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Au tréfonds du royaume d’Altalla, courbé depuis des siècles sous le joug implacable d’Url, un souffle millénaire s’élève des cendres de l’oppression. Balt, voyageur venu d’un autre monde et porteur d’un destin obscur, attise dans l’ombre les flammes de la révolte. À la tête de groupes dissidents, il multiplie les actes de sabotage et les libérations, ravivant une lueur d’espoir trop longtemps étouffée. Alors que la résistance prend de l’ampleur, une opération décisive se dessine : délivrer Zarrot, ancien stratège de l’armée libre, dont le savoir oublié pourrait renverser le cours de la guerre. Mais l’équilibre précaire du soulèvement menace de s’effondrer, rongé par les trahisons, les luttes d’influence, et d’alliances nouées dans la méfiance. Et tandis que tous les regards se tournent vers la surface du conflit, nul ne remarque l’ombre ancestrale qui s’étire, patiente et affamée… prête à frapper.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Yoann Bremond s’est lancé il y a cinq ans dans l’écriture de son propre récit. Après avoir achevé le deuxième et dernier tome, il a choisi de partager son histoire au-delà de son cercle d’amis et de sa famille, initialement les seuls destinataires envisagés. Pour lui, cette œuvre est le fruit d’un long chemin de patience et de détermination.
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Seitenzahl: 1153
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Yoann Bremond
Altalla
Tome II
Insurrection
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yoann Bremond
ISBN : 979-10-422-6775-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Altalla – Tome I – Renaissance, Le Lys Bleu Éditions, 2024.
L’homme n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase. Sans même le regarder, Balt lui avait tranché la gorge d’un geste sec et précis.
Le jhix du nom de Drak salua rapidement son chef, en posant son poing droit sur sa poitrine, avant de déclarer d’une voix calme :
Le regard du jhix se porta vers une file de jhix qui fixaient à l’aide de cordes des caisses et des tonneaux sur un chariot.
Balt acquiesça de la tête. Les vivres étaient toujours utiles au camp et le rafi, céréale entre le riz et le blé, pouvait se conserver très longtemps pour peu qu’on prenne la peine de l’entreposer dans des conditions adéquates. Si l’on omettait la perte malheureuse d’un jeune membre, l’opération était un succès pour ce croc, récemment formé.
Drak fit aussitôt demi-tour, et c’est d’un pas énergique qu’il partit rejoindre les membres du septième. Dès qu’il le vit arriver, le capitaine de ce septième croc le rejoignit afin de s’enquérir des nouvelles consignes. Quelques instants plus tard, la troupe se mit en branle et il ne resta très vite dans la plaine que les restes fumants de la caravane marchande, ainsi que les corps sans vie des soldats qui l’avaient défendue. Balt jeta un ultime regard sur cette scène devenue malheureusement familière pour lui, avant de rejoindre les derniers de ses camarades en queue de file. La marche jusqu’au deuxième cercle de sécurité du campement principal allait encore leur demander une demi-journée de marche et il était possible de faire de mauvaises rencontres en chemin. La vigilance était donc de mise !
*
Depuis un an qu’il avait quitté le manoir de Séfrollo, la situation dans la province de Gell’n Dys, l’ancien pays des jhix avait bien changé. Il y avait d’abord eu une grande réunion à laquelle tous les chefs de compagnie avaient été conviés. Lors de cette dernière, Balt avait exposé son plan pour reprendre le royaume des mains d’Url en démarrant une lutte armée. Sa déclaration avait alors déclenché un tollé sans précédent dans l’histoire des compagnies, mais heureusement, l’intervention d’Yffleen et de sa diplomatie avait permis à la petite assemblée de retrouver son calme. Un débat des plus animés avait ensuite eu lieu et ne s’était terminé qu’aux premières lumières du soleil levant. Sur l’ensemble des onze compagnies, seuls trois chefs avaient finalement adhéré au plan de Balt : Yffleen, chef de la compagnie du dragon, Phyrax, chef de la compagnie du griffon et enfin Straut, un jhix-rat qui commandait la compagnie de la licorne. Cela représentait moins de la moitié de ce que Balt espérait, mais aux dires d’Yffleen, c’était trois fois plus que ce que lui avait anticipé. Ce matin-là avait marqué la naissance du groupe révolutionnaire dont Balt avait rêvé depuis longtemps, groupe qui avait été sobrement appelé : le Vent Nouveau.
Le soir suivant, Balt, les trois autres chefs, ainsi que quelques autres, s’étaient de nouveau réunis pour discuter davantage des détails à mettre en place. Ainsi, sous la proposition d’Yffleen, il avait été décidé d’installer leur camp de base dans l’imposant massif montagneux des Ell’r, qui s’étendait sur des centaines de lieues à l’est de Gell’n Dys. Pour la sécurité de tous, des guetteurs étaient installés selon deux cercles concentriques autour du camp, le plus proche du campement étant appelé la première couronne et le plus éloigné deuxième couronne. Ainsi, si une troupe ennemie s’aventurait dans le massif et que la malchance voulait qu’il prenne la direction du camp, les insurgés avaient largement le temps de s’en rendre compte et de réagir en fonction. Comme ultime précaution, l’emplacement du campement changeait chaque mois afin de brouiller toute tentative de localisation en se fiant à leurs zones d’action. Jusqu’ici, ces deux défenses avaient merveilleusement fonctionné et aucune attaque directe n’avait été essuyée.
Pour ce qui était des combattants, ces derniers avaient été organisés en plusieurs groupes, nommés crocs. Chacun d’eux était composé d’une centaine de membres et disposait d’un chef, ainsi que d’un capitaine qui le secondait, pour commander le groupe. Les crocs opéraient de manière autonome les uns des autres et avaient des missions diverses et variées, comme le vol d’entrepôts et de convois, la libération d’esclaves, le sabotage de certaines infrastructures essentielles à Url et à son armée, etc. Phyrax commandait le deuxième croc, Yffleen s’occupait du troisième croc, Straut dirigeait le quatrième croc et enfin, Balt s’occupait du premier croc. Ces quatre groupes avaient été les premiers, mais au fil des mois et de l’arrivée dans le camp de nouvelles personnes désireuses de se battre à leurs côtés, trois autres nouveaux crocs avaient vu le jour.
Balt était particulièrement fier des membres de son croc. Si à la base il les avait sélectionnés uniquement sur leur désir de liberté et de changement, grâce à l’aide d’Elya et de Lizzy, il avait réussi à l’issue d’une formation proche de celle des protecteurs à en faire des combattants polyvalents et redoutables. Pour tout dire, les résultats obtenus par son groupe étaient tels que les autres chefs leur avaient demandé de superviser et de former les membres des nouveaux crocs. Ce qui expliquait qu’aujourd’hui, Lizzy commandait, d’une main ferme, le cinquième croc et qu’Elya dirigeait le sixième. Le septième croc, qui était le plus récent d’entre eux, n’avait pour le moment qu’un capitaine, mais aucun chef ne lui avait été trouvé. Balt avait déjà proposé à Drak d’en prendre la charge, mais le jhix panthère était bien trop fidèle à son chef pour quitter son croc. Ainsi, l’un de leurs groupes d’attaque n’avait pas de leader, et il devenait urgent d’en trouver un pour le rendre pleinement opérationnel.
*
Comme à chaque fois, dès les premiers mots d’Yffleen, le silence s’était fait sous l’immense toile de tente qui servait de quartier général au Vent Nouveau. De par sa sagesse, son intelligence et son calme à toute épreuve, le jhix cerf avait été choisi depuis longtemps déjà pour mener les débats lors des réunions.
L’annonce d’Yffleen déclencha quelques murmures de droite à gauche, mais personne ne leva la main pour se proposer ou pour soumettre un nom. Ce n’est qu’après plusieurs longues secondes de ce quasi-silence que Lizzy se leva et qu’elle demanda la parole d’un bref signe de la main.
Lizzy, devant la logique implacable du jhix rat, sembla perdre légèrement de son assurance. Toutefois, avant que la situation ne devienne plus compliquée, une silhouette s’avança dans la lumière du feu central. Elle attira aussitôt sur elle l’attention du conseil du quartier général, déclenchant par le même un furieux brouhaha.
Yffleen, qui avait à cœur que les réunions du conseil se passent dans l’ordre et la discipline, n’attendit qu’une courte minute avant de faire revenir le calme d’un simple geste impérieux. Il se leva ensuite calmement de son siège et posa un regard amical sur la silhouette féminine au centre de la pièce.
Yffleen accompagna sa dernière phrase d’un geste amical de la main, paumes ouvertes, et tous les regards de l’assemblée se rivèrent aussitôt vers la nouvelle venue qui ne se décontenança pas pour autant. Les yeux couleur émeraude de la guerrière à la forte carrure ressortaient nettement sur sa peau noir ébène. Pendant un bref instant, Balt croisa son regard et il y lut une profonde détermination. Visiblement, cette dernière en avait vu d’autres et ce n’étaient pas quelques regards suspicieux qui allaient l’effrayer. Quand elle prit la parole, ce fut d’une voix grave et profonde, qui porta facilement jusqu’aux recoins les plus excentrés de la grande tente.
D’une démarche calme et gracieuse, elle se mit à tourner autour du feu tout en rendant un regard assuré à ceux qui la dévisageaient.
Malleen s’arrêta alors de parler, et son regard se fit bien plus dur. Quand elle reprit son récit, sa voix n’avait quasiment pas changé d’un iota, mais Balt y décela une discrète émotion qui n’était pas présente jusque-là : la colère.
Plus silencieuse que jamais, l’audience regarda avec un respect grandissant la fière guerrière révéler la base de sa nuque, jusqu’ici cachée sous ses cheveux. Une marque d’esclave imprimée au fer rouge y était nettement visible.
Malleen laissa alors ses cheveux retomber sur sa nuque et, face aux chefs actuels des compagnies, elle termina son récit.
Alors qu’elle venait de terminer son discours, la foule, elle resta comme paralysée. Toujours sous le choc de ces révélations, personne n’osait dire mot. C’est alors que Straut se mit à son tour debout, et qu’il descendit rejoindre Malleen. Les deux combattants se toisèrent un instant du regard jusqu’à ce que le chef de la quatrième compagnie prenne l’avant-bras de l’humaine avec le sien, et qu’il lui offrît le salut traditionnel des jhix. Chez ce peuple très attaché à ses us et coutumes, c’était un des plus grands signes de respect qu’une personne pouvait témoigner à une autre. L’ensemble de l’assemblée applaudit et une fois que le jhix rat eut regagné sa place, la guerrière s’inclina humblement vers les autres chefs de crocs. Avec un léger sourire, Yffleen se leva doucement et le calme se fit de nouveau.
De sa paume ouverte, le vieux jhix montra le fauteuil qu’il venait tout juste de quitter.
Une fois que la nouvelle chef se fut installée, Yffleen se rapprocha du centre, signe habituel chez lui qu’il avait encore une annonce importante à faire.
L’annonce soudaine déclencha une vague de murmures étonnés. Yffleen cette fois-ci attendit un long moment avant de redemander le silence. Ni Balt ni aucune des autres personnes concernées n’avaient été prévenus de la chose, et tous affichaient maintenant un air intrigué.
Conciliants, les membres du Vent Nouveau ne demandèrent pas plus d’explications. Un à un, ils sortirent tous de la tente, tout en saluant Yffleen au passage pour lui montrer qu’ils ne lui en tenaient pas rigueur. Le jhix cerf les salua également en retour, tout en s’excusant rapidement auprès de chacun d’entre eux. Les personnes restantes formèrent quant à elles un nouveau cercle autour du centre de la grande tente et, quand il fut certain que seules les personnes qu’il avait désignées étaient restées, le chef du troisième croc s’éclaircit la gorge. Quand il prit la parole alors, ce fut d’une voix grave qui avait perdu toute trace de jovialité.
La nouvelle eut l’effet d’une déflagration magique. Le cœur de Balt s’emballa et, comme beaucoup d’autres, il se leva de sa chaise sous l’effet de la surprise.
Les esprits trop occupés à réfléchir sur tout ce que la révélation d’Yffleen signifiait, personne ne lui répondit sur le moment et un calme électrique s’abattit sur le petit groupe.
À voix basse, Lizzy répondit à la question que son ancienne capitaine lui avait murmurée à l’oreille.
Tandis que Malleen se rasseyait, Yffleen reprit ses explications.
Yffleen prit une grande inspiration et c’est d’une voix étonnamment calme qu’il demanda alors :
Le vieux jhix venait tout juste de terminer sa question que Balt se leva de son tabouret pour s’avancer à son tour au centre de la pièce. Depuis un an que la lutte armée avait débuté, le jeune homme était passé par de nombreuses épreuves et plus que tout, c’étaient ses yeux qui avaient le plus changé. D’après Lizzy, il affichait quasi constamment un regard d’acier au fond duquel semblait brûler un feu qui ne s’éteignait jamais. Pour Balt, Lizz se faisait des idées, mais du moment que la belle jhix renarde le trouvait toujours séduisant, le reste avait peu d’importance à ses yeux.
L’éclat des braseros et des torches faisait ressortir les nombreuses éraflures et entailles qui parsemaient l’armure de cuir de Balt. Sur l’épaisse cape de voyage qu’il portait, on pouvait lire le mot « Stral’eib », écrit avec des lettres délavées. Dans la langue des jhix, ce mot signifiait quelque chose de très important pour son propriétaire : Liberté ! Les mains posées sur les poignées de ses dagues divines, il prit pour la première fois la parole ce soir-là.
En voyant le changement qui s’était opéré dans les regards de ses camarades, Balt comprit que sa petite tirade avait touché juste. Tel un brasier qui n’attendait qu’une étincelle pour l’allumer, ses mots semblaient avoir embrasé leur ardeur et l’atmosphère dans le quartier général tenait maintenant d’un chaudron en ébullition. Du coin de l’œil, Balt aperçut Yffleen qui, tout en soufflant sa fumée de pipe à tabac d’un air détaché, lui adressait un rapide sourire. Le vieux jhix avait depuis le départ souhaité la libération de son ami, mais la démocratie l’emportant au sein de l’organisation, il n’avait pas cherché à imposer sa position aux autres. Balt venait de convaincre les plus prudents d’entre eux grâce à son discours et en cela, Yffleen lui était plus que reconnaissant.
Très vite, les chefs de croc et les capitaines suivirent l’exemple de la jeune elfe et en très peu de temps, le vote fut clôturé. Quand Yffleen annonça que la libération de l’ancien chef de la compagnie du Phoenix était adoptée à l’unisson, tous applaudirent et une intense satisfaction sembla les balayer tous. Zarrot allait être sauvé !
On amena les plans des geôles dont Yffleen avait parlé et après avoir percé un tonneau d’hydromel du sud et que tout le monde eut le temps de s’en servir une chope, on commença à proposer des idées. Ils n’étaient certains de rien, mais heureusement pour eux, le Vent Nouveau bénéficiait encore de quelques jours pour s’assurer que l’opération avait une chance de réussir.
Les yeux rivés sur la ville qui s’étendait à perte de vue à leurs pieds, Balt ne sut quoi répondre à Elya. De toutes les villes qu’il avait eu l’occasion de voir sur Altalla, celle-ci était sans conteste la plus gigantesque. Telle une fourmilière à taille humaine, Anatrion vibrait de vie et d’animation malgré la nuit qui était tombée depuis longtemps. Là, perchés au sommet d’un bâtiment de plus de cinq étages, ils étaient totalement invisibles pour la foule qui martelait de ses pieds les pavés des rues, sans se douter que des « ennemis de l’Empire » puissent se trouver juste au-dessus de leurs têtes. Éloigné d’une distance qui semblait immense de là où le petit groupe se trouvait, le palais de l’empereur trônait fièrement sur un pic rocheux au cœur de la ville.
Grâce à d’habiles caches construites sous le plancher de chariots marchands, le groupe spécialement formé pour libérer Zarrot était entré l’après-midi même dans la capitale. Il leur avait fallu voyager de nuit pendant deux semaines, éviter les agglomérations et les postes de garde, faire preuve de mille ruses, mais ils avaient finalement réussi à entrer dans la capitale. La première partie du plan s’était déroulée sans accrocs, il ne leur restait plus qu’à entamer la deuxième et pas des moindres : entrer dans les geôles du palais !
Avec l’aide de Drak, Malleen, Lizzy et de quelques jhix soigneusement triés sur le volet, ils poussèrent une longue planche de pin rieur de manière à la poser entre le bâtiment où il se trouvait et celui qui leur faisait face. Une fois la planche installée, l’ensemble du groupe traversa sans perdre de temps le pont improvisé. Elya et les deux membres de son croc qui l’accompagnaient, une jhix et un elfe, furent les derniers à traverser. Pour cause, armés de leur arc à poulies, ils s’occupaient de surveiller qu’aucun observateur imprudent ne les découvre et ne donne l’alarme. Les arcs à poulies qu’ils possédaient étaient un modèle que le vieil armurier nain, Thull, avait conçu quelques mois plus tôt. Ces arcs de très petite taille étaient légers, mais surtout, ils étaient capables de propulser un trait à presque une demi-lieue de distance quand il était bien armé. Les flèches qui allaient avec avaient elles aussi été fabriquées par le maître nain et elles étaient inaudibles quand elles fendaient l’air. Grâce à l’habileté de l’elfe et de ses deux meilleurs archers, la troupe de sauvetage bénéficiait d’une redoutable protection.
Alors qu’il s’apprêtait à passer une nouvelle fois d’un toit à l’autre, Balt ainsi que tous les autres s’arrêtèrent. Le sifflement d’Elya était clair : un danger était proche. Accroupie, la chef de croc leur montra un balcon sur lequel un homme solitaire venait de faire son apparition. Visiblement ivre, l’inconnu déficela le haut de son pantalon et se mit à uriner directement par-dessus la balustrade. La possibilité que son urine puisse toucher un passant, quelques étages plus bas, ne semblait nullement l’inquiéter et, tout à son affaire, il entreprit de chantonner un air populaire pour accompagner la musique qui provenait de la salle derrière lui. Le fêtard n’était qu’à une vingtaine de pas de leur groupe, mais, trop concentré à ne pas mouiller ses chausses dans l’affaire, il ne les avait pas vus.
La jhix qui accompagnait Elya commença à armer son arc et à viser l’intrus, mais sa chef de croc lui fit signe d’attendre son ordre pour tirer. Les secondes s’écoulèrent peu à peu, et après ce qui parut une petite éternité, le soûlard finit par rentrer joyeusement dans la bâtisse avant de refermer la fenêtre derrière lui. Il ne se douta à aucun moment qu’il était passé à un cheveu de mourir transpercé par une flèche. Elya fit signe à sa camarade de rabaisser son arc et dans la seconde qui suivit, toute la troupe se remit en branle. Ils n’avaient pas de temps à perdre !
*
Allongée sur le toit d’un bâtiment qui affleurait l’un des murs du palais, la troupe attendait que les gardes sur le chemin de ronde un peu plus haut se soient éloignés pour entamer l’escalade du grand mur d’enceinte qui leur faisait face.
La belle jhix renarde sourit du trait d’esprit de son compagnon et sans mot dire, elle lui embrassa la joue, ce qui le fit sourire à son tour.
Tandis qu’il se levait, elle lui envoya une claque sur les fesses qui le fit maladroitement sursauter. Les autres, qui n’avaient évidemment rien perdu de la scène, rigolèrent discrètement au grand désarroi de Balt. La chose pouvait être déplacée au vu de la situation, mais en réalité, cela détendit l’atmosphère à l’approche des geôles du palais. Après avoir jeté un regard faussement réprobateur à Lizz, Balt fit face au mur et activa son camouflage naturel. Sa peau avait acquis cette étonnante capacité lorsqu’il avait tué un Pytosilus, un immense serpent qui pouvait se rendre invisible, à l’aide de Styx : son vieil ami qui n’était malheureusement plus de ce monde. Tous les sens en alerte, il sentait les battements de son cœur qui commençaient à s’accélérer dans sa poitrine ainsi qu’une fine goutte de sueur qui coulait le long de sa tempe.
Après avoir calmé sa respiration et ajusté le filin de corde qui entourait ses épaules, il fit sortir sans effort la multitude de crochets qui recouvrait sa peau et courut vers le vide qui séparait le toit de la maison de l’immense mur de la forteresse. D’un puissant coup de pied, il sauta au-dessus de la rue, plusieurs étages plus bas, et atterrit avec souplesse contre la froide paroi de pierre. À son grand soulagement, les crochets sur ses mains se révélèrent efficaces malgré la pluie qui avait commencé à s’abattre doucement sur la ville. Après une légère glissade à la réception, il se mit à escalader le mur. Plus de trois cents pieds de haut le séparaient des créneaux de la muraille et de sa position, ces quelque trois cents pieds semblaient interminables. Si par malchance, l’une de ses mains se décrochait du mur, il risquait alors de chuter et la probabilité qu’il arrive à se raccrocher au mur était des plus minimes. Comme toujours, il n’avait pas droit à l’erreur et, plus concentré que jamais, il se mit lentement à réduire la distance qui le séparait du sommet.
*
Alors que les deux gardes passèrent près de Balt sans le remarquer, le dénommé Karl cacha un bâillement d’ennui qui n’échappa pas à ce dernier. Heurl avait visiblement la mauvaise manie de se plaindre souvent, coutume qui aux yeux de Balt semblait bizarrement commune dans ce métier. Ils s’éloignèrent peu à peu et la dernière parole D’Heurl que Balt entendit fut à propos du salaire qui était moins élevé que l’année passée. Le silence revint bien vite sur le rempart désert et quand il fut certain que personne n’était sur le point d’arriver, Balt sortit le petit miroir qu’il avait dans la poche pour donner le signal à ses camarades que la voie était libre. Un signal lumineux identique au sien lui confirma que l’information était bien passée, après quoi, il laissa la corde qu’il avait emportée se dérouler le long de la muraille. Par précaution, il tira trois fois dessus pour s’assurer qu’il l’avait bien attachée et une nouvelle fois, il renvoya un signal lumineux à ses amis plus bas, l’ascension du reste du groupe pouvait commencer.
L’attente fut de courte durée. Avec une rapidité étonnante au vu de leur nombre, l’équipe de sauvetage se retrouva très vite au complet sur la muraille. Accroupis pour ne pas attirer le regard d’un éventuel guetteur, ils se mirent à longer les créneaux en file indienne, jusqu’à une petite tour de garde.
Le vieux jhix cerf interrogea les autres du regard pour s’assurer que le message était bien passé, puis il continua.
Yffleen ouvrit avec mille précautions le battant de bois devant lui, et telle son ombre, le reste de la troupe s’engouffra à sa suite. L’heure avançait et ils n’avaient pas une minute à perdre !
*
Balt analysa à son tour la situation et sans surprise, il arriva comme son capitaine à la conclusion que la situation venait drastiquement de se corser. La progression à travers les tours s’était pourtant étonnamment bien passée jusqu’ici, et Yffleen n’avait eu à utiliser sa magie qu’à deux reprises. Seulement, contrairement aux deux premières quasiment désertes, la dernière était quant à elle bondée. Le couloir dans lequel il se trouvait s’ouvrait après un angle droit sur une grande salle remplie de tables en bois autour desquelles une petite trentaine de gardes au bas mot étaient en train de discuter, manger ou jouer aux dés. Pour continuer, ils devaient nécessairement passer par là et si étourdir un garde pendant quelques instants ne semblait pas poser trop de problèmes au vieux magicien, plonger un groupe comme celui-ci dans la confusion semblait tout autre. L’heure était donc à la réflexion, mais pour le moment, aucune idée brillante n’avait vu le jour.
Calmement, elle expliqua le plan qui avait germé dans sa tête.
La remarque de l’elfe se faisait l’exacte écho des pensées de Balt et en vérité, il était plus que content que son amie elfe ait pris l’initiative de les énoncer. Lizzy ne se laissa pas démonter pour autant. Elle arbora un sourire sans joie, et montra du doigt un couloir devant lequel ils venaient juste de passer.
La jhix renarde ajouta d’un air fataliste.
Personne ne lui répondit, car malheureusement, personne n’avait mieux à proposer. Balt n’aimait pas du tout l’idée de sa compagne, mais il devait malheureusement reconnaître que sa proposition était réaliste. Une jhix sans arme et en habit d’esclave avait toutes les chances de passer inaperçue ici, mais si jamais sa couverture était évincée, elle risquait de se retrouver dans une situation des plus fâcheuses. Il allait faire une remarque pour exprimer son désaccord, mais Elya fut une nouvelle fois plus rapide que lui.
Lizzy posa gentiment sa main sur l’épaule de l’elfe, et c’est d’une voix étonnamment douce qu’elle lui répondit.
Brièvement, les deux amies s’empoignèrent l’avant-bras, puis elles se dirigèrent à l’unisson vers les cuisines. Dans le groupe, personne ne fit rien pour les dissuader et pour cause : chacune pouvait déjà se montrer terrifiante individuellement, alors chercher à dissuader les deux ensemble ? Seul un fou s’y serait risqué ! À peine quelques minutes plus tard, elles revinrent comme elles étaient venues, à la seule différence près que Lizz portait un tablier blanc et noir de domestique qu’elle ne manquait pas de fusiller du regard. La tenue, toute en dentelle et en froufrou, était totalement en décalage avec le style guerrier habituel de Lizzy. Toutefois, et il s’en serait bien gardé de lui dire, Balt trouvait que la belle jhix était très séduisante dans sa nouvelle tenue qui lui donnait un air plus « féminin » que d’habitude.
Sans surprise, Balt la vit se retourner sans même un regard en arrière. Elle était fière, elle était digne et surtout, elle était la personne la plus courageuse qu’il ait jamais connue. Si quelqu’un pouvait leur faire passer cette fichue tour de garde sans éveiller l’attention, cela ne pouvait être que Lizzy !
*
Dans la salle, l’ambiance était des plus animées et il régnait une agitation presque festive. Les hommes bavardaient, buvaient et riaient, tandis qu’autour d’eux quelques domestiques s’affairaient pour remplir les verres, amener des écuelles remplies de nourriture ou bien plus simplement pour nettoyer les déchets que les soldats semaient dans la grande salle. D’un geste assuré acquis par l’habitude, Lizzy ramassa quelques chopes abandonnées par leurs propriétaires, et sans éveiller aucun soupçon, elle observa l’agencement de la pièce à sa guise.
Rectangulaire et occupée en son centre par trois tables en bois massives, la pièce s’offrait une vieille balustrade qui faisait le tour de la pièce et à laquelle on accédait par un petit escalier en bois. C’est en haut de cet étage de fortune qu’on avait fixé à un mur l’extrémité de la chaîne du chandelier. Elle devait donc monter l’escalier, mais visiblement, les domestiques n’y avaient pas accès et ils se contentaient de faire leurs allées et venues au rez-de-chaussée de la salle de pierre uniquement.
Derrière elle, Lizzy découvrit qu’un homme en armure légère s’était approché d’elle. Il était bien de trop près pour qu’elle fasse semblant de ne pas l’avoir entendu, la confrontation était inévitable.
Le sourire suffisant du soldat répugnait au plus haut point Lizzy, mais elle n’en montra rien. L’homme s’avança vers elle en toute confiance, convaincu que l’esclave en face de lui était trop intimidée pour faire quoi que ce soit. Lizz essaya de reculer discrètement, mais l’homme ne lui laissa pas d’ouverture et elle finit rapidement par être acculée, dos à un mur.
Le sourire sur le visage du garde s’élargit aussitôt et Lizzy, qui en avait vu d’autres, avait déjà compris depuis longtemps où le fumier qui lui faisait face voulait en arriver. Toutefois, une idée avait germé dans sa tête et c’est volontairement qu’elle entra dans son petit jeu de manipulation : l’imbécile pouvait lui être utile.
Pendant les dernières secondes de discussion, l’homme avait posé une main sur le bas des reins de Lizzy et d’un air entendu, il commença à la laisser glisser de plus en plus bas. Cachant le furieux dégoût qu’il lui inspirait, Lizzy se colla à lui l’air satisfait.
Le soldat sembla hésiter un bref instant, mais toute hésitation s’envola en lui lorsque Lizzy se mit à lui caresser la poitrine en minaudant d’être impressionnée.
Bras dessus, bras dessous, les deux « tourtereaux » se mirent en route, et si quelques gardes semblèrent étonnés de voir une jhix monter à l’étage, aucun ne fit de réflexion et tous retournèrent rapidement à leurs occupations. Une affaire entre un garde et une esclave n’avait rien d’inhabituel et si ces deux-là voulaient s’amuser dans l’une des réserves de la tour, ce n’est pas eux qui allaient les en empêcher. Quant à Balt, qui attendait la chute du chandelier avec le reste du groupe, il ne pouvait rien faire d’autre qu’enrager dans son coin en observant ce minable d’Url poser ses mains sur Lizzy. Depuis plusieurs minutes déjà, il luttait contre une folle envie de bondir dans la pièce pour décapiter l’affreux, mais sa raison étant pour le moment plus forte que ses instincts, il se contentait de serrer compulsivement les manches de ses dagues de frustration. Alors que Lizzy montait calmement l’escalier, Balt surprit pendant un bref instant son regard. Ce fut bref, mais l’éclat mortel qu’il vit dans les yeux de sa compagne ne laissait aucun doute sur ses intentions : le sang allait couler !
*
Enfin, l’ascension de ce maudit escalier avait semblé durer une éternité à Lizzy, mais finalement, ils se retrouvaient enfin seuls tous les deux. La pièce dans laquelle ils se trouvaient n’était pas bien grande et elle était occupée en grande partie de sacs de grain en tout genre ainsi que de quelques autres denrées non périssables. Une petite fenêtre perçait l’un des murs et un rapide coup d’œil apprit à Lizzy qu’un battant la fermait. Le soldat inconnu qui l’avait accompagnée jusque-là posa la petite bougie qu’il avait allumée sur un des immenses sacs de nourriture avant de commencer à se défaire de son armure. Impassible, la guerrière le laissa faire, jusqu’à ce qu’il se retourne vers elle dans le plus simple apparat.
Avant même qu’il n’ait compris ce qu’elle avait fait, la petite dague que Lizzy avait cachée dans l’une de ses bottes était plantée dans son œil jusqu’à la garde. Mortellement touché, l’homme eut un hoquet de surprise avant de s’effondrer au sol. La lame avait touché le cerveau et le soldat était mort instantanément. Une fin bien trop rapide au goût de la jhix renarde, mais tant pis, elle saurait s’en contenter.
Le cadavre avait à peine touché le sol que Lizzy avait déjà bondi vers l’un des immenses coffres en bois qui trônaient dans la pièce. Sans perdre de temps, elle vida un à un les sacs qu’il contenait avant de déposer le corps sans vie au fond de ce dernier. Il suffit ensuite à Lizzy de remettre une partie des sacs dans leur coffre et le tour fut joué. Pour ce qui était du sang qui avait coulé en quantité non négligeable sur le sol, elle versa dessus de la farine qui, en s’imbibant du liquide rougeâtre, devint compacte. Elle balaya le sol comme elle put et cacha les déchets sous des sacs de provisions. Satisfaite, elle admira rapidement le travail accompli avant de sortir de la pièce. Quiconque rentrerait dans la pièce sans y regarder de trop près ne verrait rien d’anormal par rapport à l’accoutumée. Avec un peu de chance, le pot aux roses ne serait découvert qu’au lendemain.
En ouvrant la porte de la remise, Lizz se surprit à adresser une rapide prière à Olff. Après tout, d’après ce que Balt lui avait dit, le vieux bourge existait bel et bien et il était de leur côté. Tenter de s’amener sa bonne faveur ne pouvait donc pas faire de mal ! Elle referma ensuite la porte l’air de rien et s’en alla remplir sa mission.
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Dans sa chute, le chandelier avait brisé l’une des grandes tables de la salle de garde et au formidable vacarme du bois qui éclatait s’était rapidement ajouté celui de voix plus ou moins paniquées. Un formidable chaos régna pendant quelques précieuses minutes et sans que personne ne s’en rende compte, les membres du Vent Nouveau purent la traverser en vitesse et sans se faire remarquer. La totale réussite de la manœuvre fut tout de même permise grâce à un brin de magie d’Yffleen ainsi que par la nyctalopie de Balt qui lui permit, positionné en tête de file, de guider le reste de ses camarades.
Suivant les indications qu’avaient données le jhix cerf, le groupe ne fit aucune pause en quittant le bâtiment et, toujours le dos plié pour ne pas être vus, ils se dépêchèrent d’avancer sur le chemin de ronde. Les geôles d’Anatrion n’étaient plus très loin, mais, au vu du temps passé dans la tour de garde, il leur fallait se dépêcher !
Ils finirent par arriver à un croisement où le chemin de ronde se divisait en deux, une partie continuait tout droit et menait à une tour de garde isolée, l’autre tournait à angle droit vers un imposant bâtiment : les geôles d’Anatrion.
L’elfe aurait voulu les accompagner dans la prison, mais comme elle était la meilleure archère du groupe avec Lizzy, il avait été décidé que toutes les deux ainsi, que Malleen et les deux archers du croc d’Elya se positionnent dans la tour afin de couvrir leur retour qui risquait d’être mouvementé. De même, ils pouvaient entre temps s’assurer qu’aucune patrouille de garde ne leur arrive dans le dos, ce qui était un avantage non négligeable. Lizzy et Balt s’échangèrent un simple clin d’œil complice et la scission du groupe se fit sans plus de cérémonie. Le plan suivait son cours !
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Désormais habitué à la manœuvre, le magnifique lobboon au pelage sombre comme la nuit s’avança sans hésitation vers la serrure devant laquelle son ami l’avait placé. Sans aucune hésitation ni davantage d’indications de Balt, il se changea en un bref instant dans sa forme de clef. Autour des deux compères, le reste du groupe les observait avec attention et, quand la porte s’ouvrit sans protester un instant plus tard, plusieurs sifflements de surprise vinrent récompenser la performance de Loon. Balt, sourire aux lèvres, donna une friandise à son ami à quatre pattes avant de le remettre sur ses épaules. Loon couina de satisfaction et sans prêter attention aux regards admiratifs qui le couvaient, il se mit à savourer sa précieuse récompense.
Suivant le plan, Drak ainsi qu’un autre jhix du premier croc du nom de Letzu, sortirent des sarbacanes de sous leurs capes avant de prendre la tête du groupe. Taillés dans un bois sombre qui ressemblait quelque peu à du bambou, ces petits engins étaient capables de toucher précisément une cible à plus de trente pas et cela, dans le calme le plus complet. Pour une mission d’infiltration comme celle-ci, c’était tout simplement l’arme par excellence ! Tous les sens aux aguets, le petit groupe entra finalement dans le bâtiment central de la prison d’Anatrion, et tandis qu’il s’avança dans une salle sombre qu’éclairaient quelques torches imbibées de pétrole. Trois couloirs s’y terminaient et lorsqu’ils y entrèrent, Balt eut la nette impression de s’enfoncer dans la gueule du loup. Comble de malchance, à peine venait-il de se faire la réflexion qu’un martèlement métallique caractéristique se fit entendre.
La pièce en question se révéla n’être qu’une simple latrine à l’odeur nauséabonde, mais heureusement pour eux, la patrouille passa devant sans même marquer un temps d’arrêt. Les infiltrés laissèrent tout de même une bonne minute s’écouler avant d’oser ressortir de leur cachette.
Le vieux sage sortit sa vieille carte, l’examina brièvement et montra le couloir qui leur faisait face.
Les deux jhix acquiescèrent de la tête et l’ensemble du groupe les suivit quand ils s’enfoncèrent avec assurance dans le mystérieux couloir. À l’intérieur de ce dernier, la décoration était des plus sobres et seul l’éclat régulier de quelques gouttes d’eau s’écrasant sur le sol troublait le silence qui y régnait.
Sans encombre, ils s’enfoncèrent progressivement dans les entrailles de la prison et très vite, les torches se firent plus nombreuses et les patrouilles plus fréquentes. Après s’être cachés à deux autres reprises et après avoir neutralisé mortellement deux gardes qui leur bloquaient la voie, ils finirent par arriver au premier étage d’une grande pièce au centre de laquelle un escalier s’ouvrait pour s’enfoncer plus profondément sous terre. Richement décoré de tapisserie et de boucliers peints avec des armoiries, l’endroit était occupé par quatre gardes en faction. Armés de grandes hallebardes ainsi que de lourdes armures en métal renforcé, les quatre soldats de la prison ne semblaient pas sur le point de quitter les lieux avant un moment.
Les deux intéressés se regardèrent et ce simple échange de regards leur apprit que l’un et l’autre étaient d’accord avec le plan du jhix loup.
Tous acquiescèrent de la tête. Le plan était simple, chacun savait ce qu’il avait à faire : c’était un bon plan. Flik et Klif, qui étaient en réalité des frères adoptifs puisque l’un était un jhix et l’autre un nain, étaient des membres du croc d’Yffleen. Des liens très forts unissaient ces deux-là et jamais on ne les voyait l’un sans l’autre. À eux deux, ils formaient un duo redoutablement efficace, à condition bien sûr de ne pas les séparer. Les deux frères sortirent dans un même mouvement leurs épées à lames incurvées et comme les autres, ils se mirent en position. Yffleen sortit un brumoir d’une poche intérieure de son manteau et il s’assura rapidement que l’engin n’avait aucun défaut.
Balt activa son camouflage, qui telle une aura protectrice, le rendait quasiment invisible, et descendit les larges escaliers en pierre qui donnaient sur la grande salle. En longeant le plus possible les murs, il se rapprocha calmement de sa cible, en prenant soin de se trouver dans son angle mort. En effet, il avait beau bénéficier d’un camouflage presque parfait, il était possible de remarquer les pourtours de sa silhouette qui avaient une fâcheuse tendance à être flous à proximité de la lumière vive des flammes, encore plus quand il se déplaçait. La pièce avait beau être très éclairée, aucun des quatre gardes ne remarqua sa présence et bien avant que la minute ne s’écoule, il était en position derrière sa cible, la dague à la main et prêt à frapper. Tout se passa très rapidement ensuite.
Comme apparue de nulle part, le brumoir d’Yffleen rebondit bruyamment au centre de la pièce amenant les quatre soldats à immédiatement se retourner vers la sphère métallique qui commençait à siffler furieusement. La seconde d’après, une déflagration sonore retentit et immédiatement, une fumée noire opaque se répandit dans la salle. Avant que l’homme ait eu le temps de réagir, Balt avait déjà bondi sur sa cible. Il plaqua sa main gauche sur sa bouche avant de lui trancher la gorge de sa main droite qui tenait sa dague. Le garde s’effondra et du coin de l’œil, Balt aperçut brièvement les trois autres sentinelles se faire abattre par ses camarades au milieu de la fumée. Drak et Letzu avaient également opté pour trancher la gorge de leur cible tandis que les deux frères Flik et Klif avaient quant à eux choisi une technique plus audacieuse qui consistait en ce que l’un soulève le bras gauche du soldat tandis que l’autre plongeait sa lame dans l’aisselle afin d’atteindre le cœur. Dans les deux cas, le résultat final était le même : une mort rapide et sans bavure. Yffleen avait quant à lui opté pour un « simple » sort de choc qui laissa le quatrième et dernier garde inconscient au sol. Le jhix cerf s’avança alors d’un pas tranquille vers l’homme à terre et, en se couvrant le visage d’un morceau d’étoffe, il fit respirer une petite fiole à sa victime. La respiration du soldat ralentit peu à peu et moins d’une minute plus tard, il était mort. Quand l’épaisse fumée du brumoir se fut totalement dissipée dans la salle, plus un seul des gardes n’était encore en vie.
Le chef jhix avança vers Drak et lui tendit un autre brumoir qu’il avait encore une fois récupéré dans sa poche.
Le jhix panthère remercia Yffleen et tous se mirent en mouvement ensuite. Deux tapis ainsi qu’une table furent déplacés pour couvrir au mieux les traces de sang et après avoir aidé leurs camarades à enfiler les armures, Balt, Yffleen et Flik continuèrent leur avancée dans les entrailles de la prison. Maintenant qu’ils n’étaient plus que trois, Balt avait la nette impression d’être plus vulnérable que jamais et chaque pas qu’il faisait vers le cœur du bâtiment ne faisait qu’aggraver ses craintes : n’étaient-ils pas en train de s’enfoncer dans un piège qui se refermerait bientôt sur eux ? Il voulait croire que non, mais au fond de lui, une petite voix agaçante ne cessait de murmurer que rien n’était moins sûr !
De l’eau croupie s’écoulait du plafond et quelques rats s’enfuyaient régulièrement à leur approche, dérangés par la lumière de la petite lampe à pétrole que Balt transportait en tête de leur petit groupe. À voir l’usure des pierres qui les composaient, les couloirs ici étaient bien plus anciens que les précédents.