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À l’aube de l’adolescence, Clémence se perd dans un tourbillon de questions sur les mystères de la vie. Mais devant son miroir, elle se transforme en Cléo, inspirée par l’aura majestueuse de la reine d’Égypte, Cléopâtre. Ce bouleversement intérieur signe le début d’un voyage spirituel où l’adolescente se réinvente et explore les vastes horizons de son âme. C’est alors qu’une rencontre décisive avec une ancienne professeure d’anglais, désormais à la retraite, lui ouvre les portes d’un nouveau monde : celui de l’amour véritable et de la générosité inconditionnelle. Portée par cette lumière et entourée d’amis de son âge, Clémence entreprend les premiers pas de sa propre histoire, celle où rêves et aspirations prennent vie.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Les tumultes de son existence atypique ont conduit
Jack Beauregard vers le grand banditisme et la prison. C’est dans cet univers clos qu’il a trouvé un refuge dans la lecture et une raison de se tourner vers l’écriture. Aujourd’hui, il partage son temps entre l’écriture de romans et son goût pour la guitare, explorant ces deux voies avec un engagement profond.
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Seitenzahl: 255
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jack Beauregard
Au jardin des Anciens
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jack Beauregard
ISBN : 979-10-422-5625-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À
Bernard Souvignet,
mairie de Raucoules
et
Anne et Piero
C’est toujours pareil dans ces MacDo. Il n’y a que des gamins, sages comme des images à l’arrivée. Plein de marmots avec des têtes brunes ou blondes éméchées de rouge, vert, jaune ; parfois les trois. Ensuite commence la queue-leu-leu devant le comptoir des commandes où les doléances et les râles, les pleurs et autres caprices s’inscrivent en orbite autour des parents qui regrettent déjà le choix de cette sortie hebdomadaire. Si j’avais su ; je ne serais pas venu !...
J’ai horreur des MacDo ; je préfère autant manger à la cantine. On se croirait dans un hall de gare ou d’aéroport avec plein de gens qui se croisent dans une totale indifférence les uns des autres. Mais c’est plein. Blindé comme on dit. Ça déambule avec des plateaux portés presque en bout de bras, embarrassés de ne rien renverser pendant que les yeux cherchent la table libre suffisante à toute la smala. Le petit dernier des pilons couine en se traînant à la poche du jean de sa mère : Je voulais pas un cheeseburgerrrr !
Un couple de petits vieux descendu de la montagne, l’air commun très sérieux, semble complètement paumé dans cette affluence de gens trop modernes sortis d’un monde d’ailleurs à leurs yeux, étonnés de chaque jour nouveau. Perdus, ils tâtonnent du regard l’environnement de cette planète ne sachant que faire. Tourner à droite ? Tourner à gauche ? Aller dans l’autre sens ? Mais que faire ? murmure silencieusement l’appareillage auditif…
« Et c’est où qui faut aller, maman ?...
— Ha tu m’énerves toujours avec tes questions ! Fais comme tout le monde ! » répond mamie sûre d’elle-même.
Derrière eux et devant, c’est la cohue. Un groupe de minettes pousse des ricanements hystériques en s’échangeant les smartphones pour montrer le dernier message affiché. Des mecs du même âge baragouinent des salamalecs « franco-arabe-africano-américanique » (langue du jour) dans leur dos en se déhanchant jusqu’aux genoux. Mais bientôt, ce sera interdit, la drague dans les rues ou dans les MacDo, à cause du harcèlement en tout genre.
Et puis il y a cet autre couple aux visages sévères. Ils sondent cette génération nouvelle d’un œil rigoureux et partial. Un regard de procureur qui écrase sur son siège sans la moindre compassion l’accusé envoyé au ban. Des regards qui cherchent les coupables parmi cette foule pervertie. Les yeux sombres sondent les silhouettes déambulantes, dont ils ont déjà décapité quelques-unes ;ha ça fait du bien. Voyons plus loin.
Les petits groupes se rejoignent, se regroupent et forment une foule plus compacte devant le self.
Quant à la déco de l’abreuvoir, il présente un grand style formica plastifié amélioré qui s’étend jusque sur la visière des employés robotisés par la méthode. Pas de sensibilité, pas d’âme. Seuls les enfants rappellent l’humanité encore vivante.
Imaginons une cantine en zone commerciale via entrée et sortie sur grand axe routier, autoroute-périphérique où se vendrait toute l’alimentation industrielle américaine. Tout vient de chez eux : bœuf mouliné, ketchup chimique et coca gazéifié pur sucre artificiel. L’espace jeux d’enfants est inclus. Très généreux ces amerloques.
Un monde pour enfants.
Une fois le burger avalé en toute hâte, ça court de tous les côtés vers des sortes d’escaliers et de poufs qui puent le caoutchouc, le pétrole en somme tant le plastique est présent jusque sur les toboggans. Les mioches crient, se courent après, se bousculent, se tombent et se font tomber pendant que d’autres pleurent à force d’attendre leur tour. Les plus petits, abandonnés des plus grands, restent bloqués dans un coin sans ne plus oser bouger devant ces grands faux frères qui ont conquis l’espace en quelques moitiés de minutes. Ça hurle, ça crie, ça court de partout et ça tourne en glissade comme des toupies. Youpi !
***
Elle me gonfle, ma mère. Elle croit me faire plaisir. On va à MacDo aujourd’hui avec la petite, gnia-gnia-gnia qu’elle chante au bar. Déjà qu’elle m’appelle : la petite ; c’est bon, j’ai treize ans la mère. Elle aime bien venir dans cette cantine U.S. où elle a travaillé comme responsable il y a quelques années, quand j’étais tout bébé. Je pense plutôt que c’est la nostalgie qui l’attire. En réalité, c’est moi qui lui fais plaisir de l’accompagner à son ancien boulot où elle était cheffe. Heureusement pour elle qu’elle n’était pas cheffe cuisinière. Oui cheééffffffe ! Bien fort, les hurlements ; des vraies gueulantes dans ces cuisines à crier chef comme un appel de détresse : maman !. Sans chef de partie, la partie est cuite, pas de cuisine. Si tu sais pas qui c’est le chef, va dans la cuisine et tu sauras. Terroriser les apprentis et les stagiaires. Toute une journée à gueuler, chef. À la fin, ça ne veut plus rien dire sinon que d’obéir aveuglément au chef. C’est la recette du chef et l’on doit s’incliner sur son passage, car tous les autres n’ont rien à voir. C’est le dieu de la cuisine. Oui cheffffff ! Comme si nous ne savions pas que c’est lui qui dirige du haut de sa toque blanche. Les autres professions semblent se passer du chef sauf peut-être dans l’armée ou les milieux militarisés voués à la guerre. La guerre des marchés. Oui chefffff ! Ailleurs, les gens se nomment et se prénomment par nom ou prénom : Salut Joseph !
J’aime bien sortir avec maman. On est mieux copines en dehors qu’à la maison. Elle est plutôt cool ma daronne, pas du genre à se prendre la tête ni prendre celle des autres. Déjà bien encombrée comme ça dans sa caboche. Je me demande comment elle avait pu atterrir responsable dans un MacDo. Elle n’a pas dû le faire exprès, c’est pas possible. Pas son genre à Angie. Avec mon père, on se marre quand il la fait maronner.
Mes parents ont une auberge… C’est mon père le chef. Il cuisine bien, mon daron, mais il ne veut pas être chef ailleurs que dans son tripot. Il laisse ce rôle à maman, cheffe, revenue bosser à l’auberge dès que je suis entrée à l’école primaire quand j’étais petite… mais parfois, elle aime revenir faire un tour à son ancien boulot, faire coucou aux vieilles copines. Alors elle m’emmène avec elle. Je viens pour lui faire plaisir à mon tour parce que sinon, je m’en passerais bien. Mais bon ! Du coup, comme je n’aime pas raconter tout ce que je pense, alors je fais comme si… comme si tout me convenait ; du moment que ça ne dérange pas mon équilibre intérieur et personnel.
Y a qu’à faire comme si, chérie, dit souvent mon père à ma mère. C’est une formule d’autosatisfaction. Alors je fais comme si ; comme si toutes les conneries qu’ils croient me plaisent à moi aussi. Je fais comme si ça va : Ouais OK, ça va. Purée y sont heureux. Moi ça m’arrange. C’est le top OK, ça répond à tout : Ouais OK ! Et c’est tout bon, plus rien à rajouter ni à jeter. On voit bien que le oui disparaît avec le « okay » américain. Une approbation indiscutable tel un feu vert pour passage piéton jusqu’au portillon d’une autre vie :
« Voulez-vous prendre pour épouse mademoiselle truc bidule ?
— Ouais, okay. » C’est laconique, mais catégorique ; en fait, c’est pareil que le oui.
Du coup, je fais pareil, comme si, pour faire plaisir ou arranger ce qui convient le mieux à mes parents et ainsi nous sommes tous d’accord… ou OK comme on veut.
J’ai ma botte secrète ; le coup de baguette magique grâce à mon parrain. Je peux tout dire sans besoin de faire comme si. Mon parrain, c’est un peu comme un Jésus qui écoute tout et qui finit toujours par abonder dans ton sens. Un coup de téléphone et la magie s’opère ; parfois même avant le commencement. Là, c’est cool. Parrain est d’un caractère optimiste absolu. Un côté inébranlable dit toujours mon daron. A-t-il un côté d’ailleurs ? Parrain serait comme une boule sans côté qui roule maboul sur les chemins de l’espérance tout en sachant où et quand s’arrêter. Non, non, il n’est pas gros, pas du tout, ni même rondouillard ; il est normal. Juste qu’il est comme ça parrain, il tourne.
Y en a même au bar qui dise que c’est dans sa tête que ça tourne, à l’intérieur. Soit que le cerveau en aurait pris un coup, soit qu’il serait en ébullition. C’est à cause de mon père que les clients du bar croient qu’il est barge. Papa dit toujours quand il le voit partir : Mais qu’est-ce qui tourne encore, l’Ancien ! En vérité, c’est un Hermite qui scrute le monde en silence et sait voir ce que les autres ne voient pas. Sembler être fou est le secret des sages, disait Eschyle. Parrain le dit souvent.
Dans ces MacDo, les menus sont des vrais bouquins. Des pages à bouffer à tous les prix. Par contre, c’est toujours les mêmes sandwichs de pains ronds dans leur boîte carrée débordante de frites. Toutes différentes selon l’appellation : potatoes, allumettes maisons (?)… Mais toutes à la pomme de terre. Le petit arrière-goût de médicament est valable dans toutes les boîtes. Pas de jaloux ! À toute la clientèle, cette spécialité maison ! Personnellement, je préfère les restos avec mon daron ou mon parrain. Là, on se fait de ces gamelles comme ils disent, dans des assiettes en vrai et non pas dans des boîtes en papier-carton mâché. Bon appétit.
***
« Dis maman, elle a fait quoi Cléopâtre ?
— Comment elle a fait quoi, Clémence ?
— Hé ben, elle faisait quoi dans la vie ?
— Elle était reine d’Égypte, mais je ne sais pas grand-chose d’elle. Une reine très belle dans mes souvenirs d’école cinématographique. Pourquoi tu me demandes ça ?
— Tu n’as pas vu l’affiche derrière toi ? Cléopâtre, au théâtre.
— Non, je n’ai pas vu.
— Regarde comme elle est belle », reprit Clémence avec cette émotion visible dans le regard.
À l’affiche, l’incontestable beauté de cette femme bronzée aux cheveux d’ébène taillés impeccablement au carré sur les épaules, les yeux fardés d’un bleu turquoise et pailletés de mauve dessinant un loup, masque au regard mystérieux. Allongée sur un sofa fuchsia, vêtue seulement en lamelles noires de dentelles, elle dévoile ses longues jambes fuselées aux pieds nus. Elle ne porte d’autres bijoux que ce diadème d’or et d’argent à tête de serpent ainsi qu’une fine gourmette à la cheville.
Sur l’Égypte, Clémence avait en mémoire les images de son livre d’histoire à l’école primaire. Un bouquin au même format que son cartable illustré de pyramides et de profils d’Égyptiennes le plus souvent, avec un œil dessiné entièrement sur le côté du front comme un grossier maquillage. Un œil carrément collé au-dessus de la pommette, la tête coiffée d’un grand chapeau pointu que portent les vieux papes et prêtres des livres du caté. Tout l’inverse de l’affiche sous ses yeux quand la beauté culmine le laid.
Elle a retenu une culture impressionnante de cette Égypte antique, musée en images de l’histoire du monde. Finalement, se dit-elle, qui était Cléopâtre ? La maman sembla lire ses pensées.
« Tu demanderas à Parrain s’il connaît Cléopâtre ? Il doit bien savoir ça, déclara la maman.
— Ha oui c’est une bonne idée… Je vais l’appeler. »
Angélique eut un sourire de satisfaction. Sa fille ne cessait de la surprendre. Souvent, elle se demandait de qui elle tenait pour s’intéresser à des choses très étranges parfois. Des trucs qu’elle-même qui l’a mise au monde ne voyait même pas. Elle se retourna pour regarder l’affiche en question. Une pièce de Cléopâtre, reine d’Égypte dans un théâtre de la ville proche d’ici.
Elle observa les yeux noisette de sa fille rivés sur cette affiche, des yeux émerveillés derrière les verres d’une paire de lunettes scintillant des reflets colorés. Comme elle a grandi, se dit-elle. Je n’y fais même plus attention à la regarder sans vraiment la voir. Elle n’est pas encore une jeune fille, mais s’en rapproche terriblement. Ma petite fille que je menais aux cours préparatoires s’est enfuie dans l’adolescence. Entre le boulot du resto, la maison, les devoirs, les courses, j’ai l’impression de louper des choses, de ne pas la voir grandir… Et pourtant ! Elle a peut-être bien raison, il faudrait que je reconsidère nos sorties… Elle n’a même pas touché son burger.
— Elle est belle, répéta Clémence. Cette Cléopâtre sur l’affichette ressemblait beaucoup plus à une déesse de la beauté qu’à une reine des histoires écolières. Une princesse plutôt qu’une reine. Les princesses sont toujours très belles alors que toutes les photos de reines montrent une austérité féminine du genre vieillotte. Elle n’aimait pas vraiment les reines qu’elle trouvait généralement vilaines, voire laides. Et puis les livres d’histoire parlent assez peu des femmes ; ça raconte surtout la vie des guerres et des rois.
Tandis que Cléopâtre, comme celle de la photo, avait de la classe hors pair et une sensibilité qui figeait son regard. Cléopâtre ne semblait pas une reine comme les autres.
Quand tu cherches quelque chose, tu peux être sûr qu’avant d’y mettre la main dessus, tu auras retourné toute la baraque. Surtout les objets que tu as rangés depuis longtemps. Les souvenirs d’enfance, dit maman, il faut les garder, pour tes enfants plus tard. Comme si j’allais mettre en conserve toutes mes vieilles reliques jusqu’à ce que j’ai des gosses… Si j’en ai un jour ! Va savoir ! C’est bien plus écolo de mettre à recycler quand ça ne sert à plus rien. Quand j’aurai des enfants, si éventuellement je peux imaginer la chose, où trouverai-je ce que je cherche ? Puisqu’aujourd’hui je ne les retrouve pas ! Du coup, c’est tellement bien rangé que tu ne retrouves plus rien quand tu cherches. Ou alors ça a été mal rangé. Peut-être même que j’ai tout foutu en l’air à la déchetterie un de ces quatre matins que ma tête a dû bouger.
Les livres d’école, ce n’est même pas certain que je les garde tous… Et pourtant, je suis presque sûr d’avoir aperçu quelque part un bouquin d’histoire avec les trois grandes pyramides sur la couverture ; et ce n’est pas si vieux que ça. Un de ces premiers livres de sixième ou cinquième ; je n’ sais plus depuis le temps. Je ne pense pas avoir rêvé et croire l’avoir vu ? Ça arrive parfois de confondre un rêve avec la réalité. Tu crois avoir vu ou fait quelque chose du genre, ou bien de l’avoir vécu… mais en fait tu l’avais rêvé ! C’est comme un trompe-l’œil ou de la magie, le rêve : des hallucinations endormies dans la tête.
Pourtant ce livre d’histoire, je l’ai eu dans les mains en classe de sixième et les notes au-dessous de la moyenne n’étaient pas une hallucination. Je l’aurai vu un jour que ma mère m’ait fait ranger la chambre ?... J’ai bien en tête la représentation des images de couverture comme pratiquement devant les yeux, mais pas de bouquin. Impossible d’y mettre le nez dessus. À moins qu’il ne soit vraiment parti à la déchetterie et que je ne m’en souvienne plus, va savoir…
Lorsque Parrain vient à la maison, il me dit chaque fois : Mais comment tu t’y retrouves dans tout ce fourbi ? Eh bien moi en un clin d’œil circulaire de la chambre je peux voir que tout est en ordre. Les CD-ROM et DVD par terre aux pieds du meuble hi-fi avec des livres. Même entassés les uns sur les autres, je trouve aussitôt ce que je cherche. Mais pas cette fois, mince ! Bon d’accord, pas pour le livre d’Égypte ce matin. Je vais finir par le trouver s’il ne gît pas dans la benne-ordures.
Et Parrain, lui ? il croit qu’il s’y retrouve mieux dans tout son bien en ordre ? Dans ses affaires à lui, il faut un décodeur pour trouver un truc tellement tout est super bien classé. Un vrai maniaque : tout est codé, répertorié, classifié. Chaque chose à sa place, insiste-t-il. Les livres alignés dans l’ordre alphabétique, par catégorie. Si tu veux un bouquin, il faut tout savoir : le nom de l’auteur, de l’éditeur, le titre, l’année, le genre, le nombre de pages… Puis, est-ce un roman ou un polar ? Comique, aventure, tragédie, poésie ? Une fois que tu as décodé l’étagère, tu as peut-être une chance de trouver le conte de fées que tu recherches. Pareil pour la vaisselle : les assiettes de sa mère, celles de sa grand-mère, les verres du premier mariage, les verres du second mariage, ceux du troisième, et cetera. Non, mais, sans rire. Si tu veux un boulon dans son atelier-garage, tu n’as pas besoin de venir avec un pied à coulisse. Tout est rangé par taille, longueur, gabarit, couleur. Même son chien, Indien, il lui donne à manger à la fourchette et, pas n’importe laquelle, celle de l’Indien. On ne sait jamais, des fois qu’on lui refilerait une maladie… ou l’inverse. Pourtant on dit bien langue de chien, langue de médecin. Alors moi, je lui donne avec la mienne de fourchette, à l’Indien, et il est tout content. On le voit quand il est heureux le toutou : il sourit. J’avais jamais remarqué le sourire d’un chien et pourtant ça se voit, il suffit de regarder pour le voir… Surtout l’Indien.
Bon, ça va Parrain ; je les trouve mes affaires…
« Tant mieux pour toi. Je n’entre pas plus loin, je ne voudrais pas déranger ton boxon… Je n’aime pas trop m’aventurer sur des obstacles infranchissables. »
Je n’ai pas compris ce qu’il a voulu dire ?...
Au fait, pourquoi je parle de Parrain ? Je ne sais plus même plus… Ah oui, je cherchais mon bouquin égyptien. À moins que ma mère l’ait rangé ailleurs. Avec elle, il faut s’attendre à tout… Des fois, elle cherche ses lunettes pour ses notes sur la caisse enregistreuse au resto. Elle remue tout, cherche partout, dérange tout sans remettre en place. Un vrai chantier, elle te fout la daronne.
« Qu’est-ce que tu cherches encore ? Ça, c’est mon père qui lui dit.
— Hé ben mes lunettes.
— Mais tu les as sur le front !
— Suis-je bête ; où ai-je la tête ? »
Tu as raison, maman, où as-tu la tête !
Le jour du marché à Bas-en-Basset, le dimanche matin, c’est un peu la fête au village. Les forains montent leurs stands, échangent des propos sur les foires de la semaine qui vient de passer ou sur le temps qui s’annonce beau et arrangera peut-être un peu les affaires. Tous les marchands s’affairent à mettre en place son outil de travail. Les tréteaux raclent leurs pieds sur le parvis, les cageots s’entrechoquent et s’empilent à côté d’une placarde sous le concert des voix crayeuses qui s’interpellent et réveillent le petit matin.
« On a fait la foire aux sabots le premier mai avec ma femme ; il y avait un de ces mondes. Mais ce n’est pas pour ça qu’on a vraiment dérouillé. On a vendu un peu… Il ne faut pas trop se plaindre, mais c’est pas ça. Les gens n’ont plus de fric. Ça regarde au centime près. Il faudrait presque leur donner la marchandise. Remarque on les comprend, tu vois bien pour nous ; ils nous prennent tout notre pognon. On trime toute l’année, tous les jours… Rien que pour payer des taxes et des impôts. Ça revient plus cher que le prix de la marchandise. Et c’est pour tout pareil, on fait que casquer. Jusqu’à la moelle épinière qu’ils nous sucent ces gouvernements de tous bords, sans exception ! Une bonne révolution qu’il leur faudrait.
— Tu l’as dit. On arrête pas de payer. Ils prennent tout ce qu’on gagne ! Une vraie dictature ! Tu gagnes cinquante balles, il faut redonner cent euros.
— Des vraies vaches à lait qu’on est.
— Bien pire ! des veaux ; De gaule l’avait dit : les Français sont des veaux !
— Ça, c’est bien vrai ! »
…
Silence.
…
Y a aussi des silences tôt le matin, quand le marché se met en place…
Tous les dimanches matin, les deux marchands ambulants se retrouvaient sur la place de la mairie au marché de Bas-en-Basset et chaque fois, comme un rituel, ils tenaient le même discours en des termes à peu près semblables. Un lot d’amertumes de tous les jours ; un vieux refrain fredonnant qui rebondit de bouche en bouche avec lassitude comme une balle de mousse puis sursaute en bondissant sur le sol avant de rouler au fond du ruisseau… C’est la faute à Rousseau, dit la Révolution ; c’est la faute à Voltaire continue la chanson… Révolution factice des nantis de l’époque qui installèrent une démocratie protectrice de la nouvelle bourgeoisie…
Il est vrai que les gens vont plus facilement sur le marché quand il fait beau que lorsqu’il pleut. Faire ses emplettes sous les stands qui dégoulinent de flotte par temps de pluie, quelle horreur ! C’est une immense cascade de gouttières entre les parapluies et les toiles tendues au-dessus des marchandises. Tu en veux de l’eau ? S’il pleut, il n’y a pas d’endroit sur la terre où l’eau te mouille mieux que sur une foire ou un marché forain. Surtout si ça se met à flotter comme vache qui pisse. On dirait que la pluie serait bien plus mouillée sur les foires qu’ailleurs. Mais c’est aussi agréable comme instant à passer sous une averse, car les abris ne manquent pas. Ce n’est pas la même pluie qu’ailleurs. Elle gicle au sol sur les chaussures, forme des rigoles et des flaques à éviter puis, t’obligent à te coller contre les autres sous les bâches qui cascadent devant ton pif. Il y a cette chaleur humaine qui se dégage du dessous les parapluies, les épaules qui se rencontrent, se cognent, se frôlent pour s’éviter : pardon monsieur, ho pardon madame, comme si tous les gens étaient sur une même galère à partager collectivement une grosse emmerde : la pluie. Purée comme ça flotte.
Mais, en cette aurore de début mai, le temps est magnifique. La fraîcheur matinale remonte les cols de chemises des premiers badauds pendant que les rayons du soleil grimpent par-dessus les toitures afin de chasser l’ombre des maisons villageoises étalées sur la place. Le soleil s’impose, sort sa tête dorée au-dessus de l’horizon, flambe de tous ses feux, rit de sa puissance et communique sa déhiscence à ce monde qui affiche des sourires de printemps en balayant les airs maussades de l’hiver. Le vrai printemps est en mai, car en avril, il ne faudrait pas se découvrir d’un fil, dicton des vieux.
Les deux forains ont fini d’aménager leur stand.
Vanessa ! Tu surveilles ma boutique s’il te plaît, on va casser une dalle chez Hervé.
Le marchand de poulets rôtis ne pose même pas la question à Vanessa. C’est laconique ; presque un ordre, mais ce n’est pas un ordre. L’inverse aurait valu. C’est une coutume de saltimbanque en quelque sorte, une espèce de fraternité entre forains, ces gens du voyage : Tu surveilles mon banc, je vais boire un coup… ‒ Tu surveilles le mien, je vais au petit coin.
Le comptoir de « la taverne du voyageur » est déjà rempli au coude à coude dès l’aube du jour. Des femmes, des hommes, des enfants s’alignent le long du bar dans une cacophonie de voix aiguës en concours avec les plus graves. L’ambiance communale sortie de messe préside l’estaminet et aspire ceux qui ne faisaient que passer. Un rassemblement de bras qui gesticulent, de têtes qui remuent, parlent, bougent, grignotent, boivent. Tout paraît si calme à l’extérieur devant cette façade sobre aux allures vieillottes qui claquent ses volets dans le dos des gros platanes. Mais dès que tu franchis la porte, une chaleur humaine t’enroule dans sa spirale euphorique et ses odeurs enivrantes. C’est l’âtre pastoral du dimanche matin.
« Salue la taverne, lance le cuiseur de poulets.
— Bonjour ces messieurs, renvoie Nathalie avec son humeur enjouée habituelle.
— On pourrait casser la croûte Nath, nous ne sommes que deux ce matin ?
— Mais bien sûr les copains, sans problème ; installez-vous avec les autres à la grande table comme d’habitude. »
Casser la croûte, le meilleur moment des marchands forains qui déballent dans les campagnes et ont gardé encore ce charme rural du petit déjeuné à la paysanne au café du coin. Ce bon vieux gaulois dont se réfère le patriotisme n’était-il donc pas un plouc sympathique plein de bonne humeur et gaveur de bonnes choses, de ces gourmandises nature qui jonchent nos campagnes. Casser la croûte, une expression qui remonte un peu loin dans notre histoire, mais pas si lointaine non plus. Sûrement qu’il devait falloir casser le gros pain en morceau pour le manger. Le matin, ils avalaient une soupe où on trempait des croûtons. Le rituel a persisté vers plus d’appétit avec le sauciflard, le bricheton, le calendos et le p’tit canon. Évidemment ça va de soi, un casse-dalle sans le petit canon n’en est plus un. Et il ne faudrait plus boire de vin ; mon Dieu pourquoi ? Pourquoi aurait-Il créé des vignes alors ? Ceci est mon sang, nous dit Jésus. Ne serait-ce pas un péché que de s’en priver avec modération ?
Autrefois, les villageois fabriquaient des gros pains ronds énormes, car ils n’en confectionnaient pas tous les jours. Le cantonnier du village allumait le four communal où on venait cuire ses pâtons une fois par semaine. Alors le gros pain était fait pour toute la semaine, jusqu’à la prochaine fournée. Les derniers jours de la semaine, il devenait dur jusqu’à devoir le casser en le frappant. Voilà pourquoi cette expression « casser la croûte » s’est incrustée dans les campagnes. Mais on ne jetait rien. La nature paysanne est une forme de liberté traditionnelle.
Les deux marchands ambulants se sont installés à la grande table près du bar avant que d’autres, accoudés au comptoir, ne les rejoignent. Pour eux, cet instant est sacré ; oui sacré ! Pratiquement comme une messe dominicale dans le fidèle cérémonial de l’intime religion. On y croit comme au Bon Dieu à ce casse-dalle du matin qui donne l’énergie et la bonne humeur de toute une journée. Un dimanche matin de surcroît comme à l’église. D’ailleurs, en milieu rural, on surnomme judicieusement le bistrot : la chapelle.
…
On s’ retrouve à la chapelle !
…
Hervé de sa cuisine reconnaît la voix des fidèles clients habitués aux festivités matinales le jour du Seigneur. La taverne est une animation dans tout le village où dès les premières lueurs de l’aube, les petits blancs ravigotent les gosiers de ces lève-tôt. Un vin blanc sec, acide comme du vinaigre qui vous gratte la gorge à la raidir et dont l’aigretté remonte jusqu’au sommet des narines. Une décharge électrique simultanée paralyse les mâchoires jusqu’aux oreilles. Puis des coups sourds tapent sur les tempes de chaque côté en même temps. Un blanc de blanc, sec comme un coup de trique, raide comme un passe-lacet. Purée, ça dégoise !
« Qu’est-ce que tu nous as fait de bon aujourd’hui, lance la marchande de fromage au taulier qui sort de sa cuisine ?
— On va se faire la saucisse d’herbe qu’Angie a rapportée ce matin. De la faite maison, un vrai régal. Compte bien tes doigts avant de manger que tu ne te bouffes pas une phalange en la dévorant.
— T’en as de la gueule, mon Vé, on verra à l’autopsie ta saucisse d’herbe ! renvoie la fromagère d’un ton bien méditerranéen, quasi nasillard. »
Quelques rires jaillirent de la table.
Les gros doigts bouffis des uns et des autres attrapent les rondelles de bricheton dans la panière. Une dizaine de convives sont rassemblés à cette table où les pauvres saucisses d’herbes, à cette heure insolite d’appétit, ne vont pas faire un pli. Toutes fumantes et luisantes dans le plat, elles jouent avec les fourchettes qui glissent sur leur peau. Elles remuent comme pour s’évader. L’odeur forte qu’elles dégagent s’échappe au-dehors et laisse traîner un indice de saveur au goût relevé ; c’est à n’en pas douter. Non pas un relevé pimenté qui arrache la gueule, brûle l’œsophage… Ou encore ce trop épicé incendiaire dans la gorge. Non ! Un assaisonnement parfumé aux herbes diverses qui fleurent bon la campagne, les champs, les bois et toutes ces senteurs naturelles qui enivrent. Ça sent bon la saucisse d’herbe au bistrot de l’Hervé. On s’en donne à cœur joie. Nathalie pose sur la tablée deux bouteilles d’un vin blanc du sud-ouest qui accompagne habituellement les abats du matin.
— Est-ce que tout va bien pour les amis de la taverne ? Avez-vous tout ce qu’il faut ? Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas.
Habituée au service dominical, Nathalie est appréciée de tous les clients. Depuis le temps qu’elle slalome entre les tables les dimanches matin pour prêter main-forte à ses amis taverniers, elle connaît maintenant les usages de chacun. De taille moyenne, son anatomie trompe l’œil sur la petite cinquantaine et les dix années de moins qu’on lui accorde volontiers. Son corps affiné et légèrement musclé dissimule parfaitement l’âge de la femme. Très active, son corps entretenu par le fitness quotidien est en perpétuel mouvement. Elle ne peut rester plus d’une minute inactive. Ce matin, elle a noué ses cheveux à l’arrière de la nuque avec un peigne comme elle le fait pour chaque service ou lorsqu’elle pratique du sport. Le reste du temps, ses cheveux noirs mi-longs encadrent un visage aux traits fins et des yeux sombres en amande. Son teint mat et le nez à peine aquilin laisseraient supposer des origines andalouses, mais il n’en est rien, elle est une pure Savoyarde. Pourtant sa peau au teint mat méditerranéen que le bronzage printanier accentue rappelle le sud. Le style décontracté, jean bottillons, qu’elle affecte en particulier, tombe merveilleusement sur sa silhouette femme-ado. Franche et directe comme une montagnarde, son caractère dominant reste toutefois la docilité et le service aux autres.