Y a du ciel bleu dans mes passeports - Gilles Prudent - E-Book

Y a du ciel bleu dans mes passeports E-Book

Gilles Prudent

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Beschreibung

Du Chili au Japon, du Canada en Australie, en passant par l'Inde, le Qatar, le Soudan... Gilles Prudent a parcouru les cinq continents et voyagé dans plus de soixante-dix pays au cours de sa carrière, effectuée au sein d'une entreprise fabriquant des moteurs exportés aux quatre coins de la planète. Au fil de ses voyages, il a noté ses impressions, relaté ses rencontres inattendues et rapporté de savoureuses anecdotes dans un carnet, qu'il partage dans cet ouvrage, enrichi de ses souvenirs les plus marquants. Images d'un monde multiple et contrasté, récit humaniste, émaillé d'humour : un livre passionnant !

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Seitenzahl: 169

Veröffentlichungsjahr: 2023

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JE NE SAIS pas expliquer d’où vient mon goût pour les voyages, mais si je remonte le temps jusqu’au début des années 60, je me souviens de ces journées d’exception où, avec les parents, nous allions visiter le zoo de Bâle, afin de découvrir des animaux venus de pays où l’on n’imaginait pas pouvoir aller un jour. Les voyages lointains n’étaient pas pour nous, et déjà à l’époque, aller jusqu’en Suisse était toute une expédition. Pas d’autoroute, il fallait un « F » apposé sur l’arrière du véhicule, et le passage de la frontière était déjà en soi une étape de stress. Tous les véhicules étaient méticuleusement contrôlés et chacun devait présenter sa carte d’identité – mis à part les gens aisés qui prenaient l’avion, peu de Français possédaient alors un passeport. Pendant le trajet, nous pique-niquions près de l’aéroport (aujourd’hui nommé EuroAirport Bâle–Mulhouse–Fribourg), et c’est au cours d’une de ces journées mémorables que, pour la première fois, j’ai assisté au décollage du fleuron aéronautique de cette décennie, à savoir une Caravelle. J’étais loin d’imaginer qu’un jour, plus de trente années après, j’aurais le privilège de voyager à son bord, durant les derniers vols de cette magnifique machine, avant sa mise à la retraite.

Le contexte familial n’étant pas propice aux études supérieures, et mon envie d’autonomie, de liberté et de rêverie étant très forte, je n’ai eu aucune difficulté à entrer dans la vie active dès l’âge de dix-sept ans, dans une entreprise qui fabrique depuis plus d’un siècle maintenant des moteurs électriques. Pendant ma quinzaine d’années passée en production à les fabriquer, les assembler, les tester et à valider leurs performances techniques en présence des clients (on les nommait « réceptionnaires » car ils réceptionnaient le matériel), j’ai pu rencontrer les techniciens qui, après avoir validé nos produits en usine, partaient pour des destinations lointaines réaliser leur mise en route, sur les sites des utilisateurs finaux. J’étais admiratif de leur métier, et j’espérais pouvoir un jour faire comme eux.

La vie est souvent un concours de circonstances. J’ai eu la chance, au cours de ma carrière professionnelle comme il n’en existe plus aujourd’hui dans le monde de l’industrie (carrière de quarante-trois ans dans la même entreprise, commencée au plus bas comme assistant usinier, et terminée comme responsable Marché Défense avec un siège au Comité de direction), j’ai eu la chance, disais-je, de rencontrer deux ingénieurs d’exception. Le premier, Jacques, (il doit y en avoir un par génération de sa valeur), avec qui j’ai partagé durant quelques mois un bureau et qui m’a appris quantité de choses, le second, Haï, qui avait « toujours plus de solutions que je pouvais avoir de problèmes ». Un maître à qui je dois tout le savoir technique qui m’a été transmis, et qui ne doit être que le millième de ce que lui savait.

À l’époque, j’avais en charge la gestion du service client après-vente. Mon maître Haï m’ayant expliqué le fonctionnement d’une machine électrique, de manière simple et didactique, et ayant acquis l’expérience de la gestion des tests et des essais de qualification en atelier, j’avais accepté cette vaste et ingrate tâche, qui me mettait face à des problèmes techniques, qu’ils soient de la responsabilité du constructeur ou de celle de l’utilisateur. Il fallait pouvoir résister à la pression d’un client confronté à une panne, avec des enjeux financiers parfois très importants, mais ce fut là la rampe de lancement pour des voyages multiples vers les sites d’utilisation de nos machines, à travers plus de soixante-dix pays différents. Ils sont peu nombreux, les employés de cette petite usine de moins de trois cents personnes, à savoir que les produits qu’ils fabriquent sont si répandus dans le monde, et dans tous les secteurs d’activité.

La première fois que j’ai eu l’occasion de prendre l’avion, c’est à la fin des années 80, au retour d’une mission au siège de la société à Angoulême. Un vol Paris-Belfort-Fontaine (aérodrome aujourd’hui désaffecté), à bord d’un Fairchild de la compagnie TAT (elle aussi disparue). Superbe découverte de sensations et magnificence des paysages, mais l’arrivée à Belfort… Pas besoin de poste douanier, je m’étais acquitté de l’excédent de nourriture à la descente de l’avion, sur le tarmac…

Pas prêt pour les longs cours ???

D’autres missions ont suivi, principalement en France. Il fallait valider mes compétences en local avant d’investir sur des missions à l’étranger.

1986. Au cours d’une mise à niveau sur des moteurs de pompes dans une centrale de traitement des déchets nucléaires, l’info court dans les couloirs que des niveaux de radiation anormaux ont été détectés. Tout le personnel doit vérifier son détecteur portatif. Est-ce le matériel qui serait défectueux ? RAS côté centrale. Nous apprendrons deux jours plus tard, par voie de presse, qu’une centrale russe a explosé. Notre Président rassure la population, déclarant avec force de conviction que le nuage radioactif n’a pas traversé la frontière, et que le mal est resté en Allemagne… Je me dis alors qu’il est plus facile d’endormir un imbécile, qu’un gosse qui n’a pas sommeil…

Les diverses missions s’enchaînent, et je parcours désormais toute la France pour réaliser des mises en route. C’est l’occasion pour moi de découvrir nos belles régions et leurs traditions. Je ne sais pas encore que ces escapades me permettront de comparer les coutumes françaises à celles des contrées que je visiterai plus tard. Je commence à remplir mon « carnet de voyage », dans lequel je note différentes anecdotes.

Peut-être est-ce la énième rediffusion de La Grande Vadrouille qui va me pousser à faire ma première blague à mon collègue Jean. Nous sommes à Annecy, magnifique ville avec ses montagnes et son lac, mais en cette période estivale où la majorité des hôtels a été prise d’assaut par les touristes, nous ne trouvons à notre arrivée qu’un très modeste établissement, avec salle d’eau et toilettes sur le palier. Le soir venu, en regagnant nos chambres, je remarque que les numéros sont inscrits sur des cartons punaisés sur les portes. Je ne résiste pas, sitôt mon collègue dans sa chambre, à intervertir le carton des toilettes avec celui de son numéro de chambre. Il ne me reste plus qu’à attendre. Pas longtemps. J’entends des pas dans le couloir qui s’approchent de la chambre de mon collègue. Essai d’ouverture mais porte close. Patient, le client piétine devant la porte des prétendus W.-C, jusqu’au moment où il frappe à ladite porte, en demandant :

« Mais vous faites quoi là-dedans ? »

Mon collègue répond :

« Ben je dors ! »

Le client furieux tambourine à la porte, mon collègue en pyjama ouvre et comprend qui est le responsable. Un flot d’injures fuse alors dans ma direction, mais le drap remonté jusque sous mon nez, je fais le mort et m’endors avec le sentiment du devoir accompli. Belle expérience, et moment de franche rigolade à ne pas oublier !

Autre expérience mémorable, quelques mois plus tard. La descente à 1 050 mètres sous terre du puits Simon, dans la mine houillère de Forbach, en Lorraine. Nous avons là des machines spécifiques avec des pattes de fixation en forme de ski, afin que le personnel puisse, le cas échéant, les traîner au sol. Les moyens de manutention sont réduits dans les galeries. Ces hommes qui travaillent au fond de la mine m’impressionnent, tant par l’abnégation qu’ils montrent face au danger, que par leurs compétences. Quelques mois plus tard, quand j’apprendrai qu’un tragique accident est survenu dans ce puits, faisant plus de vingt morts, j’aurai une pensée émue pour tous ces mineurs qui y ont laissé leur vie. Peut-être ai-je croisé l’un d’entre eux lors de mon intervention ? Aujourd’hui encore, le site rend hommage à tous ces hommes.

C’est en 1990 que je vole à bord d’une Caravelle d’Air Inter. Même si la machine me paraît alors un peu vieillotte, le vol n’est que souvenir de mon enfance dans le champ jouxtant l’aéroport, là même où j’en avais vu une pour la première fois décoller à destination de mes rêves d’aujourd’hui. C’est ma seule expérience à bord d’une Caravelle. Signe du destin ? Début de longs voyages ? En tout cas, elle fut mise à la retraite quelques mois après ce vol.

Le premier vol longue distance a lieu en février 1989. Destination Denver, Colorado. Passionné de ski après un service militaire dans les chasseurs alpins du 27e BCA d’Annecy, j’ai décidé, pour mes trente ans, d’aller skier dans cette région des États-Unis. Ma mère, pour mon cadeau d’anniversaire, avait participé aux frais de cette expédition et j’avais réussi à négocier avec mon épouse cette absence non professionnelle après la naissance de ma seconde fille deux semaines plus tôt. Changement à New York pour un crochet de trois jours dans la famille à Montréal, où je vais pour la première fois, avant d’affronter les pentes mythiques des Rocheuses.

Me voilà, livré à moi-même à l’aéroport de Newark. Quatre heures de retard au départ de Roissy, bien sûr je rate la correspondance au départ de La Guardia pour Montréal Dorval. Pas de téléphone portable à l’époque, mon anglais réduit aux mots courants comme « Coca-Cola », « chewing-gum », « parking », trouver les navettes aéroport, faire prévenir la famille canadienne de mon retard… Ma tension artérielle est alors celle d’un astronaute au décollage de Cap Canaveral. Transpiration assurée. Enfin, grâce à la gentillesse du personnel de la compagnie Continental Airlines, la suite se passe sans encombre.

Montréal, température glaciale. Je croyais que la « petite Sibérie », comme on appelle la région de Mouthe en Franche-Comté, était la référence en termes de froid. Rien à voir. Le blizzard en ce mois de février congèle tout sur place. Mon oncle me dit qu’il peut tomber jusqu’à 7 mètres de neige en cumul sur un hiver, et pour preuve, le déblaiement de la route par les engins de déneigement laisse des murs de neige sur les accotements de plus de 3 mètres de haut ! Nous empruntons la route Transcanadienne. Je sais que la maison se trouve sur cette route, je me dis que je suis bientôt arrivé. Non. La Transcanadienne s’étend sur plus de 7 000 kilomètres ! Nous en avons pour près de deux heures avant de gagner le logis. Cette info donnée avec le sourire par mon oncle suffit à me faire tomber dans un profond sommeil, bien nécessaire après toutes ces émotions et le jet-lag.

Après ce crochet par le Canada, les États-Unis. Arrivée à Denver à 22 heures, taxi direction l’hôtel ; le Club Med s’occupe du transfert aéroport jusqu’aux stations de ski de Copper Mountain-Aspen, sur lesquelles j’avais jeté mon dévolu. Les soucis semblaient s’envoler. Erreur. À l’arrivée à l’hôtel, le chauffeur, un Noir américain de la taille d’un bulldozer, m’annonce le prix de la course, « oneandtur dollars ». N’ayant sur moi que des billets de 100 dollars, avec la bonne foi du bon Français de l’est du pays, je déclare royalement, « sorry, no monnaie », pensant dire, « désolé, pas de monnaie ». Mais le gros Black ne l’entend pas de cette oreille… C’est le concierge de l’hôtel qui m’apprend du vocabulaire supplémentaire : « pas de monnaie » se dit « no change » et non « no money », qui signifie « pas d’argent ».

Ces quinze jours passés auprès d’Américains, en complète immersion, m’ont appris l’anglais mieux que les deux années d’apprentissage de cette langue en 4e et 3e. Habitant proche de la frontière allemande, la langue numéro un était alors l’allemand, l’anglais était la seconde langue étudiée.

Il m’aura fallu attendre quatorze ans en entreprise pour que ma hiérarchie reconnaisse mes compétences, et me confie ma première mission à l’exportation. Une fois de plus, la chance me sourit : le poste pour les interventions après-vente et mise en route sur site est vacant, et je suis le seul candidat sur les rangs. J’ai carte blanche pour le gérer et le faire évoluer en fonction des besoins de nos clients.

La première destination, en 1990, est Tuxpan Vera Cruz au Mexique, plus de vingt heures de voyage. Pas mal pour une première professionnelle. Mais toujours pas de téléphone portable pour prévenir la maison que mon voyage s’est bien passé, et la concierge de l’hôtel, une Mexicaine arrogante d’un mètre cube, après avoir enfin compris mon désir d’appeler en France, me dit « maniana ». Un mot de plus à mon vocabulaire, mais pas anglais. Va-t-il falloir que je me mette à apprendre plusieurs langues ? Je goûte alors la bière locale, la seule encore aujourd’hui que je peux boire en bouteille, avec son quartier de citron coincée dans le goulot. Je découvrirai plus tard que ce détail crée des emplois à temps plein.

Ma mission a lieu sur un site de production d’énergie électrique en construction. Encore un coup de chance, c’est le site qui est responsable des pannes survenues sur nos machines. Donc pas d’échanges musclés ni d’affrontements techniques en vue. L’administrateur du site m’explique qu’il a surtout besoin de trouver rapidement une solution pour réparer et remettre en route les machines, « time is money ». La centrale doit démarrer au plus vite. Le risque financier et les pénalités de retard seront très importants si le délai n’est pas respecté.

La panne est rapidement localisée. Les pêcheurs mexicains, au lieu de passer tout leur temps de pêche en mer, ont trouvé la solution : ils viennent la nuit aux filtres d’eau de mer de la centrale (la centrale pompe l’eau de mer, la désalinise et utilise l’eau douce pour le générateur de vapeur), retirent les tiroirs filtres, récupèrent les poissons capturés par les filtres, avant de revenir le lendemain pour une autre pêche miraculeuse. Seulement, quelques malins n’ayant pas replacé les filtres correctement, les poissons, le sable et les algues sont passés dans les pompes, bloquant celles-ci. Les raccordements des systèmes d’alarmes qui protègent les moteurs contre les températures extrêmes n’ayant pas été bien réalisés, voire pas réalisés du tout, les moteurs ont grillé. L’heure est maintenant à trouver un atelier capable de les réparer, ma mission étant de superviser le travail réalisé localement. 180 kilomètres en 4x4 par des pistes complètement impraticables par un Européen, mais très faciles pour un Mexicain.

Durant les six heures de route, je découvre un paysage incroyable. La végétation est luxuriante, le temps semble s’être arrêté dans les années 50. J’aperçois une école, baptisée « Escuela Emiliano Zapata ». Elle est faite de bric et de broc, le toit est en tôle ondulée, les enfants semblent heureux de s’y rendre. Un camion bourré de pastèques est garé sur le bas-côté, le chauffeur nous hèle, ayant repéré de potentiels clients. Un marché se tient en bord de route. On peut y trouver tout et n’importe quoi. Nous faisons une halte pour déguster des fruits locaux. La boucherie et son étal sont quasi à ciel ouvert. Une toile percée, délavée et d’une propreté plus que douteuse, abrite à peine l’étal contre le soleil implacable. Les mouches pullulent sur les morceaux de viande accrochés à une barre en fer, fixée tant bien que mal aux supports de la toile.

La boucherie du marché au Mexique

Tout ici est naturel. L’échoppe Luncheria y Cocktaileria propose du « mezcal con gusano », un alcool local fait à partir d’agave, agrémenté d’une larve d’insecte gusano qui macère pour relever le goût. Chacun son plaisir… Le plus surprenant, ce matin-là, c’est la boutique de confiseries. J’observe un gamin qui donne une pièce de monnaie au marchand. Celui-ci lui ouvre un pot, le gamin plonge sa main dedans. Le marchand compte jusqu’à cinq, et le gamin retire sa main. Elle ressort couverte de…, disons d’une sorte de cancrelats genre doryphores, qui grouillent et remontent le long de son avant-bras, et qu’il se dépêche de manger vivants ! Bon appétit, mon petit. Même sans carnet de vaccination à jour, tu as l’air en pleine forme.

Six heures plus tard, nous atteignons enfin l’atelier de réparation. Malgré les moyens rudimentaires pour réparer, le résultat semble correct. Je me dis alors que dès que les machines tournent, je me sauve vite fait de cet endroit. À peine une semaine loin de la maison que j’ai déjà l’ennui de mon pays. Suis-je fait pour les longs voyages ?

Retour sur le site. Le risque financier étant levé, et la responsabilité de l’organisme de sécurité du site quant aux pannes ayant été établie, ma récompense pour le travail bien fait est une petite enveloppe en dollars, qui me permettra d’acheter, dès mon retour en France, une moto 125 cm3 à l’instituteur de mon village, et de m’offrir une après-midi de visite à Teotihuacan avec son temple du soleil. Le personnel du site me choie et me fait découvrir une partie du Mexique. À Acapulco, nous trouvons un restaurant de plage où, après un repas de fruits de mer sublime, une jeune fille monte à un cocotier, en redescend avec une noix qu’elle taille à la machette et remplit de tequila, de glace et de jus d’ananas. La noix m’est servie alors que je suis allongé dans un hamac. Elle n’est pas complètement mûre et la chair blanche, améliorée de l’alcool et du jus de fruit, ressemble à un yaourt. Les effets secondaires sont dévastateurs après la troisième noix. Ce jour-là, c’est la tombée rapide de la nuit sous les tropiques, sur une plage de l’océan Pacifique, avec la fraîcheur qui l’accompagne, qui met fin à ma sieste alcoolisée. Le hamac pour la dégustation était de rigueur !

À l’aéroport de Mexico, l’attente est longue avant le retour en France. J’aperçois alors une échoppe barbier cireur de chaussures. Je décide, avant le long voyage qui m’attend, de tester le barbier. Il me fait asseoir sur un fauteuil à confort réduit, et m’applique sur le visage des serviettes humides et très chaudes, qu’il vient remplacer toutes les deux minutes. Au bout de la troisième, je le vois affûter son coupe-choux sur une lanière de cuir. Je n’avais vu cette technique qu’à la télé : le cowboy avait alors appuyé son revolver sur la hanche du barbier pendant toute la durée du rasage. Je souris, rassuré, puisque de toute façon, je n’ai pas de revolver… N’empêche que je n’aurai pas à me raser durant les trois jours suivants.

C’est cette vie-là qui me convient. Travailler, voyager, profiter des bons moments. Je suis prêt pour l’aventure ! J’oublie que trois jours plus tôt, il me tardait de rentrer.

Seconde mission, la Chine. Nous sommes deux ans après la révolution de la place Tian’anmen. La police chinoise, violente, est partout présente et la misère est visible à chaque coin de rue. Les gens paraissent résignés. Ici aussi, le temps semble s’être arrêté. Les routes ne sont que nids-de-poule, avec des contrôles routiers tous les dix kilomètres. Une police qui montre clairement ses envies de sévir. Çà et là quelques immeubles, mais surtout ce que je nommerais, des cabanes, construites avec les moyens du bord. Un niveau de pauvreté que je ne pouvais imaginer à l’époque. Sans parler de la pollution de l’air à Pékin, et des détritus dans tous les endroits où mon regard se porte ; pourtant, nous sommes dans la capitale de la Chine. Les infrastructures sont minimes, donc le trafic routier est encombré au maximum, avec des chauffeurs qui n’ont de chauffeurs que le nom. Le supplément, c’est la chaleur étouffante, avec un ciel voilé. Des gens transportent sur leurs épaules, au bout d’un long manche en bois, d’énormes sacs de riz. Je vois passer un train à vapeur. Une fillette mène une vache dans la rizière. Des femmes lavent le linge au bord d’une rivière. La France des années 30, je suppose. Pays fermé, rien à voir avec la Chine de 2023, celle qui nous est montrée à la télévision, avec sa capitale toute moderne où l’on a repeint les pelouses en vert pour donner une illusion de verdure aux spectateurs des JO d’été de 2008.

Pour cette mission, je dois intervenir dans une usine de tréfilerie (fabrication de câbles). Il y a un gros problème vibratoire, empêchant une production normale. Rallier depuis Pékin le site de Xinyu est une aventure. Avion, voiture, traversée de rizières, traversée d’un fleuve en bac (le pont est en projet), ensuite taxi de la police politique, qui semble accorder une importance très relative à la vie des pauvres hères qui cheminent au bord de la route, disons plutôt, de la piste caillouteuse, chargés comme des mulets de toutes sortes de marchandises.