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"Au comble de l’ascension" est un roman inspiré d’une histoire vraie, qui dévoile le parcours de Candice, une femme déterminée à ne jamais échouer et à s’élever sans cesse. Ses défis, traversant des domaines variés de l’existence humaine, captivent le lecteur. D’abord, à travers des trekkings en solitaire dans les hauteurs, Candice poursuit son rêve : conquérir l’Himalaya, une chaîne montagneuse mondialement célèbre. Ensuite, son engagement humanitaire, nourri par une grande générosité et un profond désir de justice, l’amène à œuvrer pour un monde de paix et de bonheur. Grâce à ses talents d’organisation et de partage, elle dépasse sa propre personne. Enfin, le point culminant de son ascension est un progrès spirituel, l’ultime étape que chaque être humain aspire à atteindre pour véritablement grandir.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Julénia Mont-Erarg Alidor est une femme de combat, engagée dans l’enseignement qu’elle a vécu comme un sacerdoce. Grâce à une formation unique, elle a su accompagner les élèves en difficulté avec générosité et humilité. Sa contribution à la formation des jeunes guadeloupéens a été essentielle. Toutefois, sa passion pour l’enseignement a été complétée par la fureur d’écrire. À la retraite, elle publie chaque année, explorant tous les genres littéraires pour nourrir sa vision du monde et transmettre des messages d’inspiration et de performance aux jeunes, qui demeurent sa source d’inspiration constante.
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Seitenzahl: 249
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Julénia Mont-Erarg Alidor
Au comble de l’ascension
Roman
© Lys Bleu Éditions – Julénia Mont-Erarg Alidor
ISBN : 979-10-422-5385-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Tourmendamour
, recueil de poèmes, paru en juillet 2003, éditions ADELCA, réédité en octobre 2008 ;
La veuve noire
, paru en mai 2005, éditions La Bruyère, réédité en février 2018, éditions Nestor ;
Soleil Manbia
, paru en octobre 2009, éditions La Société des écrivains ;
Pèbonho
, paru en novembre 2010, éditions Jets d’Encre ;
Tandakayou dans la tempête
, paru en mars 2011, éditions Jets d’Encre ;
Les jeunes ont besoin d’être aimés
, essai, paru en février 2012, éditions Jets d’Encre ;
Écho de maux en mots
, recueil de poèmes, paru en mars 2013, éditions Nestor ;
Lylynou sera grande sœur
, album de jeunesse, paru en janvier 2014, éditions Nestor ;
JESAISTOUT et le ruban magique
, jeunesse, paru en septembre 2014, éditions Nestor ;
Muscadine et la Rose porcelaine
, album de jeunesse, paru en mars 2015, éditions Nestor ;
Débâcle
, paru en mars 2015, éditions Nestor ;
Destination Planète-vie avec Simou
, album de jeunesse, paru en juillet 2015, éditions Nestor ;
Le dernier salut
, paru en juin 2016, éditions Nestor ;
Nynou au pays des livres magiques
, Tomes 1 et 2, albums de jeunesse, parus en avril 2017, éditions Nestor ;
Kimy et Timèk – Dis-nous grand-père
, album de jeunesse, paru en juillet 2018, éditions Nestor :
Le poids de l’héritage
, paru en octobre 2019, Le
Lys Bleu Éditions.
Ce roman est tiré d’une histoire vraie.
Être en quête permanente de son accomplissement est le propre de l’être humain. Celui qui est parvenu à transformer ce rêve en réalité est un homme heureux. Aujourd’hui, je suis en voie d’accéder pour la deuxième fois au privilège de l’émerveillement de l’ascension d’un des nombreux pics de l’Himalaya. La conscience du progrès réalisé m’accorde de plus en plus d’aptitudes pour faire de mon existence quelque chose de valable. Ce à quoi j’ai toujours aspiré. Ce qui compte vraiment dans ma vie. Malgré la force avec laquelle j’appuie sur mon piolet pour franchir ces derniers mètres, j’ai l’impression de ne pas sentir mes pieds, tellement est forte la sensation de voler.
Je tends la main comme pour saisir ce qui s’offre à ma vue. L’éblouissement est à son comble.
Enfin, la dernière crête ! Le soleil inonde de toute sa splendeur le mamelon qui domine ce haut lieu.
Waouh ! Hourra ! Hourra ! J’y suis ! Je n’ai jamais pensé que je l’atteindrais ! Le couronnement de tous mes efforts de tant d’années !
Oui, j’y suis ! J’y suis parvenue ! Quelle montée ! Quelle escalade ! Une prodigieuse élévation à travers cette montagne aux multiples sommets les plus hauts du monde.
Mais, mais, mais…
Ma respiration redevient difficile ? Mon pouls s’accélère ? Oh, Mon Dieu, je reviens à mon précédent état de déprime ! Ma vue se brouille ! Tout est sombre ! Moi qui ai, l’espace d’un moment, pensé que la joie de ma réussite m’avait spontanément sortie de l’anéantissement ! Je ne vois plus rien ! Que se passe-t-il ? Mais je tombe ? Oui, je m’écroule et mon épiderme, devenu trop sensible, accuse l’énorme douleur de son contact avec le sol rugueux qui se répand sur toute sa surface. Je m’étale. Et puis ? Plus rien. Aucune sensation. Aucune lucidité.
Le vide. C’est le vide qui domine. L’inconscience.
Je me réveille au bout de combien de temps ? Je ne sais. La seule réalité est qu’une odeur incommodante de vomissure empeste tous les environs immédiats de l’atmosphère.
« Quoi ? Quelle est cette pourriture ? Qui me voudrait du mal au point de déféquer juste là où il faut pour susciter mes sensations olfactives ? »
Cette forte odeur pestilentielle continue à s’entêter, à me déranger, à me secouer, à me forcer à émerger de mon état de pâmoison.
Et subitement, un cri. Un cri qui s’élève de ce que j’ai de plus profond en moi. Mon âme ? Il s’agit bien de cela ?
« Mais, mais c’est moi ? J’ai vomi ? »
Pendant qu’à l’aide de mon petit appareil magnétocassette j’enregistre tous mes changements d’état, mes yeux mi-clos, encore enflés par la fatigue, me permettent de percevoir, à travers le léger flottement d’un mince brouillard, le flot de dégueulis qui se répand sur une espèce de nappe noire et âpre.
Vivement, mes sensations m’obligent toujours à m’interroger : « Et moi alors, comment me positionner par rapport à ce que je crois voir s’étaler par terre ? »
Par terre ? Suis-je aussi par terre ? Oui, je pense, la scène se passe par terre. Mais moi, suis-je aussi par terre ? Je ne suis pas encore apte à connoter ma situation. Encore moins lui donner un sens. C’est comme si mon corps s’était séparé de ma tête. Un brin de lucidité se pointe tout doucement dans les replis de mes cellules nerveuses et s’active avec une lenteur comparable à la vitesse de la perfusion. Tandis que ce qui représente le reste de ma morphologie semble bizarrement flotter dans une espèce d’ouate. « Drôle d’impression. »
N’empêche qu’un soudain déclic se fait jour dans mon cerveau. Une voix impérieuse s’adresse à moi :
« Tu dois, d’une façon ou d’une autre, t’organiser pour te sortir de ce pétrin. Tu es mal, très mal. Tu files un mauvais coton. Dépêche-toi de décamper. C’est dangereux pour toi. »
À ce moment, j’entreprends de bouger un membre après l’autre. La charpente osseuse. La tête. L’impression d’engourdissement dans lequel je plonge encore s’acharne dans une lutte pour m’interdire de réaliser ce projet qui m’est imposé : me lever à tout prix. Me mettre debout. De mon côté, opposant mes atouts physiques et surtout volontaires, je parviens à m’en sortir. À rassembler tout ce qu’il me faut comme force pour me redresser.
Enfin, péniblement parvenue en position verticale, comme une étrangère, je pars en quête de toutes les parties de ma silhouette. Je m’examine. Les pieds protégés par de solides chaussures de randonnées à tige haute de couleur orange et noir reposent sur un sol tout noir, rocailleux. Les mains enfilant des gants noirs bougent aisément. L’énorme sac à dos noir Black Diamond encore bien accroché aux épaules ne provoque aucune douleur aux vertèbres. Le piolet sagement suspendu au poignet par l’intermédiaire de la dragonne s’agite avec élégance. Comme mû par une extraordinaire intelligence, ce bâton terminé par une lame s’est positionné tout à fait à la bonne place et a évité de me blesser au moment de mon écroulement.
Je tente de mettre un pied devant l’autre, afin de tester ma capacité à rependre ma marche supposée interrompue. Je heurte quelque chose. Heureusement, mes lourdes chaussures ne l’attaquent pas totalement. Je baisse la tête et découvre mes superbes lunettes d’escalade orange projetées à un mètre du point de ma chute. Plaçant avec amour sur mon nez mes prodigieuses protections indispensables en montagne, je me hasarde à regarder tout autour de mon point d’observation.
D’abord, cette roche noire que je foule déclenche chez moi un mouvement d’excitation indéfinie. Et les souvenirs s’acharnent en boucle.
« Le Kala Patthar ! Le Kala Patthar ! » Recevant en retour les échos de ma voix, je m’acharne à crier de manière effrénée. Le Kala Patthar, point que je me suis fixé. Le défi que je me suis imposé de relever cette fois, ma deuxième escalade.
Puis, j’exécute un parcours panoramique qui me confie un spectacle de toute beauté. Pas vraiment de mots pour décrire ce qu’offre la nature en ce lieu précis. Sublime ? Peut-on se contenter de cette terminologie ? Enfin, on dira que l’on se sent à l’apothéose de la hauteur.
Je repars dans ma frénésie : « J’ai réussi ! J’ai réussi ! Voilà la lumière ! La lumière, si intense qu’elle brûle les pupilles ! Et voilà les sommets ! La montagne ! La montagne ! Tous ces points culminants ! Pour la plupart, les plus hauts du monde ! Et moi ? Moi, toute petite dans cette immensité ? Je me sens si insignifiante face à cette magnificence ! Rien dans le monde plus bas n’égale cet apogée. En même temps, de mon point de vue, j’ai l’impression de pouvoir tous les toucher avec les doigts ! Quelle merveille ! C’est inimaginable ! Je suis là, moi ; la petite Candice ! Quel miracle ! Moi, face à ce sommet qui dépasse tous les autres. Ce sommet supérieur en altitude de tout le monde entier ! “Le toit du monde”, dit-on. C’est le majestueux mont Everest surplombant tous les autres à 8848 mètres et situé à la frontière entre le Népal et le Tibet (occupé par la Chine définitivement depuis le 18e siècle avec des variations des modalités de la colonisation datant du 7e siècle). Voilà que se dresse et s’impose à ma vue le camp de base de ce formidable pic. Ses multiples tentes jaunes qui le garnissent. Elles s’accrochent, identiques comme engendrées par une grossesse multiple, sur le pourtour au flanc de cette montagne. Là se forme une petite ville où se construit un espace de confort incongru défiant l’hostilité du froid naturel de ce milieu montagnard ardu. Ces abris en toile garnissant cet espace tiennent lieu de lodges et de restaurants aux trekkeurs qui y séjournent plusieurs jours. L’étape obligée en ce lieu leur permet de s’habituer à la haute altitude avant de partir à l’assaut de l’ultime mamelon. Et puis, une blancheur brillante qui s’étale au faîte. Cette blancheur en haut matérialise les différents glaciers qui entretiennent ce climat glacial qui d’un coup vous paralyse, vous pétrifie. Je clignote des yeux. Ma lucidité, plus aiguisée, dirige à nouveau mon regard en plus basse altitude vers la partie du sud de ce fameux camp de base dénivelé à 5364 mètres au pied du glacier Khumbu, tandis qu’au nord, les neiges éternelles du Rongbuk dominent l’autre partie du camp située à 5154 mètres de haut.
« Mon Dieu ! Qu’ai-je fait pour mériter de vivre toute cette splendeur ? » m’écriai-je sans pouvoir me calmer.
Mon regard ne cesse de trotter, telles des aiguilles d’une montre dans le sens circulaire, comme si j’aspire d’un trait à tout absorber de cet impressionnant paysage sauvage qui s’offre à moi. Et c’est alors que je me rends compte que je me perds dans un exercice grisant qui consiste à compter les différents pics qui semblent tous avancer vers le promontoire qui me place face à ce fabuleux spectacle. En même temps, je me réjouis de pouvoir tous les reconnaître, et de chacun les distinguer par leurs signes caractéristiques.
Ici, tout près de l’Everest et devant moi, le Lhotse, 8501 mètres, 4e plus haut sommet du monde, bien planté à la frontière entre le Népal et la Chine (le Tibet). Ensuite, le Makalu, atteignant les 8462 mètres, classé 5e plus haut sommet du monde, visible à la frontière entre le Népal et la Chine (le Tibet). À côté, selon le même rayon de l’arc dessiné, se présente Cho Oyu 8201 mètres, 6e plus haut sommet du monde, s’étalant à la frontière entre le Népal et la Chine (Tibet).
Je frissonne quand je distingue une portion d’arc plus loin, le fameux Annapurna ou « Déesse des moissons », 8091 mètres d’altitude, 10e plus haut sommet du monde, appartenant strictement au Népal. Cette cime est la première de 8000 mètres à avoir été gravie, bien qu’étant la plus mortelle de toutes.
Suivant le mouvement vertical involontaire de mon menton, ma vue capte plus loin au-delà de l’Everest, le Kangchenjunga, 8586 mètres, le 3e plus haut sommet du monde, placé à la frontière entre l’Inde et le Népal, point culminant de l’Inde.
Encore une fois, subitement, ma vue se trouble. Et mon enthousiasme retombe. Je baisse la tête. Trop de lumière. Trop d’uniformité. Trop de grandeur. Je me contente d’observer mes jambes tremblantes, mes pieds endoloris. Le sol qu’ils foulent et qui menace de se dérober sous eux. Le vide qui me chuchote à l’oreille « Prépare-toi ! Je vais de ce pas t’aspirer ». Une fois de plus, je frissonne. Je frissonne davantage par rapport à ce qui bouge en moi qu’à cause de l’influence des manifestations extérieures du climat, de l’altitude. Je frissonne par rapport à tout ce flot de sentiments qui évoluent en maître dans toutes mes cellules.
Pas possible ! Ai-je vraiment réussi dans mon projet d’ascension ? Cette roche que je piétine en ce moment précis ! La Roche noire ! C’est bien elle ! Le Kala Patthar de son nom très connu ! Cette crête se situe à l’arête sud du Népal ! Elle culmine à 6143 mètres ! Et j’ai grimpé là ! Toute seule, comme une grande ! Sans encordage ! Sans oxygène ! Sans guide ! Avec une charge de 13,5 kg sur le dos ! Qui suis-je pour tenter et réussir un tel exploit ? Une telle folie ?
Les larmes m’envahissent tout le corps : le cœur, la tête, le ventre, les membres. Mouillée. Je suis mouillée de toutes parts. Mes joues ruissellent de cette eau dont je ne peux pas saisir le goût salé. Cette eau qui, spontanément expulsée, se givre sur mon épiderme ultra sensibilisé par la force du vent qui le fouette, qui l’abîme, qui lui impose cette teinte rougie. Quel inconfort ! Quelle torture ! Mais aussi quelle réussite, quel ravissement !
Je suis envahie par la certitude soudaine de me trouver enveloppée par les crêtes du « grand Himalaya », la plus ancienne des trois chaînes de cette montagne, la plus élevée du monde, l’Himalaya ! Cette « demeure des neiges », comme dit en sanskrit, s’étirant sur plus de 2400 kilomètres de long et 250 à 400 kilomètres de large, sépare l’Inde et le Tibet au sud de l’Asie. Il est délimité à l’ouest par la vallée du fleuve de l’Indus et à l’est par celle du Brahmapoutre en couvrant une aire de 600 000 kilomètres carrés.
Mon humeur varie de la lucidité au délire.
Géant ! Autant ce relief dans le monde est géant, autant le deviennent les pas que j’ai franchis dans cette immensité. J’apprécie ces efforts accomplis. J’apprécie surtout l’audace qui m’a soutenue pour me propulser dans une telle aventure.
Soudain, je me laisse emporter par un souvenir précis qui m’habite et est décidé à ne pas me lâcher. Cette promesse que je me suis faite un jour dans mon euphorie doublée d’insatiabilité s’impose. Me chavire. M’oblige à faire un saut en arrière d’une année dans le temps.
« Je vais recommencer. Mieux ! Je dois recommencer »,me répétais-je à tue-tête, ce jour malheureux, revenant de ma première montée…
Attaquer une deuxième escalade. Grimper jusqu’à cette altitude, jusqu’à franchir les 6000 m. Me prouver que j’en étais capable. Ce projet était devenu pour moi un leitmotiv. Un besoin qui ne me quittait pas.
Cependant, loin de continuer à sublimer la prouesse réalisée, je m’enfouis dans le sentiment de la mince satisfaction d’avoir réparé la défaite précédente, de la minime joie incontrôlable d’avoir réalisé cette fois plus et mieux qu’antérieurement. Et le souvenir de ma première escalade en 1996 tournoyait en moi pour me remettre face à la déception d’avoir été trahie par la nature. Cette ascension, bien qu’accomplie, que j’avais atteinte ce fameux jour. Le sommet continue à agir en force sur moi, debout au sommet du Kala Patthar, et parvient à réduire l’ampleur de mon triomphe actuel.
Ma première escalade qui me conduisit au Gokyo Peak situé à 5350 mètres ! Cette fois-là, j’avais connu la déception de ma vie. Cette escalade ne m’offrit que l’opportunité de traverser le hameau de Gokyo avec ses extraordinaires lacs turquoise. Franchement, bien qu’arrivée quelques instants plus tard, au prix d’énormes efforts, au pic, j’estimai que je n’avais rien vu d’inoubliable, car le brouillard indissoluble, la neige, les bourrasques et les trombes d’eau qui envahissaient les hauteurs ce jour-là m’avaient littéralement gêné la vue.
Aussi, déçue par cette expérience qui ne fut que le fruit d’une grande contrariété, redescendis-je aussi vite que j’étais montée. Ce fut une descente réalisée dans l’anéantissement total.
Le cœur lourd, frustrée, le soir, je dormis dans les mêmes lodges qu’à l’aller. Ne parlant pas l’anglais, je ressentais une impression de plus grande amertume qui m’amena à m’interroger sans cesse sur ce qui clochait réellement. Que n’avais-je pas fait pour essuyer un tel revers ? N’étais-je pas suffisamment préparée à accéder à cet exploit ?
En effet, ce manquement devrait être réparé. Selon mon éducation faite sur des bases strictes, je n’avais pas réussi. Je devais donc recommencer. Aller au-delà de mes capacités. Obtenir la gloire du succès.
Progressant lentement dans ma descente, j’atteins ainsi Namshé Bazar, la destination obligée en altitude par rapport à Lukkla où l’hélicoptère et l’avion déversent les marcheurs en montagnes qui partent à la conquête des sommets népalais.
Namshé Bazar s’élevant à un niveau de 3440 mètres est la capitale des Sherpas. Lieu de commerce, marché offrant du beurre, du fromage fait à base de lait de yack, des produits agroalimentaires. Cette ville est une étape touristique.
Je franchis cette étape, démoralisée, abattue.
Et là, se produisit l’événement qui bouleversa ma vie.
La rencontre ! Cette rencontre avec un homme qui d’un coup attira mon attention. Un homme qui se distinguait de tous ceux qui occupaient en ce moment le lodge où je me reposais quelques instants.
Cette rencontre allait au-delà de toutes les approches aussi originales que j’aie pu vivre.
Elle se manifesta au détour de mon itinéraire de descente.
Cet homme me sourit malgré sa mine soucieuse, et s’approchant de moi, me demanda :
« Qu’est-ce que tu prépares ? »
Et moi, troublée plus que stupéfaite par cette apparition soudaine, je me mis à courir, m’éloignant de celui dont la présence me perturbait, pour rattraper un groupe qui, comme moi, partait en quête de la route nous dirigeant vers l’étape plus basse en altitude. Au cours de ma course, je me surpris à héler, sans ralentir, en sa direction :
« L’année prochaine, j’irai plus haut.
— C’est ça ! Et tu as un nom, mademoiselle “J’irai plus haut” ? Dis, tu t’appelles comment ?
— Candice ! »
Puis plus rien. Je n’entendis rien, car sa voix fut soudain couverte par le brouhaha d’une autre équipe d’explorateurs excités, appréciant d’atteindre le lieu de repos si attendu.
« L’année prochaine… » avais-je dit. Eh bien, voilà, « l’année prochaine » est arrivée.
« L’année prochaine », c’est aujourd’hui. Le temps s’est écoulé. Et je suis là, aujourd’hui, un an plus tard, au sommet du Kala Patthar.
Ma joie, mon angoisse, ma peur, ma fierté se mêlent et chaque fois m’abandonnent sur les rives des émotions opposées, touchant tantôt l’effervescence et tantôt la déprime. « Entre hauteur de la terre et du ciel, je me trouve. C’est là que je me pose en cet instant »,m’entendis-je murmurer.
Ce ciel, comme on le nomme, je peux le toucher ? Oui ? Si je lève les bras très haut, encore plus haut, je peux le toucher ! Ce ciel, comme on le nomme. Est-ce que je crois en lui ? Ce ciel si mystique, si mythique…
Depuis quand me suis-je laissé envahir par ces mirages ? Depuis quand ? Depuis la fin du temps de l’enfance, quand, m’ayant prise en charge, les gentilles religieuses m’ont convaincue d’une illusion de bonheur possible sur cette terre ? Et puis quoi ? Que s’est-il passé après ? Sitôt que je leur ai tourné le dos, me suis-je questionnée sur ces idées fictives, cette irréalité ? Je ne le pense pas.
En tout état de cause, je veux croire aujourd’hui en la réalité de ce que j’ai accompli.
En la certitude de la progression vers ce sommet élevé. En l’existence de cette voûte céleste qui, telle une couverture salutaire, nous protège. En l’évidence de ce milieu montagnard dans lequel je me fonds, je me perds.
D’un coup, je me sens transportée par une sensation de puissance et de plénitude. J’ai atteint ce que j’espérais de la vie. Ma vie dans ces hauteurs qui me font prendre conscience de ma petitesse et me happent. Oui, c’est bien cela. Le vœu essentiel toujours formulé et dont l’achèvement comble d’aise. Me confondre avec ces parois arides, très peu herbeuses, parfois rocheuses me remplit d’une bouffée de bien-être qui me fait perdre pied. La satisfaction de l’accompli m’affaiblit. Baisse ma garde. Je me laisse choir, et mes yeux cette nouvelle fois, cette fois de trop sans doute, se referment. Je veux rester là. Rester là enveloppée dans la ouate d’une image qui tressaute devant mes pupilles, me chatouille de son tendre sourire enjôleur.
« Calvino ! » susurrai-je.
Puis plus rien. En cet endroit, où pour moi, tout est parfait. Je m’endors dans la pensée que le bonheur c’est cela, et c’est là, dans les bras rêvés de mon exceptionnel amour…
Et soudain se bousculent en moi d’étranges sensations. Des voix qui murmurent. Des mots qui m’encouragent à me réveiller. À ouvrir les yeux. Des mains qui m’attrapent. Me secouent. Deux larges paumes qui m’empoignent. Tentent de me mettre sur mes jambes. Mais qu’est-ce ?
Ces sensations se révèlent, en fait, par des interventions tangibles. Et voilà ! Mes paupières qui se lancent dans une lutte pour s’ouvrir. Mes genoux qui fléchissent. Mon corps qui glisse et surprend les mains pourtant solides de personnes qui veulent me ramener à la vie. Des personnes… Qui sont-elles ? Je retombe avec fracas sur le sol. Le travail recommence. Les efforts se redoublent.
« Surtout qu’elle retrouve son énergie, entends-je répéter par des voix stressées.
— Il faut absolument qu’elle sorte de cette léthargie. Autrement, ce sera mauvais pour elle. C’est le point de départ de la mort. Le symptôme impitoyable du mal aigu des montagnes, chuchote-t-on. »
La même question continue à tourner en boucle dans ma tête alourdie, embrouillée :
« Mais qui sont donc ces gens qui me secouent, me bousculent, me dérangent ? »
Des hommes ! Ce sont des hommes… Des trekkeurs qui me viennent en aide.
Je sursaute en prenant conscience que je suis dans une mauvaise passe. À brûle-pourpoint, je me laisse happer par un état extraordinaire qui évolue du fou rire aux larmes. Et je recommence à appeler à tue-tête, à pleins poumons :
« Calvino ! Calvino ! mon amour ! J’y suis parvenue ! J’y suis arrivée ! Tu devrais voir cela ! Mais où es-tu pour assister à cette consécration ? Où es-tu donc ? »
Et puis, je reprends mes sens. Je comprends. Oui, c’est bien cet exploit que j’inaugure ici, et maintenant ? Mon escalade du haut sommet réputé : le Kala Patthar ?
Cependant, la célébration de ce baptême se déroule d’une drôle de manière.
Je m’inquiète. Il y a quelque chose d’anormal. Que peut être cette anomalie ?
« Mais pourquoi suis-je soutenue par ces hommes ? Deux alpinistes ! Ils essaient de me ramener à la vie, paraît-il ? C’est bien cela. Je me souviens. Je m’étais endormie. »
Erreur fatale à ne pas commettre.
Ces explorateurs japonais s’échangent des regards parfois, amusés, d’autres fois inquiets. Ils me maintiennent solidement. Pas question de me laisser choir cette fois. Le but est d’éviter à tout prix que je me rendorme.
L’assaut du mont Kala Patthar par ces hommes peu après moi est tout simplement l’œuvre de la Providence qui n’avait pas prévu que je laisse mes os givrés dans cette nature. In extremis, ils m’ont ramenée à la vie. Étroitement encadrée et surveillée, j’entreprends alors, avec mes sauveteurs, la descente de cette montagne que j’avais franchie trop rapidement. Mes bienfaiteurs avisés des conséquences de mon inexpérience s’engagent doucement le long des pentes. Peu à peu, je retrouve ma vigueur. Je récupère mon piolet. J’aligne mes pas sur les leurs. À nous, Syangboshé ! À nous, mon Calvino ! Que j’ai hâte de lui informer de mon exploit, par message téléphonique !
Mercredi 13 octobre : Je m’appelle Calvino Covisodae. Je suis un amoureux… Que dis-je ? Je suis un passionné… un fanatique des escalades en montagnes. Je brave les difficultés les plus fastidieuses.
Aujourd’hui, jour numéro 2 depuis mon atterrissage à l’aéroport de Katmandou au Népal. Mon projet est de franchir cette année le mont Ama Dablam. Ce sommet se situe dans la vallée du Khumbu, sur le sentier qui conduit de Namshé Bazar à Pangboche. À 19 h, ce jour, en compagnie d’autres explorateurs, l’avion m’a conduit de Katmandou à Lukkla où je fais escale. Quelle épopée ! Première étape de mon voyage. Je me jette, épuisé hors de la carlingue. Épuisé par le stress qui chaque fois m’envahit sitôt qu’apparaît la piste que je perçois avec effroi par le hublot. La crainte que l’appareil ne finisse, avec ses quatorze passagers (moi y compris), au fin fond des menaçantes gueules des escarpements rocheux des massifs montagneux. Cette crainte ne me lâche que longtemps après que les roues de l’aéroplane ont touché le sol. Lukkla est le pont de passage, en début et en fin de voyage, pour tous touristes qui visitent l’Himalaya et notamment, l’Everest. De Katmandou, après un vol de quarante minutes, qui permet une vue aérienne exceptionnelle sur l’Himalaya, on atteint la région de Khumbu au Népal, où se situe l’altiport de ce petit village, se dressant à 2860 mètres d’altitude. Cet aérodrome de 500 mètres de long accuse une pente de 12 degrés. C’est dire à quel point l’atterrissage à Lukkla se révèle particulièrement difficile.
Me tenant difficilement sur mes jambes en coton, je mets, munie de mon piolet, et avec l’équipe de Sherpas et de porteurs, entreprends une descente jusqu’à 2600 mètres dans le village de Pakding. Là, j’envisage donc un lodge pour me réfugier et reprendre mes sens. Dans le but de nous acclimater à l’altitude, le programme exige que nous y passions la nuit.
Jeudi 14 octobre : Jour 3 depuis mon arrivée. Après le sommeil lourd de la veille au soir, je me réveille, repoussant doucement la couverture qui me tenait étroitement serré. Je suis ce matin d’excellente humeur et en très bonne forme pour attaquer ce qui me galvanise : la montée vers les superbes monts. Sous un soleil timide, illuminant cependant le froid paysage, j’entame la marche vers Namche Bazar. Dès que je commence à fouler cette terre aride, parfois rocailleuse, je suis transporté. Aucune difficulté ne m’arrête. Ma journée peut être caractérisée de tout ce qu’il y a de plus merveilleux. Je la démarre sous de bons auspices. Je ne cherche pas à donner une signification à cet optimisme qui m’habite. J’avance léger vers ce qui m’attend là-haut, emporté par mon enthousiasme. Enfin, 840 mètres de parcourus à une allure bien maîtrisée, respirant calmement, faisant les arrêts qui s’imposent, je suis dans des conditions optimums. À ce niveau, c’est une belle après-midi lumineuse qui m’accueille. Mais je me contente de suivre le groupe qui décide d’y stationner. Je me sens bien, dans mon exercice de concentration sur les techniques à développer, pour attaquer ce pic que depuis tantôt je rêve de dominer.
Je sais que des jours après, je continuerai à me questionner sur ce hasard qui m’a conduit à déposer, avec mes compagnons d’escalade, mon paquetage pour la soirée dans ce lodge de Namche Bazar.
Cette nuit, contrairement à mes habitudes, mon sommeil est perturbé. Je suis dérangé par tous les bruits de l’extérieur dont un qui se distingue par son intensité, sa régularité et par la bizarrerie de sa tonalité s’apparentant aux plaintes humaines. Serait-ce le Yéti ? Cet ours légendaire, des montagnes asiatiques, tel que le nomme la langue tibétaine ? Cette créature anthropomorphe, appelée aussi l’abominable homme des neiges, appartenant au folklore du Népal, effraie les locaux et entretient le mystère chez les marcheurs dans ces sentiers enneigés. Sincèrement, je n’ai aucun besoin, ce soir, de dénouer cette énigme. Aucun besoin de porter une quelconque vérité à la face du monde.
Que le yéti reste bien caché dans ses espaces de glace et me laisse sagement trouver le sommeil. Une bonne nuit de repos est pour moi essentielle dans mon programme de préparation à l’épreuve qui m’attend. Je n’ai nul besoin de me trouver face au monstre qui pourtant nourrit tant mon imaginaire, à l’image de celui des locaux de la région est du Népal. Une autre fois, peut-être, serai-je disposé à me laisser surprendre par lui, mais pas cette nuit. Surtout pas.