2055 - Ubuntu, le rêve d’après - Alain Vinot - E-Book

2055 - Ubuntu, le rêve d’après E-Book

Alain Vinot

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Beschreibung

L’an 2055. Dans un monde qui surnage après des années de pandémies, de guerres, où une partie de l’humanité a été décimée, l’homme a sacrifié ses libertés individuelles pour tenter de survivre. Il est interdit de regarder ailleurs sauf à devoir s’exclure. La règle est donnée et doit être suivie. Hugo fait partie de ce système, collabore et s’en accommode, complice involontaire puisqu’il a été « programmé » pour ça, jusqu’à ce qu’il renoue avec les vestiges du passé d’une partie de son histoire, jusqu’à une rencontre...


À PROPOS DE L'AUTEUR


Alain Vinot, par les mots, crée des univers singuliers à l’image de son univers littéraire. Par ailleurs, il est auteur de plusieurs livres dont Jindrich.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Alain Vinot

2055

Ubuntu, le rêve d’après

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alain Vinot

ISBN : 979-10-3777095-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

- Fulgurances, Le Lys Bleu Éditions, 2018 ;
- Jindrich, Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;

L’autre doit être la coruscation de ce que l’on n’a pas su dessiller.

A.V.

Il ne l’a qu’aperçue un instant fugace, et déjà il sait qu’elle lui manque.

A.V.

Quelqu’un d’Ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi, qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand, et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés.

Desmond Tutu

Quelque part sur la Terre, avril 2055…

Lettre à vous qui n’êtes plus là…

« Si je savais écrire une lettre, je vous dirais de longues et belles choses qui vous raviraient, avec de jolis mots, de belles phrases qui vous emporteraient dans des songes que je n’oserais même pas imaginer, avec une fantaisie débordante et fantasque, reflétant le surplus d’envie de vouloir partager ce qui pourrait me faire rêver, mais je suis cloitré dans un monde devenu si idiot, si absurde, si étranger qu’il devient impossible même à l’imaginaire de s’aventurer, de s’envoler, où il est difficile à ma mémoire de se rappeler le temps de l’insouciance que je n’ai pas eu le bonheur de connaitre entièrement, celui qui m’a été prêté quelques instants comme on prête quelque chose qui ne vous appartient pas et qui s’évanouit dans le temps, celui de l’innocence que l’on avait à perdre, celui où tout ce que l’on vivait pouvait être différent chaque jour et vous laisser des souvenirs impérissables par leurs divergences.

Cette lettre est une missive adressée non pas aux générations futures, celles qui me succéderont, mais aux générations passées, celles qui portent en elles une grande part de la responsabilité de la situation qui est présente maintenant et dont je dois tenter de me contenter à défaut de l’apprécier.

Elle n’est pas un reproche sur quoi que ce soit, sur la culpabilité que l’on pourrait essayer de faire incomber à un quelconque instigateur, il ne peut y avoir de responsable individuel dans un échec collectif, au sens que même la passivité ou l’impossibilité d’intervenir est également une forme de responsabilité, elle n’est qu’un constat amer de l’état dans lequel notre civilisation, la nôtre et celle de l’ensemble de la communauté des humains sans distinction, se retrouve après bien des péripéties, des aventures, des fourvoiements, des obstacles surmontés, des espoirs accomplis ou évanouis, des conquêtes prometteuses ou laborieuses, des histoires particulières, sanglantes ou ravissantes, cette lettre se veut un simple témoignage de ce qu’est devenu le monde dans une époque où il ne se reconnait plus.

Je vous écris cette lettre de mon appartement minuscule que j’occupe depuis ces quelques mois dont j’ai également fait sombrer la notion de durée dans un temps indéfini, perdu au fin fond d’une ville, ignorante de mon âme autant que je le suis de son nom, qui soudainement m’apparait de plus en plus étrangère à force de lassitude ou de je ne sais quelle adynamie du cerveau qui envahit ma disposition à pouvoir m’en accommoder. Cet appartement de deux pièces principales, comme il est d’usage de dire, un salon, une chambre et une salle de toilette, suffit amplement à l’emploi que je peux en faire, et même si je souhaitais en faire un autre usage, la circonstance ne me serait pas tolérée, encore faudrait-il que j’en aie l’occasion tellement l’idée même m’échappe telle une volée de moineaux de laquelle on s’approche et que l’on croit un jour d’enfant pouvoir tenir aux creux de ses mains. Je suis seul dans mon existence journalière, sans parents et sans enfants ni compagne, possibles témoins d’une absence qui ne devrait pas sembler si lourde à porter si l’espoir d’une rencontre enrichissante pouvait arriver à percer ce mur, ce blockhaus d’indifférence dans lequel on se stérilise chaque jour, ou ce qui y ressemble, que l’on a jugé bon pour moi, et que je n’ai donc pas besoin de beaucoup d’espace, celui qui m’est attribué suffisant à contenter une solitude qui, au contraire, se devrait d’être pleine et confuse comme le pourrait être celle d’un célibataire épanoui et dont les frasques passagères feraient la hantise de cohabitants de l’immeuble.

De toute manière, c’est celui qui m’a été attribué par la gouvernance locale, compte tenu de ma situation sociale et familiale, et il n’y a rien à redire puisqu’il est impossible de pouvoir le contester.

À peine de quoi restreindre mon espace visuel, comme le reste de ma vie, suffisant pour le limiter à ce qu’il m’est autorisé de voir, celui auquel je me suis habitué, celui qui m’a toujours été donné de voir depuis que je suis en âge de pouvoir laborieusement observer mon environnement, celui sans qui ma vie ne serait certainement plus la même, celui qui détermine mon champ d’exploration, celui qui se limite à une porte d’accès censée s’ouvrir sur un autre univers, sur un monde fait d’inconnu restant à découvrir, frontière symbolique d’un avant et d’un après, le seuil franchi comme un passage vers celui d’un espoir d’aventure, ou dans le chemin inverse, celui d’un espace connu et rassurant d’un havre de paix enfin retrouvée, quelques murs d’un blanc livide et aseptisé, et deux fenêtres ouvertes donnant la vue sur la rue où d’autres appartements se lamentent de la même vision, similaires au mien, d’où je peux observer la vie stéréotypée de semblables humains, tout comme ils se rendent curieux de la mienne, celui de mon imaginaire et de mon impossible quotidien.

Je m’appelle Hugo, j’ai trente-cinq ans, je suis donc désespérément célibataire et sans enfants. Je vis seul dans un espace qui m’a été attribué par l’autorité locale, et dont je dois me satisfaire faute de pouvoir faire autrement. En 2055, les appartements, les résidences, les lieux d’habitation sont attribués par une autorité locale supérieure, seule capable de cerner avec exactitude l’espace nécessaire au développement individuel et dont les critères de sélection d’assignation ont été déterminés depuis bien longtemps, et pour lesquels chacun ne peut pourtant pas se satisfaire sans jamais avoir à y redire. La propriété des biens situés en villes a quasiment disparu, a été abrogée pour le bien de la communauté des hommes tout entière. Certains ayant eu la mauvaise idée de s’approprier nombres de résidences au seul but de s’enrichir sur l’incapacité ou l’absence de volonté des autres à acquérir leur habitation. La propriété privée a été abolie il y a maintenant une trentaine d’années et l’ensemble de ce qui faisait la richesse et la fierté des possédants a été versé dans une communauté dont chacun se doit d’être responsable, au même titre que s’il en était l’unique propriétaire. Seule la propriété des biens de campagne subsiste, répondant à la fois à l’obligation de laisser les exploitants agricoles rester maitres de leurs terres et de leur gestion, et l’incapacité, autant intellectuelle que financière, d’exproprier l’ensemble de la communauté humaine de ce qui représente encore un symbole archaïque ancestral de la condition humaine. La terre est redevenue l’emblème de l’appartenance à l’essentiel. On respecte les paysans qui résistent à l’obligation de se conformer à la règle collégiale. Ils sont à la fois ceux qui nourrissent par leur travail, et ceux qui véhiculent l’idée ancienne de ce qui a fait l’esprit de la communauté humaine. Il n’en reste plus que l’idée fondamentale, cédant à l’obligation de devoir se contraindre aux règles sociales nécessaires à la survie de l’espèce.

Je suis analyste informatique dans une grande administration d’état, formation pour laquelle j’ai été destiné dès la fin de mon cursus scolaire, et bien avant que je commence mes études universitaires le processus de formation professionnelle et intellectuelle a été profondément modifié, par rapport à ce qu’il avait été pendant près d’un siècle, en ce qu’il n’appartient plus au choix de l’étudiant de décider ce qu’il fera de sa carrière future.

L’état, l’administration, l’entité supérieure, appelez-la comme vous voudrez, est là pour commander à notre place notre devenir professionnel en fonction des besoins de la société, avec tout de même en corrélation nos prédispositions personnelles qui sont évaluées lors de tests effectués lors de notre quinzième année de naissance.

Tout comme l’essentiel de mon métier, l’ensemble de ma vie a été programmé. Je n’ai donc plus qu’à suivre ce qui déjà a été mis en œuvre et pour mon bien sans doute.

Mon métier consiste essentiellement à étudier les éventuelles dissonances qui pourraient se révéler dans des rapprochements informatiques liées à la surveillance des individus, l’ensemble de la population étant soumis à un contrôle permanent de ses faits et gestes. J’exploite à longueur de temps d’interminables listes faisant éventuellement apparaitre des discordances dans le repérage des individus qui dérogeraient à la règle de la vie qui leur a été prédéterminée.

À l’heure où je vis dans cette ville, nous n’avons plus le choix de nos existences. Il suffit, pour se convaincre de ce bienfait de cette décision universelle, de se rappeler le mal que le droit au libre arbitre a eu comme conséquence. Il faut espérer que nous saurons racheter les fautes du passé par un comportement dorénavant exemplaire.

Ainsi, à ce jour, tous les individus citadins de la planète sont badgés, micro-pucés et surveillés. Chaque activité, chaque déplacement, de l’ensemble de ces populations, est observé, analysé, collationné, et critiqué si besoin s’en fait sentir.

La situation sanitaire désastreuse de l’ensemble de la planète a conduit les autorités supérieures à agir de la sorte, obligeant chaque individu à se faire insérer sous la peau, à la base du cou, une micro-puce contenant l’essentiel de son identité, sa localisation habituelle, ses références administratives, et d’autres paramètres que j’aurais à évoquer plus tard.

L’épidémie de coronavirus s’est rapidement transformée en pandémie mondiale incontrôlable, même si dans les premières années de la dissémination de la maladie les espoirs les plus convaincus d’une localisation limitée et d’un temps ordonné étaient permis. Un premier vaccin fut même mis au point dans des délais jusque-là impensables pour un développement curatif d’une maladie, en utilisant une méthodologie jamais développée à ce point en ces temps, consistant à utiliser un vecteur de programmation génétique découvert il y a presque un siècle de nos jours, et qui n’était resté qu’à l’état d’expérimentation de laboratoire sans avoir la certitude de sa capacité clinique à pouvoir intervenir dans le traitement de maladies. L’espoir de ce premier vaccin fut de courte durée à l’échelle du temps de l’humanité puisque rapidement la bête s’adapta très vite à pouvoir se muter et différents variants se multiplièrent à travers les diverses régions du monde, faisant courir à l’humanité une sorte de course à l’échalote de laquelle il fut convenu par résilience que la partie semblait bien perdue d’avance.

L’espoir était inscrit dans le propre de l’homme, autant que sa résignation, et sa capacité à accepter la déraison fut promptement compromise face à l’adversité qui avait déjà plusieurs coups d’avance.

Je suis né en début d’année 2020, et je vais bientôt fêter mes trente-cinq ans. Et comme par les années précédentes, je serai seul pour cet évènement.

J’ai bien quelques parents encore vivants, mais les circonstances sanitaires locales autant qu’internationales font que les relations avec les gens, les proches comme les inconnus, sont restreintes au juste minimum nécessaire. Même les évènements familiaux importants, les naissances, les mariages, les décès deviennent de plus en plus difficiles à organiser, et la tentation de déroger aux règles sociales contraignantes et imposées est de plus en plus présente aux risques évidents d’être contrôlé et sanctionné.

Depuis mon état de jeune adulte, la terre est envahie par un mal que l’on prenait trop à la légère lorsqu’il est apparu.

COVID-19.

Cet acronyme, inventé par un cacique de l’Organisation mondiale de la santé, à l’époque où des organismes pouvaient exercer leurs prérogatives dans une relative liberté, signifie l’identification universelle du coronavirus et 2019 pour l’année de sa découverte. Il n’était pas le premier coronavirus découvert par la médecine internationale mais le plus virulent jusqu’à ce jour parce que son processus de contagion avait été mal évalué, pour ne pas dire inconnu. Il est apparu quelque part en Chine à la fin de l’année 2019, et s’est disséminé pendant l’année 2020 qui était également l’année du rat en Chine comme une triste similitude et un curieux rappel avec des pandémies antérieures, celles des pertes antérieures qui s’étaient répandues justement par l’entremise des rats.

À cette époque, la Chine était encore un pays indépendant, mal aimé certes par la collégialité des autres pays du globe parce que trop vaste et trop différent culturellement de nos contrées occidentales, trop compréhensible par leurs mœurs, leurs cultures ancestrales, mais libre et indépendant.

Libre et indépendant ! Voilà deux mots qu’il m’est bizarre d’écrire dans ces lignes.

En effet, il y a bien longtemps que ce genre de mots ne peut plus s’adapter à n’importe lequel des états de cette planète.

Depuis la pandémie du COVID-19, les états ont perdu leur statut d’indépendance et sont devenus des satellites universels interdépendants les uns des autres, sous une autorité supranationale. Le pire de tout c’est qu’ils l’ont décidé de leur propre chef, avec la quasi-totalité du consentement de leurs populations. Une fois par an, les grands manitous qui dirigent maintenant le monde se réunissent pour prendre les principales décisions qui s’appliqueront à toute la communauté humaine. On ne connait rien de ces débats, rien ne filtre jamais ni n’est répercuté par les médias de l’ampleur des discussions qui ont certainement lieu. On ne sait même plus qui ils sont tellement leur anonymat est devenu une règle si bien établie et acceptée malgré tout, mais leurs décisions sont immédiatement appliquées et imposées à tous.

Enfin, presque tous. Ceux qui résident dans les villes sont plus facilement contrôlés et surveillés que ceux qui résistent à l’extérieur. Le contrôle est systématique et automatisé et chacun de leurs gestes est répertorié.

Dans les campagnes, la surveillance informatique est plus aléatoire et repose sur la dénonciation systémique des comportements non conformes par des observateurs patentés que chacun peut facilement identifier et donc s’en méfier.

Des barrières ont été dressées entre ces deux mondes, et seuls ceux qui ont une justification économique ou indispensable à passer d’un univers à un autre sont autorisés à le faire. Des citadins travaillant dans les champs passent quotidiennement au petit matin les frontières et les contrôles de sécurité pour se rendre sur les terres où ils ont l’obligation de besogner. Ils ont un temps défini et l’obligation de chemins déjà prédéterminés, et doivent impérativement refaire le trajet inverse dès la tâche accomplie ou bien le temps imparti écoulé. À l’inverse, des « campagnards », des exploitants agricoles, peuvent franchir les barrages pour alimenter les villes de leurs productions.

J’aimerais vous dire par ces quelques mots que tout est redevenu merveilleux, que le printemps revient forcément après l’hiver, que la nature a repris ses droits, et surtout que l’homme est redevenu respectueux tant de lui-même que de son environnement.

Mais ce pieux mensonge qui me brûle le cerveau ne serait même pas aussi joyeux que ce que je pourrais en dire tant l’homme est devenu un élément si petit, si insignifiant de la nature environnante, comme si cette dernière était parvenue à se venger des horreurs qu’il a pu commettre à son encontre. La justice serait donc vraiment immanente ?

L’homme est devenu son pire ennemi, tant pour sa propre sauvegarde que pour la préservation de son environnement pourtant si indispensable, préférant privilégier son bien-être immédiat à la satisfaction de son accord avec le monde qui l’entoure, se targuant glorieusement d’avoir fait ce monde à ce qu’il souhaitait en faire, sans se soucier que l’univers était là avant lui, qu’il n’en est qu’un maillon, qu’il n’en est qu’un banal locataire et que son devoir était de le transmettre à minima aux générations futures, et que ses gesticulations n’ont qu’une importance relative et dérisoire dans le processus universel.

Piètre résultat que voilà !

La vie est devenue si terne, si monotone qu’elle devient banale à raconter tant les privations sont désormais si courantes, que l’absence de loisirs inventés sur l’instant, de folies nécessaires à l’épanouissement de l’individu sont maintenant les fossoyeurs de toutes créativités et donc les croque-morts des cimetières de ce qui devrait faire la particularité des individus, leur capacité à seulement exister dans un univers qui leur promettait tant de bonheur. L’homme est certain de savoir détruire ce qu’il y a de meilleur pour lui.

Et ma vie ressemble trop à celle de mes contemporains pour qu’elle en devienne extraordinaire.

Il est délicat et illusoire de pouvoir faire la différence de mon existence avec celle de mon voisin ou ma voisine, nos vies sont devenues symétriques, parallèles, similaires, qu’il en est presque indécent de croire qu’elles pourraient être multiples.

La vie dans notre monde si parfait s’est transformée en une répétition d’existences qui pourraient bien se substituer les unes aux autres, s’interchanger sans pour autant que l’on ne fasse la différence entre les multiples acteurs, le plus essentiel étant que la fonction soit assurée, et si un changement des individus intervenait l’entourage immédiat de ce genre d’habitation n’y verrait pas la différence. Les bruits, les sons, sont aussi les mêmes, et il serait facile de confondre la vie de mes voisins avec ma propre existence tellement nos habitudes sont devenues similaires et se ressemblent. Je suis l’ombre de mes voisins et ils sont la mienne.

Je ne suis plus qu’un numéro parmi une multitude, un élément inter mutable, une petite pièce bénigne d’un mécanisme dont je ne ressens même plus la finalité.

Je ne puis plus supporter cette époque métronome que pourtant je connais depuis ma propre origine. Le plus intolérable est de ne pouvoir la comparer avec une autre époque que j’aurais dû vivre normalement, et de devoir faire avec, comme si nous n’avions plus le choix, comme si nous n’avions plus depuis longtemps la possibilité de modifier quoi que ce soit à cet ordre des choses qui ne me convient pas, mais que nous sommes individuellement obligés d’accepter.

Avant, et d’après ce que certains anciens ont pu nous conter de ce qu’ils tenaient eux-mêmes de mémoires aujourd’hui évanouies, d’autres ayant vécu une autre époque forcément révolue et totalement disparue, tout était différent, même si pour eux certaines choses étaient compliquées, mais c’était le temps où l’humain avait le choix. Quand je dis l’humain, je parle du commun des mortels, de celui de la normalité, de la banalité, de l’invisible qui n’aspirait qu’à un peu de lumière, de chaleur, et je ne lui accorde en ce sens aucune sensibilité à caractère philanthropique. Il y a bien trop longtemps qu’il en a perdu toute acception. Et en même temps, la responsabilité.

Aujourd’hui, le choix n’existe pas, ou tout du moins il semble si impossible à exprimer que même les rêves les plus fous ne sont plus permis.

Même les yeux fermés.

Les rêves ont disparu, ne restent plus que des désirs risqués que pour l’heure il semble capricieux d’assouvir. L’âme vagabonde entre deux eaux, entre deux mondes résolument perdus, entre deux chemins qui s’égarent dans des labyrinthes obstinément fouillis.

On nous a parlé du temps d’avant, d’avant la « Chose », la bête, la maladie, la pandémie. Ce temps-là fait partie d’une histoire qui est inscrite quelque part dans notre mémoire collective qui nous appartient en propre, qui est gravée en chacun de nous mais que l’on nous a appris à refouler, à oublier, à nier même, sans pour autant que nous lui attachions une quelconque volonté de résurgence tellement elle nous semble si lointaine. L’histoire est faite de répétition dont on cultive la volonté de les oublier.

Un peu comme on raconte une histoire très ancienne aux jeunes enfants, une fable pour les endormir, ou les impressionner, leur mettre des rêves éblouis dans le cerveau. Il fait tant nuit dans la tête et si froid dans les cœurs. L’inerte glacé s’est si bien installé partout que même les paysages n’arrivent plus à susciter la moindre espérance encourageante.

Ici, dans la ville, tout est laid, tout est si médiocre, si désespérant que même l’idée d’un désir d’une autre réalité n’a plus le temps ni la volonté de germer. Comme si cette idée d’un autre ailleurs possible devait traverser une couche, une épaisseur si impressionnante, si imperméable qu’il serait utopique de croire la chose réalisable, le monde présent a revêtu une carapace qu’il s’est forgé au fil des aventures, tissage d’un manteau d’insensibilité, une coque soudainement plus compacte que la plus dense des protections, renfermant en son creux ce qui pouvait rester de l’âme de l’humain sans pouvoir supposer que cette gangue d’indifférence puisse se fendre pour tenter de laisser filtrer la lumière à travers l’interstice.

Je découvre avec stupeur et angoisse que, paradoxalement, mon égoïsme primitif que je croyais immensément légendaire n’est pas aussi grand que celui que l’on a fabriqué pour moi puisque j’ai accordé à autrui le droit de construire ce qui ne fait que mon mal.

Pourtant l’air que nous respirons s’est bonifié par rapport à ce qu’il était au début du vingt et unième siècle. Il y a moins de pollutions environnementales, moins d’avions dans des ciels plus purs, moins de véhicules roulant avec des énergies fossiles, moins d’extractions de matières premières, les populations ont réappris à consommer et manger local, à privilégier leurs productions agricoles de proximité. Mais ces profondes modifications de comportements se sont opérées au détriment de l’expression de leurs choix cupides et toujours plus avides d’étrangetés. Le prix à payer a été celui de la supposée liberté de consommer à outrance des produits hors saison, venant de contrées si lointaines qu’il fallait apprendre à les connaitre, à les vouloir dans nos lieux de vie, à s’accoutumer à sacrifier la planète aux désirs individuels et rémunérateurs pour certains misanthropes.

Nous avions appris à vouloir et aimer ce qui n’était pas à notre portée, à rapprocher ce qui était lointain faisant fi des distances, ne voyant plus qu’au-delà de ce qui était sous nos yeux, à transformer ce qui était naturel, allant même à le modifier pour qu’il nous plaise mieux. Il a fallu désapprendre tout ça, revenir à aimer les légumes moches et plein de terre, à nous passer de ce qui n’est pas de saison ou local, à ne manger que ce que l’on peut cueillir avec la main qui est au bout de son propre bras. Et comme nous étions devenus aussi manchots qu’incompétents, il a fallu réapprendre à vivre. Pour certains, cette survie leur a été fatale.

Je me sens rabougri par la petitesse de la condition de l’homme actuel tellement il semble résigné à être docile et consentant. J’allais presque dire de l’homme moderne, mais de quelle modernité s’agit-il quand l’homme renonce délibérément à ses valeurs fondamentales et qu’il en arrive à renier docilement, sans méfiance, les évolutions de son caractère courageusement acquis au fil des ans ?

Il ne lui reste de modernité que le fait d’être présent.

Il a renoncé à devenir ce qu’il aurait dû toujours être, un individu capable de savoir pour lui-même, capable de diriger son existence, même s’il se trompe parfois, susceptible de donner ses sentiments, de s’égarer, de se fourvoyer aussi, mais capable de grandes et belles choses, de créer, de dire ses émotions, des remarques, de l’affection.

De vivre tout simplement.

Le monde qui nous entoure devient si insignifiant dans sa course désespérée à sa propre perte, que les nuits blanches sont aussi longues qu’un désir affamé quand on est seul.

De maintenant six heures du soir jusqu’à l’heure où je m’endormirai, je reste seul.

Désespérément seul !

Avec les angoisses, les attentes, les regrets, les sentiments solitaires, les abnégations, les renoncements, tout ce qui fait le vide d’une âme sans vibrations.

Seule l’aiguille des secondes vient farouchement ondoyer sur le temps qui s’effiloche sans parvenir à lui donner un soupçon de parfum quelconque. Ce cadencement du temps devient peu à peu le métronome d’un décompte nous précipitant vers une fin promise dès la naissance et malheureusement déjà espérée.

Nos vies sont devenues des résumés imaginaires de solitudes qui ne sont collectives que par leurs ressemblances et leurs répétitions mesurées.

La société collective qui nous entoure n’a plus rien à voir avec celles qui nous ont précédées. Un peu comme si la boucle de l’humanité s’était refermée sur elle-même, parvenue à la fin de son cycle, clôturant une péripétie du monde terrestre. Les hommes sont là, sans savoir réellement pour quelle justification, sinon celle d’accomplir une tâche anonyme, se dévoyant de ce en quoi ils avaient cru pendant des siècles auparavant, ramenant ces périodes à une éternité aujourd’hui disparue, à une microseconde égarée dans un océan de gaspillage.

Les sentiments ont disparu.

Il arrive bien sûr à quelques-uns d’en éprouver encore un peu, mais peu d’entre nous sont capables de les manifester, et surtout on ne doit pas, il ne faut pas montrer son ressenti, son appréciation de l’environnement actuel sous peine de réprimande, pour rester sibyllin, et d’être confiné au ban de la société. Le ressenti d’une chose existe encore mais l’expression de ce ressenti est devenu contraire à la loi commune, et donc répréhensible. Peu d’entre nous oseraient défier la puissance de l’autorité suprême.

Ainsi, l’homme est devenu docile, flexible, malléable, maniable, perméable. La révolte a disparu de l’organisation des sociétés actuelles.

L’ordre est donné, il est exécuté. Sans faiblir et sans commentaires.

S’il est donné, c’est parce que l’autorité a jugé bon de le donner.

L’autorité sait. Et elle sait mieux que l’individu.

Pour obtenir ce résultat, il avait suffi de lui faire peur, de le rendre si sensible à ce qu’il ne connait pas, à ce qu’il pouvait redouter de pire. La crainte de la perte de la vie, de son existence, de ses coutumes, de ses habitudes l’avait amené à se fragiliser et l’autorité des états s’était engouffrée dans cet interstice si tentant. L’homme seul avait donné le pouvoir à une autorité supérieure qui ne lui laissait maintenant plus le choix de son existence future.

Il devait se soumettre, au risque d’avoir à disparaitre.

Dans chaque acte de violence, il y a une part de jouissance, de plaisir qui est enfouie au plus profond de l’être, même si l’auteur de l’acte nocif ne s’évertue à ne croire qu’à la souffrance qu’il impose à sa victime. L’individu est ainsi fait que lorsqu’il tente de soumettre son alter ego, de quelques façons que ce soit, il retire une part de satisfaction de son acte. La douleur imposée à l’autre génère une complaisance vicieuse et coupable dont il se repait en toute veulerie. Ôtez la satisfaction du spectacle infligé à une victime que peut retirer l’auteur des actes, et vous lui en supprimerez la délectation, la jouissance, le moteur même de l’acte. Il se retrouvera privé de sa jubilation malsaine et perdra toute contenance à sa modération et sa vilénie s’en trouvera vide de tout sens. Il en développera alors une surenchère perverse qui n’aura de contentement qu’à la condition de la victime de céder définitivement.

Cela suppose donc qu’il y ait une complicité induite et malheureuse entre la victime et le bourreau.

Le bourreau ne peut se contenter du délice de la tête qu’il coupera qu’à la condition qu’il ressente le plaisir de la crainte du supplicié. Le supplicié devient donc, à son insu, coupable de participer, voire d’alimenter, le plaisir du bourreau.

Et aujourd’hui, le bourreau se lèche les babines. Au fil du temps, qui s’est écoulé, la victime s’est muée en son propre bourreau, sa complaisance l’ayant achevé.

Nos existences sont tellement vides de toutes considérations ou d’amplitudes que même ce plaisir ressenti en infligeant une douleur à l’autre a disparu.

Le mal et le bien n’ont plus de frontières, non pas en ce qu’ils se ressemblent tant, mais en ce qu’ils n’ont plus aucune signification, plus aucune résonance dans la satisfaction qui, de toute manière, a forcément disparu, elle aussi. Que l’on fasse mal ou que l’on fasse bien, le résultat se noie dans une indifférence qui n’a d’égale que l’ataraxie des actes commis.

Tout a commencé à ma naissance, en 2020… la « Chose », le COVID-19, maladie que l’on croyait naïvement anonyme et insolente, comme une vulgaire petite grippette, a mis le monde entier à ses pieds, ridiculisant toute autre forme de résistance ou de combat. Même l’espoir de l’assouvir s’est dilué dans une gestion illusoire à devoir s’en accommoder.

Au tout début, la « Chose » a été prise à la légère, sans véritable conscience de sa dangerosité, de sa capacité à s’adapter à notre ancien monde si perméable à l’ignorance. On croyait, à cette époque, pouvoir tout dominer, tout contrôler, tout régenter. Ce n’étaient qu’illusions, fadaises d’hommes prétentieux parce qu’ils croyaient vivre mieux dans un meilleur monde.

Tout n’était qu’apparence !

Pour s’en convaincre, il suffisait d’attendre que le manque ou l’obligation de s’en passer se fassent sentir, que l’on s’aperçoive par l’absence de ces ridicules singeries qu’elles n’étaient que de vulgaires contemplations devant des miroirs déformés. Tout d’abord par obligation sanitaire. La « Chose » se répandait à travers la planète et sur les hommes sans que l’on comprenne vraiment comment elle pouvait le faire. La bête était plus maline et son intelligence dépassait celle de l’homme et sa vantardise à vouloir et pouvoir tout comprendre.

En tout premier, il fallut la nommer, lui donner un simulacre d’identification, histoire de se rassurer et de faire croire que la « Chose » était reconnue. Un cacique de l’Organisation mondiale de la santé, organisme que l’on pourrait croire tout entier dévoué à identifier, prévenir, organiser et prendre les mesures nécessaires à combattre des phénomènes internationaux de salubrité sanitaire alors qu’il se contente grossièrement de régimenter les catastrophes qui se font jour, trouva un acronyme savant : la COVID-19, Corona Virus Desease 2019. La bête fut identifiée en Chine à la fin de l’année 2019, par la propagation et la transmission quasi certaine maintenant d’un animal à l’homme sans que l’on parvienne à identifier ni l’un ni l’autre, ce qui ne facilita pas la compréhension du phénomène et laissa l’homme patauger dans sa désespérance à essayer d’enrayer un processus définitivement enclenché et qu’il prétendait vouloir éclaircir.

Il s’agit essentiellement d’un coronavirus à la capacité de dissémination dans l’espace par voie aérienne par des gouttelettes de postillons émises au cours des efforts de toux mais aussi lors de la parole, et passe par un contact rapproché de moins d’un mètre et durable d’au moins 15 minutes avec un sujet contagieux. Des particules de plus petite taille peuvent aussi être émises sous forme d’aérosols au cours de la parole, ce qui expliquerait que le virus puisse persister en suspension dans l’air dans une pièce non ventilée, et justifie dans ces circonstances le port d’un masque de protection. Enfin, le virus peut conserver une infectiosité pendant quelques heures sur des surfaces inertes d’où il peut être transporté par les mains, ce qui justifie une bonne hygiène régulière des mains.

C’est ainsi, qu’ignorants de presque tout, et après avoir nié jusqu’à l’existence réelle du virus et utilisé moult mensonges éhontés, que les autorités des différents pays en vinrent à préconiser des mesures drastiques et draconiennes pour protéger les populations d’elles-mêmes, en ce qu’elles étaient capables de se transmettre la maladie. Il est étrange de constater que bien que le monde ait connu précédemment de nombreuses périodes de guerres ou de maladies contagieuses disséminées à travers la planète, l’homme soit toujours aussi dépourvu de réaction salutaire face à ces évènements. Son manque de lucidité, d’interventions coordonnées et réfléchies, de perspectives salutaires, d’anticipations rationnelles, ne lui viennent à l’esprit qu’une fois l’impensable avéré.

Au tout début du développement de la pandémie, des périodes de claustration avaient été décrétées un peu partout dans le monde, à des périodes différentes et sans véritable coordination entre les différents états. Certains chefs d’État, les plus velléitaires face au danger, avaient même décrété la guerre à la maladie, pensant naïvement qu’ils pouvaient susciter l’adhésion de tous, et motiver chacun à participer volontairement au combat mené. Ils pensaient lamentablement, presque désespérés, que le combat serait de courte durée, comme un combat classique entre deux populations, un combat légitime à l’absurde, si tant est qu’il puisse l’être, duquel il sort obligatoirement un vainqueur, et ils se voyaient déjà dans le costume glorieux de celui qui vainc le mal et endosse la belle couverture du juste, et ils pensaient déjà à la paix revenue. D’autres en revanche, plus lâches ou plus inconscients de la crainte, niaient la dangerosité et la contagiosité de la maladie, la traitant de simple phénomène saisonnier qui disparaitrait aussi rapidement qu’elle était apparue, et ne prirent aucune précaution dans la protection de leurs populations, provoquant, par cette attitude irresponsable, la mort d’un grand nombre de leurs habitants.

En presque dix années, la population mondiale fondit de plus de trente pour cent, passant d’un peu moins de huit milliards d’habitants sur terre à un peu moins de cinq milliards. Le choc fût considérable et les habitudes de croissance démographiques mises à mal, sans que pour autant l’on puisse comprendre et appréhender le phénomène nouveau en espérant pouvoir l’enrayer. Aujourd’hui encore, les conséquences dramatiques sur la population mondiale se font toujours sentir, et la mortalité de l’humanité semble devenue si incontrôlable qu’il est à craindre que sa disparition ne soit devenue une réalité certaine. L’histoire de l’humanité avait déjà vécu des périodes de destructions massives de populations mais jamais de cette ampleur, et surtout ne devant pas connaitre de fin prévisible. Une bataille, une guerre finit toujours par une paix. Celle-ci s’était ouverte contre l’humanité et ne présageait rien de bon.

À cette époque, le monde était constitué et réparti en divers états, de différentes sociétés, de différentes cultures.

Ces différences étaient le fruit d’une pluralité qui faisait le propre de l’homme et d’un long processus historique de développement des civilisations.

L’homme était divers, curieux, passionné, outrancier, mais consentait à cultiver le vivre ensemble tant bien que mal dans son immense majorité. Son histoire lui avait enseigné des styles de vie différents et respectait ses expériences multiples.

Avant la « Chose », les peuples avaient le droit de décider pour eux-mêmes, même en admettant que l’absence de choix est aussi une forme de choix. Il arrivait que parfois des populations se rebellent contre l’autorité du pays, ou contre elles-mêmes aussi. Des conflits naissaient, des guerres, des révoltes, des révolutions, des massacres aussi. Mais tous ces évènements finissaient par se calmer, se tarir un jour ou l’autre, parce qu’il faut toujours un vainqueur dominant, à défaut de quoi subsiste une rancune tenace qui mène fatalement à un désir de revanche et toujours à un autre conflit, et le cours de la normalité reprenait son chemin.

Bon an, mal an, l’homme se forgeait une existence, une histoire.

Il y avait surtout des disparités évidentes à l’œil de tous, mais que certains installés dans leur confort ne voyaient plus, ou faisaient mine de ne pas voir, c’était plus simple ainsi. De ces différences naissaient des envies, des jalousies. Alors, l’homme s’était inventé un monde différent, un monde où s’excluaient tous ceux qui n’étaient pas dans le schéma fabriqué à leur insu ou par leur propre volonté. Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut rien voir, comme une invocation à devoir se justifier à ne plus faire, ne plus s’intéresser à l’absurde monde environnant.

Il y avait même des personnes qui se glorifiaient d’être célèbres ou reconnues simplement par leur existence, sans avoir véritablement construit quelque chose. Tout n’était plus devenu que faux-semblants, simulacres, voyeurismes et prétentions à la meilleure image. Des artistes se targuaient d’être des « stars » simplement par le nombre de vues qu’ils collectaient sur des sites de diffusion virtuelle de leurs excentricités désarmantes. Ils ne créaient plus, ça faisait bien longtemps que la création avait quitté ce monde… ils se montraient, et étaient élevés au rang d’icônes. Il leur suffisait de se montrer pour prétendre être reconnus.

La communication entre les peuples était si rapide qu’ils en oubliaient de s’entendre, de s’écouter.

Le bruit était devenu le principe fondateur de leurs existences, préférant le son de leur tumulte à la véritable valeur de ce qui était dit ou prononcé, au risque de ne plus devenir que d’épouvantables cacophonies dissonantes privilégiant le bruit et sa démesure. Les quelques rares qui eurent du succès furent ceux qui répétaient à l’envi les interprétations fabuleuses de leurs prédécesseurs, s’arrogeant par la même occasion les mérites de ce qui avait été claironné avant eux, comme s’ils en étaient les pères fondateurs. Des philosophes de télévision se pavanaient devant des foules abruties et en profitaient pour s’enrichir et se mettre en valeur à leur détriment. Les populations se gaussaient de ce genre d’exploits, gaspillant leur temps et leur énergie à s’en abrutir. Au risque de se perdre eux-mêmes, quand ils n’en perdaient pas l’essentiel de la motivation première.

Il fallait être le meilleur, le premier. En tout et partout.

Quitte à bousculer l’équilibre de la planète.

Peu importait ce qu’elle serait devenue plus tard puisque l’essentiel était d’être le plus vu, le plus courtisé, le plus adulé, et essentiellement dans l’instant présent. Le futur comme le passé n’existaient plus, ils étaient devenus des chimères si lointaines, si abstraites.

Le monde s’était réinventé, s’était métamorphosé par l’ineptie d’une volonté à en perdre l’équilibre. À force de vouloir repousser les limites de l’acceptable, l’homme avait fini par en perdre la notion élémentaire de son existence.

Tout d’abord, c’était l’argent qui avait pollué toutes les décisions. Puis le pouvoir. Ou l’inverse ! Et finalement, la gloire éphémère qui ne dure que l’espace d’une seconde face à l’immensité de la création. Un savant mélange de l’alchimie de ces trois principes faisait que l’homme s’égarait dans un univers qui ne pouvait le conduire qu’à sa perte.

Le temps s’était évaporé et la conscience de l’éternité une fiction combattue à force de frêles illusions élevées au rang de divinité.

La « Chose » avait eu la partie facile.

Il suffisait d’un simulacre, d’une duperie de plus, pour qu’elle s’installe durablement dans un terreau si propice. L’homme avait refabriqué le monde à une image qu’il croyait la sienne, oubliant la nature et ses vengeances. Le terrain était favorable, et l’être humain obnubilé par son irréalité avait baissé sa garde et oublié qu’il n’était qu’une poussière d’espace et de temps dans un univers qui n’avait rien à faire de lui.

Décidément, rien ne peut échapper à rien.