23 Contes - Hans Christian Andersen - E-Book
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Hans Christian Andersen

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Beschreibung

23 Contes:

L'Escargot et le rosier
Le Vilain Petit Canard
La Petite Fille aux allumettes
L'Intrépide soldat de plomb
La Petite Sirène, et d'autres ...

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Chapitre 1L’intrépide soldat de plomb

Il y avait une fois vingt-cinq soldats de plomb, tous frères, car ils étaient nés d’une vieille cuiller de plomb. L’arme au bras, l’œil fixe, l’uniforme rouge et bleu, quelle fière mine ils avaient tous ! La première chose qu’ils entendirent en ce monde, quand fut enlevé le couvercle de la boîte qui les renfermait, ce fut ce cri : « Des soldats de plomb ! » que poussait un petit garçon en battant des mains. On les lui avait donnés en cadeau pour sa fête, et il s’amusait à les ranger sur la table. Tous les soldats se ressemblaient parfaitement, à l’exception d’un seul, qui n’avait qu’une jambe : on l’avait jeté dans le moule le dernier, et il ne restait pas assez de plomb. Cependant il se tenait aussi ferme sur cette jambe que les autres sur deux, et c’est lui précisément qu’il nous importe de connaître.

Sur la table où étaient rangés nos soldats, il se trouvait beaucoup d’autres joujoux ; mais ce qu’il y avait de plus curieux, c’était un charmant château de papier. À travers les petites fenêtres, on pouvait voir jusque dans les salons. Au dehors se dressaient de petits arbres autour d’un petit miroir imitant un petit lac ; des cygnes en cire y nageaient et s’y reflétaient. Tout cela était bien gentil ; mais ce qu’il y avait de bien plus gentil encore, c’était une petite demoiselle debout à la porte ouverte du château. Elle aussi était de papier ; mais elle portait un jupon de linon transparent et très léger, et au-dessus de l’épaule, en guise d’écharpe, un petit ruban bleu, étroit, au milieu duquel étincelait une paillette aussi grande que sa figure. La petite demoiselle tenait ses deux bras étendus, car c’était une danseuse, et elle levait une jambe si haut dans l’air, que le petit soldat de plomb ne put la découvrir, et s’imagina que la demoiselle n’avait comme lui qu’une jambe.

« Voilà une femme qui me conviendrait, pensa-t-il, mais elle est trop grande dame. Elle habite un château, moi une boîte, en compagnie de vingt-quatre camarades, et je n’y trouverais pas même une place pour elle. Cependant il faut que je fasse sa connaissance. »

Et, ce disant, il s’étendit derrière une tabatière. Là, il pouvait à son aise regarder l’élégante petite dame, qui toujours se tenait sur une jambe, sans perdre l’équilibre.

Le soir, tous les autres soldats furent remis dans leur boîte, et les gens de la maison allèrent se coucher. Aussitôt les joujoux commencèrent à s’amuser tout seuls : d’abord ils jouèrent à colin-maillard, puis ils se firent la guerre, enfin ils donnèrent un bal. Les soldats de plomb s’agitaient dans leur boîte, car ils auraient bien voulu en être ; mais comment soulever le couvercle ? Le casse-noisette fit des culbutes, et le crayon traça mille folies sur son ardoise. Le bruit devint si fort que le serin se réveilla et se mit à chanter. Les seuls qui ne bougeassent pas étaient le soldat de plomb et la petite danseuse. Elle se tenait toujours sur la pointe du pied, les bras étendus ; lui intrépidement sur son unique jambe, et sans cesser de l’épier.

Minuit sonna, et crac ! voilà le couvercle de la tabatière qui saute ; mais, au lieu de tabac, il y avait un petit sorcier noir. C’était un jouet à surprise.

« Soldat de plomb, dit le sorcier, tâche de porter ailleurs tes regards ! »

Mais le soldat fit semblant de ne pas entendre.

« Attends jusqu’à demain, et tu verras ! » reprit le sorcier.

Le lendemain, lorsque les enfants furent levés, ils placèrent le soldat de plomb sur la fenêtre ; mais tout à coup, enlevé par le sorcier ou par le vent, il s’envola du troisième étage, et tomba la tête la première sur le pavé. Quelle terrible chute ! Il se trouva la jambe en l’air, tout son corps portant sur son shako, et la baïonnette enfoncée entre deux pavés.

La servante et le petit garçon descendirent pour le chercher, mais ils faillirent l’écraser sans le voir. Si le soldat eût crié : « Prenez garde ! » ils l’auraient bien trouvé ; mais il jugea que ce serait déshonorer l’uniforme.

La pluie commença à tomber, les gouttes se suivirent bientôt sans intervalle ; ce fut alors un vrai déluge. Après l’orage, deux gamins vinrent à passer :

« Ohé ! dit l’un, par ici ! Voilà un soldat de plomb, faisons-le naviguer. »

Ils construisirent un bateau avec un vieux journal, mirent dedans le soldat de plomb, et lui firent descendre le ruisseau. Les deux gamins couraient à côté et battaient des mains. Quels flots, grand Dieu ! dans ce ruisseau ! que le courant y était fort ! Mais aussi il avait plu à verse. Le bateau de papier était étrangement balloté, mais, malgré tout ce fracas, le soldat de plomb restait impassible, le regard fixe et l’arme au bras.

Tout à coup le bateau fut poussé dans un petit canal où il faisait aussi noir que dans la boîte aux soldats.

« Où vais-je maintenant ? pensa-t-il. Oui, oui, c’est le sorcier qui me fait tout ce mal. Cependant si la petite demoiselle était dans le bateau avec moi, l’obscurité fût-elle deux fois plus profonde, cela ne me ferait rien. »

Bientôt un gros rat d’eau se présenta ; c’était un habitant du canal :

« Voyons ton passeport, ton passeport ! »

Mais le soldat de plomb garda le silence et serra son fusil. La barque continua sa route, et le rat la poursuivit. Ouf ! il grinçait des dents, et criait aux pailles et aux petits bâtons : « Arrêtez-le, arrêtez-le ! il n’a pas payé son droit de passage, il n’a pas montré son passeport. »

Mais le courant devenait plus fort, toujours plus fort ; déjà le soldat apercevait le jour, mais il entendait en même temps un murmure capable d’effrayer l’homme le plus intrépide. Il y avait au bout du canal une chute d’eau, aussi dangereuse pour lui que l’est pour nous une cataracte. Il en était déjà si près qu’il ne pouvait plus s’arrêter. La barque s’y lança : le pauvre soldat s’y tenait aussi roide que possible, et personne n’eût osé dire qu’il clignait seulement des yeux. La barque, après avoir tournoyé plusieurs fois sur elle-même, s’était remplie d’eau ; elle allait s’engloutir. L’eau montait jusqu’au cou du soldat, la barque s’enfonçait de plus en plus. Le papier se déplia, et l’eau se referma tout à coup sur la tête de notre homme. Alors il pensa à la gentille petite danseuse qu’il ne reverrait jamais, et crut entendre une voix qui chantait :

Soldat, le péril est grand;

Voici la mort qui t’attend!

Le papier se déchira, et le soldat passa au travers. Au même instant il fut dévoré par un grand poisson.

C’est alors qu’il faisait noir pour le malheureux ! C’était pis encore que dans le canal. Et puis comme il y était serré ! Mais toujours intrépide, le soldat de plomb s’étendit de tout son long, l’arme au bras.

Le poisson s’agitait en tous sens et faisait d’affreux mouvements ; enfin il s’arrêta, et un éclair parut le transpercer. Le jour se laissa voir, et quelqu’un s’écria : « Un soldat de plomb ! » Le poisson avait été pris, exposé au marché, vendu, porté dans la cuisine, et la cuisinière l’avait ouvert avec un grand couteau. Elle prit avec deux doigts le soldat de plomb par le milieu du corps, et l’apporta dans la chambre, où tout le monde voulut contempler cet homme remarquable qui avait voyagé dans le ventre d’un poisson. Cependant le soldat n’en était pas fier. On le plaça sur la table, et là – comme il arrive parfois des choses bizarres dans le monde ! – il se trouva dans la même chambre d’où il était tombé par la fenêtre. Il reconnut les enfants et les jouets qui étaient sur la table, le charmant château avec la gentille petite danseuse ; elle tenait toujours une jambe en l’air, elle aussi était intrépide. Le soldat de plomb fut tellement touché qu’il aurait voulu pleurer du plomb, mais cela n’était pas convenable. Il la regarda, elle le regarda aussi, mais ils ne se dirent pas un mot.

Tout à coup un petit garçon le prit, et le jeta au feu sans la moindre raison ; c’était sans doute le sorcier de la tabatière qui en était la cause.

Le soldat de plomb était là debout, éclairé d’une vive lumière, éprouvant une chaleur horrible. Toutes ses couleurs avaient disparu ; personne ne pouvait dire si c’étaient les suites du voyage ou le chagrin. Il regardait toujours la petite demoiselle, et elle aussi le regardait. Il se sentait fondre ; mais, toujours intrépide, il tenait l’arme au bras. Soudain s’ouvrit une porte, le vent enleva la danseuse, et, pareille à une sylphide, elle vola sur le feu près du soldat, et disparut en flammes. Le soldat de plomb était devenu une petite masse.

Le lendemain, lorsque la servante vint enlever les cendres, elle trouva un objet qui avait la forme d’un petit cœur de plomb ; tout ce qui était resté de la danseuse, c’était une paillette, que le feu avait rendue toute noire.

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Chapitre 2Les habits neufs du grand-duc

Il y avait autrefois un grand-duc qui aimait tant les habits neufs, qu’il dépensait tout son argent à sa toilette. Lorsqu’il passait ses soldats en revue, lorsqu’il allait au spectacle ou à la promenade, il n’avait d’autre but que de montrer ses habits neufs. À chaque heure de la journée, il changeait de vêtements, et comme on dit d’un roi : « Il est au conseil », on disait de lui : « Le grand-duc est à sa garde-robe. » La capitale était une ville bien gaie, grâce à la quantité d’étrangers qui passaient ; mais un jour il y vint aussi deux fripons qui se donnèrent pour des tisserands et déclarèrent savoir tisser la plus magnifique étoffe du monde. Non seulement les couleurs et le dessin étaient extraordinairement beaux, mais les vêtements confectionnés avec cette étoffe possédaient une qualité merveilleuse : ils devenaient invisibles pour toute personne qui ne savait pas bien exercer son emploi ou qui avait l’esprit trop borné.

« Ce sont des habits impayables, pensa le grand-duc ; grâce à eux, je pourrai connaître les hommes incapables de mon gouvernement : je saurai distinguer les habiles des niais. Oui, cette étoffe m’est indispensable. »

Puis il avança aux deux fripons une forte somme afin qu’ils pussent commencer immédiatement leur travail.

Ils dressèrent en effet deux métiers, et firent semblant de travailler, quoiqu’il n’y eût absolument rien sur les bobines. Sans cesse ils demandaient de la soie fine et de l’or magnifique ; mais ils mettaient tout cela dans leur sac, travaillant jusqu’au milieu de la nuit. avec des métiers vides.

« Il faut cependant que je sache où ils en sont », se dit le grand-duc.

Mais il se sentait le cœur serré en pensant que les personnes niaises ou incapables de remplir leurs fonctions ne pourraient voir l’étoffe. Ce n’était pas qu’il doutât de lui-même ; toutefois il jugea à propos d’envoyer quelqu’un pour examiner le travail avant lui. Tous les habitants de la ville connaissaient la qualité merveilleuse de l’étoffe, et tous brûlaient d’impatience de savoir combien leur voisin était borné ou incapable.

« Je vais envoyer aux tisserands mon bon vieux ministre, pensa le grand-duc, c’est lui qui peut le mieux juger l’étoffe ; il se distingue autant par son esprit que par ses capacités. »

L’honnête vieux ministre entra dans la salle où les deux imposteurs travaillaient avec les métiers vides.

« Bon Dieu ! pensa-t-il en ouvrant de grands yeux, je ne vois rien. » Mais il n’en dit mot.

Les deux tisserands l’invitèrent à s’approcher, et lui demandèrent comment il trouvait le dessin et les couleurs. En même temps ils montrèrent leurs métiers, et le vieux ministre y fixa ses regards ; mais il ne vit rien, par la raison bien simple qu’il n’y avait rien.

« Bon Dieu ! pensa-t-il, serais-je vraiment borné ? Il faut que personne ne s’en doute. Serais-je vraiment incapable ? Je n’ose avouer que l’étoffe est invisible pour moi.

— Eh bien ! qu’en dites-vous ? dit l’un des tisserands.

— C’est charmant, c’est tout à fait charmant ! répondit le ministre en mettant ses lunettes. Ce dessin et ces couleurs… oui, je dirai au grand-duc que j’en suis très content.

— C’est heureux pour nous », dirent les deux tisserands ; et ils se mirent à lui montrer des couleurs et des dessins imaginaires en leur donnant des noms. Le vieux ministre prêta la plus grande attention, pour répéter au grand-duc toutes leurs explications.

Les fripons demandaient toujours de l’argent, de la soie et de l’or ; il en fallait énormément pour ce tissu. Bien entendu qu’ils empochèrent le tout ; le métier restait vide et ils travaillaient toujours.

Quelque temps après, le grand-duc envoya un autre fonctionnaire honnête pour examiner l’étoffe et voir si elle s’achevait. Il arriva à ce nouveau député la même chose qu’au ministre ; il regardait et regardait toujours, mais ne voyait rien.

« N’est-ce pas que le tissu est admirable ? demandèrent les deux imposteurs en montrant et expliquant le superbe dessin et les belles couleurs qui n’existaient pas.

— Cependant je ne suis pas niais ! pensait l’homme. C’est donc que je ne suis pas capable de remplir ma place ? C’est assez drôle, mais je prendrai bien garde de la perdre. »

Puis il fit l’éloge de l’étoffe, et témoigna toute son admiration pour le choix des couleurs et le dessin.

« C’est d’une magnificence incomparable », dit-il au grand-duc, et toute la ville parla de cette étoffe extraordinaire.

Enfin, le grand-duc lui-même voulut la voir pendant qu’elle était encore sur le métier. Accompagné d’une foule d’hommes choisis, parmi lesquels se trouvaient les deux honnêtes fonctionnaires, il se rendit auprès des adroits filous qui tissaient toujours, mais sans fil de soie ni d’or, ni aucune espèce de fil.

« N’est-ce pas que c’est magnifique ! dirent les deux honnêtes fonctionnaires. Le dessin et les couleurs sont dignes de Votre Altesse. »

Et ils montrèrent du doigt le métier vide, comme si les autres avaient pu y voir quelque chose.

« Qu’est-ce donc ? pensa le grand-duc, je ne vois rien. C’est terrible. Est-ce que je ne serais qu’un niais ? Est-ce que je serais incapable de gouverner ? Jamais rien ne pouvait m’arriver de plus malheureux. » Puis tout à coup il s’écria : « C’est magnifique ! J’en témoigne ici toute ma satisfaction. »

Il hocha la tête d’un air content, et regarda le métier sans oser dire la vérité. Tous les gens de sa suite regardèrent de même, les uns après les autres, mais sans rien voir, et ils répétaient comme le grand-duc : « C’est magnifique ! » Ils lui conseillèrent même de revêtir cette nouvelle étoffe à la première grande procession. « C’est magnifique ! c’est charmant ! c’est admirable ! » exclamaient toutes les bouches, et la satisfaction était générale.

Les deux imposteurs furent décorés, et reçurent le titre de gentilshommes tisserands.

Toute la nuit qui précéda le jour de la procession, ils veillèrent et travaillèrent à la clarté de seize bougies. La peine qu’ils se donnaient était visible à tout le monde. Enfin, ils firent semblant d’ôter l’étoffe du métier, coupèrent dans l’air avec de grands ciseaux, cousirent avec une aiguille sans fil, après quoi ils déclarèrent que le vêtement était achevé.

Le grand-duc, suivi de ses aides de camp, alla l’examiner, et les filous, levant un bras en l’air comme s’ils tenaient quelque chose, dirent :

« Voici le pantalon, voici l’habit, voici le manteau. C’est léger comme de la toile d’araignée. Il n’y a pas de danger que cela vous pèse sur le corps, et voilà surtout en quoi consiste la vertu de cette étoffe.

— Certainement, répondirent les aides de camp ; mais ils ne voyaient rien, puisqu’il n’y avait rien.

— Si Votre Altesse daigne se déshabiller, dirent les fripons, nous lui essayerons les habits devant la grande glace. »

Le grand-duc se déshabilla, et les fripons firent semblant de lui présenter une pièce après l’autre. Ils lui prirent le corps comme pour lui attacher quelque chose. Il se tourna et se retourna devant la glace.

« Grand Dieu ! que cela va bien ! quelle coupe élégante ! s’écrièrent tous les courtisans. Quel dessin ! quelles couleurs ! quel précieux costume ! »

Le grand maître des cérémonies entra.

« Le dais sous lequel Votre Altesse doit assister à la procession est à la porte, dit-il.

— Bien ! je suis prêt, répondit le grand-duc. Je crois que je ne suis pas mal ainsi. »

Et il se tourna encore une fois devant la glace pour bien regarder l’effet de sa splendeur.

Les chambellans qui devaient porter la queue firent semblant de ramasser quelque chose par terre ; puis ils élevèrent les mains, ne voulant pas convenir qu’ils ne voyaient rien du tout.

Tandis que le grand-duc cheminait fièrement à la procession sous son dais magnifique, tous les hommes, dans la rue et aux fenêtres, s’écriaient : « Quel superbe costume ! Comme la queue en est gracieuse ? Comme la coupe en est parfaite ! » Nul ne voulait laisser voir qu’il ne voyait rien ; il aurait été déclaré niais ou incapable de remplir un emploi. Jamais les habits du grand-duc n’avaient excité une telle admiration.

« Mais il me semble qu’il n’a pas du tout d’habit, observa un petit enfant.

— Seigneur Dieu, entendez la voix de l’innocence ! » dit le père.

Et bientôt on chuchota dans la foule en répétant les paroles de l’enfant.

« Il y a un petit enfant qui dit que le grand-duc n’a pas d’habit du tout !

— Il n’a pas du tout d’habit ! » s’écria enfin tout le peuple.

Le grand-duc en fut extrêmement mortifié, car il lui semblait qu’ils avaient raison. Cependant il se raisonna et prit sa résolution :

« Quoi qu’il en soit, il faut que je reste jusqu’à la fin ! »

Puis, il se redressa plus fièrement encore, et les chambellans continuèrent à porter avec respect la queue qui n’existait pas.

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Chapitre 3La bergère et le ramoneur

Avez-vous jamais vu une de ces armoires antiques, toutes noires de vieillesse, à enroulements et à feuillage ? C’était précisément une de ces armoires qui se trouvait dans la chambre : elle venait de la trisaïeule, et de haut en bas elle était ornée de roses et de tulipes sculptées. Mais ce qu’il y avait de plus bizarre, c’étaient les enroulements, d’où sortaient de petites têtes de cerf avec leurs grandes cornes. Au milieu de l’armoire on voyait sculpté un homme d’une singulière apparence : il ricanait toujours, car on ne pouvait pas dire qu’il riait. Il avait des jambes de bouc, de petites cornes à la tête et une longue barbe. Les enfants l’appelaient le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc, nom qui peut paraître long et difficile, mais titre dont peu de personnes ont été honorées jusqu’à présent. Enfin, il était là, les yeux toujours fixés sur la console placée sous la grande glace, où se tenait debout une gracieuse petite bergère de porcelaine. Elle portait des souliers dorés, une robe parée d’une rose toute fraîche, un chapeau d’or et une houlette : elle était charmante. Tout à côté d’elle se trouvait un petit ramoneur noir comme du charbon, mais pourtant de porcelaine aussi. Il était aussi gentil, aussi propre que vous et moi ; car il n’était en réalité que le portrait d’un ramoneur. Le fabricant de porcelaine aurait tout aussi bien pu faire de lui un prince ; ce qui lui aurait été vraiment bien égal.

Il tenait gracieusement son échelle sous son bras, et sa figure était rouge et blanche comme celle d’une petite fille ; ce qui ne laissait pas d’être un défaut qu’on aurait pu éviter en y mettant un peu de noir. Il touchait presque la bergère : on les avait placés où ils étaient, et, là où on les avait posés, ils s’étaient fiancés. Aussi l’un convenait très bien à l’autre : c’étaient des jeunes gens faits de la même porcelaine et tous deux également faibles et fragiles.

Non loin d’eux se trouvait une autre figure trois fois plus grande : c’était un vieux Chinois qui savait hocher la tête. Lui aussi était en porcelaine ; il prétendait être le grand-père de la petite bergère, mais il n’avait jamais pu le prouver. Il soutenait qu’il avait tout pouvoir sur elle, et c’est pourquoi il avait répondu par un aimable hochement de tête au Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc, qui avait demandé la main de la petite bergère.

« Quel mari tu auras là ! dit le vieux Chinois, quel mari ! Je crois quasi qu’il est d’acajou. Il fera de toi madame la Grande-générale-commandante-en-chef-Jambe-de-Bouc ; il a toute son armoire remplie d’argenterie, sans compter ce qu’il a caché dans les tiroirs secrets.

— Je n’entrerai jamais dans cette sombre armoire, dit la petite bergère ; j’ai entendu dire qu’il y a dedans onze femmes de porcelaine.

— Eh bien ! tu seras la douzième, dit le Chinois. Cette nuit, dès que la vieille armoire craquera, on fera la noce, aussi vrai que je suis un Chinois. »

Et là-dessus il hocha la tête et s’endormit.

Mais la petite bergère pleurait en regardant son bien-aimé, le ramoneur.

« Je t’en prie, dit-elle, aide-moi à m’échapper dans le monde, nous ne pouvons plus rester ici.

— Je veux tout ce que tu veux, dit le petit ramoneur. Sauvons-nous tout de suite ; je pense bien que je saurai te nourrir avec mon état.

— Pourvu que nous descendions heureusement de la console, dit-elle. Je ne serai jamais tranquille tant que nous ne serons pas hors d’ici. »

Et il la consola, et il lui montra comment elle devait poser son petit pied sur les rebords sculptés et sur le feuillage doré. Il l’aida aussi avec son échelle, et bientôt ils atteignirent le plancher. Mais en se retournant vers la vieille armoire, ils virent que tout y était en révolution. Tous les cerfs sculptés allongeaient la tête, dressaient leurs bois et tournaient le cou. Le Grand-général-commandant-en chef-Jambe-de-Bouc fit un saut et cria au vieux Chinois : « Les voilà qui se sauvent ! ils se sauvent ! »

Alors ils eurent peur et se réfugièrent dans le tiroir du marchepied de la fenêtre 1.

Là se trouvaient trois ou quatre jeux de cartes dépareillés et incomplets, puis un petit théâtre qui avait été construit tant bien que mal. On y jouait précisément une comédie, et toutes les dames, qu’elles appartiennent à la famille des carreaux ou des piques, des cœurs ou des trèfles, étaient assises aux premiers rangs et s’éventaient avec leurs tulipes ; et derrière elles se tenaient tous les valets, qui avaient à la fois une tête en l’air et l’autre en bas, comme sur les cartes à jouer. Il s’agissait dans la pièce de deux jeunes gens qui s’aimaient, mais qui ne pouvaient arriver à se marier. La bergère pleura beaucoup, car elle croyait que c’était sa propre histoire.

« Ça me fait trop de mal, dit-elle. Il faut que je quitte le tiroir. »

Mais lorsqu’ils mirent de nouveau le pied sur le plancher et qu’ils jetèrent les yeux sur la console, ils aperçurent le vieux Chinois qui s’était réveillé et qui se démenait violemment.

« Voilà le vieux Chinois qui accourt ! s’écria la petite bergère, et elle tomba sur ses genoux de porcelaine, tout à fait désolée.

— J’ai une idée, dit le ramoneur. Nous allons nous cacher au fond de la grande cruche qui est là dans le coin. Nous y coucherons sur des roses et sur des lavandes, et s’il vient, nous lui jetterons de l’eau aux yeux.

— Non, ce serait inutile, lui répondit-elle. Je sais que le vieux Chinois et la Cruche ont été fiancés, et il reste toujours un fond d’amitié après de pareilles relations, même longtemps après. Non, il ne nous reste pas d’autre ressource que de nous échapper dans le monde.

— Et en as-tu réellement le courage ? dit le ramoneur. As-tu songé comme le monde est grand, et que nous ne pourrons plus jamais revenir ici ?

— J’ai pensé à tout », répliqua-t-elle.

Et le ramoneur la regarda fixement, et dit ensuite : « Le meilleur chemin pour moi est par la cheminée. As-tu réellement le courage de te glisser avec moi dans le poêle et de grimper le long des tuyaux ? C’est par là seulement que nous arriverons dans la cheminée, et là je saurai bien me retourner. Il faudra monter aussi haut que possible, et tout à fait au haut nous parviendrons à un trou par lequel nous entrerons dans le monde. »

Il la conduisit à la porte du poêle : « Dieu ! qu’il y fait noir ! » s’écria-t-elle.

Cependant elle l’y suivit, et de là dans les tuyaux, où il faisait une nuit noire comme la suie.

« Nous voilà maintenant dans la cheminée, dit-il. Regarde, regarde là-haut la magnifique étoile qui brille. »

Il y avait en effet au ciel une étoile qui semblait par son éclat leur montrer le chemin : ils grimpaient, ils grimpaient toujours. C’était une route affreuse, si haute, si haute ! mais il la soulevait, il la soutenait, et lui montrait les meilleurs endroits où mettre ses petits pieds de porcelaine.

Ils arrivèrent ainsi jusqu’au rebord de la cheminée où ils s’assirent pour se reposer, tant ils étaient fatigués : et ils avaient bien de quoi l’être !

Le ciel avec toutes ses étoiles s’étendait au-dessus d’eux, et les toits de la ville s’inclinaient bien au-dessous. Ils promenèrent leur regard très loin tout autour d’eux, bien loin dans le monde. La petite bergère ne se l’était jamais figuré si vaste : elle appuyait sa petite tête sur le ramoneur et pleurait si fort que ses larmes tachèrent sa ceinture.

« C’est trop, dit-elle ; c’est plus que je n’en puis supporter. Le monde est trop immense : oh ! que ne suis-je encore sur la console près de la glace ! Je ne serai pas heureuse avant d’y être retournée. Je t’ai suivi dans le monde ; maintenant ramène-moi là-bas, si tu m’aimes véritablement. »

Et le ramoneur lui parla raison ; il lui rappela le vieux Chinois, et le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc. Mais elle sanglotait si fort, et elle embrassa si bien son petit ramoneur, qu’il ne put faire autrement que de lui céder, quoique ce fût insensé.

Ils se mirent à descendre avec beaucoup de peine par la cheminée, se glissèrent dans les tuyaux, et arrivèrent au poêle. Ce n’était pas certes un voyage d’agrément, et ils s’arrêtèrent à la porte du poêle sombre pour écouter et apprendre ce qui se passait dans la chambre.

Tout y était bien tranquille : ils mirent la tête dehors pour voir. Hélas ! le vieux Chinois gisait au milieu du plancher. Il était tombé en bas de la console en voulant les poursuivre, et il s’était brisé en trois morceaux. Tout le dos s’était détaché du reste du corps, et la tête avait roulé dans un coin. Le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc conservait toujours la même position et réfléchissait.

« C’est terrible, dit la petite bergère, le vieux grand-père s’est brisé, et c’est nous qui en sommes la cause ! Oh ! je ne survivrai jamais à ce malheur ! »

Et elle tordait ses petites mains.

« On pourra encore le recoller, dit le ramoneur ; oui, on pourra le recoller. Allons, ne te désole pas ; si on lui recolle le dos et qu’on lui mette une bonne attache à la nuque, il deviendra aussi solide que s’il était tout neuf, et pourra encore nous dire une foule de choses désagréables.

— Tu crois ? » dit-elle.

Et ils remontèrent sur la console où ils avaient été placés de tout temps.

« Voilà où nous en sommes arrivés, dit le ramoneur ; nous aurions pu nous épargner toute cette peine.

— Oh ! si seulement notre vieux grand-père était recollé ! dit la bergère. Est-ce que ça coûte bien cher ? »

Et le grand-père fut recollé. On lui mit aussi une bonne attache dans le cou, et il devint comme neuf. Seulement il ne pouvait plus hocher la tête.

« Vous faites bien le fier, depuis que vous avez été cassé, lui dit le Grand-général-commandant-en-chef-Jambe-de-Bouc. Il me semble que vous n’avez aucune raison de vous tenir si roide ; enfin, voulez-vous me donner la main, oui ou non ? »

Le ramoneur et la petite bergère jetèrent sur le vieux Chinois un regard attendrissant : ils redoutaient qu’il ne se mît à hocher la tête ; mais il ne le pouvait pas, et il aurait eu honte de raconter qu’il avait une attache dans le cou.

Grâce à cette infirmité, les deux jeunes gens de porcelaine restèrent ensemble ; ils bénirent l’attache du grand-père, et ils s’aimèrent jusqu’au jour fatal où ils furent eux-mêmes brisés.

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Chapitre 4Le briquet

Un soldat marchait sur la grand-route : une, deux ! une, deux ! Il avait le sac sur le dos et le sabre au côté ; il avait fait la guerre, et maintenant il revenait chez lui. Chemin faisant, il rencontra une vieille sorcière ; elle était bien vilaine, sa lèvre inférieure tombait sur sa poitrine.

« Bonsoir, soldat ! dit-elle ; que ton sabre est beau ! que ton sac est grand ! Tu m’as l’air d’un vrai soldat ; aussi je vais te donner autant d’argent que tu voudras.

— Merci, vieille sorcière, répondit le soldat.

— Vois-tu ce grand arbre ? continua la sorcière en désignant un arbre tout voisin ; il est entièrement creux ; monte au sommet, tu verras un grand trou ; laisse-toi glisser par ce trou jusqu’au fond de l’arbre. Je vais te passer une corde autour du corps pour pouvoir te hisser quand tu m’appelleras.

— Que ferai-je dans l’arbre ? demanda le soldat.

— Tu chercheras de l’argent. Une fois au fond de l’arbre, tu te trouveras dans un grand corridor bien éclairé, car il y brûle plus de cent lampes. Tu verras trois portes ; tu pourras les ouvrir, les clefs sont aux serrures. Si tu entres dans la première chambre, tu apercevras, au milieu du plancher, une grosse caisse avec un chien dessus. Les yeux de ce chien sont grands comme des tasses à thé, mais n’y fais pas attention. Je te donnerai mon tablier à carreaux bleus, tu l’étendras sur le plancher ; marche alors courageusement sur le chien, saisis-le, dépose-le sur mon tablier, ouvre la caisse et prends-y autant de sous que tu voudras. Tous sont de cuivre ; si tu aimes mieux l’argent, entre dans la seconde chambre. Là est assis un chien dont les yeux sont aussi grands que la roue d’un moulin : n’y fais pas attention, mets-le sur mon tablier, et prends de l’argent à ta guise. Si c’est de l’or que tu préfères, tu en auras aussi autant que tu voudras ; pour cela, il te suffit d’entrer dans la troisième chambre. Mais le chien qui est assis sur la caisse a des yeux aussi grands que la grosse tour ronde. Crois-moi, c’est un fier chien ! Toutefois n’y fais pas attention : dépose-le sur mon tablier ; il ne te fera aucun mal, et prends alors dans la caisse autant d’or que tu voudras.

— Voilà qui me convient, dit le soldat ; mais que veux-tu que je te donne, vieille sorcière ? Il te faut ta part aussi, je pense.

— Non je ne veux pas un sou : tu m’apporteras seulement le vieux briquet que ma grand-mère a laissé là lors de sa dernière visite.

— Bien ! passe-moi la corde autour du corps.

— La voici ; et voici de même mon tablier à carreaux bleus. »

Le soldat monta sur l’arbre, se laissa glisser par le trou, et se trouva, comme avait dit la sorcière, dans un grand corridor éclairé de cent lampes.

Il ouvrit la première porte : ouf ! le chien était assis, et il fixa sur lui ses yeux grands comme des tasses à thé.

« Tu es un beau garçon », dit le soldat en le saisissant ; il le déposa sur le tablier de la sorcière et prit autant de sous de cuivre qu’en pouvaient contenir ses poches. Puis il ferma la caisse, replaça le chien dessus, et s’en alla vers l’autre chambre.

Eh ! le chien était assis, celui qui avait les yeux grands comme une meule de moulin. « Prends garde de me regarder trop fixement, dit le soldat, tu pourrais gagner mal aux yeux. »

Puis il plaça le chien sur le tablier de la sorcière. Mais, en voyant la grande quantité de monnaie d’argent que contenait la caisse, il jeta tous ses sous de cuivre, et bourra d’argent ses poches et son sac.

Puis il entra dans la troisième chambre. Oh ! c’était horrible ! le chien avait en effet des yeux aussi grands que la tour ronde ; ils tournaient dans sa tête comme des roues.

« Bonsoir », dit le soldat en faisant le salut militaire, car de sa vie il n’avait vu un pareil chien. Mais après l’avoir un peu regardé : « Suffit ! » pensa-t-il : il le descendit à terre et ouvrit la caisse. Grand Dieu ! que d’or il y avait ! Il y avait de quoi acheter toute la ville de Copenhague, tous les porcs en sucre des marchands de gâteaux, tous les soldats de plomb, tous les jouets, tous les dadas du monde ; oui, il y en avait, de l’or.

Le soldat jeta toute la monnaie d’argent dont il avait rempli ses poches et son sac, et il la remplaça par de l’or. Il chargea tellement ses poches, son sac, sa casquette et ses bottes, qu’il pouvait à peine marcher. Était-il riche ! Il remit le chien sur la caisse, ferma la porte, et cria par le trou de l’arbre.

« Maintenant, hissez-moi, vieille sorcière !

— As-tu le briquet ? demanda-t-elle.

— Diable ! je l’avais tout à fait oublié. »

Il retourna pour le chercher. Puis, la sorcière le hissant, il se trouva de nouveau sur la grand-route, les poches, le sac, les bottes et la casquette pleins d’or.

« Que vas-tu faire de ce briquet, demanda le soldat.

— Cela ne te regarde pas. Tu as eu ton argent ; donne-moi le briquet.

— Pas tant de sornettes ! dis-moi tout de suite ce que tu vas en faire, ou je tire mon sabre et je te décapite.

— Non ! » répondit la sorcière.

Le soldat lui coupa la tête. La voilà étendue ; lui, il noua son argent dans le tablier, le chargea sur son dos, mit le briquet dans sa poche, et se rendit à la ville.

C’était une bien belle ville. Il entra dans la meilleure auberge, demanda la meilleure chambre et ses mets de prédilection : il était si riche !

Le domestique qui devait cirer ses bottes trouva étonnant qu’un seigneur aussi riche eût de vieilles bottes si ridicules. Le soldat n’avait pas encore eu le temps de les remplacer ; ce ne fut que le lendemain qu’il se procura de belles bottes et des vêtements tout à fait élégants. Voilà donc le soldat devenu grand seigneur. On lui fit l’énumération de tout ce qu’il y avait de beau dans la ville ; on lui parla du roi et de la charmante princesse, sa-fille.

« Comment faire pour la voir ? demanda le soldat.

— C’est bien difficile ! lui répondit-on. Elle demeure dans un grand château de cuivre, entouré de murailles et de tours. Personne, excepté le roi, ne peut entrer chez elle ; car on a prédit qu’elle serait un jour mariée à un simple soldat, et le roi en est furieux.

— Je voudrais pourtant bien la voir, pensa le soldat ; mais comment obtenir cette permission ? »

En attendant, il menait joyeuse vie, allait au spectacle, se promenait en voiture dans le jardin du roi et faisait beaucoup d’aumônes, ce qui était très beau. Il savait par expérience combien il est dur de n’avoir pas le sou. Maintenant il était riche, il avait de beaux habits, et avec cela des amis qui répétaient en chœur : « Vous êtes aimable, vous êtes un parfait cavalier. » Cela flattait les oreilles du soldat. Mais, comme tous les jours il dépensait de l’argent sans jamais en recevoir, un beau matin, il ne lui resta que deux sous. La belle chambre qu’il habitait, il fallut la quitter et prendre à la place un petit trou sous les toits. Là il était obligé de cirer lui-même ses bottes, de les raccommoder avec une grosse aiguille, et aucun de ses amis ne venait le voir : il y avait trop d’escaliers à monter.

Un soir bien sombre, il n’avait pas eu de quoi s’acheter une chandelle : il se rappela soudain qu’il s’en trouvait un petit bout dans le briquet de l’arbre creux. Il saisit donc le briquet et le bout de chandelle ; mais, au moment même où les étincelles jaillirent du caillou, la porte s’ouvrit tout à coup, et le chien qui avait les yeux aussi grands que des tasses à thé se trouva debout devant lui et dit : « Monseigneur, qu’ordonnez-vous ?

— Qu’est-ce que cela ? s’écria le soldat. Voilà un drôle de briquet ! J’aurai donc de cette manière tout ce que je voudrai ? Vite ! apporte-moi de l’argent. »

Houp ! l’animal est parti. Houp ! le voilà de retour, tenant dans sa gueule un grand sac rempli de sous.

Le soldat savait maintenant quel précieux briquet il possédait. S’il battait une fois, c’était le chien de la caisse aux sous qui paraissait ; battait-il deux fois, c’était le chien de la caisse d’argent ; trois fois, celui qui gardait l’or.

Il retourna dans sa belle chambre, reprit ses beaux habits ; et ses amis de revenir en hâte : ils l’aimaient tant !

Un jour, le soldat pensa : « C’est pourtant une chose bien singulière qu’on ne puisse parvenir à voir cette princesse ! Tout le monde est d’accord sur sa parfaite beauté ; mais à quoi sert la beauté dans une prison de cuivre ? N’y aurait-il pas un moyen pour moi de la voir ? Où est mon briquet ? » Il fit feu. Houp ! voilà le chien avec les yeux comme des tasses à thé qui est déjà présent.

« Pardon ! il est bien tard, dit le soldat, mais je voudrais voir la princesse, ne fût-ce qu’un instant. »