Angela : Libertine, gagneuse, belle, talentueuse - Tome 1 - Bernard Bia - E-Book

Angela : Libertine, gagneuse, belle, talentueuse - Tome 1 E-Book

Bernard Bia

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Beschreibung

Basé sur des faits réels, Angela est le 4e roman de Bernard Bia. L’action principale se déroule dans son quartier, le 3e arrondissement de Marseille.


Cet ouvrage relate dix ans de la vie d’une adolescente de dix-sept ans. Refusant l’avenir confortable et tranquille que lui offrent ses parents, petits-bourgeois de province, celle-ci abandonne le domicile familiale. Quelles seront donc les conséquences qu'entrainera cette révolte ?

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Bernard Bia

Angela

Libertine, gagneuse, belle, talentueuse

Tome I

La fugue

Roman

© Lys Bleu Éditions – Bernard Bia

ISBN : 979-10-377-5098-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Introduction

Angela s’est levée de bonne heure ce matin. Ses parents sont déjà partis au travail. Elle se douche et descend prendre son petit-déjeuner qu’elle va choisir d’être copieux. Dans la penderie de l’entrée, elle prend son sac à dos et remonte dans sa chambre. Hier, au soir, elle a soigneusement préparé ses affaires. Sous-vêtements, tee-shirts, sweat-shirt, caleçons, d’jeans, un pull, des chaussettes. Elle y ajoute sa trousse de toilette, prenant la précaution d’y avoir un tube de dentifrice neuf, deux savonnettes, deux flacons de gel douche. Elle y glisse aussi une boîte de Doliprane prise dans l’armoire à pharmacie ainsi qu’un désinfectant et une boîte de pansements. Dans la poche de fond du sac à dos, elle a mis une gamelle, trois éléments qui vient des surplus de l’armée, un seau pliable, un couteau de chasse, fourchette et cuillère, un limonadier tire-bouchons décapsuleur, un pot de café lyophilisé, une bonne réserve de sucre, sans oublier une pierre à feu, une lampe torche et une radio portable. Dans un tapis de yoga, elle roule deux serviettes de toilette, sa parka à capuche et un k-way, un sac de couchage qu’elle sangle à son sac à dos. Elle a laissé sur son bureau, son téléphone portable, sa carte bancaire, hier après-midi, elle a été retirée le maximum autorisé 300 €, en hésitant un peu elle prend quand même son passeport. Elle n’a pas oublié son journal intime. En passant dans le bureau de ses parents, elle choisit une carte de France assez détaillée. Puis elle ajuste sa casquette et va au garage prendre sa bicyclette. Avant de partir, elle a bien refermé les portes à clés, trousseau de clés qu’elle glisse dans la boîte aux lettres. Angela a décidé de quitter le domicile familial, ses parents, de fuguer. Angela vient d’avoir seize ans. C’est une belle et grande jeune fille d’un mètre soixante-douze, des cheveux noirs, très longs, intelligente, curieuse de la vie et du monde qui l’entoure.

Alors, pourquoi cette fugue ? Angela ne supporte pas l’autorité des adultes. Elle ne comprend pas qu’on lui dise de se taire quand elle a quelque chose à dire. Cela lui a valu quelques désagréments quand elle était en primaire.

Angela est une rebelle. Elle veut être maîtresse absolue de sa vie.

La fugue

Le village dormait encore quand Angela a enfourché sa bicyclette. La maison étant au bout d’une rue, personne ne l’a vu prendre la petite route qui traverse la forêt.

Aurevoir Guichen.

Elle sait qu’il est important pour elle de ne pas être vue. Elle se donne jusqu’à midi pour parcourir un maximum de chemin. Les moissons sont terminées, il n’y a pas beaucoup de monde dans les champs, elle privilégie les chemins de traverse. Elle s’est fixé un cap, le Sud-Est. Partant de Bretagne, c’est une longue diagonale qu’il va lui falloir parcourir.

8 h, le soleil pointe derrière une colline, la journée s’annonce chaude. Déjà une heure qu’elle roule l’entrée d’une forêt, elle fait une petite pause pour se rafraîchir et se soulager de son sweat-shirt. En ce petit matin, la futaie s’éveille. Les oiseaux sont déjà bien bavards sur les hautes branches. Le pinson réplique au « tit tut tit tut » de la mésange, le curieux rouge-gorge s’approche tout en picorant des insectes sur le sol et au plus haut des branches, les pigeons ramiers roucoulent des « rou-rou-rou-rou-rou ».

Mais Angela n’a pas le temps de s’attendrir de ce concert. Elle doit reprendre sa route. Un rapide coup d’œil à sa carte l’incite à continuer à longer la D 48. Elle a déjà dépassé Saint-Senoux, elle devrait avoir dépassé Bain-de-Bretagne avant midi. Mais elle doit franchir la Vilaine pour cela et elle le fera en utilisant le pont de chemin de fer, un peu risqué, mais plus sûr. Elle suit le ruisseau de la Frominette qui se jette dans la vilaine à proximité du pont de chemin de fer. À cet endroit, la Vilaine est large, le pont est long. Cachée, le long du remblai, elle attend le passage d’un train et attaque la traversée dès que le dernier wagon est passé. Ainsi, elle est certaine d’avoir le temps de franchir le pont sans avoir à s’inquiéter de l’arrivée d’un autre convoi.

Longeant la voie ferrée, elle s’engage sur la D 51 qu’elle va suivre jusqu’à Meyssac.

11 h, elle va se ravitailler dans une petite épicerie. Elle a troqué son d’jeans pour un short et passé un léger débardeur. Les cheveux noués en queue-de-cheval, lunettes de soleil, elle s’est donné un look de cyclotouriste en vacances. Une baguette, du jambon, une bouteille de boisson énergétique et quelques barres de céréales au chocolat. Elle ne s’est pas attardée dans le magasin. Avant de reprendre la route, Angela va faire une première dérogation à l’éducation familiale. Elle entre dans un bureau de tabac, s’acheter un paquet de Marlboro et un briquet. Pour la première fois de sa vie, elle va fumer une cigarette, pas maintenant, mais après déjeuner. Reprenant sa bicyclette. D 69, direction Grand-Fougeray, 14 kilomètres. Dans une petite clairière, elle a fait la pause déjeuner.

En fumant sa première cigarette, elle consulte sa carte, constate qu’elle n’a fait que 33 kilomètres. Elle misait sur une moyenne de 12 km/h, elle est un peu déçue. Elle ne fera pas une longue pause, il lui faut faire plus de route et ne pas musarder sur les chemins de terre. Elle veut rouler jusqu’à 19 h, avant de bivouaquer.

Itinéraire de l’après-midi, Grand-Fougeray, Nozay 22 kilomètres, puis Nort-sur-Erdre 20 km. Elle compte s’arrêter au bord de l’Erdre.

À l’entrée de Nort-sur-Erdre, elle s’arrête dans un Super U. Elle glisse un billet de 5 € dans les mains du vigile qui veillera sur sa bicyclette et son sac à dos pendant qu’elle fera ses achats.

Elle veut faire un bon repas ce soir. Quelques tomates, une boîte de petit salé aux lentilles, du camembert en portions, une petite boîte de sel, deux bouteilles de jus d’orange, une grande bouteille d’eau minérale, une grappe de raisin. Au rayon parfumerie, elle choisit une teinture pour cheveux, elle va devenir blonde.

Elle récupère Sac à dos et bicyclette et sort de Nort-sur-Erdre par la D 178, puis s’engage sur un chemin qui l’amène dans un bois au bord de l’Erdre.

Fin de la première étape. Elle prend le temps de souffler un peu, de faire le point assis au bord de l’eau un jus d’orange à la main.

Il est 19 h. Elle est à 71 kilomètres de chez elle. Ses parents sont maintenant rentrés à la maison depuis une heure. Ils ont forcément déjà constaté sa disparition. Ils vont avertir la gendarmerie qui va venir examiner les indices énumérés par ses parents. Ils vont rapidement retenir la thèse de la fugue, écartant l’enlèvement. Une fugue ne déclenche pas un branle-bas de combat, avec mise en place du dispositif enlèvement avec émission d’un message d’alerte par tous les médias, sur le réseau routier, dans les gares, sur Internet.

Ce qui inquiète Angela, ce sont les réseaux sociaux. Ses parents vont relater sa fugue sur Facebook avec diffusion de sa photo, cela sera partagé et ainsi diffusé dans tout le pays. Il faut qu’elle change de look.

Elle se choisit un coin dégagé, en retrait de la rivière et à l’abri des arbres pour installer son bivouac. Elle va d’abord manger, puis faire sa teinture, se laver et ensuite dormir.

Elle réunit trois grosses pierres, des herbes sèches, des brindilles et quelques morceaux de bois secs, pour faire son feu. Pas un gros feu, juste de quoi se faire à manger. Elle sort son petit matériel de cuisine prépare son repas. Au menu de ce soir deux tomates au sel, petit salé aux lentilles, un morceau de fromage, raisin. Avant de se coucher, elle se fera un café. Mais avant d’allumer le feu, elle se brosse les cheveux, prépare son mélange colorant et oxydant, se protège la peau avec de la vaseline stérilisée, relève ses cheveux jusqu’au sommet de crâne, puis commence à appliquer la teinture avec le pinceau. Angela a visionné plusieurs tutos sur Internet à ce sujet. Il faut 45 minutes, pour que la teinture prenne. Il est temps de manger.

Elle n’a pas pris de maillot de bain, aussi pour se rincer les cheveux, elle décide d’aller se baigner nue. La nuit est déjà tombée, l’eau est un peu fraîche mais elle prend plaisir à cette nouvelle sensation. Elle se sèche au coin du feu tout en préparant son café. Elle passe un caleçon, un sweat-shirt, fait sa vaisselle range son campement éteint le feu, déplie son tapis de sol, se glisse dans son sac de couchage, fume une cigarette, couchant dans son journal le récit de sa première journée, tout en écoutant la radio.

Angela est debout à 6 h, boit un grand verre de jus d’orange avec deux barres de céréales au chocolat, un short, un débardeur, elle est prête à partir pour une nouvelle journée. À son guidon, elle a accroché un sac en papier rempli des détritus de la veille, pour les jeter dans le premier container qu’elle trouvera au bord de la route.

Elle va obliquer sur le sud-est, direction Mauves-sur-Loire là où elle traversera la Loire, puis La Chapelle-Basse-Mer, la Boissière-du-Doré. 42 kilomètres, elle doit y être pour midi.

Peu de monde sur les routes, elle pédale allégrement laissant flotter aux vents, avec fierté, ses longs cheveux blonds.

Le pont qui franchit la Loire est en travaux et il est fermé à la circulation. Il faut faire un détour jusqu’à Thouaré-sur-Loire, franchir la Loire par la D 37, suivre cette route jusqu’à Le Landreau.

Angela y arrive peu après midi. Elle a fait un peu plus de chemin que prévu, mais elle est contente d’elle. C’est la fin du marché à Le Landreau. Elle s’achète une part de pizza et une bouteille d’eau bien fraîche, sort du bourg toujours sur la D 37 en direction de Vallet. Au premier coin d’ombre venu, elle fait sa pause déjeuner. Elle s’accorde une heure de repos, puis reprend son petit bonhomme de chemin. Il y a 40 kilomètres pour rejoindre Cholet. Elle va longer la N° 149, évitant ainsi le centre-ville et couper l’autoroute A 87. C’est son objectif pour ce soir.

Ravitaillement à Mortagne-sur-Sèvre, deux steaks hachés, un paquet de nouilles, du jus d’orange sans pulpe, une bouteille d’eau minérale. Arrivée au bord de l’autoroute, Angela cherche un point d’eau avec des sanitaires. Elle emprunte le petit chemin qui longe l’autoroute jusqu’à une aire de repos. Le coin lui est sympathique, boisé, au bord d’une prairie herbeuse. Elle pose vélo et sac à dos, se désaltère en fumant une cigarette assise sur un tronc d’arbre, puis prépare son bivouac. Avant de se faire à dîner, elle va aux toilettes et se rafraîchir.

En sortant des sanitaires, son attention est attirée par un aboiement. Attaché à un arbre, un chien appelle. Un Berger Belge à poils longs, un Tervueren d’environ trois ans la tête noire, le restant du pelage est fauve, une bête magnifique. Visiblement un animal abandonné par ses propriétaires sur le chemin des vacances. Angela connaît bien cette race de chien qui a la réputation d’être assez agressive. Le chien remue la queue de satisfaction à l’approche d’Angela, il lui lèche les mains, le visage et gémit de reconnaissance. Elle le détache et l’emmène jusqu’à la fontaine à eau pour qu’il puisse boire. Il avait grande soif, la pauvre bête. Elle retourne à son campement, le chien la suit d’instinct et se couche près du sac à dos.

Que vais-je faire de lui ? se demande Angela. Il a un collier, mais pas de plaque d’identification. L’abandonner et continuer mon chemin ? Pas question, il vient déjà d’être abandonné. Le confier à la SPA ? Impossible, ils me demanderaient mes papiers et des explications. Je vais le prendre avec moi décide-t-elle et je vais l’appeler « Le Chien », comme dans le film Alexandre le Bien heureux.

Elle prépare son dîner qu’elle va partager avec Le Chien, lui sacrifiant un de ses steaks et augmentant la portion de nouilles. Il aura même droit à une portion de Camembert. Il se régale Le Chien qui reput se couche sous un arbre.

C’est une adoption réciproque, constate Angela en souriant. Elle dessine un croquis du chien dans son journal.

Cela change un peu la donne pour son voyage. En prenant son café avec une cigarette, elle réfléchit à ce qu’elle va faire maintenant, comment continuer avec Le Chien ?

Difficile de songer à le faire courir à côté de la bicyclette. Il faut écarter l’idée de l’auto-stop, elle est trop jeune et en plus avec un chien. Une idée lui vient. Rejoindre une ligne de chemin de fer, abandonner son vélo et monter dans un train de marchandises. La gare la plus proche est celle de Mauléon, à 15 kilomètres. De là, elle devrait pouvoir rejoindre Parthenay. C’est décidé. Demain matin au petit jour, reprendre la bicyclette et filer jusqu’à la gare de Mauléon.

Le jour n’est pas encore levé qu’Angela et Le Chien, à travers les chemins des champs, longent la N° 149 en direction de Mauléon. La gare est un peu à l’écart, il faut contourner le bourg. Un panneau déchetterie. Angela va y abandonner son vélo, prenant soin d’effacer toutes les possibilités d’identification. Il faut maintenant marcher. Le Chien est tout heureux de gambader autour de sa nouvelle maîtresse, prenant un bâton dans la gueule, lui apportant pour qu’elle le lui lance. À ce jeu, il est infatigable, mais il faut avancer. Il est un peu plus de 8 h lorsqu’ils arrivent à la gare. C’est quasi désert, pas un chat, pas une voiture, personne dans la rue. Les volets, les portes de la gare sont fermés. Sur le côté, cependant, un petit jardin. Une femme sort pour y étendre du linge.

— Bonjour, madame ! dites-moi, quand y a-t-il un train pour aller à Parthenay ?
— Eh ! Ma petite demoiselle, il n’y a plus d’arrêts ici à Mauléon, la gare est fermée depuis plus de 1976. Il faut aller à Cholet pour y prendre un train.

C’est la tuile. Évidemment, ce n’était pas indiqué sur la carte que la gare était fermée. Que faire maintenant se demande Angela ? Plus de bicyclette. Cholet, c’est à 25 kilomètres, au moins 7 h de marche. Tout à l’heure en passant sous la N° 249, elle a vu un échangeur routier, important avec notamment une aire de covoiturage. Il y avait aussi une station-service. Elle va tenter l’auto-stop auprès d’un routier. Il faut qu’elle se vieillisse un peu pour être plus crédible dans la fable qu’elle va essayer de faire passer auprès d’un routier. Dans une poche plastique, elle met des sous-vêtements propres, un tee-shirt, un d’jeans et sa trousse de toilette. En arrivant à la station-service, elle pose son sac à dos sur un banc près de l’entrée, attache Le Chien au pied du banc, sort une gamelle pour lui donner de l’eau.

— Ne bouge pas Le Chien. Tu gardes mon sac à dos, je reviens.

Le Chien a compris. Il ne se couche pas, reste assis à côté du banc.

Angela entre, va à l’accueil et demande la clé pour avoir accès aux douches.

À la caisse, c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années qui, avec un beau sourire, lui dit :

— Si vous avez besoin, je peux venir vous frotter le dos !
— Non, merci vous êtes gentil, mais je vais me débrouiller toute seule.

En revanche, si vous pouvez jeter un coup d’œil sur mon chien et au sac à dos, ça serait sympa.

— Pas de problème, mademoiselle, je l’ai dans mon champ de vision. Soyez tranquille.

Angela se douche, se change et passe au maquillage. Se fait les yeux, fond de teint, léger rouge à lèvres.

Sois séduisante mais pas trop.

Elle se fait une grosse natte, réajuste sa casquette, mets ses lunettes de soleil et retourne à la boutique.

— Wouaouh ! Superbe ! Qu’est-ce que je vous sers ?
— Merci ! Un café crème et deux croissants. Je vais faire un tour dans la boutique.

Une bouteille d’eau, des barres chocolatées, elle trouve même un paquet de croquettes pour Le Chien.

— Je reviens, je vais lui donner à manger.
— Il n’a pas bougé d’un poil depuis que vous êtes entré. C’est un bon chien de garde.
— Oui, mais il n’est pas commode quand on le dérange.

Le Chien apprécie les croquettes et l’eau fraîche.

— C’était parfait. Je vous dois combien ?
— Les croquettes 7 €, la bouteille d’eau 1.50 €, les cinq barres chocolatées 2.50 €

Le petit-déjeuner avec croissants 5 €. La douche est gratuite, ça vous fait 16 €.

Dites-moi, vous allez où comme ça ?

— Je descends rejoindre mon petit copain dans le sud.
— Le veinard ! Vous êtes véhiculée ?
— Non, je vais essayer de faire du stop.
— Faites attention à vous. Attendez, il y a un routier espagnol qui vient de s’arrêter.

Je le connais bien. Je vais lui demander de vous prendre.

— Ah ! Ça, c’est vraiment gentil. Je vais attendre dehors avec Le Chien.
— Le jeune homme revient quelques minutes plus tard.
— C’est d’accord. Il peut vous laisser à Bordeaux, lui, il va à Bayonne.
— Un grand merci. Ça mérite une bise !
— Voilà une journée qui s’annonce belle pour moi. Bon voyage.

Une demi-heure se passe. Le routier a fini son petit-déjeuner, il va reprendre la route.

— Ola ! Eres tu el que hace auto-stop ?
— Si, pero tango mi perro.
— No hay problema, puedo llevarte a Burdeos.
— Muchas gracia. No hablo mucho español.
— Et moi, je parle un peu français. Mon prénom c’est Juan.
— Et moi, c’est Angela.

La cabine est assez haute et Angela doit aider Le Chien à monter. Elle semble un peu méfiante la pauvre bête. Première fois qu’elle monte dans un si gros camion sans doute.

— Il est neuf heures et demie. Nous serons à Bordeaux vers treize heures trente.

Je ne vais pas m’arrêter pour manger. Vous n’aurez pas faim ?

— Non, j’ai bien déjeuné et Le Chien aussi. Ne vous inquiétez pas pour nous.
— Vous allez faire quoi dans le midi ?
— Je vais rejoindre mon petit copain qui est en vacances aux Saintes-Maries-De-La-Mer.
— Vous avez quel âge Angela ?
— J’ai 17 ans, je viens d’avoir moi BAC.
— Vous êtes en avance, normalement le BAC ce n’est pas à 18 ans ?
— Oui, mais j’ai sauté une classe à la fin de l’école primaire.
— J’ai une fille de votre âge. Je n’aimerais pas qu’elle soit ainsi sur les routes.
— Mes parents non plus, mais ils sont en voyage d’affaires en Australie, moi je devais garder Le Chien. Alors, je profite de l’occasion pour aller retrouver mon petit copain. Vous transportez quoi dans votre camion ?
— Là, je redescends à vide, j’ai livré des fruits et légumes à la plateforme logistique de Super U à Nantes.
— Et vous faites combien de kilomètres par an ?
— Environ 150 000.
— Vous n’êtes pas souvent à la maison alors !
— Non, en général du vendredi soir au dimanche à midi. Je vais avoir bientôt 53 ans. Dans sept ans, je prends ma retraite.
— Vous faites un dur métier et avec les risques d’accident, ce n’est pas facile.
— Oui, mais j’aime ce métier. Nous approchons de Bordeaux. Je vous dépose où ?
— Près de la gare si cela ne vous fait pas faire un gros détour ?
— Non, je vous descendrai à Pessac. Vous serez à moins de 15 minutes de la gare de Bordeaux Saint-Jean.
— Merci, ce voyage en votre compagnie a été très agréable.
— Ne me remerciez pas, grâce à vous le temps m’a paru moins long.

Il y avait beaucoup de circulation dans l’agglomération de Bordeaux. À 14 h, Juan stoppait son camion.

— Voilà Angela vous êtes arrivée.
— Le Chien et moi, nous vous remercions beaucoup Juan.
— Faites attention à vous jeune et belle demoiselle.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, Juan. Le Chien me surveille.

Ce n’est pas Bordeaux Saint-Jean qui convient à Angela. Il faut qu’elle aille à la gare de triage d’Hourcade à Bègles. Une bonne trotte à pied, mais elle n’est pas pressée. Elle va faire un peu de ravitaillement au drive d’un Lidl. Eau minérale, jus de fruit de quoi se faire un bon gros sandwich pour ce soir, des croissants pour demain matin et un réchaud camping-gaz avec deux recharges. Elle ne pourra pas faire de feu ce soir. Elle arrive à la gare d’Hourcade aux environs de 5 h et sur une hauteur, à l’abri d’un petit bosquet, commence à observer ce qui se passe sur les voies. Les cheminots préparent les convois. Ils vont chercher, on ne sait pas où, deux, trois, parfois cinq wagons, parfois un seul qu’ils accrochent bout à bout. Il y a des wagons couverts avec des portes coulissantes, des plats soit vides soit avec des véhicules dessus, des wagons-tombereaux, des citernes, des wagons trémies, des wagons bâchés et pour finir une ou deux motrices.

Cinq convois sont en préparation. Reste à savoir leurs destinations et les heures de départ.

Angela va attendre le départ des cheminots pour aller voir.

Elle prépare son sandwich, donne des croquettes et à boire au Chien, ouvre une bouteille de jus de fruits. Pendant que l’eau pour son café chauffe, elle sort de son sac à dos un sweat-shirt à capuche et sa torche électrique. C’est une puissante Maglite à LED éclairant jusqu’à quatre cents mètres, qui pèse 500 g et mesure 25 cm. Une bonne matraque si besoin est.

Café, cigarette, le sac dissimulé dans les basses branches d’un arbre et c’est parti.

Elle longe le premier convoi, direction Nantes. Pas envie d’y retourner se dit Angela. Le deuxième, direction Marseille, via Toulouse et Nîmes. Départ 5 h demain Matin. Ça, c’est le bon. Il faut maintenant choisir un wagon. Soudain !

— Eh ! Toi la meuf. Tu cherches quoi là ?

Angela sursaute et se retourne pour être face à un jeune garçon d’à peine 20 ans.

— En quoi cela te regarde ? s’enhardit-elle, voyant le chien assis deux mètres derrière le garçon, prêt à bondir.

Continue à d’adresser à moi sur ce ton et mon petit camarade derrière toi va te faire comprendre la politesse.

Le garçon interloqué se retourne et Le Chien montre les dents en grognant.

— Attends, calme-toi, excuse-moi et surtout retiens ton chien.
— Ici Le Chien, sage. Et toi, tu fais quoi ici ?
— Je cherche un train pour Marseille.
— Alors, tu es comme moi, mais moi, je ne vais pas jusqu’à Marseille. Tu as l’habitude de ce genre de voyage ?
— Je l’ai déjà utilisé à plusieurs reprises. Il n’y a pas beaucoup de risques. Les effectifs des cheminots ont bien diminué et les trains ne sont pas beaucoup surveillés. À l’heure du départ, il y a juste un mécanicien qui vient s’assurer que tous les systèmes de freinage sont bien branchés.
— Tu as des bagages ?
— Oui un sac qui est caché dans un transformateur.
— Moi, j’ai mon sac à dos caché dans le bosquet plus haut.
— Si tu veux, on fait le voyage ensemble ?
— Ça me va. Tu as choisi un wagon ?
— Non et toi ?
— Il y a des wagons à portes coulissantes qui sont vides, les portes ne sont pas cadenassées. Ça fera un peu western !
— OK. C’est bon pour moi, va chercher ton sac.
— On va attendre le matin en buvant un café.

Ils discutèrent toute la nuit, ne voulant pas succomber au sommeil au risque de ne pas se réveiller à temps. Ce soir, elle n’a pas écrit dans son journal.

Le garçon s’appelle Mehdi. Il a 19 ans, d’origine algérienne, Kabyle, mais né en France, il a la nationalité française. Il a fait six mois de prison pour vol avec effraction. Il en est sorti il y a trois mois. Depuis, il voyage un peu partout en France à la recherche d’un bon boulot. Une de ses sœurs habite Marseille. Elle va le loger et l’aider à trouver un bon d’job.

Angela ne déroge pas de son histoire racontée à Juan. 17 ans et va retrouver son petit copain.

À 4 h du matin, ils rassemblent leurs affaires et se dirigent vers les voies. Il n’y a personne. Ils montent dans l’avant-dernier wagon et attendent en silence. Des bruits de pas, des coups de barre de fer donnés sur les conduites du système de freinage, un cheminot passe en revue l’ensemble du convoi. Les pas s’éloignent. Les deux clandestins peuvent souffler.

5 h. Le train s’ébranle, provoquant une secousse à chaque fois que les attelages se tendent. La vitesse est très lente pour quitter la gare. Les passages d’aiguillages font eux aussi des secousses. Angela est un peu paniquée.

— Rassure-toi, tout est normal lui dit Mehdi.
— Cela va aller, c’est la première fois que je vis cela. Tu veux un croissant ?
— Ah oui ! Merci.
— Je vais faire chauffer de l’eau pour le café.
— Il faut que je t’explique un truc.
— Quoi-donc ?
— Le train va s’arrêter à Toulouse, il faut bien observer comment le train va ralentir.
— Pourquoi cela ?
— Parce que l’arrêt suivant, ce sera Nîmes, là où va descendre.
— Oui et alors ?
— Alors tu ne peux pas descendre en gare à l’arrêt du train, il y aura trop de monde autour du train pour faire les manœuvres, attacher de nouveaux wagons et en retirer certains.

Il faudra sauter du train avant qu’il ne rentre en gare.

— Sauter du train ! Mais c’est impossible.
— Si, le train va beaucoup ralentir, tu pourras sauter sans danger. On jettera d’abord ton sac à dos, puis tu sauteras et Le Chien te suivra.
— C’est dangereux !
— Non, je vais bien t’expliquer ce que tu devras faire.
— L’eau bout, fait nous le café, on va tranquillement répéter la procédure.
— Ça me fout la trouille ce truc. j’ai déjà les jambes qui tremblent rien que d’y penser.
— Calme-toi. La tête du train va ralentir pour venir s’arrêter sur sa voie de Manoeuvre.

Cela signifie que la queue du train ne dépassera pas la vitesse de cinq km/h.

Il faut sauter dans le sens de la marche. Tu te places sur le marchepied tu sautes et tu fais un roulé-boulé dès que ta jambe droite touche le sol. Ne cherche pas à rester debout, roule sur toi-même à la réception.

— Je ne suis pas cascadeur moi !
— On va faire un essai. monte debout sur mes épaules. Tu sautes et tu roules.

Aller vas-y montes.

Angela s’exécute et se réceptionne comme lui a expliqué Mehdi.

— Bien ! engage un peu plus vite ton épaule droite et c’est parfait.
— On fait un autre essai.
— Tu vas me démonter l’épaule toi, mais OK, je recommence.
— C’est parfait Angela.

Le train arrive à Toulouse. Mehdi ouvre la porte coulissante et ils observent l’allure du train.

— Tu vois, avant les voies de triage, nous roulons sur le côté droit. Sur le côté, c’est le ballast. Des gros cailloux qui supportent les traverses et ensuite, c’est le talus en terre.

En sautant, tu vas atterrir dans le talus qui va amortir ta chute.

— Je ne suis toujours pas pleinement rassurée, mais je vais le faire.
— Je referme la porte. Le train va repartir après un nouveau contrôle du système de freinage.

Et c’est vers Nîmes que nos deux amis voyagent maintenant. Ils refont du café mangent quelques croissants et Le Chien a droit à son bol d’eau et une ration de croquettes.

— Tu veux une cigarette ? propose Angela.
— Attends, je ne vais pas encore taper dans ton paquet ? Tiens prend une des miennes.
— Tu vas faire quoi en arrivant à Nîmes ?
— Prendre la direction de la Camargue jusqu’aux Saintes-Maries-De-La-Mer, j’ai l’adresse d’un camping là où mon copain est en vacances.
— Tu n’as pas de téléphone portable ?
— Je l’ai perdu, il est tombé de ma poche et je ne m’en suis pas aperçue.
— Je suis bien content d’avoir fait ce voyage avec toi, tu es très sympa !
— Je ne me suis pas ennuyée avec toi, tu es vraiment agréable à fréquenter.

J’ai bien aimé.

— Merci. Tiens voilà mon numéro de téléphone. Quand tu en auras un autre, si tu as besoin, tu pourras toujours m’appeler.
— Pas seulement si j’ai besoin, je prendrai de tes nouvelles.

Le train commence à ralentir, Medhi ouvre la porte.

— Ça va être l’heure de se quitter. mets ta parka, elle te protégera plus qu’un tee-shirt.
— Viens, on se fait la bise ? Bon vent à toi.
— Prépare-toi Angela., place-toi sur le marchepied.
— Je lance ton sac et tu sautes. Le Chien va te suivre.
— OK, tu me donnes le top.
— Allez GO !

Angela saute, roule sur elle-même, mais ne se relève pas. Le Chien est déjà près d’elle et abois fortement.

Medhi n’hésite pas un instant, attrape son sac et saute dans le talus. Il court jusqu’à Angela. Elle est consciente, mais en pleurs.

— Qu’est-ce que tu as ?
— Je me suis tordu la cheville, j’ai très mal.
— Ne bouge pas, je récupère ton sac et je vais t’aider à monter le talus. Voilà, j’ai ton sac à dos. Reste là, je vais voir ce qu’il y a en haut du talus.
— Ne me laisses pas-là !

Medhi grimpe le talus avec les sacs, les dépose et revient vers Angela.

— C’est une prairie en haut avec des buissons au bord du talus. Passe ton bras sur mon épaule, nous allons grimper doucement.
— D’accord, on y va.
— Tu me dis si tu as trop mal. On fera une pause.
— Non, ça va aller.

Arrivés en haut du talus, Angela s’assied dans l’herbe, Medhi va lui chercher un jus de fruits, Le Chien pose sa tête sur la jambe de sa maîtresse.

— Je vais chercher un coin pour que l’on puisse examiner ta cheville, attends-moi là.

Au bout de la prairie, il y a un petit bois et derrière le bois des champs.

— J’ai trouvé un coin tranquille. Tiens, je t’ai trouvé une béquille de fortune pour t’aider à marcher. Tu es prête ?
— Oui ! Merci, tu es vraiment adorable.
— Viens, on y va.

Medhi portant le sac à dos et son sac, Angela claudiquant avec sa béquille, ils arrivent dans le bois. Un coin bien dégagé à l’ombre des hauts arbres, ils font une pause.

— Je vais examiner ta cheville.
— Attends, d’abord donne-moi une cigarette. Ensuite, je vais retirer mon d’jeans pour mettre un short et un débardeur. Je crève de chaud, passe-moi mon sac s’il te plaît.
— Tiens voici ton sac et une cigarette. On va bien laisser retomber la pression et agir calmement.
— Bien chef ! Tu as raison. Après tout, rien ne nous presse.

Angela sort de son sac un short, un débardeur et des sous-vêtements propres.

— Il va falloir que je pense à faire une lessive, je n’aurai bientôt plus rien de propre. Tu vas m’aider à retirer mon d’jeans, fais attention à ma cheville.

C’est la première fois qu’un garçon va me déculotter ! dit-elle en riant.

— Dis au Chien que tu me donnes l’autorisation, je n’ai pas envie qu’il me saute à la gorge s’il trouve mes gestes indécents.
— Ne t’inquiète, pas il a compris que je n’ai rien à craindre de toi.

Pendant que Medhi s’occupe du pantalon, Angela fait passer au-dessus de sa tête son sweat-shirt. Elle est en soutien-gorge quand Medhi se relève. Gêné, il se retourne.

— Ça y est, je suis en tenue décente, tu peux te retourner. Merci pour ce geste.
— Viens montre-moi cette cheville. Je vais retirer tes baskets. Ta cheville est très enflée, tu as une belle entorse. Il va falloir soigner ça.
— Et il faut faire quoi ?
— En premier, repos, glace, compression, élévation.
— Mais nous n’avons pas de glace !
— Tu vas rester là et te reposer. Je vais aller chercher ce qu’il faut. Il doit bien y avoir un village dans le coin.
— Ça va ! Je reste là à t’attendre la jambe en l’air. Tiens voilà de quoi acheter ce dont tu as besoin. Prends-nous aussi un peu de ravitaillement des cigarettes et de la lessive à froid.
— C’est bon, j’ai tout noté, je fais le plus rapidement possible.

Medhi traverse le bois, un grand champ et tombe sur une petite route. Pile ou face, à droite ou à gauche. C’est à gauche. À un croisement, un panneau indicateur annonce Vergèze trois kilomètres. C’est déjà la banlieue de Nîmes, il y trouve rapidement une pharmacie.

— Bonjour ! Il me faudrait de la pâte d’argile verte et des bandes velpo et une chevillière.
— C’est pour une entorse ?
— Oui, c’est pour mon amie, ça vient d’arriver.
— Faites attention avec l’argile verte, faites-en cataplasme bien épais, entourez-le avec un film alimentaire pour bien le maintenir en place, mais ne pas trop serrer pour ne pas couper la circulation.
— Je le laisse combien de temps ?
— Une heure, puis vous rincez. À renouveler si le gonflement persiste. Après avoir rincé la cheville, vous pouvez faire un bandage avec la bande velpo, sans serrer. La chevillière pas avant trois jours.
— Merci.

Medhi entre dans un bureau de tabac, prend trois paquets de cigarettes, puis se dirige vers une supérette. Eau minérale, jus de fruit, boîte de haricots verts, du jambon blanc, un caprice des dieux, des chips. Au rayon boucherie deux steaks et des merguez. Puis il prend une cuvette, un paquet de lessive et un rouleau de film étirable.

Il rentre à travers champs vers le petit bois. En passant le long du champ, il a découvert un petit ruisseau.

Angela est soulagée de le voir arriver.

— Tu es bien chargé mon pauvre ! Tu as trouvé tout ce qu’il te voulait.
— Oui, je t’ai même acheté une bassine pour faire ta lessive. J’en ai eu pour 14,50 € chez le pharmacien, 30 € au bureau de tabac et 40,65 € à la supérette. On va partager un peu les frais.
— Mais tu es un homme parfait, dirait-on !
— N’exagère pas. vient on s’occupe d’abord de la cheville. Elle est drôlement gonflée. Tu n’as pas trop mal ?
— Non, ça me lance un peu, mais ça va.
— D’abord, le cataplasme.
— C’est quoi cette pâte verte ?
— C’est de l’argile. Ta cheville va rapidement dégonfler avec ça. J’emballe le cataplasme avec un film étirable et tu vas garder ça pendant une heure. Interdiction de bouger. Je vais aller chercher de l’eau, il y a un ruisseau pas loin. Je vais remplir la bassine.
— Prends le seau pliable qui est dans la poche arrière du sac à dos, avec les ustensiles de cuisine.
— Dis au Chien de venir avec moi, je ne pourrai pas tenir la cuvette pleine d’eau et le seau. Il va prendre le seau dans sa gueule.
— Le Chien ! va avec Medhi ! va.

Docile et obéissant à sa maîtresse, Le Chien va avec Medhi. Le seau de 10 litres d’eau ne lui pose aucun problème. Il est tout fier levant haut la tête, marchant devant, de revenir vers Angela.

— C’est bien Le Chien, viens là que je te caresse un peu.
— Comment va ta cheville ?
— Je n’ai presque plus mal.
— Encore une bonne demi-heure et je retirerais le cataplasme. On mange quoi ce midi ?
— Steak, haricots verts. J’ai un peu faim.
— On va cuisiner ça sur le gaz. Je chercherai un coin plus propice pour notre installation de ce soir.
— Après manger, je ferai une lessive. Tu as des choses à laver ?
— Des bricoles, mais rien d’urgent.
— Tu me donneras ça.

Le repas terminé, Medhi retire le cataplasme d’argile, lave la cheville d’Angela.

— Super ! c’est bien dégonflé. Je vais te faire un bandage pas trop serré, pour maintenir ta cheville. Mais pas question de marcher, tu restes assise.
— Mais il faut bien que je me rende utile, je ne vais pas rester là à feignasser !
— Tu peux faire ta lessive assise, tu me donneras à étendre pour faire sécher. De toute façon, nous sommes là pour trois jours minimum. On va prendre le temps de vivre. Tiens, bois ton café, attention, il est chaud.
— C’est toi qui as raison. Il n’y a aucune raison de précipiter les choses. On fume une cigarette ?

Et l’après-midi se passa tranquillement, Angela lavant le linge, le sien et celui de Medhi qui avait quelques caleçons un peu usés et des tee-shirts qu’il donna un peu honteux à Angela. Il étendait sur de basses branches ou sur l’herbe les vêtements à sécher. Il fit aussi quelque aller-retour au ruisseau pour puiser de l’eau. Quand la lessive fut terminée, ils firent une pause-café-cigarette.

— Je vais rechercher un coin plus confortable pour passer la nuit, mais avant, je vais regarder l’état de ta cheville. Elle n’est presque plus enflée. Tu as mal quand tu essayes de la faire bouger ?
— C’est un peu raide, mais ça ne me fait pas mal.
— C’est bon signe. On refera un cataplasme demain matin. Tu vas garder un bandage pour la nuit. Reste tranquillement assise, je reviens.

Le bois n’était pas trop broussailleux, on pouvait s’y déplacer facilement sans avoir à contourner des ronciers et des petits épineux.

Dans une petite clairière, une cabane de chasse. Medhi s’en approche la porte n’est pas fermée. À l’intérieur une table, deux bancs. Les vitres de la fenêtre sont cassées. C’est poussiéreux, plein de toiles d’araignée, mais c’est dans un état correct. Il y a même un poêle à bois avec le conduit qui monte jusqu’au toit. C’est inespéré se dit Medhi, je vais aller chercher Angela.

— Tu n’es pas parti bien longtemps ! Tu as trouvé quelque chose ?
— Tu ne vas pas le croire, il y a une cabane de chasse abandonnée dans ce bois. Allez, on remballe nos affaires et on y va. S’il le faut, je ferai deux voyages. Tu vas pouvoir marcher avec la béquille ?
— Oui, ne t’en fais pas passe-moi ton sac, toi prends mon sac à dos.

En arrivant devant la cabane. Mehdi fit asseoir Angela sur un tronc d’arbre couché.

— Il faut que je fasse un peu de ménage, surtout retirer les toiles d’araignée et passer un coup de balai. Je vais couper une branche de sapin pour faire ça. Toi, tu ne bouges pas.
— Je ne sers à rien moi ici !
— Tu te rattraperas plus tard, sois gentille, reste tranquille.

Et Mehdi se mit au travail éliminant rapidement la poussière, sur les murs, sur les meubles, sur le sol. Angela ne pouvait que constater le nuage qui en sortait de la fenêtre et de la porte. Il en ressortit une heure plus tard, pour s’asperger d’une cuvette d’eau froide.

— Il me reste à faire les toiles d’araignée, je vais faire une torche avec de la résine de sapin et les faire brûler.
— Mais tu vas y mettre le feu !
— Non, t’inquiète, je ne vais pas approcher la flamme du bois. C’est la chaleur qui va faire cramer tout ça.
— Fais attention à toi.
— Ne t’en fais pas, je sais ce que je fais. prépare-nous donc un bon café en attendant.

Il se remit au travail, Angela inquiète l’entrevoyant de temps à autre par la fenêtre.

— Ça y est, j’ai terminé. viens que je te fasse connaître ta nouvelle maison.

Ils commencèrent leur installation, Angela était tout heureuse de vider son sac, plaçant là les ustensiles de cuisine, là le réchaud à gaz, là les provisions. Une hésitation lui vint au moment de déplier son tapis de sol.

— Tu vas dormir sur quoi ? demanda-t-elle à Mehdi.
— Je vais bourrer mon sac de couchage avec des fougères, j’ai déjà fait ça, c’est assez confortable. Je vais le mettre dans ce coin-là, tu n’auras qu’à étendre ton tapis de yoga à l’équerre.
— D’accord comme ça, mais tête à tête, je ne veux pas sentir tes pieds, dit-elle en riant aux éclats.
— Je vais faire une provision d’eau et de bois pour faire le dîner de ce soir, tu viens avec moi Le Chien ?
— Moi, je vais lessiver la table et les bancs.

Mehdi est de retour avec Le Chien toujours porteur d’eau.

— Il y a du gibier dans ce bois, Le Chien a failli laisser tomber le seau pour poursuivre un lapin. Je suis certain aussi qu’il doit y avoir des champignons. Demain matin à la fraîche je vais aller voir.
— Ce soir, on mange les merguez avec des chips. Il faudra refaire des provisions demain, il n’y a presque plus de café ni de sucre. J’ai allumé le poêle. On va pouvoir manger.
— Il fait presque nuit et nous n’avons pas de lumière. Je vais allumer une petite torche de résine près de la fenêtre, car cela fait beaucoup de fumée. Il faudrait des bougies.
— Ça me fait drôle de manger à table sans assiette, sans verre !
— C’est ton côté petite-bourgeoise ?
— Mes parents ne sont pas des « petits-bourgeois » comme tu dis, mais ils m’ont appris à manger correctement à table, c’est tout.
— Ne te vexe pas, je te taquinais.
— Tu veux tes merguez cuites comment ?
— Pas trop cuites pour moi.
— Alors, tiens, je crois que c’est bon, moi je les laisse encore un peu.
— Dommage que l’on n’ait pas de harissa, j’aime bien quand c’est un peu relevé.
— Et moi, j’adore les manger entre deux tranches de pain enduites de moutarde.
— Tant pis, à la guerre comme à la guerre. Mais elles sont bonnes quand même.
— Par contre, les chips ne sont pas fameuses.
— J’ai pris ce qu’il y avait, pas le choix.
— Je ne te reproche rien.
— On se fait un café et on va le prendre dehors en fumant une cigarette ?
— Oui, je mets les gamelles à tremper, je donne des croquettes, à boire au chien et j’arrive.
— Cela a l’air d’aller mieux ta cheville, tu ne boites presque plus.
— Je crois qu’elle n’est plus enflée et elle est plus souple.
— On refait quand même un cataplasme d’argile demain matin et ensuite, tu mettras la chevillière.

Il faisait nuit noire, sans lune. Ils fumèrent leur cigarette en silence écoutant les bruits de la forêt. Le Chien était aux aguets, assit les oreilles dressées.

— C’est quand même classe de ta part d’avoir sauté du train pour venir à mon secours.
— Imagine le remord qui aurait été le mien si j’avais continué ma route ente laissant dans le fossé ?
— Au fait, tu ne veux pas téléphoner à ton petit copain pour le prévenir ?
— Mehdi ! Il faut que je te dise quelque chose. Premièrement, je n’ai pas de petit copain qui m’attend. Deuxièmement, je n’ai pas 17 ans, j’ai 16 ans et demi, troisièmement, j’ai fugué du domicile de mes parents.
— Et pourquoi cette fugue ?
— Oh ! Tout allait bien chez moi. Mes parents sont adorables avec moi, je ne manquais de rien. Je faisais de bonnes études, j’ai un an d’avance d’ailleurs. Mais j’ai un gros défaut et ça depuis que je suis toute petite, je ne supporte pas l’autorité des adultes. Je veux faire et dire ce que je veux. J’ai besoin d’être libre de penser, libre de bouger, libre d’agir à mon gré. Je veux connaître le monde en le découvrant, pas qu’on me l’apprenne. Tu comprends ?
— Tu ne manques pas de caractère toi ! Ni de courage et de culot, c’est beau ça, je t’admire. Et Le Chien, il t’a suivi sans problème ?
— Oh Le Chien ! Je l’ai trouvé attaché à un arbre sur une aire de repos de l’autoroute. Je l’ai détaché et maintenant, c’est à moi qu’il est attaché.
— Il y a plein de gros connards de toute sorte dans la vie. En tout cas Le Chien à l’air heureux, c’est le principal. Demain, je vais téléphoner à ma sœur et lui demander de m’envoyer de l’argent par Western Union. Il ne reste plus grand-chose dans ton portefeuille.
— Il y en a encore assez pour faire les courses demain quand même. Je commence à avoir un peu froid. On rentre se coucher ?
— Oui, tu as raison, il fait frais dans les bois, garde ta torche près de toi.
— Bonne nuit, Medhi.
— Bonne nuit, Angela, dors bien.

Mehdi

Ils restèrent, de longues minutes éveillés, ne parvenant pas à trouver le sommeil. Medhi alluma une cigarette.

— Tu ne dors pas ? passe-moi une cigarette s’il te plaît.
— Tu n’arrives pas à dormir non plus ?
— Medhi ! J’ai encore quelque chose à te dire. Je suis vierge.
— Tu n’as jamais fait l’amour ?
— Pas avec un garçon. Avec une copine un peu plus âgée que moi, c’est elle qui m’a fait découvrir les plaisirs des sens.
— Tu es lesbienne ?
— Non, je suis attirée par les garçons, mais jamais un seul ne m’a touché. Je voudrais que tu sois le premier.

Grand silence. Ils avaient le visage tourné l’un vers l’autre, ils se regardaient à chaque bouffée aspirée.

— Tu ne dis rien ?
—