Angèle - Alexandre Dumas - E-Book

Angèle E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Extrait : "ERNESTINE, regardant par la fenêtre à gauche : Depuis une heure, il se promène avec elle, sans daigner s'apercevoir que je suis là, le regardant et pleurant ; ou plutôt il m'a vue ; mais, maintenant, que lui importe, et qu'a-t-il besoin de se cacher ? ne me suis-je pas mise entièrement à sa merci ? – Oh ! je ne puis supporter plus longtemps ce supplice ! ( Elle sonne. ) Louise ! Louise !"

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Seitenzahl: 120

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335054767

©Ligaran 2015

ACTE PREMIERAlfred d’Alvimar

Un appartement de l’hôtel des Bains à Cauterets ; sur le premier plan, deux fenêtres latérales ; sur le deuxième, deux portes ; au fond, une alcôve fermant avec des rideaux ; de chaque côté de l’alcôve, cabinets de toilette.

Distribution

ALFRED D’ALVIMAR.

HENRI MULLER.

JULES RAYMOND, jeune peintre.

MULLER père.

DOMINIQUE, domestique d’Alfred.

UN NOTAIRE.

UN CHASSEUR.

UN INVITÉ.

UN DOMESTIQUE.

LA COMTESSE DE GASTON.

ANGÈLE.

ERNESTINE, MARQUISE DE RIEUX.

MADAME ANGÉLIQUE, tante d’Angèle.

LOUISE, femme de chambre d’Angèle.

FANNY, femme de chambre de la comtesse.

UNE DAME.

INVITÉS, DOMESTIQUES.

Le premier et le second acte, à Cauterets, dans les Pyrénées ; les trois derniers, à Paris.

Scène première

Ernestine, puis Louise.

ERNESTINE,regardant par la fenêtre à gauche

Depuis une heure, il se promène avec elle, sans daigner s’apercevoir que je suis là, le regardant et pleurant ; ou plutôt il m’a vue ; mais, maintenant, que lui importe, et qu’a-t-il besoin de se cacher ? ne me suis-je pas mise entièrement à sa merci ? – Oh ! je ne puis supporter plus longtemps ce supplice ! (Elle sonne.) Louise ! Louise !

LOUISE,entrant

Madame ?…

ERNESTINE

Allez dire à M. d’Alvimar que sa sœur l’attend pour prendre le thé.

LOUISE

Où le trouverai-je ?

ERNESTINE

Tenez, là. Ne le voyez-vous pas dans le jardin ?

LOUISE

Avec mademoiselle Angèle ?… Oui, oui ; j’y vais, madame.

(Elle sort.)

ERNESTINE

Depuis la nouvelle de la révolution qui a éclaté à Paris, il a complètement changé à mon égard. Cette enfant, qu’il ne songeait pas même à regarder, maintenant il ne la quitte plus ; ses yeux la poursuivent et la fascinent à son tour, comme ils m’ont fascinée et poursuivie… Oh ! cet homme a un but caché que Dieu connaît seul.

(Alfred entre par une des portes du cabinet de toilette.)

Scène II

Ernestine, Alfred.

ERNESTINE

Eh quoi ! vous entrez de ce côté ?

ALFRED

N’est-ce point pour cela que vous m’avez donné cette clef ?

ERNESTINE

Mais, si l’on voyait entrer chez moi par cette porte dérobée, que voudriez-vous qu’on pensât ?

ALFRED

Il m’aurait fallu faire le tour par le grand escalier.

ERNESTINE

Au fait, ce serait prendre trop de peine, quand il ne s’agit que de l’honneur d’une femme.

ALFRED

Est-ce pour me faire faire un cours de prud’hommie que vous m’avez dérangé ?

ERNESTINE

Dérangé !… le mot est gracieux.

ALFRED

Il a le mérite d’exprimer exactement ma pensée.

ERNESTINE

Et vous ne prenez plus la peine de la cacher, n’est-ce pas ?

ALFRED,se versant du thé

Ma chère Ernestine, vous êtes, depuis quelques jours, dans une disposition d’esprit bien fâcheuse.

ERNESTINE

Vous mettez tant de soin à l’entretenir !

ALFRED

Prenez-vous une tasse de thé ?

ERNESTINE

Merci.

ALFRED,feuilletant le journal

Ah ! il est question de votre mari.

ERNESTINE

Du marquis de Rieux ?… Et comment ?

ALFRED

Il suit la famille déchue.

ERNESTINE

Dans sa position auprès d’elle, c’est presque un devoir.

ALFRED

Qu’il remplit par ostentation.

ERNESTINE

Vous calomniez jusqu’au dévouement.

ALFRED

Jusqu’à ce qu’on m’en cite un véritablement désintéressé.

ERNESTINE

Celui du marquis.

ALFRED

Pourquoi plus qu’un autre ?

ERNESTINE

Mais c’est celui du lierre qui s’attache aux débris.

ALFRED

Parce qu’il ne sait comment s’accrocher aux murs neufs.

ERNESTINE

Athée !

ALFRED

Sceptique, tout au plus… – Hélas ! la vie humaine est ainsi faite, Ernestine ; sa superficie est resplendissante de passions généreuses et d’actions désintéressées. C’est l’eau d’un étang dont la surface reflète les rayons du soleil. Mais, regardez au fond, elle est sombre et boueuse. Certes, votre mari fera sonner bien haut son attachement à ses princes légitimes, son exil volontaire près d’un exil forcé ; en le répétant aux autres, il finira peut-être par croire lui-même qu’il est un modèle de générosité ; il ne fera pas attention que sa grandeur d’âme n’est qu’un composé de petites bassesses ; qu’il bâtit une pyramide avec des cailloux. Il y a plus ; si quelqu’un allait lui dire : « Vous quittez la France, non que vous soyez dévoué à vos princes légitimes, non parce que les grands malheurs réclament les grands dévouements, mais parce que votre titre de marquis vous fait plaisir à entendre prononcer, et qu’à la cour du roi déchu seulement, on vous appellera marquis ; parce que vous aviez trois ou quatre croix qui ne vont bien que sur un habit à la française, et que vous tenez à conserver votre habit à la française et à porter vos croix, lesquelles font la seule différence qui existe entre vous et le valet de chambre de Sa Majesté ; parce que toutes vos habitudes enfin étaient enfermées dans un cercle qui s’est déplacé, et que vous avez suivi, comme l’atmosphère suit la terre. » Je crois que celui qui lui dirait cela l’étonnerait tout le premier.

ERNESTINE

Mais je ne vous ai jamais entendu parler ainsi.

ALFRED

C’est que, pour la première fois, je pense tout haut devant vous.

ERNESTINE

Je ne vous eusse pas aimé, Alfred.

ALFRED

Et vous eussiez bien fait, Ernestine.

ERNESTINE

Oh ! mon Dieu !

ALFRED

Je désirais être pour vous l’objet d’un caprice et non d’une passion ; pourquoi m’avez-vous donné plus que je ne demandais ?

ERNESTINE

Mais dites-moi donc que tout cela n’est qu’une plaisanterie atroce ! N’est-ce pas, n’est-ce pas que vous raillez ?

ALFRED

Je n’ai jamais parlé si sérieusement.

ERNESTINE

Vous me torturez à plaisir.

ALFRED

Non, je vous éclaire à regret. Rappelez-vous ma conduite, et vous me rendrez plus de justice. Quand je vis ce que je n’avais envisagé que comme une liaison passagère devenir, de votre part, un sentiment profond, je pensai qu’il était temps de l’arrêter là : je prétextai un voyage aux eaux. Je suis venu ici ; car je présumais que vous finiriez par faire quelque imprudence qui nous perdrait tous deux. Cette imprudence n’a pas tardé ; et, un jour, sous prétexte que vous ne pouviez vivre sans moi, vous êtes arrivée ici sous le titre de ma sœur.

ERNESTINE

Malheur ! mais je vous aimais tant, que je ne pouvais supporter votre absence.

ALFRED

Un jour de plus, peut-être, et vous eussiez craint mon retour.

ERNESTINE

Mais, malheureux ! vous ne croyez donc à rien ?

ALFRED

Vous vous trompez, Ernestine ; je ne révoque pas les choses en doute ; je vois au-delà ; voilà tout.

ERNESTINE

Vous êtes glaçant.

ALFRED

Je suis vrai.

ERNESTINE

Mais où donc avez-vous étudié le monde ?

ALFRED

Dans le monde.

ERNESTINE

Et sans doute vous vous croyez meilleur que les autres.

ALFRED

Je le fus.

ERNESTINE

Et vous vous êtes lassé de l’être ?

ALFRED

La vie humaine se divise généralement en deux parties bien tranchées : la première se passe à être dupe des hommes.

ERNESTINE

Et la seconde ?

ALFRED

À prendre sa revanche.

ERNESTINE

Vous en êtes à la dernière ?

ALFRED

J’ai trente-trois ans.

ERNESTINE

Est-ce un rêve ?

ALFRED

Tenez, Ernestine, vous n’êtes point une femme ordinaire. Écoutez, et vous me connaîtrez.

ERNESTINE

Je ne vous connais que trop pour mon malheur !

ALFRED

Et, si je guéris, avec des paroles vraies, l’amour que j’ai fait naître avec des paroles fausses, ne demeurerez-vous pas mon obligée, puisque vous aurez l’expérience de plus ?

ERNESTINE

Parlez donc.

ALFRED

Je n’ai pas toujours été désenchanté de tout, comme je le suis, Ernestine. Je suis entré dans la vie par une porte dorée. Mon père était maître d’une fortune immense et j’étais son seul enfant. En 1819, j’avais vingt et un ans : la mort m’enleva mon père ; un procès injuste, ma fortune. C’est de là que date mon premier doute. Le doute, quand il naît, commence aux hommes et ne s’arrête pas même à Dieu. Je rassemblai les débris de ma fortune, vingt mille francs, à peu près. Ce n’était pas tout à fait la moitié de ce que je dépensais en un an. L’éducation universitaire que j’avais reçue et qui m’avait fait vingt fois le premier du collège ne m’avait rien appris pour la vie réelle. J’avais tout effleuré, rien approfondi. Au milieu d’un salon, je paraissais apte à tout ; rentré chez moi, j’étais accablé moi-même de la conviction de mon impuissance. N’importe, je ne voulus pas me rendre sans lutter. Je divisai la faible somme qui me restait, je me donnai quatre ans pour rétablir ma position, ou pour m’en créer une autre, par tous les moyens honorables que l’industrie met aux mains des hommes. Ce fut une espèce de défi porté au monde et à Dieu, et après lequel je pensai que je ne devrais plus rien ni à l’un ni à l’autre, si je ne réussissais pas. Je tentai tout. En quatre ans, j’usai en forces et en courage ce qui suffirait à une existence tout entière de douleurs. À la fin de ce terme, les derniers restes de ma fortune glissèrent petit à petit entre mes mains, et je me trouvai, à vingt-cinq ans, ruiné, las de tout, isolé, sans un seul ami sur la terre, sans un seul parent au monde, malheureux autant qu’il est donné à une créature humaine de le devenir, et cependant n’ayant pas en face de Dieu une seule action mauvaise à me reprocher, je vous le jure, Ernestine, sur tout ce que je regardais autrefois comme sacré. Je balançai un instant entre le suicide et la vie nouvelle où j’allais entrer.

ERNESTINE

Mais c’est tout un monde nouveau que vous m’ouvrez là.

ALFRED

Oui, n’est-ce pas ? vous ne pouviez vous douter, quand vous voyiez l’homme des salons et des femmes, l’homme des petits soins futiles et de la galanterie empressée, que cette tête éventée et ce cœur joyeux eussent jamais pu renfermer une pensée profonde et une amère agonie ! Cela est pourtant ainsi : il y a en moi deux hommes, dont le second, dans quelque temps, n’aura rien conservé du premier… Du moment que je m’étais décidé à vivre, je jetai les yeux sur le monde ; il semblait qu’un voile fût tombé de ma vue, tant chaque chose m’apparut sous sa véritable forme. Je reconnus des hommes qui étaient encore ce que j’avais été, et je me pris à rire en voyant comme, autour d’eux, chacun tirait à soi un lambeau de leur honneur ou de leur fortune, jusqu’à ce qu’à la fin ils se trouvassent nus et désespérés comme je l’étais. Puis, dès que je fus convaincu que le mal particulier concourait au bien général, il me parut de droit incontestable de rendre aux individus le mal que la société m’avait fait, du moment que du mal des autres naîtrait un bien pour moi ; car faire le mal pour le plaisir du mal est un travail inutile. Alors je me pris à réfléchir. Je me dis qu’il serait d’un homme de génie de rebâtir, avec les mains frêles et délicates des femmes, cet échafaudage de fortune que la main de fer des évènements et des hommes avait renversé. Ce calcul en valait un autre, et j’y trouvais, de plus, le plaisir. Dès lors je devins courtisan de caresses ; les boudoirs furent mes antichambres ; une déclaration d’amour me valut une place ; un premier baiser, la croix. Les femmes sont d’admirables solliciteuses : j’utilisai le crédit de chacune d’elles ; j’obtins pour moi et je n’ôtai rien à personne ; une brouille leur laissait leur crédit, où je voyais qu’elles allaient l’user en ma faveur ; c’est de la délicatesse ou je ne m’y connais pas.

ERNESTINE

Mais aucune ne vous a donc aimé ?

ALFRED

Toutes en ont eu l’air ; mais, comme, jusqu’à présent, aucun malheur n’en est résulté, je commence à en douter. Je vous en fais juge vous-même, Ernestine. Vous connaissez quelques-unes des femmes qui m’ont porté où je suis : je dus à madame de Breuil un secrétariat d’ambassade à Madrid. J’y restai trois mois ; quand je revins, je n’eus pas besoin de me brouiller avec elle. La jolie madame d’Orsay voulait un amant titré : grâce à elle, je devins baron. Nous nous séparâmes ; son amour n’en devint que plus aristocratique, et je fus remplacé par un comte. À vous, Ernestine, je dus cette croix et un bonheur si réel, que je tremblai de le voir finir, et cela est si vrai, que, dès que je m’aperçus que votre amour prenait les symptômes d’une passion, je partis. Ce qui devait nous sauver tous deux vous perdit seule ; vous vîntes me rejoindre, et vous eûtes tort. Eh bien, comprenez-vous maintenant ? Cet ouragan de trois journées qui a soufflé sur la vieille cour, en l’emportant avec lui, vient de renverser l’édifice que six ans de calculs et de peine avaient bâti. Pensions, titres, croix, le bras nu du peuple vient de m’arracher tout cela ; tout est à recommencer, tout est à refaire, et j’ai trente-trois ans !… et là, là… (frappant son cœur) du dégoût, comme un homme qui sort vieux de la vie. Oh ! je crois que j’échangerais volontiers cette existence pleine de force et de santé contre l’existence de ce jeune Henri Muller, le fils de notre hôte, qui mourra avant un an peut-être, qui mourra du moins les yeux sur la vie, regrettant ce monde et croyant à un autre.

ERNESTINE

Oh ! Alfred, qui m’eût dit que ce serait vous que je plaindrais ?

ALFRED

Oui, plaignez-moi ! car vous êtes la seule femme qui, me connaissant, puisse me plaindre. Et il a fallu, pour que je vous dise ces choses, il a fallu que mon cœur fût brisé, et ce n’a pu être que par une blessure que sortît à vos yeux tout le secret de ma vie passée et future.

ERNESTINE

Et maintenant ?…

ALFRED

Maintenant, je vous l’ai dit, j’ai tout perdu.

ERNESTINE

Tout… Écoutez, Alfred ; moi aussi, j’ai tout perdu : la fortune du marquis était en pensions et en places ; mais il me reste pour quarante mille francs, à peu près, de diamants ; partageons.

ALFRED

Merci, Ernestine, vous êtes bonne ; gardez-les : je vois que vous ne m’avez pas compris.

ERNESTINE

Mais qu’allez-vous devenir ?

ALFRED

Je vous ai dit que c’était tout un édifice à rebâtir.

ERNESTINE

Et vous allez vous remettre à l’œuvre ?

ALFRED

Je m’y suis remis.

ERNESTINE

Comment ! cette jeune Angèle ?…

ALFRED

En sera la première pierre.

ERNESTINE,sonnant Louise qui entre

Faites préparer ma voiture.

ALFRED

Vous partez ?

ERNESTINE

Je pars.

ALFRED

Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne vous accompagne pas.

ERNESTINE

Je le devine.

ALFRED

Et où allez-vous ?

ERNESTINE

Le sais-je ?… M’enfermer… m’ensevelir dans une retraite.

ALFRED

À quoi bon ? et qu’y ferez-vous ?

ERNESTINE

J’y pleurerai ma faute !

ALFRED

Ernestine !… avant un an, je vous donne rendez-vous dans le monde, des perles au cou, des fleurs sur le front.

ERNESTINE

Mais vous oubliez, malheureux !… que, par vous, j’ai tout perdu… fortune et position…

ALFRED

Vous changerez de position et vous referez une fortune.

ERNESTINE

Par quels moyens ?

ALFRED