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Vivant une adolescence difficile, Marion, 17 ans, ne pense qu’à échapper au foyer paternel triste et décadent. C’est à ce moment que surgit dans sa vie Mathieu, son bon samaritain et futur compagnon. Seulement, les années qui passent n’apportent pas la sérénité dans leur couple, pourtant Marion fait tout son possible pour maintenir un semblant d'équilibre. Ayant pour but de réussir sa vie professionnelle, elle y parvient au-delà de ses espérances. C'est alors que cette harmonie déjà fragile prend des allures mitigées, puis carrément malsaines… Mathieu n'acceptant pas la métamorphose de sa compagne devenue clairement incontrôlable, voire insoumise, révèle enfin sa vraie personnalité : un jaloux obsessionnel doublé d'un pervers narcissique, de quoi bouleverser l'existence d'une famille et entraîner des proches au creux d'une tourmente que seule la destinée peut maîtriser.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Blessée à la cheville au tout début du premier confinement,
Dominique Brebion est contrainte, durant cette période, d’être alitée. Entre-temps, les médias insistent sur le sujet des violences conjugales, intensifiées par l'enfermement. Des témoignages de femmes et d'enfants se font alors de plus en plus nombreux. À partir de là, le thème de son second roman devient tristement évident...
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Seitenzahl: 198
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Dominique Brebion
Voix sans issue
Roman
© Lys Bleu Éditions – Dominique Brebion
ISBN : 979-10-377-4934-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Geneviève Surblé ;
À Denis Patrigeon ;
Ami(e)s sincères et dévoué(e)s.
« Que chacun arrange sa vie comme il veut », c’est ce qu’on entend souvent dire ; la vérité est bien plutôt que nul ne peut vivre à sa guise.
Ernst Jünger
Nous démarrons tous dans la vie avec des envies, des rêves tellement puissants qu’on s’imagine faire de son existence une réussite totale…
En fait, c’est ça l’erreur : croire que les miracles existent…
Le destin aura toujours le dernier mot.
Mes 17 ans ont coïncidé avec la rencontre de Mathieu. Je me trouvais en même temps délestée de parents dépassés par leur époque, tellement dissemblables qu’ils s’ignoraient mutuellement, et ravie d’avoir rencontré ce jeune homme si sympathique.
Sa décontraction naturelle et son aisance à s’exprimer m’incitaient à penser que j’avais eu beaucoup de chance de capter son attention. De plus, il possédait une voiture, garantie d’indépendance que je souhaitais ardemment depuis mon enfance. Sans être pauvres ni écolos dans l’âme, mes parents n’en avaient jamais eue.
Habitant en ville, nos moyens de locomotion se bornaient aux transports en commun ou à bicyclette, et pour les vacances, il y avait le train.
Bref, j’étais comblée ! Je découvrais enfin ce qui me semblait être l’évasion vers un monde inaccessible et fabuleux…
Je passe sur ces jours, ces brèves semaines tellement insouciantes qu’elles apparaissent maintenant comme un mirage…
***
Puis l’inimaginable, l’insensé se produisit, sans que je m’y sois préparée un seul instant !
Un retard de règles, un test de grossesse positif et la sentence tomba, lourde de conséquences : enceinte ! Comment exprimer la tornade d’émotions contradictoires que j’ai pu ressentir à ce moment-là ! Le premier sentiment fut sans conteste la peur face à l’ampleur de l’évènement ! À peine libérée de mes parents, je me trouvais dorénavant liée à un garçon que je ne connaissais pas plus que ça !
Certes, j’en étais amoureuse…
Aînée d’une fratrie de trois enfants, composée de mon frère Nicolas, de trois ans mon cadet, puis de ma sœur Aurélie, avec seulement un an plus jeune que moi, nous étions très proches. L’évidence était de lui en parler en priorité… Je n’attendais pas vraiment des conseils de sa part, mais tout au moins un soutien, ce qui fut le cas.
Le jour suivant, j’annonçai anxieusement la nouvelle à Mathieu qui trouva instantanément l’idée de paternité exaltante… D’abord soulagée par sa réaction enthousiaste, je la trouvais rapidement trop fataliste et un peu infantile.
Il avait 23 ans.
Ne dit-on pas que les femmes sont matures plus tôt que les hommes ?
Je n’ai pas évoqué l’hypothèse d’un avortement car c’est contraire à mes principes… religieux ou pas ; et lui non plus. Donc, tout semblait se dérouler au mieux ! Il restait à informer mes parents et les siens !
Quant à notre avenir, il me paraissait tellement nébuleux que je ne l’envisageais même pas !
Pressée d’apaiser ma conscience, même si le fait d’être enceinte n’est pas un crime, j’avais hâte d’informer ma mère et espérais secrètement sa compréhension. Le mieux aurait été son appui significatif afin de mener une grossesse plus sereine.
Je visionne encore le moment ou assise en face d’elle dans la cuisine, je lui annonce, une boule dans la gorge : « Maman, je suis enceinte ! »
Elle leva les yeux sur moi et, sans un mot plus haut que l’autre, me répondit : « Tu vas voir ce que c’est que d’élever un gosse ! »
Puis… rien…
Cette phrase monocorde avait d’un coup éradiqué mes espoirs. J’aurais préféré son emportement, des reproches, des mises en garde. Égale à elle-même, reflétant la platitude de son raisonnement, elle disparaissait dans le brouillard de mes larmes.
Curieusement, je craignais plus encore la réaction de mon père.
C’est dans un état extrême d’anxiété que je le rejoignis au bistrot du coin, où il échappait dès que possible à l’atmosphère étouffante d’un foyer chancelant !
Il n’était pas rare que je le retrouve là ; souvent avec le pain sous le bras acheté à la boulangerie voisine, ou simplement lorsque le repas était prêt et que ma mère s’impatientait de son absence.
Ce lieu était devenu emblématique car j’y avais rencontré Mathieu maintes fois entrain de converser avec mon père !
C’est ça le destin !
Toutefois, ma seule préoccupation du jour était de parler à mon cher papa. Son avis m’importait et c’est tremblante que j’avançais vers lui.
Très perspicace, il s’aperçut de mon malaise et me proposa de nous installer à une table loin des conversations animées…
Je me rappelle avec beaucoup d’émotion cet instant.
— Hé bien, Marion, tu as quelque chose à me dire ?
Ma tête bouillonnait. Je m’assis précipitamment car je sentais mes jambes m’abandonner.
D’emblée, je lui révélai la nature de mon tourment sans oser affronter son regard.
— Papa… j’attends un bébé !
Il regarda par la fenêtre, semblant contempler le flot de voitures qui passaient au feu vert…
— Je ne pensais pas être déjà grand-père ! Fille ou garçon ?
— Je ne sais pas encore…
— Mathieu est prêt à assumer sa paternité ?
— Oui, il est ravi !
— La première impression que me fait ce garçon est bonne ! Maintenant nous ne le connaissons pas plus que ça ! J’espère en sa sincérité… De toute façon, je serai là… Tu vas continuer tes études et passer ton BAC, n’est-ce pas ?
— Tu me vois aller en cours enceinte jusqu’aux yeux ? Ça non !
— Je crains que tu le regrettes plus tard ! Réfléchis encore…
Nous sommes restés un long moment sans parler. Soulagée d’avoir son soutien, un regain d’optimisme m’envahissait. « Merci papa ! »
Avec le recul, je pense que voyant mon immense désarroi, il n’a pas voulu accroître mes tourments et a tu spontanément toute autre remarque négative !
Si du côté de ma famille, tout le monde avait été mis au courant de ma grossesse, il n’en était pas de même pour Mathieu ! Il remettait sans cesse l’annonce de l’évènement à ses parents, évoquant leur indisponibilité. Ils étaient tous deux divorcés et chacun remarié sans d’autre enfant que lui…
Quand nous passions les voir, c’était toujours en coup de vent ! À peine arrivés et déjà repartis… De peur sans doute que je lâche un mot inopportun !
Je ne comprenais pas cette fuite en avant. Lui qui semblait heureux d’être père, pourquoi ne pas les informer qu’ils auraient bientôt le rôle de grands-parents à assumer ?
Les jours et les semaines passèrent ainsi.
***
Enceinte de cinq mois, je ne pouvais plus cacher mes rondeurs. Mathieu me disait de rester dans la voiture le temps qu’il aille saluer ses parents.
C’est encore avec un curieux malaise que je me remémore ces instants : celui où assise à l’avant de la voiture, je voyais sa mère soulever les rideaux de la cuisine pour m’observer en demandant certainement à son fils : « Pourquoi n’entre-t-elle pas ? »
Le pire est que j’avais honte de cette situation incompréhensive qui m’amenait à me poser de plus en plus de questions !
Vraiment, nous débutions singulièrement notre vie à deux !
N’y tenant plus et prenant mon courage à deux mains, je composais le numéro de téléphone de sa mère et lui annonçait d’un coup la nouvelle !
Elle réagit au mieux en m’invitant à venir le week-end prochain pour en parler.
Que pouvait-elle me dire de plus ?
J’informais Mathieu de ma démarche qui n’émit aucune observation… Décidément, c’était trop bizarre !
J’attendais avec impatience notre entrevue ! Ce mot semble presque administratif et pourtant c’est le seul qui me vienne à l’esprit, tellement les circonstances s’avéraient protocolaires.
Le jour de vérité arriva. J’avais la terrible sensation d’aller passer un examen.
À notre arrivée, ses parents abandonnèrent la télé pour nous accueillir. Leur regard s’attardait à peine sur moi et sur mon tour de taille épaissi que je ne cherchais plus à dissimuler.
Je sentais Mathieu fort mal à l’aise et cela me faisait un tantinet plaisir !
Sa mère lui demanda tout de go : « Quand pensais-tu nous mettre au courant de la naissance du bébé ? » Sans attendre sa réponse, qui d’ailleurs ne vint pas, elle se préoccupa de ma santé. Nous nous sommes mis à parler tranquillement de choses et d’autres… Toutes mes inquiétudes s’envolèrent comme par miracle.
Assise sur le canapé, je respirais l’ambiance feutrée de cette maison, je m’y sentais bien. Pour dire vrai, j’aurais rêvé y vivre : c’était la vision idéale de mon avenir.
Sortie de là, j’appréhendais la réaction de Mathieu et notre immanquable face à face ! Jusqu’à présent, il était resté impassible et muet face à l’unique question que sa mère lui avait posée.
Franchement, il était difficile à cerner !
Si je m’attendais à une scène, à des paroles amères ou franchement désagréables, ce fut l’inverse qui se produisit : autant dire rien ! Il semblait passer à autre chose et avoir gommé ce « léger » problème de communication. Puisque tout allait bien, je n’ai pas insisté, mais j’aurais dû, histoire de mettre à jour la face cachée du futur père de mon enfant !
Les mois qui suivirent s’écoulèrent sans heurt. Les relations que j’entretenais avec mes parents et beaux-parents avaient pris un cap satisfaisant.
***
Le jour J arriva et c’est avec une joie immense que je mis au monde une petite fille que je nommai Lucie.
J’étais ravie de réunir autour de moi, tous les membres de la famille : aussi bien la mienne que celle de Mathieu. Il ne quittait pas la chambre et faisait difficilement place à mes parents et à ma sœur, qui étaient eux aussi très présents.
Son comportement se révéla rapidement possessif avec une pointe visible d’arrogance. Il tenait notre bébé serré contre lui et n’arrêtait pas de dire à qui se trouvait là : « Elle est belle ma fille ? » et il ajoutait « Hein, hein ? » jusqu’à l’assentiment général de l’assemblée.
Encore une fois, il adoptait une attitude inappropriée qui me gênait atrocement. Je voulais croire que sa paternité l’avait dérangé et que tout rentrerait dans l’ordre dès ma sortie de la maternité.
Deux jours plus tard, nous rejoignîmes tous les trois notre studio ; pas sans crainte, cela va de soi !
J’ignore qui était le plus inquiet, Mathieu ou moi ? Néanmoins, j’essayais d’afficher une certaine quiétude en observant mon compagnon du coin de l’œil ! Sa suffisance avait disparu pour laisser place au stress. Enfin un peu de normalité dans son comportement !
Nous étions face à nos responsabilités de parents et l’inexpérience de nos deux vies m’apparaissait soudainement insurmontable.
Malgré les recommandations de la puéricultrice, les premiers jours ressemblèrent à un marathon de l’impossible. Il fallait s’adapter à un nouveau rythme de vie : celui des nuits hachées, voire blanches car entre les biberons toutes les trois heures, les couches à changer, il y avait les pleurs inexplicables de Lucie.
Nos seuls espoirs allaient vers mon médecin de famille qui avait accepté de nous recevoir entre deux patients.
Devant notre air hébété et la lassitude de nos mouvements, il ne pouvait faire autrement que de nous rappeler l’ABC de la vie d’un nourrisson tout en ajoutant sa note personnelle.
— Si le monde change, le bébé reste le même et ses pleurs, plus ou moins intenses, expriment une demande comme la faim, la fatigue, le mal au ventre ou des coliques. Il ne fait aucune différence entre la nuit et le jour. Dans son berceau, il ressent la solitude et éprouve le besoin d’un contact physique. Il doit être rassuré et votre présence est nécessaire pour apaiser ses craintes. Bref, il a besoin de vos bras autant que possible.
Ce mini-cours achevé, il commença l’auscultation en la complétant par quelques questions d’ordre général.
Son diagnostic lui fit prescrire un lait thérapeutique destiné à alimenter les bébés souffrant d’intolérance au lactose et remédier aux reflux gastro-œsophagiens.
La perspective de pouvoir enfin dormir quelques heures d’affilée nous redonna du baume au cœur et c’est pleins d’élan que nous quittions le cabinet.
Nos illusions furent vite réduites à néant et nos yeux de nouveau cernés de noir, témoignaient d’un manque de sommeil évident.
Le seul répit possible aurait été de donner la petite à garder à nos parents, mais Mathieu avait décrété qu’il ne demanderait d’aide à personne.
C’était sans préjuger de l’avenir !
Ce samedi-là, usé d’arpenter l’appartement de long en large avec Lucie sur les bras, il décida subitement d’aller voir sa mère.
Le nécessaire de voyage prêt, nous montions dans la voiture. Depuis mon retour de la maternité, nous n’étions pas sortis ensemble à part pour aller chez le médecin. Je n’étais pas mécontente de m’aérer un peu et curieuse de voir comment Mathieu allait s’y prendre pour laisser la petite à ses parents !
Il fit son entrée gravement comme s’il l’avait répétée et prit un air affligé à la limite de l’épuisement total. Je crois que j’ai souri malgré moi !
— Comment vont nos jeunes parents ? En forme ? demanda sa mère sur un ton mi-enjoué, mi-moqueur.
— On est crevés, la nuit elle ne ferme pas l’œil ! Si vous pouviez la garder, le temps qu’on aille faire les courses… Je ne veux pas l’emmener dans les magasins.
— Et là, elle dort ?
— Dès qu’on roule un peu, elle s’endort, dis-je enfin.
Évidemment, mes beaux-parents acceptèrent de garder Lucie et c’est le cœur léger et l’allure rapide que nous les quittions.
C’était devenu routinier, tous les samedis nous déposions notre bébé chez ses grands-parents. Ils prirent vite un rôle important, car pour nous aider ils achetaient le lait à la pharmacie, remplissaient bien souvent le frigo et lavaient le linge. Il faut dire que notre appartement était tellement humide, qu’y étendre la lessive aurait aggravé les choses !
Seule ombre au tableau, les visites chez mes parents se raréfiaient et erreur fatale, je ne contestais pas. Je savais que Mathieu n’avait pas confiance en ma mère et je n’imaginais même pas qu’il l’autorise à garder notre fille. Cependant cette situation m’ennuyait en particulier pour mon père qui tout comme moi, gardait un silence attristé…
Notre médecin, que nous visitions relativement souvent, nous avait assuré qu’après 3 mois, la plupart des bébés commençaient à faire leur nuit…
Les biberons s’espaçant, on espérait voir arriver la fin des crises de larmes, toujours présentes… En fait, tout allait bien lorsque la petite était à proximité de nous ou mieux, dans nos bras… Cinq minutes au plus après l’avoir allongée dans son petit lit, elle se mettait à hoqueter puis c’était reparti de plus belle. Inquiets pour les voisins, eux aussi à bout de nerfs, nous cédions bien souvent à ses caprices : la méthode la plus efficace pour la faire taire étant le tour du quartier en voiture, avec pour fond sonore, Johnny Halliday que nous passions en boucle…
Mathieu était en recherche d’emploi et tout cela ne contribuait pas à stimuler sa motivation…
Dommage car l’argent ne tombait pas du ciel !
***
Le plus singulier dans l’histoire était que Lucie ne nous laissait pas le temps de récupérer avant le moment fatidique de la pousse des dents… Mais là au moins on savait pourquoi elle pleurait… ou hurlait (le mot est plus adapté) et rien n’y faisait !
Nous devions nous procurer un autre appartement, celui-ci se trouvant insalubre compte tenu du problème d’humidité accentué encore par l’hiver : les soucis majeurs étant que ni l’un ni l’autre n’ayant de travail, les réponses furent à chaque fois négatives !
L’urgence était de trouver un emploi et je me mis activement à sa recherche. Une agence d’intérim proposait un travail de femme de ménage. C’était pas folichon, mais je n’avais pas le choix puis tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y a pas de sot métier. Je rédigeai un CV, très allégé car à part un stage et un travail de 15 jours pendant les vacances, mon expérience était nulle !
Par miracle, la réponse fut favorable et je commençai le lundi suivant.
Mathieu me fit part de ses réserves.
— Tu vas devoir récurer les chiottes, tu parles d’un boulot !
— L’argent n’a pas d’odeur ! Puis dès que tu auras trouvé quelque chose, j’arrête sans problème !
Il resta à s’occuper de la petite pendant que je rentrais dans la vie active. Je reconnais que c’est un travail ingrat, pas très valorisant mais je me convainquais que c’était temporaire…
Quelques mois plus tard, nous déménagions enfin dans un logement social refait à neuf et plus spacieux. Mathieu semblait se plaire dans son rôle d’homme au foyer et à chaque fois que je lui demandais s’il avait une piste pour du travail, c’était : « Et la gamine, t’en fais quoi ? »
Alors, on passait à autre chose…
Encore une fois des sentiments, des doutes liés probablement à la méconnaissance de la vie, m’incitaient à accepter sans broncher une situation familiale illogique mais cependant dans l’ère de notre temps.
Quant à moi, j’aimais travailler. J’abandonnais bientôt mon statut de femme de ménage pour un emploi de conditionneuse dans une usine spécialisée en cosmétologie et parapharmacie. N’ayant pas de permis, le plus compliqué était quelquefois de m’y rendre… C’était la recherche constante pour trouver un moyen de locomotion car travaillant en équipe, m’amener le matin très tôt, relevait pour Mathieu de l’exploit ! Quitte à se compliquer la vie, son père m’a bien souvent servi de taxi : il semblait vouloir s’excuser de l’immobilisme de son fils que j’aurais qualifié simplement de paresse.
Alors, j’envisageai le fabuleux projet de passer mon permis de conduire ! Mais entre le moment où l’idée germe dans le cerveau et sa réalisation, il se passe des mois ! Le temps aussi de mettre de l’argent de côté !
Impossible de demander quoi que ce soit à mes parents que je ne voyais carrément plus ou au hasard d’une rue : Mathieu avait fait en sorte de m’éloigner d’eux ainsi que de ma sœur d’ailleurs… Il ne perdait pas une occasion pour me persuader qu’ils étaient toxiques et ne m’apportaient rien de positif.
Nous laissions toujours Lucie chez sa grand-mère lorsqu’on allait faire les courses ou simplement pour souffler un peu. J’entretenais de bons rapports avec mes beaux-parents qui participaient largement au bien-être de leur petite fille. Pourtant je ne me confiais pas et gardais pour moi les éléments discordants de notre vie privée. En aucun cas je n’aurais voulu rompre ce semblant d’équilibre que l’on affichait devant eux.
Si seulement, on avait pu se parler franchement à ce moment-là !
***
Dès l’horizon de ses 3 ans, je fis entrer Lucie en petite section, pas encore obligatoire à cette époque. Le but principal était de lui faire quitter l’atmosphère cloisonnée de la maison et son isolement de fille unique. Sa principale occupation de la journée consistait à colorier des pages d’albums imprimés à cet effet, pendant que son père gardait les yeux rivés à l’écran de télévision… Tout un programme !
Mon travail en équipe me permettait d’emmener ma fille à l’école une semaine sur deux, l’autre devait être assurée par Mathieu de plus en plus apathique au lever.
Vous voyez la suite… Pire encore, car lorsqu’il voyait un enfant enrhumé, il ramenait la petite à la maison de crainte qu’elle attrape un virus. Je peux dire qu’il jouait son rôle de père surprotecteur à fond…
Et si c’était lui qu’il voulait protéger ?
Heureusement Lucie montrait son contentement en allant à la maternelle munie de son petit sac Dora, symbole d’évasion qu’elle quittait rarement.
J’étais satisfaite d’avoir insisté.
C’est dans ce contexte que je voyais grandir ma fille. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture se déroula sans la moindre difficulté. C’était une petite fille tranquille, trop sans doute car je m’inquiétais de la voir cloîtrée dans sa chambre dès qu’il n’y avait pas d’école. Ne fréquentant aucune camarade en dehors de l’école, elle lisait des livres de son âge et le reste du temps, ses yeux se fixaient pendant un temps infini sur un point imaginaire…
À la question « Qu’est-ce que tu fais ? » elle répondait invariablement : « rien ». Si on la tirait de force de cette torpeur pour aller soit se promener, soit faire un jeu ou simplement parler ; c’était alors une enfant boudeuse et inaccessible qui répondait sans le moindre élan.
Que recherchait-elle dans ces moments de solitude qui faisait apparaître une tristesse inappropriée à sa jeunesse ?
Trouvait-elle la plénitude et la sérénité dans un monde parallèle où elle seule déambulait ?
La solution aurait été la rencontre avec un psy pour une analyse, mais le « non » catégorique de son père fermait la porte à cette éventualité.
Notre vie monotone et solitaire aggravait forcément les choses ; c’était la mort dans l’âme que je partais travailler et laissais ma fille seule avec son père et son univers restreint.
Il se plaignait de plus en plus de tachycardie, de douleurs de toutes sortes… À tort ou à raison, il consultait sans cesse médecins, cardiologues et appelait constamment ses parents pour leur faire part de ses angoisses…
Était-il vraiment malade ou était-ce juste une échappatoire pour justifier son oisiveté, devenue elle aussi maladive ?
Nombreux sont les magazines à parler du fameux cap des 7 années de vie commune, marqué par une étape de crise, voire de rupture.
La routine s’était installée dans notre couple depuis un temps certain, ennuyeuse et destructrice ; du moins pour moi car Mathieu était égal à lui-même et n’avait pas l’ambition de changer quoi que ce soit dans notre relation et encore moins dans notre façon de vivre.
Le fait de travailler, de côtoyer quotidiennement des collègues de travail, m’avait émancipée. Je n’étais plus la jeune femme aussi malléable et effacée qui avait dû passer sans transition, de sa vie d’adolescente à celle de mère. Dire que j’étais prête à tout affronter ? Non, mais tenir tête à Mathieu m’arrivait de plus en plus fréquemment. Mes éclats de voix le perturbaient et l’arrachaient à sa petite vie trop tranquille.
Nos altercations étaient encore plus violentes lorsque notre fille séjournait chez ses grands-parents pour les vacances scolaires. On en venait même aux mains… Spectacle affligeant pour Lucie qui n’échappait pas toujours à nos différends de couple.
Comme ce jour où mes beaux-parents vinrent la ramener… Nous nous jetions à la figure tous les ustensiles de cuisine en passant par les couteaux et fourchettes. Au paroxysme de la dispute, nous les avions à peine vus entrer dans l’appartement. Ils nous séparèrent à grand mal…