Vous m’en direz des nouvelles ! - Gilbert Orsi - E-Book

Vous m’en direz des nouvelles ! E-Book

Gilbert Orsi

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Beschreibung

"Vous m’en direz des nouvelles !" est l’assemblage de quinze récits qui mêlent avec malice des traits de plume réels ou imaginaires aux digressions parfois déjantées. En le parcourant, vous embarquerez pour un périple éclectique à travers des histoires d’amour, d’aventures, de rencontres, de voyages et de coups tordus en tous genres. À la fin de cette exploration, vous ne serez assurément pas indifférents aux émotions qui vous auront traversés.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilbert Orsi a été plusieurs fois lauréat à des concours de nouvelles et est l’auteur de quelques publications dans cette catégorie. Son plaisir est d’établir une connivence avec vous, cultiver l’énigme, éveiller votre curiosité jusqu’au bout et parvenir, si possible, à vous surprendre.

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Seitenzahl: 175

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Gilbert Orsi

Vous m’en direz des nouvelles !

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Gilbert Orsi

ISBN : 979-10-422-2022-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

I

« Et puis, soudain, l’illumination ! Des exemples de racines à foison, fantastiques, comiques, romantiques, énigmatiques. »

J’ai le clavier qui me démange ! Une envie irrésistible de taper sur la première touche qui passe. Appuyer sur le A, le T ou n’importe quelle lettre blanche pourvu que je sente, du bout des doigts, le retour moelleux des petits carrés noirs qui rebondissent comme sur la toile tendue d’un trampoline. Je suis le Darling de la Belle et le clochard qui court éperdument dans les rues la nuit, en plein hiver pour ramener des fraises des bois à sa dulcinée. Je me mets en quête d’une bonne raison d’écrire. Elle sera l’antidote pour calmer le feu de cette excitation jubilatoire dévorante.

L’inscription à un concours de nouvelles sera un mobile parfait. « Racines ». Voilà un thème qui sonne bien ! Tel sera donc l’objet de ma jouissance suprême, la source de ma gourmandise intime, ma fraise des bois à moi ! Un thème antidote à ma rage créative, pour m’en faire passer l’envie… ou pas.

Antidote

Je suis planté devant l’écran blanc de mon ordinateur et je peste contre ce sujet maudit ! « Racines ». Qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire à partir de là ? Je n’en ai fichtrement aucune idée ! Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque, je suis dans un état second de créativité absolue. Mais voilà, depuis deux jours je trépigne, je rame, je patauge dans l’ignorance aux portes du delirium tremens. Satanée « Racines » va ! Tu me donnes un sacré mal de crâne !

Figé devant mon clavier, je rumine ma mauvaise humeur. J’imagine comment, du haut d’une chaise perchée, dans les cris et les aboiements, ce sordide sujet de concours a pu voir le jour :

Les faiseurs de thèmes sont réunis autour d’un chapeau claque. Il y a du beau monde. Toute une intelligentsia littéraire dont certains membres éminents feront partie du jury. Des diplômés de l’université, des philosophes, des théâtreux, des attachés de bibliothèque et d’éditions et même des spécialistes en ésotérisme et en littérature africaine ! La barre est haute. Tous baignent dans l’univers du livre et de la lecture. Certains s’adonnent avec succès à l’écriture de romans. D’autres, paraît-il, auraient commis quelques savoureuses nouvelles, c’est dire le degré d’expertise de cette prestigieuse communauté ! Mais alors pourquoi « Racines » ? Comment sont-ils arrivés à pondre ce truc-là ?

Le président déclare la séance ouverte. Il propose une idée inductrice, « Racines », un terme générique pour l’heure volontairement ouvert, mais que la docte assemblée réunie pour l’occasion devra clarifier afin de donner au sujet du concours sa formulation définitive. Ravis, chacun s’empresse de déposer dans le chapeau sa petite production personnelle, tous profitant de la circonstance pour mettre en lumière l’expertise et le talent qui les caractérisent. Le philosophe donne du Sénèque, la poétesse prend Maupassant au mot, un comédien s’en remet à Sophocle, l’autre à Obaldia. Qui dirige le sujet sur l’histoire des civilisations, leur origine. Qui le décline sur la naissance de la Terre, la formation des continents, des galaxies. Qui sur la biologie, les plantes, le système racinaire. Un tel évoque l’écologie, le passé et l’avenir de la planète. Un autre, la généalogie, les archives familiales, les ancêtres. Le lien avec la thématique est évident, la récolte est abondante et de qualité, dévoilant la fertilité de l’imagination humaine. Des pistes prometteuses se dégagent, mais ce n’est encore qu’une première étape. Si le thème s’inscrira dans un grand domaine de la connaissance, il reste à préciser la demande du sujet, à ciseler sa formulation.

En fins connaisseurs, les concepteurs évitent le piège d’un sujet « intello » réservé à une élite universitaire, un objet de recherche sur les origines africaines de la médecine moderne, ou sur les inventeurs de la perspective au « quattrocento », ou encore sur l’origine du monde, à moins que ce soit celle de Gustave Courbet !

Or, si la volonté légitime de simplicité fait consensus, l’ambiance va vite dégénérer ! On se met à pinailler, ergoter, raisonner. Une façon détournée d’étaler sa science. L’ego sonne la charge. On assiste à plusieurs tours de table houleux, les uns prenant la parole pour la défense d’une proposition, la précision d’un complément du nom, les autres s’enflammant pour le sens d’une formule : À mon avis, proclame solennellement un précieux, on devrait davantage prendre le vocable « racines » dans son acception symbolique plutôt qu’historique.

Les controverses linguistiques s’enchaînent et la discussion s’éternise. Moi, renchérit un ravi, je penche pour un thème catastrophe, un slogan du genre : racines coupées, adieu l’humanité ! Un compère moqueur et habile dans le jeu des mots persifle aussitôt : Tu as l’air de t’y connaître, toi, en catastrophe, avec une idée pareille !

La morale s’invite dans la discussion. Un polémiste zélé pointe du doigt le manque de respect des jeunes aujourd’hui et en profite pour régler ses comptes avec l’origine supposée du mal : l’école, les enseignants, les éducateurs, les parents. Aussitôt mouché par un professeur retraité qui dénonce, tout rouge, l’influence des tablettes, portables et autres transporteurs d’ondes magnétiques sur la formation des cerveaux. Lui-même applaudi par une militante bio excentrique, s’alimentant depuis des années uniquement de plantes sauvages et de riz ! Le berceau de nos maladies mentales et physiques actuelles c’est l’intoxication alimentaire. Faites comme moi, mangez des racines ! Un grincheux, du fond de la salle, lui rétorque : Et finir par ressembler à un radis ? Non merci !

Le ton monte. La bonne humeur collective tourne au vinaigre. Certains impatients décident de quitter la réunion. Les plus énervés pensent même rendre leur carte de membre actif à l’association. Les prises de bec s’enveniment, on est à deux doigts d’en venir aux mains. Les femmes appellent leur mari sur le portable, les enfants crient, les chiens se réfugient sous la table.

Le président monte sur une chaise et lance un appel au calme. Rien n’y fait. Il grimpe sur la table. Aucun résultat. Il met la chaise sur la table, monte sur la chaise et là, scotchés par la hauteur du plafond, tout le monde se tait enfin. Le président dit que jamais il n’aurait imaginé que son idée inductrice puisse créer tant de troubles dans l’assistance. Il s’accuse sincèrement de ce manque de prévoyance. Il pense remettre sa démission le lendemain, mais auparavant son devoir de président le pousse à régler sur le champ cette question. Finie l’approche participative, ouverte, consensuelle. Vu les circonstances et la tournure calamiteuse des événements, il est plus que jamais décidé à changer de méthode, à adopter une stratégie ferme et autoritaire. C’est lui et lui seul qui spécifiera la nature du thème à traiter et sa formulation. Il choisira personnellement le domaine de connaissance et formulera à sa manière l’incipit de la nouvelle, l’accroche initiale, l’incident créatif de départ. L’incipit, l’accroche, l’incident… On ne comprend plus rien ! La tension est à son comble, les hommes s’agitent, les enfants se blottissent contre leur mère, les chiens, jusque-là silencieux, hurlent à la mort.

Finalement, abrégeant précipitamment la réunion, voilà comment les choses se sont terminées. En équilibre sur sa chaise, doigt levé et verbe haut, le président reprend la parole : Vousavez sous les yeux « Racines » le terme définitif qui servira au concours de nouvelles cette année. Je le sais, c’est polysémique, multi-interprétatif, avec un degré de précision plus que nébuleux ! Eh bien tant pis, ce sera ça et rien d’autre ! Après tout, nous n’obligeons personne à écrire des nouvelles. Qu’ils se débrouillent avec ça ! Simple, clair et carré. On range les chaises, on se salue, la séance est levée.

« Qu’ils se débrouillent avec ça ! » Ce ton « pète sec » me fait marrer. Je continuerais volontiers à sourire de mes élucubrations si, sous mes doigts engourdis, le clavier ne demeurait obstinément muet.

Le remords cède aux regrets. Je songe à des concours de nouvelles aux thèmes plus poétiques : les couchers de soleil et les brumes d’automne, les plaisirs de l’âme et les chagrins d’amour. Des pistes bucoliques, romantiques, stimulant l’imagination, réchauffant les pensées : « une promenade en forêt, un dimanche à la campagne, une amitié entre une poule et un canard… »

Et puis, soudain, l’illumination ! Des exemples de racines à foison, fantastiques, comiques, romantiques, énigmatiques. Et même catastrophiques : des racines dentaires qui s’infectent, des racines capillaires qui s’intoxiquent, des racines d’ongles qui pourrissent ! Des remontées ancestrales, des fouilles archéologiques, des déplacements de population à profusion ! Une indigestion de thèmes racinés, enracinés, déracinés à s’en faire exploser le clavier. Gloire à ce sujet magnifique à la vacuité si inspirante, bénis soient ses créateurs bien-aimés !

Touché par cette grâce soudaine, j’affronte l’ultime épreuve : choisir parmi cette abondance mon thème racinaire préféré, élire les seules racines qui feront ma renommée et les distingueront des autres productions concurrentes. La tâche est rude, tant mes propositions entrent elles-mêmes en compétition. Elles se comparent à l’aune de leurs valeurs artistiques et culturelles, toutes excellentes ! Selon le genre choisi, elles évoquent avec subtilité le réalisme de l’histoire ancré dans le quotidien ou, au contraire, la fantaisie débridée du rêve et de la fiction. Fidèles à l’essence même de la nouvelle, elles laissent entrevoir le bonheur de surprendre le lecteur par une chute mémorable ! Un moment, une idée burlesque manque de l’emporter, une salade d’expressions à base de racines : « manger les pissenlits par la racine », « prendre racine », « couper le mal à la racine » … La formule produit son effet, mais une autre tout aussi déjantée vient l’évincer : L’ethnologue foldingue qui s’était mis à la recherche des racines… du mot racine ! Trouvaille admirable,viteremplacée par une histoire de racines raccourcies au sécateur, un conte revisité à la japonaise : « Blanche Neige et les 7 bonzaïs », chassée à son tour par une autre plus cérébrale : La jeune plante racinaire qui voulait devenir rhizome.Racines versus rhizomes ! Vraiment, quelle bonne idée !

Seulement à présent, il va falloir sélectionner mes merveilles, en sortir une du lot. Or, comment me décider quand elles frisent toutes le sublime ? Sous mon crâne déjà bien encombré, la tempête. Mes pensées s’entrechoquent, les histoires se croisent, les chutes s’emmêlent les pinceaux. Je repense au président et je mesure son embarras face à un parterre de propositions alléchantes. Il était parvenu, lui, à dompter le chaos foisonnant, à trancher dans le vif des contributions. Son sang-froid me manque et je demeure impuissant face à mes coupables hésitations. Dans cette gesticulation stérile, ma course au succès littéraire n’est qu’une succession affligeante de faux départs.

Rapidement, aussi vite qu’il était apparu, l’orage créatif s’éloigne. La dernière idée originale s’envole, le calme plat revient.

Avant le lâcher-prise final, mes yeux s’attardent un instant sur le terme initial « racines », fermement encadré par de solides guillemets qui lui servent de garde du corps. Les deux me toisent, plantés fièrement de part et d’autre du mot clé, torse bombé, coudes écartés. Le premier guillemet me lance un cynique et appuyé : Arrête-toi, tu nous fais pitié ! Le deuxième, moqueur, compatit faussement à mon sort : Il y en a qui ont essayé.

J’ai croulé sous l’abondance et suis venu m’échouer sur ce mot écueil, « racines », qui me racle la gorge, me siffle dans les oreilles tel un serpent venimeux. J’aurais dû me méfier : « Racines » est l’anagramme perfide « d’arsenic », le dieu des poisons, le poison des dieux ! Flanquée de ce venin toxique et virulent, il manquait sans doute à cette nouvelle un antidote beaucoup plus puissant pour en venir à bout. Des langues diront qu’il me manquait surtout une dose de talent littéraire supplémentaire… Certainement des langues de vipère !

II

« Mes pérégrinations grassoises viraient au feuilleton ! Un feuilleton marqué de l’atmosphère très "odoriférante" de la Cité des Parfums, dont chaque épisode baignait dans une ambiance olfactive rappelant la note de fond de certains parfums célèbres. »

Les choses arrivent bien souvent lorsqu’on s’y attend le moins. À jouer bon gré, mal gré les vacanciers zélés, à suivre au millimètre l’agenda du touriste discipliné, la lassitude finit parfois par l’emporter. Mais paradoxalement en vacances, lorsque la fatigue et le moral pointent à l’horizon, un nouveau feuilleton se fait jour. L’inattendu s’invite dans le décor, brise la routine et rebooste l’énergie du visiteur. Les vacances, allez savoir pourquoi, sont des moments privilégiés pour ces revirements d’atmosphère. Le touriste se voit pousser des ailes, celles de l’audace, du cran. Il devient un risque-tout, une tête brûlée du quotidien. Il ose affronter l’inabordable. C’est souvent en vacances que les choses arrivent… ou qu’elles n’arrivent pas.

Réminiscences parfumées

Quand je pars en vacances, ce n’est pas dans mes habitudes de jouer le vacancier ! Je parle du vacancier modèle au planning minutieusement préparé, auquel aucun écart de conduite ne saurait déroger : faire les inévitables virées des chapelles et églises, immortaliser les vieilles pierres, succomber au cliché du coucher de soleil sur l’eau turquoise de l’océan, pauser devant le Lion de Belfort ou la montée des marches à Cannes, sans oublier la dune du Pilat, le sourire ouistiti et les bras en croix. Un planning inscrit dans un séquençage taillé au couteau, un timing rigoureux pour satisfaire aux exigences du temps qui, comme chacun sait, est incompressible, surtout celui du vacancier vorace, au carnet de visite plein à ras bord ! Je ne m’y ferai jamais. Peut-être que je souffre du « complexe du mouton », une peur panique d’imiter le troupeau, une fixation sur tout ce qui pourrait sacrifier ma personnalité aux usages convenus ! Ce genre de tourisme conventionnel me fatigue et me met le moral à plat plusieurs jours avant le départ.

Et pourtant… On m’en avait tellement parlé, que je ne pouvais pas passer ces quelques jours sur la Côte sans réserver ma première visite à cette grande dame de la parfumerie ! Grasse, dont le nom est accolé aux plus grands : Dior, Chanel, Lancôme. Grasse, qui évoque à elle seule toutes les fleurs cultivées dans le terroir local et utilisées dans la fabrication du parfum : le jasmin, la rose, la fleur d’oranger, la lavande. Grasse, le lieu d’évolution de Grenouille, le héros meurtrier du savoureux roman de Suskind, opérant sournoisement à travers les ruelles étroites de la cité, baignées des effluves âcres des tanneurs. Grasse, en tête de gondole des offices de tourisme méditerranéens, rappelant fièrement que le savoir-faire lié à la parfumerie du Pays de Grasse est désormais inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Contrairement à mes habitudes et quitte à écorcher mon anticonformisme, j’étais prêt, pour cette belle carte postale, à jouer le jeu du touriste idéal et programmer méticuleusement mon parcours en fonction des endroits incontournables de la ville.

La matinée commençait bien et je consacrais mon temps à m’imprégner des lieux typiques de la Cité des Parfums, bien décidé à m’en mettre plein les yeux et les narines ! Au fond, la vie du vacancier type avec ses événements prévus, ses visites programmées et notées dans le guide touristique mérite d’être connue. Elle a sur le baroudeur ou l’aventurier, l’avantage de la découverte en toute sécurité, la promenade sans surprise, la mise à l’écart systématique de l’inattendu, du waouh ! C’est quoi ça ? Ce qu’il y a à voir, à apprécier et même à ressentir y est déjà consigné dans le dépliant. C’est du prêt à savourer sur mesure ! Et pour anticiper les découvertes surprises, qui du coup n’en sont plus, pour se prémunir de tout étonnement accidentel, il est même conseillé de s’y préparer plusieurs mois à l’avance ! Hélas, ce mode de fonctionnement aux mérites incontestables, s’accordait mal avec mon tempérament. Très vite, le costume du touriste standard me serra aux entournures. Malgré ma bonne volonté pour le jouer, je n’étais pas fait pour ce rôle. Cela tombait à point, car dans l’après-midi, un incident fortuit vint contrarier le projet de visite convenu. Mes pérégrinations grassoises viraient au feuilleton ! Un feuilleton marqué de l’atmosphère très « odoriférante » de la Cité des Parfums, dont chaque épisode baignait dans une ambiance olfactive rappelant la note de fond de certains parfums célèbres.

Épisode 1 :« La vie est belle », un parfum d’optimisme

J’avais pris une correspondance à Nice et c’est à l’Office de Tourisme de la ville que l’autocar me déposait tôt le matin. Je n’avais besoin nullement d’un plan pour arpenter les différents quartiers. Au contraire, disposant d’un peu de temps avant l’ouverture des commerces, je faisais de mes errements des destinations improvisées, des culs-de-sac l’occasion de découvrir des immeubles enclavés ou l’impossibilité de se croiser à deux, des murs inclinés et des balcons obliques, des demi-tours pour apprécier sous un autre angle une sculpture, une fontaine, une place ou un jardin. Un voyage dans le temps où les édifices anciens du moyen-âge côtoient les bâtiments rénovés au style provençal, peints d’argile jaune ocre. Une balade sportive entrecoupée d’innombrables escaliers, faux plats et autres raidillons. Dans cette ville, il y a beaucoup de descentes, ironisent les Grassois ! Et sans exagérer, de la Place du Pati au nord de la ville à la Porte Neuve tout en bas, à travers le lacis des ruelles en pente, on doit pouvoir faire le trajet à vélo sans donner un seul coup de pédale !

L’air était pur, pareil à une bouffée de mistral. La promenade me mettait le cœur en joie. La vie est belle, comme la chanson de Rihanna ! pensais-je. C’est cet esprit guilleret qui m’animait, du moins pour le moment.

Épisode 2 :« Orage », l’odeur boisée de la terre humide

À midi, j’avais à mon actif de touriste insatiable la découverte du Musée International de la Parfumerie, le Musée d’Art et d’Histoire de Provence et la Cathédrale Notre-Dame du Puy abritant de superbes peintures, dont certaines réalisées par Rubens. Je suivais fidèlement, avec l’application d’un premier de la classe, le planning que je m’étais imposé. Je disposais de l’après-midi pour les parfumeries, les célèbres Fragonard, Molinard et Galimard. Je n’aurai sans doute pas le temps de toutes les visiter, mais peu importe, j’aurai fait de mon mieux.

Pour être honnête, j’en étais presque à espérer un peu de fantaisie dans cet emploi du temps millimétré. Les visites parfumées au pas de charge commençaient à sentir fort, comme une odeur boisée de terre humide, voire de moisissure. Ce n’était pas faute de bonne volonté, mais mes soufflements agacés de fin de matinée étaient un signe : je commençais à en avoir marre de faire semblant ! Il fallait me rendre à l’évidence, je ne serai jamais touché par la grâce du « syndrome de Stendhal ». Ce trouble émotionnel intense qui affecte le voyageur cultivé jusqu’au plus profond de ses fibres à la simple vue d’une œuvre d’art, sculpture, peinture ou n’importe quelle création artistique de qualité. J’en étais très loin. Il me manquait le code pour éprouver à l’égard de ces merveilles un réel frémissement.

La cathédrale sonna ses 12 coups de midi. Le moment d’une pause bienvenue, le temps de trouver un mignonnet café-terrasse récupérateur de toutes mes pérégrinations matinales et de laisser passer l’orage. Beaucoup d’établissements avaient le rideau tiré et n’ouvraient sans doute pas avant la haute saison : petits snacks de la rue droite, coincés entre deux immeubles, restau-pizzérias blottis sous les platanes du centre historique, terrasses ombragées de la Place aux Aires. Je faisais mon chemin en marchant, accompagné du soleil de juin qui jouait à cache-cache entre les places fleuries nichées au cœur de la cité et les passages sombres et étroits du vieux Grasse.

C’est alors que, passant devant une boutique de parfum, je l’aperçus.

Épisode 3 :« La fille de l’air », une fragrance aérienne et épurée