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Emily a tout d’une vie parfaite : un déménagement à Madrid, un poste à responsabilité, un mariage apparemment idyllique… Tout semblait réuni pour la combler. Pourtant, ses collègues ne lui parlent plus, elle se sent seule dans ce pays qui n’est pas le sien et son mari la délaisse pour passer du bon temps avec ses amis. Alors que la déprime s’installe, sur un coup de tête, elle contacte un collègue français via la messagerie de l’entreprise. Ce premier échange, anodin en apparence, va donner naissance à une complicité insoupçonnée. Un fil invisible les relie : celui de vivre dans un monde qui ne leur ressemble plus. Leur relation virtuelle se transforme en un catalyseur étonnant, au gré des confidences, prête à bouleverser leurs existences. Mais jusqu’où cette connexion inattendue pourra-t-elle les mener ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Sophie Tholet transforme l’écriture en un exutoire créatif, naviguant entre poèmes, chansons et romans. Ce dernier ouvrage, nourri par ses expériences personnelles, capture l’essence des faits réels avec une authenticité émotive, offrant ainsi un récit à la fois poignant et fidèle à la vérité.
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Seitenzahl: 316
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Sophie Tholet
Virtuel
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sophie Tholet
ISBN : 979-10-422-5871-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon ami Franck
La vie est parfois pleine d’ironie, c’est souvent quand tout va bien, que tout commence à aller mal.
Regardez-moi pile en ce moment, je devrais être aux anges. Je reviens d’un mois de vacances, deux semaines reçues par l’état grâce à mon mariage et deux semaines de fermeture annuelle de ma boîte. Une croisière en Grèce, des escapades à Valence et une belle rénovation de notre salon. Pourtant j’ai l’impression que rien ne va plus. Comment en un mois tout peut faire volte-face ?
Magnifique réflexion pour se réveiller… Bon, il ne faut pas que je m’attarde. Il est 6 h 45 et je dois me préparer pour aller au travail. Machinalement, je choisis un jeans, un t-shirt noir et le collier en argent avec un motif hellénique que je me suis offert. D’un pas nonchalant, je rentre dans notre minuscule salle de bain. Imaginez-vous un tout petit carré, dont un côté équivaut tout juste à une baignoire. Par je ne sais quel miracle, sur un autre coté on est parvenu à caser une toilette et un petit meuble-lavabo avec un miroir, en face se trouve le sèche-serviettes. Le dernier mur peut simplement contenir la porte qui s’ouvre vers l’intérieur. Le parfum de Rafa y flotte encore, c’est un parfum entêtant, j’ai l’impression que cette odeur restera gravée en moi à jamais, quoi qu’il arrive. Je me lave rapidement, m’habille, me brosse les cheveux et mets un peu de mascara. Après une dernière caresse à Cansino, notre chat, je prends mon sac et passe le pas de la porte.
Il est à peine 7 h que déjà l’odeur de l’été plane, une nuée d’êtres humains reprend le chemin du métro. J’ai de la chance, car à Madrid, il y a un métro toutes les trois minutes voire moins. J’arrive à peine à ma station qu’un train arrive. Je m’engouffre dans le wagon et je repère tout de suite une de mes places de prédilection : une de celles qui sont près d’une jonction entre deux wagons, sièges positionnés face à la porte. Il y a une femme assise juste à côté de la place libre, je lui fais un petit sourire de salutation tout en prenant place. Elle lit un de ces journaux quotidiens gratuits qui sont distribués à chaque station. J’ai une petite demi-heure avant de changer de métro, je sors de mon sac le roman que m’a prêté la sœur de Rafa, Toñy. À peine ouvert, mon cerveau sort du mode automatique et se remet à ruminer. « Franchement, il aurait pu m’envoyer au moins un message. Pas de nouvelles du vendredi après-midi au dimanche matin. Il ne répondait même pas à mes appels ». Je secoue mentalement la tête pour me concentrer sur « Le garçon au pyjama rayé », mais une petite voix revient à la charge. « Depuis l’instant où j’ai dit “oui, je le veux”, c’est comme si je n’existais plus. C’est fou ! Même lors de la fête, je ne le trouvais jamais quand je le cherchais du regard. Comme si Rafa s’était volatilisé. Je suis passée du premier plan de ses priorités au dernier, en prononçant une seule phrase… ».
Ne parvenant pas à me concentrer, je décide de me changer les idées en observant le monde qui m’entoure. Notre train arrive à l’arrêt « Oporto », quelques personnes montent, mais ce n’est pas encore la foule du centre-ville. Ma voisine se relève d’un bon et sort. Un homme d’une cinquantaine d’années rentre d’un pas décidé et se met à crier au téléphone. Il frôle déjà la crise cardiaque ; certaines personnes lui jettent un regard noir. D’autres ont sursauté et replongent immédiatement dans leur gueule de bois du lendemain de week-end. Un homme vient se planter devant moi. Je jette un regard furtif pour voir à quoi il ressemble. Il en profite pour me demander si la place à côté de moi est libre. Je me sens rougir, c’est idiot. Je hoche la tête tout en baissant les yeux. Il doit être à peine plus âgé que moi, la trentaine, grand max. L’espagnol typique, cheveux bruns, yeux brun foncé, le teint hâlé, la petite barbe de trois jours qui va bien. Il a des boucles d’oreilles noires et il me semble avoir vu un piercing sur son visage. Il sent bon. Restons concentrée… Le wagon commence à se remplir, il y a trop de monde devant moi pour pouvoir continuer à observer discrètement. Je reprends mon livre. Dans mon champ de vision, j’aperçois que mon voisin fait de même. Qu’est-ce qu’il peut bien lire ? Discrètement, je lance un petit regard « Les piliers de la terre de Ken Follet ». Qu’est-ce que j’ai aimé ce livre… Compliqué à lire au début, mais ensuite, passées les cinq cent premières pages, j’ai été happée. Où en est-il ? Oh, il est au moment où la femme est en train de mourir en donnant la vie, c’est le premier moment où…
Je sursaute et lève les yeux vers mon voisin. Pas de doute, mes joues sont en feu. Il me sourit, amusé.
Comment vais-je pouvoir couper cette conversation que je ne veux pas avoir ? Il ne faut pas qu’il pense que je me laisse draguer…
Là au moins, il est fixé…
Son regard s’est illuminé en parlant de sa copine. Fausse alerte, il n’essaie pas de me draguer. J’ai l’impression que quelque chose se met à danser en moi, ce doit être l’effet du soulagement.
Il se lève et se dirige vers la sortie à l’arrêt « Callao ».
C’était bref, mais j’ai bien aimé. Je me perds à nouveau dans mes pensées. Je me lève presque d’instinct avant que mon arrêt soit annoncé, je dois avoir acquis un nouveau sens après trois ans de métro madrilène, je sens précisément quand je dois me lever pour mon arrêt et il est très rare que, même plongée dans mes lectures, je loupe le coche.
Le retour au bureau est toujours un chouette moment en général. Je m’entends plutôt bien avec mes collègues, mais je ne peux pas non plus affirmer que j’ai réellement noué des liens solides. Cela fait deux ans et demi que je travaille à IBM, le géant américain de l’informatique. Au bout de quelques mois, je suis passée de simple administratrice de trésorerie junior à Chef d’équipe et coordinatrice du département de ce même service pour l’Europe. Sur le moment même j’ai très mal vécu le changement de poste. À partir de l’annonce, mes collègues directs ont arrêté de me proposer de venir manger avec eux, je n’étais plus au courant de leurs soirées, leurs week-ends. Ils ont eu peur que je parle aux managers. Le départ de Cathy n’a pas aidé à enrayer ma solitude ! Quelle chance elle a ! Tout plaquer pour quelques mois et aller à la découverte de ses origines asiatiques…
Me voilà arrivée dans ce grand open space plutôt froid de prime abord, notre bâtiment est un de ces gratte-ciel modernes fait de poutre métallique et de verre. Des poutres de béton apparent soutiennent chaque étage et de la moquette bleu foncé est censée nous donner un côté cosy à cet environnement. Nous avons de grands bureaux blancs regroupés en îlots de quatre, six voire huit personnes, chaque poste de travail étant isolé par un séparateur gris clair afin de pouvoir calfeutrer nos appels téléphoniques. Nous sommes deux services dans cet étage : les collecteurs et nous, les administrateurs de paiements. L’un appelle les clients pour leur rappeler de payer, l’autre alloue les paiements reçus aux factures correspondantes et s’occupent également des mouvements de comptes entre les différentes sociétés filles qu’IBM a engendrées. Bref, un soupçon de réconciliation comptable. Le tout dans un brouhaha de langues diverses et variées. Bienvenus à IBM ISC, le centre de services internationaux. Si vous cherchez la tour de Babel, elle se trouve à Madrid. Je travaille principalement pour la France, mais je suis aussi de près l’Espagne, le Portugal, l’Afrique et le Moyen Orient. En me promenant dans l’étage, je peux entendre du français, du grec, de l’italien, de l’espagnol, du portugais, du néerlandais, de l’allemand, de l’anglais bien sûr, mais aussi de l’arabe, du russe et du japonais. C’est vraiment fascinant.
Cela a des conséquences, même au sein de notre service France, il nous est impossible de faire une phrase dans une même langue, nous commençons en espagnol, continuons en français tout en saupoudrant de mots anglais. Et… nous nous comprenons parfaitement ! Enfin, presque, nous communiquons également avec des services locaux de nos pays respectifs. Là, nous restons dans la langue initiale, mais au prix de quels efforts…
Ce matin, je suis la première arrivée. Je sors mon ordinateur de mon casier et le fixe sur son support « antivol ». Le temps que la bête soit opérationnelle, j’ai un bon quart d’heure pour me prendre un chocolat chaud. Le prix a encore augmenté, 50 centimes pour de l’eau infusée au chocolat… Je vais devoir penser à ramener un thermos de la maison.
Je m’assieds à mon poste. J’ouvre ma boîte de réception et trie rapidement les mails qui n’ont plus besoin de mon attention. De deux cent vingt-quatre mails, je passe à cent dix-sept. C’est fou comme lorsqu’on monte en grade, on se retrouve vite polluée de tout et n’importe quoi. Bien que je sois coordinatrice, je n’en reste pas moins un membre à part entière du service d’allocation des paiements, je suis d’ailleurs seule à gérer les paiements de la branche IGF (le service de financement au client). Mon back-up a géré pendant mon absence. J’imprime les paiements du jour et commence à travailler. Cette partie-là ne me prend en général qu’une demi-heure.
Les collègues arrivent au compte-gouttes, Laura débarque ultra bronzée, mais énervée. Elle s’installe rapidement à côté de moi, j’ose à peine lui dire bonjour. Notre manager hollandais affiche un grand sourire et part s’installer dans son alcôve. Techniquement, il n’a pas de bureau fermé, mais son bureau est imbriqué entre la salle d’archive et les panneaux d’informations du service. Je ne le vois pas, car je suis juste derrière la salle d’archive (qui est une pièce rectangulaire au milieu de l’open space). Julien et Flavien arrivent en pleine discussion « randonnée » et Gaëlle est toujours aussi vaporeuse et difficile à saisir. Si les fées existent, je pense que nous en avons une dans notre service.
C’est au tour des collecteurs de passer devant notre îlot, mes collecteurs IGF : Charlotte, Daniel et Haffsoit. Mais aussi ceux d’IBM Trade (l’IBM général), il y en a une quinzaine et je dois bien avouer que je ne connais pas leurs noms… Je reconnais les voix de Virginia l’Italienne qui s’assit derrière moi et de Claudio son voisin. C’est fou le nombre de gens que nous côtoyons sans vraiment établir un contact.
J’ai un pincement de nostalgie en remarquant qu’à neuf heures, la place en face de moi est vide. Cathy ne viendra plus… Son caractère bien trempé va me manquer. La dernière fois que je l’ai vue c’était à mon mariage, elle a définitivement rajouté du peps à la fête ! Entre Laura qui est froide et distante comme la calotte glaciaire et Hélène qui est toujours en déplacement en Belgique… Avec qui vais-je bien pouvoir papoter ?
La matinée passe à vitesse grand V, il est l’heure du repas. Cette fois-ci, je profite que toute l’équipe soit venue à mon mariage pour rester sur la lancée et proposer à quelques personnes de manger ensemble. Julien et Flavien acceptent sans sourciller, je sens de la réserve dans le oui de Laura. Gaëlle se joint à nous tout en flottant à nos côtés. On jette notre dévolu sur un petit buffet chinois qui vient d’ouvrir à côté. Pour nous appâter, le restaurant fait une offre spéciale « IBM », nous avons accès au buffet pour le prix d’un ticket restaurant. Ce genre d’offre ne se refuse pas ! À peine installés, nous nous racontons nos vacances, on parle aussi beaucoup de Cathy qui était l’âme de notre département. On me demande comment s’est passé mon voyage de noces. Je reste positive en parlant de la Grèce et du bateau de croisière incroyable. Je leur cache bien le comportement froid et macho de Rafa… Comment leur dire qu’il était toutes les nuits à la discothèque du bateau jusqu’à pas d’heure et que je partais bien souvent seule aux excursions auxquelles nous nous étions inscrits à deux… À partir de là, c’est comme si mon esprit s’était mis en mode pilote automatique. Je regarde et écoute-les autres parler, rire, manger. Je mange et ris quand il faut, mais je ne suis plus vraiment là.
On rentre au travail et je passe mon après-midi, casque sur la tête pour traiter un maximum de mails. Il est 17 h, il me reste plus que trente minutes avant de partir et je n’ai plus qu’une petite vingtaine de mails à traiter. Tout à coup, la sonnerie d’un appel résonne dans mon casque micro. Le nom de Franck Lemeuthe apparaît sur l’écran.
Du coin de l’œil, je vois Laura lever les yeux au ciel en entendant que je parle à Franck. Je pense que c’est la première fois que je l’ai au bout du fil. En général, on échange par mails.
Je résous rapidement le mystère, un des paiements avait été alloué à une facture Trade et non IGF. Franck aura enfin de quoi prouver qu’il y a bien une facture non payée, mais pas celle qu’on pensait. Sans rien d’autre à nous dire, on raccroche.
Quelques rangements, un dernier contre-rendu avec le manager et je file vers ma bouche de métro. L’avantage des journées de reprise c’est qu’elles passent vite et qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Je devrais y aller mollo si je ne veux pas me retrouver désœuvrée d’ici la fin de la semaine. IBM, ça fait bien sur le CV, ça fait sérieux, ça donne l’impression qu’on a du travail à n’en plus finir. En réalité, tout est tellement découpé qu’on se retrouve vite oisifs… Et le peu de tâches que nous ayons à faire sont des tâches rébarbatives qui, si on s’en donnait les moyens, pourraient être prises en charge par des robots. Pour se donner de la contenance, on remplit notre agenda de réunions, on réorganise les temps de travail et surtout on continue à baisser les objectifs des paiements non alloués. Le nerf de la guerre. Pourtant, je trouve que l’argent qui dort sur nos comptes en banque, cela nous rapporte des intérêts… Il faut que le client paie de plus en plus vite, sans rechigner. Les délais sont passés de quatre-vingt-dix jours à trente jours avec des intermédiaires à quarante-cinq jours. Franchement, qu’est-ce qu’on s’en fiche…
Je déambule dans les couloirs de métro pour récupérer ma ligne 5, les gens foncent, nous sommes bercés par les divers musiciens ambulants postés aux différentes intersections. Chacun défend son poste (et son autorisation) avec ferveur. Des accordéonistes, des guitaristes, des slammeurs, des danseurs de rues tous baffles hurlants. Nos corps réagissent aux différents rythmes, nous marchons tantôt lentement, tantôt énergiquement. Le trajet du retour se fait rapidement, je suis perdue dans l’espoir que Rafa redevienne normal.
Rafa rentre ivre au beau milieu de la nuit, tellement discret que tout l’étage doit être réveillé. Il est 3 h 44 du matin, nous sommes vendredi. Je me lève pour vérifier qu’il a bien fermé la porte d’entrée. Je le retrouve en train de marcher à quatre pattes pour retrouver son bon vieux sofa. Il empeste la cigarette et l’alcool. Cela ne vaut pas la peine de lui faire une scène maintenant, il ne s’en rendrait même pas compte. Je retourne au lit après avoir verrouillé la porte et au bout de quelques minutes, l’odeur du tabac se glisse dans la chambre. J’enfouis mon visage dans la couverture et me rendors immédiatement.
À 6 heures du matin, le réveil sonne. Je bondis hors du lit pour aller réveiller le fêtard. J’ouvre les volets, l’appelle doucement puis sans ménagement. Je le secoue, sa seule réponse est un grognement. Je tape des mains devant ses yeux. Rien à faire. Tant pis, il est adulte après tout, à lui d’assumer ses actes. Je lui colle son téléphone portable à côté de l’oreille en cas d’appel de son chef et replonge dans le lit pour rejoindre Morphée et profiter encore de trente minutes de repos.
Vingt minutes plus tard, je suis réveillée par un bruit sourd. Rafa a dû se réveiller en sursaut et tomber. Hypothèse confirmée quand je le vois débouler en trombe à la recherche de vêtements de rechange. Il est furieux !
Je reste bouche bée en le regardant enfiler un t-shirt et se diriger vers la sortie. J’ai à peine le temps de m’extirper du lit qu’il a déjà claqué la porte d’entrée. Hallucinant… Je bous intérieurement. Pour qui il se prend ? Non seulement je ne le vois presque plus depuis notre retour de Grèce, mais en plus, il se permet de me crier dessus alors qu’il est seul responsable de ses actes… Qu’est-ce qui peut bien se passer dans sa tête ? Et surtout, où est passé le Rafa sympa de ces deux dernières années, celui qui me faisait découvrir la culture et les trésors de son pays ?
***
Le week-end se révèle minable. Rafa est rentré le vendredi soir à minuit. Toujours de mauvaise humeur. Il a dormi sur le canapé jusqu’à onze heures puis il est parti chez Eduardo pour faire une partie de Padél. Il a enchaîné au stade pour le derby madrilène et une nuit de folie dans un bar musical. De mon côté, je me suis isolée en regardant la chaîne Histoire. Histoire d’oublier la mienne. Son dimanche consistant à décuver le mien à nettoyer la maison et à aérer pour enlever cette odeur épouvantable de cigarettes et d’alcool. On est loin de tous nos week-ends escapades dans différentes villes : Salamanque, Ségovie, Tolède, Cuenca, Valence, etc. Il y a encore quelques semaines, tous ses potes étaient venus à la maison pour regarder un match et partager un bon apéro. C’était un rendez-vous régulier depuis plus de deux ans, soit chez nous, soit chez eux. Faut que je lance une invitation, peut-être que je comprendrai mieux ce qu’il se passe.
Je suis comme d’habitude la première à mon poste, pas de collègue, mon pc se réveille péniblement de sa nuit de sommeil, armée de mon eau chocolatée fumante, je lutte contre mon humeur massacrante. J’en ai marre de cette vie. Je ne suis pas à ma place. Je le sens au plus profond de mon être…
J’ouvre la boîte de réception, sept mails. La journée va être chargée d’ennui. Je lance l’impression des quelques paiements du jour tout en regardant qui est connecté sur la messagerie instantanée de la boîte. Un seul nom : Franck. Sans savoir pourquoi, je ressens l’envie de lui parler.
J’ignore pourquoi je lui parle boulot, mais en même temps je n’ai rien à lui dire. Nous ne sommes même pas dans le même pays donc nous ne pouvons même pas vraiment parler de la pluie et du beau temps.
Mon manager, Marc, arrive et vient me parler pendant quelques minutes. Son week-end, l’actualité économique, sa femme, ses enfants. Je ne sais pas trop quoi lui répondre et sourit bêtement tout en hochant la tête face à son récit. Satisfait de son monologue, il part s’asseoir à son bureau.
Laura, Julien, Flavien et Gaëlle arrivent au bureau. Ils me sourient et s’installent à leur place respective. Laura vient s’asseoir à côté de moi, je vois son regard se poser sur mon écran. La fenêtre de dialogue de Franck vient de réapparaître au-dessus de la boîte de réception. Elle s’assied et allume son ordinateur.
Je ne sais que répondre à cela. Flavien et Julien proposent d’aller petit-déjeuner avec le groupe. Je verrouille mon écran et nous nous dirigeons vers le petit bar en bas de notre bâtiment. Laura s’approche de moi.
J’en reste coi et préfère me murer dans un silence. J’étale ma purée de tomate sur mon pain et me demande ce que j’ai fait de mal exactement. Puis, je me demande ce que Franck a fait pour que Laura l’ait dans le collimateur…
Je tends l’oreille à la conversation principale de la table, Flavien et Julien sont partis en week-end à Aranjuez, le temps était délicieux et ils ont flâné dans les jardins du palais. Gaëlle parle peu, mais elle semble rayonner, j’en conclus qu’elle a dû passer un bon week-end. Laura nous dit qu’elle a eu une grosse dispute avec son copain Alejandro, qu’elle l’a bien fait baver pour qu’il comprenne que jamais plus il se permettra de lui manquer de respect en osant poser les yeux sur une autre qu’elle. Sa jalousie maladive en est presque touchante. Parfois je me demande comment un homme peut rester avec elle. Certes, physiquement, elle n’est pas moche à regarder. Elle participe même au grand prix de F1 en combinaison de latex rouge pour faire la promotion des cigarettes Malboro. Une belle blonde, grande, très mince, aux yeux marron, toujours bronzée avec un grain de beauté à gauche de sa bouche et une belle poitrine qu’elle n’a pas peur de dévoiler. Comble du préjugé, elle a des goûts de luxe : sacs de designers, robe Jean Paul Gauthier, etc. Entre sa maman, directrice d’un magazine de mode à New York et son copain banquier, elle a pris goût au goût… Enfin, c’est ce qu’elle s’amuse à répéter. Bref, elle est belle, mais elle n’en reste pas moins difficile à vivre, froide et complètement vide de conversations… Cela fait plus de deux ans que nous sommes côte à côte et sa tirade sur Franck, représente la plus grande phrase que je l’ai jamais entendue prononcer…
Nous remontons ensuite pour nous mettre au travail. J’assiste à quelques réunions inutiles avec les responsables, je pars manger avec Gaëlle. Avec Gaëlle est un grand mot, nous prenons des salades de pâtes à emporter et nous nous sommes assises sur la pelouse du parc de notre complexe. Nous avons mangé côte à côte tout en nous laissant imprégner par la nature, la chaleur du soleil et les vrombissements lointains des moteurs.
De retour à mon bureau, je découvre que Matthew Rogers m’a contacté. C’est un développeur irlandais qui s’ennuie, lui aussi, et cherche à se rendre utile. Je lui ai souvent décrit nos tâches répétitives ainsi que nos problèmes récurrents. Il me propose un appel pour mettre en place des solutions. Une fois au bout du fil, je lui dis que notre principal problème est que les clients n’ont pas assez de place dans le libellé des paiements pour écrire le nom de leur société et le numéro de la facture qu’ils souhaitent payer. L’autre gros hic est que nous n’avons aucun système qui pourrait allouer automatiquement les paiements même si les clients écrivaient les références des factures concernées. Je m’indigne d’être dans une société qui se veut innovante alors que nous nous retrouvons à faire les détectives dans des écrans qui datent des années 80. C’est sidérant ! Matthew, qui me semble être un gars super sympa, me dit qu’il va voir ce qu’il peut faire, mais qu’il faudra sûrement coordonner plusieurs équipes.
Le sujet étant top secret, je m’étais enfermée dans une salle de réunion. Je reviens à mon poste et m’apprête à boucler la journée quand je reçois un message de Franck.
Je reste quelques minutes à fixer le message. Cette question résonne en moi… Mais qu’est-ce que je suis en train de faire de ma vie ? Je ne sais pas pourquoi, mais je suis mon intuition qui me pousse à être sincère et lui réponds.
Je m’étonne de me livrer à un parfait inconnu, mais après tout, j’ai besoin que ça sorte. Je me sens tellement seule…
Je reste pensive tout en remarquant qu’il est temps de partir. J’ai un petit pincement d’angoisse. Je soupire et décide de rentrer à la maison.
Je coupe tout et prends mes affaires. En rangeant mon ordi dans mon casier, je croise le regard noir de Laura. Elle ne peut pas se mêler de ses affaires celle-là.
En rentrant chez moi, je m’aperçois que Rafa n’est pas encore rentré. Je mets de la musique pour me relaxer, regarde ce qu’il y a dans le frigo. Des plats préparés par ma belle-mère, j’en ai marre de manger toujours la même chose… J’ai envie de me faire un bon petit plat qui me rappellera mon chez-moi. Après tout, ce qui a dans le frigo peut encore tenir jusqu’au surlendemain, au pire je le prendrai pour manger au boulot. Je rassemble les ingrédients pour préparer un bon hachis parmentier. Pendant que les pommes de terre cuisent, j’appelle Rafa. Il me dit qu’il va boire un verre après le boulot avec un de ses copains et qu’il ignore quand il rentrera. Il raccroche directement sans me laisser le temps de lui répondre quoi que ce soit. Je ne peux m’empêcher de regarder les pommes de terre cuir, les yeux un peu dans le vide, déçue de ne pas pouvoir partager ce repas avec mon homme.
Après manger, je regarde les livres dans ma bibliothèque, tombe sur le livre Les 1001 questions qu’il faut se poser dans sa vie, je l’ouvre.
Vivez-vous la vie que vous désirez ? Vous commencez à trouver votre vie monotone ? Quels sont vos rêves, que voulez-vous vraiment faire dans votre vie ? Ce livre n’est pas là pour vous dire ce que vous devez faire, mais pour vous poser les bonnes questions. Cet ouvrage n’est constitué que de questions, à vous d’y répondre ; à vous de prendre conscience d’où vous en êtes et de ce que vous pouvez faire pour arriver à atteindre votre bonheur.
Le reste de la soirée se passe dans cette même ambiance de blues et de lecture. Au bout de quelques heures de veille, je m’endors.
Vers deux heures du matin, un bruit de serrure me réveille, c’est Rafa. Je l’entends se poser sur le sofa, quelques minutes plus tard l’odeur de la cigarette vient me gêner. Je me lève sans faire de bruit pour fermer la porte de la chambre.
Le réveil retentit, il est 6 h du matin. Je m’empresse de réveiller Rafa qui dormait toujours dans le sofa. Au bout d’une vingtaine de minutes, il réagit enfin. Il est en retard, court dans la salle de bain, se prépare tout en me demandant pourquoi je ne l’ai pas réveillé plus tôt. Je n’ai même pas envie de protester et retourne profiter des dix minutes qui me restent à passer sous la couette avant de devoir me lever à mon tour.
Me voici au boulot, à ma grande surprise, Franck me parle dès que je me connecte.
Le travail se rappelle à nous et la conversation reste en suspens. La journée défile à toute vitesse. Déjà dix-huit heures, un bref coup d’œil et je m’aperçois que Franck est déconnecté. Je salue Laura et Julien qui partent. Mon téléphone émet un bip. Message de Rafa qui me rappelle que comme chaque mardi, il va jouer au padél avec ses potes. Encore ? Il n’a pas déjà joué au padél hier ? C’est à ce moment-là que le téléphone du boulot retentit. Je réponds, me disant que de toute façon j’ai le temps. Une voix rauque devenue familière se laisse entendre :
Je reçois une notification de mail, Franck vient de m’envoyer le cas qui le tracasse.
Je sens les larmes monter, je retiens mon souffle et active la fonction « muet » du téléphone pour que Franck n’entende pas ce qui se passe. Son ton, ses mots, sa sincérité. En une phrase, il a brisé la digue qui retenait le flot d’émotions. Reprends-toi Emi !
Je respire encore un bon coup et réactive le son du téléphone.
Je mens.
La conversation reste ensuite purement professionnelle, vers dix-huit heures trente, l’analyse est finie et Franck y voit plus clair dans le compte de ce client. On se dit au revoir et je pars du boulot.