Vous serez vraiment grands...Hymne à l’amour - Pierre Guilbaud - E-Book

Vous serez vraiment grands...Hymne à l’amour E-Book

Pierre Guilbaud

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Beschreibung

En répondant à l’invitation d’un ami pour s’engager bénévolement à l’accueil d’une fondation, Pierre Guilbaud va vivre un voyage initiatique qui transformera sa vision de l’éducation. Son livre nous emporte dans un périple entre son expérience professionnelle et son engagement à Lourdes, révélant que même les plus vulnérables peuvent bouleverser la vie de ceux qui pensent tout savoir. Il nous présente des individus exceptionnels qui ont profondément marqué son existence et offre une réflexion profonde sur le sens de l’éducation.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Pierre Guilbaud a consacré sa vie à apporter un sens à celle des autres. En tant qu’éducateur spécialisé auprès de personnes déficientes visuelles, il a utilisé la musique et la création de chorales pour enrichir la vie des enfants. Sa passion pour l’éducation populaire et son désir de donner du sens à la vie sont au cœur de son engagement littéraire.

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Pierre Guilbaud

Vous serez vraiment grands…

Hymne à l’Amour

Découvreur de trésors

© Lys Bleu Éditions – Pierre Guilbaud

ISBN : 979-10-422-2250-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À tous mes amis rencontrés au fil des années

Et qui m’ont nourri par leur beauté intérieure…

Ils m’ont permis de vivre une belle et pleine vie…

Merci Joël, sans toi, je n’aurais pas découvert

tous ces trésors…

À mes enfants et à mes petits-enfants

à qui je confie ces trésors…

Ils sont toute ma fortune

Vous serez vraiment grands dans la mesure où vous êtes petits.

Vous serez alors grands dans l’amour…

Père Marie-Joseph

Suivi du conte : Dieu appelle Gaspard à le suivre.

Préface

Témoignage de Peggy Savarit-Bany

Ancienne élève

On y est ! Ce jour tant redouté est arrivé.

Assise dans le minibus de l’Institut, je longe ce long chemin qui nous amène vers une nouvelle vie, m’éloignant de ces 12 années passées auprès de ma famille de cœur.

Je me retourne une dernière fois, avec une émotion palpable, me rappelant la première fois où je suis arrivée, à 11 ans, le cœur déchiré, chargé de tristesse, sentiment d’abandon de me voir séparée de ma maison et de mes parents. Sentiment d’injustice, je me retrouve seule. Seule parmi des inconnus et pourtant pas si différents de moi.

Cette immersion d’une semaine, pour préparer ma venue définitive quelques semaines plus tard, s’est faite avec beaucoup de chaleur et de bienveillance, venant aussi bien des élèves que de l’encadrement qui, pour ce dernier, apportait une attention particulière au bien-être des pensionnaires, de manière différente parfois, mais toujours dans notre intérêt.

Je ne me suis jamais sentie autant à ma place.

Je suis restée jusqu’à mes 23 ans auprès de ces personnes, parfaits inconnus au départ, qui sont devenus ma deuxième famille, ma famille de cœur.

25 ans après, il n’y a pas une semaine où je ne rêve ou ne pense à toutes ces années passées, avec le souvenir ancré de personnes qui font partie intégrante de moi, de ma vie. Je pense en particulier à Viviane et Pierre, ma maman et mon papa de cœur, comme je les appelle. Ils ont eu un rôle de parents pour nous initier aux gestes du quotidien et nous transmettre des valeurs qui sont devenues miennes aujourd’hui et qui ont permis de me construire au fil du temps.

Il y a quelque temps nous avons organisé des retrouvailles entre anciens élèves et éducateurs. Cela faisait 25 années qu’avec les éducateurs nous ne nous étions pas revus ! Cela m’a fait réfléchir au parcours des uns et des autres : pour beaucoup on y voit l’empreinte de ce que nos éducateurs nous ont transmis et qui venait en complément de ce que nous recevions au sein de nos familles. Bases importantes dans notre cheminement, notre construction d’enfants et d’adolescents.

Ils nous ont transmis des valeurs humaines qui, aujourd’hui, nous semblent évidentes à partager. Avec le recul, je ne suis pas surprise de mon parcours de vie.

Ils m’ont transmis l’amour des autres : cette notion d’entraide et de partage.

Je n’ai donc aucun regret, aucune rancœur envers mes parents qui m’ont envoyé dans cet internat, avec déchirement et souffrance pour eux.

Au contraire, j’ai envie de leur dire :

« Merci ».

Prologue

« Parce que la beauté et l’intelligence

sont, avant tout, dans le cœur de l’homme »

Pour mieux comprendre

Lorsque les disciples se demandent qui d’entre eux est le plus grand, Jésus leur fait cette réponse :

« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous ». Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

(Extrait de Saint Marc 9, 30-37)

Cette parole du Christ est, aujourd’hui, pour moi, une source inépuisable qui nourrit ma vie. Accueillir le petit est un chemin qui mène vers le Christ et par Lui c’est le Père qui nous accueille. Nous l’accueillons, avec pour modèle la confiance que nous montre le Christ Lui-même !

J’ai eu la chance, au cours de ma vie, de croiser ces « enfants », ces « petits ». J’ai eu la grâce de partager leur richesse. Ce trésor d’Amour, je ne veux pas le garder pour moi seul, je veux le partager.

Dans les pages qui vont suivre je vais essayer de montrer la force d’amour, d’intelligence, de foi, de ces petits et comment ils ont fait grandir mon cœur sur un chemin d’humilité.

Ils m’ont aidé à devenir un homme. Ils m’ont aidé à dépasser mes difficultés et à adoucir ma vie, à devenir le dernier, pour mieux leur ressembler, pour mieux grandir.

Il y a eu ceux que j’ai rencontrés dans ma carrière d’éducateur auprès des enfants, des jeunes et des adultes déficients visuels ou aveugles, mais aussi polyhandicapés. Il y a aussi ceux rencontrés à la permanence d’accueil de la Fondation OCH de Lourdes et les personnes visitées dans le cadre de l’aumônerie à laquelle je participe. Ce sont aussi les familles en deuil que je reçois au moment de préparer les obsèques d’un proche.

Des personnes me renvoient souvent une sorte d’admiration sur mes divers engagements et cela me gêne beaucoup. Cela me gêne parce que j’ai l’impression d’avoir raté quelque chose : quelle image je renvoie ? Pas celle que je voudrais, pas celle de celui qui essaie d’agir comme un humble serviteur.

Alors je réponds, la plupart du temps, avec un brin d’humour, mais avec sincérité, que je m’engage par pur égoïsme !

C’est un peu vrai cependant… Le retour de ces rencontres est si riche, si nourrissant que j’ai l’impression que c’est moi qui suis accueilli, rencontré, éduqué…

J’espère pouvoir partager avec vous ce bonheur.

En me faisant serviteur, je deviens un découvreur de trésor !

Avant de découvrir toutes les richesses de Lourdes et les grâces reçues à la permanence d’accueil de l’OCH, j’avais écrit ce poème. Je l’avais écrit pour tous ceux qui se sentent exclus de quelque part… et peut-être un peu pour moi…

En écrivant ce poème, je ne savais pas quelle aventure j’allais vivre à travers le regard des personnes en situation de handicap, des personnes marginalisées par des situations sociales « hors normes ». Toutes ces personnes qui dérangent la bonne marche d’une société parfaite, et qui sont mises de côté, pour le « bien » de tous.

Des cris comme celui-là, j’aurai l’occasion d’en dire tout au long des pages qui vont suivre, des cris d’Amour impossible, mais aussi des cris d’Amour vrai.

Ce poème est une prière, et ce qui va suivre, dans ce livre, est, sans doute, la réponse du Seigneur… Cadeau de son Amour !

La prière du mendiant

Comme les petits chiens de l’évangile,

Comme de simples volatiles,

Que reste-t-il à celui qui a quitté le chemin ?

Quelques miettes au creux d’une main.

Mais les miettes ne nourrissent pas l’âme

Ne donnent pas force à la flamme

Qui maintient l’homme dans la droiture :

Elles ne sont pas nourriture.

Alors si tu veux continuer ta vie,

Si tu veux suivre tes envies,

Prendre l’amour par la main,

Quitte le chemin.

Prive-toi de la nourriture, prive-toi de l’Amour,

Et regarde de loin, au fond de la cour

Les bons, les vertueux, se bâfrer,

La conscience tranquille, devant le sacré.

Ta foi brûlante à cet instant explose.

Chaque miette qui tombe te répète cette chose :

Reste dehors, loin, tel le chien !

Ne viens pas perturber notre festin !

Tu as le droit de regarder

Mais pas celui de toucher.

Ton âme saigne et c’est de ta faute :

Tu as quitté l’esprit de Pentecôte.

Mais toi Seigneur qui connaît mon cœur,

Qui connaît mon âme, et qui veut mon bonheur,

Tu ne peux me laisser sur le bord du chemin.

Tu ne peux me laisser sans lendemain.

Parle-moi au fond de mon cœur,

Parle à ceux qui ne voient que ma laideur.

Dis-leur tout l’Amour que tu me portes.

Dis-leur tout l’amour que je te porte !

Toi qui renvoies les riches les mains vides

Toi qui aimes les pauvres et qui les guides,

Prends-moi par la main, serre-moi sur ton cœur,

Avec douceur.

Dis-leur que l’amour n’est pas qu’un péché,

Que l’amour est aussi pureté.

Alors mon âme arrêtera de saigner,

Et mon esprit trouvera le repos et la force d’aimer.

Je t’aime mon Seigneur,

Je t’aime pour ta bonté et ta douceur

Ne laisse pas mon âme à l’agonie,

Guide le chemin de ma vie.

Donne-moi d’être le mendiant de l’amour,

Et de permettre à mon cœur de vibrer un jour,

Au rythme de celle que je voudrais appeler bien-aimée

Au-delà de l’interdit, pour une vie sublimée.

Ce qui va suivre dans ce livre n’est pas un exercice de littérature, mais un partage de vie, avec, en fil rouge, l’extraordinaire et nourrissante expérience de l’accueil de l’OCH à Lourdes, nourrie par l’esprit de Pentecôte.

L’Esprit-Saint est le lien invisible, mais si présent, qui a permis toutes ces rencontres. Il est le moteur, le transmetteur des grâces reçues.

La force du pardon.

Une clé pour ouvrir les chemins de vie

Dis-leur…

Quand ils n’auront plus sur les lèvres

Que l’infinie litanie des désastres

Quand leurs yeux s’arrêteront

Sur un ciel verrouillé

Et une terre à l’abandon,

Quand ils plieront

Sous la bourrasque

Des illusions perdues,

Et quand ils se laisseront gagner

Par la froidure du dedans,

Dis-leur…

Dis-leur seulement

Qu’une Parole vient

Qui brise les évidences,

Dis-leur que de l’humain,

Une autre version est possible,

Dis-leur que l’hiver des cœurs

Abrite une promesse !

Dis-leur surtout

Que la lumière attend de naître

Sous leurs pas, dans le terreau de leur fragilité reconnue !

Francine Carrillo, théologienne

Nous sommes en 1966, en août, au cœur de l’été… je vais avoir 16 ans dans un mois…

Mon expérience, toute récente, avec les enfants chanteurs, me donne cette envie de faire chanter, à mon tour, des enfants, de faire revivre la manécanterie de mon enfance.

Je n’ai aucune compétence, le chant me manque, mais je ressens, au fond de moi, un besoin vital, de partager, de transmettre ce que j’ai vécu et aimé.

Ma mère m’encourage, le directeur de l’école me fait confiance et l’aventure des Petits Chanteurs de Saint-Félix va durer neuf ans…

1973… Je suis fiancé et notre mariage est prévu pour l’été suivant.

Grâce à l’expérience acquise auprès des Petits Chanteurs, j’ai décroché une sélection dans une école d’éducateur.

Je suis en stage dans un foyer de l’enfance.

Je fais l’expérience de la solitude de ces enfants enlevés à leur famille pour diverses raisons. Certains arrivent en pleine nuit, arrachés à un drame familial : querelle, accident, maltraitance… D’autres ont fugué, fait une bêtise, plus ou moins grave. Bref, le groupe de jeunes qui nous est confié accumule son lot de situations difficiles.

Je me souviens d’un jeune, qui venait de perdre ses parents dans un accident, il voulait que je me marie avec sa grande sœur pour que je continue à m’occuper de lui. Il avait besoin de se construire un univers sécurisant pour pouvoir continuer à vivre.

Mais ce qui m’a marqué le plus, et qui a, sans doute, été initiatique pour moi, est cet événement survenu un mercredi en fin d’après-midi.

Certains jeunes, plus âgés, avaient le droit de sortir le mercredi.

J’autorise E. à sortir, après moult recommandations. J’ai confiance en lui. Notre relation est bonne et franche. C’est un garçon calme et doux.

Vers 17 h, E. revient au foyer. Soulagé de le voir rentré, je vais vers lui pour lui dire un petit mot d’encouragement pour sa ponctualité.

Je m’aperçois très vite qu’il a bu. Je pense, bien sûr, à lui en parler, à faire un point sur le sujet avec lui.

Je n’ai pas le temps de mettre à exécution mon projet qu’E. me pose un poignard de plongée sur le ventre et m’entraîne vers le groupe des petits.

Là, durant deux heures, je vais parlementer avec lui. Je vais essayer de le ramener à la raison.

Au contraire, il s’enferme dans son attitude. Il est prisonnier de lui-même. Il ne peut se défaire de ce qui, au départ, n’était peut-être qu’un jeu.

J’ai peur pour moi, mais surtout pour les petits qui sont autour de nous et qui ne comprennent pas le danger. Mon regard va vers les collègues éducateurs de ce groupe d’enfants. Ils ne peuvent pas faire grand-chose.

Je n’ai pas peur d’E, j’ai peur des effets de l’alcool sur lui. C’est, sans doute, sa toute première expérience dans ce domaine.

Il m’explique qu’il s’est acheté ce poignard (peut-être volé ?) Il en rêvait depuis longtemps. Et puis il est allé boire quelques bières… Poignard, alcool, voilà bien une façon d’affirmer son désir d’être un homme… un vrai !

L’idée de ma prise en otage a dû survenir au moment où nous nous sommes retrouvés… les effets de l’alcool l’ont emprisonné dans sa démarche.

Je me sens de plus en plus seul. Jusqu’où peut-il aller ? Les enfants autour sont en sécurité, mais encore assez proches.

Je ne sais évidemment pas ce qui se trame en coulisse. Le directeur, mis au courant par une éducatrice du groupe dans lequel nous nous trouvons, a déclenché la procédure prévue dans ce cas.

J’aperçois du coin de l’œil, dans la cour du foyer, quelques CRS qui commencent à avancer vers nous. Ma première pensée est qu’il ne faut pas qu’E. les voie. Quelle réaction pourrait-il avoir ? Il n’est pas lui-même, il joue un rôle de dur sous l’effet de l’alcool. Il pourrait aller jusqu’au bout de son jeu.

Je me déplace, très légèrement et lentement, pour le mettre dos aux policiers. En quelques secondes il est maîtrisé. Cela a duré deux heures.

Je ne dis pas « ouf », en le voyant partir. Je ressens un sentiment d’inachevé. Ne connaissant pas la procédure administrative, je m’étais préparé à régler cela moi-même, de façon éducative.

Je ne lui en veux même pas. Ce n’est pas lui qui m’a pris en otage, ce sont des facteurs conjugués : des expériences d’adolescence d’un être en fragilité sociale et affective.

Je reprends mon service (le droit de retrait n’existe pas chez les éducateurs), je suis de soirée.

Mes pensées vont à E. Je l’imagine perdu (un peu plus). Je ne pense qu’à une chose : le sortir de là, le rassurer, lui dire que je ne lui en veux pas. Je lui pardonne !

Le soir, après le coucher des enfants, un collègue me fait le reproche de ma naïveté et me fait comprendre que je ne suis pas fait pour le métier d’éducateur.

Il me touche en plein cœur : pour moi, m’occuper d’enfants est devenu une vocation, plus qu’un métier. Je me sens « appelé »…

Et s’il avait raison…

Mais pour l’instant mon esprit est ailleurs, il est avec E. J’espère qu’il est bien traité… Je voudrais tant être là pour l’aider…

Quelques jours plus tard, le directeur m’informe qu’E. va être libéré. Je lui fais la demande d’aller moi-même le chercher. Il accepte. Mon collègue n’est pas d’accord : il faut quelqu’un de solide (lui) pour gérer ce genre d’affaires. Il a déjà classé E. dans la catégorie des délinquants.

Moi, je veux simplement lui dire pardon de n’avoir pas pu empêcher son départ avec les gendarmes. Je veux lui redire toute la confiance que j’ai en lui, toute ma confiance en son avenir. Lui dire qu’il a fait une petite bêtise qu’il devra transformer en une grande leçon de vie pour lui.

Mais voilà, cela ne se passe pas comme je l’avais prévu. Ce jour-là, j’apprends que le métier d’éducateur ne se fait pas tout seul, mais avec celui que l’on accompagne.

E. est là. Je me prépare à lui parler… Il avance vers moi, me serre dans ses bras et en pleurant me dit : « Pardon Pierre ».

Tout était dit.

Il venait de m’autoriser à être éducateur.

1

Quand le « petit » vient

au secours du « grand » et le guérit…

En ce temps-là, Jésus prit la parole :

Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange :

Ce que tu as caché aux sages et aux savants,

Tu l’as révélé aux tout-petits.

Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté.

Tout m’a été confié par mon Père,

Et personne ne connaît le Père, sinon le Fils,

Et celui à qui le Fils veut le révéler.

Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau

Et moi, je vous procurerai le repos.

Saint Matthieu 11,25 - 28

Pâques 1986, un événement grave vientbousculer ma vie : mon couple a terminé sa vie commune. Moments difficiles, très difficiles à vivre.

Cependant un ami est sur mon chemin, sa présence m’aide à tenir, à reconstruire un quotidien. Il est bénévole depuis plusieurs années dans une permanence qui accueille des personnes handicapées. L’été approche, il me propose de l’accompagner, et de rester quelques jours. J’accepte, car au point où j’en suis, cela me permettra de voir du monde, avant de partir en vacances avec mes enfants.

Je découvre ainsi la permanence de Lourdes, celle dont Joël me parlait si souvent, avec chaleur.

À Lourdes, on parle beaucoup de miracles, moi j’y ai attrapé un virus ! Un virus qui m’a apporté la paix intérieure, qui m’a aidé à reconstruire, non plus un quotidien, mais un avenir. Je suis resté, je crois, trois ou quatre jours cette année-là, mais le virus était bien ancré et je suis revenu l’année suivante… et… jusqu’à aujourd’hui. (À l’heure où j’écris ces lignes, cela fait 35 ans que je suis bénévole à l’OCH de Lourdes)

On m’avait demandé de faire un article-témoignage pour le journal de la Grotte. J’avais trouvé ce titre : « Je suis tombé malade de Lourdes, mais je ne tiens pas à guérir ! » J’avais peur qu’il soit un peu trop provocateur. Le journaliste l’a beaucoup aimé et l’a gardé.

La deuxième année, je suis venu seul, en train. Joël a préparé mon séjour, ce sera du 22 au 28 août 1987.

À mon arrivée à la permanence, Georgette m’attendait, avec sa gentillesse et son sens de l’accueil. Ceux qui ont croisé son chemin peuvent en témoigner. Je n’avais pas mangé, elle a trouvé un morceau de saucisson, un œuf dur et un peu de pain légèrement rassis. Je me souviens de ce repas et je m’en souviendrai toute ma vie, car, ce jour-là, comme les disciples d’Emmaüs, j’ai senti la présence de Jésus. C’est le seul repas dont je me souvienne avec autant de force : sa modestie en fait sa valeur. Elle m’a offert un repas de prince… Repas de prince non par son contenu, mais par la façon dont elle me l’a offert.

La qualité du premier accueil est déterminante.

Cette même année, quelques instants après ce repas si réconfortant, j’ai fait une rencontre qui a sublimé, pour moi, le mot amitié. Cette rencontre, c’est celle de Lionel.

Lionel est un petit garçon de 13 ans, il ne parle pas, il ne semble pas comprendre ce que nous lui disons, une de ses mains est pliée, au niveau du poignet, à 45°… elle lui sert à faire tourner l’hélice d’un petit avion en plastique qui ne le quitte jamais… Et pourtant…

Nous avons passé tout l’après-midi ensemble. Ce petit garçon qui ne parlait pas a réussi à m’apprivoiser. Je suis éducateur, et j’ai passé mon après-midi à réfléchir à comment j’allais entrer en relation avec lui. Réfléchir ! Alors qu’il fallait simplement m’ouvrir à lui. Lui l’a fait, car il avait l’intelligence du cœur.

Alors que le soir venait et pendant que je me posais toujours les mêmes questions fondamentales, Lionel m’avait emmené, tout au long de l’après-midi, près du Gâvre, manger un biscuit, boire un peu d’eau, marcher dans les gravillons… Il était entré en contact avec moi, tout simplement, sans se poser de questions…

Cette rencontre, à ce moment de ma vie, ne pouvait pas être le fruit du hasard. À fréquenter la permanence, j’ai enlevé ce mot de mon vocabulaire. À cette époque, je me posais beaucoup de questions. Lionel a redonné un sens à ma vie… sans un mot. La Sainte Providence nous a fait nous rencontrer et nous comprendre. Lionel m’a inspiré ce poème :

Lionel

L’homme est ainsi fait,

Qu’il se croit beau

Parce que ses traits

Ont la pureté de l’eau.

Il se soigne, pour cacher

La moindre faille.

Il est esclave, prêt à se cacher

Si un trait déraille.

N’a-t-il pas compris

Que la beauté,

N’est pas à ce prix ?

Que la beauté,

Est dans le cœur,

Profondément ancrée

Dans le Seigneur !

Je t’aime toi

Qui n’a pas la parole,

Car le Seigneur est en toi,

Divinité du symbole,

Toi qui n’as pas l’esprit,

Stupidité du mien,

Car je n’ai rien compris,

Me pensant beau,

Intelligent,

Parce que j’ai les mots,

Pour apprivoiser les gens.

Je t’aime toi,

Dont le visage est transparence de Dieu…

Toi,

Sois heureux,

Béni,

Ange du Seigneur,

Porte du paradis,

Espérance d’un monde meilleur.

Lionel m’accompagne chaque jour, comme un ami fidèle. Il ne m’a jamais trahi. Chaque fois que nous nous retrouvions, il prenait un temps puis, par un petit signe, il me faisait comprendre qu’il m’avait reconnu.

Quand j’ai appris son départ pour ce monde où l’attendait la Vierge Marie, j’ai pleuré. J’ai compris, à ce moment précis, qu’il était mon ami le plus cher. Je suis resté de longs jours dans le silence, ne pouvant pas communiquer avec Marie et André ses parents. Alors, Lionel est venu, une nouvelle fois, à mon secours. C’est lui qui a guidé ma main pour écrire ces quelques lignes à ses parents :

À Dieu

Mon silence est une prière.

Mon silence cache ma peine.

Mon ami est parti hier

Comme on ferme le rideau de scène.

Mon silence est une prière.

Mon ami a rencontré son Seigneur,

Tout simplement, sans faire le fier,

Il s’est endormi et lui a offert son cœur.

Je te prie, toi mon ami,

Tu es mon intelligence,

Tu es mon aide auprès de Lui,

Et mon espérance.

Je te prie, toi mon ami,

Pour ceux qui t’ont aimé,

Dis-leur que ce n’est pas fini

Et que tu vis avec Celui qui t’a créé.

Je t’envie, toi mon ami

Ange du Seigneur.

Tu vois enfin Marie

Mère de ton cœur.

Je t’envie toi mon ami,

Tu as trouvé enfin la plénitude,

Et si je te pleure aujourd’hui,

C’est que je n’ai pas compris que tu es béatitude…

Lionel a été le déclic, innocent et puissant, de mon attachement aux rencontres faites à l’accueil de l’OCH de Lourdes. Il a été la clé qui a ouvert mon cœur à l’Amour, alors que je le croyais brisé, fermé à jamais par un amour humain éteint.

Peut-être que ces cadeaux d’Amour nous viennent de Bernadette. Elle avait fait le vœu d’aimer jusqu’à son dernier souffle. L’amour qu’elle portait en elle, elle le propage à profusion aujourd’hui.

Je ne vivrai pas un instant que je ne le passe en aimant.

Bernadette Soubirous

Je ne peux oublier les moments où j’ai été accueilli chez les parents de Lionel.

Pendant plusieurs saisons, j’ai logé chez eux, je vivais leur quotidien et, bien sûr, celui de Lionel. J’ai pu voir ce qu’une personne handicapée peut apporter dans la vie d’un foyer : les difficultés, mais aussi les joies. J’ai pu approcher, de façon concrète, le courage et l’abnégation de ses parents, leur sens de l’accueil malgré un quotidien très chargé.

J’ai eu le privilège de pouvoir m’occuper de Lionel : repas, toilette… Ce furent des moments fondateurs de notre belle relation ! Lionel appréciait ces temps « d’intimité » partagés. Il le montrait par son attitude paisible, par une sorte d’abandon dans la confiance.

J’ai pu également partager le quotidien d’autres familles, mais seulement quelques heures dans une journée. Ce sont, cependant, des moments de partage très fort, des parcelles, des pépites de vie qui viennent enrichir mon trésor.

Ces expériences sont exceptionnelles, et font partie des nombreuses grâces que j’ai pu recevoir à Lourdes.

Ces temps forts m’ont aidé à essayer de mieux comprendre ce que peuvent nous dire les parents que nous rencontrons.

Que de beauté et d’intelligence rencontrées à la permanence d’accueil de l’OCH à Lourdes. Et c’est un tout petit qui m’a invité à poursuivre cette belle aventure.

Merci Lionel.

2

Quand le « savoir » peut devenir un « handicap »…

1. Quand le « savoir » peut devenir un « handicap »…

« Chaque année j’arrive comme si c’était la première fois, avec un regard neuf.

Sans ce “savoir” qui pourrait m’enfermer dans mes certitudes ».

Tous les ans, je me redis cette phrase, comme pour m’obliger à plus d’humilité, à plus d’ouverture aux nouvelles rencontres qui m’attendent.

Avec Lionel, mon savoir d’éducateur m’a joué des tours et m’a empêché de voir « tout de suite » le cœur de l’enfant.

Parce qu’aucune année ne ressemble à une autre et, surtout, que les maîtres « du jeu », ce sont les personnes qui franchissent la porte de l’accueil de la porte Saint-Michel, tels qu’ils sont à cet instant !

Ici, les connaissances techniques n’ont qu’un rôle secondaire, complémentaire.

Ô, garde-moi Seigneur de tout savoir avant même d’avoir rencontré mon frère !

De lui renvoyer un savoir au lieu de l’accueillir et d’écouter sa parole…

Ce savoir qui protège, comme une carapace, celui qui refuse de se laisser toucher par « un plus petit que lui ».

Ce savoir qui écrase l’intelligence de l’être fragile par celui qui est censé l’accompagner.

Ce savoir qui est aveugle et m’empêche de voir la réelle beauté de mon frère.

Ce savoir qui rend sourd et m’empêche d’entendre la joie ou la détresse de celui qui vient me rencontrer avec confiance.

Ce savoir qui rend muet celui qui a tant à dire… Parce que le savant, pour ne pas être dérangé, bousculé, ne le laisse pas parler…

Ce savoir qui sait tout…