maison. Elle sortait seulement dans ce qu’on appelait pompeusement « le parc », mais qui n’était en fait qu’un immense espace de terre séchée, d’arbres rabougris et de bosquets dépourvus de la moindre feuille. On avait encore de l’eau bien sûr ! Mais on ne la gaspillait pas à la jeter sur le sol. C’était déjà assez d’en donner aux quatre poules que sa mère élevait pour les œufs. L’eau était ce qu’on avait de plus précieux dans d’immenses réserves et même si on faisait très attention, le niveau baissait, personne ne voulant renoncer à sa toilette.
Marie sortait donc, dès que le soleil glissait vers l’horizon. Elle longeait le mur, scrutant chaque recoin dans l’espoir de découvrir… Découvrir quoi ? Elle ne le savait au juste. Et c’est ainsi que, pas très loin du portail où elle s’attardait souvent, essayant d’écouter les plaintes, les cris et tout ce qui se passait dehors, alors qu’elle-même restait enfermée, c’est ainsi donc, qu’elle découvrit une petite fente dans le mur. Oh, elle n’était pas bien grande cette fente ! Juste de quoi voir… un œil. Un œil qui la regardait, elle ! D’abord, elle avait eu peur, elle s’était enfuie. Et puis la curiosité avait été plus forte, elle était revenue. L’œil n’y était plus. Elle en avait rêvé la nuit, cet œil lui parlait. Et les choses qu’elle entendait étaient douces. Elle est revenue le lendemain, et puis le surlendemain, espérant toujours revoir l’œil, déçue qu’il n’y soit pas. Et puis un jour, alors qu’elle n’y croyait presque plus, il était là !
Marie haussa les épaules.
Ce soir-là, Marie était rentrée chez elle très troublée. Elle n’avait pas parlé de Julien à ses parents. Elle avait mangé sans faire d’histoire et était allée se coucher aussitôt, elle voulait penser à cette rencontre.
Le lendemain, dès le matin, Marie avait attendu avec impatience l’heure du goûter pour voir ce qu’elle apporterait à Julien.
Pétrir le pain avec maman, ça Marie aimait bien. Il fallait d’abord moudre le blé, celui qu’on gardait dans la grande réserve, le même que Matthieu donnait aux poules. Élise avait un petit moulin. Autrefois, voilà bien longtemps, il servait à moudre le café. Il avait appartenu à son arrière-arrière-grand-mère. La farine n’était pas très fine, mais ça allait. Maman, la veille au soir avait sorti un petit morceau de pâte qu’elle avait gardé de la fournée précédente. « C’est le levain », avait-elle expliqué à Marie. Puis, elle y avait ajouté un peu d’eau, un peu de farine, il avait attendu toute la nuit. Le matin, maman versait de l’eau dans un grand saladier, y mélangeait le levain avec un peu de sel, elle ajoutait la farine, mélangeait encore puis versait le tout sur la table. C’était le moment de pétrir. Au début ça collait aux doigts. Puis ça devenait une belle pâte douce et lisse. Marie avait le droit d’en prendre un tout petit morceau, c’était bon. Ensuite on laissait la pâte se reposer. Elle doublait de volume et on recommençait à pétrir, mais pas longtemps. La pâte était placée dans des moules, elle devait encore se reposer pour lever, puis maman la mettait au four. Marie revenait juste quand elle sentait la bonne odeur du pain chaud.
Ce jour-là, quand enfin, Marie reçut son goûter, une tranche de pain frais et tiède, elle se précipita dehors.
Marie revint sur ses pas, attrapa son chapeau dans l’entrée et courut jusqu’au trou, le chapeau à la main. Le trou s’était un peu élargi. Pas beaucoup, c’est un mur solide et Julien n’avait pas pu faire mieux.
Julien, avec un morceau de vieux tee-shirt et un bout de ficelle, avait confectionné une sorte de sac. À l’aide d’un bâton, récupéré sur un arbre mort, il fit glisser le sac vers Marie.
Marie mit le pain dans le sac et glissa le sac dans le trou. Le mur était épais et Julien avait beau tirer sur la ficelle, le sac se coinçait, il dut passer le bâton à Marie pour qu’elle le pousse. À l’arrivée, le pain un peu déchiré était sorti du sac.
Le lendemain Marie avait réussi à obtenir deux tranches de pain. Le surlendemain, elle avait subtilisé un œuf dur dans la cuisine.
Et c’est ainsi que, grâce à Marie, Julien pouvait manger un peu chaque jour. Mais, il devait se cacher des autres, car une fois quelqu’un l’avait surpris et lui avait volé son repas. La maman de Marie était bien surprise de voir sa fille manger autant.
***
Mais ce temps-là était bien révolu. Quand son père se fut éloigné, Marie retourna au trou. Elle n’avait plus rien pour son ami. Elle avait donné ses brioches à l’homme sur la route, elle aurait voulu le dire à Julien, mais ça n’avait plus d’importance. Elle se sentait infiniment triste. Elle allait perdre son ami.
Ils restèrent ainsi un long moment, sans rien dire, le cœur gros, unis par un amour dont seuls les enfants ont le secret. Soudain, Marie se redressa. Des tristes pensées qui tournaient dans sa tête jaillit tout à coup une idée. Et l’idée faisait son chemin, grandissait, grandissait pour devenir presque réalité.
Élise, dans la cuisine, préparait des crêpes et de la tisane, un petit en-cas qu’ils avaleraient avant de se coucher. Ils avaient décidé d’essayer de dormir quelques heures avant le départ, prévu pour 2 heures 30.
Marie arriva en courant, toute rouge, dans la cuisine. Élise regarda sa fille avec surprise. Pourquoi avait-elle couru comme ça ?
Marie entraîna sa maman vers un confortable fauteuil dans le salon et la fit asseoir, puis elle grimpa sur ses genoux, lui donna un gros baiser et fit un énorme câlin.
Élise ne savait que répondre. Elle avait imaginé toutes les difficultés que pourrait avoir sa fille au moment du départ : les jouets qu’elle ne pourrait tous emporter ; devoir quitter son chat, sa maison, sa chambre ; la vie à bord, sans la moindre sortie possible ; la peur parfois ; la longueur du voyage ; l’arrivée dans un endroit si… indéfinissable, etc., etc… Elle pensait avoir tout imaginé, mais… pas ça !
Élise serra très fort sa fille dans ses bras, lui caressa les cheveux. L’émotion la gagnait. Elle se sentait fragilisée, elle aussi, par ce départ.
Marie se dégagea brusquement de l’étreinte. Se mit debout face à sa mère, et d’une voie pleine d’assurance, en la regardant droit dans les yeux.
Ce soir-là, Étienne se fit attendre. Les minutes passaient et il n’arrivait toujours pas.
Là-dessus, Marie partit en courant jusqu’à sa chambre, elle se recroquevilla contre son lit et se mit à pleurer, pleurer d’impuissance, de désespoir, car elle sentait que son père ne voudrait pas emmener Julien. Élise s’approcha doucement.
Quand les hommes rentrèrent, Élise essaya de se ressaisir, sans y parvenir. Matthieu chercha Marie des yeux, ne la voyant pas, il allait poser une question, mais devant le regard d’Élise, il se tut. Étienne lui, ne remarqua rien, ni l’absence de sa fille, ni le regard de son épouse, tellement lui-même était préoccupé.
Élise s’en sentit presque soulagée. Elle imaginait mal comment emmener Marie dans cet état.
***
Paul Lescuyer d’origine modeste, s’était fait remarquer dès son plus jeune âge par sa rapidité de compréhension et d’assimilation. Tout petit, il était passionné de technique, se faisait offrir des boîtes d’expériences électriques, démontait des objets pour comprendre leur fonctionnement, lisait des livres très spécialisés. Naturellement il s’était tourné vers une formation de physicien. Puis il s’était intéressé à la physique nucléaire et à l’aérospatiale. Il avait rejoint un temps la NASA aux États-Unis où il fut apprécié tant pour ses qualités humaines que pour ses connaissances. Il avait travaillé sur un programme de fusée équipée d’un moteur ionique qui fonctionnerait à l’électricité fournie par la fusion nucléaire. Son rêve, lancer un engin habité qui pourrait aller beaucoup plus loin et plus vite que ce qui avait été fait jusqu’à présent. En multipliant les fusées nucléaires, il devait être possible de quitter le système solaire et de voyager dans l’espace. Mais les résistances étaient nombreuses à cause de la dangerosité du système. De plus, personne ne pouvait assurer que la vitesse serait suffisante pour acquérir cette liberté parmi les étoiles, tant souhaitée par Paul.
Lescuyer était donc rentré en France. Il s’était installé à Paris où il avait épousé Véronique Dufaley. Au cours d’une soirée, ils avaient rencontré Étienne et Élise. Paul avait parlé de ses projets avec une telle passion qu’Étienne avait pris plaisir à l’écouter et Paul, de son côté, avait trouvé agréable d’avoir enfin en face de lui, quelqu’un qui, en dehors de son travail, comprenait ce qu’il racontait. Ils s’étaient revus plusieurs fois et les deux hommes étaient devenus amis.
L’idée d’un engin capable de dépasser le système solaire n’avait pas quitté Paul. Il avait rejoint le CERN à Genève où il participait aux recherches sur l’antimatière. « L’antimatière… c’est ça ! » Paul Lescuyer en était certain, l’antimatière, encore mieux que la propulsion nucléaire, permettrait de voyager en toute liberté à travers l’espace infini. On avait déjà progressé dans ce domaine et ce qui semblait utopique quelques années auparavant pourrait devenir réalité.
De retour en France, il avait su se montrer convaincant face aux autorités et obtint l’autorisation et le financement pour la création d’un nouveau centre spatial en Bretagne, à l’ouest de Rennes, en complément aux centres de Toulouse et Cannes dont les activités, devenues obsolètes face à l’antimatière, s’étaient beaucoup réduites. Dès le pôle recherche terminé, Lescuyer s’y était installé avec ses collaborateurs. Jusqu’à présent, on avait choisi Kourou en Guyane pour les lancements, sa proximité avec l’équateur procurant, grâce à la rotation de la Terre, une vitesse additionnelle importante. Mais, avec la formidable puissance fournie par l’antimatière, on pourrait lancer des vaisseaux de n’importe quel endroit du globe. De plus son faible encombrement et son faible poids permettraient une charge utile beaucoup plus importante et ces engins seraient très maniables. Tout ce que voulait Paul.
Le centre terminé avait employé quelque 950 personnes. Les chercheurs, physiciens, astrophysiciens, n’étaient pas les seuls à être concernés. La réalisation d’un tel projet nécessitait une haute technologie, très complexe, très spécialisée : équipements mécaniques, électriques, électroniques ; du matériel de télécommunication, radio, optique, et bien d’autres. Il fallait aussi pouvoir tester la résistance au bruit, aux vibrations, aux variations de température, au vide et développer les logiciels correspondants.
Paul Lécuyer et son équipe, alors sûrs des possibilités de l’antimatière, avaient conçu une petite sonde, « Aloé ». Son rôle, tester ce type de propulsion et s’approcher d’une planète, d’une masse équivalente à celle de la terre et gravitant autour d’une étoile similaire au soleil. Cette planète était située à 8 années-lumière de la terre, bien au-delà de l’Alpha du Centaure, le groupe d’étoiles, le plus proche de notre soleil, mais dont les planètes s’étaient révélées inhabitables. Cette nouvelle découverte avait eu lieu l’année précédente, par les scientifiques d’Alma, dans le désert de l’Atacama au Chili. On considérait alors cette planète comme potentiellement habitable, mais jusqu’à présent inaccessible.
Les résultats avaient dépassé les espérances, non seulement Aloé fonctionnait à merveille, mais elle avait renvoyé sur terre toute une série de photos prouvant que l’eau coulait en abondance sur la planète entrevue et qu’on appela désormais Terra 2. Cette réussite fut considérée comme la plus grande avancée de l’histoire spatiale.
Pendant ce temps, ceux qui avaient le pouvoir de changer le monde, ceux qui avaient voulu aller jusqu’où il ne fallait pas aller, prirent conscience que le réchauffement climatique en cours ne pourrait plus être stoppé et les mettait eux-mêmes en péril.
La panique était totale. Certains, conscients de leur responsabilité, de leur culpabilité, devant l’inéluctable, s’étaient suicidés, seuls. D’autres avaient organisé de grands suicides collectifs. Quelques-uns avaient continué à ne pas vouloir y croire. La plupart avaient fait comme les gens du peuple, ils s’étaient résignés et attendaient sans rien faire, la fin prochaine.
Pourtant, nombre d’entre eux avaient souhaité, comme ils l’avaient fait toute leur vie, se battre jusqu’au bout. Parmi ceux-ci, beaucoup avaient fui vers le Nord. D’autres se réfugiaient dans des grottes, ils choisissaient les plus grandes, avec rivière souterraine, comme les grottes de Han en Belgique. Des panneaux photovoltaïques placés au-dessus leur fournissaient l’éclairage, pour eux-mêmes, mais aussi pour un petit élevage et quelques cultures. Ils alimentaient aussi des plaques électriques pour la cuisson. D’autres encore, s’étaient fait construire des bunkers, y accumulant des citernes d’eau énormes, des tonnes de nourriture, de quoi tenir avec leurs familles plusieurs années en attendant un début de rafraîchissement. Bien sûr, parmi ceux qui voulaient survivre, on comptait les transhumanistes. Ils se faisaient implanter des puces dans le corps, susceptibles de leur permettre de résister aux températures extrêmes.