Bagatelles en parade à Bagdad - Raymonde Antès - E-Book

Bagatelles en parade à Bagdad E-Book

Raymonde Antès

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Beschreibung

Né dans un pays en guerre, Basile aspire à pacifier le monde. Témoin des ravages causés par les conflits, il se sent investi d’une mission pour aider la société. À travers lui, la déesse oubliée Ištar revient présider aux destinées humaines. Basile désire ardemment ramener le calme et la sérénité dans un univers tourmenté. Sa quête sera-t-elle couronnée de succès ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

À travers ses recherches, Raymonde Antès explore les nuances des discours dans un monde de plus en plus globalisé, mettant en valeur l’importance de la diversité langagière dans la communication. Cette réflexion se reflète dans sa propre écriture, où elle s’efforce de capturer la richesse des perspectives culturelles et linguistiques.

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Seitenzahl: 185

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Couverture

Page de titre

Raymonde Antès

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bagatelles en parade à Bagdad

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Raymonde Antès

ISBN : 979-10-422-2522-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Exergues

 

 

 

 

 

Entre le latin et le français, entre l’araméen et le grec, ainsi qu’entre toutes les langues naturelles destinées à un usage social que connaît l’humanité, la grammaire est fondamentalement la même.

 

Jean-Marc Ferry,

Les grammaires de l’intelligence

 

 

Aucun dénouement ne peut plus avoir lieu

puisqu’il n’a pas été écrit.

 

Françoise Lavocat,

Fait et fiction

 

 

S’il fallait un lieu d’origine, on mentionnerait Bagdad.

 

François-Xavier Putallaz,

Insolente liberté

Bagatelles en parade à Bagdad

 

 

 

 

 

Les Français étaient enfin arrivés à Bagdad. Depuis trente minutes, dans la pièce à côté, le ministre et son comité attendent. Dans un instant, on les rejoint, on signe le contrat. C’est la fin de huit années de travail. Cet événement marque aussi le franchissement d’une nouvelle étape dans la carrière de Basile.

 

Quand il est né à Mossoul, au milieu des années 60, le climat politique est en passe de se stabiliser. Le coup d’État du général Qassem, en 1958, a imposé la dictature en abolissant la monarchie, contrôlée par les Britanniques depuis 1924. Puis les frères Aref, l’un après le décès de l’autre, ont reconduit leur propre version autoritaire du pouvoir. Les douze années postérieures à 1968 assistent au développement de l’Irak. C’est l’année où Hassan al-Bakr, par un autre coup d’État, est élu président de la République. Le vice-président l’a beaucoup aidé dans cette réalisation. Il se nomme Saddam Hussein.

 

En mars 1970, al-Bakr accorde, à défaut de l’indépendance, une autonomie au Kurdistan dont la capitale est Erbil, à quatre-vingts kilomètres de Mossoul. Les édifices ceignent la ville en cercle au sommet d’une colline. Cinq mille années sont enfouies sous le tell. Pour l’Irak, c’est une période de paix qui s’instaure. Ça ne va pas durer.

 

Le parti Baas avait pourtant des ambitions. Né en Syrie, il veut réunir tous les musulmans en une seule nation socialiste arabe. Depuis que la perte du monopole sur les revenus de la Turkish Oil Company par les sociétés européennes et étatsuniennes entre 1972 et 1975 a fait revenir les devises dans le pays, la croissance annuelle dépasse les 15 %. Laïcité, mixage religieux, performance des universités : la gestion du pays par le couple Bakr-Hussein fait de l’Irak un modèle de réussite ; et Bagdad, à la fin des années 1970, concentre l’attention du monde arabe. C’est la revanche d’une éclipse de sept siècles. Le croissant de lune a retrouvé son éclat et attire à nouveau les regards étonnés du Moyen-Orient.

 

En 1979 la santé déclinante d’al-Bakr le pousse à la démission – enfin c’est la version officielle. On note que Saddam Hussein n’a aucun mal à lui succéder. Il poursuit la politique de démocratisation précédemment engagée par la création, en mars 1980, d’une assemblée législative pour le Kurdistan et d’une Assemblée nationale élue au suffrage universel direct, pour l’Irak. Les premières élections ont lieu en juin. Mossoul, au nord, Bagdad, au centre, et Basra, au sud, ignorent, comme partout en Irak dans ces années-là, ce que sont les Shi’îtes, les sunnites, les chrétiens, les Juifs. On se mélange, on ne sait pas trop ce que c’est, on ne fait pas la différence, on s’en fiche un peu ; ce n’est pas la question.

 

Bien sûr, tout n’est pas rose pour autant. Pour assurer son pouvoir, Hussein élimine un complot par l’exécution de vingt et un membres de son propre parti, dissout le Parti communiste et écarte les baasistes pro-syriens. Grâce à sa milice secrète, il n’a aucun mal à atteindre ces objectifs. On ne sait pas non plus ce qu’il se passe dans les prisons de Saddam. Le régime n’est pas vraiment transparent – c’est le moins qu’on puisse dire. Mais il faut voir d’où l’on vient. Que voulez-vous, Paris non plus ne s’est pas fait en un jour. Le changement était engagé ; c’était prometteur. Et puis.

 

Et puis patatras. De l’autre côté de la frontière, à l’est, la Révolution islamique se déchaîne. Le Chah d’Iran doit s’exiler, Khomeini revient. Il est parti de Neauphle-le-Château et atterrit à Téhéran en Airbus Air France. On frôle l’ingérence politique. Le quai d’Orsay s’est méchamment planté : sitôt débarqué, Khomeini instaure ce qu’il est le seul à appeler une République islamique shi’îte – et que tous les autres appellent une théocratie. Remarquez, des Shi’îtes qui s’occupent de politique, ça ne manque pas d’inspiration.

 

Depuis le massacre de Karbala en 680, ils avaient juré leurs grands dieux qu’on ne les y reprendrait plus. Ils l’ont refait pourtant. Et deux fois même.

 

La première, il y a neuf cents ans, à Bagdad – ça a duré un siècle et c’était l’âge d’or musulman. Puis la seconde, en 1979, à Téhéran – et c’est l’effondrement. À un moment, il faudra bien expliquer pourquoi.

 

Saddam craint que la révolution iranienne ne trouble l’Irak. Les principales villes du Shi’îsme y rayonnent : Najaf, autour du tombeau d’Ali ; Karbala, où s’est déroulé le massacre de son petit-fils et de sa famille ; Samarra, où naquit puis disparut Mahdi.

 

Khomeini ne réussira pas sa révolution sans le concours des théologiens. Des drapeaux de Saddam sont brûlés à Téhéran, on crie la Révolution devant l’ambassade d’Irak. Par bravade, des avions s’introduisent régulièrement dans son espace aérien.

 

En mars 1980, ce même mois de mars où est créée l’Assemblée nationale à Bagdad, Khomeini appelle au soulèvement révolutionnaire en Irak. En avril, un fidèle de Saddam Hussein est visé par un attentat. Tarek Aziz survit, mais il y a des victimes. La provocation est insupportable : durant les funérailles, dix personnes meurent dans une explosion préparée depuis une école iranienne. Garde ton sang-froid Saddam, ne réagis pas !

 

Mais trop, c’est trop. Il exile quatre mille Iraniens et songe à la guerre. Il rouvre le vieux dossier du Chatt al-Arab, ce fleuve près de Basra, au sud, où se mélangent pourtant les eaux du Tigre et de l’Euphrate. On s’est accordé à dire à Alger en 1975 qu’il serait binational, que la démarcation passerait au milieu. En échange, Téhéran renonçait à réveiller contre Bagdad l’énergie du Kurdistan. Si Saddam déplace la frontière, ce sera la guerre.

 

Depuis quatre siècles, l’Irak ne s’est jamais aussi bien porté. Et la révolution affaiblit l’Iran. Saddam pense jouer un gros coup. En 1980, sans autre objectif que d’intimider Khomeini, il déclenche, en franchissant le Chatt al-Arab, une guerre qu’il pense gagner en dix jours.

 

Raté. Khomeini est une tête de mule. Il veut sa révolution. Et il a décidé de la faire sur le dos de l’Irak. Il fonce. Les Shi’îtes Irakiens, pense-t-il, vont l’accueillir en libérateur. Raté derechef. La stratégie est nulle des deux côtés. L’Iran est plus solide que ne l’avait estimé Saddam et les Irakiens ne veulent pas d’un religieux à la tête de leur État. Les premières opérations montrent que l’impréparation est partagée. Saddam se rend compte de la bourde. Il demande un premier cessez-le-feu. Hors de question, répond Khomeini. La guerre rassemble la nation et la nation produit la révolution : Khomeini ne cessera pas le feu.

 

Saddam a déclenché un truc cosmique. La guerre s’éternise. Les armées sont à demi opérationnelles, les soldats n’ont pas d’expérience, le commandement des unités n’est pas centralisé, on fixe des objectifs temporaires, à la petite semaine ; on pilote à vue.

 

On espère qu’en frappant un grand coup, on va enfin rendre l’ennemi à la raison. On envoie trois avions. Deux rentrent cabossés, le troisième s’est écrasé au décollage. On envoie des troupes, on fait un siège, on prend un village. Après des semaines de luttes et des milliers de morts, il est repris. On gaze. Khomeini refuse le cessez-le-feu. On recommence. Pendant huit années.

 

C’est que le monde entier s’enrichit dans cette affaire. En Europe, il n’y a que l’Irlande qui ne se salisse pas les mains. Même la Suisse bénéficie de la rente militaire. Le monde est solidaire : jusqu’au Brésil, au Chili ; à l’Éthiopie – on ne va pas tous les faire : unies, les nations contribuent à l’effort de guerre. Les deux plus grands pourvoyeurs sont tout de même la France et la Russie. Après le billet Airbus offert à Téhéran, c’est Dassault qu’on livre à Bagdad. Façon de ne favoriser personne. Pas question qu’il y ait un vainqueur, pas question de former un nouvel empire. Le monde entier s’accorde sur ce point.

 

À la fin de la guerre, Saddam ne sait plus quoi faire. Il commande sur catalogue et rubis sur l’ongle des Mig 29, ces avions plus rapides que des missiles, qui bombardent Téhéran, aller-retour dans la journée – sécurité garantie.

 

Ça coûte une blinde, ça fait trois morts – et ça ne sert à rien.

 

Pour neutraliser les Kurdes alliés à l’Iran, il imite l’Ayatollah et gaze les populations – manière de recycler le surplus de gaz vendu depuis Amsterdam et Francfort. Mais l’écologie a ses limites : les marais du Chatt el-Arab, où se cachent les rescapés, sont asséchés.

 

En Iran, on donne de petites clés en plastique jaune aux enfants qui se sont d’eux-mêmes enrôlés dans l’armée en réponse à l’appel organisé dans les écoles. On leur explique, puisqu’ils seront martyrs, que c’est la clé du paradis.

 

À qui se demande pourquoi des enfants s’engagent, on répondra qu’on a tout prévu : un décret stipule que l’autorisation parentale est accessoire. Un soldat sur cinq est donc mineur. C’est aussi vain que cela. Et c’est ainsi depuis le début. Et tout le monde le sait. Et tout le monde s’en fout.

 

À la longue, les financements s’épuisent. Les vendeurs d’armes limitent les livraisons. Si l’Irak garde un accès aux prêts internationaux, l’Iran fait chanter : un otage contre un missile.

 

On s’habitue aux assassinats, aux explosions à Paris, aux destructions d’ambassades en Afrique, aux enlèvements à Beyrouth. Cette politique déplaît. Il y a des limites, merde. Le conflit est censé enrichir le monde développé, pas le ruiner.

 

La moitié de l’Occident envoie des navires dans le Golfe et on commence à pilonner les installations portuaires iraniennes.

 

À l’aimable demande des États-Unis, l’Arabie Saoudite multiplie par cinq sa production de pétrole en deux ans. Le prix du baril est divisé par trois. L’Iran ne vend plus rien. Les États-Unis non plus.

 

Washington demande avec bienveillance si l’on veut bien refermer les vannes pour limiter la perte, si ça ne dérange pas trop. Avec plaisir, enfin vous plaisantez ; entre gens honnêtes, tout est permis. Pour l’Iran, c’est la fin des haricots. La manne pétrolière est tarie. L’entêtement de Khomeini s’assèche lui aussi. Il capitule. Quelle tête de mule !

 

L’Occident a arrêté le conflit en quelques mois. Fastiche, c’est lui qui fournissait les armes et l’oseille. Dommage qu’on ne s’en soit pas avisé plus tôt. Le conflit a duré huit ans, presque autant que les deux guerres mondiales réunies. Les belligérants sont pulvérisés. En Irak, les efforts de la décennie 70 sont anéantis. Le pays est endetté, les partis politiques sont divisés, quatre cent mille personnes sont mortes, les conflits religieux ont repris. En Iran, c’est pire.

 

La décision d’engager la guerre a donc provoqué le chaos sur trois, quatre, peut-être cinq générations, on y est encore. Un demi-milliard de vies n’ont connu que la guerre pour ce petit moment d’inattention où Saddam cède aux provocations de son voisin surexcité et déplace une frontière imaginaire de trois hectomètres vers l’est, un grain de sable qui déplace des montagnes de cupidité. Khomeini meurt la conscience tranquille : sa révolution a réussi.

 

Deux ans plus tard, Saddam veut se refaire. Il fanfaronne et maintient bêtement ses armées au Koweït. On le lui a pourtant dit : sans retrait avant le 15 janvier 1991, vingt-neuf armées coalisées parmi les plus puissantes du monde entreront en action. C’était assez dissuasif, non ?

 

Foutaises, se dit Saddam, c’est du bluff. En plus, l’invasion du Koweït, ce n’est pas plus choquant que l’occupation israélienne de la Palestine ou l’ingérence syrienne au Liban. Ce n’est pas un problème occidental, c’est un problème arabe.

 

À l’ONU, c’est la crise. Les États-Unis déclarent la guerre. L’argument pourtant trouve un relais : la France, la Russie et l’Allemagne proposent in extremis de traiter comme une seule la question des occupations du monde arabe. Plan balayé par les États-Unis et la Grande-Bretagne. La question d’Israël n’a rien à voir avec celle de l’Irak – et Israël n’occupe rien du tout.

 

Saddam est vexé. Maintenant, comme Khomeini, il s’entête. Avec un peu d’emportement peut-être, il menace de se servir d’Occidentaux comme boucliers humains. C’est la boulette. Mauvaise négo. Mauvaise stratégie.

 

Le pays sera ravagé par une guerre qui durera à peu près le temps que Saddam voulait donner à la sienne dix ans plus tôt : quarante-deux jours. Quatre-vingt-huit mille tonnes de bombes seront déversées sur son pays en cent dix mille missions aériennes. Le chiffre est comparé à ce que l’Allemagne a encaissé on sait à quelle occasion. Sauf que c’était en cinq ans et que là, c’est en un mois. Un tel déluge de violence, on n’avait jamais vu. Et pour le coup, on a bien vu : images des satellites et des écrans de bord, prises de vue nocturnes à infrarouge ; les chaînes de télévision inventent le gavage informatif ; la pieuvre médiatique totalitaire remue pour la première fois ses tentacules. Elles frétillent encore.

 

Tout cela pour une petite phrase de travers, pour une menace mal placée, pour une fanfaronnade de trop. Si vis pacem, para bellum. Le maintien de la paix passe par la guerre et la destruction totale. Si la dictature de Saddam avait pu faire ça en 1980, il aurait fallu moins de huit ans pour faire capituler Téhéran, c’est sûr. Mais outre qu’il n’en avait pas les moyens, il n’en avait pas non plus l’intention. L’Occident, lui, avait les moyens et l’intention. Il l’a fait. Yes, we can ! Décidément, le bluff, Saddam, il ne maîtrise pas – et l’Occident, sous couvert de paix dans le monde et toutes ces bondieuseries, est bien la puissance de destruction ultime, l’axe du Mal.

 

Bon OK, se dit Saddam, match nul. Un peu marri tout de même, il clame que la résolution 661 de l’ONU de faire évacuer le Koweït ne signifiait pas nécessairement la destruction totale de son pays. Busch reste de marbre. He did the job.

 

Maintenant que tout est dévasté, il faut reconstruire. Organisées par le département d’État, les entreprises étatsuniennes se dévouent. On connaît le script. En 45, déjà, ça avait très bien marché. Crise financière, protectionnisme, création d’une situation de crise, tapis de bombes, débarquement, plan Marshall – et cinquante années de croissance pour les US. C’était un peu par hasard. Tout passait par la réindustrialisation. Ford fournissait les plans, Hollywood le scénario. Restait le financement. À l’époque, on avait dû piquer dans le trésor, et, après seulement, se faire rembourser. Mais le système bancaire a beaucoup progressé. L’intervention américaine qui concentrait quatre-vingts pour cent des forces a été payée à l’avance par les armées coalisées – à commencer par l’Arabie Saoudite et le Koweït. Le BFR est négatif, c’est idéal.

 

Le plan se déroule comme prévu. La croissance était atone aux États-Unis. En deux ans, la dette avait cru de 50 %. L’intervention dans le Golfe a effacé tout cela et généré un pic de croissance épatant. Non seulement la guerre qui a lâché sur l’Irak en un mois autant de bombes que n’en a reçu l’Allemagne en cinq ans n’a rien coûté aux États-Unis, mais elle a créé de l’emploi, généré des bénéfices, renforcé des alliances et ouvert des marchés. Cerise sur le gâteau, les revenus pétroliers qui échappaient à l’Occident depuis quinze ans promettent maintenant de revenir. La guerre est une activité lucrative – comme les autres. Elle est plus difficile à lancer, c’est tout – mais elle rapporte beaucoup plus et plus longtemps. Funny, isn’t it ?

 

Dix ans plus tard, ça ne se passe pas comme prévu. C’est qu’Hollywood a finalement un peu merdé sur le script. En 45, l’Europe était à re-construire. Les universités, les écoles, les entreprises, les banques, les routes, les communications, la stabilité des communautés régionales, la place de la religion, les échelons et les prises de décisions politiques, le fonctionnement de l’État : tout cela existait déjà avant. Ici, en Irak, les néolibéraux ont oublié qu’avant la guerre, l’Irak n’était pas organisé. C’était juste en train : pas de tissu industriel, pas de routes, pas d’universités, pas d’écoles, pas de banques, pas d’articulation entre la politique et la religion – pas de vie politique non plus. Il ne faut pas reconstruire, mais construire – tout simplement. Dans les archives, on cherche. On ne trouve rien là-dessus.

 

Au Conseil de l’Europe, ça fait soixante-dix ans qu’on essaie, à trente pays, avec une nette accélération depuis 1990 – tiens, au même moment – de créer des démocraties sur diagramme de Gantt (les tutos sont stockés dans les tiroirs de Strasbourg). Les solutions sont perfectibles – il suffit d’ouvrir les yeux. Alors en 91, autant dire qu’on n’a rien sous le coude. Depuis la nuit des temps, chacun se démerde. Et c’est ce à quoi s’occupait Saddam en 1980. À Washington on fait du brainstorming. Bon, on commence par quoi ? Good luck, guys!

 

De fait, en 2003, l’Irak, c’est le chaos. Le pire est toujours possible. Pour finir la partie, on remet ça. Un Bush peut en cacher un autre : same player, shoot again. L’Occident libérateur prouve à nouveau que la colombe déchaînée est un oiseau de malheur travesti dont les déjections répandent la géhenne sur le monde. Les Américains sont conseillés par d’authentiques patriotes. Ahmed Chalabi est formel : « vous serez accueillis en libérateurs » – remix de la phrase du général Maude prononcée en 1917 à son arrivée à Bagdad pour le compte de la couronne britannique. Il venait, lui aussi, « en libérateur ».

 

Du coup, en débarquant un siècle après lui dans le même pays, à Bagdad encore, Paul Bremer reprend une troisième fois, dans la même langue, mais maintenant au nom de la présidence US, cette phrase pleine d’espoir. Bluff, autosuggestion, enthousiasme immature ? Plus tôt et plus fermement, on avait entendu à Sébastopol : « J’y suis, j’y reste. » Au moins c’était clair. Et de fait, le chaos se maintient.

 

Pour se changer les idées, Bremer fait du tourisme. Dans les palais et les monuments officiels, il découvre des centaines de portraits de Saddam à cheval, en costume traditionnel – de toutes sortes de traditions – couvert d’or et de perles. Il est Aššurbanipal, Hammourabi, il règne sur Babylone. C’est quoi ce truc ?

 

La première décision de Bremer reste aussi incomprise aujourd’hui que celle de Saddam en 90 – il liquide le parti Baas. La deuxième déconcerte encore plus : il dissout l’armée. Il dit : « C’est une tactique pour affaiblir le Baas, bien implanté dans l’administration ». Well done, guys! Voilà des centaines de milliers de combattants partageant le même esprit d’équipe, la même formation de tueurs, armés et tous équipés, maintenant livrés à eux-mêmes dans un pays disloqué, sans repère politique, sans repère religieux, sans travail, sans sécurité, sans famille – et sans avenir. That’s great!

 

Évidemment, on maugrée, on se plaint, on rumine son humiliation – on rugit sa honte. Un pour tous, tous pour un ; l’union fait la force – c’est le principe d’un bataillon. Les violences de 2003 trouvent ici leur origine. Dans quelques années, les enfants orphelins seront devenus des adolescents rancuniers. Ils rejoignent à leur tour les organisations terroristes qui offrent un salaire, une fonction, un avenir – et les armes de leurs aînés.

 

Le projet est grandiose : retrouver la vision du Prophète, refonder le califat, revenir aux origines. D’autres en ont rêvé ailleurs : en 962, c’était bien le sens du Saint Empire, non ? C’était une autre époque. Enfin, pas pour tout le monde.

 

Une frange d’Al-Qaïda devient l’État islamique en Irak. Quand vient l’idée que l’État pourrait aussi s’implanter en Syrie, il devient l’État islamique en Irak et au Levant – Daesh. On se souvient que c’est en Syrie qu’ont été théorisés les fondements du parti Baas. Cette perspective politique socialiste panislamique avait été jugée insoutenable. On a fait huit ans de guerre pour le dire. On a lâché quatre-vingt-huit mille tonnes de bombes pour exprimer son indignation. Maintenant, c’est sûr, Daesh a recadré le projet bien à droite. Quoi ? C’est pas ça qu’on voulait ?

 

Pour le califat à venir, comme pour les révolutions passées, il s’agit de revenir à la tradition, la Sunna, au texte religieux, d’appliquer la loi islamique, la charia. On pense que tout a été dit dans la Révélation, il n’y a plus qu’à appliquer. Il faut se soumettre et réciter.

 

Les plus fondamentalistes s’autorisent ici étrangement à donner leur avis. Ils jugent que l’on ne devrait pas dire « État islamique » parce que le concept d’« État » est occidental, tiré du mot italien stato de Machiavel et que c’est faire preuve de mauvaise foi que d’introduire un concept occidental dans un projet qui se doit d’être, c’est le cas de le dire, culturellement vierge. Le Prophète n’est pas Le Prince. La notion d’État n’est pas dans la Révélation. C’est un califat qu’il faut fonder.

 

Pour les aspects pratiques, la capitale sera au nord, dans la deuxième ville du pays. On mesure la violence de l’affaire. En 2014, Daesh prend Mossoul. Qu’on ne croit pas que la bataille ait été terrible : il ne s’est rien passé. Mossoul, ville ouverte, comme Paris un peu plus tôt – la stratégie était toutefois légèrement différente.