Arkanza, seul royaume libre de Terre d'Ici - Na-Bi Cadier - E-Book

Arkanza, seul royaume libre de Terre d'Ici E-Book

Na-Bi Cadier

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Beschreibung

Après cent ans de paix, Kaskashant, le plus sombre des sorciers, réussit à conquérir tous les royaumes de Terre-d'Ici par la guerre et la magie. Tous sauf un, le royaume d'Arkanza. Petite Ébène, recueillie par un couple de fermiers, rencontre Ethan, un enfant qui a su traverser la forêt interdite. Pour venir la rejoindre, il a été guidé par ce rêve d'une petite fille aux cheveux noirs, bien différente de lui, qui l'appelle du fond de son âme. Ces deux enfants héritent alors de la mission de retrouver l'Uni-Son, un son unique capable de rendre l'harmonie et l'Unité à Terre-d'Ici.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Chapitres

Réunir la famille

Fuir Kaskashant

Rejoindre Arkanza

Arkanza, le meilleur et le pire

Sauver Ethan

Changer le futur

Le libre-choix

Révélation

Métamorphose

Résolution

Aux enfants de ma famille qui construisent le présent et l’avenir : Salomée, Annaelle, Zélie, Coralie, Manyk, Sören, Anna et Liam.

À toutes les lumières frémissantes qui s’éveillent dans les cœurs des petits et des grands éclairant notre belle planète.

CHAPITRE 1

Réunir la famille

Il était une fois, dans l’immensité de l’univers, une planète nommée Terre-d’Ici. Cette planète, bien que minuscule, avait la particularité d’abriter une grande diversité d’espèces de minéraux, de végétaux, d’animaux mais également d’humains. De forme sphérique, Terre-d’Ici était composée en majorité d’eau. Un seul immense continent flottait à la surface, recouvrant le quart de la planète. Il avait été divisé en plusieurs royaumes, que les hommes se partageaient tour à tour au fil des conquêtes.

L’un de ces royaumes, celui de Karra, était réputé pour être le plus dur et le plus austère. Aussi petit que froid, le royaume de Karra avait la réputation d’être inhospitalier pour tous les étrangers. Peut-être était-ce dû à l’influence de Kaskashant, un puissant magicien malfaisant. Il s’y était établi avec son fils après avoir conquis presque tous les royaumes de Terre-d’Ici. Peut-être était-ce lié également, aux trois heures quotidiennes de soleil qui illuminaient ce royaume. La pénombre régnait le reste du temps, à peine éclairée par la lueur de la lune.

Non loin du château de Kaskashant, par-delà une épaisse forêt du royaume de Karra, vivait une fillette nommée Petite Ébène. Adam et Johanna, un couple de paysans, l’avaient recueillie lorsqu’elle était bébé, puis élevée avec leurs propres enfants et d’autres orphelins. Lorsqu’il l’avait trouvée près d’une rivière, Adam avait demandé aux alentours à qui il devait rendre ce bébé trouvé. Personne ne le savait, car aucune femme dans le voisinage n’avait donné naissance à un enfant depuis un an. Sans se poser plus de questions, le couple fut heureux de l’accueillir. Leur chaumière était ouverte à tous et il y régnait une ambiance chaleureuse qui faisait briller les yeux des enfants. Chacun participait aux tâches de la vie commune. Ils vivaient ainsi au rythme des saisons, se chamaillaient, pleuraient et riaient ensemble.

La famille avait appelé la fillette « Petite Ébène », à cause de sa petite taille et de ses cheveux aussi noirs que le bois d’ébène. Elle avait l’air distrait, pas malheureux, un peu ailleurs seulement. Petite Ébène se sentait impuissante et minuscule dans l’univers. Tout lui échappait : le temps, les gens, l’immensité de l’espace. Elle contemplait le monde en observant des phénomènes qu’elle trouvait étranges et intrigants, comme le saut d’une grenouille, les mystères des gouttes de pluie ou le vent furieux. Elle s’interrogeait sur les humains et leurs humeurs, regardant passer sa vie au milieu d’eux.

Elle avait prononcé son premier mot si tard qu’on l’avait cru muette jusqu’à l’âge de cinq ans. Quand une personne lui adressait la parole, elle la transperçait de son regard lointain pendant un long moment puis répondait d’un signe de tête ou simplement s’exécutait, avant de repartir dans ses rêveries. Elle avait quelque chose d’étrange que l’on respectait par crainte ; une crainte qui venait tout simplement de l’incompréhension que suscitait cette petite fille un peu à part.

Petite Ébène était aussi curieuse, aventureuse et courageuse. Ce qu’elle aimait par-dessus tout était jouer près du lac. Pendant les trois heures où le soleil brillait, toute la famille en profitait pour ramasser le bois, les plantes, les fruits et réparer la maison. Puis, quand le froid se faisait sentir, tout le monde se réunissait autour d’un grand feu pour continuer ses activités ou rentrait dans une grange isolée par des bottes de paille, à côté de la chaumière.

Petite Ébène, quant à elle, en profitait pour aller jouer seule près du lac, à l’orée de la forêt. Comme elle accomplissait bien sa part de corvées collectives, elle était autorisée à y aller tous les soirs. Aucun des enfants n’osait s’en approcher, car c’était un coin très sombre et mystérieux. Des légendes obscures protégeaient l’endroit de la venue des hommes, mais Petite Ébène ne semblait pas avoir peur. Elle se construisait des cabanes dans la pénombre et s’inventait des histoires pour elle toute seule, des histoires dont elle était l’héroïne. Elle ne rentrait à la maison que lorsque la nuit était complètement tombée.

Un soir de brume, alors qu’elle se trouvait au bord du lac, Petite Ébène entendit un craquement venant de la forêt. Au début, elle ne prêta aucune attention à ce bruit trop commun, mais il se répétait, et se rapprochait. Elle perçut comme des pas qui piétinaient des brindilles et se cacha derrière un rocher.

Elle vit alors déboucher de la forêt interdite un petit garçon rondelet à peine plus grand qu’elle. Ses pas maladroits se faisaient prudents. Peu sûr de lui, il scrutait les alentours, semblant chercher quelque chose. La lune éclairait parfaitement bien cette nuit-là, faisant briller les boucles dorées du garçon. Ses habits propres et soignés montraient qu’il devait être le fils d’un noble, peut-être un duc ou un baron.

Petite Ébène resta cachée pour l’observer. Une lumière s’alluma à l’intérieur de son cœur qui se mit à battre très vite. Comme une étoile filante, un élan soudain la submergea. Partagée entre le désir de l’aider et la peur qu’il la trouve, elle resta cachée et attendit. Des bruits se firent entendre derrière le garçon. Un cavalier en armure arriva par le côté de la forêt.

— Prince Ethan ! Que faites-vous ici ? On vous cherche depuis des heures !

— J’ai juste suivi un lièvre qui s’est mis à courir comme un fou, bafouilla l’enfant en regardant distraitement autour de lui, et… je me suis perdu. Vous ne direz rien à mon père ? supplia-t-il.

— Venez, rentrons, vous savez très bien que cette forêt vous est interdite. Je ne dirai rien à votre père si vous me promettez de ne pas recommencer. Il sera là dans deux jours.

Le cavalier prit le petit garçon sur le devant de sa selle et partit au trot, contournant la forêt. Petite Ébène, préoccupée par cette rencontre, rentra à la grange. Elle ne parla pas de sa découverte, et on ne l’interrogea pas, sa famille était habituée à ses silences.

D’aussi loin qu'elle se souvenait, Adam et Johanna avaient défendu aux enfants de pénétrer dans la forêt. Adam disait que plus on avançait, plus il y faisait sombre et froid, et qu’ensuite, il y avait un trou dans lequel tous les enfants tombaient. Ce petit garçon avait-il réussi à traverser la forêt sans tomber dans le trou ? Elle se promit de le découvrir. Le froid et la nuit n’arrêtaient pas Petite Ébène.

Le lendemain, la fillette laissa passer la journée comme toutes les autres. Mais ce jour-là, elle se sentait légèrement changée. Un mélange d’appréhension et de curiosité l’habitait alors qu’elle guettait l’arrivée de la nuit. Surtout, Petite Ébène s’efforçait de ne rien laisser paraître et d’agir exactement comme tous les autres jours, pour ne pas éveiller de soupçons. Instinctivement, elle savait que cette rencontre était importante pour elle, mais aussi interdite et peut-être dangereuse. L’image du petit garçon ne la quitta pas de la journée.

Quand la nuit commença à tomber, elle s’éclipsa discrètement et courut jusqu’au lac. Elle s’approcha prudemment de l’endroit où elle avait vu apparaître l’enfant. Immobile face à la forêt, celle-ci lui semblait immense et glaciale. Elle sonda quelques instants la pénombre entre les arbres, inspira une grande bouffée d’air comme avant de plonger dans l’eau, et décida d’y pénétrer. Si ce garçon avait pu traverser la forêt, elle le pouvait aussi. Une force irrésistible la poussait à le retrouver.

Commençant à petits pas, les jambes tremblantes, elle ne voyait pas à plus de deux mètres devant elle. Un mélange de peur et d’excitation serpentait dans son ventre. Son cœur battait fort. Tous ses sens étaient en alerte. Elle avançait prudemment, le souffle court et l’esprit clair. Les brindilles du chemin craquaient sous ses pieds, comme les pas du garçon la veille. Elle balayait les environs des yeux à l’affût d’une lumière ou d’une bribe de couleur. Des picotements l’obligeaient à les fermer souvent pour les soulager. La fillette progressait lentement, imaginant l’espace autour, se protégeant de ses bras griffés qui tâtaient le vide. Bientôt, la nuit fut plus noire que jamais.

Soudain, elle aperçut quelque chose de plus clair au loin, comme une boule blanche qui sautait d’un côté et de l’autre. Peut-être est-ce le trou qui mange les enfants ? pensa-t-elle. Son cœur s’accéléra. La chose se mit à japper. Un chien ? Petite Ébène prit peur. Ses jambes la portaient de moins en moins. Les chiens errants par ici voyageaient par bandes et n’hésitaient pas à attaquer s’ils avaient faim. Elle retint son souffle et s’apprêtait à rebrousser chemin, quand elle entendit une voix :

— Non ne pars pas… Viens m’aider, je suis coincé dans ce piège.

Petite Ébène se figea. D’où pouvait bien venir cette voix ? Est-ce que cette bête était dangereuse ? Devait-elle continuer ? Peut-être pas. Sa curiosité prit le pas sur sa peur et elle voulut en avoir le cœur net. Elle s’approcha doucement et se mit à penser très fort : je suis courageuse, je suis courageuse, je suis courageuse…

Alors, la voix lui répondit :

— Oui, tu es courageuse, je suis si content de te retrouver.

— Mais tu m’entends penser !

Elle ne put retenir ces mots qui sortirent tout seuls de sa bouche. Petite Ébène n’en croyait pas ses oreilles ! Mais entendait-elle vraiment la voix à travers ses oreilles ? Elle n’en avait pas l’impression. Cela venait de l’intérieur et résonnait profondément en elle. Elle n’entendait pas, elle ressentait les mots. Elle était convaincue que la voix venait de ce gros chien.

Le cœur battant, elle continua à avancer lentement. C’est alors qu’elle découvrit non pas un chien, mais un loup. Un beau loup blanc, la patte coincée dans un piège, avec des yeux doux et un regard fier, qui essayait de cacher sa souffrance. Il la regarda en face et elle ressentit à nouveau la voix :

— C’est moi. Ne t’inquiète pas, je suis venu te chercher. Délivre-moi s’il-te-plaît.

Les paroles de ce loup la touchaient, elle sentait ce qu’il éprouvait. La chaleur de son regard et la douceur de sa voix l’avaient envahie d’un sentiment inconnu auparavant, comme un sourire à l’intérieur du corps. La petite fille s’exécuta sans crainte. Elle s’agenouilla près du loup et tira de toutes ses forces pour desserrer les mâchoires de fer qui retenaient la patte ensanglantée.

Une fois libéré, le loup lui parla de nouveau :

— Je te cherche depuis très longtemps. Je suis ton père.

Petite Ébène écarquilla les yeux. Ce loup, son père ?

Il allait poursuivre quand ils entendirent des bruits au loin. De faibles lueurs commençaient à apparaître dans l’obscurité. Des torches. Sûrement la ronde du soir, lorsque les chasseurs vérifiaient leurs pièges.

— Vite, je n’ai pas le temps. Il me faut fuir ! Je sais où l’on peut me soigner, je reviendrai dès que je le pourrai ! Vavite !

La petite fille fit volte-face et courut aussi rapidement qu’elle le put dans la sombre forêt. Les ronces lui griffaient les jambes comme pour la happer. Elle trébuchait, se relevait et repartait, échappant aux bras crochus des branches. Elle arriva enfin au lac, les poumons en feu, le front et le dos en sueur. Après quelques instants, elle retrouva son calme et son souffle, mais ses pensées ne cessaient de se bousculer. Ce loup était-il vraiment son père ? Il lui disait qu’il était venu la chercher… Elle, si insignifiante. Comment était-ce possible ?

Lorsque Petite Ébène rentra chez elle, tout le monde avait déjà mangé. Elle aurait voulu se confier à une oreille attentive, mais craignait les reproches. Tous respectaient scrupuleusement l’interdit de pénétrer dans la forêt. Ils ne l’auraient sans doute pas comprise. Elle-même ne s’expliquait pas ce qui la poussait à braver l’interdit. Elle demeura préoccupée et silencieuse.

Personne ne lui posa de questions. Quelques-uns de ses frères et sœurs la bousculèrent pour plaisanter et voulurent jouer avec elle. Petite Ébène déclina l’invitation d’un faible sourire d’excuse et se mit au lit. Elle les entendait de très loin, comme si tout un monde les séparait. Elle avait souvent eu cette impression, mais ce jour-là, les parois de sa bulle s’étaient renforcées.

Elle ferma les yeux et plongea dans son refuge intérieur. Les contours du paysage de son propre monde, auparavant assez pâles, commençaient à prendre des couleurs. Quelque chose en elle avait changé. Elle réfléchit aux derniers évènements. Petit à petit, elle parvint à y voir plus clair. Une chose était sûre, ce loup ne lui voulait aucun mal. Elle l’avait ressenti à travers la vague de chaleur qu’il lui avait communiquée. Elle était de plus en plus convaincue qu’il était bien son père. Mais comment cela pouvait-il être possible ? Elle ne s’était jamais demandé d’où elle venait. Elle se rendait compte maintenant qu’elle avait traversé toutes ces années comme endormie dans du coton.

Aujourd’hui, le réveil était fulgurant et inattendu. Si ce loup était son père, alors qui donc était sa mère ? Et qui était le garçon de la veille ? Elle se promit de retourner dans la forêt pleine de mystères le jour suivant.

Le lendemain, dès la nuit tombée, Petite Ébène se précipita au lac. En arrivant sur place, elle ralentit l’allure et jeta d’abord un œil. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle découvrit sur la berge, le petit garçon de l’avant-veille. Il jetait des cailloux dans le lac et parfois, levait la tête vers les étoiles, songeur. Ses cheveux d’or brillaient à la lueur de la lune. Voyant qu’il était seul, Petite Ébène décida de se montrer. Elle avança doucement. Il la regarda attentivement. Puis elle perçut sa voix :

— Notre père m’a dit que je te trouverai ici.

Elle connaissait cette sensation. Là encore, elle n’entendait pas les mots, mais les ressentait.

— Je m’appelle Ethan. Je suis ton frère jumeau, on nous a séparés à la naissance. Je te reconnais parce que je t’ai déjà vue en rêve.

Elle ne savait que répondre. Prudente, elle ne dit rien mais pensa :

— Comment un frère jumeau peut-il être aussi différent de moi ?

Elle avait les cheveux noirs comme le charbon et lui, blonds comme les blés. Les yeux du garçon étincelaient d’un grisblanc, presque transparent ; les siens demeuraient sombres et opaques. Il lui parla cette fois à voix haute :

— Tu as vu notre père, le Loup Blanc que tu as délivré. Notre mère est là-haut, dit-il en montrant le ciel.

— Comment ça, là-haut ?

— Elle veille sur nous, mes yeux ont la couleur de sa robe, regarde.

Petite Ébène leva les yeux et regarda pour la première fois… la Lune. C’est alors qu’elle entendit comme un écho dans son for intérieur : bonne nuit, mon enfant. Elle resta un moment abasourdie. La seule chose qu’elle réussit à penser fut « la Lune me parle » ! Le souffle coupé, la bouche à demi ouverte, elle demeurait aussi immobile qu’une poupée de cire. Elle finit par articuler lentement :

— Alors la Lune est ma mère… Mais comment se fait-il que je ne le sache que maintenant ? Pourquoi ne m’a-t-elle jamais parlé avant ? Elle était pourtant là toutes les nuits.

— Oui, mais as-tu déjà seulement songé à la regarder avant ? demanda Ethan.

Petite Ébène réfléchit… Non, elle ne regardait jamais vraiment la Lune. Elle apercevait parfois son reflet dans le lac et cela lui suffisait pour savoir qu’elle existait. Il ne lui était jamais venu à l’esprit de lui parler. Comme elle ne penserait sûrement pas à parler à une table ou une botte de paille. Perpétuellement triste, dans l’attente de quelque chose qu’elle ne connaissait pas, elle avait été occupée à rêver, pas le nez en l’air, mais les yeux rivés par terre. Un sentiment de colère la submergea.

— Elle était là, elle était là, et je ne l’ai pas vue, mais comment est-ce possible ?

Elle répétait comme un automate :

— Je ne le savais pas ! Comment est-ce possible ! Je ne le savais pas !

Elle s’en prit alors à la Lune et hurla :

— Mais pourquoi tu ne m’as jamais parlé avant ? Pourquoi ?

Elle avait les larmes aux yeux, lorsque la voix de sa mère résonna en elle.

— Parce qu’il fallait que tu me regardes, assez longtemps pour que mon esprit trouve le tien, pour que nous soyons reconnectées. Mais tu ne pouvais pas le savoir… Ne pleure pas ma chérie, maintenant nous sommes réunies.

— Mais je ne pleure pas ! Je ne pleure jamais !

Ce qui était vrai, elle n’avait jamais ressenti l’envie de pleurer auparavant. Pourtant, à cet instant-là, un soulèvement la traversait. Le soulagement de toute cette attente venait se mêler au regret de n’avoir pas levé les yeux une seule fois. Elle ne réalisait que maintenant qu’elle avait attendu toutes ces années ces rencontres avec Ethan, le Loup Blanc et la Lune. Elle sanglota doucement, et son frère mit sa petite main potelée dans la sienne. Une vague de chaleur pareille à celle éprouvée avec le Loup Blanc lui apaisa le cœur. Les enfants restèrent assis sur la berge du lac, main dans la main, le visage tourné vers la Lune. Ils l’écoutèrent raconter.

Il y a fort longtemps, un Magicien Blanc, nommé Solomm, en charge de Terre-d’Ici était parvenu à faire vivre en harmonie les éléments et toute la vie sur la planète en émettant un chant unique : l’Uni-Son. C’était un son d’une telle beauté qu’il touchait les cœurs et donnait la vie. Chaque être vivant avait une place et cohabitait en harmonie comme les pièces d’un puzzle unique. Solomm avait créé l’Unité parfaite en chantant. Se sentant appelé à d’autres missions ailleurs dans l’univers, il voulut confier Terre-d’Ici à deux êtres qui s’accorderaient parfaitement pour veiller sur ce monde. Ainsi, en chantant une dernière fois, il unit Terre-d’Ici au ciel, créant sur la planète un Loup Blanc, animal instinctif et libre capable de guider la communauté et une Lune, dont la sagesse éclairerait tous les peuples avec douceur et sérénité.

Ensemble, la Lune et le Loup Blanc garantirent la paix et l’équilibre de Terre-d’Ici pendant cent ans. Puis, leurs chants emplis d’amour donnèrent la vie à des jumeaux aussi différents que complémentaires : Ethan et Ébène.

À leur naissance, un sombre sorcier qui convoitait Terre-d’Ici, bouleversa l’équilibre en faisant voler en éclat le puzzle. Il s’appelait Kaskashant. Il enferma le Loup Blanc dans un coin reculé de la planète et s’empara des enfants encore nouveau-nés. Il voulut faire disparaître la fillette qui fut finalement recueillie par Adam et Johanna et il emporta Ethan avec lui, qui devint officiellement son fils. Il l’éduqua dans la terreur, espérant utiliser sa puissance plus tard pour dominer Terre-d’Ici. Kaskashant empêcha également la Lune de contacter ses enfants. Il entoura son château d’une bulle magique qui empêchait l’esprit de l’astre d’arriver jusqu’à celui de son fils. Il introduisit dans le cœur de la fillette cette tristesse infinie. Elle baisserait ainsi la tête toute sa vie et ne lèverait jamais les yeux vers sa mère.

— C’était donc ça qui me poussait à aller jouer près du lac chaque soir ? Il n’y a que là que je me sentais bien. C’est parce que je peux y voir ton reflet ?

— Oui ma chérie. J’espérais que malgré le sort, cela te donnerait l’idée de lever la tête vers moi… Vous n’avez que trois heures de soleil par jour car je repousse l’heure de mon coucher, et j’avance celle de mon lever, pour être visible plus longtemps, plus souvent… Je ne voulais pas manquer le moment où l’un de vous lèverait les yeux sur moi car sans contact, j’étais impuissante à vous aider. Je vous ai regardés grandir.

Kaskashant conquit par la force et la magie presque tous les royaumes de Terre-d’Ici. Seul celui d’Arkanza demeurait imprenable. Depuis lors, le monde était entré en déséquilibre. Les étés devinrent trop chauds et les hivers trop froids ; les récoltes maigres et les forêts étouffantes. Une maladie mortelle commença à se répandre, la maladie verte. Elle était très contagieuse. Appauvris et menacés, les gens devinrent aigris et méfiants.

Pendant ce temps, le Loup Blanc réussit à se libérer et parvint à traverser Terre-d’Ici pour rejoindre ses enfants, guidé par la Lune. La distance était grande et les embûches nombreuses. Ce n’est qu’après sept ans de course effrénée qu’il put arriver jusqu’à Ethan.

Malgré la surveillance constante du petit garçon, il put enfin le rencontrer et lui raconter l’histoire de ses origines. Ethan, tout d’abord sur ses gardes, avait rapidement accepté l’histoire, sentant la sincérité des paroles du Loup. Il était surtout intrigué par l’existence d’une sœur qu’il avait souvent vue en rêve. Bravant les interdictions de traverser la forêt et sa peur des dures représailles de Kaskashant, son père adoptif, il était arrivé jusqu’au lac.

Le lendemain, le Loup Blanc, épuisé par son périple, s’était laissé prendre à l’un des pièges posés par les chasseurs, et en avait finalement été délivré par sa fille.

Le seul moyen pour que l’Unité ait une chance d’être rétablie était que toute la famille soit réunie en un seul endroit. Ainsi, le Loup, la Lune, Ethan et Ébène pourraient se reconnecter ensemble, partageant une même énergie. Puis, le Loup Blanc et la Lune pourraient chanter l’Uni-Son et rétablir l’équilibre et l’harmonie sur la planète.

Maintenant, les enfants attendaient le Loup Blanc qui, retardé par ses blessures, avait envoyé Ethan rejoindre sa sœur près du lac. La famille était presque au complet. Assis sur un rocher, les yeux tournés vers leur mère, ils écoutaient sa voix douce et mélodieuse. Petite Ébène ne pouvait s’arrêter de contempler la Lune. Elle voyait défiler des images dans sa tête à mesure qu’elle racontait. Son récit était finalement un mélange de toutes les histoires qu’elle avait imaginées jusque-là en jouant au bord du lac. Toutes ces informations lui faisaient tourner la tête mais elle se sentait aussi soulagée, comme on peut l’être quand on arrive à la maison après un grand voyage. Ethan avait eu de nombreux rêves avec une fillette aux cheveux noirs qu’il reconnaissait maintenant. La Lune était aussi très présente dans ses pensées nocturnes mais jamais, lui non plus, n’avait songé à la regarder.

— J’essayais de te contacter par tes rêves, lui confia la Lune. Mais le matin souvent, ils s’évaporaient.

Soudain, les enfants entendirent au loin des aboiements de chiens, des hurlements d’hommes et des coups de fusil. Ils sautèrent sur leurs pieds, alertes, scrutant l’orée de la forêt. Le vacarme s’intensifiait. Leurs yeux interrogèrent leur mère. Ethan avait terriblement peur d’être rattrapé par Kaskashant.

— C’est votre père, leur dit-elle. Les hommes ont peur de traverser la forêt, ils la contournent mais les chiens le poursuivent. Ils viennent par ici.

Petite Ébène se dressa :

— Que peut-on faire ?

— Vous ne pouvez rien faire pour lui. Cachez-vous ! Si les cavaliers de Kaskashant vous voient ensemble maintenant, ils risquent de vous tuer !

Les enfants eurent à peine le temps de plonger derrière le rocher que le Loup Blanc jaillit de la forêt, trois chiens lui mordant les jarrets. Arrivé au bord du lac, il s’arrêta. D’autres chiens bondirent à leur tour des arbres et commencèrent à l’encercler. Les enfants virent le Loup Blanc lever les yeux vers la Lune et lui dire quelque chose qu’ils n’entendirent pas. Puis, il s’adressa à eux les sachant tout près. Les enfants ressentirent ses mots sans même le voir.

— Tout est fini et tout commence. Je suis trop fatigué d’avoir couru pendant sept ans. C’est à vous maintenant de veiller sur Terre-d’Ici. Ensemble, vous pouvez vaincre Kaskashant et faire retrouver l’Unité à notre planète. Je ne serai jamais très loin.

Il ajouta à bout de souffle :

— N’oubliez pas : vous êtes complémentaires. Unissez vos forces et ne vous séparez jamais. Nous sommes tous Un.

Le Loup Blanc fit alors face aux chiens de la ronde, les regardant un par un dans les yeux. Un combat infernal commença. Ce fut un mélange d’aboiements, de grognements et de jappements. Le sang, la terre, les poils jaillissaient de ce tas de fureur. Le Loup lutta jusqu’à la fin. Le croc d’un petit chien à hauteur de gorge lui fut fatal. Il s’effondra dans un râle terrible qui déchira le cœur des enfants.La Lune saigna ce soir-là. L’horizon rougit et la pluie tomba pendant quarante heures sans interruption. Tout était fini et tout commençait…

CHAPITRE 2

Fuir Kaskashant

Après la mort du Loup Blanc, d’épais nuages noirs couvrirent le ciel, laissant tomber une pluie torrentielle. La Lune était invisible et ne pouvait communiquer avec Petite Ébène et Ethan.

Lorsque la garde de Kaskashant fut partie, les enfants déjà trempés trouvèrent refuge sous un arbre. Petit Ébène proposa à son frère de venir avec elle chez Adam et Johanna. Ethan, peu habitué à décider pour lui-même, ne savait que choisir. Il était partagé entre le désir de rentrer chez lui et la peur d’être puni. Il pensait aux bons repas que les cuisinières lui confectionnaient, mais la perspective d’être réprimandé par Takar, le cruel bras droit de Kaskashant le terrorisait. La punition consistait en vingt et un coups de bâton et trois jours au cachot sans manger. Elle était fréquente s’il contrariait Kaskashant. Il encaissait maintenant bien les coups, mais la privation de nourriture restait une torture.

Bouleversé par la découverte d’une toute nouvelle famille, le petit garçon ne savait plus qui croire. Kaskashant lui avait raconté que sa mère était morte en lui donnant la vie et que lui, son père, avait bien voulu le garder. Ethan devait s’estimer heureux qu’il ne l’ait pas donné ou tué. L’enfant le savait assez fou pour en être capable. À la place, Kaskashant lui avait offert le gîte et le couvert. En échange, le garçon lui devait une loyauté et une obéissance sans faille. Il admirait Kaskashant autant qu’il le craignait et avait déployé de grands efforts pour contenter ce père exigeant.

Pourtant, Ethan ne sentait aucun point commun avec lui. Kaskashant était un puissant sorcier, grand et mince, la mâchoire saillante. Son œil droit luisant et plissé semblait réfléchir en regardant l’horizon. Il était perçant, déterminé, calculateur. Son œil gauche, grand ouvert et à l’affût du moindre danger, bougeait sans cesse de tous côtés. Il surveillait, affolé, tel un poisson pris dans un filet. Kaskashant détestait son profil gauche et bien souvent essayait de le corriger en grimaçant dans le miroir, en vain. Entre ses yeux, un grand nez busqué marquait la frontière pour bien signifier que ces deux yeux n’étaient pas du même clan. Son air mi-glacial mi-effaré tenait à distance n’importe quel être vivant. Personne ne savait à quel œil s’adresser, alors tous baissaient le regard. Ethan ne faisait pas exception et se soumettait à la moindre injonction. Il vivait dans la terreur d’un éventuel faux pas qui réveillerait la bête enfermée dans son père.

Ethan, lui, était tout en rondeur, son corps à l’image de son intérieur. D’un naturel doux et calme, il préférait humer les odeurs des cuisines en devinant les ingrédients plutôt que d’accompagner Takar dans ses tournées sanglantes. Celui-ci, chargé de sa formation aux armes, lui répétait qu’il ne serait jamais un « vrai mâle à son image, dur et cruel comme la vie ». Ethan n’avait aucune envie de ressembler au lieutenant de son père et s’efforçait d’attendre que le temps passe en minimisant les dures corrections de Takar.

Neptice, la sœur de Kaskashant tenait à lui dispenser des cours de magie en cachette de son père. C’était leur secret à eux. Pour une raison qu’il ignorait, sa tante n’avait plus de pouvoir mais encourageait patiemment Ethan à apprendre la magie. Pourtant, là non plus, l’enfant n’obtenait aucun résultat. Il sentait qu’il n’était décidément ni un bon guerrier, ni un bon sorcier, ni un bon fils.

Mais lorsque le Loup Blanc était venu le trouver, un autre sentiment avait émergé. La chaleur et l’amour qui émanaient de ce père-ci, lui insufflaient une confiance inébranlable. Il se sentait capable de déplacer des montagnes. Cela n’avait rien en commun avec tout ce qu’il avait connu jusqu’alors. En se souvenant de ces sensations agréables, Ethan les ressentit encore plus profondément. C’était comme mordre dans un délicieux gâteau au chocolat en savourant la crème qui coule entre les papilles.

Au bord de la confusion entre ces deux pères, Ethan suivit son intuition. Depuis toujours, ses rêves lui murmuraient de précieuses informations qu’il oubliait souvent au réveil. Mais cette sensation si familière qu’avaient laissée les yeux de Petite Ébène dans ses songes brillait comme une étoile à suivre. Il se laissa donc guider par cette petite fille étrange, la seule personne en qui il avait vraiment confiance.

Impatiente que son frère prenne une décision et grelottant de froid, Petite Ébène le prit par la main et l’emmena chez elle. Ethan suivit docilement. Lorsqu’ils virent le petit garçon habillé de ses vêtements princiers, Adam et Johanna comprirent que quelque chose s’était passé, que le danger approchait pour tout le monde.

Encore dégoulinante, Petite Ébène avait déclaré à ses parents surpris :

— Je ne peux tout vous expliquer maintenant. Nous sommes épuisés. Est-ce qu’Ethan peut dormir ici cette nuit ? Nous partirons demain. Nous devons nous enfuir car Kaskashant va nous chercher. Je ne sais pas quand nous nous reverrons. Jamais Petite Ébène n’avait pris la peine de formuler autant de phrases à la suite. Depuis son arrivée dans la famille, douze ans auparavant, le couple sentait qu’elle était différente. Ils devinaient en elle une force latente, indomptable et mystérieuse. Des manières d’agir singulières qui ne venaient pas d’ici. Sans savoir qui elle était vraiment, ils se doutaient que son passé ressortirait un jour.

Le lendemain matin, Adam et Johanna donnèrent aux enfants des vivres et le peu d’argent qu’ils purent réunir. Ethan reçut d’autres vêtements pour passer inaperçu. Malgré leur inquiétude pour les enfants, ils les laissèrent partir, comprenant que c’était leur seule chance d’échapper à Kaskashant. Le cœur serré, ils les regardèrent s’éloigner sous la pluie.

En marche depuis quelques minutes seulement, les enfants sentirent trembler le sol. Ils se jetèrent tous deux dans les fourrés et manquèrent de se faire écraser par une horde de chevaux. Ethan reconnut les cavaliers de Takar qui se dirigeaient vers la maison d’Adam et Johanna. Petite Ébène le comprit tout de suite au regard apeuré de son frère. Un éclair lui traversa le ventre. Elle se mit à courir derrière les cavaliers. Ethan la rattrapa et la plaqua au sol de tout son poids pour l’empêcher d’y aller. Petite Ébène se débattit avec tant de force qu’Ethan fut obligé de l’assommer avec une branche pour l’empêcher d’aller se faire tuer. La petite fille s’évanouit. Ethan regretta son geste. Et s’il l’avait lui-même tuée ? Il la secoua en criant fort, tremblant de tous ses membres. Elle ne se réveilla pas. Il plaqua son oreille contre son cœur. Celui-ci battait encore. Il se laissa tomber de soulagement.

Au loin, on entendait les cris des enfants et les chocs des épées contre les outils d’Adam et Johanna qui tentaient de défendre leur famille. Le petit garçon n’avait pas besoin d’aller voir. Il connaissait ces scènes par cœur. Takar, sur les ordres de Kaskashant, l’avait plusieurs fois emmené avec lui « pour le former et l’endurcir » disait-il. Ethan, à l’époque, restait pétrifié devant le spectacle des corps sans vie et des maisons brûlées. Il savait exactement ce qui était en train de se passer pour la famille de Petite Ébène. Il se recroquevilla en s’accrochant à sa sœur toujours inconsciente, et sanglota de peur.

Lorsque Petite Ébène se réveilla, elle ne se souvenait plus ce qu’elle faisait ici. Ethan, les yeux rougis, n’osait pas la regarder et se contenta de lui prendre la main. Petite Ébène sentit pour la première fois comme une onde la traverser et des images apparurent dans sa tête. Elle ne pouvait les contrôler. C’était un flash très rapide de tout ce qu’Ethan avait perçu pendant qu’elle était inconsciente. Elle ressentait également la peur, la rage et la honte qui avaient traversé son frère. En entendant les combats sanglants entre Takar et sa famille, elle hurla de douleur et courut vers les ruines de son ancienne maison. Cette fois-ci, Ethan ne la retint pas. Les cavaliers étaient partis, il ne restait rien après leur passage, comme à l’accoutumée. Il la rejoignit lentement, la tête baissée, honteux de ce qu’avaient fait les cavaliers de son père. Ce n’était pas lui qui avait tué Adam et Johanna mais il se sentait terriblement coupable. Un mal commença alors à le ronger, pareil à un rat qui se frayait un chemin dans son ventre.

Ethan découvrit Petite Ébène en larmes, le visage noir de charbon, parmi les braises de sa maison. Elle le regarda sans le voir, les épaules basses, le visage embrumé, comme absente de son corps. Elle s’évanouit une nouvelle fois. Ethan courut vers elle, s’agenouilla et la prit dans ses bras. Que faire ? Démuni, il demeura de longues heures au milieu des ruines encore fumantes, accroché à sa sœur, le corps terrassé par l’angoisse.

Soudain, Ethan sentit un faible courant électrique le tirer de sa torpeur. C’était comme des picotements au bout des doigts qui remontaient dans les bras et finissaient par gagner tout son corps. Il vit alors une lumière bleutée soulever Petite Ébène. Toujours inconsciente, elle se mit à flotter en l’air, puis se déplaça lentement, comme portée par une force invisible. Le petit garçon avait déjà vu un pareil phénomène dans un livre de sa tante Neptice. Celle-ci avait essayé de lui enseigner à déplacer les objets à distance mais il n’était parvenu à soulever qu’un coin de table pendant quelques secondes. Ethan n’était pas rassuré. Il ne connaissait qu’une seule personne capable de faire flotter les corps de la sorte et c’était Kaskashant lui-même. Voulant la retenir, Ethan lui attrapa le bras. Il sentit une douce chaleur l’envahir, qui lui rappela celle du Loup Blanc. Finalement, il suivit le corps flottant, accroché à la main de Petite Ébène. Celle-ci, toujours inerte, enveloppée de la lumière bleue, déboucha dans une clairière aux herbes hautes. Au milieu de la clairière se trouvait une petite cabane au toit rond et brillant, faite d’un matériau qu’il ne connaissait pas. Malgré sa peur de s’approcher, il ne pouvait pas lâcher sa sœur, une force incompréhensible les avait soudés. Il se laissa entraîner de plus en plus près de la cabane. La seule chose qui le rassurait était que la chaleur qu’il sentait ne ressemblait en rien à la froideur de son père.

La porte de la cabane s’ouvrit d’elle-même. Le corps de Petite Ébène entra, traînant un Ethan tremblant à sa suite. La force invisible les dirigea sur la droite pour déposer Petite Ébène à même un tapis couvert de coussins. L’air sentait la violette. Une soupière fumante et un bouquet de fleurs trônaient sur une table ronde au milieu de la pièce.

— Bonjour ! fit une voix grave et forte. Ethan sursauta, pensant se retrouver face à son père. Il aperçut alors dans le coin opposé de la pièce un grand guerrier au regard franc et jovial.

— N’aie crainte Ethan, je suis là en ami. Je m’appelle Mogodor.

— Bonjour, murmura Ethan cramponné à sa sœur, plus pour se rassurer que la protéger.

— Nous allons laisser Petite Ébène se reposer un moment.

Elle est en train de faire quelque chose de très important pour elle, qui va l’aider à aller mieux.

Après quelques hésitations, Ethan consentit à lâcher la main de sa sœur et s’avança vers la chaise tendue par ce grand et curieux guerrier.

— N’aie pas peur, ton père le Loup Blanc m’a prévenu de ce qui vous arrivait. Il s’inquiétait pour vous et c’est pourquoi il m’a chargé de venir vous trouver, lui dit-il en mettant la table.

Ethan n’osait pas dire un mot. Ce guerrier avait l’air de connaître son prénom et le Loup Blanc. Il lui inspirait plutôt confiance. Il était rassuré de rencontrer quelqu’un d’accueillant sur lequel se reposer un moment. Mogodor, en mangeant, parlait de tout et de rien, de grands « slups » ponctuant ses phrases. Sa voix berçait l’enfant qui peu à peu se détendit. Il se mit à manger goulûment en imitant les « slups » de Mogodor.

Lorsque Petite Ébène entrouvrit les yeux, l’odeur de la violette vint lui chatouiller les narines et la rassura immédiatement. Elle entendait les gouttes de pluie marteler le toit de la cabane. En regardant autour d’elle, elle vit son frère en discussion avec ce qui semblait être un guerrier, grand et fort. Ils n’avaient pas remarqué son réveil et elle en profita pour les observer, les yeux mi-clos. Comment s’était-elle retrouvée ici ? Cet homme lui paraissait plutôt gentil mais elle restait vigilante, prête à bondir à la moindre alerte. Elle n’avait pas oublié que les cavaliers de Kaskashant les cherchaient toujours. Restant sur ses gardes, elle s’étira, se leva et s’avança prudemment, attirée par la soupe qui lui rappelait son estomac creux.

— Bonjour Petite Ébène, te souviens-tu de tes rêves ? lui demanda Mogodor.

— Non, fit-elle de la tête, impressionnée par ce guerrier, qui même assis, la dépassait en taille. Elle tendit la main pour prendre celle d’Ethan espérant avoir un flash de ce qui s’était passé lorsqu’elle était endormie. Elle vit son corps flotter dans l’air au bout de la main d’un Ethan apeuré, la cabane au toit rond scintillant, et la rencontre de son frère avec le guerrier. Le petit garçon tressaillit. Non seulement Petite Ébène avait vu tout ce qu’il avait vécu lorsqu’elle était inconsciente, mais Ethan avait lui aussi accès à ce qui s’était passé dans la tête de sa sœur quand elle dormait. Il la vit plonger dans l’eau et nager à travers des algues, puis arriver dans un immense endroit cylindrique entouré de falaises immergées. Des gens habitaient dans les murs du cylindre. Adam, Johanna et quelques enfants s’avançaient vers elle. Ils parlèrent beaucoup ensemble et s’enlacèrent. Ethan comprit qu’elle leur disait au-revoir. Il décrivit ce qu’il avait vu. Petite Ébène ne se souvenait de rien. Elle gardait cependant un sentiment apaisé de ses rêves et n’avait plus envie de pleurer lorsqu’elle pensait à Adam et Johanna.

Lorsqu’elle voulut ouvrir la bouche pour demander de la soupe, aucun son ne sortit. Elle se racla la gorge, respira un grand coup et recommença. Rien. Pas de son, seul son souffle ressortait.

— Mais pourquoi je n’arrive plus à parler ? pensa-t-elle.

— Tu as peut-être perdu ta voix dans l’incendie de ta maison, suggéra Mogodor.

— Mais tu fais comme nous ? s’étonna Ethan.

— Oui je suis comme vous, je suis télépathe.

Petite Ébène porta ses mains à sa gorge et regarda autour d’elle comme si sa voix était tombée quelque part dans la pièce. Elle finit par poser les yeux sur le guerrier puis sur son frère qui la regardait aussi un peu perplexe. Comment cela avait-il pu arriver ? Pendant combien de temps ne pourrait-elle plus parler ? Elle ne pouvait pas croire qu’elle ne reparlerait jamais. Un sentiment d’impuissance surgit. Qu’allait-elle pouvoir faire sans la parole ? Il est vrai qu’elle n’était pas très bavarde mais être privé de la parole est une tout autre chose.

— Ne panique pas, dit le guerrier tout haut, ta voix reviendra quand il sera temps. Pour l’instant, développe la télépathie, tu en auras besoin pour ne pas être coupée du monde. Ces mots la calmèrent légèrement mais le choc persistait en elle. Un air farouche de défi apparut sur son visage comme si tous ses autres sens s’éveillaient pour survivre.

— Je suis un ami de votre père du temps où nous étions dans l’Eau-de-Là. Avez-vous déjà entendu parler de l’Eaude-Là ?

— …

— Peut-être pas, c’est parfois un peu secret.

Mogodor soupira.

— L’Eau-de-Là est un grand lac duquel provient tout ce qui vit sur Terre-d’Ici et où va tout ce qui meurt.

Ethan et Petite Ébène réfléchirent. Non, personne ne leur en avait jamais parlé. Ethan se souvint qu’il avait demandé à Neptice d’où l’on provenait avant de naître mais sa question était restée sans réponse. Petite Ébène de son côté s’était déjà demandé où on allait quand on mourait, mais n’avait pas obtenu plus de réponses d’Adam. Cependant, elle pressentait que cela avait un rapport avec son rêve d’Adam et Johanna.

— Dans ce lac, il y a tout un monde. Il y en a même plusieurs à vrai dire. En bas, il y a le Monde des Algues. C’est de là que viennent la plupart des gens qui nous entourent. Ce sont ceux qui travaillent pour se nourrir, qui rient, qui pleurent, qui se bagarrent et se réconcilient. Ils sont sur Terre-d’Ici pour expérimenter certains aspects de la vie. Par exemple, si une âme veut apprendre la responsabilité d’élever des enfants, elle va venir sur Terre-d’Ici pour être un père ou une mère de famille. Ensuite, elle repart avec cette expérience.

— Oh ! On dirait l’endroit que j’ai vu dans le rêve de Petite Ébène ? s’exclama Ethan. Il y avait plein d’algues partout et les gens habitaient dans les murs !

— Oui, Adam et Johanna font partie du Monde des Algues. C’est bien cet endroit-là que tu as vu.

Fier de lui, Ethan avait le sourire jusqu’aux oreilles.

— Un peu plus haut, reprit Mogodor, dans le Lac de l’Eaude-Là, il y a le Monde des Coraux. C’est de là que vous venez tous les deux. Mogodor s’arrêta un moment pour laisser le temps aux enfants de réfléchir à ce qu’il venait de dire. Ils avaient redoublé d’attention lorsqu’il avait parlé du monde d’où ils venaient et attendaient la suite.

— Dans le monde des Coraux, il y a les personnes qui sont appelées à guider. Avant, vous faisiez partie du Monde des Algues et, d’expérience en expérience sur Terre-d’Ici, vous êtes parvenus à être assez qualifiés pour vous essayer à la guidance. Donc, vous avez changé de monde et êtes allés dans celui des Coraux. Petite Ébène voulut intervenir mais aucun son ne sortit. Elle se résigna à demander en pensée : — Mais pourquoi on ne sait pas tout cela ?

— Parce que lorsque nous venons sur Terre-d’Ici, nous oublions tout pour ne pas être encombrés de trop de souvenirs, afin de pouvoir se consacrer à l’expérience du moment. Quand nous rentrons dans le Lac de l’Eau-de-Là, la mémoire nous revient.

Petite Ébène perplexe plissa les yeux :