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Jean Lalande, entrepreneur innovant et notable de Carcassonne, est retrouvé mort devant l'autel à l'intérieur de la basilique Saint-Nazaire, située au coeur de la célèbre Cité médiévale. Son appartenance au groupe Renaissance Cathare serait-elle à l'origine de cette étrange mise en scène et réveillerait-elle la lutte sanglante qui a marqué l'Occitanie du XIIIe siècle, opposant l'Église catholique à ceux qu'elle considérait comme des hérétiques ? Commissaire au ministère de l'Intérieur, Enzo Davignon est envoyé sur place et se heurte vite aux secrets que semble cacher la famille du défunt, faisant plutôt penser à une banale affaire d'héritage. Des ruelles de la Cité jusqu'au sommet du pog de Montségur, en passant par le Bugarach et l'abbaye de Lagrasse, il se retrouve mêlé à la quête d'un ancien codex qui aurait été écrit par les cathares et qui pourrait bien tout expliquer. Mais que peut bien contenir ce mystérieux ouvrage pour attirer tant de convoitise ? Roman initiatique, polar spirituel, historique et ésotérique, "Codex, le Livre secret des cathares" vous entraîne dans une aventure qui vous interrogera sur les mystères de la vie.
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Seitenzahl: 310
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Aux chercheurs de lumière
« Que celui qui cherche ne cesse jamais de chercher, jusqu’à ce qu’il trouve. Et quand il aura trouvé, il sera bouleversé. » Évangile apocryphe de Thomas
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Les projecteurs éclairaient les remparts de Carcassonne d’une douce lumière orangée, dans la chaleur nocturne de ce début juillet. L’été paraissait décidé à s’installer sur le sud de la France après un mois de juin plutôt frais et pluvieux. La Cité médiévale endormie ne pouvait imaginer qu’un lieu si enchanteur puisse dissimuler la scène d’un crime particulièrement odieux, lié aux plus grands mystères de l’histoire de l’humanité.
La basilique Saint-Nazaire trônait en majesté à l’intérieur des remparts. Construite entre le XIe et le XIVe siècle, elle était considérée comme le joyau de la Cité. Cette nuit-là, des touristes ayant leur chambre à l’hôtel situé juste en face furent réveillés par une détonation et aperçurent une ombre furtive quittant l’édifice pour disparaître par la ruelle qui menait au château comtal.
L’homme était sorti par la porte narbonnaise, s’était installé sur un banc et avait composé un numéro sur le téléphone portable qu’il avait tiré de sa soutane.
— Alors ? avait répondu une voix à l’autre bout du fil.
— C’est fait.
— Très bien. Vous avez laissé le corps dans la basilique ?
— Devant l’autel.
— Parfait. Comme ça, tout le monde comprendra le message.
— Et pour la suite ?
— Attendons de voir comment tourne l’affaire, et on avisera.
Après avoir souhaité une bonne nuit à son interlocuteur, l’homme était resté quelques instants sur le banc, absorbé dans ses pensées. Il n’était pas particulièrement fier de la façon dont les choses s’étaient déroulées, mais il n’avait rien pu faire. La situation s’était imposée à lui. Et maintenant que c’était fait, il fallait bien donner le change, pour pouvoir conserver toute sa crédibilité aux yeux du Maître.
Le lendemain matin, un petit groupe de touristes était agglutiné sur le parvis, commentant sur un ton acerbe un panneau qui annonçait la fermeture de la basilique pour la journée. Roland Cassaigne se tenait à l’intérieur et n’était pas mécontent d’avoir réussi à en interdire ainsi l’accès, après une négociation un peu serrée avec l’évêché.
Proche de la soixantaine, le cheveu grisonnant et devenu rare, le commissaire de Carcassonne en avait vu d’autres durant sa carrière. Il ne put néanmoins réprimer une grimace de dégoût en se plongeant dans l’examen du corps de l’homme qui gisait sur le sol froid devant l’autel. Un large trou sanguinolent déchirait la tempe du malheureux. C’est vraiment trop bête de finir comme ça quand on a consacré une bonne partie de sa vie à chercher la paix de l’esprit, songea-t-il. Cassaigne connaissait la victime et le considérait comme un type bien. Le genre d’homme qui ne court pas les rues, dans l’esprit du commissaire, dont le métier donnait une certaine expérience en matière de bassesse humaine.
Parmi les nombreuses questions auxquelles il faudrait répondre pour éclairer les circonstances de ce sordide assassinat, celle de la localisation du corps au pied de l’autel constituait sans doute une clé essentielle. Mais peu lui importait, puisque Cassaigne avait tout de suite compris que tout cela ne serait pas son affaire. Cette mort serait associée aux activités de la victime, impliquée dans le milieu cathare local, supposé détenir des secrets convoités depuis la nuit des temps. Ils feraient donc descendre un type de Paris spécialisé dans ces sujets, à qui il faudrait donner toutes les informations sur les circonstances du meurtre et sur les personnes potentiellement impliquées. Après, le commissaire n’en entendrait plus parler.
Enzo Davignon contemplait les reflets argentés qui faisaient scintiller la surface de la Méditerranée. Le sentier du Cap d’Antibes était l’une de ses balades favorites, et il aimait tant arpenter la Côte d’Azur durant cette période estivale inondée de soleil et débordante de vie. Le chemin longeait la mer de manière accidentée, avec des escaliers à grimper sans arrêt, mais le jeune homme était habitué à des randonnées bien plus physiques. Il s’arrêtait régulièrement sur le sentier pour se délecter de la vue sur la mer et de ces chaudes odeurs de pins si caractéristiques de la végétation locale.
Enzo était commissaire à la division des affaires spéciales au Ministère de l’Intérieur. À sa sortie de l’École Nationale Supérieure de la Police dix ans auparavant, il avait volontairement choisi ce service un peu particulier chargé des enquêtes impliquant des sectes. Ce choix avait été motivé par son goût pour les mystères de l’histoire de l’humanité. Avait également joué son envie de ne pas être rattaché à un commissariat territorial et d’obtenir des missions qui lui feraient sillonner la France et voyager dans le monde entier.
Cet été-là, Enzo avait décidé de solder ses congés accumulés depuis des années en passant deux mois dans le sud de la France. Il avait besoin de se remettre de sa précédente enquête. Elle l’avait amené à parcourir le monde, des Caraïbes aux îles grecques en passant par l’Italie et jusqu’à Los Angeles, à la recherche d’un mystérieux Livre des Pouvoirs qui aurait été écrit par des sages appartenant à la civilisation mythique de l’Atlantide. Cette affaire atlante l’avait passionné, pleine de questions irrésolues comme il les aimait. Cependant, elle l’avait aussi interrogé sur sa volonté de poursuivre cette vie d’aventures au sein de la division des affaires spéciales. À trente-sept ans, il menait une vie trépidante qu’il avait choisie, mais elle était aussi épuisante et l’emportait toujours loin de chez lui, sans possibilité de construire quelque chose de durable en se posant quelque part avec quelqu’un. Il ressentait donc le besoin de faire une pause pour réfléchir à la manière dont il envisageait les prochaines étapes de ce chemin qui voyait les années tourner inexorablement, dans ce qui ressemblait de plus en plus à une routine. La routine paradoxale d’une vie d’aventures qui le conduirait jusqu’à la retraite sans jamais s’interroger sur ce qu’il pouvait attendre d’autre de l’existence.
Quand son portable sonna dans son sac à dos, il poussa un soupir d’agacement, avant de se résoudre à regarder qui cherchait ainsi à le joindre en pleine balade pendant ses vacances. L’écran affichait le nom du commissaire avec qui il avait été en contact plusieurs mois auparavant pour envisager une enquête concernant une secte de néo-cathares dans la région de Carcassonne. L’appel l’intrigua suffisamment pour qu’il se décide à décrocher.
— Bonjour commissaire Cassaigne, attaqua Enzo.
— Bonjour commissaire Davignon, répondit la voix à l’autre bout du fil avec cet accent rocailleux typique des gens du Sud-ouest. Comment allez-vous ?
— Plutôt bien. Je passe l’été sur la Côte d’Azur pour me remettre de cette affaire atlante qui m’avait privé de la collaboration que nous avions envisagée l’an dernier sur votre secte cathare.
— Ah, je vous dérange alors…
— Non, non. Je vous écoute.
— J’ai peut-être une affaire pour vous concernant justement cette secte.
— Ah oui ? Quel genre d’affaire ?
— Un membre éminent de Renaissance Cathare a été retrouvé assassiné à l’intérieur de la basilique Saint-Nazaire, au cœur de la Cité de Carcassonne. J’ai pensé que compte tenu du profil de la victime, la division des affaires spéciales serait bientôt saisie de l’enquête, et je tenais à vous prévenir avant qu’ils ne vous mettent sur le coup.
— Je ne suis pas sûr que le ministère me confiera cette affaire vu que j’ai pris un congé de deux mois. Mais c’est très aimable à vous de m’avoir prévenu.
— Y’a pas de quoi ! Et j’espère quand même vous voir bientôt à Carcassonne.
— Ok commissaire, on verra bien…
Enzo replaça son portable dans son sac en grimaçant. Une nouvelle affaire alors qu’il n’avait entamé ses vacances que depuis une semaine ! Une drôle de façon de l’aider à prendre du recul et réfléchir sur la suite de sa carrière…
Le soir venu, de retour au camping où il avait ses habitudes dans le golfe de Saint-Tropez, Enzo était installé au resto de plage, sirotant tranquillement un mojito avant de passer commande pour le dîner. Il passait un moment agréable à discuter des choses de la vie avec le serveur quand son portable sonna. C’était le nom de son chef qui s’affichait. Comme Serge Legaret avait déjà laissé deux appels en absence depuis le début de la soirée, Enzo se résigna à répondre.
— Allô Davignon ! Mais qu’est-ce que vous foutez bon sang ? Ça fait plus d’une heure que j’essaie de vous joindre ! Vous n’avez pas vu mes appels ?
— Je vous rappelle que je suis en congés, répondit froidement Enzo.
— Et moi je vous rappelle que vous appartenez à un service sensible placé sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur et que vacances ou pas, il faut toujours rester sur le pont ! Bref, est-ce que vous vous souvenez de cette enquête que vous aviez envisagée sur une secte de néocathares à Carcassonne ?
— Ça, c’était avant que Michel Duroc, votre prédécesseur, ne m’envoie aux Antilles pour enquêter sur les Livres de l’Atlantide…
— Mais je m’en fous de quand c’était, Davignon ! Un notable appartenant à cette secte a été retrouvé assassiné la nuit dernière et le procureur de l’Aude a contacté le cabinet du ministre pour savoir si la division des affaires spéciales souhaitait se charger de cette affaire.
— Et donc ?
— Comment ça, et donc ? Bien entendu que la division va se charger de cette affaire impliquant une secte, et il se trouve que vous aviez justement commencé à enquêter sur ce groupe de néo-cathares.
— Et donc ?
— Mais vous vous foutez vraiment de moi ou quoi ? Je vous préviens Davignon, si vous me redites encore une fois que vous êtes en congés…
— Et quoi ? Vous allez m’envoyer à Carcassonne entre deux gendarmes ?
— Vous me fatiguez Davignon, vraiment… Alors vous allez arrêter illico de vous dorer la pilule sur les plages de la Côte d’Azur et vous allez rappliquer dare-dare en pays cathare pour prendre en main cette affaire ! Capito ?
— J’ai bien compris que je n’avais pas le choix… Dont acte.
— C’est exactement ça ! Prenez contact avec le commissaire de Carcassonne et partez pour l’Aude demain dès potronminet. Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de vacances Davignon !
Dès potron-minet… Et pourquoi pas dès ce soir, tant qu’il y était ! Enzo était vraiment furieux de se voir imposer cette affaire qui mettait fin de manière prématurée à ces deux mois de congés dont il s’était tellement réjoui. Et si, plutôt que de prendre la route pour Carcassonne, il démissionnait de la division des affaires spéciales dès potron-minet, comme disait l’autre avec sa drôle de manie d’employer des expressions sorties d’on ne sait où et totalement ringardes ?
Le lendemain matin, Enzo alla prendre son petit-déjeuner au bar de plage à son heure habituelle. Les premiers baigneurs avaient déjà posé leurs serviettes sur le sable et profitaient de ce moment de calme avant l’arrivée de la foule des grands jours. La mer était limpide et le ciel d’un bleu azur. La journée s’annonçait chaude mais la température n’atteindrait pas les niveaux délirants des pics caniculaires vécus ces derniers étés à Paris. On respirait tellement mieux au bord de la Méditerranée, au fond de ce golfe de lumière.
Enzo détailla les ingrédients que la serveuse, fort sympathique avec son charmant sourire, avait déposés sur la table du petit-déjeuner. Il y avait là tout ce qu’il appréciait pour bien attaquer la journée. Il contempla la mer et la cité tropézienne située face à lui, avant que son attention ne se porte sur les activités d’un tout petit bonhomme qui courait après un volatile qui s’ingéniait à lui échapper. Le commissaire de la division des affaires spéciales, lui, n’avait pas l’intention de courir, et encore moins d’être pris pour un pigeon. Il prenait donc délibérément son temps. Il avait un peu plus de quatre cents kilomètres à faire pour rallier Carcassonne mais rien ne pressait. Pourquoi se précipiter pour retrouver trop vite la folie des hommes ?
Courant derrière lui sur le sable, la mère du petit bonhomme essayait sans succès de canaliser l’énergie de son gamin. L’espace d’un instant, Enzo fut frappé par sa ressemblance avec Nancy Andrew. À moins que ce ne fût son imagination qui lui jouait des tours. Nancy Andrew… Il savait parfaitement au fond de lui qu’il restait habité par le souvenir de cette femme et par les derniers mots qu’ils avaient échangés sur le ponton de ce restaurant à Los Angeles, au terme de leur quête du Livre atlante des pouvoirs. Quand nous reverrons-nous ? avait-il demandé. Le plus tôt sera le mieux, avait-elle répondu. Il sentait bien que c’était le souvenir de ses échanges avec Nancy Andrew qui l’interrogeait le plus sur sa vie d’aventurier et de célibataire endurci. Les souvenirs, c’était tout ce qui lui restait quand il fallait passer à autre chose pour se lancer dans une nouvelle aventure. « Les souvenirs, et les regrets aussi… ».
Il finit par se résoudre à rejoindre son bungalow pour boucler sa valise, avant de passer à la réception du camping pour rendre la clé. Puis il retourna se poser au bar de plage. Il consulta alors les notes qu’il avait conservées dans son ordinateur sur cette secte de néo-cathares objet de son enquête à Carcassonne. Incapable de résister au sourire de la serveuse, il lui commanda un nouveau café. Puis il se mit au travail en ouvrant un document Word afin d’y consigner l’essentiel des informations utiles sur la secte présumée :
Renaissance Cathare est une association fondée dans les années soixante-dix, dans la foulée de travaux d’historiens qui ont fait resurgir la mémoire de la croisade du XIIIe siècle contre les Albigeois, éradication par l’Église de Rome et la Couronne de France de ce qui était considéré comme une hérésie. L’association rassemble des femmes et des hommes souhaitant vivre la spiritualité cathare et entretenir la mémoire de ce courant du christianisme. Elle s’est beaucoup développée depuis sa création il y a près de quarante ans et compterait aujourd’hui plusieurs centaines de membres, présents dans la plupart des départements de l’Occitanie. L’Église catholique la considère comme une secte, s’appuyant sur le fait qu’elle maintient le plus grand secret sur la nature de ses activités et sur son organisation. Toutefois, aucun rapport de la division des affaires spéciales n’a jamais formellement établi ce caractère sectaire et une enquête plus approfondie reste à réaliser pour mieux comprendre le but et les projets de cette association.
Le mystère restait donc entier sur cette organisation discrète que le ministère se refusait jusqu’à preuve du contraire à qualifier de secte. La mort de l’homme retrouvé dans la basilique Saint-Nazaire était-elle vraiment liée à son appartenance à ce groupe de néo-cathares ? Si le ministère avait néanmoins jugé bon d’envoyer un commissaire de la division des affaires spéciales sur cette affaire, c’est qu’il considérait comme nécessaire d’enquêter sur Renaissance Cathare pour comprendre si cela avait pu conduire au meurtre de cet homme.
Le jour commençait à décliner, baignant le Pech de Bugarach d’une lumière irréelle. C’était une montagne qui marquait nettement le paysage du sud de l’Aude. Elle émergeait comme un imposant vaisseau de roches dont la blancheur aride tranchait avec la végétation qui recouvrait les monts environnants. Quand elle apparaissait à la vue, elle produisait son effet, suscitant l’imagination et expliquant les nombreuses légendes qui lui étaient attachées.
Les deux hommes avaient pris place sur la terrasse d’une vieille maison nichée au cœur du village de Bugarach. C’était un véritable observatoire qui offrait une vue saisissante sur la montagne.
— Comme je vous envie, de pouvoir contempler ça tous les jours.
— Le Pech est mon univers familier depuis que je suis né.
L’homme avait désormais quatre-vingts ans passés et il y avait une autre chose que son visiteur du soir lui enviait particulièrement, c’est qu’il en avait toujours paru vingt ans de moins.
— Les collines de Villerouge du côté de chez vous ne sont pas mal non plus, observa l’hôte.
— J’avoue.
— Donc vous comptez vous rendre aux obsèques ?
— C’est ce que j’ai prévu.
— Ce n’est vraiment pas une bonne idée, trancha l’hôte.
— Jean était mon ami.
— C’était le mien aussi.
— Vous ne mesurez pas à quel point sa mort est une perte immense pour moi.
— Elle l’est pour nous tous. Mais la mort n’est qu’une étape et notre enveloppe charnelle n’est pas l’essentiel, contesta le vieil homme, les yeux rivés sur le Pech.
— Je sais bien tout cela… Mais je n’en demeure pas moins inconsolable, s’obstina le visiteur.
— Les autorités locales seront présentes aux obsèques, et notamment les représentants de l’évêché. Il vaudrait mieux que nous nous fassions discrets. Sans compter qu’une participation à ce rite catholique n’est pas dans les habitudes de notre communauté…
— Je n’y peux rien si Jean n’avait rien dit sur le sujet et si sa femme s’est sentie autorisée à le ramener ainsi dans le giron de l’Église de Rome.
Un silence pesant s’installa entre eux. L’hôte connaissait parfaitement la raison de la venue de son visiteur. C’était une fois de plus pour faire état du désaccord entre eux sur l’évaluation de la situation ainsi que sur les raisons qui les avaient amenés jusque-là, à la mort de leur ami. De leur frère en catharisme.
— Vous ne pouvez pas exposer ainsi notre communauté spirituelle par votre présence à cette cérémonie, reprit le vieil homme, rompant le silence avec ce ton ferme, habituel chez lui et qui n’incitait pas à la contestation.
— Ce qui est arrivé à Jean ne devrait-il pas nous conduire à nous interroger ? osa le visiteur.
— Nous interroger sur quoi au juste ? Ce n’est pas la première fois que nous perdons l’un des nôtres, et ce ne sera pas la dernière. Cela fait huit cents ans que cela dure.
— Certes, mais pas comme ça.
— Les circonstances ne changent rien à l’affaire. Nous sommes mortels, et ce n’est pas si grave. Jean savait cela parfaitement.
— Il le savait et il est justement là, le problème.
L’hôte se leva pour aller chercher des verres d’eau. L’alcool, et même le café, étaient exclus chez les membres de leur communauté, qui pratiquaient une grande sobriété. Pour la première fois depuis des années, le visiteur aurait bien bu un bon verre de Corbières, histoire de se détendre et d’oublier le chagrin que lui causait la mort de son ami. Mais il savait bien qu’il n’y avait pas d’alcool dans cette maison et que de toute façon, ce n’était pas la solution. Au bout de quelques minutes, l’hôte revint avec l’eau, une miche de pain et un pâté de légumes, suprême luxe au regard de leur régime d’ascètes. Le vieil homme avait peut-être besoin lui aussi de s’accorder un petit écart pour mieux faire passer la pilule de la perte de leur frère.
— Que pense l’Ancien de tout ça ? demanda le visiteur après une légère hésitation.
— Je ne l’ai pas revu depuis la mort de Jean.
— À ma connaissance, il ne désapprouvait pas totalement la position de notre ami.
— C’est une analyse un peu rapide de ce que peut penser l’Ancien de toute cette histoire, contesta l’hôte.
— Je compte me rendre à Montségur après les obsèques, pour recueillir son avis à la source.
— Vous savez bien qu’il ne reçoit quasiment plus personne depuis très longtemps, en dehors des sept évêques de la communauté.
— Je suis sûr qu’il fera une exception pour moi, vu les circonstances.
— Vous verrez bien… Mais sachez que je déplore votre obstination.
L’hôte coupa deux morceaux de pâté de légumes et en tendit un à son visiteur dans une petite assiette, accompagné d’un morceau de pain. Puis ils s’enfermèrent dans le silence pour contempler le jour qui tombait sur le Pech de Bugarach.
Enzo roulait sur l’autoroute du côté de Béziers quand il atteignit le panneau qui lui avait toujours provoqué un petit sourire à chaque fois qu’il passait à cet endroit : « Vous êtes en pays cathare ». Comme un pied de nez à ce qui s’était passé dans cette région huit siècles auparavant. Car en réalité, ce panneau n’était-il pas le signe que l’Église avait finalement perdu son combat contre l’hérésie ? Comme l’avait annoncé une prophétie, le laurier cathare reverdissait de plus belle, attirant la sympathie d’amateurs de drames historiques et de gens attachés à une certaine liberté de conscience ou en quête de spiritualité.
Des nuages noirs s’accumulaient sur les Corbières et il n’était pas certain que le commissaire puisse arriver à l’hôtel avant que l’orage n’éclate. Il dépassa la montagne d’Alaric, avant de prendre la sortie pour Carcassonne. Il aimait beaucoup la Cité médiévale, dans laquelle il faisait étape régulièrement quand il organisait ses périples dans le Sud. Mais c’était la première fois qu’il y venait ainsi pour le boulot.
Quand il se gara sur le parking de l’hôtel, l’orage menaçait toujours au loin. Il se dirigea vers la réception pour prendre la clé de sa chambre. Il avait décidé de faire une petite pause avant de retrouver Cassaigne. Enzo voulait d’abord goûter au plaisir de se retrouver dans ce lieu qu’il appréciait. Après, il serait bien assez temps d’être pris dans le rythme de son enquête.
Tandis qu’il avait rejoint le bar de la piscine de l’hôtel pour se faire servir une bière, il se demanda une fois de plus, comme une rengaine lancinante, s’il aimait toujours autant son métier. Il aurait préféré régler une bonne fois pour toutes ce genre d’état d’âme avant de reprendre une nouvelle enquête, mais le rythme du boulot l’avait finalement rattrapé. Et puis maintenant qu’il était installé dans ce lieu qu’il affectionnait particulièrement, une curieuse sensation l’habitait tandis qu’il réalisait que cette enquête en pays cathare suscitait en lui de l’envie, et même un certain enthousiasme.
Le ciel était de plus en plus menaçant quand Enzo quitta l’hôtel. Le roulement du tonnerre accroché sur les Corbières depuis le milieu de l’après-midi semblait désormais se rapprocher inexorablement. Le commissaire franchit la porte narbonnaise, celle qui était située du côté de son hôtel, et remonta la ruelle étroite au charme médiéval qui conduisait au cœur de la Cité. Les lieux étaient bondés malgré l’orage qui menaçait, les touristes débarquant en bataillons serrés depuis quelques jours pour profiter de la période estivale. Les terrasses des restaurants et des bars étaient pleines, tandis que les petites échoppes vendant des glaces et des boissons fraîches tournaient également à plein régime. Dans les ruelles, des bonimenteurs en costumes médiévaux tentaient d’attirer les gens pour qu’ils visitent les petits musées consacrés à l’histoire de Carcassonne ou de l’Inquisition. Il fallait se frayer un chemin au milieu de cette foule dense, mais Enzo en avait l’habitude et connaissait l’endroit par cœur. Il bifurqua très vite vers la place Marcou, qu’il traversa pour remonter en direction du petit puits, avant d’atteindre la basilique Saint-Nazaire.
Le commissaire Roland Cassaigne l’attendait sur le parvis. Il avait obtenu de haute lutte de faire une nouvelle fois fermer la basilique, le temps qu’ils puissent travailler tranquillement.
— Bonjour Commissaire Davignon. Content de pouvoir enfin vous rencontrer.
— Bonjour Commissaire. Je dois vous avouer que je ne suis pas sûr de partager votre enthousiasme…
— Désolé de vous gâcher ainsi vos vacances, s’excusa Cassaigne.
— Disons que si je ne suis pas content, je n’ai qu’à faire un autre métier…
— Suivez-moi à l’intérieur, que je vous montre les lieux du crime.
L’orage qui grondait maintenant au-dessus de la Cité avait assombri l’intérieur de la basilique. Les deux hommes s’approchèrent de l’autel où avait été retrouvée la victime. Au sol, les traces du corps avaient été effacées.
— L’homme s’appelait Jean Lalande, attaqua Cassaigne. Cinquante-quatre ans. PDG d’une entreprise locale, un business en rapport avec l’écologie ou un truc dans le genre, qu’il venait de créer après un parcours reconnu dans les milieux d’affaires du département.
— Un notable local en somme…
— On peut dire ça, confirma le commissaire de Carcassonne. Et aussi un membre actif de l’association Renaissance Cathare.
— Il est mort d’une balle dans la tête, c’est bien ça ? demanda Enzo.
— Oui, c’est ça. Net et sans bavure. Le gars a été rectifié en un seul coup.
— À bout portant ?
— Au vu de la taille du trou qui lui a percé la boîte crânienne, c’est plus que probable.
— Pas d’indices ou d’empreintes permettant d’identifier l’agresseur j’imagine… hasarda le commissaire de la division des affaires spéciales.
— Vous imaginez bien. Un homme a quand même été vu par les clients de l’Hôtel de la Cité sortant de la basilique quelques minutes après la détonation. Ils l’ont également vu jeter négligemment l’arme dans une poubelle. Sans laisser ses empreintes dessus, bien entendu.
Enzo essaya de se représenter la position du corps et la manière dont le crime avait pu être commis. Il s’agaça de l’effacement des traces habituellement dessinées par la police au sol.
— J’ai bien essayé d’insister pour qu’elles soient laissées jusqu’à votre arrivée, plaida le commissaire local, mais l’évêché tenait à ce que la basilique ne soit pas fermée au public en pleine période estivale. Et comme il était exclu d’exposer la scène du crime aux visiteurs, on a été obligé d’effacer les traces.
— L’Église attache donc plus d’importance à la fréquentation de ce lieu qu’à la manifestation de la vérité dans une affaire de meurtre, déplora Enzo.
— Ah… Une vieille histoire ici, ce rapport de l’Église à la vérité… N’oubliez pas que vous êtes en pays cathare !
Enzo regarda Cassaigne avec un léger sourire. « Vous êtes en pays cathare ». Le message annonçant d’emblée la couleur sur le panneau d’autoroute devait être repris en boucle avec une certaine délectation par les gens du coin.
— Ce qui pose question, c’est la localisation du corps à cet endroit, pile poil au pied de l’autel, poursuivit Enzo.
— Moi aussi, c’est la première chose à laquelle j’ai pensé, confirma Cassaigne.
— Comme si on avait voulu appuyer sur le rapport entre le crime et le culte catholique, l’autel étant l’endroit symboliquement le plus important dans la basilique.
— En parlant de culte catholique, voulez-vous que je vous présente le Père Delbos, responsable des lieux ?
— Volontiers.
Tandis que l’orage avait enfin fini par éclater dehors et que des éclairs illuminaient l’intérieur de la basilique à travers les vitraux, les deux commissaires se rendirent dans la sacristie où se trouvait le Père Delbos. L’homme devait avoir la quarantaine. Il avait un air fringuant qui ne cadrait pas avec l’image qu’on se faisait des prêtres vieillissants qui officiaient habituellement pour l’Église catholique.
— Bonjour mon père, attaqua Enzo. Puis-je vous poser quelques questions sur la mort de Jean Lalande ?
— Je suis en pleine préparation de ses obsèques et j’ai déjà dit beaucoup de choses à votre collègue ici présent.
— Désolé de vous importuner mais j’ai besoin de vous entendre sur les circonstances de cet assassinat. C’est bien vous qui avez retrouvé le corps du malheureux ?
Enzo avait volontairement employé ce terme de « malheureux » pour qualifier Jean Lalande, et il avait pu déceler un léger mouvement de sourcils sur le visage du Père Delbos quand il l’avait prononcé. Un éclair illumina soudain la sacristie, immédiatement suivi d’un fort coup de tonnerre qui fit sursauter les trois hommes.
— Oui, c’est bien moi qui l’ai trouvé, en ouvrant la basilique.
— Comment ça ? Jean Lalande est mort dans la basilique alors qu’elle était fermée, c’est ça que vous voulez dire ? s’étonna Enzo.
— Oui, c’est bien ça, répondit laconiquement le Père Delbos.
— Mais alors, qui a bien pu le faire entrer ?
— Vous savez, Jean Lalande avait ses entrées à l’évêché. D’ici à ce qu’il ait récupéré une clé de la basilique pour pouvoir y venir comme bon lui semblait…
— Il aurait donc pu entrer tout seul… Mais vous, quelle est votre hypothèse sur ce meurtre ?
— Moi je ne fais pas d’hypothèse dans ce domaine, Commissaire. Chacun son métier.
— Certes… Mais décrivez-moi un peu votre découverte du corps.
Le prêtre grimaça légèrement, trahissant son absence totale d’envie de raconter ça, avant de se sentir obligé de se lancer :
— Je me dirigeai vers la porte principale depuis la sacristie pour aller ouvrir la basilique quand je suis tombé sur le corps de Lalande, étalé devant l’autel. J’ai tout de suite compris qu’il était mort en voyant ce trou sur sa tempe et tout ce sang autour, et je suis retourné dans la sacristie pour appeler le commissariat.
— Vous avez appelé le commissariat avant de prévenir votre évêque ? demanda Enzo en prenant un air exagérément étonné.
— Oui, ça m’a paru logique de commencer par le commissaire.
— Et sinon ?
— Quoi sinon ?
— Avez-vous remarqué quelque chose d’autre en découvrant le corps ?
— Non, rien de spécial.
— Vous n’êtes pas très causant mon Père, remarqua Enzo.
— Je n’ai pas l’habitude de parler pour ne rien dire.
Le commissaire Cassaigne lança à Enzo un regard appuyé qui signifiait qu’il n’y aurait pas grand-chose de plus à tirer du Père Delbos.
— Je vois… Une dernière chose quand même, insista Enzo. Pourquoi êtes-vous chargé de préparer les obsèques d’un homme qui était engagé dans la spiritualité cathare et donc a priori en froid avec l’Église ?
Le Père Delbos parut sur le point d’exploser. Il réussit néanmoins à se contrôler et à formuler sa réponse sur un ton à peu près posé :
— Jean Lalande n’avait pas laissé de testament précisant ses souhaits concernant ses obsèques, et sa veuve a insisté pour qu’il soit enterré selon le rite catholique.
— Ah bon… Ok, restons-en là pour aujourd’hui. Mais vous voudrez bien rester disponible pour un nouvel interrogatoire. J’aurais sûrement d’autres questions à vous poser plus tard, et il me faudra des réponses un peu plus précises sur les circonstances de la mort de Jean Lalande.
Les deux commissaires échangèrent un nouveau regard, avant de prendre congé de l’ecclésiastique.
Ils sortirent sur le parvis de la basilique. L’orage était désormais passé et le ciel commençait à se dégager, annonçant une belle soirée.
— Pas très bavard ce Père Delbos, remarqua Enzo.
— Le genre de mec dont on ne peut pas tirer grand-chose tant qu’on n’a pas un truc précis sur lequel le titiller. Mais il va se heurter au problème qu’il n’a pas d’alibi qui permette de l’écarter de la liste des suspects, personne ne l’ayant vu le soir du meurtre.
— Meurtre qui aurait été commis vers 23 heures, selon le médecin légiste.
— Je vois que vous avez bien lu mon rapport.
— J’étais en congés jusqu’à ce matin, mais il a bien fallu que je me remette au boulot depuis…
Un officier de gendarmerie traversa la place pour venir à la rencontre des deux hommes.
— Laissez-moi vous présenter Bertrand Lacoste, colonel au groupement départemental de gendarmerie, précisa Cassaigne.
— Enchanté Colonel. Moi c’est Enzo Davignon, commissaire à la division des affaires spéciales du ministère de l’Intérieur, chargé de l’enquête étant donné les liens de la victime avec l’association présumée sectaire Renaissance Cathare.
— Enchanté Commissaire. Je suis l’adjoint du colonel qui dirige le groupement départemental et compte tenu de la sensibilité de l’affaire, c’est moi qui serai votre interlocuteur pour vous mettre à disposition les moyens de la gendarmerie sur l’ensemble du département.
— Parfait, c’est une très bonne nouvelle, approuva Enzo.
— Bon Messieurs, cette affaire ne concernant plus le commissariat de Carcassonne, je vous laisse donc les rênes, lança Cassaigne avec un sourire forcé qui paraissait clairement désabusé.
Ramon de Perelha contemplait la chaîne des Pyrénées dont la plupart des sommets étaient toujours enneigés en cette fin du mois de mai 1243. En baissant le regard vers le pied du Pog, le seigneur de Montségur pouvait voir distinctement l’armée des croisés. Elle s’était installée là depuis quelques jours sous le commandement du Sénéchal de Carcassonne. Hugues des Arcis était le représentant de Louis IX, qui serait canonisé après son règne et resterait pour la postérité le bon Roi Saint Louis. Un monarque spécialisé dans les croisades contre tous ceux qui ne partageaient pas sa foi catholique, qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens considérés comme hérétiques par l’Église de Rome.
Dix mille hommes se tenaient dans le campement des Français, face aux cinq cents Occitans réfugiés au sommet de la montagne, dont deux cents Parfaits et Parfaites ou simples Bons Hommes et Bonnes Femmes, et seulement vingt chevaliers et une centaine de sergents d’armes qui constituaient la garnison du château et vivaient là avec leurs familles. Après avoir reconstruit à partir de 1204 un château préexistant mais en ruine, le seigneur de Montségur s’était employé pendant ces quarante années à construire les habitations nécessaires à l’hébergement de cette petite communauté constituant un véritable village, un castrum qu’il avait protégé en fortifiant le sommet du Pog.
— Ils sont vraiment très nombreux, s’inquiéta Bertran D’en Marti.
Depuis la mort de son prédécesseur, Guilhabert de Castres, l’évêque était la figure la plus respectée de cette Église des Purs jugée hérétique par Rome.
— Observez bien leur installation, répondit Ramon de Perelha sur un ton empreint d’un très grand calme. Ils sont incapables d’encercler totalement le Pog du fait de son relief tourmenté et ils sont obligés de se tenir à distance de nous de peur que nous leur balancions des pierres qui ravageraient leur campement et feraient des centaines de victimes dans leurs rangs. Ils doivent donc se contenter de poster des groupes d’assaillants en différents points autour de nous, laissant plusieurs points libres d’accès. Des paysans sont déjà venus nous apporter du ravitaillement en traversant les mailles de ce filet trop lâche et nous devrions aussi pouvoir recevoir des renforts pour compléter la garnison. Je vous assure que nous pouvons tenir un siège et que nos ennemis se lasseront bien avant de faire tomber notre citadelle.
— Acceptons-en l’augure, réagit sobrement l’évêque, dont la prescience lui permettait peut-être d’entrevoir un avenir plus sombre.
— Je me trompe ou l’arrivée de l’armée des croisés semble avoir décuplé la ferveur de vos adeptes ?
— Nous n’avons pas peur de la mort, qui n’est pour nous qu’une simple libération de notre corps de souffrance nous permettant de n’être plus qu’un esprit dans le grand Tout, ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être au lieu de nous incarner dans ce monde de souffrance. La perspective d’une mort imminente ne fait que nous rapprocher de ce grand accomplissement.
— Nos hommes d’armes et leurs familles ne partagent pas tous votre foi, et ils sont loin de partager votre enthousiasme devant le sort éventuel qui nous attend…
— Je pourrais leur parler.
— C’est une bonne idée.
Bertran D’en Marti admirait la force d’âme du seigneur de Montségur. Celui-ci avait toujours soutenu la cause des Parfaits et avait accepté comme une évidence d’accueillir sur le Pog toutes celles et tous ceux qui voulaient se mettre à l’abri de la croisade française. Pourtant, il avait fallu couvrir le sommet de la montagne de constructions précaires pour loger tous ces gens et gérer la vie d’un véritable village fortifié en un lieu qui n’était pas adapté à une telle densité, en plus du château qui s’y trouvait déjà. Ramon de Perelha avait assumé tout ça, sans jamais faire part de ses inquiétudes ou de ses interrogations. Avec sa femme Corba, ils élevaient une fille de quinze ans prénommée Esclarmonde qui était infirme des deux jambes. Ils lui donnaient beaucoup d’amour et ne se plaignaient jamais de la situation. Le couple avait aussi deux autres filles plus âgées et un garçon plus jeune.
— Faut-il s’inquiéter pour la préservation du trésor ? demanda l’évêque.
— Je suis en train de prendre des dispositions à ce sujet. Le fait de pouvoir aller et venir à notre guise en déjouant la surveillance des croisés devrait nous faciliter la tâche.
— Le problème n’est donc pas tellement de lui faire quitter le Pog, mais plutôt de savoir où le mettre en sécurité.
— J’imagine que vous avez une petite idée sur la question… supposa le seigneur de Montségur.
— Bien évidemment.