Antilia - Marc Ratsimba - E-Book

Antilia E-Book

Marc Ratsimba

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Beschreibung

Enzo Davignon, commissaire au ministère de l'Intérieur dans un service spécialisé dans la lutte contre les sectes, s'apprête à partir pour la Guadeloupe afin d'enquêter sur le Livre des Pouvoirs, un mystérieux ouvrage écrit par des sages de l'Atlantide et recherché depuis la nuit des temps. Quand il découvre son chef sauvagement assassiné dans les toilettes de l'aéroport, il comprend que cette affaire pourrait bien révéler des enjeux vertigineux pour la sauvegarde de l'équilibre du Monde. Des Antilles françaises aux îles de la Caraïbe, en passant par la Grèce, l'Italie et Los Angeles, le commissaire se retrouve au coeur des interrogations sur l'existence même de la mythique civilisation engloutie et sous la menace permanente d'organisations prêtes à tout pour le devancer dans sa quête du Livre tant convoité. Cet ouvrage et cette civilisation ont-ils vraiment existé, et qui sont ces gens peu recommandables à la recherche de secrets qui leur permettraient d'obtenir un plus grand pouvoir ? Antilia n'est pas seulement un roman d'aventures dans lequel le polar ésotérique et spirituel rejoint l'histoire du Monde. C'est aussi une fable politique très actuelle sur les enjeux démocratiques, socio-économiques et écologiques qui agitent notre planète, et une quête personnelle pour ses héros, qui mettent au centre de leurs valeurs le courage et l'amitié et nourrissent sans relâche l'espoir de trouver l'amour et un sens à leur existence.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Aux gardiens de la conscience universelle

« La vie a plus d’imagination que n’en portent nos rêves » Ridley Scott (1492 Christophe Colomb)

Avertissement au lecteur

L’existence du continent englouti de l’Atlantide n’a pas encore été établie par l’archéologie officielle, bien que de nombreux vestiges ne pouvant être attribués à des civilisations connues ont déjà été retrouvés à travers le monde. Antilia, le livre des pouvoirs, est un roman qui s’appuie sur des découvertes réelles ainsi que sur des découvertes imaginées par l’auteur. Le lecteur est invité à faire ses propres recherches pour distinguer les unes des autres. En se prenant au jeu, il découvrira ce que l’auteur a lui-même découvert en écrivant ce livre : un univers fascinant lié aux mystères de l’Atlantide et des civilisations disparues.

Sommaire

Livre I : Cyclone

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 34

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Chapitre 61

Chapitre 62

Chapitre 63

Chapitre 64

Chapitre 65

Chapitre 66

Chapitre 67

Chapitre 68

Chapitre 69

Chapitre 70

Chapitre 71

Chapitre 72

Chapitre 73

Chapitre 74

Chapitre 75

Chapitre 76

Chapitre 77

Livre II : Volcan

Chapitre 78

Chapitre 79

Chapitre 80

Chapitre 81

Chapitre 82

Chapitre 83

Chapitre 84

Chapitre 85

Chapitre 86

Chapitre 87

Chapitre 88

Chapitre 89

Chapitre 90

Chapitre 91

Chapitre 92

Chapitre 93

Chapitre 94

Chapitre 95

Chapitre 96

Chapitre 97

Chapitre 98

Chapitre 99

Chapitre 100

Chapitre 101

Chapitre 102

Chapitre 103

Chapitre 104

Chapitre 105

Chapitre 106

Chapitre 107

Chapitre 108

Chapitre 109

Chapitre 110

Chapitre 111

Chapitre 112

Chapitre 113

Chapitre 114

Chapitre 115

Chapitre 116

Chapitre 117

Chapitre 118

Chapitre 119

Chapitre 120

Chapitre 121

Chapitre 122

Chapitre 123

Chapitre 124

Chapitre 125

Chapitre 126

Chapitre 127

Chapitre 128

Chapitre 129

Chapitre 130

Chapitre 131

Chapitre 132

Chapitre 133

Chapitre 134

Chapitre 135

Chapitre 136

Livre III : Diamant

Chapitre 137

Chapitre 138

Chapitre 139

Chapitre 140

Chapitre 141

Chapitre 142

Chapitre 143

Chapitre 144

Chapitre 145

Chapitre 146

Chapitre 147

Chapitre 148

Chapitre 149

Chapitre 150

Chapitre 151

Chapitre 152

Chapitre 153

Chapitre 154

Chapitre 155

Chapitre 156

Chapitre 157

Chapitre 158

Chapitre 159

Chapitre 160

Chapitre 161

Chapitre 162

Chapitre 163

Chapitre 164

Chapitre 165

Chapitre 166

Chapitre 167

Chapitre 168

Chapitre 169

Chapitre 170

Chapitre 171

Chapitre 172

Chapitre 173

Livre I

Cyclone

1.

Vivre un désir impossible à satisfaire. Enzo Davignon griffonna ces quelques mots sur son carnet, avant de contempler une nouvelle fois le SMS, un léger sourire aux lèvres. « Fais bon voyage et prends soin de toi. On se voit à ton retour. Je t’embrasse. » L’espace d’un instant, il s’absorba dans une rêverie pleine d’images et de sensations. Son regard se tourna alors vers les pistes à travers les vitres de l’aéroport et ses yeux balayèrent les avions qui attendaient leurs passagers pour les transporter à l’autre bout du monde. Quel plaisir, songea-t-il, que ce moment qui précède l’embarquement pour un long voyage. Orly faisait partie de ces endroits où il aimait se retrouver. C’était un lieu annonciateur de tant de possibles.

L’homme s’assit en face de lui en déposant avec précaution le café qu’il était allé se chercher au comptoir. Enzo le dévisagea, admirant la manière dont il portait ses soixante ans bien tassés. Il y avait tellement de choses qui le fascinaient chez cet homme qu’il avait toujours considéré comme un modèle dans le métier, doublé d’un maître en humanité. Malheureusement, la retraite approchait pour Michel Duroc, et Enzo devrait un jour se résoudre à changer de chef. Ce jour-là, il y perdrait plus qu’un supérieur hiérarchique.

Il n’avait jamais vraiment réussi à comprendre Duroc et sa fascination pour l’histoire secrète du monde et pour les plus grands mystères auxquels l’Humanité était confrontée. Mystères que certains mouvements ésotériques prétendaient connaître depuis toujours.

— Cette mission est des plus périlleuses, Enzo, et je ne suis pas sûr que tu en aies pleinement conscience, s’inquiéta Duroc en déposant délicatement les lèvres sur le rebord de sa tasse à café.

— J’en ai vu d’autres, notamment la dernière fois que j’ai travaillé en Guadeloupe, contesta le jeune homme.

— Sur ce coup-là, je dois admettre que tu en as bluffé plus d’un, reconnut Duroc le regard pétillant.

Enzo sourit sans rien dire. Obtenir ainsi la reconnaissance de cet homme, c’était au-delà de toutes ses espérances.

— Il n’y a vraiment pas de quoi sourire béatement ! le rabroua Duroc. Saistu le danger que représente le Livre des Pouvoirs ?

— Le Livre des Pouvoirs n’est qu’un vieux grimoire, plaisanta Enzo, comme on en trouverait chez n’importe quel bouquiniste sur les quais.

— Ne parle pas si fort, imbécile.

L’homme regarda autour d’eux pour s’assurer qu’ils n’étaient pas écoutés. À la table à côté, deux charmantes jeunes filles discutaient des mérites de leurs petits copains respectifs.

— Un grimoire, reprit Duroc à voix basse, que les hommes assoiffés de pouvoir recherchent depuis la nuit des temps.

— Je ne comprends vraiment pas ce que nous avons à voir avec ça, objecta Enzo.

— Nous sommes les seuls à bien connaître les milieux qui se sont intéressés à ce Livre par le passé. C’est pour ça que la division des affaires spéciales est sur le coup.

— Les services secrets pourraient s’en charger. Comme ça, je pourrais retourner à Carcassonne pour terminer mon enquête sur ces illuminés qui se prennent pour des descendants des cathares.

— Les services secrets ? Je ne vois même pas pourquoi tu parles de ces pignoufs ! s’emporta Duroc, contenant difficilement son agacement. De toute façon, tu es le meilleur pour cette affaire, et ça ne se discute pas. Attends-moi cinq minutes, il faut que j’aille pisser…

Duroc se leva précipitamment et Enzo le regarda s’éloigner vers les toilettes. Cela lui faisait mal de le mettre ainsi en colère et d’avoir l’impression qu’il l’avait contrarié.

Le jeune homme plongea la main dans sa poche pour en sortir son portable et s’affaira dessus quelques secondes, le temps d’accéder à ses mails. Son attention fut un instant distraite par les deux jeunes filles qui se levaient pour quitter l’espace bar. Il leur jeta un coup d’œil discret, notamment à la blonde qu’il trouvait vraiment charmante, avant de se replonger dans l’analyse des messages qu’il venait de recevoir. Son contact à Carcassonne lui avait envoyé de nouvelles informations sur les pseudo-cathares. Dommage… Il lui faudrait attendre son retour de Guadeloupe pour espérer reprendre le fil de cette enquête si prometteuse.

Il parcourut également un mail de son assistante qui lui faisait passer tout ce qu’elle avait trouvé sur le Livre des Pouvoirs. C’était plutôt maigre : deux pièces jointes seulement, dont l’une d’à peine trois pages. Pas de quoi comprendre pourquoi Duroc avait insisté pour lui confier cette mission, en considérant que la sécurité de l’État était en jeu. Enzo avait hâte que son chef revienne des toilettes pour avoir plus de détails. Après tout, n’était-ce pas le sens de ce rendez-vous qu’il lui avait donné à Orly, juste avant son embarquement pour les Antilles ? Cela faisait longtemps que Duroc n’avait pas pris autant de précautions sur une affaire.

Il en mettait un temps pour pisser, parti qu’il était depuis un bon quart d’heure ! C’est triste de vieillir, songea Enzo. Quand ce n’est pas la prostate, il y a toujours une autre partie du corps qui se met à déconner… Le jeune homme attendit encore cinq minutes, avant d’apercevoir un agent chargé du nettoyage sortir précipitamment des toilettes en s’écriant : « À l’aide, à l’aide ! ».

Enzo se leva sans hésiter pour se diriger vers l’agent de service.

— Que se passe-t-il ? Pourquoi criez-vous comme ça ?

— Là, là…dans les…toilettes…bafouilla l’homme sans être capable de préciser sa pensée.

Sans attendre plus de détails, Enzo dégaina son arme de service, demanda aux autres personnes qui s’étaient également précipitées comme lui sur l'agent de service de prévenir la sécurité de l’aéroport et de ne surtout pas le suivre tandis qu’il pénétrait dans les toilettes.

Les lieux étaient totalement vides en apparence et une légère angoisse le saisit tandis qu’il commençait à inspecter les cabines une par une. À l’approche de la dernière au bout de la rangée, son regard fut attiré par quelques gouttes d’un liquide rouge qui tachaient le sol. Il comprit tout de suite de quoi il s’agissait et en eut la confirmation en poussant la porte de la cabine.

Enzo ne put retenir un cri d’effroi. Michel Duroc baignait dans une mare de sang. Une longue enfilade lui traversait la gorge. L’œuvre d’un couteau de boucher, sans aucun doute. Le jeune homme se pencha précipitamment pardessus le corps de son chef pour vomir dans la cuvette. Puis il dut faire un effort inouï pour analyser la situation. Il détailla le cadavre de la tête aux pieds et découvrit que Duroc avait le bras droit allongé sur le sol et qu’il avait commencé à écrire une phrase avec son sang avant de pousser son dernier soupir.

VOIR MJ A BASSE TERRE SE MEFIER DES SS

Le deuxième S était à peine dessiné. Duroc était mort avant. Mais c’était déjà un miracle qu’il ait pu écrire quelque chose car avec la gorge tranchée, quelques secondes suffisaient pour que s’éteigne toute fonction vitale. Qui était ce MJ qu’il fallait voir à Basse-Terre ? Et ces SS dont il fallait se méfier ? Enzo resta de longues minutes assis à même le sol. Il se sentait terriblement seul, maintenant que Duroc n’était plus là pour l’aider à déchiffrer ce genre d’énigmes. Quand le responsable de la sécurité de l’aéroport lui posa la main sur l’épaule en lui demandant ce qu’il se passait, il se retourna sans un mot, le regard embué par les larmes.

Un commissaire d’astreinte arriva quelques minutes après sur les lieux pour recueillir les premiers témoignages sur ce qu’il s’était passé. Enzo ne fut pas d’une grande aide car il s’était concentré sur la lecture de ses mails pendant l’absence de Duroc et n’avait pas remarqué si des gens avaient pénétré dans les toilettes pendant ce laps de temps. Néanmoins, d’autres personnes qui se trouvaient dans l’espace bar avaient été plus observatrices que lui et certaines purent faire une description précise de ce qu’elles avaient vu. Sur la base de ces témoignages, des gens qui avaient été aperçus pénétrant dans les toilettes pendant que Duroc y était présent furent retrouvés dans l’aéroport pour être interrogés. Mais il apparut très vite qu’un mystérieux homme décrit par plusieurs témoins demeurait introuvable.

Membre de l’équipe de Duroc à la division des affaires spéciales au ministère de l’Intérieur, Enzo faisait partie « de la maison », c’est pourquoi le commissaire d’astreinte ne se sentit pas autorisé à le retarder tandis que son avion pour Pointe-à-Pitre était annoncé pour un embarquement immédiat, ni à lui demander les raisons de son déplacement en Guadeloupe ou de la présence de son chef pour l’accompagner à Orly. De toute façon, Enzo n’avait pas l’intention d’en dire plus. Outre qu’il était particulièrement affecté par la mort de Duroc, le fait que son chef avait été tué à l’arme blanche dans la zone d’embarquement l’avait rendu méfiant. L’assassin avait manifestement réussi à passer un couteau aux contrôles de sécurité, ce qui pouvait signifier une complicité au sein de la police de l’air et des frontières. Une fois qu’Enzo eut décidé qu’il ne fallait pas annuler son déplacement aux Antilles en dépit de la mort de son chef, puisque celui-ci avait présenté cette enquête comme de la plus haute importance pour la sécurité de l’État, le commissaire de la division des affaires spéciales se résolut à rejoindre la porte d’embarquement.

Le temps de passer les contrôles de billets pour accéder à l’avion, il détailla les personnes qui attendaient là. Se pouvait-il que l’assassin de Michel Duroc en fasse partie ? Comme cette espèce de type qui semblait le regarder à la dérobée derrière ses lunettes noires, et qui pourrait très bien être le mystérieux homme aperçu à la sortie des toilettes. Ou encore ces deux jeunes filles qui avaient pris un café au bar et qui avaient peut-être entendu une partie de leur conversation sur le Livre des Pouvoirs. Elles s’étaient levées en même temps que Duroc mais Enzo n’avait pas regardé si elles s’étaient également dirigées vers les toilettes. Néanmoins, aucun témoignage n’avait évoqué ces filles comme des suspectes potentielles. En tout cas, elles étaient encore là pour embarquer dans le même vol que lui. Cette affaire partait vraiment très mal et Enzo savait qu’à compter de maintenant, il lui faudrait se tenir sur ses gardes.

2.

Une heure après le décollage, Enzo sortit enfin son notebook de son sac de voyage. Il avait suffisamment tourné et retourné dans sa tête la mort de Duroc depuis qu’il avait retrouvé le corps de son chef dans les toilettes de l’aéroport près de trois heures auparavant. Il était temps qu’il se plonge dans une occupation qui lui permettrait d’oublier la brutalité de cette perte soudaine et le désarroi qu’elle avait suscité en lui. Il alluma l’ordinateur, accéda au dossier dans lequel il avait enregistré les documents que lui avait envoyés son assistante sur le Livre des Pouvoirs et ouvrit la première pièce jointe. Comme elle comportait à peine trois pages, il espéra une sorte de synthèse sur le sujet.

La première mention du Livre des Pouvoirs apparaîtrait chez Platon, qui en parlerait dans une œuvre malheureusement perdue. C’est un élève du grand philosophe grec qui a prétendu que son maître lui avait parlé d’un texte qu’il aurait écrit sur le Livre des Pouvoirs. Mais comme ce texte n’a jamais été retrouvé, il est impossible d’être sûr de son existence.

Les commentateurs officiels de Platon ne font aucune référence à ce mystérieux texte perdu, considérant sans doute qu’il s’agit d’une pure invention d’un élève qui cherchait à se faire remarquer et à faire passer son maître pour le détenteur d’anciens secrets. Des auteurs liés à des milieux ésotéristes évoquent malgré tout le sujet en le reliant généralement aux écrits du philosophe sur la civilisation engloutie de l’Atlantide. L’hypothèse la plus communément admise par ces auteurs est que le texte perdu de Platon présenterait le Livre des Pouvoirs comme l’œuvre des sages atlantes. Ces derniers auraient acquis une grande connaissance des mécanismes du pouvoir, de la manière de l’acquérir et de le conserver. Ils auraient consigné ce savoir essentiel dans un ouvrage afin de le transmettre aux générations futures.

Comment Platon a-t-il eu connaissance du Livre des Pouvoirs, et l’a-t-il eu entre les mains ? À défaut d’avoir pu le lire lui-même, en connaissait-il au moins le contenu ? Autant de questions sans réponse, si tant est que l’on puisse croire à l’existence même d’un texte du philosophe grec sur le sujet.

Enzo interrompit sa lecture pour accepter le plateau-repas que l’hôtesse lui tendait. Il lui sourit machinalement, à moitié perdu dans ses pensées. Malgré le grand respect qu’il avait pour Michel Duroc et l’immense chagrin que représentait sa mort, il se demandait quelle mouche avait bien pu piquer son chef pour le mettre sur une telle affaire. L’envoyer ainsi enquêter à l’autre bout du monde, sur un bouquin imaginaire inventé par un élève de la Grèce antique qui avait dû abuser de la boisson un soir de sortie avec ses copains et qui avait voulu se rendre intéressant, sous prétexte qu’il avait assisté à trois cours d’un professeur nommé Platon ! Manifestement, les spécialistes sérieux du philosophe n’avaient jamais accordé de crédit à ces élucubrations, et ils avaient sûrement raison.

Enzo avait l’habitude de ces auteurs férus d’ésotérisme qui vivaient de leurs pseudo-découvertes. Ils s’acharnaient à trouver des liens entre l’œuvre des plus grands penseurs de l’histoire de l’humanité et des connaissances mystérieuses soi-disant transmises depuis la nuit des temps. Il valait mieux s’en tenir à l’histoire officielle plutôt qu’aux théories de ces auteurs qui alimentaient les sectes et les sociétés secrètes en tout genre. Le problème, c’était que Duroc avait tenu à envoyer Enzo en Guadeloupe pour enquêter sur ce livre imaginaire. Or, Duroc n’avait jamais été du genre à se laisser embarquer dans des affaires farfelues.

Le jeune homme se résolut à poursuivre sa lecture :

La tradition ésotérique n’est pas d’accord sur le contenu du Livre des Pouvoirs. Pour certains, l’ouvrage est un condensé de la sagesse des Anciens atlantes et enseigne comment exercer le pouvoir pour permettre aux hommes de vivre dans la paix et la justice. Pour d’autres, le Livre des Pouvoirs serait un manuel de manipulation qui apprendrait à son détenteur à acquérir un pouvoir absolu et à l’exercer de manière tyrannique pour son bénéfice personnel.

Depuis sa première évocation par l’élève de Platon, le Livre des Pouvoirs est recherché par toute sorte d’individus plus ou moins bien intentionnés. Cette recherche n’a été connue que d’un cercle très restreint d’initiés, et il n’a jamais été très valorisant pour ces chercheurs d’en parler compte tenu du faible crédit accordé à l’existence même du Livre. C’est la raison pour laquelle la quête du Livre ne s’est pas imposée dans les sociétés secrètes, et encore moins dans le grand public, comme une recherche digne d’intérêt et qu’elle a été occultée par des mythes qui paraissaient plus solides comme, par exemple, la quête du Graal.

Enzo se força à aller jusqu’au bout de sa lecture mais il n’apprit pas grand-chose de plus. La suite de la première note, ainsi que la deuxième note envoyée par son assistante, se contentaient de dresser un historique des rares mouvements qui s’étaient intéressés depuis l’Antiquité au Livre des Pouvoirs. Elles évoquaient aussi les personnages célèbres qui avaient peut-être cru à son existence. Mais les notes ne comprenaient pas beaucoup d’informations sur la période récente et il était donc difficile de savoir si le mythe suscitait encore des recherches. Pourquoi Duroc avait-il affirmé que les hommes assoiffés de pouvoir recherchaient ce grimoire depuis la nuit des temps, alors que cette quête paraissait marginale dans l’histoire des sociétés secrètes et qu’elle semblait quasiment abandonnée aujourd’hui ? Peut-être que cette quête était bien plus importante qu’elle n’en avait l’air. On pouvait faire confiance à Duroc sur ce point. Mais celui-ci n’était plus là pour aider Enzo à en saisir tout l’enjeu. Le jeune homme allait devoir se débrouiller tout seul dans cette affaire qui ne ressemblait décidément pas aux autres dossiers qu’il avait eus à traiter à la division des affaires spéciales.

Quand l’avion se posa sur la piste de l’aéroport de Pointe-à-Pitre/Pôle Caraïbes, la nuit venait de tomber sur l’archipel guadeloupéen. Prenant bien soin de rester à l’écart des passagers qui se pressaient vers les contrôles d’identité, Enzo passa un coup de fil à l’interlocuteur local du ministère de l’Intérieur qu’il avait précédemment réussi à joindre au téléphone avant son embarquement à Orly. Une fois son bagage récupéré, le jeune homme se dirigea vers les toilettes où il retrouva ce collègue qui l’attendait avec des vêtements de rechange, une perruque et une fausse moustache. À peine cinq minutes s’étaient écoulées quand Enzo ressortit des toilettes, méconnaissable. L’objectif était de quitter l’aéroport en étant sûr de ne pas être reconnu et suivi. Il se fondit dans un groupe qui se dirigeait vers la navette d’un club de vacances.

Il avait prudemment décidé de changer ses plans et de troquer l’hôtel qu’il avait réservé à Gosier contre un séjour dans un club qu’il connaissait bien à Sainte-Anne. Il espérait ainsi échapper, au moins pour quelques jours, aux meurtriers de Duroc qui avaient peut-être embarqué avec lui à Orly ou avaient pu l’attendre à son arrivée à Pointe-à-Pitre. Cela ne coûtait rien de prendre quelques précautions, compte tenu des conditions dans lesquelles avait démarré sa mission.

Enzo prit donc place dans le car qui partait pour le club. Malgré l’obscurité de la nuit guadeloupéenne, la Nationale 4 qui menait de Pointe-à-Pitre à Sainte-Anne était telle que dans son souvenir, lors de sa première venue dans l’île. Tout en écoutant les conversations de ses voisins d’une oreille distraite et en jetant des coups d’œil sur le bord de la route, Enzo se laissa aller au bonheur d’être de retour en ces lieux. Au bout de trois quarts d’heure de route, le car se présenta devant le panneau illuminé qui annonçait l’entrée du complexe de vacances. Tandis que le car tournait pour s’arrêter devant l’accès à la réception, Enzo eut soudain à l’esprit une image précise de sa dernière arrivée ici. À sa descente du car, il fut accueilli par l’équipe d’animation du club. Les équipes changeaient régulièrement et il y avait peu de chance pour qu’il retrouve des animateurs présents lors de son dernier séjour. Et puis le passé, c’est le passé, songea-t-il avec tristesse.

Il prit possession de sa chambre qui était située dans un bâtiment baptisé « Désirade ». C’était la même que lors de son premier séjour en ces lieux. Curieuse coïncidence. Enzo adorait ce genre de clin d’œil. Il appelait ça des « correspondances ». Elles dressaient comme un pont entre le passé et le présent et l’histoire pouvait reprendre son cours, sans pour autant être tout à fait la même. Une fois installé, Enzo ressortit de sa chambre pour aller dîner. Il prit l’un des chemins qu’il affectionnait en traversant le parc, humant l’air chaud de la nuit et prenant plaisir à réentendre le son produit par le chant si particulier des grenouilles. Nulle part ailleurs il n’avait retrouvé la magie de ces promenades dans la nuit antillaise.

D’autres sensations lui revinrent tandis qu’il pénétrait dans l’espace restaurant. Il avait vécu tant de choses ici, et c’était troublant de revoir cet endroit investi par d’autres gens, d’autres visages. Il se servit au buffet et alla s’installer à une table déjà occupée par deux couples qui devisaient joyeusement. Ils s’exprimaient avec un fort accent québécois. Il sympathisa tout de suite, oubliant les soucis et la fatigue de cette longue journée de voyage. Ils furent rejoints par un animateur qui cherchait une table pour partager son repas. Un badge indiquait son prénom : Mustapha. Il avait le teint hâlé, un accent et des yeux pétillants qui trahissaient son Maroc natal.

Une fois leur dessert terminé, les Québécois se levèrent pour aller prendre un café au bar, laissant Mustapha et Enzo seuls à table pour terminer leur repas.

— Tu as travaillé dans un autre club avant de venir ici ? demanda Enzo, cherchant un moyen d’entretenir la conversation.

— Oui, chez moi, à Agadir. Mais j’ai voulu voir autre chose. Jusqu’à présent, mes seuls voyages en dehors du Maroc ont consisté à aller voir de la famille à Paris.

— Et tu as l’intention de faire le tour du monde comme ça ?

— Pourquoi pas…

Mustapha s’interrompit, plongeant le regard dans son assiette, avant de reprendre :

— J’en avais marre de la vie au pays. Pas assez d’opportunités, de possibilités de réussir.

— C’est quoi pour toi, la réussite ? hasarda Enzo.

— J’en sais rien. Bien gagner ma vie. Avoir de l’argent pour pouvoir faire ce que je veux.

— Mais l’argent ne suffit pas pour faire ce que l’on veut…

Mustapha sourit.

— L’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue ! déclama le Marocain en grimaçant. Mon père me dit toujours que l’essentiel dans la vie, ce n’est pas ce que l’on possède.

— Ton père doit être un sage.

— Mon père est un vieux, qui pense comme les vieux. Ce n’est pas avec ces gens-là que le Maroc peut se développer.

Mustapha sembla hésiter à préciser sa pensée, mais l’écoute dont faisait preuve Enzo l’incita à continuer.

— Le frère de mon père, lui, a compris depuis longtemps qu’il n’y avait rien à faire au pays. Il est parti rejoindre la femme qu’il avait épousée et qui vivait en France.

— Et il a réussi ?

— Pas vraiment. Aujourd’hui, il est au chômage et il vit dans un quartier pourri en banlieue parisienne.

— Tu vois bien que ce n’est pas si simple, et que ton père est sûrement plus heureux en étant resté chez lui au pays.

Ils furent interrompus par deux autres animateurs qui les invitèrent à poursuivre la soirée au bar.

— Je vous suis, acquiesça Enzo. Mais pour moi, ce sera juste un verre et au lit. Le voyage plus le décalage horaire, je suis fracassé et je ne vais pas faire de vieux os ce soir.

— Tu as intérêt à te reposer, confirma Mustapha, parce que demain soir, je t’emmène à l’extérieur du club, dans la soirée la plus branchée de la saison !

3.

Laurent Lefrançois, directeur interrégional de Météo France pour les Antilles et la Guyane, s’y reprit à deux fois pour être bien sûr de ce qu’il voyait sur son écran de contrôle. Une perle de sueur se forma sur son front tandis qu’il poussait un soupir mêlé de crainte et d’incrédulité.

— Mais c’est pas possible ! Comment cet enfoiré a-t-il pu dévier autant pour se diriger tout droit vers la Guadeloupe ?

L’assistant se rapprocha à son tour de l’écran pour essayer de comprendre l’inquiétude de son responsable.

— Regardez-moi ça Murray ! Aucun doute possible. Il est exactement dans l’axe de l’archipel guadeloupéen, et il lui tombera dessus dans deux ou trois jours au plus tard.

— Voire même avant s’il continue à avoir un comportement aussi imprévisible, confirma l’assistant.

Lefrançois décrocha son téléphone et composa le numéro d’urgence de la préfecture de Basse-Terre. Le directeur de cabinet du préfet répondit, la voix un peu hésitante. Il n’était que 4 heures du matin et Adrien Capita venait d’être sorti du lit.

— Monsieur le Directeur de cabinet ? Bonjour, c’est Laurent Lefrançois du centre météo de Fort-de-France à l’appareil. Je ne vous réveille pas j’espère ?

— Mais bien sûr que si mon vieux ! Il n’y a que des dingues comme vous pour être au boulot à cette heure…

— Désolé Monsieur mais j’étais d’astreinte cette nuit pour surveiller l’évolution du cyclone Alexis.

— Et alors ?

— J’ai de très mauvaises nouvelles. Contrairement à nos prévisions initiales, le cyclone a dévié de sa trajectoire et se dirige tout droit sur la Guadeloupe.

— Et merde ! ne put s’empêcher de lâcher le directeur de cabinet. Il ne manquait plus que ça… Combien de temps avons-nous pour nous organiser ?

— Disons, 48 heures, ou peut-être moins. Ce cyclone est le plus instable que j’ai jamais vu dans toute ma carrière.

— Bon, très bien. Je vais aller réveiller le préfet. Tenez-moi informé de l’évolution de la situation.

Adrien raccrocha le combiné et resta quelques secondes debout sans réagir. C’était son premier cyclone depuis son affectation aux Antilles, et ça avait l’air sérieux. Il fallait espérer que son préfet était plus armé que lui pour gérer ce genre de situation.

4.

Yoann émergea de son rêve de manière brutale et comme à contrecœur. Sa tante était en train de le secouer, lui intimant l’ordre de se réveiller. Il la regarda d’un air ahuri, avec ces yeux d’un bleu d’autant plus troublant qu’ils sortaient d’un profond sommeil.

— C’est quoi… ton problème ? murmura le jeune garçon tout en baillant à moitié.

— Le problème, c’est qu’il est largement l’heure que tu te lèves pour aller bosser, espèce de marmotte !

— Mmmm… laisse-moi encore… quelques minutes, soupira Yoann.

— Je croyais que tu avais des clients dès 9 heures ce matin ? s’agaça Tante Rosie. Tu ne seras jamais au club pour les recevoir dans moins d’une heure !

Il fallut encore dix bonnes minutes à Yoann avant d’apparaître dans la cuisine où Tante Rosie et Oncle Jean prenaient le petit-déjeuner. Mais il était déjà habillé et prêt à partir.

— Eh bien mon garçon ! s’exclama Oncle Jean. Tu as l’air bien pressé… — Tu ne déjeunes pas ? s’étonna Tante Rosie en fronçant les sourcils.

— Tu sais bien que je prends mon p’tit dej au club, répondit Yoann avec un sourire gêné. Ça va plus vite pour le boulot.

Son sourire était si charmant qu’il n’engendrait pas la contestation, et cela autorisait bien des choses. Surtout vis-à-vis de sa tante.

— Ne fais pas cette tête, tatie ! Je prendrai le petit-déjeuner avec vous bientôt, à ma prochaine journée de repos.

— Ton père a appelé… tôt ce matin, reprit Oncle Jean sans se laisser attendrir.

Le regard du jeune garçon s’assombrit.

— Il a découvert cette nuit au centre météo que le cyclone Alexis s’était dérouté et filait droit sur nous, précisa l’oncle.

— Celui-là, lâcha Yoann, il ne donne signe de vie que quand il a des mauvaises nouvelles à annoncer !

— Yoann ! Ne parle pas comme ça de ton père ! s’insurgea Tante Rosie.

— Ah oui ? Tu fais bien de me rappeler que j’ai encore un père, parce que je n’avais pas eu l’occasion de m’en rendre compte depuis un bail !

— Ton père s’inquiète pour toi, précisa la tante. Il pense que tu devrais dire à ton patron que tu n’iras pas bosser demain. Alexis pourrait être là dans moins de 48 heures.

— C’est nouveau ça, qu’il s’inquiète pour moi… De toute façon, mon patron nous dira bien quand il faudra s’arrêter de bosser, et ce sera le premier à aller se mettre aux abris.

— Ton père a raison, renchérit Oncle Jean. Il faut que tu prennes les devants sans attendre les consignes de ton boss. Dis-lui ce soir que tu resteras à la maison demain.

— C’est toujours pareil avec vous ! s’emporta Yoann. Vous voulez toujours me protéger de tout. Et si maintenant, mon père s’y met lui aussi…

Le jeune garçon tourna les talons et quitta la maison sans dire au revoir. Une fois dehors, il mit son casque, enfourcha son scooter et prit la route de Sainte-Anne.

L’oncle et la tante se regardèrent sans rien dire. C’était exact qu’ils protégeaient trop leur neveu. Mais ils n’avaient jamais su faire autrement depuis qu’ils avaient pris le gamin sous leur aile. C’était il y a dix ans. Sa mère avait disparu sans laisser de trace et son père, divorcé depuis longtemps, avait refusé de s’occuper de lui.

5.

Le préfet pénétra dans la salle de réunion avec plus de vingt minutes de retard. Il refusa de perdre son temps à faire le tour de la table pour serrer les mains des participants et s’assit sans dire un mot, faisant signe à son directeur de cabinet de commencer la réunion.

— Monsieur le Préfet, Mesdames et Messieurs, attaqua Adrien Capita. Si nous sommes réunis en cette heure matinale, c’est pour évoquer les mesures à prendre pour faire face au cyclone Alexis qui se dirige droit sur nous.

Cette brève introduction fut suivie d’un exposé du directeur interrégional de Météo France. Celui-ci n’avait pas dormi de la nuit et avait dû sauter dans le premier avion à Fort-de-France pour participer à cette réunion. Il expliqua les conditions dans lesquelles le cyclone allait atteindre la Guadeloupe.

— Monsieur Lefrançois, réagit le préfet à l’issue de l’exposé, j’espère que vous allez nous expliquer pourquoi vous avez été incapable de prévoir la trajectoire de ce cyclone.

— Mais, Monsieur… Monsieur le Préfet, bafouilla Laurent Lefrançois. Comme je l’ai indiqué, ce cyclone est très instable et… son comportement est totalement imprévisible.

— Si maintenant les cyclones deviennent imprévisibles, reprit le préfet sur un ton cinglant, nous n’avons donc plus besoin d’un service de prévisions !

Les paroles du préfet jetèrent un froid. La situation était déjà assez difficile. Était-il vraiment la peine d’en rajouter en attaquant ainsi ce pauvre Lefrançois, qui avait fait l’effort de venir jusqu’à Basse-Terre pour expliquer la situation ? Le directeur de cabinet jugea nécessaire de reprendre en main la réunion en interrogeant le responsable de la protection civile :

— Commandant Thomas, pouvez-vous nous exposer les mesures à prendre dans les heures à venir ?

— Bien sûr, Monsieur le Directeur. La première chose à faire est de diffuser l’information de manière officielle auprès de la population pour bien faire comprendre la gravité de la situation.

— Faut-il le faire dès maintenant, coupa le préfet, alors que Météo France nous dit que le cyclone est instable ? Pas la peine d’affoler tout le monde si Alexis change encore de trajectoire dans les heures à venir.

— Si je peux me permettre, Monsieur le préfet… reprit le commandant.

Le préfet fit un vague signe autorisant le responsable de la sécurité civile à poursuivre.

— Il nous a été précisé qu’Alexis est tellement instable qu’il pourrait être sur nous dans moins de 48 heures. La prudence élémentaire doit nous conduire à déclencher immédiatement l’alerte cyclone.

— Élémentaire… reprit le préfet en fixant le commandant Thomas d’un œil noir. Mais moi voyez-vous, je n’ai pas envie d’avoir toutes les autorités de l’île et la presse sur le dos si cela ne se justifie pas. Sans parler du cabinet du Ministre.

Adrien bouillonnait intérieurement. Il n’avait aucune expérience des alertes cyclone mais une sorte d’instinct lui faisait penser qu’il fallait déclencher la première étape de la procédure sans plus attendre. Il chercha dans le regard des autres participants un démenti à la position attentiste du préfet, avant de demander :

— Madame Mathis, que pense le Président du Conseil Régional de la situation ?

Laura Mathis, cheffe de cabinet du Président de la Région Guadeloupe, était une jeune femme d’une trentaine d’années. Originaire de l’île, elle avait dû connaître bien d’autres cyclones depuis sa naissance. Elle resta muette l’espace de quelques secondes, sans doute surprise que le directeur de cabinet lui donne ainsi la parole.

— Monsieur le Président s’inquiète évidemment de la situation, finit-elle pas concéder, mais il tient à ce que les activités de l’île ne soient pas interrompues trop prématurément.

Adrien la regarda d’un air perplexe. Elle abondait de fait dans le sens du préfet en expliquant que la Région était défavorable à un déclenchement trop anticipé de l’alerte cyclone, qui conduirait à interrompre l’activité économique de l’île. Cette interruption constituait la deuxième phase de la procédure, une fois les autorités locales et la population informées. Or, les conséquences d’un arrêt de l’activité sur le chiffre d’affaires des entreprises et l’emploi des salariés étaient importantes. Il fallait donc, selon le Président de Région, ne déclencher cette phase qu’une fois certain du passage du cyclone.

Le préfet fit un rapide tour de table pour recueillir l’avis de tous les participants à la réunion. Seuls le commandant Thomas et Adrien osèrent défendre l’idée que le déclenchement de l’alerte cyclone se justifiait dès maintenant. Les autres s’alignèrent sur la position du préfet et du Président de Région. Le préfet mit fin à la réunion en décidant d’attendre 15 heures et une nouvelle transmission d’informations de Météo France pour confirmer la nécessité de déclencher la procédure.

Adrien rattrapa Laura Mathis dans le couloir :

— Chère Madame, j’espère que vous vous rendez compte des conséquences de la décision que nous venons de prendre ?

— Cher Monsieur, répliqua sèchement Laura, l’État prend ses responsabilités en matière de sécurité civile et il n’appartient pas à la Région de prendre une quelconque décision en la matière.

— Mais votre position a influencé les représentants des communes et du Département, ainsi que mes collègues de l’État ! contesta le directeur de cabinet.

— Ne mélangez pas tout, Monsieur le Directeur. Vos collègues n’ont pas voulu contredire le préfet. Ne confondons pas manque de courage des représentants de l’État et capacité d’influence du Président de Région.

— Peut-être, mais votre position retarde de plus de 6 heures le déclenchement de l’alerte cyclone. C’est un temps précieux, qui sera définitivement perdu si nous devons finalement nous résoudre à affronter Alexis.

— Allez donc dire ça à votre patron et convainquez-le d’avancer sa décision à midi. Ce sera toujours ça de pris !

La cheffe de cabinet tourna les talons sans demander son reste en plantant Adrien avec son problème. Celui-ci la regarda s’éloigner, moitié énervé et moitié admiratif devant le cran de la jeune femme. Le commandant Thomas s’approcha alors de lui, l’interrompant dans le fil de ses pensées.

— Je peux vous parler seul à seul cinq minutes ?

— Bien sûr Commandant. Suivez-moi dans mon bureau, on y sera plus tranquille.

Les deux hommes s’installèrent dans le bureau du directeur de cabinet, une pièce d’angle avec vue sur la ville de Basse-Terre, qui descendait en pente plus ou moins douce vers la mer des Caraïbes.

— J’ai apprécié votre position, s’empressa de préciser Adrien.

— C’est une folie de ne pas déclencher dès maintenant la procédure d’alerte cyclone, confirma le commandant Thomas. Alexis sera peut-être là dans moins de 48 heures Ce n’est pas de trop pour gérer l’information, interrompre progressivement les activités de l’archipel, confiner les gens chez eux et préparer les moyens de secours.

— Je sais, je sais… J’ai pourtant essayé de sensibiliser le préfet, mais…

Ce qu’il avait à dire dépassait son devoir de réserve. Il n’était pas dans les usages du corps préfectoral de s’épancher ainsi devant un responsable de la sécurité civile.

— Je manque d’expérience pour faire valoir mon point de vue, reconnut Adrien.

Son regard se perdit dans le vague et il détourna les yeux vers les fenêtres et la mer des Caraïbes.

— Ne vous sentez pas coupable, tempéra le commandant. Je travaille avec ce préfet depuis deux ans et son attitude ne me surprend pas outre mesure. Mais ce n’est pas de cela dont je souhaitais vous entretenir.

— Je vous remercie pour ces paroles… Mais je vous en prie, venons-en à l’autre sujet qui vous préoccupe.

— Avez-vous eu des échos de ce qui est arrivé hier à Orly ?

Adrien fronça les sourcils.

— Oui, répondit-il, j’ai vaguement lu un message de la police de l’air et des frontières sur le sujet. Mais je n’y ai rien décelé d’extraordinaire.

— C’est précisément le caractère laconique du message de la PAF qui est troublant.

— Comment ça ?

Le commandant Thomas sembla hésiter, avant de préciser sa pensée :

— L’homme assassiné dans les toilettes de l’aéroport était le responsable de la division des affaires spéciales du ministère de l’Intérieur.

— Et alors ?

— Suite à ce meurtre, j’ai reçu un appel du ministère. Ils m’ont demandé de me tenir prêt à soutenir tout agent de la division des affaires spéciales qui pourrait être amené à agir en Guadeloupe.

— La division des affaires spéciales ? s’étonna Adrien. Mais que feraient-ils par chez nous ?

— Je n’ai pas plus de détails. Mais j’en viens à ce qui me trouble le plus dans cette histoire. Le préfet vous a-t-il tenu informé de cette consigne du ministère ?

— Euh… Non… Non, nous n’avons pas parlé de ça.

— Le ministère a informé le préfet, qui devait diffuser la consigne auprès des services concernés. Or il ne l’a pas fait. J’ai un bon ami à la division des affaires spéciales qui a pris sur lui de m’informer directement, mais le préfet…

— …aurait du nous en parler lui-même, compléta Adrien. C’est ça que vous sous-entendez ?

— Tout à fait, confirma le commandant. Il nous faut être vigilant sur cette affaire, Monsieur le Directeur. Un meurtre au plus haut niveau de la division des affaires spéciales, le ministère qui considère que les autorités de l’État en Guadeloupe doivent être mises en alerte et le préfet qui mange la commission.

— Comme si on n’avait pas assez de problèmes avec Alexis ! Je vous remercie en tout cas de m’en avoir parlé. Sans vous, je n’aurais pas eu l’info.

— Il m’a semblé que nous devions nous serrer les coudes entre nous. Le cyclone va déjà être un truc suffisamment dur à gérer, mais il se pourrait que nous n’ayons pas que ce problème sur les bras dans les jours à venir.

6.

Yoann rejoignit le ponton peu avant 9 heures. Il salua Antonin qui gérait les activités avec lui pour le compte de la société Oxygène. Cette société était en partenariat avec le club pour les locations de jets ski sur la plage de son complexe de vacances.

— Ça va Yoann ? T’as l’air contrarié ce matin, remarqua Antonin.

— Laisse tomber. Je me suis un peu accroché avec mes vieux…

— Pourquoi ça ? Tante Rosie et Oncle Jean sont les vieux les plus sympas que je connaisse.

— Peut-être, mais je les ai sur le dos tout le temps. Ils s’inquiètent pour un oui et pour un non.

Antonin regarda son copain d’un air compatissant avant d’ajouter :

— Ils ne veulent pas que tu ailles à la soirée d’Oxygène, c’est ça ?

— Non, c’est pas ça, précisa Yoann songeur. Mais laisse tomber, ça leur passera.

— Tu comptes y aller à cette soirée ?

— Bien sûr idiot ! C’est la soirée la plus cool de l’année. Il y aura un max d’ambiance et des jolies filles à gogo !

— Tu y vas avec Chloé ?

Yoann laissa la question sans réponse. Il pénétra sous l’abri du ponton pour y déposer le matériel pour les jets.

— Désolé, se rattrapa Antonin. Je me mêle de ce qui ne me regarde pas…

— Elle me gonfle un peu en ce moment, consentit Yoann. Mais ça m’étonnerait que je puisse l’éviter ce soir.

— Tu n’auras qu’à rester près de moi.

Yoann le regarda d’un air interrogateur.

— Tu sais bien que Chloé ne peut pas me blairer, précisa Antonin. Si tu restes avec moi, peut-être qu’elle te laissera tranquille.

— Peut-être, mais comme elle est folle de moi, j’ai peur qu’elle soit prête à te supporter quand même.

Les deux garçons s’échangèrent un sourire complice, avant d’accueillir les clients qui se présentaient sur le ponton pour leur balade en jet ski.

7.

Il lui avait donné rendez-vous dans un petit restaurant où il avait ses habitudes, sur la route de Trois-Rivières. Adrien se demandait pourquoi il avait invité Laura Mathis à déjeuner. Il aurait été plus logique qu’ils se retrouvent dans leurs bureaux à la préfecture ou à l’Hôtel de Région. Mais il lui avait semblé qu’un endroit plus neutre serait préférable pour se parler franchement. Et puis pourquoi ne pas l’avouer : Adrien avait eu terriblement envie d’inviter cette femme à déjeuner.

Il arriva le premier et s’installa à sa table habituelle face à la mer. Depuis six mois qu’il avait pris son poste aux Antilles, il ne se lassait pas de contempler la Caraïbe. C’était devenu presque compulsif chez lui. Une sorte de revanche pour toutes ces années passées dans son village perdu au cœur du Massif Central. Une belle région aussi, le centre de la France, mais pas pour un jeune homme comme lui, ambitieux et rêvant de rivages lointains.

Quand elle pénétra dans le restaurant, il eut soudain la vision de ce doux visage aux traits de Caribéenne et il réalisa à quel point elle était belle. Comme s’il s’agissait d’une évidence qui lui avait échappé jusque-là. Il goûta son sourire quand elle le salua, même si ce sourire paraissait quelque peu forcé.

— Asseyez-vous, je vous en prie, Madame la Cheffe de cabinet, appuya-t-il un peu lourdement tout en lui rendant son sourire.

— Merci, Monsieur le Directeur. Vous excuserez ma franchise mais je ne suis pas sûr d’avoir envie de rivaliser avec vos bonnes manières.

— Ne vous méprenez pas. C’était juste une façon de détendre l’atmosphère.

Il s’excusait presque. Elle se pinça les lèvres avec nervosité, avant de répondre :

— Pourquoi ça ? Vous pensez que notre entretien pourrait être tendu ?

— Cela dépend…

— De quoi ?

— De nous.

Ils marquèrent un temps d’arrêt dans ce début de conversation à fleurets mouchetés pour regarder le menu. Le garçon allait bientôt venir prendre la commande. Autant qu’il ne vienne pas pour rien. Et puis ils éprouvaient le besoin de s’observer un peu avant d’attaquer le vif du sujet.

— C’est quoi, votre problème ? reprit-elle vivement en le regardant droit dans les yeux.

Il fut un peu déstabilisé par cette question directe.

— Que… que voulez-vous dire ? balbutia-t-il.

— Je vous l’ai dit, j’ai ce défaut d’être franche. Alors je vous repose la question : c’est quoi votre problème avec moi ?

— Mais il n’y a… pas de… problème.

— Ne vous foutez pas de moi en plus ! « Madame la Cheffe de cabinet » « il faudrait que l’on déjeune ensemble » « il doit y avoir un moyen de s’entendre ». J’en passe, et des meilleures… Alors s’il y a un problème, videz votre sac, et qu’on n’en parle plus !

La contrariété la rendait encore plus attirante. Sans compter cette franchise qu’elle avait présentée comme un défaut et qui plaisait beaucoup à Adrien. La franchise était une qualité trop rare dans le milieu qu’il fréquentait. Dans le monde des préfets et de ceux à qui ils avaient affaire, mieux valait user de diplomatie, de périphrases et de discours convenus.

— Le problème, osa enfin Adrien, puisque vous employez vous-même ce terme, c’est que j’aurais préféré que vous m’aidiez à convaincre le préfet de déclencher le plus rapidement possible l’alerte cyclone.

Elle se pinça une nouvelle fois les lèvres. Elle était décidément bien nerveuse.

— Vous avez parfaitement compris qu’il s’agissait uniquement de la position de mon Président, et non pas de ma position personnelle, reprit-elle agacée. Je ne vais pas vous faire un dessin…

Il la regarda d’un air entendu, comprenant qu’elle était en réalité aussi inquiète que lui de ce temps perdu à attendre la confirmation du passage d’Alexis. Sauf que ce n’était pas la position de son patron et qu’elle ne pouvait pas défendre autre chose en réunion. Il était quand même un peu déçu qu’elle n’ait pas eu le courage de contredire son Président, comme lui avait osé le faire avec son préfet.

— Je sais ce que vous pensez ! lança-t-elle.

— Moi ? Mais je n’ai rien dit ! contesta-t-il avec un air innocent.

— Je n’ai pas besoin que vous parliez pour savoir ce que vous avez en tête.

— Si maintenant, vous lisez dans mes pensées…

— Ce que je pense des décisions de mon Président, je n’ai pas à le faire savoir en réunion à la préfecture. On appelle ça la loyauté.

— Je ne peux pas vous en vouloir. La loyauté est une grande qualité, bien trop rare par les temps qui courent.

Il n’était pas utile d’en dire plus sur le sujet. Ils passèrent le reste du repas à discuter des mesures à prendre pour coordonner l’action de la préfecture et de la Région dans les heures qui suivraient le déclenchement de l’alerte cyclone. Il n’y avait plus une minute à perdre. Ils en étaient tous les deux convaincus, quoi qu’en pensent leurs patrons respectifs.

8.

Après avoir pris un rapide petit-déjeuner, Yoann quitta le restaurant du club sans trop se presser. Une nouvelle après-midi tranquille s’annonçait pour lui. Ce n’était pas la pleine saison, et il était donc peu probable que les clients se bousculent pour les activités nautiques. Il était déjà sorti le matin avec un groupe qui lui avait pris quatre machines, puis avec deux adolescents qui avaient fait n’importe quoi avec les jets.

Il attendit sur le ponton une petite heure pour voir s’il y avait du travail pour lui. Personne ne se présenta. Il fut heureux qu’Antonin débarque pour prendre le relais. Après une matinée passée à faire visiter la côte à des clients trop bavards, une séance sans intérêt avec des gamins surexcités et un déjeuner lourdingue au restaurant du club avec une famille qui lui avait posé plein de questions sur la vie aux Antilles, il éprouvait le besoin de partir seul sur son jet pour se vider la tête.

— Tu vas où comme ça ? lui lança Antonin tandis qu’il grimpait sur sa machine.

— J’en sais rien. J’vais tâter la vague.

— Tu sais bien que le patron ne veut pas qu’on utilise les machines comme ça. Ça bouffe de l’essence pour rien.

— Il en a plein de l’essence, le patron ! lâcha Yoann. Et puis, il n’est pas obligé de le savoir…

— Evidemment que je ne dirais rien.

— T’es un mec trop cool !

Antonin le regarda s’éloigner du ponton pour prendre le large. Il avait de l’allure sur son jet. Evidemment qu’Antonin ne le dénoncerait pas au patron. Faire du tort à Yoann, c’était bien la dernière chose qui lui viendrait à l’idée. Il était venu avec l’espoir de passer l’après-midi à bavarder avec son copain. Pour l’instant, c’était plutôt raté. Il tira de son sac à dos le livre qu’il était allé chercher la veille à la bibliothèque municipale. Tout en jetant un dernier coup d’œil au jet qui s’éloignait, il se plongea dans les aventures de ses chers chevaliers de la Table Ronde.

Yoann n’était pas sorti en mer pour se balader. Il avait vraiment envie d’en bouffer. L’alizé lui avait suffisamment caressé le visage depuis son départ du ponton. Il se positionna face à la vague et tira sur la commande pour mettre les gaz à fond. Il fit un vol plané comme il en avait rarement fait, et cela le grisa.

Après dix minutes à faire le fou, il ralentit le rythme et calma sa machine. C’était sa manière à lui de se détendre et de se rattraper de ces longues heures où il devait se retenir parce qu’il était avec des clients. Dans le boulot, c’était la sécurité avant tout. Alors, quand il pouvait se lâcher…

Il tourna en rond sur l’eau, comme ces idées qui lui tournaient dans la tête. Pourquoi être aussi dur avec Tante Rosie et Oncle Jean ? Et puis non, c’était bien fait pour eux, à toujours le considérer comme un gamin alors qu’il venait d’avoir vingt ans. Il avait un boulot maintenant et il gagnait sa vie. Il était peut-être temps qu’il prenne son indépendance, même si cela devait faire du mal à Rosie.

Et son père ? En voilà au moins un qui se foutait pas mal de ce que Yoann faisait de son existence. Il s’en était toujours foutu d’ailleurs, et encore plus depuis la disparition de sa mère. De toute façon, il n’avait jamais aimé Yoann. Sans doute avait-il reporté sur son fils l’absence d’amour qu’il éprouvait pour sa femme.

Yoann remit les gaz. Ce n’était pas trop son genre de remuer les idées noires. Il préférait penser à la soirée qui l’attendait, qui s’annonçait décidément comme la plus fun de l’année. Et puis il y avait la mer, le foot et les filles. Après le cyclone, il demanderait deux jours de congés au boss pour aller faire du surf à Marie-Galante.

9.

Enzo gara sa voiture de location dans une rue parallèle à la rue Frébault. Avant de sortir du véhicule, il jeta un coup d’œil dans la rue pour s’assurer qu’il n’avait pas été suivi. Un réflexe qu’il avait acquis depuis la mort de Duroc. Puis il s’engagea à pied dans les rues de Pointe-à-Pitre. La chaleur de la ville était un peu étouffante en ce début d’après-midi.

Il s’arrêta devant le bâtiment de l’évêché. Il n’était pas venu pour ça, mais il ne put s’empêcher de pénétrer à l’intérieur, espérant pouvoir y retrouver une vieille connaissance. Il fut reçu au premier étage par le secrétaire particulier de l’évêque. Ce n’était plus le Père Arnaud, qu’il avait connu lors de son premier séjour en Guadeloupe.

— Je voudrais revoir Monseigneur Marie-Jeanne, expliqua Enzo. Je l’ai connu ici il y a deux ans environ.

— Je crains de ne pouvoir accéder à votre requête, répondit le secrétaire particulier d’un air pincé.

— Ce n’est plus votre évêque ?

— Cela fait déjà quelques mois…

Le secrétaire particulier ne paraissait pas disposé à en dire plus. Toujours cette retenue des gens d’Eglise. À moins que ce ne soit lié à la personnalité de Monseigneur Marie-Jeanne.

— Par contre, si vous souhaitez rencontrer son successeur, Monseigneur Robert… susurra le secrétaire.

— Je vous remercie mais ce ne sera pas nécessaire.

Le secrétaire parut contrarié. Enzo n’éprouvait aucune sympathie pour son interlocuteur, ce que l’autre devait sentir confusément.

— Qu’est-ce qui a valu à Monseigneur Marie-Jeanne d’être remplacé ? tenta Enzo.

La contrariété du secrétaire évoluait vers d’autres sentiments, un mélange de gêne et de méfiance. Il se résolut malgré tout à répondre :

— C’est Monseigneur Marie-Jeanne qui a tenu à quitter sa charge.

— Cela me surprend beaucoup de sa part, remarqua Enzo en fronçant les sourcils. C’était un homme très attaché à son évêché.

— Disons qu’il a souhaité prendre ses distances avec notre Sainte Mère l’Église.

— Ne serait-ce pas plutôt l’Église qui a tenu à prendre ses distances avec lui ?

Le secrétaire manqua de s’étrangler. Il sut néanmoins garder le calme nécessaire à sa fonction.

— Qui êtes-vous pour juger ainsi l’Église, mon fils ?

— Oh, un simple mortel. Mais qui ne veut surtout pas vous choquer… Je crois que je ferais mieux de vous laisser, conclut-il après un bref silence.

— Sage décision, en effet.

Enzo serra froidement la main de son interlocuteur.

— Ah, une dernière question, si vous me le permettez ? demanda-t-il avant de quitter la pièce.

— Je vous en prie mon fils.

— Savez-vous où je pourrais retrouver Monseigneur Marie-Jeanne ?

— Malheureusement non, mon fils. Il a disparu sans laisser de trace après sa démission.

— Serait-il toujours en Guadeloupe ?

— Ça, je n’en ai pas la moindre idée.

— Je vous remercie mon Père.

Enzo ressortit de l’évêché avec de nouvelles questions dont il se serait bien passé compte tenu de celles qu’il se posait déjà sur le Livre des Pouvoirs et sur sa mission. Pourquoi le secrétaire particulier de l’évêque lui avait-il caché ce qu’était devenu Marie-Jeanne ? Enzo avait lu le mensonge dans les yeux du secrétaire quand celui-ci lui avait répondu qu’il ne savait pas s’il était toujours en Guadeloupe. Et puis surtout, quelle était la raison de la démission de Marie-Jeanne ? Il était clair que l’ex-évêque de Pointe-à-Pitre devait être un peu trop original au goût du Vatican. Mais était-ce la seule raison à son remplacement ?

Le jeune homme se dirigea vers le but de son après-midi en ville : la bibliothèque municipale. Après avoir formulé sa requête à la bibliothécaire, il attendit qu’on lui sorte les livres demandés. Il s’installa alors à une table de la salle de lecture pour les consulter.

Il commença en parcourant un ouvrage succinct sur l’Atlantide et sur Platon pour comprendre un peu mieux les origines du mythe. Puis il se plongea dans un livre dont le titre l’avait intrigué : Antilia, l’Atlantide des Caraïbes. L’auteur de l’ouvrage, une professeure d’histoire à l’université des Antilles et de la Guyane, reprenait une thèse d’un Ecossais nommé Lewis Spence qui évoquait l’idée d’un lien entre l’Atlantide et les îles antillaises. L’hypothèse de Spence était que le continent disparu appelé Atlantide, qui occupait l’Atlantique Nord et une partie de l’Atlantique Sud, se serait disloqué à l’issue de plusieurs cataclysmes et que diverses masses insulaires en auraient subsisté, dont une près du détroit de Gibraltar et une autre près des Antilles. Ces deux grandes îles baptisées Atlantide et Antilia communiquaient entre elles grâce à une chaîne d’archipels traversant l’Océan Atlantique.

Enzo était concentré sur son livre quand il se rendit compte que quelqu’un l’observait. En levant la tête, il découvrit une insulaire, la soixantaine grisonnante, qui s’était assise en face de lui.

— Cette lecture a l’air de vous passionner, remarqua la femme pour engager la conversation.

— C’est une thèse intéressante en effet. Mais j’hésite encore à la qualifier, entre travail historique et délire romanesque.

— Je me présente : Violetta Olivet, professeure d’histoire à l’université des Antilles et de la Guyane.

— Euh… bien sûr… Madame Olivet. Enchanté de faire votre connaissance. Mon nom à moi, c’est Enzo Davignon.

Olivet partit d’un rire joyeux qui acheva de mettre Enzo dans l’embarras.

— Ne soyez pas gêné, Monsieur Davignon !

— C’est-à-dire que… si j’avais su qui vous étiez… je n’aurais peut-être pas…

— Qualifier mon travail de délire romanesque ?

— C’est ça.

— Bien malin celui qui connaît vraiment la part entre la réalité et l’imagination dans ce monde, n’est-ce pas Monsieur Davignon ?

Enzo laissa la question sans réponse.

— Ne soyez pas si sceptique ! Laissez-moi vous faire découvrir l’âme de nos îles et vous aurez peut-être une approche un peu différente de ce que vous pensez être la réalité.

— C’est très aimable de votre part, mais… je ne suis pas sûr d’avoir du temps à consacrer à ce que vous appelez « l’âme de vos îles ».

Violetta Olivet le fixa avec des yeux qui mirent le jeune homme mal à l’aise.

— Pourquoi êtes-vous là alors, à consulter des ouvrages sur l’Atlantide par cette belle après-midi d’été, si vous n’avez pas de temps à consacrer à ces questions ? C’est bien ce que j’entendais par l’âme de nos îles, puisque comme vous le savez Monsieur Davignon, c’est bien l’esprit et la spiritualité qui se cachent derrière la réalité que nous voyons.

Elle avait touché le point sensible. Enzo comprit qu’il allait être difficile de cacher certaines choses à cette femme. Ils bavardèrent encore quelques minutes avant qu’Enzo ne décide de quitter la bibliothèque en emportant l’ouvrage sur Antilia. Il promit à son auteur de la revoir pour en savoir plus sur ce qu’Olivet avait appelé « l’âme de nos îles ».

10.

Adrien raccrocha brutalement son téléphone dans un geste d’énervement qui ne lui était pas familier.

— Quels cons ! s’exclama-t-il. Mais vraiment, quels cons nous avons été de ne pas déclencher l’alerte 1 ce matin !

Le commandant Thomas regardait Adrien d’un air compatissant. Fallait-il s’en vouloir à ce point de ne pas avoir osé forcer la main du préfet ?

— C’était Laurent Lefrançois, le directeur du centre météo, précisa Adrien. Il dit que la marge d’erreur n’est plus que de 50 km. À ce stade, nous pouvons être certains que les effets d’Alexis sur la Guadeloupe seront violents.

Le directeur de cabinet poussa un long soupir avant d’ajouter :

— Ce putain de cyclone défie toutes les lois du genre. Il sera là d’ici demain soir au plus tard.

— Demain soir ! s’étrangla le responsable de la sécurité civile. Mais cela ne nous laisse qu’à peine plus de 24 heures !

— L’alerte 1 doit être déclenchée 36 heures avant le passage probable du cyclone. Il aurait au moins fallu agir ce matin. C’était évident.

— Ce matin, il y avait déjà deux chances sur trois pour qu’Alexis nous tombe dessus.

— Deux chances sur trois effectivement. C’était plus qu’assez pour prendre une décision.

— Il n’y a plus une minute à perdre ! s’emporta le commandant Thomas tout en se levant.

Adrien se leva à son tour et ils se dirigèrent d’un pas décidé vers le bureau du préfet.