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Keith Howard était destiné à seconder son frère Logan, sur le territoire des Iron Hounds. À une époque, il se tenait fièrement à ses côtés. À présent, c’est devant sa stèle qu’il se dresse.
Désormais à la tête des Silvers Foxes, Keith se tourne vers la seule personne qui le ramène aux entrailles de son passé. Son amie d’enfance et compagne de son défunt frère, Hope Davis.
Inconsolable, la jeune femme le persuade que la mort de Logan n’a rien d’un accident. Et si elle avait raison ?
Entre vengeance et désir, chacun luttera contre ses propres démons. Dans ce monde où le sexe peut être une arme, un remède ou une fuite, les frontières entre passion et destruction s’effacent.
Elise Caironel "Au-delà des mots" et Ecoffet M.Scarlett "A seductive taste" vous emportent dans l’univers de "Say You’re Mine". Dans ce premier tome, deux âmes brisées se réparent, se forcent à agir ensemble et vous entraînent dans les conflits des gangs de motards anglais et écossais où rien n’est laissé au hasard.
À PROPOS DES AUTRICES
Élise Caironel, née à Lyon et installée dans la région du Beaujolais, est une passionnée de littérature au parcours riche et inspirant. Ancienne enseignante d'espagnol, elle a choisi de se réinventer pour vivre pleinement de sa passion des mots. Aujourd'hui, elle est à la fois auteure, correctrice, et éditrice. Maman de deux enfants, Élise puise dans son expérience de vie et son amour de la langue pour guider les auteurs dans l'aboutissement de leurs oeuvres, tout en continuant d'écrire ses propres histoires. Sa plume et son regard affûté font d'elle une créatrice et une éditrice engagée.
Née en 1986, passionnée d'écriture depuis l'adolescence, rêveuse intempestive, toujours dans son imaginaire,
Scarlett M. Ecoffet est une créatrice dans l'âme. Son parcours scolaire est composé de littérature et d'une carrière créative en tant que Designer-Web.
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Seitenzahl: 487
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Couverture par Scarlett Ecoffet
Maquette intérieure par Scarlett Ecoffet et Emilie Diaz
Correction par Emilie Diaz
© 2025 Imaginary Edge Éditions
© 2025 Elise Caironel et Ecoffet M.Scarlett.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385723934
Ce livre est dédié au véritable auteur du Bref.
Merci de nous avoir inspiré Keith.
Ce roman contient des scènes de sexe explicite, des propos grossiers, racistes, du sang, de la violence et des meurtres. Chaque terme utilisé ne sert que le récit.
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Les auteures vous souhaitent une belle lecture.
♫ When you came in, the air went outAnd every shadow filled up with doubtI don’t know who you think you areBut before the night is through ♫
Bad Things – Jace Everett
Cinq ans plus tôt.
— Logan, arrête…
— Nope joli petit cul, pas question.
Les gémissements de la belle me font bander comme un âne. Ma queue pressée contre le bas de ses reins se réveille. Je mordille son épaule en ricanant, la sentant vibrer. Son sexe tremblant répond à mes cajoleries et je me pense plus fort que jamais.
Il n’y a qu’entre mes mains que ma petite mordeuse devient sage et docile, se tendant pour tout autre chose que sa brutale colère. Mes grosses paluches courent sur son corps frêle. J’adore ses nibards que je peux empaumer sans difficulté, sa chatte que je peux visiter. Elle sent bon le plaisir et je me shoote à son odeur. Cette nana, je l’ai dans la peau. Bordel !
— On n’a pas arrêté de la journée, gémit-elle.
C’est vrai… dès que je suis rentré, je l’ai dévorée d’amour, j’ai voulu faire de son être mon terrain de jeu, j’ai choisi de me l’approprier. De coups de reins en coups de reins, de plaisirs en plaisirs, j’ai bouffé Hope, son énergie et je lui ai donné la mienne. C’était plus fort que moi.
— Je suis désolé, ma mordeuse, j’ai besoin de ça.
Je m’excuse, c’est presque vital, de la sentir vibrer. Je veux envoyer péter les barrières qui éloignent nos corps, je ne veux faire qu’un avec elle et me sentir vivre en étant celui qui la fait tant trembler. Ma Hope…
Ma bouche dans son cou, l’eau l’aide à se poser sur mon ventre, laissant coulisser mon chibre sur son berlingot. Je soupire, ma tête va en arrière, alors que ses mains me taquinent la queue. Deviner les doigts de ma femme sur ma bite, ça n’a pas de prix.
— Bébé… je veux que tu me promettes un truc, quémandé-je.
Mes lèvres retrouvent sa peau, je n’ai plus de patience. Je la garde et l’enserre contre moi, empêchant ses jolies paumes d’effleurer ma pine durcie. Je bouge délicatement mes hanches, faisant frotter mon sexe contre le sien. Envahir sa caverne de plaisir est dans mes projets, avant, j’ai besoin qu’elle comprenne pourquoi j’ai été plus demandeur qu’un adolescent découvrant la crème hydratante de sa daronne et le mot de passe du contrôle parental de l’ordi.
— Si je crève, si genre, on me bute ou que je me foire sur la route, chiale pas ta vie à m’attendre, tu piges ?
Merde, je voulais être moins dramatique… je la sens se tendre, pas comme j’aime. Elle me force à la libérer et se retourne. J’ai déjà la tête en arrière, vaincu. Fais chier.
— Ouais, ouais, j’ai vu Keith.
Je me redresse.
— Il m’a pas capté…
Je bazarde l’info d’un geste de la main. Je peux pas m’empêcher de faire mon fier, gonflant les pectoraux de mon torse musculeux pour lui faire piger que non, je ne souffre pas de notre distanciation. Lui expliquer comment j’ai pu le croiser ? Impossible.
— Babe, s’il te plaît, j’aime pas parler de mon frère pendant que je bande et quand tu me fais ce petit regard, j’ai encore plus la gaule.
Ma main glisse à sa nuque et je l’attire, faisant taire sa tête de tueuse pour retrouver ma douce et brûlante Hope. Ma petite cochonne quand je lui retire sa culotte…
— Soyons sérieux, je veux pas… soupiré-je, je suis réaliste, notre monde tout ça… je peux si facilement crever. Et si ça arrive, bordel ne m’attends pas. Chiale ta race un coup, si tu veux, mais restes ma petite mordeuse, frontale et fait chier un autre gars ou une nana s’tu préfères, mais vis ta de vie. On en a qu’une ! Tu piges ?
Ses yeux me brûlent, je l’embrasse encore, l’attirant à moi. Je l’aime à en crever, le problème c’est que j’ai peur qu’elle meure de chagrin si jamais il m’arrivait malheur. L’idée me rend dingue. Je veux pas qu’elle soit comme Keith.
— Logan, tente-t-elle de me calmer.
Mes paluches se glissent dans ses cheveux, j’ai toujours envie de la faire hurler de plaisir. Je souhaite qu’elle comprenne. Je ne pige pas moi-même mon angoisse à la con, mais elle est là et elle se tire pas. Je baise chaque partie de sa chair qui m’est accessible, fiévreux…
— O.K, O.K, je te promets !
Enfin. Doucement, elle m’oblige à m’arrêter, reprenant son souffle. Je la vois s’installer sur moi et je bécote ses doigts sur mon torse, l’eau remuant à en déborder autour de nous.
— Je te promets de vivre ma vie si jamais…
Elle se stoppe. Mes coups de folie sont parfois imbitables pour elle. Je le sais, même moi je me pige pas toujours… j’ai seulement besoin qu’elle comprenne que je ne veux pas l’enchaîner à un mort, je l’aime trop pour ça, tellement trop… son modeste sourire provoque le mien.
Elle abdique, murmure et se redresse. Moi, je me saisis de ma pine pour qu’elle s’empale, un soupir, peut-être que cette fois, ce sera la bonne et je lui ferais un petit bout de nous… si le karma ne me propose pas d’aller me faire foutre. Il est vache cet enfoiré parce que je crois qu’il me taxe sur mes conneries…
Mes mains agrippent ses hanches, et me voilà bien installé dans le meilleur fourreau du monde. Elle m’embrasse, me rassure de sa langue complice et ondule. Je sens ses dents s’accrocher à ma lippe et je gronde.
— Joue pas à ça… prévins-je.
Son rire… comme un accord.
Putain que je l’aime ma petite mordeuse…
♫ Girl, you really got me now,You got me so I don’t know what I’m doin’.Girl, you really got me now,You got me so I can’t sleep at night ♫
You really got me – The Kinks
Les yeux clos, le poids sur mes épaules rend ma carcasse lourde. Sur mes lèvres, les vestiges du whisky. Ils nappent ma langue d’un mélange de sucre et d’alcool ne me permettant pas de sortir de mes pensées. La musique des Kinksmurmurée me donne l’impression de fracasser mes tympans. J’ai du mal à supporter la guitare et le reste, la voix éraillée du chanteur et l’énergie qui se dégage de tout cela.
— Kay… arrête-moi ce putain de capharnaüm.
— Mais, Boss… The Kinks !
Putain…
J’ouvre les paupières dans un effort surhumain, toisant celui qui n’est encore qu’au rang de Kits au sein de club. Mon air sous-entend que quand je balance un ordre, on ferme sa gueule et on obéit. Cela suffit donc au renardeau pour qu’il lève son cul et aille éteindre le vieux jukebox. Cette recrue a du potentiel, elle comprend vite et rapidement qu’il est inutile de contester mes ordres.
Parfait, le silence.
Les avant-bras sur le rebord du bar, je me redresse, passe une main sur mon visage et soupire. Un coup d’œil à l’ancienne horloge ronde au-dessus des bouteilles d’alcool m’indique qu’une heure du matin ne va pas tarder à sonner. Boire ne m’aidera pas…
Pas plus que les mains douces de Taylor et son parfum écœurant de bonbon. L’effluve me fracasse le pif dès qu’elle se glisse, dès qu’elle vient me roucouler je ne sais quelle merde dans le crâne, appuyant sa silhouette galbée contre mon dos.
Assis sur le tabouret haut, je me retrouve avec une paire de loches qui me frotte. Comme souvent, elle porte un pantalon qui lui serre le cul. Je sais pas quel est son but. Montrer qu’elle porte rien là-dessous ? Faire croire qu’elle a une paire de miche à damner un saint ? J’en ai rien à foutre perso…
Elle s’est encore crue à la plage, cette conne avec son seul soutif en haut ?
— Tu m’offres un verre, Keith ?
Faisant l’effort de la regarder, je placarde mes prunelles limpides sur cette brebis1. Il est inutile d’être sorti de la cuisse de Jupiter pour comprendre que cette pouffe pense qu’elle peut réussir à m’intéresser. Sa bouche d’un rouge écarlate prend ce petit air de plaisir victorieux, elle minaude comme une chatte en chaleur en croyant que ses hormones vont me faire dresser la queue. Ça y est, elle me gonfle.
— Pour quoi faire ?
Je retire sa main de mon bras. Même si je suis ivre, je n’ai aucune envie de sauter qui que ce soit. De toute façon, cela fait des années que mon chibre demeure stoïque dans mon futal, se moquant éperdument des potentiels culs ou chattes qu’il pourrait visiter.
— Casse-toi Taylor, grogné-je avant de l’ignorer, finissant de vider mon verre.
Elle se vexe, je m’en tape et alors qu’elle ne laisse qu’une odeur de sucre derrière elle, je me sens de nouveau seul et cela me fait du bien. Presque. Parce que je ne pensais pas qu’un jour, je serais aussi vide.
J’ai l’habitude en vérité, cela fait longtemps que je profite de la vie en compagnie de ce néant.
Mes doigts glissent à l’intérieur de mon gilet en cuir, attrapant dans une poche dissimulée une photographie froissée. Quand je l’effleure, elle semble me brûler les doigts, la voix d’April résonne dans le fond de mon crâne, me lançant un : Tu as oublié pas vrai ? Je t’avais bien dit pourtant de ne jamais oublier…
L’odeur de son parfum m’entête, un peu de violette, un rien de jasmin, et son shampoing pour cheveux colorés. Je me rappelle chaque fragrance, c’est limpide.
Je ne lutte pas tant que cela pour me souvenir d’elle, par contre, pour eux… Quel timbre avait Logan déjà ? Je me rappelle son rire, de ses épaules qui se secouent et de sa tendance à me filer de grandes claques dans le dos pour ne jamais me laisser de côté. Je me remémore des sourires complices, de cette vague idée que nous étions de véritables frères, de cette impression pourtant que je n’étais rien ni personne, dans la vie des Howard.
J’inspire.
Tu m’avais promis que tu te réconcilierais avec un jour. C’est foiré…
Si April avait été là, elle se serait glissée dans mon dos, enserrant ma carcasse de ses bras, sa poitrine modeste pressée contre ma silhouette, sa joue bien posée contre moi. J’aurais caressé ses avant-bras, je me serais laissé aller à cette étreinte en acceptant d’être triste et d’avoir sur le cœur un poids de merde.
J’avais promis…
J’en ai fait des choses, des conneries, des saloperies, principalement j’ai foiré tous mes serments. Il n’est peut-être pas trop tard, enfin, pas indirectement….
— On y va.
Pas de réactions. Je me répète deux fois avant de me décider à secouer mon Vice-Président totalement bourré à côté de moi. Il sursaute, manque de se casser la gueule de sa chaise et hoche la tête en énonçant des d’accord inutiles et nombreux.
— On part à l’aube du Burrow, décuve.
Ouep, nous quittons le bar, notre repère, avant que le soleil ne se lève même.
— Que…
Le regard de Zayne fixe l’horloge, il proteste avec une vindicte de capricieux et s’étale à terre en guise de protestation.
— Keith, tu peux pas me faire boire comme un trou et me demander de partir dans trois heures bordel.
— Demande à Taylor de t’astiquer, ça te réveillera.
Je me redresse de mon siège, douche froide, repos de deux heures et ça ira. J’ai l’habitude de ne pas beaucoup dormir, de boire aussi et de prendre la route. Je lâche un regard à Zayne qui se redresse du sol et je me tire paisiblement vers ma piaule.
Il est temps pour moi de dire adieu à mon frère, avant qu’on ne foute son cercueil au fond d’un trou et qu’on le recouvre de terre.
♫ Oh and all I taught her was everything
Oh I know she gave me all that she wore
And now, my bitter hands, chafe beneath the clouds
Of what was everything, oh the pictures have,
All been whashed in black, tatooed everything ♫
Black – Pearl Jam
L’odeur de l’huile de moteur et du cuir imprègne chaque recoin du club-house2. Il y a quelque chose de réconfortant dans ce parfum, un rappel de l’époque où Logan rentrait de ses run3, un sourire fatigué éclairant son visage, sa main toujours égarée sur ma nuque comme pour s’assurer que j’étais bien là, avec lui dans notre belle Manchester4. Aujourd’hui, ces souvenirs me lacèrent. Chaque détail du décor me crie son absence. La table en bois marquée par les brûlures de cigarettes, les vieilles affiches de concerts punaisées sur les murs, la musique de Pearl Jam, sa préférée, qui grésille dans la radio, et même le drapeau noir et argenté du club… tout me remémore qu’il ne passera plus cette porte. Je suis plantée devant la grande baie vitrée qui donne sur la cour intérieure. Les motos sont alignées comme des sentinelles silencieuses. La Triumph Rocket III de Logan trône encore au premier rang. L’image de cette bête de métal me serre la gorge. Logan aimait cette bécane autant qu’il m’aimait, peut-être même plus parfois. Mais parmi ces nombreuses maîtresses de métal, elle était celle du quotidien. Ce n’est pas sur elle qu’il est mort. Celle-là, celle qui l’a fauché est bousillée.
Jayce entre dans mon champ de vision, émergeant des ombres comme un spectre. Ses bottes martèlent le bitume avec une assurance tranquille. C’est le genre de mec qui impose le respect sans dire un mot. Aujourd’hui, il tente tant bien que mal de cacher son inquiétude. Je sais qu’il ne veut pas être ici à me parler de ce qui va suivre, or il n’a pas le choix. Tout comme moi.
— Hope, murmure-t-il en franchissant la porte.
Je me retourne lentement, croisant ses yeux sombres. Il a ce regard qui semble toujours sonder les gens, comme s’il cherchait quelque chose de dissimulé au fond de leur âme. Aujourd’hui, il trouve simplement une femme brisée.
— Tu voulais me voir, annonce-t-il, la voix grave.
— Oui, Jayce, mais pas ici.
Je l’entraîne vers la mezzanine, loin des oreilles indiscrètes. Dans ce lieu lambrissé, dominé par un bureau en acajou massif couvert de papiers, de cartes, et d’un cendrier débordant de mégots. Le lustre impose sa présence. Plus qu’un simple objet d’éclairage, il est le symbole d’un raffinement absolu, témoin silencieux des décisions importantes, des lectures studieuses et des pensées ambitieuses. Dernier héritage de Carter Howard, qui le tenait lui-même de sa mère, nous ressentons encore l’influence protectrice du Grand Président. Jayce ferme la porte derrière lui et s’appuie contre le mur, bras croisés.
— Qu’est-ce que tu veux me dire ? demande-t-il sans préambule.
Je prends une profonde inspiration. Mes mains tremblent légèrement, alors je les croise sur ma poitrine pour masquer mon trouble.
— La mort de Logan… impossible que ce soit un accident.
Jayce fronce les sourcils, il ne réagit pas immédiatement. Son silence en dit long : il ne désire pas entrer sur ce terrain glissant.
— Hope, je sais que c’est difficile, mais tu dois accepter la réalité. Logan était fatigué. Il roulait depuis trop de temps. Il s’est endormi sur son drag bars5, et… ce genre de trucs arrive.
— Pas à Logan ! protesté-je vivement. Pas comme ça. Tu le connaissais. Il était prudent. Trop prudent pour…
— Hope, m’interrompt-il en soupirant. Parfois, chercher des explications complique les choses. Logan est parti, et nous devons avancer. Ça ne sert à rien de remuer le passé.
Je le fixe, incrédule. Il reste planté là, le visage fermé. Je sens ma colère bouillir sous la surface. Comment peut-il être aussi froid, aussi distant ?
— Tu ne comprends pas, murmuré-je, la voix tremblante. Logan avait des doutes. Il… il savait que quelque chose n’allait pas. Il m’en avait parlé, même si… même s’il est toujours resté vague sur le sujet.
Jayce secoue lentement la tête, visiblement peu convaincu. Ça me donne envie de hurler, pourtant je ravale ma frustration. Je ne peux pas lui forcer la main.
— Je suis désolé, Hope. Je ne peux pas t’aider. Ce club a besoin de toi, maintenant plus que jamais. Logan aurait voulu que tu restes forte pour les gars.
Je détourne les yeux, essayant de réprimer les larmes qui menacent de couler. Jayce se redresse et s’éloigne, me laissant seule. Quand la porte se referme derrière lui, un silence oppressant s’installe. Ma colère refait surface, mélangée à un sentiment de désespoir. Personne ne souhaite m’écouter, personne ne veut voir ce que je vois.
J’ai envie de me griller une clope. Je tâte les poches de mon jean… Où est passé ce putain de briquet ? En glissant ma main dans la poche intérieure de ma veste, j’effleure ce bout de papier, celui que je porte depuis toujours au plus près de mon cœur. Je l’extirpe de sa cachette. Une vieille photo. Logan, Keith, April et moi. C’était un jour d’été, comme beaucoup d’autres qui ornaient notre enfance. Les quatre gamins inséparables que nous étions semblaient alors éternels et immortels. Logan possédait ce sourire rieur, April se planquait derrière moi, timide, et Keith… Keith portait déjà tout le poids du monde. Cette photo est tout ce qu’il me reste d’eux à cet instant précis. Elle est froissée par les années, mais les souvenirs qu’elle contient me paraissent encore si vifs. Je passe mes doigts sur le papier, les yeux fixés sur cette époque que je ne retrouverai jamais. Une larme roule sur ma joue, je l’essuie rapidement. Je n’ai pas le droit de craquer maintenant.
***
Le temps semble s’étirer alors que je me prépare pour ce qui s’annonce être une longue journée. Les Silver Foxes ne vont plus tarder. Keith, leur Président, est mon beau-frère. Cela fait des années que nos chemins se sont écartés. Son territoire est loin, à Édimbourg en Écosse, et nos vies n’ont jamais cessé de diverger. Pourtant, il sera là pour Logan. Parce que malgré tout, nous étions une famille. Je me regarde dans le miroir. Mon reflet me fixe, et je me demande combien de temps encore je pourrai tenir ainsi. Ma peau métisse a tout le temps été une source de fierté pour moi, un héritage de ma mère. Mes cheveux, volumineux et indomptables, sont l’une des rares choses que j’aime toujours chez moi. Aujourd’hui, mes yeux noisette sont cernés, rouges. Ils traduisent la douleur et la fatigue que j’essaye de cacher. Je passe une main sur mon visage, inspirant profondément. Je dois être forte. Non pas pour moi. Mais pour eux. Pour Logan. Pour le club.
Dans la grande salle du club-house, l’activité bat son plein. Les gars préparent les lieux pour accueillir les Silver Foxes. Les tables sont poussées, des caisses de bières sont alignées contre le mur, et une atmosphère tendue flotte dans l’air. Je supervise discrètement, observant chaque détail.
— T’es sûre de vouloir être là quand ils arriveront ?
Je me retourne pour voir Nathan, toujours aussi nerveux, mais sincèrement inquiet. Ce gamin est un prospect, un nouveau venu dans le club qui doit prouver sa valeur avant d’en devenir un membre à part entière. Il a un bon cœur, même s’il n’a pas encore tout compris des règles de ce monde. Son regard trahit à la fois une admiration authentique et une peur de mal faire, cette dualité qui marque tous ceux qui débutent dans cet univers.
— Oui, Nate. C’est ma place.
Il hoche la tête, je vois qu’il reste perplexe. Ses doigts triturent nerveusement une lanière de cuir pendante à son gilet, un tic que j’ai remarqué chez lui. Je ne lui en veux pas. Moi-même, je doute parfois de ma capacité à affronter tout ça.
Lorsque le bruit des moteurs des Silver Foxes résonne au loin, un frisson parcourt la salle. Tous les regards se tournent vers l’entrée. Je me redresse, m’efforçant de paraître calme et sûre de moi. Les premières motos apparaissent, suivies par d’autres. Un long cortège de métal et de puissance. Et à leur tête, Keith. Il coupe le moteur de sa Custom Chopper, enlève son casque, et ses yeux croisent les miens. L’espace d’un instant, le temps semble suspendu. Keith descend lentement de sa machine, avançant vers moi. Il n’a pas changé. Toujours ce regard intense, cette aura imposante. Pourtant, quelque chose en lui paraît plus dur, plus froid qu’auparavant. Ses muscles roulent sous chacun de ses mouvements, un ballet hypnotique de force et de contrôle. Chaque geste est pensé, maîtrisé, comme s’il sculptait l’air autour de lui. Il a rattrapé mon compagnon, ou peut-être l’a même dépassé. Sa silhouette n’est plus celle d’un jeune homme en devenir, mais celle d’un homme accompli, d’un Président né, dont la simple prestance inspire le respect. Ses yeux bleus, perçants, semblent sonder jusqu’à mon âme, comme s’il devinait mes pensées les plus secrètes. Ses cheveux blonds, plus longs qu’avant, tombent en mèches désordonnées autour de son visage, accentuant le contraste avec sa barbe soigneusement entretenue. Il est sauvage et raffiné à la fois, un mélange irrésistible de brutalité et d’élégance. Les tatouages qui couvrent sa peau, tels des symboles mystérieux, attirent mon regard comme un aimant. Ils ne se contentent plus de parsemer son corps : ils l’enveloppent, l’habillent d’une aura magnétique, presque intimidante. J’ai l’impression qu’ils racontent une histoire, celle d’un homme qui a vécu, aimé, combattu… Chaque ligne d’encre semble vibrer, accentuant la puissance qu’il dégage. Et pourtant, au-delà de cette force brute, quelque chose d’infiniment troublant émane de lui, une chaleur qui me fait frissonner. Il est tout simplement impossible de détourner les yeux.
— Hope, murmure-t-il en arrivant à ma hauteur.
— Keith.
Le silence qui suit est lourd, chargé de tout ce qui n’a pas été dit depuis des années. Ce n’est pas le moment pour les réconciliations ou les disputes. Nous avons un enterrement à préparer, et des questions sans réponse à nous poser.
♫ Hello darkness, my old friendI’ve come to talk with you againBecause a vision softly creepingLeft its seeds while I was sleeping… ♫The sound of silence – Geoff Castulci
— Hope.
— Keith.
Le timbre de nos voix reste placide. Le temps de l’amitié est révolu depuis des années. Autrefois tout était différent. Ma femme était en vie, mon frère aussi.
Aujourd’hui tout est terminé. Ce qu’il se passe maintenant, ce sont les conséquences de l’éloignement.
Est-ce que je suis triste ? Peut-être.
J’aurais aimé voir mon frère une dernière fois, même pour éprouver de la colère à son égard, même pour ressentir de la frustration à son encontre. Quelque chose en tous cas. Tout me parait mieux que cette amertume qui me colle au cul, cette sensation d’abandon qui me revient.
C’est l’endroit qui veut ça. Cette maison, ce club-house, tout ce qui est sur ce putain de territoire. Les non-dits qui y traînent ne seront jamais résolus. Nous resterons des étrangers. Du quatuor, il n’y a plus que nous. Hope et moi. Une impulsive caractérielle aux allures de fauve et un grand con taciturne et silencieux. April aurait été capable de tout bouleverser ici, de faire briller le monde, de l’éclairer de son sourire. Elle aurait attrapé Hope dans ses bras et l’aurait étreinte avec force en l’appelant ma sœur. Elle lui aurait promis que la douleur n’est que temporaire, sans comprendre pourtant combien cela peut faire mal de perdre la personne que l’on aime.
Je suppose que je devrais lui dire ça.
Hélas, je ne peux pas. Je suis incapable de la serrer dans mes bras, de lui donner plus que ce regard froid. J’ai paumé mon cœur quand ma femme est morte, et il reste toujours cette pensée amère que ce sont eux, les Hounds, qui ont agi pour me voler une part de moi. Je suis persuadé que je ne pourrais jamais leur pardonner. Je me rappelle que je les déteste autant que j’ai su les aimer. Je me remémore que j’étais un des leurs… presque.
Tout ça, c’est du passé.
Elle me sourit.
Je n’ai jamais vu son visage aussi triste, April ne le supporterait pas. J’entends presque sa voix m’ordonner de la prendre dans mes bras, pour lui offrir la chaleur d’un réconfort que je n’ai jamais eu. Ma brunette hyperactive peut m’en vouloir de là où elle est. Moi, je toise sa silhouette filiforme, son corps discret, le chagrin qui hante ses traits graciles. J’avais oublié qu’elle était aussi fine que tranchante. Une Irons Hounds dans toute sa splendeur, il lui manque sa moitié. Je devrais pouvoir lui offrir cette consolation que les gens entiers ne peuvent pas donner. Pourtant, pas un mouvement, pas un geste. Je la détaille, évite de plonger dans le soleil brun de ses iris, je ne veux pas qu’elle démêle mon âme, qu’elle la trouve et que la sienne soit un écho. J’ai perdu cette part d’émotion que j’avais acquise, je l’ai jetée, suspendue je ne sais où, mieux vaut la tenir loin.
C’est elle qui essaye, dans un geste, de m’enlacer.
Pourquoi est-elle heureuse de me voir ?
Perturbé par son attitude, je me force à la garder dans mes bras. Une main posée convenablement dans son dos, je le frotte avec rigidité sans affection. Lui tapoter la tête reviendrait au même, ce serait tout aussi distant et mal assuré. Je songe encore à April et un peu à mon frère, l’impression qu’ils me fixent de loin est là. Ils ne doivent pas aimer mon attitude, aucun des deux morts ne le peut. Mais qu’ils n’oublient pas, l’une est décédée sous leur esprit d’attaque, l’autre… je ne sais pas. La fatigue ?
J’veux pas y croire.
Cette pensée disparaît vite, ce ne sont pas mes affaires. Je me détache de Hope, reprends une distance appréciable. Je l’ai à peine touchée, une minute tout au plus. Elle semble perplexe. Qu’attend-elle de moi ?
— Viens, que je te présente.
Je la suis, devinant au passage qu’elle cherche comment faire cesser mon mutisme. D’autres ont essayé avant elle et ils s’y sont tous cassé la gueule. Mon éloquence a foutu le camp il y a longtemps.
D’un signe de tête, j’intime à Zayne de m’accompagner. Mon Vice-Président obéit, reluquant une brebis des Hounds. Il fait le beau, rajuste son blouson de cuir élimé, roule des mécaniques. Nous laissons les autres, venus avec nous.
Le bras droit scrute tout le monde, d’un air désinvolte, un rictus au coin, une attitude de gamin, se demandant quelle salope il pourrait séduire, mais pas que…
C’est un queutard certes, c’est sa maladie, or je sais qu’il agit plus loin que cette apparence. Je joue le jeu, d’une œillade je lui fais comprendre que nous avons mieux à foutre, il sourit.
Les renards ne sont jamais ce qu’ils paraissent.
Nous traversons la cour, sous les observations des autres, je n’ai pas amené beaucoup d’hommes, préférant ne déclencher aucune hostilité. J’ai beau avoir l’âme remplie de rancœur, je veux dire adieu à mon frère de manière convenable. Honorer ce qui reste de mon ancienne vie aussi.
Après tout cela, je serais définitivement loin.
— Zayne, le gars qui seconde ce mec mystérieux et monosyllabique ! balance mon Vice-Président en se rapprochant de Hope.
Il sait qu’elle est la veuve et que le moindre comportement déplacé de sa part lui vaudra une droite, mon éclaircissement de gorge fait redresser sa tête, il range ses mains dans ses poches, hausse les épaules.
— Tu l’as connu moins taciturne ?
— Beaucoup moins, sourit tristement la brune.
Je les dépasse, je me cogne totalement de leur remarque, préférant m’enfoncer dans le vif du sujet. J’aimerais accomplir autre chose que du blabla, veiller mon frère me semble plus intéressant que s’écorcher la gueule sur des mondanités.
Je passe la cour, le bar, les zones communes, reconnaissant chaque parcelle de ce territoire qui a été le mien jadis. Je suis loin de me revoir gamin en train d’arpenter ce putain d’endroit, j’ai l’impression de n’y avoir jamais réellement foutu les pieds. Même si rien n’a changé, mon esprit a volontairement mis de côté tout ce merdier.
En grimpant les marches, faisant résonner les semelles de mes bottes, je me retourne pour ne lancer qu’un regard noir à mon V.P6.
— Et dire que t’as tiré tes premières gonzesses ici, ça me fait presque un petit quelque chose.
Abruti.
Le souci avec Zayne c’est qu’il a besoin de parler, de s’exprimer, c’est un mec qui analyse plus en faisant le con, qu’en gardant son sérieux. Je pige bien qu’il prend note de tous les détails de cet endroit. Au cas où…
Lui donner tort serait stupide, nous sommes en territoire ennemi.
— Du coup, tu peux m’aider à résoudre un grand mystère Hope…
Cela l’intrigue, elle attend qu’il lui pose sa question.
— Il était comment plus jeune ? Si tu me dis qu’il faisait des blagues du genre camion « pouet pouet », je ne te croirais pas.
— Zayne, soufflé-je.
Je clôture ses conneries d’un regard, et fais comprendre à Hope que ce n’est pas la peine de lui répondre. Il continue son ascension, hausse les épaules et semble se foutre de l’éclaircissement. Son sourire en coin me permet de capter qu’il a tout ce qu’il faut si jamais…
Je hoche la tête.
Si je supporte Zayne, c’est pour ce qu’il ne montre pas. Sa fidélité et sa filouterie s’associent parfaitement, comme tout bon renard, il ne lui faut pas grand-chose pour se sortir des pires merdiers. Je sais de quoi je parle, à l’heure actuelle, je l’apprécie aussi pour ce qu’il est : tout mon inverse.
Une dernière marche et nous parvenons aux abords des grands lieux.
Cela pue encore le vieux…
L’odeur ou l’aura de mon paternel traîne ici, le cador des cadors, le maître de ces lieux. Peut-être que ce n’est qu’une sorte de fantôme à la mord-moi-le-nœud qui veut me pousser à croire qu’il est là… je n’ai jamais vu mon frangin régner, alors ce ne serait pas étonnant. Le patriarche est toujours présent, j’ai l’impression.
Le M.C7 s’aligne en rang d’oignons, comme les clébards aux aguets qu’ils sont, ils forment une ligne derrière les chefs. Le premier, je ne sais pas qui c’est. Ses cheveux noirs trop longs, sa barbe drue de plusieurs jours, il pue la nicotine d’ici. Je devine même ses doigts jaunis par la présence du tabac. Il a des allures d’enflures, des épaules qui vont avec, il est pourtant marqué sur sa gueule que c’est un mec posé là temporairement. Il n’a pas l’écusson du chef, pas encore, une simple veste de second sur la carcasse. Il a pris sa place, le temps…
Qu’ils se décident à oublier Logan…
Le reste de ma troupe est en bas, cinq gars dociles, aux caractères plus fourbes que franc-jeu, ils ne causeront pas d’esclandres, je suis venu volontairement avec ceux-là, histoire d’éviter la merde. J’aurais pu voyager avec n’importe qui en réalité, ils me respectent tous pour savoir se tenir.
— Jayce, je te présente Keith, le Chef des Foxes. Keith, voici Jayce, le Président temporaire des Irons Hounds, formalise Hope.
J’aime pas sa gueule.
Face à ce type qui m’équivaut en taille, je m’impose. Mon aura, ma présence se font délibérément plus pressantes. À mon côté, Zayne se contente de sourire, il n’est pas en reste dans l’attitude.
— Zayne est son Vice-Président, voici Cole celui des Hounds.
Gros silence, mutisme réciproque, nous nous dévisageons le plus paisiblement du monde. C’est compliqué quand deux camps adverses doivent co-exister.
L’histoire va au-delà de la rivalité, j’étais un Hounds, je suis parti, je ne reviens pas pour leur faire la guerre, seulement enterrer mon frère. Et je me casse.
Rien ne me retient ici.
Mes yeux sont attirés par Hope, sa fatigue se joint à sa peine. Est-ce que je dis la vérité quand je pense que rien ne me retient ici ? Je l’ignore. Logan aurait voulu que je n’oublie pas une promesse qu’on s’était faite. Une de celle qu’il a parjuré en tuant ma femme. Aujourd’hui, je souhaiterais dire que je ne la tiendrais pas, je me connais malheureusement bien.
— J’aurais préféré te rencontrer dans des circonstances différentes. Le fameux frangin…
Mon attention revient sur ce Jayce, il avance sa pogne, je suis le mouvement. Nos paumes se rejoignent, c’est à celui qui broiera l’autre. D’habitude, je ne joue pas à ce genre de trucs débiles, mais je n’ai pas le choix. Un sourire étire ses lèvres, je reste impassible.
— T’as entendu parler de lui, et de tout le bordel ? ricane Zayne.
— Logan ne tarissait pas d’histoires sur toi.
Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
— Tant mieux.
Ma voix vibre, caverneuse, elle rappelle probablement les intonations de mon propre sang.
Je me souviens…
Logan et moi avons développé tant de similitudes, même en m’éloignant, je suppose que cela reste au vu des têtes qui se tournent vers nous. Je n’y fais pas cas.
— Allons discuter, conclus-je en me dirigeant vers le bureau.
Je lui coupe volontairement l’herbe sous le pied, il n’est pas encore le patron de ce groupe, je n’ai pas à attendre son bon vouloir et j’en ai marre d’être reluqué par des gueules de clebs. Prenant les devants, je m’avance.
Cette putain de porte me paralyse toujours autant…
Je la vois, inchangée, immense, je ne suis plus un ado, elle ne devrait plus m’impressionner. Pourtant… combien de fois je me suis glissé là pour observer mon paternel en action, espérer un regard, attendre je-ne-sais-pas-quoi.
Conneries.
M’arrêtant pour laisser passer Jayce, mon inconscient m’interdit de pénétrer comme ça dans la niche. Ce n’est pas ma place, cela ne l’a jamais été et alors que je fais signe à Zayne de se bouger le cul, je m’engouffre, refermant la porte par réflexe.
C’est là que je la vois. Ses pas la guident vers nous. Mon frère n’a jamais rien dû lui interdire, la rendant égale des autres, au-delà du statut de régulière…
Pour l’heure, je refuse de l’avoir dans mes pattes. Il ne reste qu’elle de nous quatre et j’ai juré jadis. La toisant de toute ma hauteur, j’attends qu’elle réalise. Je suis parfaitement conscient de ce que je vais faire, de la gifle verbale que je vais lui administrer.
Peu importe.
Elle s’arrête en comprenant que je lui barre la route. Son regard surpris semble s’intriguer face à mon acte.
— T’es peut-être une officielle8, mais t’as rien à foutre ici. C’est pas la place d’une gonzesse.
Sans attendre sa réponse, je ferme la porte et la plante là. Je ne veux pas la voir dans ce merdier, c’est mieux pour elle. Elle finira par le comprendre.
♫Save me if I become my demons
Take me over the walls belowFly forever, don’t let me goI need a savior to heal my painWhen I become my worst enemy ♫
My demons - Starset
Les coups de feu résonnent sur le stand de tir tel des tambours de guerre, écrasant tout dans un écho métallique qui vibre jusqu’à l’intérieur de mes os. À chaque détonation, une partie de moi se déleste de sa rage, comme si le vacarme lui-même portait mes frustrations au-delà des parois épaisses. La pièce s’est emplie d’une odeur âpre presque suffocante, mélangeant la poudre brûlée et le caoutchouc. Mes mains sont moites, je serre le Glock avec la force de quelqu’un qui n’a plus rien à perdre. Les murs, peints d’un gris neutre et écaillé par endroits, absorbent les vibrations des déflagrations. Tout ici est fait pour contenir. Tout ici est fait pour être dissimulé.
Caleb est debout, appuyé contre le cadran de la porte d’entrée, les bras croisés, observant en silence. Ses yeux azur suivent chaque mouvement, chaque geste, comme un prédateur qui garde ses distances, sachant qu’au moment où il se rapprochera, il faudra être prêt. Il ne dit rien, attendant patiemment que la tempête se calme. Or, elle ne se calme pas. Elle ne se calmera jamais.
Je tire, encore et encore, les détonations brisant l’air qui m’entoure. Les cibles s’effondrent les unes après les autres, déchirées, méconnaissables. Dans mon esprit, ce sont des symboles, des personnes qui m’ont trahie, des fantômes du passé qui refusent de se dissiper. Chaque impact est une résonnance à une douleur que je croyais enfouie. Les balles frappent les silhouettes dessinées sur le carton avec une précision qui frôle la perfection, hélas ce n’est pas assez. Cela ne le sera jamais. La frustration reste profondément ancrée, un poids que je porte depuis trop longtemps. Mais c’est ce que je suis, n’est-ce pas ? Une guerrière, pas une proie. Mes mâchoires sont crispées, mon regard brûlant. Je recharge rapidement, mes doigts sont agiles et assurés. Tout dans mon langage corporel hurle ma rage, une colère contenue prête à exploser.
Un coup de feu éclate dans la pièce, une seconde silencieuse, suivi d’un autre. Le bruit du métal atteignant le carton fait vibrer l’air. Les murs sont devenus témoins de ma fureur, de mon besoin de détruire. Et puis, je ne peux plus supporter le calme qui s’installe après l’instant de violence. C’est trop paisible, trop vide.
— C’est un connard, Caleb, un putain de connard ! soufflé-je enfin, le canon du flingue toujours pointé vers la cible, mes doigts engourdis par l’adrénaline. Un dernier coup file, le carton se déchire telle une promesse brisée, puis j’abaisse l’arme, haletante. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine, il fonce dans une cavalcade effrénée, une course sans queue ni tête qui me compresse le thorax.
Comment ose-t-il ? Comment peut-il me foutre dehors comme ça ? Comme une merde ?
Caleb décroise les bras et s’avance lentement dans ma direction. Il a ce calme apaisant qui contraste violemment avec ma furie. Avec son jean et son t-shirt noir, simples, il me semble presque invisible dans cet environnement morne. Il n’y a que ses yeux qui sortent de l’ordinaire. Ils paraissent être une mer tranquille, paisible en apparence, mais qui cache des abysses profonds. Il n’a pas besoin de parler pour que je ressente l’intensité de ce qu’il pense.
— Jamais je ne me serais fait mettre à la porte du temps de Logan.
— Et tu sais pourquoi ? me souffle-t-il, sa voix grave résonnant dans la pièce comme une caresse.
— Parce qu’il avait des couilles, lui ! Et il savait qui je suis ! Une putain de lionne, pas une vulgaire brebis, bordel. Logan… il voyait en moi son égal ! Il croyait en ma force, en mon rôle dans le club, et surtout, en notre lien.
Je le fixe, la gorge nouée, les yeux brûlants. Je retire mes lunettes de protection et les jette sur le comptoir avec un claquement sec, brisant l’espace entre nous. Caleb ne réagit pas, il me laisse respirer, prendre l’air comme une chienne en cage, sans s’éloigner pour autant. Il reste là, immobile, un point d’ancrage dans ce tourbillon de colère.
— Logan n’aurait jamais permis ça, Caleb…
— Mais Logan n’est plus là, Hope. Et toi, t’es toujours debout. Alors, qu’est-ce que tu vas faire ?
Ses mots tombent comme une sentence. Je le regarde droit dans les yeux, la fureur qui monte dans ma gorge me fait perdre pied. Je suis prête à éclater, prête à tout détruire. Il faut que je parle, que tout ça sorte, sinon j’explose.
— Ce que je vais faire ? Je vais le buter, Caleb. Je vais lui ôter son sourire d’imbécile condescendant avec mes propres mains.
Je me tourne vers lui, mes yeux pleins de flammes.
— Mais avant, je vais lui rappeler qui était Logan, et qui je suis. Parce que ce n’est pas un putain de décérébré de renard qui va décider de ma place dans ce club.
Mon meilleur ami hoche lentement la tête, imperturbable. Il n’a pas peur. Une étincelle de préoccupation traverse brièvement son visage. Il sait qu’il doit être prudent. Il sait que je suis à deux doigts de faire une connerie.
— Et tu penses que Logan aurait voulu ça ? Que tu te mettes en danger comme ça, pour quoi ? Pour prouver quoi ?
Je le fusille du regard, furieuse, mais ses mots me frappent. Comme un gant de fer dans un étau de douleur. Il a raison, bien sûr, il a toujours raison. Logan… Logan n’aurait jamais souhaité ça, malheureusement il n’est plus là pour me le dire et moi, je suis seule à gérer cette merde. Je suis seule à porter ce fardeau. Je ne peux pas m’arrêter, je ne sais pas comment faire autrement.
— Les dernières volontés de Logan sont « Si je meurs, fais venir mon frère. ». Pourquoi ? Pourquoi voulait-il ça ? C’est pas comme si on s’entendait à merveille avec Keith. J’ai toujours eu cette impression qu’il le tenait à distance, cherchant à protéger quelque chose… ou quelqu’un. Mais nous protéger de quoi ? Logan n’était pas du genre à s’expliquer, à partager ses raisons. Il agissait, point. Et maintenant, je dois gérer ça, moi, sans aucune foutue réponse.
La colère me serre la gorge, je suffoque. Une partie de moi semble savoir que je vais perdre quelque chose d’important.
— Mais quoi ? Pourquoi Logan a-t-il réclamé ça ? Pourquoi a-t-il pris cette décision ? Et surtout… pourquoi maintenant, alors qu’il n’est plus là ?
Je me pose des questions, j’ai toujours des doutes, je ne crois pas que mon homme m’ait demandé cela sans raison. Tout ce qui tempête en moi est infernal, et cet abruti de Keith en rajoute en étant un sale con.
Caleb s’approche de nouveau, étouffant la distance entre nous. Il appuie une main ferme, et légère sur mon épaule, capturant mon attention. À ce contact, un frisson involontaire parcourt mon échine, mélange d’agacement et de réconfort. Une part de moi veut rejeter ce geste, le voir comme une intrusion dans ma bulle de rage, mais une autre, plus fragile, s’y accroche désespérément.
— Peut-être savait-il que son frère avait besoin de toi autant que toi de lui. Que la perte d’un être cher vous rapprocherait. Il devait se douter que ce ne serait pas facile. Il a toujours cru en toi Hope, il pigeait que tu y arriverais, parce que t’es plus forte que tu ne le penses.
Ses mots sont simples, directs, ils me frappent en plein cœur. Je détourne mon regard vers la cible déchirée, puis en direction du sol. Mes mains tremblent légèrement, je déteste ce signe de faiblesse. Ce n’est pas moi. Je ne devrais pas frissonner. Je ne devrais pas avoir besoin de lui pour me tenir debout.
— J’en ai marre, Caleb, murmuré-je, la voix brisée par un poids que j’ignore comment porter. Marre de toujours devoir prouver quelque chose. Je fais tout ça pour Logan, mais à quel prix ? Ma dignité ? Ma santé mentale ?
Il resserre doucement sa prise sur mon épaule et me lorgne avec une intensité qui me fait mal au cœur. Je devine qu’il me comprend, qu’il sait exactement ce que je ressens. Caleb n’a pas besoin de mots, pas besoin d’expliquer. Sa présence, ses pupilles calmes, sa force tranquille m’enveloppent.
— Tu le fais pour toi, Hope. Parce que t’es une putain de lionne, comme tu dis. Et les lionnes, elles ne se laissent pas dévorer par les hyènes.
Un rictus amer étire mes lèvres. Je le regarde enfin, et je discerne dans ses yeux quelque chose que je n’avais pas remarqué jusque-là : une compréhension sincère, une aura paisible qui égale la mienne. Il y a une forme de douceur dans ses iris, une forme de respect, comme si, dans tout ce chaos, il me voyait pour ce que je suis réellement. Cela m’effraie un peu, cela me rappelle qui je suis.
— Merci d’être là, finis-je par dire, d’une voix plus tendre, presque inaudible.
— Toujours, répond-il avec un sourire.
Et dans ce simple mot, il y a tout ce que j’avais besoin d’entendre.
♫ New blood joins this EarthAnd quickly he’s subduedThrough constant pained disgraceThe young boy learns their rules ♫
The Unforgiven - Metallica
Caleb…
Un grand con, le regard affûté, le sourire mauvais, l’attitude d’un clébard qui cherche comment choper sa proie. L’attitude d’un Hounds…
Ai-je été comme ça par le passé ? Et mon frère ?
Tout me ramène à ce genre de questions stupides, presque sans intérêt, sans valeur si ce n’est me rappeler mes souffrances. Le bureau n’a presque pas changé. La vieille moquette noire dégueulasse au sol a été retirée, un coup de propre sur les murs a été donné.
La bibliothèque et ses livres sont toujours rangés de la même manière…
Mes yeux s’attardent sur les photos parfaitement alignées de tous les prédécesseurs depuis la création du groupe. La tronche en biais du premier Howard avec un œil à la paupière tombante me toise, orgueilleux de poser avec son gang, leurs vestes en cuir, neuves, sur le dos. 1950 rajouté au feutre dans un coin, et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui. Une toutes les dix piges, comme le veut la tradition. Les gueules changent, les attitudes demeurent, je suis même sur l’une d’elles, fier comme un con.
Quelle connerie !
Bras croisés, refermés, je n’ai pas installé mon cul sur un des larges fauteuils en face du bureau du Président, je refuse de coller mon derche là. Zayne s’y est engouffré, souriant, détaillant son égal dans le groupe d’en face : Cole.
Cole est le plus âgé d’une poignée d’années. Quand je suis parti, je n’étais pas en mesure de lui tenir tête, aujourd’hui, je le dépasse. Ses rides ont commencé à s’étaler sur sa gueule, ses bras ont continué de se remplir de tatouages, il néglige encore sa barbe, semble toujours trop calme et la large cicatrice de brûlure sur son cou me rappelle qu’il a frôlé la mort.
Quand était-ce déjà ? Je ne devais pas avoir douze ans…
Les souvenirs ne sont pas tous égaux dans mon crâne. Je pourrais balancer à l’heure près ce que j’ai fait avec ma femme, je ne sais plus tout à fait ce que j’ai pu vivre chez les Hounds. C’est obscur. Mon esprit a cherché à effacer cette partie de mon passé. Je n’ai jamais été qu’en sursis ici, le bâtard du Chef, la pièce rapportée, acceptée parce que l’oficielle du vieux ne voulait pas me laisser errer. « Tu dois assumer ton erreur » lâchait-elle avec un air mauvais, stigmatisant mon existence et ce qu’il avait fait
Une vraie conne, heureusement qu’elle a passé l’arme à gauche !
Installé contre le rebord du buffet le blabla de Jayce me casse les couilles. Il parle beaucoup, fait le beau, endosse le costume du patron presque à la perfection. Il convoite ce rôle, c’est l’évidence, qui pourrait lui en vouloir ? L’Alpha est mort, et il a tenu un rang qui le prédestinait à devenir le nouveau dirigeant. Ce n’est que de la logique. Et cela même si je ne souhaite pas l’encadrer.
Mais un renard n’a aucune raison d’apprécier un chien.
— Je pense qu’il est nécessaire de faire une paix temporaire durant le deuil.
No shit Sherlock9…
Une demi-heure de tergiversations inutiles, de paroles sur tout et rien et il me balance ça. Il croit que c’est l’idée du siècle, je suppose qu’il l’a sortie de son cul.
Un raclement de gorge précède ma réponse, je galère à ne pas montrer ma lassitude.
— Je ne comptais pas venir pour autre chose qu’enterrer mon frère, en fait.
Je ne serais même pas là en vérité, si cela n’était pas une de ses dernières volontés. Hope a insisté. Elle serait certainement venue me chercher par la peau du cul pour respecter tout ça. Elle doit l’avoir mauvaise que je l’ai éjectée. Mais c’est mieux pour elle.
April me pourrirait, elle me tirerait la gueule en me rappelant qu’elles ne sont pas de vulgaires brebis, encore moins juste des nanas à moto. Et je ne pourrais pas lui donner tort. Avec Logan, nous voulions que nos femmes puissent endosser le rôle de Cheffes, si besoin. Personnellement, je regrette ce point, ma compagne serait toujours en vie si elle avait été moins importante.
C’est mieux pour Hope.
Je ne sais pas qui j’essaye de persuader, moi plus que quiconque. Elle aurait tenu la fonction de médiatrice. Peu importe. La face de gland me sort de ma réflexion, je le dévisage.
— Tu n’as pas l’air convaincu, lance-t-il avec cet air qui m’en touche une sans faire bouger l’autre.
Impassible, je hausse un sourcil.
— Si je ne l’étais pas, je pense que vous ne seriez plus là pour en parler.
La tension monte en flèche, c’est lui qui cherche. Il me teste, c’est le style de type qui a besoin de ces délires à la noix pour se sentir exister. Je discerne bien la crispation de nos subalternes, les œillades méfiantes qui se sont lancées sur nous. Zayne et Cole n’interviennent pas, ils demeurent prêts, au cas où.
Le cul dans le fauteuil du patron, Jayce a posé son cuir sur le dossier. Il me scrute de ses yeux sombres et semble me jauger. Je peux entendre ses méninges tourner à dix mille depuis ma place, deviner ses pensées. Son sourire carnassier, ses airs détendus, il estime pouvoir avoir le dessus sur moi.
— Oh, tu sais, je crois que c’est vous qui avez eu le plus de pertes ces dernières années, non ? Alors ce que tu crois pouvoir faire…
L’enfoiré, il part déjà sur la mort d’April ? C’est bien le seul point que je ne veux pas leur donner, la faiblesse que je ne désire pas leur laisser exploiter. D’une moue, j’indique qu’il a raison, d’un haussement d’épaules je montre que je m’en fous.
— Tout ce que nous souhaitons en tous cas, c’est que vous vous sentiez en paix durant le temps du deuil. Comme disent les Espingouins10 « mi casa es tu casa ». Vous pouvez nous demander ce que vous voulez et nos brebis sont…
— Nous n’avons besoin de rien. Nous ne sommes pas là pour autre chose que l’enterrement. Une fois terminé, nous rentrerons.
Rejeter ses offres est une impolitesse. Je ne désire pas que mes gars fricotent avec leurs salopes, j’ignore où elles ont traîné et je les vois capables de filer la chtouille à plus d’un des miens en nous envoyant les plus dégueulasses. Je ne désire ni leur alcool ni leur bouffe, pas même le toit qu’ils pourraient nous fournir.
— Nous logeons au Madison à la sortie de la ville.
C’est clair pour eux ? Je l’espère.
— Ton impolitesse est une insulte à la mémoire de ton frère.
— Il me pardonne de là-haut…
— Nous aurions voulu profiter de cette occasion pour vous proposer une entente, tente leur V.P.
Coupant net notre petite exposition de testostérone, Cole s’avance. Sa voix le précède, rocailleuse, grave, elle est presque trop profonde.
— Nous ne pouvons plus nous opposer, les Black Ravens en abusent de plus en plus. Il serait judicieux de laisser tomber les rancunes et notre lutte ancestrale pour s’associer. Cela ne durerait pas, mais en éradiquant la puissance de l’ennemi commun, nous pourrions reprendre sereinement nos affaires. Découper convenablement les zones, et explorer…
— Ce n’est pas le moment, coupé-je.
Non mon vieux, ce n’est pas le moment.
Je ne suis là que pour foutre mon frangin dans une tombe et encaisser sa disparition. Je ne veux pas envisager de potentielle entente. Ils sont responsables de la mort d’April, ils espèrent étendre leur territoire. Notre désaccord est ce qu’il est, je me fous des Ravens.
Il y a quelques années encore, les Hounds et les Foxes se disputaient la zone entre Édimbourg et Manchester avec une farouche résistance. Nos clans étant nés quasiment en même temps, l’expansion s’est développée avec une puissante avidité. Les riches contre les pauvres, les dobermanns contre les renards. Chacun voulant et prenant, jusqu’au face à face qui nous a mis clairement dans des rôles opposés, de némésis, d’ennemis, bref… on n’est pas potes. Les conflits se sont répétés inlassablement et puis un nouvel adversaire est arrivé, des Irlandais du Nord contraints de se radiner sur la grande île, chassés de chez eux par d’autres, plus redoutables. Ils ont chopé Glasgow et en ont établi leur nid. Nous leur avons laissé cette cité qui ne nous intéressait pas, peu à peu, les piafs sont devenus gourmands. Ils ne sont pourtant pas un problème. Leur envergure médiocre ne nous a jamais réellement fait chier…
— Je te remercie de me faire cette proposition et j’y réfléchirai plus tard. Pour l’heure, je souhaite juste dire au revoir à mon frère. Et puis, sans chercher à te vexer Cole, m’associer avec mon ennemi n’en fera pas mon ami.
Il tente de parler, mon signe de tête en direction de Zayne lui permet de rapidement comprendre que l’on ne va pas aller plus loin. C’est même terminé. Mon second se dresse prestement sur ses pattes et me rejoint, saluant poliment les deux motards :
— C’était rapide, sympa et furtif, un peu comme quand je voulais baiser ma demi-sœur !
Sur ces propos disgracieux, nous nous tirons de la niche, mon regard assombrit, je ne lâche pas un seul mot, préférant demeurer concentré. L’endroit est désert, j’aperçois par la baie vitrée que mes hommes attendent sagement sans chercher de merdes aux rivaux, cela me convient. Cela a été trop long pour moi, le futur Chef m’a cassé les burnes.
— J’aime pas ce connard.
— T’aime personne !
— Pas faux, souligné-je.
♫Every time we lie awakeAfter every hit we takeEvery feeling that I getBut I haven’t missed you yet ♫
I Hate Everything About You – Three Days Grace
Le ciel s’effiloche, teinté de gris aux nuances lourdes, l’averse menace, parfait reflet de mon humeur. Mes bottes frappent le sol mouillé à chaque pas, éclaboussant de fines gouttelettes mon jean déjà usé par la route. Je n’ai pas de destination en tête, pas de plan précis. Juste la rage comme boussole. Et lui, comme une putain d’épine dans mon pied ! Je l’aperçois avant qu’il ne me voie. Keith, adossé à la carrosserie cabossée de sa moto, le regard perdu, mais toujours cet air suffisant vissé sur sa gueule. Il ne bouge pas, son ombre s’étirant paresseusement dans la lumière morne de la cour déserte. Le souvenir de Logan me brûle la gorge.
Logan… Il aurait su quoi dire, quoi faire. Il n’aurait jamais toléré ce merdier, cette guerre froide qui s’éternise, cette tension qui menace d’exploser à chaque silence. Il aurait mis Keith face à ses responsabilités, lui aurait arraché cette foutue carapace d’indifférence. Moi, je n’ai pas cette patience. Mes pas ralentissent, et je sens son regard enfin se poser sur moi. Une étincelle traverse ses yeux limpides, il ne bouge pas, son dos toujours bien droit contre sa moto. L’arrogance personnifiée. Je m’arrête à quelques mètres de lui. Les battements de mon cœur s’accélèrent, toutefois je refuse de le montrer. Pas question qu’il devine l’effet qu’il a constamment sur moi, cette capacité à faire bouillir mon sang en une fraction de seconde.
— Tu comptes me regarder comme ça encore longtemps, ou tu vas parler ? balancé-je finalement, ma voix froide, tranchante telle une lame.
Un sourire en coin étire ses lèvres, et c’est la goutte de trop.
— Pour quoi faire ? T’as l’air d’avoir déjà préparé ton monologue.
Je serre les poings, mes ongles s’enfonçant dans mes paumes.
— T’es vraiment qu’un con, Keith.
Il hausse un sourcil, faussement amusé, je vois la tension dans sa mâchoire, ce muscle qui tressaute un peu.
— Et toi, toujours aussi charmante, Hope.
— Arrête, Keith. Juste… arrête.
Ma voix se brise légèrement, et je déteste ça. Je déteste qu’il puisse encore me faire ça, qu’il puisse encore gratter sous ma peau avec autant de facilité.
— Logan n’aurait jamais toléré ça, tu le sais, pas vrai ?
Son sourire disparaît instantanément, remplacé par un éclat plus dur, plus sombre dans son regard.
— Ne me parle pas de Logan, souffle-t-il grave.
— Pourquoi ? Parce que ça te rappelle à quel point tu l’as déçu ? À quel point tu continues de le décevoir, même après sa mort ?
Les mots sortent plus vite que je ne peux les retenir, tranchants, venimeux. Je veux le blesser, je veux qu’il ressente au moins une fraction de cette douleur qui m’étouffe depuis des semaines.
Il avance d’un pas, réduit la distance entre nous, et je peux voir les éclairs dans ses yeux, cette colère qu’il essaye de contenir.
— Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois que j’ai souhaité ça, Hope ?
— Je crois que t’es qu’un lâche, Keith. T’en as toujours été un.
Le coup porte, et j’observe son visage se fermer, ses traits se figer comme du marbre.
— Je n’ai pas à écouter ça, grogne-t-il avant de se détourner.
Je ne le laisse pas partir si facilement.
— Non ! Pas cette fois. T’es peut-être capable de fuir tes responsabilités, mais tu ne fuiras pas cette conversation !
Il s’arrête net, et je vois ses épaules se raidir, il me tourne toujours le dos.
— Logan croyait en toi, Keith. Il croyait que t’étais capable de mieux, de plus. Mais regarde-toi… Tu fais quoi ? Rien. Tu te planques derrière ta foutue moto et ton attitude de merde pendant que le monde s’écroule autour de nous.