Anna-Maria Monteville - Christian Guého - E-Book

Anna-Maria Monteville E-Book

Christian Guého

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Beschreibung

Anna-Maria Monteville est la responsable du service anesthésie-réanimation de l’hôpital Bellecourt à Paris. Elle est très appréciée de sa hiérarchie pour ses compétences et l’empathie qu’elle manifeste à l’égard de ses patients. Durant l’année 2020, alors que la Covid-19 fait rage, faisant affluer les malades vers les centres de santé, elle rencontre M. G., un universitaire infecté par le coronavirus, avec qui elle noue une relation aussi intéressée que particulière. Son invitation par le ministère chinois de la Santé, à participer à un colloque international sur cette pandémie, va bouleverser sa vie. Devenue, malgré elle, détentrice de secrets d’État d’ordre sanitaire d’une extrême importance, les multiples enjeux liés à cette affaire la plongeront dans un horrible périple.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Docteur en Lettres et en Droit, Christian Guého, sensible au destin de ceux et celles qui basculent irréversiblement dans la désespérance affective et sentimentale, nous propose son nouvel ouvrage : Anna-Maria Monteville - Ou l’origine diabolique du coronavirus.

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Christian Guého

Anna-Maria Monteville

Ou l’origine diabolique du coronavirus

Roman

© Lys Bleu Éditions – Christian Guého

ISBN : 979-10-377-6310-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avertissement

Ce livre est un ouvrage de fiction. Les personnages cités et les événements relatés sont le fruit exclusif de l’imagination de l’auteur.

I

Quand M. G. se réveilla, allongé sur un lit de l’hôpital Bellecourt, dans le 5e arrondissement de Paris, il s’aperçut qu’il était enveloppé d’un appareillage à oxygénation intense. La plus grande partie de son visage avait été recouverte d’un masque solidement sanglé derrière la tête. Deux minces tuyaux y étaient raccordés, canalisant le précieux gaz vital.

G. fit un sérieux effort de mémoire pour se rappeler les derniers instants qui avaient précédé la série de vertiges importants dont il avait été victime, le matin même. Ces vertiges, accompagnés d’une grande fatigue et de maux de tête, l’avaient amené au bord de l’évanouissement.

Il se souvint qu’en cette matinée chaude et ensoleillée du mois de juin 2020, il venait tout juste de commencer son cours général d’histoire du droit dans l’amphithéâtre de l’université Panthéon-Sorbonne. Face à des étudiants en licence attentifs, il devait traiter du Système juridique en vigueur dans l’Empire romain, à laveille des invasions barbares du Ve siècle. Mais il avait dû rapidement s’interrompre. Nauséeux, suffoquant, il s’était affaissé lentement sur l’estrade d’où il dispensait son enseignement. Vite secouru, un VSAB des Sapeurs-pompiers de Paris l’avait transporté jusqu’ici, dans cette lumineuse chambre d’hôpital qu’il partageait d’ailleurs avec trois autres patients…

Une femme plutôt grande, toute vêtue de blanc, s’approcha de lui. Son volumineux chignon déformait quelque peu son bonnet plastifié de chirurgien. Ses mains étaient gantées. Par-dessus son masque flottaient de larges lunettes à verres filtrants. Elle retira sans précipitation le système d’alimentation en oxygène qui défigurait G., et le déposa délicatement sur l’oreiller. Puis elle prit la parole :

« M. G. ? Je suis la professeure Anna-Maria Monteville, responsable de ce service. Comment allez-vous maintenant ? Vous avez échappé de peu à la réanimation, vous savez ! Votre taux d’oxygène dans le sang était très insuffisant. Mais il semble que vous ayez bien récupéré, et que vous ne désaturiez plus. Ainsi donc, vous aussi, vous n’avez pas échappé à cette calamité de coronavirus ! Ne vous inquiétez pas, on s’occupe de vous. Tout devrait bien se passer. »

G. accusa le coup. Il avait l’impression de vivre un mauvais rêve ! Aussi, avant de répondre à son interlocutrice, s’efforça-t-il de jeter un regard circulaire autour de lui. Mais non ! Il se trouvait bien dans une chambre d’hôpital, avec ses néons aveuglants, ses lits mobiles à roues d’acier, ses tubulures pendantes de perfusion intraveineuse, ses écrans de contrôle, et ses tableaux statistiques fastidieux. Près de l’entrée de la chambre, il put également distinguer une desserte couverte de pansements, de ciseaux, d’antibiotiques, de comprimés de cortisone et de bouteilles d’éther. Une volumineuse poubelle à déchets médicaux, mal dissimulée derrière un fauteuil roulant pour handicapé, n’échappa pas non plus à son inventaire rigoureux.

Fixant la professeure Monteville, G. répondit alors :

« À vrai dire, madame, je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai été véritablement foudroyé par ce virus ; je ne pouvais plus bouger, je ne respirais plus qu’avec difficulté. Je suis vraiment honteux de m’être ainsi donné en spectacle à mes étudiants… Et surtout, sachant ce qu’il m’est arrivé, ils vont maintenant redouter d’être eux-mêmes atteints par cette calamité de coronavirus. Ce sont tous des “cas contacts” maintenant, n’est-ce pas ? »

Madame Monteville reprit:

« Ah ! Vous êtes l’enseignant-juriste dont mes collaborateurs m’ont parlé ce matin. À Paris II ? Très bonne faculté paraît-il ?C’est ce que m’a affirmé le directeur de l’hôpital lorsque nous évoquions tout à l’heure le profil des gens admis dans nos services. Il a son fils en Droit des Affaires. Mais dites donc, où pensez-vous avoir attrapé ça ? le corona ? »

G. fut surpris de cette question, mais tenta quand même d’y répondre. Il articula d’une voix faible :

« Je n’en sais absolument rien ! Je suis veuf ; je sors très peu. Cela va vous faire sourire, mais en ce moment, en dehors de mes cours, je relis les aventures de Tintin pour me changer les idées… Ah, si, peut-être… au supermarché qui est près de chez moi ? Je suis allé y faire des courses il y a environ 8 jours. Nous étions à touche-touche devant le rayon charcuterie. Et devant moi, une femme, très belle, le parfait sosie de Marilyn, avec un grain de beauté tout près de la lèvre inférieure. Elle ne portait pas de masque, mais paraissait en bonne santé. Elle ne voulait sans doute pas dissimuler ses jolies lèvres, sa bouche pulpeuse et… »

« Calmez-vous, M. G. ! Vous êtes sérieusement malade, quand même ! Pensez à guérir et à rien d’autre ! Enfin… pourl’instant ! Je vais vous remettre votre appareillage», fit-elle valoir d’une voix forte.

Puis se penchant au-dessus de lui, elle ajouta en susurrant :

« Je reviendrai vous voir, ce soir. J’ai quelque chose de très confidentiel à vous demander. Je l’écrirai sur un morceau de papier que je tiendrai devant vous, seulement quelques instants. Vous me répondrez par un signe de tête positif ou négatif. Et si vous n’êtes ni d’accord ni pas d’accord, si vous estimez avoir besoin d’un délai de réflexion, ne bougez pas la tête mais croisez les doigts. Vous comprendrez vite pourquoi je ne puis vous parler dans cette chambre où vous n’êtes pas seul. En attendant, reposez-vous, et surtout, oxygénez-vous ! »

Quelques secondes plus tard, G. se retrouvait affublé de son « corset facial ». Il aurait voulu s’endormir à nouveau, mais il n’en éprouvait pas le besoin. Immobile, les yeux rivés au plafond de la pièce sur un ventilateur tournant au ralenti, il laissa volontiers les souvenirs le submerger comme des témoins sincères de sa vie de bohème.

Car on pouvait être un universitaire reconnu et respecté dans sa discipline, et en même temps, se trouver dans l’incapacité de se prévaloir du moindre projet ou de la moindre perspective d’avenir.

En effet, G. ne s’était jamais complètement remis du décès de sa femme, Carla, survenu en 2012. Il s’en voulait toujours de l’avoir laissée mourir seule dans une chambre austère de l’hôpital d’Angoulême, alors qu’il s’obstinait à retrouver la trace d’une charmante passagère qu’il avait croisée, un jour, en se rendant à son travail, dans le train Bordeaux-Paris.1

Certes, il avait mis Carla au courant de ses intentions : percer le mystère d’une main d’enfant formolée, trouvée dans la valise de cette belle inconnue. Il avait, lui-même, proposé de mener des investigations communes pour connaître la sordide vérité. Elle avait accepté. Mais il ne se pardonnait pas de lui avoir quelque peu déformé la réalité de la liaison sensuelle qu’il avait eue avec cette femme d’origine russe ni d’avoir abusé de sa faiblesse physique et psychologique : en effet, Carla était déjà très gravement malade, et elle aurait tout accepté ou approuvé…

G., après un deuil long et douloureux, avait alors essayé de combler, au moins partiellement, le vide et le manque affectif provoqué par la disparition de son épouse. Il s’était obligé à répondre à des propositions de rencontres formulées sur des sites Internet. Était-il trop exigeant ? Toujours est-il qu’au fil des mois, ses prospections n’avaient débouché que sur un seul rendez-vous : celui qu’il avait eu avec une Blésoise prénommée Véronique, elle-même enseignante, mais en mathématiques et dans le secondaire.

La première rencontre avait eu lieu à Blois, au Café des Belles Rives, situé en bord de Loire. Véronique s’était présentée en salopette et en baskets, et avait abordé G. comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Ses cheveux poivre et sel ébouriffés retenaient mal une barrette sur le point de tomber. Son visage ne portait aucune trace de maquillage.

G., au contraire, avait fait un effort d’esthétique certain pour ce rendez-vous qu’il jugeait important. Dans un institut de beauté pour hommes, il s’était fait purifier et huiler le visage, arranger et noircir les sourcils, couper et manucurer les ongles. Pour la première fois de sa vie, il s’était même fait gominer les cheveux qui lui restaient. Enfin, il n’avait pas hésité à enfiler un vieux costume gris qui, certes, le boudinait un peu, mais mettait en valeur une magnifique pochette de soie brodée de couleur mauve, assortie à sa cravate.

Elle avait commandé un scotch ; lui, un diabolo fraise. Complaisant, il avait ensuite évoqué la difficulté de l’enseignement des mathématiques et son admiration pour ceux et celles qui pratiquaient cette matière. Elle lui avait répondu par une colle et demandé, en riant, de résoudre sur le champ une équation du second degré, s’il voulait espérer pouvoir la conquérir. G. avait trouvé cette question étrange et même saugrenue. Mais il s’était résigné à jouer le jeu et avait commencé à réfléchir.

Au bout de dix secondes, sa réflexion avait été interrompue par un commentaire sans appel de son interlocutrice : « Trop lent ! » G., dégoûté, avait failli partir, quitter cette table de bistrot. Mais il s’était ravisé, d’abord, parce que les occasions de « rencontres intéressantes » étaient rares, ensuite parce qu’il spéculait sur la possibilité de découvrir plus tard des aspects plus réjouissants de la personnalité de Véronique que celle-ci ne laissait pas, à cet instant, paraître.

Ils avaient décidé de se revoir, puis de vivre ensemble, d’abord à temps partiel, ensuite à temps plein. Hélas, les premières vacances qu’ils avaient passées l’année suivante dans le Morbihan leur avaient été fatales : G. n’avait pu que constater l’intérêt que Véronique portait surtout aux femmes, au point de le laisser seul, sans adresse où la joindre, durant plusieurs semaines. La rupture avait été ainsi consommée.2

À cet instant, le directeur adjoint de l’hôpital, suivi d’un interne en médecine et d’une infirmière en réanimation entrèrent dans la chambre. Derrière eux, deux aides-soignants poussaient un lourd brancard. Le directeur adjoint s’approcha du lit se trouvant exactement en face de celui de G. Il fit un bref signe à l’infirmière qui démasqua le patient et le découvrit entièrement de ses draps. Puis elle étendit sur toute la longueur de son corps un linceul blanc, qu’elle laissa retomber de chaque côté du lit.

Alors, les deux aides-soignants soulevèrent, avec autant de précautions qu’ils le purent, le corps d’un homme obèse qu’ils déposèrent sur le brancard. De ce qu’il put voir ou entendre, G. comprit que son voisin de chambre venait de mourir !

Tout le monde sortit, et la chambre fut de nouveau plongée dans un silence quasi absolu. G., perturbé, referma les yeux, et n’écouta plus que sa propre respiration demeurée faible et irrégulière. Il avait été au bord de la réanimation, de l’intubation, de la ventilation pulmonaire forcée. Il aurait pu, lui aussi, décéder seul, dans l’indifférence générale, comme son épouse Carla, avec comme unique bruit de fond celui de l’oxygène pulsé, ou de l’électrocardiographie activée. Une angoisse irrépressible l’envahit…

G. ne croyait en rien. Plus exactement, il était agnostique et considérait que les spéculations célestes étaient vouées à l’échec. Non seulement, parce qu’elles échappaient au domaine de la raison, mais encore, tout simplement, à celui de l’entendement humain.

Il était, en revanche, convaincu de l’existence du Bien et du Mal, et de la conscience qu’avait, à chaque instant, chaque individu d’accomplir l’un ou l’autre. Il se plaisait, d’ailleurs, à citer souvent cette pensée de Victor Hugo : Mieux vaut une conscience tranquille qu’une destinée prospère. Il pressentait également, et confusément, qu’il n’était pas possible que les pires crapules des deux sexes, de tous milieux et de toutes professions – sans exception – puissent demeurer à jamais impunies. Sa métaphysique s’arrêtait là.

Il allait s’abandonner une nouvelle fois à une douce et bienfaisante somnolence lorsqu’il perçut un bruit de pas rapprochés et légers. Il se souvint alors de la promesse de la professeure Monteville de lui rendre visite en soirée. Était-ce bien elle ? Ou venait-on encore extraire un cadavre de l’un des lits proches du sien ?

En dépit de l’état léthargique dans lequel il se trouvait, il distingua une ombre humaine qui s’approchait très près de lui, au point de le couvrir entièrement. Puis il entendit une voix lui dire tout bas :

« C’est madame Monteville. Je vais vous tester d’abord à l’oxymètre ; ne craignez rien. Je prends votre majeur et j’y applique ce petit appareil qui ressemble à une grosse pince à linge… Voyons : 97 % ! C’est plus qu’encourageant, c’est même très bien. En effet, vous avez à présent un taux d’oxygène dans le sang qui est quasi parfait ! Je vais maintenant mesurer votre rythme cardiaque… Euh… 72 pulsations à la minute… Tout àfait correct… Vous m’entendez, M. G. ? Je n’en suis pas sûre ! Si oui, ouvrez les yeux maintenant. »

G. percevait plus ou moins bien la voix et les mots de la professeure, mais de manière un peu déformée, comme s’ils provenaient d’un écho des montagnes. Et l’intonation ténue de son interlocutrice l’obligeait à fournir de réels efforts d’écoute. Néanmoins, il opina faiblement de la tête, et entrouvrit d’abord, l’œil gauche, puis l’œil droit. Satisfaite, madame Monteville enchaîna :

« Je suis venue vous voir, cher monsieur, comme je vous l’avais annoncé. Croyez bien que je suis désolée de vous solliciter dans ces conditions, alors que vous êtes encore sous traitement. Mais vous paraissez bien réagir au protocole de soins qui vous a été prescrit, et je ne voudrais pas que vous quittiez mon service, guéri, avant de vous soumettre ma requête… Vous m’entendez toujours ? »

Cette fois, G. n’eut même pas la force réagir. Ce que madame Monteville prit pour un assentiment. Elle poursuivit alors doucement :

« Vous allez essayer de lire, sans les oraliser, les quelques phrases qui se trouvent sur la feuille que je tiens à la main. Si quelqu’un rentre dans la chambre, je m’écarterai aussitôt du lit, et je reprendrai une posture beaucoup plus professionnelle. D’accord ? »

G. se fit violence pour lui répondre, sans résultat. Il se borna à lever lentement, vers le haut, le pouce de sa main droite, pour signifier son approbation. Et il se mit à lire les deux pages du texte rédigé en assez gros caractères typographiques :

Monsieur G.,

Mon neveu, Marc-Aurèle, a postulé à un emploi de Maître de Conférences en Droit pénal à Paris II. Il doit subir, à cette fin, le 15 septembre prochain, l’épreuve d’entretien avec le jury.

Comme vous le savez, il aura, notamment, à exposer de manière claire concise et complète les tenants et les aboutissants de la thèse de doctorat qu’il vient de soutenir, ainsi que son programme de recherches.

Or, en tant que professeur des universités, enseignant l’Histoire du Droit, vous serez l’un des cinq membres du jury (dont la composition, si vous ne le savez, est déjà affichée dans tous les couloirs de la faculté.)

Ma question est simple et brève : acceptez-vous de vous comporter très favorablement à l’égard de mon neveu, quelle que soit sa performance ?

Il va de soi qu’en cas de réponse affirmative, je ne serai pas ingrate, je saurai m’en souvenir.

Anna-Maria Monteville

G. fut tellement surpris par le contenu de ce message, qu’il le relut lentement une seconde fois. Comment cette femme pouvait-elle s’adresser à lui de cette manière dans l’état où il se trouvait, et avec de telles intentions ? Il n’en revenait pas. Après tout, il ne la connaissait qu’en tant que thérapeute ; de plus, compte tenu de son harnachement sanitaire, il lui était impossible de communiquer avec elle normalement.

Et puis surtout, en échange d’une soi-disant « gratitude » ultérieure, elle lui demandait purement et simplement, sans aucune précaution de langage, de favoriser frauduleusement un candidat plutôt qu’un autre. En d’autres termes, elle tentait de le corrompre.

Cet instant de stupéfaction passé, G. tourna les yeux vers la professeure Monteville. Elle-même l’observait attentivement, en attendant sa décision.

Sa première réaction aurait été « évidemment » de refuser ce marchandage sordide. Mais il se sentait fragile, dépendant dans son lit de douleur. Il redoutait aussi que madame Monteville ne sombrât dans une intransigeante colère. Une funeste pensée lui vint alors : s’il disait non, elle serait peut-être capable, pour se venger, de débrancher discrètement son alimentation en oxygène ? Ou de lui administrer, durant son sommeil profond, une dose létale de morphine ?

Toute professeure de médecine qu’elle était, cette femme souffrait, peut-être, d’un déséquilibre psychologique, d’une forme d’altération mentale ? Et peut-être était-elle prête à tout pour se venger ? Ou plutôt, pour venger son neveu si, finalement, il était recalé ? Car elle semblait être très attachée à ce jeune homme dont la réussite paraissait aussi être la sienne.

G. fit d’ailleurs l’hypothèse qu’elle n’avait pas d’enfant, tout comme lui, et qu’elle reportait toute son affection sur son neveu. Autre supposition : celui-ci avait perdu ou était privé de sa mère, et madame Monteville, assumant avec zèle son statut de tante, s’appliquait à en être le parfait substitut. Mais son raisonnement fut brutalement interrompu :

« Alors ? » interrogea la professeure Monteville.

G. sentit monter l’impatience de cette femme : le délai de réponse qu’elle lui avait imparti avait pris fin. Mais il n’était pas question pour lui d’accepter, d’emblée, une telle proposition. D’abord, parce que celle-ci heurtait profondément son éthique, ses principes ; ensuite parce qu’une soumission aussi rapide à un marché aussi peu reluisant aurait constitué un aveu de faiblesse.

Et cette faiblesse, madame Monteville n’aurait probablement pas manqué de la relever et de l’exploiter par la suite à d’autres fins aussi peu recommandables. Il ne lui restait plus qu’à gagner du temps, du temps ! Et c’est donc la troisième solution énoncée par son interlocutrice qui s’imposait maintenant à lui, c’est-à-dire, différer sa réponse.

Conformément à la gestuelle qui avait été convenue, G., avec d’énormes difficultés, rapprocha les doigts de ses deux mains, puis les croisa. Ce qui incita immédiatement la professeure Monteville à extraire de l’une des grandes poches de sa blouse blanche puis à exhiber sous le nez de G., un nouveau commentaire écrit :

Monsieur G.,

Vous avez besoin d’un temps de réflexion, ce que je peux admettre. Permettez-moi donc de vous téléphoner dans les trois ou quatre jours qui vont suivre votre sortie de l’hôpital. Celle-ci est prévue après-demain, dans la journée, sauf complications imprévues.

J’ai noté vos coordonnées téléphoniques que j’ai trouvées dans votre dossier médical. Vous ne m’en voudrez pas, j’espère ?

Bien à vous,

A.-M. M.

G. comprit qu’elle avait anticipé tous les types de réponses, et préparé, à cet effet, des messages écrits différents. Mais dans la situation où il se trouvait, il ne pouvait qu’enregistrer, sans pouvoir les discuter, les propos de madame Monteville.

Il n’eut d’ailleurs même pas besoin de répondre à ce dernier message écrit : la professeure avait déjà tourné les talons et venait de rejoindre un groupe de soignants convoyant un nouveau malade atteint de la Covid-19. Celui-ci allait occuper le lit du patient récemment décédé…

G. ne revit plus madame Monteville durant les deux jours où il resta encore sous surveillance hospitalière. Et quand il put enfin sortir de l’unité de soins intensifs où il avait été affecté, il connut l’immense réconfort d’être accueilli, dans le hall de l’hôpital, par sa belle-sœur, Lucille, et par son ami de toujours, Jacques.

Lucille avait fait le voyage de Nancy à Paris. Pédicure-podologue libérale, elle pouvait aisément gérer ses moments d’activité et de loisirs. Comme Jacques, elle était d’origine belge francophone, mais s’était installée très tôt dans l’est de la France. Polyglotte et Européenne dans l’âme, elle appréciait cette nouvelle situation géographique qui lui permettait de se déplacer plus facilement et plus rapidement dans de nombreux pays frontaliers.

Divorcée, Lucille avait eu un fils, Alex, qu’elle avait couvert de tout son amour de mère lorsqu’elle avait appris qu’il avait été infecté par le virus du SIDA. La maladie de son fils, jeune homosexuel assumé, lui avait d’ailleurs été révélée lors d’une mémorable croisière maritime accomplie en compagnie de son beau-frère, monsieur G.3

C’est également durant cette fameuse croisière que G. avait découvert la personnalité quelque peu mystique de Lucille ainsi que son addiction à la sensualité hétérosexuelle. Et bien que souvent étonné, voire contrarié par certains de ses comportements publics, il s’était attaché à elle en tout bien tout honneur. Car il voyait en sa belle-sœur, une espèce de double de sa femme, Carla, décédée il y a 8 ans, ou, pour le moins, un être fait de la même chair et du même sang que son inoubliable disparue.

Jacques, quant à lui, avait pu se rendre en France sans contrainte particulière, puisque le jour de sortie de G. avait été fixé par la direction de l’hôpital au mardi 16 juin 2020. Il s’était donc organisé pour voyager durant le week-end précédent et profiter du lundi suivant pour déambuler dans la capitale.

Jacques s’était, en outre, accordé cinq jours de vacances supplémentaires en France pour prendre le temps de partager avec G. et Lucille les joies de l’amitié.

Ex-enseignant de français dans un lycée bruxellois, Jacques venait juste de prendre sa retraite. Il était, en effet, de sept ans plus vieux que G. Marié sur le tard à une infirmière divorcée, il avait accepté sans sourciller les trois enfants que celle-ci avait eus en premières noces.

Mais malmené au sein de cette famille recomposée, et surtout empêché d’exercer la moindre autorité, il s’était peu à peu résigné à n’être qu’un contributeur passif et discret. C’est pourquoi il savourait les rares moments d’escapade où il pouvait se retrouver, seul, en compagnie de son inconditionnel ami G. et de sa compatriote belge, Lucille…

G., sa mini-valise de malade encore à la main, les reconnut de suite. Ils étaient bien là, tous les deux, le regard illuminé par la compassion et la bienveillance ; ils étaient venus à Paris pour lui seul. G. se rendit soudain compte qu’ils constituaient sa seule famille ! La voix éteinte et les yeux rougis de reconnaissance et d’émotion, il bredouilla d’abord quelques mots de remerciements. Il serra ensuite longuement l’une et l’autre dans ses bras.

Puis chacun se recouvrit, en silence, de son masque, et s’appliqua à respecter les « gestes barrière » dont la liste était rappelée, matin, midi et soir, de manière lancinante, sur toutes les radios et les chaînes de télévision.

Alors, Jacques annonça à G. et à Lucille qu’il leur avait réservé une surprise à l’occasion de ces retrouvailles inattendues : il les invitait tous les deux, à ses frais, dans un hôtel-restaurant cossu de la ville d’Évian, en bordure du lac Léman. Pourquoi Évian ? Il le leur dirait plus tard. Mais il avait besoin de connaître rapidement leur réponse.