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Alors que le Maroc se présente comme une destination accueillante, la réalité du racisme anti-noir persiste dans ses rues. Dans ce contexte, l’histoire d’amour entre Rokhaya, marocaine, et Narcisse, camerounais, est un témoignage poignant des défis auxquels sont chaque jour confrontées les personnes qui souhaitent s’unir par le mariage. "Âazi" dévoile ces tensions sous-jacentes, révélant la lutte continuelle contre les préjugés dans une société en constante évolution.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Éric Rodrigue Mentouga consacre sa vie à la composition d’intrigues qui plongent au cœur de la société, dans sa brutalité et son réalisme. Déjà auteur d’une dizaine de romans, il vous emmène cette fois dans les couloirs sombres de la xénophobie, quelque part entre les rêves brisés et la désillusion.
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Seitenzahl: 217
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Éric Rodrigue Mentouga
Âazi
Roman
© Lys Bleu Éditions – Éric Rodrigue Mentouga
ISBN : 979-10-422-2682-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma fille, Aaliyah Bradley Noah Mentouga,
et à sa mère Soukaïna Rouchati, mon ex-épouse
Il est sept heures du matin. En cette période hivernale, la température avoisine les deux degrés. Il s’en faut de peu qu’il neige à Kénitra, cette ville située à une quarantaine de kilomètres au nord de Rabat, la capitale politique du Maroc, où Narcisse a élu domicile depuis bientôt trois ans, quittant sa mère patrie le Cameroun.
Il s’est installé au quartier Ouled Oujih non loin de l’Université Ibn Tofail où il poursuit ses études supérieures en Sciences mathématique et informatique. Comme nombre d’étudiants subsahariens présents sur le sol marocain, Narcisse profite d’un programme de bourse, fruit de la coopération entre son pays et le Royaume du Maroc.
Si déjà son vol dans le Boeing 747 de la compagnie nationale marocaine Royal Air Maroc (RAM) était un véritable baptême de feu, c’est tout un autre monde qu’il découvre. Deux années pourtant après son établissement en ces terres lointaines, le conquérant de l’Atlas peine à s’acclimater. L’on ne s’habitue pas au froid. Les températures au Maroc sont tellement si basses en cette période hivernale que beaucoup choisissent de ne se doucher que le jeudi soir en prélude à la prière du vendredi qui est un important moment de recueillement pour la population à majorité musulmane.
Le Royaume du Maroc, monarchie constitutionnelle, demeure un État islamique malgré la présence de divers groupes religieux. Même si la Constitution dispose que chacun est libre de pratiquer sa propre religion, l’Islam demeure la religion officielle de l’État et Sa Majesté le roi, Dieu l’assiste, est le « Commandeur des Croyants » chargé d’assurer le « respect de l’Islam » dans le pays. Quand bien même les communautés étrangères non musulmanes sont en droit de pratiquer ouvertement leurs croyances, la loi leur interdit la distribution de documentation religieuse non musulmane et bannit tout prosélytisme. Les non musulmans sont même tenus de se convertir formellement à l’Islam avant de pouvoir épouser une musulmane ou d’adopter un enfant. L’on compte pourtant parmi les Marocains des minorités juive et chrétienne en plus d’expatriés assez nombreux tant la destination touristique est prisée.
L’industrie touristique au Maroc est en effet un secteur économique important ; bon an mal an, il représente de 8 % à 10 % du PIB du pays. Sur le plan touristique, le Maroc dispose d’atouts remarquables : son climat, sa culture spécifique, ses villes impériales et sa position géographique.
Entre déserts et plages de rêve, ce pays du pourtour méditerranéen offre l’atout incomparable d’allier une variété de paysages et une richesse culturelle et historique. Des dunes du Sahara aux montagnes de l’Atlas en passant par la côte Atlantique, le Maroc offre un nombre étonnant de visites et de découvertes. La richesse architecturale et culturelle des médinas du nord, des plages de rêve et un désert aux portes de Ouarzazate font du Maroc une destination soleil aux mille et une saveurs.
Couscous, tajine traditionnel, cornes de gazelle, batbout, qui ne raffole pas de la gastronomie marocaine ! Mêlant cuisine andalouse, berbère et arabe, elle est sans nul doute l’une des plus fines du Maghreb. Épices colorées, légumes du soleil (tomates, courgettes, aubergines…) et viandes de poulet ou agneau, c’est une oasis de délices !
Les plaisirs du soir et de la nuit ne sont pas en reste : bars et dancings fonctionnent jusqu’à, l’aube. C’est davantage l’accueil chaleureux de la population – qui parle français dans sa majorité – qui séduit. La courtoisie fait partie intégrante du paysage. Tout se passe comme si une antique vertu d’hospitalité, rendue nécessaire par la rude vie du désert, s’était mise naturellement au service de touristes… Blancs !
Une différence notoire se fait en effet sentir entre le traitement réservé aux touristes occidentaux et celui aux Négro-Africains. Les immigrés subsahariens sont plus vus comme des envahisseurs fuyant le mal-être social dans leurs pays pour trouver refuge dans un Royaume où les populations autochtones peinent elles-mêmes déjà à joindre les deux bouts. Pas étonnant d’entendre les Marocains appeler ces subsahariens « Africains » comme si eux étaient ressortissants d’un autre continent.
Si l’histoire y est pour beaucoup, ce racisme indéniable au Maghreb n’est pas qu’un reliquat du colonialisme. Il faudrait l’appréhender en prenant la pleine mesure des effets que des siècles de traite arabo-berbère ont eus. Une histoire faite de razzias, de déportations massives et de pratique systématique de la castration par les négriers arabo-berbères qui pourrait permettre de comprendre la persistance d’une négrophobie systémique au Maroc et au Maghreb dans sa globalité.
L’existence de « marchés aux esclaves », d’abus sexuels et de travaux forcés a ainsi scellé un pacte entre les descendants des victimes et ceux des bourreaux. Dans l’inconscient des Maghrébins, ce passé esclavagiste, bien qu’enfoui dans les tréfonds du déni et du tabou, a abouti à une hiérarchisation des races faisant du « nègre » (« Âazi ») l’esclave et de l’Arabe le maître. Ils ne veulent pas de Noirs chez eux, pourtant ils en comptent parmi leurs compatriotes.
Les « anciens », ceux des Camerounais installés au Maroc bien avant, ont tôt fait de mettre en garde les nouveaux contre ces ressortissants nationaux selon eux très hypocrites. Recommandation leur a été faite de préférer la compagnie de leurs congénères Noirs à celle des Marocains susceptibles de leur jouer de très mauvais tours.
Un repli identitaire qui s’observe ainsi au sein des communautés Noires où les étudiants étrangers, vivant le plus souvent en colocation, occupent les mêmes immeubles par mesure de précaution et prennent d’assaut les quartiers aux loyers modérés. Ces regroupements leur permettent de faire face plus efficacement aux agressions des populations locales qui n’hésitent pas à les prendre à partie dans les rues. Quand ils ne les traitent pas d’Âazi (« nègre »), de chimpanzés, ou de toute autre chose, ils les considèrent comme porteurs de maladies telles le VIH-SIDA.
Les femmes négro-africaines sont quant à elles insultées du fait de leur morphologie jugée masculine par trop de testostérone. La beauté s’apparentant pour eux à la fine silhouette en plus de la couleur de peau. Mariages mixtes entre hommes arabes et femmes négro-africaines sont donc rendus impossibles. Seules leurs femmes sortent de la mêlée, car elles ne trouvent aucun inconvénient à prendre un « Âazi » pour époux. L’amour est universel, transcende les couleurs, les frontières et nous rend tous égaux.
Alors qu’aller avec un Noir est considéré comme la h'chouma (« honte ») au Maghreb, en Afrique au sud du Sahara, le complexe d’infériorité face à la peau blanche persiste. Les Négro-Africains se voient et se font tout petits devant les Occidentaux qu’ils prennent pour modèles. Leurs femmes en viennent à se décaper la peau pour ressembler aux Blanches, complexées qu’elles sont par leur peau couleur d’ébène. Certaines de faire de l’effet aux hommes, leurs nourriciers, dotées qu’elles seront alors de ce teint « commercial » qui passe mieux sur le marché institutionnalisé des échanges économico-sexuels.
Alors qu’elles réclament une égalité de genre, elles se tirent elles-mêmes une balle dans la chaussure en montrant à quel point il importe pour elles de séduire les hommes, leurs bailleurs de fonds. Les produits éclaircissants ont ainsi pignon sur rue dans toutes les contrées africaines. Des femmes qui hier étaient toutes noires sont aujourd’hui blanchies par le miracle sur le long terme nocif du ndjansang (éclaircissement de la peau). Un investissement pour celles-là qui font de leur corps un véritable fonds de commerce, considérant encore leurs fesses et leurs nichons comme des arguments en plein 21e siècle, où des féministes à la tête pleine et bien faite se battent pour la disparition de la « femme-objet ».
Hommes mariés, fortunés, souvent plus âgés, ces jeunes femmes ont pris pour habitude, sous le regard complice sinon impuissant de leurs parents, de proposer des faveurs sexuelles à leurs multiples partenaires en contrepartie des cadeaux ou de l’argent pour financer leurs études, payer leurs factures et s’offrir des biens matériels onéreux. Même si elles le font parfois pour subvenir aux besoins de leur famille, rien n’expliquerait que la difficile situation économique pousse ces jeunes à recourir à de telles pratiques. Au-delà de la crise de l’éducation, l’irresponsabilité des parents y est pour beaucoup.
Bien que ce portrait reflète la réalité de la femme africaine moderne, le rêve serait de voir la femme africaine dans toute sa beauté, sa dignité et sa force se battre pour son inclusion sociale dans un monde où elle est souvent reléguée au second plan. Voilà qui viendrait stimuler et orienter ces jeunes filles en manque de repères vers la construction d’une autre Afrique où les femmes du fait de leurs initiatives et de leurs actions, joueraient un rôle moteur dans le développement des économies de leurs pays !
Hélas, beaucoup de chemin reste encore à faire avant la disparition de la « femme-objet » dans les sociétés patriarcales africaines où l’homme se considère comme supérieur à la femme et n’accepte nullement que cette dernière lui tienne tête. Celles des femmes qui osent s’émanciper finissent ou bien divorcées ou bien mises au ban de la société. N’y prospèrent que celles-là qui choisissent de baisser la tête parce que le mariage chez eux est synonyme de soumission. N’a droit à un foyer que celle-là qui accepte sa place naturelle au gîte et à la cuisine.
La femme dans de nombreuses cultures africaines est considérée comme une pondeuse d’enfants bonne à passer la serpillière, faire la cuisine et assouvir les désirs de son mari. Dans cet état de choses, peu d’hommes conçoivent que leur femme ait un emploi, car pour eux le travail de la femme est une porte ouverte à l’infidélité. Pour peu qu’une femme puisse se soustraire du portefeuille de son homme, elle verse dans le mépris et l’insubordination. Forte et indépendante, elle ne quête qu’un donneur pour la féconder sans plus. La femme n’est soumise qu’à l’argent et l’homme n’a d’amour qu’à la mesure de sa poche. Riche, il impose la polygamie. Mais pauvre, il accepte la monogamie !
C’est cette considération de la femme négro-africaine qui donne à Narcisse de songer à prendre pour épouse une femme d’une autre culture. Son séjour au Maroc est en cela une aubaine. Combien heureux serait-il que de tomber sur une Marocaine qui n’éprouve aucun complexe à s’enticher d’un Noir ! Pari difficile, mais pas impossible, il compte bien y arriver en se faisant progressivement des amis au sein de la communauté marocaine.
Un matin alors qu’il se rend à la fac, une toute petite voiture se gare et sa conductrice d’origine marocaine lui fait signe de la main. À sa grande surprise, elle lui propose de le déposer au campus où elle conduit ses deux fils à bord du véhicule. Deux jumeaux, se ressemblant comme deux gouttes d’eau. Hassan et Houssine, ils se nomment. Les présentations sont faites. Ses deux camarades de bord sont étudiants en filière Sciences, mathématique et physique (SMP). Ils sont à leur deuxième année, tandis que le jeune Camerounais prépare sa licence en Sciences mathématique et informatique.
Madame Kabech recommande à Narcisse de prendre soin de ses deux fils comme de ses deux petits frères. Elle sait « les Africains » très intelligents et serait ravie qu’il aide ses enfants avec des cours de soutien en mathématique. Ils habitent la rue juste après la sienne en allant vers le marché des vivres. Invitation lui est d’ailleurs faite d’aller communier avec eux le lendemain après la prière du vendredi autour d’un bon couscous marocain. Ce n’est pas de refus !
C’est un honneur pour l’immigré subsaharien que de se savoir apprécié de ressortissants nationaux. C’est d’ailleurs avec la plus grande joie qu’il retrouve ses nouveaux amis à la peau blanche à la buvette juste après les deux premières heures de cours de la journée.
Hassan et Houssine sont eux aussi très heureux de l’accueillir dans leur bande de copains. Ils lui font de la place sous le regard curieux de leurs compatriotes pas très habitués à de telles amitiés. Ici Subsahariens marchent et s’asseyent entre eux, idem pour les Marocains contraints de s’exprimer en français lorsqu’ils sont amenés à sympathiser avec ces immigrés qui ne parlent pas leur Darija, dialecte local. Sortant d’un cursus secondaire où les cours sont dispensés en arabe avant de l’être en français au supérieur, ils n’ont que peine à suivre. Nombre d’entre eux finissent par déserter les bancs, car n’arrivant pas à valider des modules qu’ils auraient assimilés s’ils eussent été dispensés en arabe. Hélas !
Traîner avec des immigrés est aussi un moyen, pour beaucoup, d’améliorer leur niveau de langue. Ceux d’entre eux qui sont issus des lycées français n’ont en revanche pas ce problème, car dans ces institutions étrangères, les cours sont bel et bien dispensés en la sublime langue de Molière. Parler français est un luxe pour les Arabes. De pouvoir converser avec Narcisse en cette langue est donc aussi une frime pour ses nouveaux copains qui se plaisent à le présenter à tous ceux qui viennent à passer. Le Négro-Africain se sent mis à l’honneur, car ses congénères sont également stupéfaits par les fous rires qui s’entendent de la cantine où ils sont installés depuis plus d’une heure, attendant la pause de midi.
Se lier d’amitié avec des Hommes d’une autre race passe pour être un honneur aux yeux de l’originaire de Monatélé dans la Lékié au Centre Cameroun. Il ne peut s’empêcher de prendre des clichés pour les partager sur les réseaux sociaux de sorte que ceux restés au pays réalisent la belle vie qu’il mène en ces terres lointaines. Il a percé !
Le Maroc est un Eldorado pour nombre de subsahariens, mais aussi et surtout un tremplin pour les migrants qui cherchent à rallier l’Europe passant par la mer Méditerranée ou grimpant les murs des enclaves espagnoles Ceuta et Melilla. De plus en plus nombreux sur le territoire marocain, ces migrants clandestins sont à l’origine du dédain qu’éprouvent les ressortissants nationaux à l’égard de ces Hommes de couleur, auteurs, pour eux, de crimes crapuleux, viols, et autres petits larcins. Réputés pour leur mendicité, ils bordent les rues des grandes villes ou sillonnent les quartiers à la quête des restes souvent déposés au pied des immeubles. Ils vivent d’expédients en attendant leur départ en direction du vieux continent. Voyage que leur proposent des facilitateurs-passeurs, non sans leur avoir extorqué des fonds.
Ces populations les plus pauvres de la planète essuient moult arnaques et abus sur le chemin de l’émigration. Hommes comme femmes sont violés, dépouillés du peu d’argent qu’il leur reste et même de leurs papiers souvent. Dans l’imagerie populaire, un immigré noir passe donc avant tout pour être un clandestin. Ils ne l’imaginent même pas scolarisé, encore moins détenteur d’un pouvoir d’achat lui permettant de mener une vie décente encore moins de subvenir à ses besoins.
« Que font les Noirs à midi ? » La blague est de Houssine qui taquine le Camerounais. Les Marocains adorent l’humour et rient de tout. Puisque l’occasion s’y prête, Narcisse ne se prive pas non plus de dire des blagues teintées de racisme, mais dans une ambiance bon enfant :
Ils sont pris d’un fou rire, mais reviennent à la charge.
Sur ces mots, le jeune étudiant prend congé de ses compagnons de deux heures. Tous les trois n’ont finalement pas repris les cours jusqu’à ce que les surprenne cette vilaine pause de midi. Les ressortissants nationaux rentrent déjeuner chez eux tandis que l’immigré va rejoindre sa petite amie, d’origine comorienne, Rania.
Tous les deux partagent la même chambre depuis quelque temps. Elle vivait tout d’abord à la cité universitaire privée située juste en face du campus. Mais pour minimiser les coûts, les deux tourtereaux ont jugé plus utile et moins coûteux de vivre en colocation. Ils occupent la plus grande chambre de l’appartement qu’ils partagent avec des Camerounais boursiers comme eux de l’Agence marocaine de la Coopération internationale.
Ce séjour en terre marocaine est en outre une belle occasion de faire des rencontres, surtout des rencontres mixtes comme celle de cette Comorienne métissée, petite de taille, mais à la morphologie gracieuse. Jambes arquées, sourire désarmant avec ses yeux de biche, son déhanchement a fait tomber sans effort Narcisse qui partage sa vie depuis près de deux ans. Ils sont tous les deux membres de cette association de stagiaires et étudiants africains étrangers qui leur donne de se divertir lors de rencontres culturelles et sportives en plus des nombreuses activités organisées par le bureau exécutif élu pour un mandat d’un an.
Cette année, c’est un Comorien qui préside aux destinées de la CESAM (Confédération des Étudiants et Stagiaires africains étrangers au Maroc). Narcisse, chrétien et étranger de surcroît, n’est pas très apprécié de la communauté comorienne. Ces derniers estiment qu’il détourne Rania de sa foi musulmane. Non seulement les relations sexuelles hors mariage sont prohibées, mais il est formellement interdit à une musulmane d’épouser un non croyant. Cette relation, toxique à leurs yeux, n’augure donc aucun lendemain meilleur. Et si Rania devait s’entêter, même aux îles Comores, sa mère patrie, elle serait bannie de sa communauté et interdite du « grand mariage ».
Le « grand mariage » est une tradition séculaire pratiquée sur les trois îles de l’Union des Comores bien que n’étant considérée comme « obligatoire » que sur l’île de la Grande Comore où la population masculine est divisée en deux catégories : les Wanamdji (« enfants des villages » en langue comorienne), qui n’ont pas fait de « grand mariage », et les autres, « les hommes accomplis ». Dans les rassemblements publics, les premiers portent une veste occidentale sur un simple boubou, tandis que « les hommes accomplis » sont vêtus d’une tunique longue, parfois brodée de fils d’or, et prennent place aux premiers rangs.
Les Grands-Comoriens qui n’ont pas les moyens d’organiser le « grand mariage » peuvent certes se marier dans l’intimité, mais ils n’auront jamais la reconnaissance de la communauté.
Le coût des dépenses d’un « grand mariage » à Moroni s’évalue à coup de millions de francs comoriens versés en nature et en espèce (chèvres, bœufs, électroménager, or, etc.) pour le marié. Des hommes s’endettent à vie, économisent pendant des années uniquement pour respecter la tradition. Ce qui explique que certains ne se marient qu’une fois la cinquantaine passée. Pour ceux qui en ont les moyens, des milliers de personnes, venues des quatre coins de l’île, participent au « grand mariage », qui consiste en une cérémonie religieuse, des danses, à l’abattage d’animaux, des concerts, à la présentation de cadeaux et des repas collectifs qui durent plusieurs semaines… voire des années.
L’appauvrissement de la société comorienne rendant de plus en plus difficile l’organisation du « grand mariage », des milliers de jeunes quittent le pays pour amasser suffisamment d’argent et revenir se marier selon leur coutume. Contrecoup : les émigrés comoriens, surnommés les « je viens », ont fait encore plus exploser les coûts du mariage. Par ailleurs, la tradition voudrait que tout homme prenne une épouse coutumière (de préférence du même village que lui). D’où les populations locales sont hostiles à tout mariage avec un étranger.
Rania, qui est inscrite en faculté des Sciences économiques, ne l’entend pas de cette oreille. Elle se veut libre d’aller avec qui elle veut, libre d’aimer qui elle veut, surtout libre d’exister. Tout le sens d’une vie : aimer et être aimé inconditionnellement.
Narcisse et Rania passent leur pause au sein du campus. Assis sur les bancs publics, ils admirent ces beaux espaces verts et se remémorent des moments de leur adolescence dans leurs pays respectifs. La Comorienne, fan de Zouk, ce rythme sensuel, partage quelques sonorités musicales à son amoureux. Le Camerounais lui donne de découvrir le Bikutsi, rythme folklorique de son pays.
C’est cela la magie d’une union mixte, une rencontre de deux cultures qui nécessite bien de compromis de la part des deux partenaires. Chacun dans ce « rendez-vous du donner et du recevoir » se doit d’apporter un peu de son patrimoine culturel et d’en prendre de l’autre. Une mixité qui porte ses fruits jusque dans la progéniture, symbole du vivre ensemble malgré nos différences.
En effet, quelles que soient nos origines et nos différences de couleur, nous pouvons vivre ensemble et nous accepter mutuellement dans le respect le plus absolu. C’est d’ailleurs cette diversité qui fait toute la beauté du monde et toute la richesse de notre planète. Frères terrestres sommes-nous, tous, étant donné le lien éthérique qui nous unit. Ainsi gagnerions-nous à nous aimer inconditionnellement. Aimer et être aimé tel devrait être le leitmotiv de chacun.
Les deux tourtereaux passent leur pause à se conter de belles histoires, à envisager l’avenir, à choisir même les prénoms de leurs futurs enfants. Tout nouveau, tout beau. L’amour est toujours suave à ses débuts avant que d’éventuelles crises ne frappent à la porte : crise de jalousie, trahison, mensonge, individualisme, etc. Jamais n’oublier que le couple est une entreprise entre deux personnes qui nécessite de solides fondations basées sur l’estime réciproque et la transparence, seuls gages de la pérennité de la relation.
Un couple marche sur le principe CARE : Complicité – Amitié – Respect – Entente. Avant de parler Amour, il faut donc qu’il y ait de la Complicité entre les deux parties capables de tout se dire, de tout s’avouer, de tout se dévoiler dans une Amitié à nulle autre pareille. Chacun pour l’autre doit être ce confident en qui il/elle puisse s’épancher sans craindre quelque colportage ou dénigrement, le Respect étant le maître mot dans la relation. En fin sans Entente, aucun progrès n’est à envisager.
La communication et la compatibilité sexuelle sont également des éléments déterminants pour la bonne marche du couple. La communication permet non seulement de surmonter les crises, mais aussi et surtout, de faire face à l’adversité. Ensemble, on est plus forts et on va plus loin. Seul, on va vite, mais on trébuche facilement. Il importe pour les couples de dialoguer, de partager leurs joies et leurs peines, de se soutenir mutuellement. Un soutien qui n’est pas que financier, car l’argent a perverti le monde, mais un soutien davantage affectif. Quelques mots d’amour valent mieux que quelques billets. Souvent, l’on n’a besoin que de quelque tendresse, de quelque réconfort, d’un appui mental et psychologique.
Un massage par-ci, un massage par là. Un baiser, un petit mot doux à l’oreille, et la machine est relancée. Que ne peut l’amour ! Il donne non seulement des ailes, mais il peut soulever des montagnes. L’amour nous donne de surmonter des obstacles, quels qu’ils soient. D’ailleurs, c’est dans la difficulté que l’on peut apprécier les réels sentiments de l’autre, exactement comme la soumission de la femme mise à l’épreuve par son autonomie financière. C’est en étant indépendante que l’on sait si une femme est soumise ou fait allégeance au portefeuille qui la nourrit.
Rania est inscrite en faculté des sciences économiques et de gestion. Rendue également à sa troisième année, elle prépare sa licence et envisage d’aller jusqu’au master avant de quêter emploi. Aujourd’hui, quasi tout le monde en est détenteur. Le système LMD (Licence – Master – Doctorat) permet aux étudiants en seulement cinq années de décrocher un master, et pour les plus persévérants, un doctorat 3 années plus tard. Mais c’est aussi une question de moyens pour les recherches.
La jeune Comorienne profite du même programme de bourses que son amoureux. Les deux sont tenus de décrocher leur licence avec mention pour se voir reverser cette même bourse, en niveau master, ce qui n’est pas chose aisée, car sexe et études ne vont pas de pair. L’on ne saurait tenir le pénis et le stylo !
Rania, de confession musulmane a bien fini par se donner à son homme de peur de ne le perdre, lui étant sexuellement actif. Elle n’a donc pu s’abstenir en attendant de convoler en justes noces comme le préconise la religion. Un sacrifice, mais surtout un énorme risque qu’elle a pris, car si jamais son amour de jeunesse devait ne pas l’épouser, elle en serait compromise. Dans son obédience religieuse, la virginité est encore de mise. Même dans ses coutumes, elle est encore exigée. N’a donc droit au mariage que fille vierge qui son corps a su préserver.
Tant de clivages et d’inégalités ainsi observés dans de nombreuses sociétés patriarcales africaines qui ploient encore sous le joug de la tradition et de la religion. L’homme est libre de courir les jupons tandis que la femme se doit de préserver son corps pour son époux. Elle est astreinte à la fidélité tandis que son mari cavaleur peut multiplier ses conquêtes. Certains hommes refusent même que leur conjointe travaille et préfèrent qu’elle demeure femme au foyer pour ainsi mieux la soumettre.