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Echapper à l’emprise de celui qu’on aime est une victoire sur soi-même…
Marie pensait avoir trouvé l’amour avec Philippe, cet homme si charismatique, si protecteur. Mais la passion s’est peu à peu teintée de peurs et de violences. De petites humiliations en disputes envenimées, Philippe a pris le contrôle de son existence, jusqu’à lui imposer une vie de soumission, une cage dorée dont elle ne pouvait s’échapper.
Quand l’insupportable devient la norme, comment trouver la force de partir ? Comment protéger son fils, Thibaut, de la colère d’un père violent et manipulateur ?
Dans cette romance sombre et poignante, Marie devra affronter ses peurs les plus profondes pour retrouver sa liberté. Aidée par ses proches et une thérapie salvatrice, elle trouvera la force de se reconstruire, pour elle-même et pour son enfant.
Une histoire de résilience, d’espoir, et d’émancipation…
Ce manuscrit est un texte engagé. Inspiré d’une histoire vraie, il propose de réelles solutions aux personnes touchées par des violences psychologiques et verbales. Bien plus qu’un récit, il se veut bienveillant, alertant et instructif pour celles et ceux qui en auraient besoin. Par son authenticité, il apporte un éclairage précieux sur les mécanismes de l’emprise et met en lumière l’importance de la résilience.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Élise Caironel, née à Lyon et installée dans la région du Beaujolais, est une passionnée de littérature au parcours riche et inspirant. Ancienne enseignante d’espagnol, elle a choisi de se réinventer pour vivre pleinement de sa passion des mots. Aujourd’hui, elle est à la fois correctrice, éditrice et auteure. Maman de deux enfants, Élise puise dans son expérience de vie et son amour de la langue pour guider les auteurs dans l’aboutissement de leurs œuvres, tout en continuant d’écrire ses propres histoires. Sa plume et son regard affûté font d’elle une créatrice et une éditrice engagée.
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Seitenzahl: 325
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Couverture par Scarlett Ecoffet
Maquette intérieure par Scarlett Ecoffet et Emilie Diaz
Correction par Emilie Diaz
© 2024 Imaginary Edge Éditions
© 2024 Elise Caironel
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385721923
Ce tapuscrit est un texte engagé. Inspiré d’une histoire vraie, il propose de réelles solutions aux personnes touchées par des violences physiques, psychologiques et verbales. Bien plus qu’un récit, il se veut bienveillant, alertant et instructif pour celles et ceux qui en auraient besoin. Par son authenticité, il apporte un éclairage précieux sur les mécanismes de l’emprise et met en lumière l’importance de la résilience.
Toutefois, ce texte est destiné à un public averti. Il contient des scènes de violence psychologique et verbale, de manipulation émotionnelle, de violence économique, de violence parentale et conjugale, de manipulation mentale, de harcèlement. Les thèmes suivants sont abordés : la séparation difficile avec un enfant impliqué ; les troubles anxieux et traumatisme.
À mes parents,
À ma sœur,
À mes fils,
À celle que j’ai été,
À tous ceux et celles qui se retrouveront en Marie.
Je me souviens encore de la douceur des draps de soie contre ma peau, du parfum enivrant des roses blanches qui baigne chaque pièce de la maison, et de l’éclat du soleil filtrant à travers les immenses fenêtres de notre salon. Si quelqu’un voyait notre famille de l’extérieur, il penserait sans doute que nous vivons dans un conte de fées. Une famille modèle, unie, comblée par la vie.
Pourtant, derrière les lourds rideaux en velours, les rires feints et les sourires parfaits, se cache une tout autre réalité. Je suis née dans une famille aisée, une famille pour qui la réussite sociale compte plus que l’amour, plus que le respect, plus que tout.
Mon père, Léon Cheronnet, est un homme d’affaires redoutable, à la tête d’une entreprise prospère. Il impose le silence par sa simple présence, et tout le monde autour de lui s’efforce de ne pas faire de vague. Ma mère, Éllie, a troqué ses rêves de jeunesse contre le rôle de l’épouse parfaite, toujours impeccable, jamais un mot plus haut que l’autre. Elle organise des réceptions grandioses, rit aux blagues de mon père et se tient toujours à ses côtés, droite, froide, comme une statue de marbre.
Quant à ma sœur... Ah, Carole. Carole est l’enfant prodige, la fierté de la famille. Belle, intelligente, et surtout, parfaitement conforme à tout ce que nos parents attendent d’elle. Je l’admire, oui. Mais je la déteste aussi. Pas à cause d’elle directement, mais parce qu’elle représente tout ce que je ne peux pas être.
« Tu pourrais faire un peu plus d’efforts, Marie. ». C’est ce que ma mère me dit souvent. À l’âge de douze ans, je ne comprenais pas pourquoi mes efforts ne suffisaient jamais. Je faisais mes devoirs, je m’habillais comme elle me le demandait, je suivais les règles. Mais rien n’y faisait. J’étais l’ombre de ma sœur, celle qui passait toujours au second plan.
L’école privée que nous fréquentions, le lycée Saint-Roch, se trouvait à quelques kilomètres de notre maison. L’établissement était réputé pour son élitisme, réservé aux enfants de familles influentes. J’avais l’habitude de marcher seule dans les longs couloirs aux murs ornés de portraits de célébrités académiques. Là-bas, tout était question de réputation. Si tu ne faisais pas partie des "bons", tu étais ignorée, voire ridiculisée. Carole, bien sûr, faisait partie des "bons". Moi, je n’étais qu’une fille discrète, effacée, qui se perdait dans ses livres pour fuir la réalité.
Un jour, alors que nous attendions notre chauffeur après les cours, Carole s’était approchée de moi avec ce sourire suffisant qui m’agaçait tant.
— Marie, tu as vu ce que porte Louise aujourd’hui ? Elle pense que ce sac à main est à la mode, tu te rends compte ? C’est ridicule !
Je m’étais contentée de hocher la tête, sans vraiment écouter. Carole a ce don pour juger les autres, tout en affichant une apparence de perfection inattaquable. Elle avait continué, son rire cristallin attirant l’attention de ses amis qui se joignaient bientôt à la conversation.
— Si tu continues à traîner avec ces filles, tu vas finir par devenir comme elles, tu sais ? m’avait-elle lancé en croisant les bras.
— Peut-être qu’elles sont juste... gentilles ? avais-je répondu timidement.
Carole m’avait fixé comme si je venais de dire la chose la plus stupide du monde. Elle m’avait toisé de la tête aux pieds avant de soupirer.
— Gentilles ? Marie, tu ne comprends rien aux règles de ce monde. On ne peut pas se permettre d’être gentille avec tout le monde. Il y a ceux qui comptent, et il y a les autres. Et crois-moi, tu ne veux pas finir comme "les autres".
C’est toujours comme ça. Carole définit les règles, et moi, je m’efforce de les comprendre sans jamais vraiment y arriver.
Les week-ends, quand je ne suis pas enfermée dans ma chambre à dessiner ou à lire, ma mère me fait assister aux réceptions familiales. De grands dîners mondains où il faut briller, être parfaite, sourire en permanence. J’y croise des hommes d’affaires, des politiciens, des avocats, tous vêtus de costumes sur mesure, accompagnés de leurs épouses élégantes, coiffées et maquillées comme des poupées de porcelaine.
Un soir, alors que je me trouvais dans un coin de la salle à observer les convives, mon père m’avait appelée d’une voix forte. Je savais que je ne pouvais pas l’ignorer.
— Marie, viens ici.
Je m’étais approchée, les mains tremblantes, sachant que je devais à tout prix éviter de faire le moindre faux pas. À ses côtés, il y avait un homme d’une cinquantaine d’années, au regard perçant, qu’il me présenta comme un de ses associés.
— Voici ma fille cadette, Marie, avait-il dit d’un ton presque condescendant. Elle n’est pas aussi brillante que sa sœur, mais elle a d’autres... talents.
Je m’étais figée. Ce n’était pas la première fois qu’il me dévalorisait ainsi devant ses amis, mais chaque fois, la douleur me poignardait avec la même intensité. J’avais souri, comme on m’avait appris à le faire, puis m’étais éclipsée dès que possible.
Je n’avais que seize ans, mais déjà, je ressentais ce vide grandissant en moi, cette impression de ne jamais être à la hauteur, de ne jamais mériter l’amour de mes parents. Ma relation avec eux était basée sur la peur, sur le contrôle. Je n’osais rien dire, je n’osais rien faire qui pourrait les décevoir davantage. Chaque jour, je m’efforçais de correspondre à leurs attentes, et chaque jour, je me sentais m’éloigner un peu plus de ce que j’étais vraiment.
***
À dix-huit ans, tout a changé. Carole a obtenu une bourse pour aller étudier à l’étranger. Ce qui aurait dû être un soulagement pour moi s’est transformé en cauchemar. Sans elle, je suis devenue l’unique cible des attentes irréalistes de mes parents.
Je me souviens de ce soir d’hiver où ma mère est entrée dans ma chambre, un verre de vin à la main. Elle était fatiguée, ses traits tirés par une vie qu’elle semblait endurer plutôt que vivre.
— Marie, il est temps que tu prennes tes responsabilités, avait-elle dit d’une voix monocorde.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle avait pris une longue gorgée de son verre avant de me fixer avec ce regard froid que je connaissais trop bien.
— Tu dois faire honneur à notre famille. Carole n’est plus là pour le moment, et ton père et moi avons des projets pour toi. Il est temps que tu arrêtes de te cacher derrière tes livres et que tu deviennes quelqu’un d’important.
J’avais senti un frisson parcourir mon dos. Ces mots résonnaient comme une menace, et je savais que ma vie allait prendre un tournant que je n’étais pas prête à affronter.
— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?
Ma mère avait esquissé un sourire, mais il n’y avait aucune chaleur dans ses yeux.
— Tu verras bien.
Les mois qui suivirent la conversation avec ma mère furent marqués par des changements subtils mais profondément perturbants dans ma vie quotidienne. La pression était devenue palpable, omniprésente, comme une main invisible qui me serrait la gorge. Je m’étais toujours sentie insignifiante aux yeux de mes parents, mais à présent, chaque geste, chaque mot que je prononce semble peser davantage. Comme si ma simple existence devait être justifiée.
Mon père est de plus en plus souvent en déplacement, mais quand il est à la maison, il m’observe avec cette froideur détachée qui m’a toujours paralysée. Sa seule présence suffit à me rendre nerveuse, à me faire douter de moi-même. Il n’élève jamais la voix contre moi. C’est pire que ça. Il ne m’accorde pas assez d’importance pour le faire. Je ne suis qu’une pièce sur l’échiquier de sa vie, une pièce dont l’utilité reste à prouver.
Un jour, ma mère m’avait annoncé qu’elle avait pris rendez-vous avec un conseiller d’orientation privé, quelqu’un de « très influent » dans le milieu. Je savais ce que cela signifiait : mes études n’étaient plus seulement mon affaire, elles devenaient une question de prestige familial.
— Marie, tu devras être irréprochable pendant cet entretien, m’avait-elle dit en ajustant les plis de sa robe. Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as d’avoir des opportunités comme celle-là. Fais en sorte de ne pas tout gâcher.
Je l'avais regardée en silence, sentant un mélange de colère et de résignation monter en moi. Elle ne voyait pas, ou refusait de voir, que je n'avais jamais demandé tout cela. Que je ne voulais pas de cette vie. Le jour de la rencontre avec le conseiller était arrivé plus vite que je ne l’aurais souhaité. Je me tenais dans le vaste bureau de cet homme, dont le nom m’échappe encore aujourd’hui. Il portait un costume trop bien taillé, et ses gestes étaient mesurés, calculés. Il représentait tout ce que ma famille admirait : la réussite, le pouvoir, l’apparence.
— Alors, Marie, quelles sont tes aspirations pour l’avenir ? m’avait-il demandé d’une voix faussement bienveillante.
Je m'étais sentie démunie face à cette question. Aspirations ? Je n’en avais aucune qui corresponde à ce qu’ils attendaient de moi. Ce que je voulais, c’était fuir, dessiner en paix, peut-être partir voyager, m’éloigner de cet environnement étouffant. Mais je ne pouvais pas le dire.
— Je… Je n’en suis pas encore certaine, avais-je murmuré.
Mon père, assis à côté de moi, m’avait immédiatement interrompue.
— Ce qu’elle veut dire, c’est qu’elle s’oriente vers une carrière dans le droit ou la finance. Nous avons discuté de ces options.
C’était faux. Nous n’avions jamais eu cette discussion. Je me souviens simplement des quelques remarques désobligeantes qu’il avait faites en passant devant des artistes de rue un jour, nous ramenant d’un dîner mondain. « Ce genre de vie est pour les gens qui n’ont pas réussi », avait-il dit. À partir de ce moment-là, j’ai compris que mes rêves ne sont qu’une autre source de déception pour lui.
Je ne sais pas exactement à quel moment les choses ont commencé à se fissurer. Peut-être était-ce ce soir-là, quand j’ai vu ma mère pleurer pour la première fois. C’était quelques jours après l’entretien avec le conseiller. Je suis descendue dans le salon en pleine nuit, incapable de dormir, et je l’ai trouvée là, assise dans l’obscurité, une bouteille de vin à moitié vide posée sur la table basse. Elle ne m’a pas vue tout de suite. Ses épaules étaient secouées par de légers sanglots, et, pour la première fois, je l'ai perçue non pas comme cette femme froide et distante, mais comme une personne vulnérable, brisée.
Je ne savais pas quoi faire. Je suis restée là, immobile, sans dire un mot. Puis, finalement, j’ai fait demi-tour pour retourner dans ma chambre. Mais quelque chose, une impulsion que je ne comprends pas encore, m’a poussée à revenir. Cette fois, j’ai pris une profonde inspiration avant de m’avancer.
— Maman ?
Elle a sursauté, essuyant rapidement ses larmes d’un geste maladroit avant de se retourner vers moi, son masque de froideur déjà en place.
— Marie, qu’est-ce que tu fais là ? Il est tard. Va te coucher.
Mais il y a quelque chose dans sa voix, une fragilité que je n’ai jamais perçue auparavant. Et pour une fois, j’ai osé désobéir.
— Est-ce que… ça va ? demandé-je, hésitante.
Ma mère m’a regardée, et pendant une fraction de seconde, j’ai cru voir de la sincérité dans ses yeux. Puis elle a secoué la tête, comme pour chasser une pensée intrusive.
— Ce n’est rien, Marie. Tu es trop jeune pour comprendre. Va dormir.
Elle a pris une nouvelle gorgée de vin, et j’ai compris que la conversation était terminée. Mais cette nuit-là, une idée a germé dans mon esprit. Peut-être que ma mère n’est pas si invincible après tout. Peut-être que, tout comme moi, elle se sent piégée dans cette vie qu’elle n’a pas choisie.
***
Les mois suivants, le climat à la maison devient de plus en plus tendu. Mon père est absent plus souvent que d’habitude, et lorsqu’il rentre, il est plus silencieux que jamais. J’ai surpris plusieurs conversations téléphoniques entre lui et ma mère, des échanges en demi-teinte où il semblait être question de l’entreprise familiale. Il parle d’investissements, de risques, de pertes possibles.
Puis vient la révélation : mon père a fait un mauvais pari financier. Une décision imprudente qui a mis en péril une partie de leur fortune. C’est comme si le sol se dérobait sous leurs pieds, mais ils s’efforcent de sauver les apparences. Tout doit rester intact, tout doit sembler parfait, quoi qu’il en coûte.
Carole, qui est revenue pour les vacances d’été, semble ignorer la gravité de la situation. Comme toujours, elle flotte au-dessus des problèmes, sûre de sa place dans le monde. J’ai essayé de lui parler, de lui dire ce que j’ai ressenti en voyant notre mère aussi fragile.
— Tu dramatises, Marie, m’a-t-elle dit en haussant les épaules. Maman va bien. C’est juste qu’elle a bu un peu trop. Rien de grave.
Elle a repris sa conversation avec un ami, comme si de rien n’était. Je me demande parfois si Carole est vraiment aussi indifférente ou si elle porte simplement un masque mieux ajusté que le mien.
***
C’est au milieu de cette tempête silencieuse que je le rencontre pour la première fois.
Je me suis échappée dans une petite boutique du centre-ville, un endroit que je visite souvent pour trouver refuge dans mes lectures. C’est un espace modeste, avec des étagères encombrées et l’odeur familière du papier usé. Ce jour-là, alors que je feuillète un recueil de poésie, un jeune homme entre dans la boutique. Nos regards se croisent brièvement, mais assez longtemps pour que je ressente quelque chose, une sorte de connexion silencieuse. Il s’approche des rayons à côté de moi, et après quelques minutes d’un silence partagé, il m’adresse la parole.
— C’est un bon choix, dit-il en désignant le livre que je tiens. Prévert est toujours une source d’inspiration.
Je relève les yeux, surprise qu’il parle de l’auteur comme s’il le connaissait personnellement.
— Vous aimez la poésie ? demandé-je, plus pour dire quelque chose que par véritable curiosité.
Il sourit.
— Pas vraiment. Mais je n’ai rien trouvé d’autre pour vous aborder.
Il y a quelque chose de désarmant dans son honnêteté. Nous parlons pendant quelques minutes, de livres, d’art, de la vie en général. C’est une conversation légère, mais elle me fait du bien. C’est la première fois depuis longtemps que je parle à quelqu’un sans ressentir ce poids constant sur mes épaules.
Avant de partir, il me tend une carte de visite.
— Si jamais tu veux parler de poésie, ou de quoi que ce soit d’autre, tu sais où me trouver.
Je la prends, un peu hésitante. Le contact du papier sous mes doigts est doux, presque réconfortant, comme si cette carte contenait la promesse d’une vie différente, éloignée des contraintes rigides de ma famille. Son nom est inscrit dessus : Philippe Torgiam, suivi d’une adresse email et d’un simple mot : Consultant Marketing. Aucun numéro de téléphone, aucune autre information. Juste cela.
Je ne dis rien, trop surprise par cette rencontre inattendue. Pourtant, après qu’il soit parti, l’envie irrésistible de savoir qui il est réellement me tenaille. Ce n’est pas seulement la curiosité ; c’est autre chose, un besoin plus profond, une soif de découvrir un monde que je n’ai jamais vraiment exploré.
Lorsque je rentre chez moi ce soir-là, la carte de Philippe cachée dans la poche de mon manteau, le silence pesant de la maison me frappe plus durement que d’habitude. Mon père n’est pas encore rentré, et ma mère est assise dans le salon, une coupe de champagne à la main, ses traits tirés par une fatigue invisible. Carole, quant à elle, rie doucement en envoyant des messages sur son téléphone, visiblement insensible à l’ambiance tendue qui règne.
Je me dirige directement vers ma chambre, évitant soigneusement tout contact. Là, je sors la carte de ma poche et la pose sur mon bureau. Mon esprit tourne en boucle autour de notre brève conversation. Peut-être qu’il ne s’agit de rien. Peut-être qu’il n’est qu’un inconnu, un rêve fugace. Mais au fond de moi, quelque chose a changé.
Cette nuit-là, je trouve le sommeil plus facilement que les nuits précédentes. Mes pensées dérivent vers cette rencontre, vers cet échange léger mais sincère. Il y a un monde à l’extérieur de cette maison, un monde que je ne connais pas encore, et qui me tend la main.
***
Les jours passent, et la tension familiale ne fait qu’empirer. Mon père a tenté de rassurer ma mère, mais il est clair qu’ils se débattent avec des problèmes financiers bien plus graves qu’ils ne veulent l’admettre. Ils continuent à organiser des réceptions, à maintenir les apparences, mais la façade se fissure peu à peu. De mon côté, l’idée de contacter Philippe me hante. À chaque fois que je passe devant cette petite carte posée sur mon bureau, mon cœur accélère légèrement. Un jour, après une dispute particulièrement virulente entre mes parents, je prends une décision impulsive.
Je m’installe à mon bureau, mon ordinateur ouvert devant moi, et je tape quelques mots maladroits :
Bonjour, Philippe. Je ne sais pas si tu te souviens de moi, mais nous nous sommes rencontrés à la librairie. J’ai beaucoup aimé notre conversation, et je me demandais si nous pourrions en avoir une autre, peut-être autour d’un café cette fois-ci. Marie.
Je me relis plusieurs fois avant de cliquer sur « Envoyer ». Mon cœur bat la chamade, comme si ce simple message était un acte de rébellion. Pendant quelques instants, je me sens légère, presque libérée. Mais cette sensation ne dure pas longtemps.
***
Le lendemain, alors que je rentre des cours, un nouvel email m’attend. Il est bref, mais suffisant pour me donner l’impression que quelque chose d’important vient de se déclencher.
Bonjour Marie, bien sûr queje me souviens de toi. Je serai ravi de prendre un café avec toi. Que dirais-tu de ce samedi, 15h, au café Les Petites Pages ? À bientôt, Philippe.
Un sourire involontaire s’est dessiné sur mon visage en lisant ces quelques lignes. « Les Petites Pages » est une petite brasserie située près de la librairie. Un endroit simple, presque décontracté, loin des fastes auxquels je suis habituée. Mais avant même que je puisse savourer cette petite victoire, la réalité me rattrape. Ma mère est entre dans ma chambre sans frapper, comme à son habitude. Elle semblait plus nerveuse qu’à l’accoutumée, ses doigts jouant distraitement avec une mèche de cheveux.
— Marie, nous avons besoin de parler.
Je la regarde, surprise par le ton de sa voix. D’habitude, elle ne prend jamais le temps de « parler ». Elle ordonne, elle instruit. Mais là, quelque chose est différent.
— Il y a… Il y a certaines choses que tu ne comprends pas encore sur la situation de notre famille, a-t-elle commencé, évitant soigneusement mon regard.
Je sais ce qu’elle veut dire, sans qu’elle n’ait à le formuler clairement. Les tensions financières, les problèmes dont mon père ne parle jamais ouvertement. Depuis quelques semaines, la pression semblait peser plus lourdement sur eux, et même sur Carole, qui, bien que distante, ne peut plus totalement ignorer la gravité de la situation.
— Maman… Qu’est-ce que tu essaies de me dire ? demandé-je doucement, un nœud se formant dans ma gorge.
Elle prend une profonde inspiration, comme si ce qu’elle s’apprêtait à dire lui coûtait physiquement.
— Ton père a commis des erreurs. De grosses erreurs. Et… nous allons devoir ajuster certaines choses. Le temps des réceptions et des dîners somptueux est terminé. Nous devons sauver ce qu’il nous reste.
Ces mots résonnent dans l’air, lourds de signification. Mon cœur se serre. J’ai toujours su que quelque chose n’allait pas, mais entendre ma mère l’admettre de manière aussi directe me frappe de plein fouet.
— Est-ce que cela signifie que… nous allons tout perdre ? murmuré-je d’une voix à peine audible.
Elle secoue la tête, l’air fatigué.
— Non. Pas tout. Mais nous ne vivrons plus comme avant. Nous devrons faire des sacrifices. Et cela concerne tout le monde dans cette famille, toi incluse.
Ses derniers mots laissent un goût amer dans ma bouche. Des sacrifices. Mais quels sacrifices ? Et jusqu’où cela irait-il ? J’ai toujours vécu dans l’ombre des attentes familiales, mais maintenant, il semblerait que cette ombre allait s’étendre encore davantage, jusqu’à m’engloutir complètement.
***
Le samedi suivant, je me tiens devant « Les Petites Pages », légèrement anxieuse. Le ciel était gris, menaçant de pleuvoir, et je me demande si cet après-midi n’est pas le reflet de ma vie actuelle. Un ciel couvert, mais avec un espoir de lumière quelque part. J’ai à peine franchi la porte que je l’aperçois, assis à une petite table près de la fenêtre, un café à la main et un carnet ouvert devant lui. Philippe lève les yeux, et dès qu’il me voit, son sourire s’élargit.
— Marie ! Content que tu sois venue.
Je m’assieds en face de lui, essayant de chasser le stress qui me ronge depuis le matin.
— Désolée pour le retard, j’ai eu quelques… imprévus, balbutié-je, un peu gênée.
— Pas de problème, répond-t-il en refermant doucement son carnet. Je suis heureux de te voir. Alors, comment ça va depuis la dernière fois ?
Cette question, simple en apparence, me déstabilise. Comment répondre à quelqu’un qui ne connait rien de mes luttes intérieures, de la pression familiale ? Je ne veux pas le submerger avec mes problèmes, mais je sens que j’ai besoin d’en parler à quelqu’un.
— Eh bien… disons que les choses sont compliquées en ce moment, réponds-je honnêtement.
Philippe hausse un sourcil, mais n’insiste pas. Il semble comprendre que je ne suis pas prête à en dire plus pour l’instant. À la place, il commence à parler de son travail, de ses projets, de ses frustrations. Et peu à peu, la conversation prend une tournure plus légère, presque apaisante. C’est facile de parler avec lui. Il n’a aucune attente particulière, aucun jugement. Il est juste là, prêt à écouter. Et plus nous parlons, plus je me sens en confiance. Peut-être que c’est ça, l’espoir. Un simple moment de répit, loin du chaos.
Le vent souffle doucement à travers les fenêtres entrouvertes de ma chambre, mais l’air frais ne parvient pas à calmer l’agitation qui bouillonne en moi. Depuis cette confrontation avec mes parents, quelque chose a changé. Ce n’est pas seulement la colère ou l’impuissance que je ressens souvent, c’est une forme de détachement, une distance que je place entre eux et moi. Pour la première fois, je ne me sens plus complètement sous leur emprise.
Je passe les jours suivants à réfléchir à cette fameuse question qui me hante depuis si longtemps : Qu’est-ce que je veux vraiment ? Chaque fois que je ferme les yeux, l’image de Philippe me revient en tête. Pas juste lui, mais ce qu’il représente. Il a suivi un chemin différent de celui de ses proches. Ils reflétaient sa vérité, et je commence à me demander si je peux faire de même, trouver ma propre voix dans ce chaos familial. Mais il y a toujours cette peur omniprésente, cette crainte de tout perdre si je fais le mauvais choix. Le monde que mes parents ont bâti autour de moi est solide, sécurisé, mais il me paraît désormais oppressant. Le chemin vers la liberté me semble à la fois attrayant et terrifiant.
Un soir, alors que je m’apprête à me coucher, mon téléphone vibre. Un message de Philippe.
Je voulais te remercier pour tout ce que tu m’as dit l’autre jour. Parler avec toi m’aide à y voir plus clair dans mes propres pensées. J’espère que ça va de ton côté. Peut-être que ce serait bien qu’on se retrouve ce week-end pour discuter, si tu veux. Prends soin de toi, Philippe.
Je reste un moment immobile, le regard fixé sur l’écran de mon téléphone. Ces quelques lignes, simples et directes, me font sourire malgré moi. Philippe a cette manière de toujours dire ce qu’il faut, sans forcer, sans pression. Je lui réponds rapidement, acceptant sa proposition pour le week-end. Mais dans ma tête, je sais que ce rendez-vous ne sera pas juste une conversation banale. Il est temps que je prenne une décision, une vraie.
***
Le samedi suivant, je retrouve Philippe au même café que la première fois, Les Petites Pages. Lorsque j’arrive, je le vois là, assis à la table du café, un bouquet d’amaryllis rouges à la main. Mes pas ont failli s’arrêter, mes yeux rivés sur les fleurs, fascinée par leur beauté flamboyante. Des amaryllis, ce n’est pas une fleur qu’on offre à la légère. Je m'approche, le cœur battant, curieuse et légèrement anxieuse. À cet instant, je ne sais pas quoi faire de mon émotion, qui oscille entre surprise et trouble. Philippe m’adresse un sourire chaleureux qui fait battre mon cœur un peu plus fort. Il tend le bouquet vers moi, et je me sens désemparée. « Pour toi, Marie », dit-il avec une telle sincérité que j’en oublie de respirer. Touchée, je me saisis du bouquet avec des gestes hésitants, sentant sa douceur et sa fraîcheur, comme un parfum d’inattendu. Personne ne m'en avait jamais offert auparavant, encore moins des amaryllis.
Je sais que dans l’Antiquité, Amaryllis était la nymphe énamourée, symbole de passion et de sacrifice. C’est un message fort qu’il me transmet, je le sais. Sous la couleur rouge, elles évoquent la beauté et la force, des qualités que je souhaite incarner mais que je n’ai jamais vraiment osé revendiquer. Philippe a donc un sens du langage des fleurs qui m’étonne. Peu de gens connaissent cela, encore moins celui de l’Amaryllis Red Lion.
Mais, dans un coin de ma tête, une autre pensée m’effleure. Je ne peux ignorer le second versant de cette plante : son ambivalence, son lien avec l’orgueil et la fierté. Philippe, lui, semble être l’antithèse de ces traits. Peut-être m'offre-t-il ces fleurs pour me montrer qu’il me voit telle que je suis, sans jugement, dans toute ma vulnérabilité. J’en ris presque intérieurement, amusée par l’ironie de la situation. Pourquoi un homme aussi charmant que lui, qui ne ressemble en rien à cet orgueil dont parle le langage floral, se soucierait-il d’une simple fille comme moi ?
Dans son sourire, je perçois une douceur qui me touche, et je me sens prête à embrasser ce moment, à m’y abandonner sans réserve.
— Merci beaucoup, mais vraiment tu n’étais pas obligé, murmuré-je affreusement gênée.
— Ça me fait plaisir, et tu les mérites. Mais, tu as l’air préoccupée, lance-t-il en me dévisageant doucement.
Je me laisse tomber sur la chaise en face de lui, soupirant légèrement.
— Je crois que je n’ai jamais été aussi perdue, réponds-je avec un sourire triste.
Philippe hausse les sourcils, mais ne dit rien tout de suite. Il attend que je développe. C’est une de ses qualités que j’apprécie le plus : il ne force jamais les choses, il laisse toujours l’espace nécessaire pour que je puisse m’exprimer à mon rythme.
— J’ai l’impression que ma vie est divisée en deux, expliqué-je après un moment. D’un côté, il y a ma famille, avec toutes leurs attentes, et de l’autre, il y a ce que je ressens au fond de moi. J’ai toujours suivi le chemin qu’ils voulaient pour moi, mais je commence à réaliser que ce n’est pas le mien. Et… je ne sais pas quoi faire.
Philippe m’écoute attentivement, son regard plongé dans le mien.
— Et qu’est-ce que tu veux, toi ? m’interroge-t-il doucement. Pas eux, pas ta famille. Toi, Marie.
Je ferme les yeux un instant, tentant de formuler mes pensées avec clarté. Qu’est-ce que je veux réellement ? Ce n’est pas une question simple, mais elle mérite d’être posée.
— Je veux… je veux être libre, murmuré-je. Je veux pouvoir choisir ma propre voie, même si ça veut dire prendre des risques.
Philippe reste silencieux un moment, absorbant mes paroles. Puis, il pose sa main sur la table, paume ouverte vers moi, sans me toucher, mais assez près pour que je sente la chaleur de sa présence.
— Tu sais, la liberté n’est jamais un chemin facile. Elle réclame des sacrifices, parfois plus grands que ce qu’on imagine. Mais si c’est ce que tu désires vraiment, tu ne devrais pas avoir peur de la poursuivre.
Ses mots m’atteignent en plein cœur. Je sais qu’il a raison. La liberté a un prix, et je suis prête à le payer, même si je n’en connais pas encore toutes les conséquences. Je le regarde, reconnaissante pour sa présence, et je réalise que c'est peut-être ça, la clé : trouver des gens comme Philippe, des personnes qui comprennent ce besoin de s’échapper, de trouver sa propre voie, et qui soutiennent cette démarche, peu importe les obstacles.
***
Quelques jours plus tard, je prends une décision. Je parle à mes parents. Pas juste pour leur dire ce qu’ils veulent entendre, mais pour leur expliquer, sincèrement, que je ne peux plus suivre le chemin qu’ils ont tracé pour moi.
Le soir venu, après le dîner, je demande à mes parents de me rejoindre dans le salon. Ma mère, toujours élégamment vêtue, semble un peu surprise par ma requête. Mon père, quant à lui, semble préoccupé, comme s’il devinait que cette conversation ne n'allait pas être facile.
— Qu’est-ce qui se passe, Marie ? demande-t-il en s’asseyant sur le canapé, les sourcils légèrement froncés.
Je prends une profonde inspiration avant de commencer.
— Il faut qu’on parle. Il y a quelque chose que je dois vous dire.
Ma mère croise les bras, un léger soupir s’échappant de ses lèvres. Elle déteste les conversations sérieuses qui ne sont pas à son initiative.
— J’ai pris le temps de réfléchir, et je sais que ça ne va pas vous plaire, mais… je ne veux pas suivre la voie que vous avez choisie pour moi. Je souhaite prendre mes propres décisions, même si ça signifie commettre des erreurs. J’ai besoin de trouver ce qui me rend heureuse, pas ce qui correspond à vos attentes.
Le silence tombe dans la pièce, pesant et écrasant. Mon père me regarde fixement, son visage impassible, tandis que ma mère ouvre la bouche pour répondre, mais aucun mot n’en sort.
— Marie… tu ne réalises pas ce que tu dis, commence finalement mon père d’une voix calme, mais ferme. La vie n’est pas un conte de fées où tu peux juste décider de suivre tes rêves. Il faut être réaliste, et nous savons ce qui est le mieux pour toi.
Je m’attendais à cette réponse, mais elle me frappe malgré tout.
— Ce n’est pas à vous de décider ce qui me convient, rétorqué-je, ma voix plus forte que je ne l’avais prévu. J’ai toujours suivi vos règles, vos attentes. Mais maintenant, je veux décider pour moi-même. Même si ça veut dire prendre des chemins différents, des chemins que vous n’approuverez peut-être pas.
Ma mère se redresse, visiblement énervée.
— Tu es trop jeune pour comprendre ce genre de choses, Marie. Nous avons toujours agi dans ton intérêt, et maintenant tu nous dis que tout cela ne signifie rien pour toi ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, riposté-je, essayant de garder mon calme. Je comprends tout ce que vous avez fait pour moi, et je vous en suis reconnaissante. Mais ce n’est pas ma vie, c’est la vôtre.
Mon père croise les bras, les yeux plissés.
— Et qu’est-ce que tu comptes faire, alors ? Suivre cette voie hasardeuse avec ce garçon ? Ta mère a trouvé la carte sur ton bureau, et, à l’avenir, pense à éteindre les notifications sur ton ordinateur quand tu es absente. Tu crois vraiment que c’est une vie pour toi ?
Son ton est sarcastique, presque moqueur, et cela réveille en moi une vague de colère.
— Philippe n’a rien à voir avec ça ! Ce n’est pas à cause de lui que je prends cette décision. Je réalise enfin que je ne peux pas vivre en fonction de ce que vous attendez de moi.
Je vois les traits de mon père se durcir, tandis que ma mère me regarde avec une tristesse mêlée d’incrédulité. Elle se lève brusquement et quitte la pièce sans un mot, laissant derrière elle un parfum de frustration et de désespoir. Mon père reste un moment silencieux, puis il pousse un long soupir.
— Tu fais une grave erreur, Marie. Et je crains que tu ne t’en rendes compte trop tard.
Il se lève à son tour, me jetant un dernier regard empreint de déception avant de sortir du salon. Il a abdiqué.
Je reste seule, le cœur battant à toute vitesse. Cette conversation ne s’est pas déroulée comme je l’avais espéré, mais je ne peux pas nier le soulagement qui m’envahit. Enfin, j'ai exprimé ce que je ressens depuis si longtemps. Le silence règne dans la maison, lourd de tensions non résolues, mais pour la première fois depuis des années, je me sens libre. Un poids vient de se soulever de mes épaules. Je reste assise ici un long moment, observant les ombres s’étirer sur les murs à mesure que la nuit tombe. Ils mettront du temps à accepter ma décision, et peut-être qu’ils ne l’approuveront jamais vraiment. Mais c’est désormais mon choix, et personne ne peut me l’enlever.
***
Plus tard dans la soirée, j’entends un léger coup à ma porte alors que j’allais me coucher. Ma sœur Carole entre sans attendre ma réponse, fermant doucement derrière elle. Elle semble hésitante, comme si elle ne savait pas exactement pourquoi elle était là.
— Je t’ai entendue parler avec Maman et Papa, murmure-t-elle en s’approchant de mon lit. Tu… tu es vraiment sérieuse ?
Je hoche la tête, me demandant ce qu’elle va me sortir pour me convaincre à son tour de mon erreur. Carole a toujours été la fille parfaite, celle qui suit les règles sans poser de questions, qui réussit dans tout ce qu’elle entreprend. Nous n’avons jamais vraiment discuté de ce que je ressens, car elle semble idéalement heureuse de se plier aux attentes familiales. Elle s’assieds sur le bord de mon lit, ses mains posées sur ses genoux, le regard baissé.
— Je t’envie, tu sais, confie-t-elle finalement d’une voix à peine audible.
Je cligne des yeux, surprise par son aveu.
— Quoi ?
Elle relève les yeux vers moi, un sourire triste aux lèvres.
— Tu as le courage de leur dire non. Moi… je n’ai jamais osé. J’ai toujours fait ce qu’on attendait de moi, sans me poser de questions. Et parfois, je me demande si je ne suis pas en train de passer à côté de quelque chose d’important.
Je la regarde, stupéfaite. Carole, la sœur parfaite, exprime enfin ses propres doutes. Je n'aurai jamais imaginé qu’elle ressente la même pression que moi, ni qu’elle partage certaines de mes angoisses.
— Carole, tu sais que tu n’es pas obligée de vivre selon leurs règles non plus. Tu as le droit de choisir ce que tu veux vraiment.
Elle soupire, secouant légèrement la tête.
— Peut-être, mais c’est trop tard pour moi. Ils m’ont déjà façonnée à leur image. J’ai peur de tout perdre si je me rebelle maintenant.
Je prends sa main dans la mienne, lui offrant un sourire réconfortant.
— Il n’est jamais trop tard. Regarde-moi, j’ai attendu aussi, et ce n’est pas facile, mais je sais que c’est ce que je dois faire. Si tu te sens comme ça, tu devrais prendre le temps d’y réfléchir. Personne ne mérite de vivre une vie qui n’est pas la sienne, pas même toi.
Carole semble réfléchir à mes paroles, ses pupilles cherchant les miennes en quête d’une réponse qu’elle n’arrive pas à formuler. Elle finit par se lever, son regard toujours empli de doutes.
— Merci, Marie, lâche-t-elle finalement, avant de sortir de ma chambre, me laissant à mes pensées.
***
Le lendemain matin, je me réveille avec un mélange d’anxiété et de détermination. Mes parents m’ignorent, comme si ma décision avait créé une fracture invisible entre nous. Ils continuent leur routine quotidienne, mais les regards échangés et les silences pesants suffisent à me faire comprendre qu’ils digèrent encore ce que je leur ai dit.
Je n’ai pas de plan concret, juste une certitude : je ne peux plus rester prisonnière de leurs attentes. Ce matin-là, je décide de sortir pour prendre un peu d’air, de m’éloigner de cette atmosphère étouffante. J’envoie un message à Philippe pour lui demander s’il veut qu'on se retrouve au parc. J’ai besoin de parler de nous, de mes peurs, de mes incertitudes. Il répond rapidement :
Bien sûr. Je t’attends là-bas dans une heure.
Je pars immédiatement, le cœur un peu plus léger à l’idée de le revoir. C’est si facile, pour une fois, de me sentir écoutée, comprise, acceptée sans jugement. Pour une fois qu’on m’offre une présence sans réserve, qu’on m’apprécie pour ce que je suis vraiment, sans masque ni compromis. Philippe est devenu une ancre dans ma vie, quelqu’un à qui je peux tout dire sans craindre d’être jugée.
Plus le temps passe, plus je réalisais que sa présence est non seulement réconfortante, mais nécessaire. Lorsque j’arrive au parc, il se trouve déjà assis sur notre banc habituel, un carnet à la main. En m’apercevant, il me sourit et ferme doucement son cahier, puis se lève pour m’accueillir.
— Salut, Marie. Tu sembles… différente aujourd’hui, observe-t-il en me scrutant avec attention.
— C’est parce que je le suis, fais-je dans un demi-sourire. J’ai parlé à mes parents hier. Je leur ai dit que je ne suivrai plus leur voie.
Philippe hoche la tête, une lueur de respect brillant dans ses yeux.
— C’est un grand pas. Je suis fier de toi.
Je prends place à côté de lui, laissant échapper un soupir de délivrance.
— Je suis soulagée, oui, mais aussi terrifiée. Je ne sais pas ce qui m’attend maintenant. J’ai l’impression de marcher dans le vide.
Il me regarde un moment, puis pose doucement sa main sur la mienne.