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À la frontière du réel et de l’imaginaire, 10 récits d’ici et d’ailleurs – Une plongée dans le cœur du XXI siècle est un saut dans différents univers propres au XXI siècle et à ses enjeux. Sur les traces d’un périple entre technologie, rapports sociaux et problèmes environnementaux, chaque texte y peint un tableau singulier, aussi inquiétant que fascinant…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Passionné d’histoire, de mythes et de légendes,
Grégoire Giraud Chevalier fait naître de nouveaux univers à travers ses écrits. Suivant sa volonté de faire émerger des personnages particuliers dans un monde se rapprochant du nôtre, ses textes sont empreints de ses perceptions du monde qu’il façonne selon son imaginaire.
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Seitenzahl: 98
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Grégoire Giraud Chevalier
10 récits d’ici et d’ailleurs
Une plongée dans le cœur du XXIe siècle
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Grégoire Giraud Chevalier
ISBN : 979-10-377-8991-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Elle
Hier soir, elle lui avait téléphoné, elle était en pleurs. Elle tenait dans sa main une arme et trois cadavres se trouvaient à ses pieds. C’était le décor dans lequel elle avait atterri, le décor choisi par son époux, son bourreau, son auteur.
En découvrant la scène, elle avait été prise de panique, inquiète des événements qui allaient suivre. Elle paniquait face à l’idée de devoir suivre l’histoire qu’il allait imaginer pour elle. Car oui, c’était lui l’auteur, c’était lui qui dirigeait tout, qui la tenait prisonnière dans ce décor qu’elle n’avait pas choisi. Elle le savait, elle le voyait sans pouvoir s’en échapper, c’était le poids des mots qui dictait chacun de ses gestes. Il avait un droit de vie ou de mort sur elle, et elle n’y pouvait rien. Par une simple phrase, il pouvait la faire disparaître ou la réanimer. Il pouvait la changer en reine ou en criminelle, en chanteuse ou en amazone. Elle était donc soumise au moindre de ses mots, aux scénarios qu’il avait pour elle. Malgré tout, elle avait gardé confiance en lui, parce qu’elle l’aimait et parce qu’elle n’avait jamais eu aucune possibilité de fuir les récits dans lesquels il la plongeait.
Mais la situation avait brusquement changé, puisqu’elle avait réussi à lui téléphoner. Elle l’avait appelé tard dans la nuit pour le supplier de mettre fin à cette nouvelle histoire sordide. Elle l’avait appelé pour lui demander d’arrêter d’écrire, pour le supplier de la laisser sortir. Elle ne supportait plus tous ses univers de fiction, tous ses combats, toutes ses romances à dormir debout. Ce qu’elle voulait, c’était le calme et la possibilité de choisir sa vie, de ne plus dépendre de lui. Elle voulait reprendre le contrôle de son existence, écrire sa propre histoire et ne plus subir celle d’un écrivain tourmenté qu’elle avait su aimer dans la fleur de l’âge.
Elle ne supportait pas le décor autour d’elle, l’odeur du sang dans la pièce lui donnait envie de vomir. Elle suffoquait dans cet environnement malsain, elle n’aimait pas ce lieu fermé, inhospitalier. Elle regardait passivement les trois corps à ses pieds. Elle ne les connaissait même pas. Elle ne les avait pas tués, elle le savait. Tout ça n’avait aucun sens, aucune raison d’être.
Le bruit des sirènes de police vint mettre fin à cet instant de pleine conscience et de dégoût. Malgré ce début de rébellion, elle avait fini par raccrocher le téléphone et s’était mise à courir en dehors de la maison, laissant derrière elle les corps ensanglantés. Elle s’était échappée par une porte à l’arrière de l’immeuble. En sortant dans la rue, elle s’aventura instinctivement dans ce nouveau décor qui semblait familier. Après avoir parcouru plusieurs rues, elle comprit qu’elle était dans la banlieue ouest de Londres où elle avait vécu dans le passé avec son mari. Elle se souvenait de ce lieu, elle y avait vécu de belles années. C’est en observant l’entrée du métro qu’elle eut un nouvel élan, une révélation. Elle savait où elle se trouvait, elle savait où elle devait aller à présent. Elle marcha donc instinctivement vers sa prochaine victime tout en sachant qu’aucun retour en arrière ne serait possible.
Lui
Il écrivait depuis son bureau en préparant le développement de son histoire et de son héroïne. L’assassinat de ces trois hommes politiques serait le point de départ de sa nouvelle création littéraire. Il la fit hésiter avant de poursuivre son chemin. Il l’avait placée dans un décor qu’elle connaissait bien, qu’il connaissait bien. Il prenait plaisir à la transformer ainsi au fil de ses textes, à la mettre dans des situations à risques. Il aimait faire d’elle un personnage plein de fougue et de mystère. Elle était si belle dans ses textes, plus forte que jamais, pleine d’assurance et de volonté. Il l’aimait dans la personnalité qu’il lui donnait. Il l’admirait dans son élégance, son charme, sa force morale et parfois dans sa capacité à tuer de sang-froid. Grâce à la fiction, il pouvait la transformer en femme fatale, en paysanne, en féministe ou en tueuse en série. Tout était possible pour son héroïne préférée, son modèle de toujours. Il pouvait grâce à elle réaliser tous ses fantasmes au travers de l’écriture, en donnant vie à tous les personnages féminins qu’il avait à l’esprit et qui s’incarnaient dans une seule héroïne aux mille visages : sa femme. Il écrivait depuis des années à son sujet, il l’avait rêvée par bien des aspects, il s’était efforcé de créer un personnage unique, parfait, inspiré de celle qu’il avait tant aimée par le passé. C’était sa façon à lui de continuer à être avec elle, au milieu de toutes ces aventures.
Seulement, voilà, elle l’avait appelé pour lui demander d’arrêter. Ou plutôt, il avait reçu un appel mystérieux d’une femme qui le suppliait d’arrêter. Il avait cru à une blague, mais cet appel n’avait pas cessé de le tourmenter depuis hier soir. Il n’avait pas pu fermer l’œil de la nuit. Il ne comprenait pas pourquoi il avait reçu cet appel. D’autant plus, qu’il n’avait pas écrit cela ! Il n’avait pas voulu que ça arrive. Cette action ne correspondait pas du tout à la trame du récit. Et malgré tout, les lignes s’étaient ajoutées machinalement, sans qu’il puisse les effacer.
Cet incident n’était pas anodin, il s’inscrivait dans une suite inquiétante de mouvement de rébellion de la part de son héroïne qui lui échappait de plus en plus dans ses récits. Au fil des anomalies, il comprenait que l’univers fictionnel lui échappait peu à peu. Il s’inquiétait de voir sa femme s’émanciper ainsi de sa tutelle bienveillante, de la voir le défier ouvertement. Il avait de plus en plus peur que la situation lui échappe tôt ou tard. La seule solution était donc d’écrire, d’occuper son héroïne le plus possible pour couper court à ces élans de révolte. L’ultime recours serait de la faire disparaître dans son récit. Il en avait le pouvoir et il le savait. Mais comment pouvait-il accepter de tuer un personnage qu’il avait mis tant de temps à développer ? Toutes ces questions le tourmentaient et l’inquiétaient.
Elle
Elle courait à présent au milieu d’une rue déserte, la nuit était déjà bien installée. Elle se dirigeait instinctivement vers le centre de Londres, contournant la trame du récit de son oppresseur. Après avoir pris le bus, elle arriva finalement dans une des rues du quartier proche de l’église Saint-Paul. Elle était plus déterminée que jamais à accomplir sa destinée, elle ne reculerait plus à présent. Elle ne se plierait plus sous le poids des mots. Son cœur battait de plus en plus vite en y pensant. Elle sentait monter en elle un sentiment nouveau, une rage intérieure. Elle se sentait plus vivante que jamais. Elle se mit à courir le plus vite possible, sans réfléchir, elle avançait au cœur de la capitale anglaise dans l’obscurité, avec du sang sur les mains qu’elle cherchait tant bien que mal à dissimuler. Elle devait se dépêcher, être imprévisible pour ne pas être repérée, pour ne pas qu’il ait le temps de la voir arriver.
Après une course frénétique de vingt minutes, elle s’arrêta au bas d’un très bel immeuble. Elle connaissait déjà le code et l’étage, il ne lui restait plus qu’à monter les escaliers pour ouvrir la porte de l’appartement 3 C.
Après une nouvelle hésitation, elle se décida finalement à forcer le destin et à entrer dans l’immeuble. Elle savait que maintenant les rôles allaient changer, qu’elle ne serait plus cette créature fictionnelle et silencieuse. Elle allait écrire sa propre histoire, sa propre vie. Elle avait toujours l’arme dans son sac. Elle se sentait prête à passer à l’acte, elle avait le sentiment d’être une véritable tueuse en série, pleine de sang-froid. Elle poussa la porte de l’immeuble, sûre d’elle et elle monta les marches de l’immeuble. Elle le savait, le seul moyen de sortir de cette prison, c’était de supprimer l’auteur qui l’avait ramené à la vie sans son consentement. Elle monta les marches une à une, dans le silence de la nuit. Elle arriva enfin devant la porte de l’appartement au troisième étage et se figea devant la porte.
Lui
En lisant les lignes qui s’écrivaient sous ses yeux, il eut un mouvement de panique. Il cherchait par tous les moyens à reprendre le contrôle sur son récit, sur son héroïne. Il avait laissé l’histoire en suspens et il venait de s’apercevoir qu’elle avait continué sans lui ; si bien qu’elle se trouvait à présent en bas de son immeuble. Il chercha à la faire hésiter, à la faire capturer par les policiers, mais c’était déjà trop tard, les lignes défilaient devant lui sans qu’il puisse supprimer le moindre mot. Elle était arrivée devant la porte de son appartement.
Il y eut un bruit sourd et la porte se brisa sous les coups de pied rageurs de sa femme. Il leva les yeux de son écran et tout son corps se figea. Elle était là, devant lui, l’arme à la main. Sa femme, son héroïne, se tenait juste devant lui. Elle venait de franchir la frontière entre la fiction et le réel. Était-ce une hallucination, un délire ? Il regarda dans le détail cette femme devant lui et aucun doute ne semblait possible. Elle ressemblait parfaitement à son personnage qu’il avait décrit dans les moindres détails au cours de toutes ses histoires. Elle était si belle et si forte, elle ressemblait à une véritable tueuse à présent, à une femme blessée, certaine de ses choix. Il avait devant lui, la femme qu’il avait créée, une femme libre et indépendante, une femme qui ne craignait pas de sortir de son rôle et de changer le cours de son histoire. Il ne put s’empêcher de verser une larme en observant son œuvre prendre vie devant ses yeux. Cette femme face à lui le terrifiait autant qu’elle le fascinait.
Elle
Elle le regarda avec un sourire glacial. C’était donc lui son auteur, son bourreau, son époux. Il semblait bien maigre et son allure était repoussante. Elle s’approcha de lui sans prononcer un mot, elle observa la pièce, le superbe bureau depuis lequel il écrivait. Elle aurait voulu lui parler, lui dire son mépris, sa haine. Mais elle ne pouvait pas, elle devait agir vite, elle devait se libérer maintenant. Elle braqua donc son arme sur lui et tira, cette fois, sans la moindre hésitation.
L’auteur s’effondra au sol, il ne poussa pas de cri, ne laissa rien paraître. Juste après le coupe de feu, elle sentit quelque chose se rompre en elle, une sorte de paralysie, une sensation de froid. Son cœur se figea à son tour et elle se laissa tomber au sol. Les deux corps étaient dans la même pièce, l’un réel, l’autre fictionnel. La pièce était maintenant silencieuse et sur le haut de la page de l’ordinateur, le titre apparut soudainement : fiction dangereuse.