Barbara ou l’énigme du pont du Tarn - Christian Guého - E-Book

Barbara ou l’énigme du pont du Tarn E-Book

Christian Guého

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Beschreibung

M. G., enseignant à Paris, a pris une semaine de vacances en Aveyron. Il connaît bien ce département où il a résidé quelques années auparavant. Avertis de son voyage, des amis de longue date, domiciliés à Millau, l’invitent à dîner. Les retrouvailles, conviviales, se passent convenablement. Tard dans la nuit, G. quitte ses hôtes, car il doit rejoindre un gîte rural qu’il a réservé à Vabres l’Abbaye, près de la petite ville de Saint-Affrique. Dehors sévit une tempête orageuse d’une extrême violence, telle que celles qu’on peut exceptionnellement connaître dans cette région, au cœur d’un été torride. Sous les trombes d’eau, G. parvient jusqu’au pont Lerouge qui enjambe le Tarn à la sortie de Millau et permet de desservir le sud-ouest de l’Aveyron. Soudain, malgré le manque de visibilité, il distingue une masse informe à quelques mètres de son véhicule. Muni d’une lampe de poche, il s’en approche, inquiet, titubant, hésitant. Ce qu’il va découvrir, alors, non seulement anéantira ses vacances, mais encore le marquera irréversiblement pour le restant de sa vie.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Docteur ès Lettres et docteur en Droit, Christian Guého s’est lancé dans l’écriture avec une prédilection pour les romans régionaux. Après la publication de trois ouvrages aux éditions Le Lys Bleu, notamment Louliana, Paméla, une passion occitane et Anna-Maria Monteville ou l’origine diabolique du coronavirus, il propose Barbara ou l’énigme du pont du Tarn.

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Christian Guého

Barbara

ou l’énigme du pont du Tarn

Roman

© Lys Bleu Éditions – Christian Guého

ISBN : 979-10-377-9355-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avertissement

Ce livre est un ouvrage de fiction. Les personnages cités et les événements relatés sont le fruit exclusif de l’imagination de l’auteur.

I

Ville de Millau – dimanche 12 août 2018 – 2 h 35 du matin. L’un de ces orages d’une violence inouïe qui ne s’abattent sur le Sud-Aveyron qu’une fois tous les huit ou dix ans illuminait la ville comme en plein jour. Les éclairs incessants qui zébraient la nuit sans lune faisaient penser à des tirs de feux d’artifice intenses et multiples, échappant à tout contrôle.

Il y avait aussi ce grondement ininterrompu des masses atmosphériques qui se déchirent, le fracas de la foudre frappant, ici et là, des arbres, des toits, des rues, des places… Il y avait cette pluie diluvienne qui tombait depuis près de quarante minutes, déjà, et qui était tellement dense qu’elle interdisait toute visibilité à plus de deux mètres. Des torrents d’eau dévalaient le boulevard de l’Ayrolle, en direction du Tarn.

Pourtant, au milieu de cette tourmente, une voiture tentait de progresser à très faible vitesse. Son propriétaire, M. G., y était recroquevillé sur le siège-conducteur et avait les mains crispées sur le volant. Pour la première fois de sa vie, peut-être, il avait peur. Il sentait bien que sa Clio était le jouet d’aquaplanings répétés et se déportait dangereusement, au rythme des puissantes bourrasques.

C’étaient maintenant des grêlons, gros comme des œufs, qui redoublaient d’intensité depuis quelques minutes et percutaient bruyamment le pare-brise de son véhicule. G. ne se sentait plus protégé. Il s’attendait même à ce que les vitres de son véhicule explosent à tout moment. Mais surtout, il ne se voyait plus rejoindre, dans ces conditions, la chambre d’hôtes qu’il avait réservée pour la semaine, dans le village de Vabres l’Abbaye, à près de 40 km d’ici !

G. avait passé la soirée chez des amis millavois – i.e. de Millau – dont il avait fait la connaissance, il y a 8 ans, alors qu’il venait d’être nommé maître de Conférences d’Histoire du Droit à l’université d’Albi. Il s’était, alors, installé, avec sa femme Carla, dans la petite ville aveyronnaise de Saint-Affrique. Carla y avait, d’ailleurs, postulé momentanément, avec succès, aux fonctions de professeur des Écoles. Durant plusieurs années, ils avaient mené, tous deux, dans cette jolie région, une vie rangée et sans histoires. Et puis surtout, en dépit du caractère à la fois fier, ombrageux et méfiant des autochtones, ils étaient parvenus à nouer des liens d’amitié.

C’était, aussi, une époque heureuse où ils sillonnaient l’Occitanie, dès que leur emploi du temps le leur permettait. Ils avaient soif de découvertes, de curiosités et d’aventures. Peut-être pour compenser l’absence de cet enfant tant espéré, qui n’était jamais venu consolider et enchanter leur vie de couple ? Leur grande complicité intellectuelle et émotionnelle les avait, d’ailleurs, amenés à éprouver, ensemble et quasiment au même instant, les mêmes émerveillements, les mêmes hésitations, les mêmes regrets. Ils avaient tout partagé, pleinement, naïvement, tendrement. Ils paraissaient comblés…

Hélas, quelques années plus tard, Carla était décédée, seule, d’une leucémie foudroyante, à l’hôpital d’Angoulême. G. ne s’en était jamais vraiment remis. Plus tard, il avait tenté d’oublier le souvenir douloureux de la mort de son épouse, en essayant de communiquer avec des femmes de son âge sur des sites de rencontre. Il avait pensé être arrivé à ses fins lorsque Véronique, une professeure de mathématiques du Loir-et-Cher, avait répondu favorablement à ses avances. Mais, très vite, il avait dû déchanter : Véronique aimait davantage les femmes que les hommes, et ils avaient fini par se quitter…1

Bien que nommé, par la suite, à l’université de Paris II Panthéon-Assas, G. avait conservé des contacts en Aveyron. Et en ce mois d’été 2018, il était venu spécialement de Touraine, sa région natale et de résidence, pour retrouver, à leur invitation, ses amis Jean-François et Anne, hôteliers-restaurateurs installés près de la place du Mandarous, à Millau. Le repas nocturne avait été long, et les retrouvailles, joyeuses. Le Gaillac avait coulé à flots. Et G. avait bu plus que de coutume. Anne avait bien essayé de le dissuader de reprendre le volant, et de le persuader de passer la nuit chez eux. Il avait refusé fermement, sans savoir exactement pourquoi, d’ailleurs…

G. était maintenant sous des trombes d’eau et son véhicule avait encore perdu de la vitesse. Il avançait au pas, rue Louis Blanc. Il avait l’esprit brumeux, et souffrait de maux de ventre. Il venait de réprimer, comme il avait pu, une envie de vomir. Il savait qu’il ne tiendrait plus longtemps face à cette adversité climatique. Il se surprit même à envisager d’appeler les sapeurs-pompiers pour être pris en charge, pour être, enfin, extrait de ce déluge…

Il arriva au rond-point des Martyrs de la Résistance et s’apprêta à prendre l’avenue du pont Lerouge, en direction de Saint-Affrique. Dans la lumière des phares antibrouillard, il distingua seulement les premiers éléments de la balustrade du pont franchissant le Tarn… Le ciel était toujours en feu…

Les deux petits trottoirs longeant le pont étaient submergés, et on ne les discernait plus vraiment. G. décida alors d’arrêter son véhicule en pleine voie, car il venait de faire l’inquiétant constat qu’il n’avait plus de repères au sol. Et puis, il observait, avec sidération, que des gouttelettes avaient commencé à perler à la jointure de la portière, pourtant fermée. Il ne pouvait plus rester dans sa voiture. Il était alors tout près de téléphoner à ses amis, qu’il venait de quitter, mais il réalisa qu’ils devaient dormir, maintenant. Les déranger serait, pour le moins, indélicat. Les pompiers, c’était le mieux ! Le 18, vite !

Un nouvel éclair balaya entièrement le pont Lerouge et interrompit immédiatement sa spéculation salvatrice : G., durant cette fulgurante clarté, venait d’apercevoir, à une dizaine de mètres devant lui, à cheval sur le trottoir et sur le macadam, une forme sombre et massive qu’il n’avait pas eu le temps d’identifier. L’interrogation et la surprise avaient brièvement supplanté l’inquiétude qui le taraudait. Peut-être s’agissait-il d’un gros et longiligne sac de grains tombé d’une camionnette de livraison ? D’un carton de couchage abandonné ici avec une couverture et quelques vieilles fripes par un sans domicile fixe ? Ou bien encore, de quelque sanglier blessé, venu mourir ici, loin de sa horde ? Une chose était certaine : cet « objet » était volumineux, et, potentiellement, très dangereux. G. réfléchissait déjà à le contourner en prenant la voie de gauche… Enfin… quand il se sentirait dans un meilleur état psychologique pour repartir, et qu’il pourrait, à nouveau, appréhender la configuration du trottoir…

En attendant, il était là, comme arrimé sur son siège, appelant de ses vœux la moindre bienveillance céleste. Il était maintenant traversé par le froid. Sortir de sa voiture par ce temps-là pour aller voir de quoi il s’agissait ? Il n’en était pas question ! Il s’accorda quelques minutes de patience, mais au fil du temps, sa curiosité devint trop forte. Et surtout, il se sentit, soudain, investi du devoir de déplacer cet obstacle contre la balustrade afin de le rendre inoffensif « dans l’intérêt général ». Cette dernière expression, en dépit du tragique de la situation, le fit sourire. Était-ce l’éducation qu’il avait reçue, les cours de Droit qu’il avait suivis, ou bien, tout simplement, sa bonne conscience, qui le poussaient à se comporter ainsi ? Il n’en savait rien. En tout cas, il consulta sa montre, comme si un délai lui était imparti pour reconnaître les lieux et accomplir cette « mission » : il était 2 h 45 du matin…

G. retira sa ceinture de sécurité. Il saisit une torche électrique dans sa boîte à gants et, la main sur la poignée de la portière, s’apprêta à compter jusqu’à dix ! À ce moment-là, il devrait être prêt à braver les éléments déchaînés, et en mesure de bondir hors de son véhicule…

Le compte à rebours avait pris fin. G. était maintenant dehors, trempé jusqu’aux os. Il avait de l’eau jusqu’aux chevilles. Sous l’effet du vent, son chapeau était allé se perdre dans le Tarn qui mugissait en contrebas. Il se dirigea, comme il le put, vers cette « forme sombre » qu’un abondant rideau de pluie l’empêchait encore de découvrir. Il n’était même plus certain que la direction qu’il avait prise fût la bonne. Il errait plus qu’il ne marchait dans cet environnement hostile. Pourtant, il s’obligeait à aller de l’avant, encore, encore…

Soudain, il s’immobilisa avec effroi : le faisceau de sa torche venait d’éclairer une jambe de femme à moitié repliée. Le pied avait conservé son escarpin. La robe blanche légère, à motifs roses et verts, que portait la victime, était relevée jusqu’à mi-cuisses, et laissait apparaître un slip rose qu’on avait tiré jusqu’aux mollets. Un soutien-gorge, rose également, pendait dans l’échancrure d’un chemisier blanc dont plusieurs boutons avaient été arrachés. Le sein droit était complètement découvert.

Tremblant, G. braqua alors sa torche sur la gorge et le visage de cette inconnue, manifestement violentée. Ses yeux étaient révulsés, et le globe oculaire gauche était noirci d’un hématome résultant sans doute d’un coup violent. Le nez semblait avoir été brûlé par un cigare ou une cigarette. Un filet de sang continu suintait de la commissure de ses lèvres, avant d’être rapidement dispersé par la pluie, le long des joues et sur le cou. La victime avait dû être déposée là, il y a peu de temps. Une discrète croix occitane était restée attachée à un collier d’argent.

G. était sous le choc. Il se redressa lentement, hébété, et regarda derrière lui, d’un côté et de l’autre du pont. Personne. Il était seul, perdu sous cette pluie interminable, auprès d’un cadavre de femme. D’ailleurs, depuis qu’il avait quitté ses amis de la place du Mandarous, il n’avait croisé ni piéton, ni cycliste, ni voiture. Peu à peu, il prenait conscience de son exposition et de sa fragilité en tant que premier témoin de cet abominable crime. Et si on le surprenait ? Il ne pouvait vraiment pas demeurer sur ce pont plus longtemps.

Il jeta un dernier regard sur ce corps sans vie. Il remarqua, alors, un sac à main d’un bleu turquoise qui était resté coincé sous le bras droit de la victime. Il était pressé de partir, mais quelque chose le poussait à s’emparer de ce réticule féminin. Sa curiosité naturelle, ou bien son âme de détective bénévole ? Peu importe. Une sirène de voiture de Pompiers hurla dans le lointain et agit comme facteur déclenchant : G., muni de son mouchoir, extirpa fébrilement le sac à main du dessous du bras de la victime. Il ne devait pas laisser de traces. Puis, il se mit à courir en direction de sa voiture toute proche… qu’il n’apercevait plus du tout. Une opaque brume de chaleur nocturne était venue s’ajouter à la pluie tiède qui, même si elle avait un peu baissé d’intensité, persistait à transformer le revêtement du pont en aqueduc. On ne voyait toujours pas à deux mètres…

G. repéra, enfin, les enjoliveurs de sa voiture. Il avait rejoint sa Clio ! Après avoir laissé passer un violent coup de vent qui l’avait empêché d’ouvrir spontanément la portière, il s’engouffra dans l’habitacle et s’affala, suffoquant, sur le siège conducteur. Il jeta le sac bleu de l’inconnue sur la banquette arrière et démarra sans s’être sanglé. Mais, bien que roulant lentement, il ne put éviter d’écraser le pied droit du cadavre qui dépassait largement sur la chaussée. Cela lui provoqua un nouveau haut-le-cœur, et il se mit, cette fois, à vomir abondamment sur son pantalon d’été. Il n’avait rien pour se nettoyer, pour se changer. Il voulut essayer d’oublier, ne penser qu’à atteindre dès que possible Vabres l’Abbaye… Il activa la radio de bord. Mais il était presque trois heures du matin, et seule une station locale diffusait des variétés en continu.

G. éteignit la radio. Il chercha à tâtons, dans le fourre-tout situé sous le levier de vitesse, un petit coffret où il conservait quelques clés USB de musique classique. Il en tira une, au hasard, et l’introduisit sans ménagement dans l’orifice du tableau de bord, qui lui était destiné. Aussitôt, les premières mesures du Requiem de Gabriel Fauré retentirent. L’atmosphère devint alors franchement lugubre. Pourtant, G. augmenta encore le son de cette symphonie sépulcrale. Mais au lieu de l’étourdir, elle ne fit qu’alimenter son angoisse. Pire : pour la première fois depuis plusieurs années, il ressentit, avec consternation, que sa claustrophobie, dont il croyait être guéri, refaisait surface…

Une petite bonne nouvelle se profila toutefois : la pluie était, à présent, un peu moins virulente, et la brume plus clairsemée. G. était enfin arrivé au rond-point de Bèches, et s’apprêtait à bifurquer vers l’avenue de Guyenne. Ce qu’il venait de voir l’avait laissé dans un tel état de prostration qu’il conduisait en pilotage automatique. Il avait tellement l’esprit ailleurs qu’il se mit à gravir la route qui mène au pont suspendu de Millau, pied au plancher, mais en première vitesse. Il en résulta un vacarme épouvantable auquel s’ajoutaient toujours les accents morbides de la composition de Gabriel Fauré. G. imagina, alors, un instant, qu’il était peut-être devenu fou…

Soudain, les lumières d’un camion le ramenèrent à la réalité. Enfin, un véhicule dans cette nuit sinistre ! Il n’était plus seul ! Une joie profonde et irraisonnée l’envahit. Pourvu qu’il ne s’agît pas d’un rêve ou d’une illusion. Pour s’en assurer, il donna un coup de klaxon appuyé. Le chauffeur du camion lui répondit par de pleins phares aveuglants. Ils se croisèrent. G. put lire, rapidement, sur la citerne : Laiteries du Larzac – Le Caylar. Sans doute un livreur – très matinal – qui, comme lui, avait dû essuyer la tempête…

G. venait de passer sous le tablier du pont de Millau. Il bascula vers Saint-Georges-de-Luzençon et, compte tenu de la vitesse d’escargot à laquelle il roulait, il n’aurait assurément pas à redouter les flashes du radar routier qui guettait les automobilistes à l’entrée de cette petite commune…

Il traversa le village de Saint-Rome-de-Cernon, évidemment totalement désert à cette heure, et par ce temps de chien. Il monta encore le son du Requiem qui lui devint insupportable à entendre. Il avait mal à la tête. Ses vomissures avaient empuanti le véhicule. Il se sentait gras, suintant, sale… Il était, cependant, tout près de vivre cet enfer comme une punition.

Il revit, en effet, le visage douloureux de la morte présumée du pont Lerouge de Millau, et une avalanche de questions s’imposèrent à lui. Avait-il été inconséquent et lâche ? Aurait-il dû prévenir les secours ? Non pas pour lui-même, mais pour cette malheureuse victime. Peut-être aurait-il dû, aussi, vérifier que cette femme était bien décédée ? Y avait-il encore une chance de la sauver ? Pourquoi s’était-il emparé de son sac à main ? Il avait commis un vol aussi facile que minable, et il s’en voulait. Il envisagea, d’ailleurs, de jeter ce sac par la vitre de son véhicule, mais il se ravisa rapidement : en dépit des précautions qu’il avait prises, celui-ci portait sans doute l’empreinte de ses doigts. Il lui fallait donc redoubler de prudence, et ne pas prendre de décision à la légère ! Son esprit était, à présent, traversé d’intentions, de pulsions contradictoires, et il en était profondément perturbé. En somme, il vivait, pleinement et douloureusement, le phénomène bien connu des psychologues de l’attraction-répulsion !

« Gendarmerie nationale. Bonsoir monsieur. Contrôle d’alcoolémie. Permis de conduire et carte grise du véhicule, s’il vous plaît ! Et arrêtez cette musique de croquemorts qui me fait mal aux oreilles. »

G. stoppa sa voiture à la sortie de Saint-Rome de Cernon, juste derrière le panneau indiquant la limite territoriale de la commune. Il avait aperçu trop tard les gyrophares des deux véhicules des Forces de l’Ordre, rendus quasiment invisibles par la nuit, la pluie et la brume. Impossible de faire demi-tour. Mais qu’avait-il à se reprocher ? Rien, sinon d’avoir dérobé ce sac à main qui trônait toujours sur la banquette arrière. Pourquoi ne l’avait-il pas dissimulé, tout de suite, sous son siège ? Sa naïveté l’accablait. Un nouvel embrasement du ciel lui permit, cette fois, de comptabiliser une demi-douzaine de gendarmes, dont une femme, semble-t-il. L’un d’eux était muni d’un fusil mitrailleur. Tous étaient littéralement enveloppés dans d’immenses imperméables à capuche qui les couvraient jusqu’aux mollets.

G. salua, à son tour, très vivement, ces hommes et cette femme qui l’entouraient. Il se fendit d’un compliment sur leur « courage » et leur « abnégation », pour travailler dans de telles conditions. Il voulait se montrer ainsi très coopératif, mais se dit, en même temps, qu’il ne fallait pas en faire trop. L’important était qu’on ne remarquât pas le fameux sac à main bleu turquoise, et si c’était le cas, qu’il ne soit fait aucun commentaire à ce sujet.

L’adjudant-chef qui l’avait interpellé lui tendait déjà le ballon dans lequel il devait souffler :

« Quatre grammes huit ! Ma foi, vous n’êtes pas loin d’la limite légale ! Recommencez avec ce nouvel alcootest ! » ordonna-t-il.

G. obtempéra et souffla faiblement dans l’appareil qui lui était présenté.

« Plus fort ! Vous avez un problème respiratoire ? » s’interrogea le gendarme en riant… Et il ajouta ; « plus sérieusement, voyons… quatre grammes sept ! Ah ! Vous passez à travers les mailles du filet, mais d’justesse… Sans indiscrétion, d’où v’nez-vous, à cette heure avancée de la nuit ? »

G. parvint à surmonter son épuisement et répondit sincèrement :

« Je viens de dîner avec des amis, qui habitent à Millau, près de la place du Mandarous. Ils pourront en témoigner. On ne s’était pas revus depuis des années. Je suis Tourangeau : les vins de Chinon, de Bourgueil, de Vouvray ; les châteaux de la Loire, vous connaissez ? … On avait tellement de choses à se dire, vous comprenez ? Mais, comme vous avez pu le constater, je suis resté raisonnable en ce qui concerne la consommation d’alcool… Euh… Voici mes papiers, mon adjudant. »

« Raisonnable, en ce qui concerne la consommation d’alcool, peut-être, mais pour le reste, vous n’avez sans doute pas ménagé vos efforts ! » reprit le gradé avec des yeux malicieux.

« Je ne comprends pas votre allusion, monsieur l’adjudant-chef. Que voulez-vous dire exactement ? » rétorqua G.

« Vous ne comprenez pas mon allusion ? Et c’ravissant sac à main bleu que vot’ partenaire d’un soir a sans doute oublié sur la banquette arrière ? Vous allez encore me dire qu’il appartient à la domestique de vos amis d’Millau ? On m’la fait pas, à moi, vous savez ! L’expérience, c’est irremplaçable ! » affirma le gradé, rigolard.

G. fut saisi d’une peur panique qu’il eut du mal à contrôler. Ce gendarme allait, peut-être, dans les secondes qui viennent, changer de ton, et lui demander d’ouvrir ce sac compromettant. Il découvrirait sans tarder que cet objet féminin par nature avait été volé… et à une morte, de surcroît ! C’en serait fini de ses vacances… et, probablement, de sa liberté ! Il comprit immédiatement qu’il fallait abonder dans son sens :

« Quel esprit déductif, mon adjudant-chef ! Vous m’impressionnez ! Votre analyse est parfaitement exacte. N’en voulez pas à mon amie qui a fait preuve de distraction. Vous savez, il faut parfois faire vite, et… »

« Oh, oui, moi aussi j’ai connu ces ébats amoureux, en voiture, quand j’étais plus jeune… On s’gare dans un coin sombre, et puis on s’laisse aller… On n’est pas toujours à l’aise, mais c’est tellement excitant ! Mais vous, dites donc, ça doit vous travailler encore, parce que vous n’avez plus 20 ans (rires)… Grand coquin, va ! Allez, roulez ! Et soyez prudent. Ah, n’oubliez pas d’remettre votre ceinture de sécurité ! » commenta ce gradé bienveillant, tout en accompagnant son injonction d’un geste de déplacement vers l’avant.

Trois secondes plus tard, G. avait quitté ce lieu de contrôle, et s’était à nouveau perdu dans la tempête et dans la nuit. Il se passa la main sur le front et s’aperçut qu’il avait transpiré d’inquiétude. De plus, tous ces événements l’avaient « vidé » de son énergie. Tourner le volant lui demandait maintenant un effort surhumain. En outre, et en dépit de sa faible vitesse, il se rendit compte qu’il zigzaguait dangereusement sur cette route à flanc de coteau.

Parvenu au « rond-point de Roquefort », il décida alors de s’abriter dans l’un des recoins du parking du renommé restaurant Le Combalou. Là, il gara son véhicule face à un haut mur couvert de lierre, se pelotonna sur son siège, et attendit le sommeil. Celui-ci ne vint pas… Il se contenta alors, durant de longues minutes, d’observer, à la lumière d’un réverbère orangé, le manège d’innombrables grenouilles rousses qui, venues dont on ne sait où, sautaient dans tous les sens sur le capot de sa Clio.

Lorsqu’il reprit la route de Vabres l’Abbaye, il n’avait rien récupéré de sa fatigue. Il atteignit Saint-Affrique vers 7 h du matin, à l’heure où flottent déjà, du côté du Café du Commerce, des effluves délicieux de café crème et de croissant chaud. Il fut donc tenté de s’arrêter à nouveau, mais il constata que ses membres ne répondaient plus à l’appel du cerveau. Comme si son corps lui criait de rejoindre au plus vite sa destination.

G. atteignit, enfin, le hameau de Bouissy, terme de son voyage. Les bailleurs, mis au courant, par G., d’un éventuel retard, avaient eu la bonne idée de laisser la porte de son gîte entr’ouverte. À peine entré, et encore ruisselant de pluie, il se laissa tomber sur son lit, tout habillé. Il s’endormit presque aussitôt, après avoir émis un dernier soupir d’épuisement…

II

Il était plus de midi, ce lundi 13 août, lorsque G, fut réveillé par des cris aigus d’enfants. S’y ajoutait un fond sonore et lancinant d’une chanson de Patrick Bruel qui n’épargnait aucun des habitants du hameau de Bouissy. De toute évidence, il avait des voisins qui se souciaient peu de la tranquillité de leur environnement. Soudain, une voix masculine et plutôt sentencieuse s’éleva au-dessus de ce brouhaha :

« Kévin et Chloé, vous m’écoutez ? Je récapitule donc : tout de suite après le repas, direction la rivière du Dourdou et pêche à la truite près du terrain de camping de Vabres ! Avez-vous vérifié votre petit matériel de pêche, les enfants ? Bon. Au retour, collation tardive et jeu de rami ! Et ce soir, à la télé, votre série préférée : Joséphine,ange gardien ! Elle est pas belle, la vie ? N’est-ce pas chérie ? » conclut l’orateur, en se tournant vers sa femme qui finissait de disposer les derniers couverts sur une table de jardin.

G. était sorti à son tour de son habitation, et fixait la rangée de troènes qui le séparait de ses bruyants voisins. Ainsi, il venait de prendre connaissance, bien malgré lui, de leur emploi du temps jusqu’à la nuit. Le sol était encore détrempé des intempéries de la veille, et il pensa qu’il fallait être bien courageux pour déjeuner à l’extérieur, même si le ciel, devenu bleu, était, à présent, constellé de volumineux cumulus, appelés aussi « nuages de beau temps ».

En tout cas, lui n’avait pas faim… mais surtout soif. Il se rendit alors jusqu’à son véhicule, en ouvrit le coffre, et en sortit deux bouteilles de sirop à la fraise. On le moquait souvent de consommer ces boissons « enfantines », mais il n’en avait cure. Il répondait toujours, avec une sincère nostalgie, qu’elles avaient le goût de ses douze ans, « la plus belle année de sa vie ». Et ceux qui ne comprenaient rien à sa réponse n’avaient qu’à lire Freud ! En tout cas, cela lui suffirait pour aujourd’hui, et lui donnerait le temps de digérer, une fois pour toutes, le plantureux repas dont l’avaient gratifié, la veille, ses amis de Millau.

Soudain, il lui revint à l’esprit, et en vrac, tous les événements qu’il avait dû subir durant cette horrible nuit,