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Une histoire se façonne de mille manières, selon la voix qui en tisse les fils. Mais que se passe-t-il lorsque ces voix s’entrelacent et brouillent les contours de la réalité ? "10 Histoires difficiles à croire" vous ouvre les portes d’un monde où des récits parfois troublants prennent forme. À travers des personnages énigmatiques, le corps et l’esprit se mêlent, et les perspectives se multiplient, créant un jeu d’ombres et de lumières. Explorez cet univers insolite où la frontière entre le réel et l’illusion se dissout, laissant s’effondrer les certitudes les plus ancrées.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dès son enfance,
Grégoire Giraud-Chevalier a été fasciné par les histoires, mythes et légendes. Ces récits ont éveillé en lui le désir d’écrire, afin de créer des univers inédits et d’enrichir l’imaginaire collectif par des idées nouvelles.
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Seitenzahl: 185
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Grégoire Giraud-Chevalier
10 histoires difficiles à croire
À la frontière du corps et de l’esprit
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Grégoire Giraud-Chevalier
ISBN : 979-10-422-4048-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je vous en prie, prenez place. Installez-vous confortablement dans votre canapé, sur un transat au soleil, face à la mer ou dans un café si c’est l’été. Si vous commencez votre lecture en hiver, je vous recommande vivement de le faire sous un plaid, près d’un feu de cheminée ou dans votre bureau bien au chaud. L’important c’est que vous soyez bien, que votre corps soit apaisé pour profiter pleinement des histoires que je vais vous raconter. Je les ai choisies distinctes, tout en gardant une trame commune, celle de la multiplicité des points de vue.
Maintenant que vous êtes confortablement installé(e), je vous propose de commencer. Je vous souhaite, cher lecteur et chère lectrice, un bon moment.
Bonne lecture !
En s’approchant du centre de transfert, Baptiste sentit monter en lui une forme de peur nouvelle, une inquiétude intense et forte. Il avait tout essayé pour éviter de se retrouver là, dans cette situation. Il avait cherché par tous les moyens à mettre sa femme et ses enfants à l’abri de manière honnête. Mais la misère semblait indissociable de sa personne, elle lui collait à la peau, elle l’obligeait à faire ce choix difficile. Il devait continuer à les nourrir, et comment le faire dans un monde du travail en crise, dans lequel il n’avait pas sa place ? Sans véritable alternative, il s’était donc résigné à prêter son corps à l’un de ces riches milliardaires. Ce serait son sacrifice à lui, sa façon de témoigner son amour pour les siens. Le prêt de son corps sur vingt ans rapportait un demi-million à sa femme Ariane, dès la signature, et un autre à la fin de la période dite de transfert. C’était sa seule chance, son ultime sacrifice pour eux.
Guidé par son amour, il s’était donc mis en marche en ce matin d’hiver. Une fois arrivé devant le centre de transfert aux marges de la ville, il avait été frappé par le nombre de personnes qui, comme lui, se trouvaient dans la queue avec l’espoir d’être sélectionnées. La misère et l’espoir drainaient cette foule vers la résignation, vers la seule échappatoire possible : le transfert d’esprit. Ce centre biologique devant lui ressemblait à un ancien bâtiment de l’époque soviétique. Il s’élevait en plein milieu de la banlieue nord de la ville, dans un environnement lugubre et sans la moindre forme de vie aux alentours.
Baptiste resta dans ce décor sinistre pendant deux heures avant de pouvoir pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. Après une batterie de tests pour évaluer sa compatibilité et cartographier ses fonctions cérébrales, il arriva finalement dans une salle toute blanche équipée d’un écran digital. L’écran s’alluma et le visage d’un homme à l’agonie dans son lit d’hôpital apparut face à Baptiste. L’homme en question rassembla ses quelques forces restantes pour observer dans le détail le corps de Baptiste avant de hocher la tête en signe d’approbation. Le visage s’effaça et la pièce fut plongée dans le noir. Après un court instant, une voix résonna dans la pièce :
En entendant les mots prononcés dans les haut-parleurs de la pièce, Baptise ne sut pas s’il devait se réjouir ou pleurer en entendant cette nouvelle qui marquait la fin de sa liberté pour une période annoncée de vingt ans. Il avait été sélectionné parmi les milliers de personnes qui, comme lui, espéraient une autre vie. Il quitta la salle, emportant avec lui le contrat de cession qui lui était proposé.
Le lendemain, les cris avaient longtemps résonné dans la maison, des reproches et des incompréhensions avaient animé la longue querelle entre Baptiste et Ariane. Malgré les supplications et les larmes de sa femme, ce dernier n’avait rien voulu entendre. Il s’était résigné depuis longtemps à jeter son corps en sacrifice pour eux et rien ne pourrait l’en empêcher, pas même le désespoir qui se lisait sur le visage d’Ariane, incapable de le soutenir dans cette démarche pathétique.
C’est donc plein d’amertume et de remords que Baptiste avait fini par prendre la route du centre d’opérations dont l’adresse lui avait été communiquée dans la nuit. Baptiste se voyait comme un homme d’honneur. Il se posait par son geste de sacrifice en sauveur pour sa femme et ses deux filles, et même s’il devait y laisser son corps et ses plus belles années, il n’avait aucun doute sur sa décision. Il s’en voulait simplement de s’être disputé avec Ariane et de l’avoir quitté aussi violemment. En marchant sous la pluie, il avait ainsi versé quelques larmes en pensant au désespoir affectif dans lequel il l’avait mise. Il espérait qu’avec le temps elle finirait par comprendre et lui pardonner ce départ.
Une fois arrivé au centre, il avait effectué des tests complémentaires avant de signer son contrat de cession qui l’engageait pour une durée de vingt ans à la suite du transfert. Tout avait été très vite et Baptiste, sans se rebeller, avait signé d’une main ferme le document. Il s’était persuadé de faire la bonne chose, de se sacrifier justement pour les siens. Comment aurait-il pu accepter de la voir mourir de faim à petit feu, alors qu’il pouvait les sauver ?
Quelques heures plus tard, en s’allongeant sur la table d’opération, il eut une dernière pensée pour ses deux filles et sa femme Ariane. Il les aimait plus que sa propre vie. Il ferma les yeux en sachant qu’il ne les ouvrirait plus pendant les vingt prochaines années et qu’à son retour, ses filles seraient adultes et sa femme aurait vieilli de vingt ans. Son cœur commença à ralentir, et rapidement, le silence s’installa dans sa tête. Il abandonna progressivement son corps au milieu de la salle d’opération, un corps hôte qui allait pouvoir recevoir les souvenirs et la conscience d’un riche milliardaire au bord de la mort.
Lionel
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Lionel fut pris d’un sentiment de panique. Il ne sentait plus le poids de ses jambes ni les douleurs dans le bas de son dos. Il ne comprenait pas où il se trouvait. Était-il vivant ou mort ? Il paniquait. Sa conscience ne comprenait pas où elle s’était réveillée. Elle était apeurée, terrifiée par ce corps au milieu duquel elle se trouvait. Lionel poussa de violents cris et s’agita pour essayer de se défaire des sangles qui le maintenaient attaché au lit de la salle d’opération. Ce n’est qu’après un long moment d’explications et une dose d’anesthésiant qu’il reprit peu à peu ses esprits et commença à se détendre dans ce nouveau corps.
Passé le moment de peur et d’incompréhension, Lionel se mit rapidement à apprécier la sensation de légèreté de ce corps, cette sensation qu’il n’avait plus ressentie depuis si longtemps. Il se sentit soudain libéré du poids de la vieillesse et eut la sensation de pouvoir tout recommencer, d’avoir à nouveau de belles années devant lui avec ce corps parfaitement fonctionnel. Vingt ans de plus, c’était le temps qu’il venait d’arracher à la mort en s’appropriant ce corps, il eut un sourire en y pensant. Il faisait partie des privilégiés qui avaient pu se payer un transfert de leurs souvenirs et de leur esprit.
Après une batterie de tests et le versement d’un demi-million d’euros, il put repartir avec ce corps flambant neuf dont il pourrait user à sa guise pendant les vingt prochaines années. En réalisant ce qui venait de se produire, Lionel eut un grand moment de joie intérieure. Il repensa à toutes ses réticences lorsque le programme lui avait été présenté, à son manque d’ouverture sur le sujet des transferts encadrés. Car finalement, c’était un contrat comme un autre, une location bien rémunérée qui lui permettrait de continuer à vivre, de profiter d’une nouvelle jeunesse, tout en aidant une personne dans le besoin.
En sortant du centre biologique, il ne put retenir ses larmes en observant toute la beauté du monde au travers d’un regard neuf, jeune et plein de vie. Il se sentait bien dans ce corps, il aimait cette sensation de force et de vigueur. Le poids des années s’était envolé, lui laissant la possibilité de profiter à nouveau de ce vaste monde qu’il avait tant aimé dans sa vie. Devant le centre, une voiture l’attendait avec, à l’intérieur, son assistant. En lui ouvrant la porte, il admira la réussite de l’opération, il avait beaucoup entendu parler de ces transferts, mais c’était tout autre chose de voir le résultat final. Il salua son patron défunt en admirant son nouveau visage. Lionel monta dans la voiture et prit le chemin de la ville, il voulait croquer la vie à pleines dents sans plus attendre. Il avait le sentiment d’être un homme nouveau, prêt à conquérir le monde. Dès l’après-midi, il prit le temps de flâner dans les rues de la ville, de profiter de sa richesse en dépensant des sommes considérables. Il savoura chaque minute et chaque chose comme une redécouverte. Il pouvait enfin s’appuyer sur son immense fortune pour profiter d’un repos bien mérité. Ce fut en tout cas le point de départ de cette nouvelle étape de sa vie dans ce corps plein de potentialités.
Baptiste
Un flash, une envie, et tout redevint clair. Lorsque l’esprit de Baptiste émergea de son sommeil, il eut un sursaut, un mouvement de panique. Il flottait dans un espace, dans une sorte de lieu indéfini. Son esprit s’agita vite en constatant qu’il ne déclenchait pas la moindre réaction dans son corps, il n’avait plus de lien direct, plus d’emprise sur lui. La peur l’envahissait, il se sentait incapable de parler, de bouger ou d’exprimer toute sa frayeur. C’était une sensation atroce, cruelle et inhumaine que de penser sans déclencher de mouvement. Baptiste ne percevait pas son corps, il ne sentait aucun battement de son cœur, aucune sensation. Après une longue minute, il put apercevoir des couleurs, de la lumière. Il venait d’ouvrir les yeux, ou du moins de se connecter avec eux, il chercha à les fermer sans y parvenir. Il se voyait simplement marcher dans la rue sans rien contrôler. Il voulait crier, changer la direction de son regard, changer sa perception ou utiliser ses sens. Mais après plusieurs tentatives sans succès, il fut pris d’une sensation atroce, il commença à se dire qu’il était complètement bloqué dans son propre corps, incapable de s’en défaire. À l’intérieur, il bouillonnait, il voulait, criait, gémissait, hurlait, mais à l’extérieur, son corps ne réagissait pas, il était loin de lui, contrôlé par un autre. Baptiste, après quelques observations, comprit que Lionel était le chef d’orchestre de ce corps dans lequel lui se trouvait impuissant. Plusieurs personnes l’avaient salué sur son passage, confortant Baptiste dans son analyse et dans sa torpeur, après de très longues minutes, il dut se résoudre à l’impensable, il était prisonnier de son propre corps.
L’effroi continua pendant de longues heures sans que Baptiste ne puisse se résigner à son terrible sort. Mais au cœur de cette horreur, il trouva peu à peu des lueurs d’espoir, il chercha à se rassurer quant à son sort. Même si tous ses points d’ancrage venaient de disparaître, il pouvait continuer à penser et à réfléchir, n’était-ce pas le plus important ? C’était étrange, car pour la première fois de son existence, il était extérieur au monde, comme un simple observateur de la situation dans laquelle il évoluait. C’était une impression terrifiante et fascinante, un mélange entre deux personnes dans un seul et même corps, une cohabitation subie, sans que son alter ego n’en soit conscient. C’est d’ailleurs ce qui le tourmentait le plus, car il n’avait aucun moyen de faire savoir à son utilisateur qu’il était coincé là, réveillé dans son corps occupé et utilisé par un autre.
Lentement, Baptiste redevint maître de lui-même et décida d’accepter la situation. Il avait toujours su rester pragmatique et confiant même dans les pires situations. Il se persuada qu’il pourrait trouver une solution, que son réveil n’était pas le fruit du hasard et qu’il devait sans doute être à la fin de la période de prêt. Mais cet élan de confiance fut bien vite balayé lorsqu’il aperçut sur un journal la date du jour, elle indiquait que seulement deux semaines s’étaient écoulées depuis la cession de son corps au centre biologique.
Face au journal, il perdit pied, tout son être, toute son identité ne pouvait rien face à ce constat indépassable : il lui restait vingt ans avant de retrouver son corps, vingt ans dans la peau d’un autre. Aucun esprit même le plus résilient n’aurait pu faire face à un tel choc. Baptiste sombra donc dans une phase de démence, emporté par la folie pour se protéger de la cruauté de l’information. Il tournait dans tous les sens, imaginait les pires atrocités, se laissant glisser vers une sorte d’abysse infernal. Cet état dura pendant plusieurs jours pour l’esprit de Baptiste, jusqu’à ce que la lassitude vienne le ramener à la réalité, être fou n’était pas si simple lorsque l’on ne possédait plus de corps, plus de possibilité d’exprimer cette folie. C’est ainsi que Baptiste se laissa progressivement revenir. Il décida de se laisser porter, de voir au travers des yeux de son locataire. Il chercha à rationaliser, à se dire qu’il pourrait s’y habituer, n’était-ce pas le propre de l’homme de toujours savoir survivre même dans les pires situations ? Fort de cet espoir, Baptiste galvanisa son esprit et se laissa renaître, il s’accrocha à l’espoir de pouvoir penser et trouver une échappatoire, il devait y avoir un moyen, une porte de sortie.
Cette tentative fut de courte durée et Baptiste, après quelques jours, comprit qu’il ne supporterait jamais de rester ainsi pendant les vingt prochaines années. Voir la vie d’un autre au travers de son ex-corps n’avait rien de réjouissant. Baptiste avait pu observer, mais il ne ressentait aucune sensation, rien de tangible. Son regard sur le monde était tellement différent dans cette position, les plaisirs de la vie semblaient si futiles et ignobles sans les sensations qu’ils procuraient au corps. L’alcool sans l’ivresse était la pire des atrocités, le sexe et le sport semblaient interminables pour l’esprit d’un spectateur inerte, incapable de recevoir la moindre dose d’endorphine ou de dopamine. Le monde sans corps était pauvre, fade et sans intérêt. La seule chose qui plaisait à Baptiste, c’étaient les moments consacrés à la lecture ou au cinéma, car il pouvait lui aussi suivre le récit au travers des yeux de son utilisateur. L’art s’adressait à tous et lui donnait un point auquel se raccrocher face à cette angoisse qui le rongeait.
La cohabitation imposée tournait au fil des jours au cauchemar et une haine s’installait dans l’esprit de Baptiste, une violence brutale, une envie de meurtre absolue de son locataire qui utilisait son corps d’une manière abjecte et ignoble. Être condamné à regarder cette dépravation et cette vie dissolue que vivait par procuration Lionel paraissait pour Baptiste comme une épreuve impossible. Le plus insupportable pour Baptiste, c’était d’observer les sommes dépensées par son locataire. Cette indécence et cette frivolité alimentaient chaque jour son envie de le tuer, de le torturer jusqu’à ce qu’il le supplie. Baptiste voulait reprendre la main sur son corps et se débarrasser de cette vermine qui l’utilisait. L’esprit de Baptiste se fortifia progressivement, il fut convaincu que son réveil avait eu lieu pour une bonne raison, qu’il serait le premier à éliminer son locataire, à se rebeller contre ce système sans âme. Cette idée de meurtre l’habitait, le maintenait en vie, elle lui donnait une source d’espoir, celui de sortir un jour de cette prison en s’échappant.
Lionel
Cela faisait plus d’un mois que Lionel utilisait son nouveau corps avec une joie grandissante. Il avait enfin pu prendre du temps pour lui, pour profiter de sa fortune, pour s’offrir du bon temps et pour retrouver des sensations de sa jeunesse. Tout ce bruit, tous ces divertissements étaient une source de satisfaction. Lionel aimait flâner, profiter de sa carrure sportive pour capter les regards. Il papillonnait avec les filles. Une part de lui avait toujours aimé cette accumulation de plaisirs. Avec l’âge, il avait dû se résoudre à être plus raisonnable, mais à présent, il se sentait intouchable, surpuissant dans ce corps dont il disposait à sa guise. Alors il profitait, il dépensait sans compter, sans autre but que de profiter de ces années qu’il avait su gagner en signant un gros chèque.
Pourtant, malgré cette accumulation de plaisirs, Lionel ressentait toujours un vide, une inquiétude. Il ne pouvait chasser l’idée de sa tête, celle de la nouvelle échéance qui lui avait été imposée. Il savait que son temps était véritablement limité cette fois-ci et qu’il devrait nécessairement rendre ce corps à la fin du délai légal. Il avait beau danser, faire l’amour, conduire à toute vitesse, sa montre venait toujours lui rappeler que ces plaisirs s’arrêteraient dans vingt ans. Cette perspective l’empêchait de se sentir pleinement heureux, de s’abandonner complètement. À mesure qu’il s’appropriait ce nouveau corps, il refusait l’idée de devoir le rendre. Il rêvait d’échapper définitivement à la mort en restant dans ce corps jusqu’à sa mort, puis dans un autre sans jamais laisser derrière lui le monde. Ce qu’il lui manquait au fond, c’était la perspective de pouvoir recommencer indéfiniment, de pouvoir se débarrasser de son hôte et d’autres hôtes. Il pouvait se le permettre, sa fortune de milliardaire lui permettait de vivre toujours et encore sans que jamais l’aurore ne disparaisse.
Bien sûr, il y avait cette loi sur les transferts, c’était un frein légal à cette pratique, elle les encadrait scrupuleusement en s’assurant que seuls les centres disposent de la capacité à les effectuer, dans la limite d’un contrat par être humain. Toute tentative pour contourner la loi était punie par une mort cérébrale et par un emprisonnement à vie des complices. Certains avaient essayé par le passé de la modifier ou de la supprimer, sans jamais y parvenir. Cette loi garantissait un socle d’acceptabilité pour les plus démunis, la supprimer, c’était comme de détruire tout un système, toute une économie et personne ne voulait s’y risquer.
Mais après plus d’un mois, l’obsession de Lionel devint tellement forte qu’il décida de s’y risquer. Son envie n’avait plus de limite et après un mois supplémentaire de frustration au milieu de l’agitation, il prit la décision de s’emparer pleinement du corps de son hôte. Ce serait sa première victoire, elle lui assurerait la possibilité d’effectuer un nouveau transfert sous l’identité de Baptiste et de continuer ensuite indéfiniment.
En buvant sa tasse de café un matin de mars, il commença à préparer son plan. Pour parvenir à ses fins, il débloqua des fonds considérables pour créer un comité de recherche clandestin et pour recruter cinq scientifiques. Il avait été difficile à convaincre, mais les millions déployés par Lionel avaient permis de dissiper les doutes de ces derniers. L’objectif était clairement affiché, il leur avait octroyé un délai d’un an à l’issue duquel ils devraient avoir trouvé une solution pour tuer son hôte et lui assurer le contrôle total de ce corps où il se trouvait à présent.
Bien plus que la perspective d’être immortel, ce qui plaisait vraiment à Lionel dans cette aventure, c’était de pouvoir diriger un projet. Ce grand capitaine d’industrie avait un nouvel objectif et il se sentait prêt à tout mettre en place pour le réaliser et le développer. Lui qui avait su construire sa vie antérieure sur le travail et les technologies de pointe, voyait dans cette expérience un retour à cette vie d’entrepreneuriat et de conquête. Se lancer dans ce projet de transfert sonnait comme un moyen de s’inscrire définitivement dans l’histoire en devenant le premier homme immortel.
Baptiste
L’angoisse profonde, absolue et incorporelle, c’était le sentiment que ressentait l’esprit de Baptiste. Malgré l’absence de corps, il avait pu voir par l’intermédiaire des yeux de son hôte son intention de le tuer. Une haine implacable séparait à présent les deux esprits se battant pour le contrôle d’un même corps. Baptiste observait son bourreau affûter son épée et réfléchissait lui aussi à un moyen de le tuer.
Il avait l’impression d’être enfermé dans une boîte dont les murs se resserraient sans cesse jusqu’à l’oppresser totalement. La douleur mentale que ressentait Baptiste n’avait pas de mots assez fort pour être pleinement comprise. Il était seul, dans un abîme sans couleur, dans un lieu que personne d’autre ne connaissait. Il voyait sa propre mort se préparer à travers le regard de son ancien corps que contrôlait l’être le plus immoral qui soit. Dans cet océan de détresse, sa seule lumière était l’espoir de vengeance. Il s’accrochait aussi à l’amour qu’il avait pour sa femme et ses filles, il ne pouvait pas mourir et les abandonner complètement, il devait se battre pour elles. C’est cette envie de vivre et de les retrouver qui lui donnait la force nécessaire pour ne pas sombrer définitivement. Ce bonheur-là n’avait pas de prix, il était impossible à effacer, impossible à détruire. Sans sa mémoire, il aurait sans doute tout abandonné, mais heureusement, il avait pu garder le lien avec elle.