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"Blaise en enfer" est une immersion au cœur de la vie tumultueuse de Léon et Blaise, récemment confronté à la perte de son père. Désormais à la tête de l’entreprise familiale, Blaise se retrouve face à des décisions cruciales, tandis que pour Léon, la situation vire au cauchemar. C’est une histoire qui semble se répéter, encore et toujours.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Raymonde Antès, forte d’un parcours académique et professionnel dense, s’est toujours distinguée par son intérêt marqué pour la rencontre et la découverte des cultures. Toujours avide de nouvelles connaissances, elle s’investit dans des projets visant à promouvoir la diversité culturelle.
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Seitenzahl: 107
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Raymonde Antès
Blaise en enfer
Roman
© Lys Bleu Éditions – Raymonde Antès
ISBN : 979-10-422-2594-0
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Mes yeux lancent des éclairs,
J’ai dans tout le physique un aspect satanique
Qui produit sur les nerfs l’effet d’une pile électrique !
Par les nerfs j’arrive au cœur ;
Je triomphe par la peur !
Par la peur !
Jules Barbier, Les contes d’Hoffmann
On y pensait la veille et l’avant-veille et depuis une bonne semaine – et on y pensait de plus en plus, surtout depuis ce matin, en se levant, en sortant de chez soi, en progressant sur la route. On a beau mettre la radio pour se changer les idées, consulter ses mails au feu rouge, il n’empêche, on ne l’oublie pas ; aujourd’hui, c’est une journée hors du monde, une journée à risque et une journée perdue.
C’est un rituel. Comme un Noël. À ceci près que personne ne le dit, mais, niveau ambiance, c’est plutôt l’inverse – l’ennui de cette journée, l’abattement qu’elle provoque. D’abord, c’est le défilé, toujours dans le même ordre. Les premiers passent en se donnant l’air de réfléchir, de ne pas être là – ne surtout pas montrer qu’on a l’esprit à craindre les remarques – seul responsable pourtant de leur arrivée précoce. Mais les suivants, dont les premiers admirent ce qu’ils prennent pour de l’audace, le savent : ils sont incapables d’organiser leur temps. Interdiction similaire de le laisser paraître. Eux aussi affichent un comportement de composition : s’ils sont en retard, c’est que les responsabilités les écrasent. Les uns et les autres parlent dans le vide pour ne pas dire ce qui oppresse : aujourd’hui, à qui sera-ce le tour ? – Et puis le grand chef arrive et tout se décompose. Mais n’anticipons pas. Que l’on retienne simplement que le Codir, ce n’est pas toujours la détente.
Aujourd’hui, par exemple, Léon ne le sait pas, ou plutôt si, il le sait, mais il imagine seulement sans vouloir y penser, parce que de toute façon, on verra bien. Tout à l’heure ce sera son tour, et cette journée marquera le crépuscule de sa vie.
Léon a cinquante-quatre ans, il a rejoint Performance voilà neuf ans pour un poste de directeur. Performance, ça veut tout dire. C’est un nom choisi par l’actionnaire pour motiver les équipes. Quand on y travaille, en raccourci, on dit Perf’ – et en plaisantant, on ajoute : « comme perfusion ; ou perforation. » Smiley. Avant, Léon pilotait une équipe commerciale dans un très grand groupe : soixante commerciaux pour toute l’Europe. Seize ans, il a fait ça, les reportings, les réunions, les organisations, les gestions des primes, des objectifs, les négociations des grands comptes. Et puis il avait fait le tour, ce n’est pas qu’il n’aimait plus, mais il se faisait vieux, de plus jeunes voulaient monter et il voyait bien qu’il plafonnait, qu’on ne le laisserait pas entrer dans le cercle des dieux, qu’il se maintiendrait. Alors il avait pensé que pour la fin de sa carrière, un poste de directeur, c’était plus intéressant, plus d’autonomie, un petit baron sur son territoire, pour finir une carrière, la dernière ligne droite, il avait pensé, c’était le bon plan, un peu de liberté pour finir, de la responsabilité, être indépendant. Il s’agissait d’encadrer quatre-vingts personnes, mais en Belgique, plus besoin d’aller à Porto et à Milan, à Stockholm et à Dublin. Il avait donné : les taxis, les réunions qui s’achèvent en retard, les horaires à rallonge, les avions ratés – et ouvrir doucement la serrure de la maison à une heure du matin pour ne pas réveiller la famille parce qu’on a dû prendre la dernière navette, celle qui décolle après 21 h. Alors quand son acheteur lui avait appris que chez Performance on cherchait un nouveau Directeur, il avait tenté, un dernier coup de cravache avant la retraite, ça valait le coup.
Léon habite dans une maison de deux cent cinquante mètres carrés, à Uccle, banlieue chic de Bruxelles. Un jardin de six ares, avec un grand chêne et quelques arbres fruitiers, des parterres de roses et un jardinier pour entretenir la pelouse. Tout au fond, il y a quatre ans, il a fait installer un jacuzzi. Josie aurait préféré une piscine, « mais si c’est pour faire quatre brasses et taper le bord », avait répliqué Léon. Josie avait dit que ce n’était pas que pour soi, mais pour les amis aussi, elle avait parlé de réceptions, et que ce serait agréable tout de même au printemps, à l’été, autour de la piscine, une coupe de champagne à la main, de rire aux éclats en pliant la nuque vers les étoiles avec en fond les notes du piano à queue, un trois quarts, dont Lucas, le fils, savait si bien jouer, pour profiter un peu de ses amis, « on ne se voit pas si souvent. » Et puis l’alimentation en eau nécessitait de revoir tout le circuit, de percer la dalle en béton, de repasser des canalisations ; on ne s’était pas mis d’accord sur l’agencement dans le jardin – entre la palissade en bois vers le terrain d’à côté et les parterres en bordure de l’allée en béton, sous les branches du marronnier du voisin qui lâche ses fruits à coque et ses feuilles fanées de septembre à novembre, ou côté rue, avec le bruit des voitures. Finalement, on s’était décidé pour un jacuzzi – moins gourmand en eau, plus logeable – et depuis, c’était les deux hommes qui en profitaient, les femmes prétextant qu’elles n’aimaient pas traverser pieds nus le jardin – on avait dallé le chemin –, qu’on avait froid en sortant – une cabane vestiaire avait été installée – et que rester là, assise, à ne rien faire, c’était stressant – on n’avait rien pu y faire. Quant à la piscine municipale, c’était le meilleur moyen pour attraper des mycoses. Tant pis, Josie avait fait une croix sur les baignades et les réceptions huppées.
Le soir, en rentrant du travail, Léon allait souvent s’installer, du printemps à l’automne, et parfois même en hiver, quand il ne gelait pas, dans sa boîte en bois au fond du jardin, qui lui faisait penser à la Suède ou à la Finlande, l’eau était toujours à douze, quinze, vingt degrés et même plus en été ; il ne fallait qu’une heure au plus pour la porter à trente-huit degrés, alors depuis son application mobile, en partant du boulot, Léon pilotait le chauffage de l’eau. Le temps du trajet, quarante à quarante-cinq minutes, de se dévêtir, d’enfiler un maillot et de prendre une grande bouteille d’eau pétillante dans le frigo – dans laquelle il ajoutait parfois une gélule de mélatonine, histoire de bien décompresser – et Léon, prévenu sur le mobile de la progression des étapes, arrivait juste au moment où les premiers bouillons commençaient à se former. Et là, pendant une demi-heure, une heure, c’était le repos total. Les yeux fermés, le chant des oiseaux au printemps et en été, les cotons de la neige en hiver, le murmure du bouillonnement de l’eau – Léon oubliait sa journée et, après le repas diététique que lui avait préparé Josie – car elle avait mangé déjà, Lucas vivait à l’extérieur et les filles dînaient à pas d’heure –, en se glissant sous les draps pour ne pas réveiller Josie ou bien alors, non, il y entrait seul, quand elle finissait une toile, il s’endormait comme un bébé.
À l’époque, les deux filles finissaient leurs études, le garçon y entrait, et Josie était occupée à peindre dans le garage, prévu pour deux voitures qui avaient toujours dormi dehors, dont Josie avait fait un atelier et un lieu d’exposition. Finalement, la maison était finie, le jardin était entretenu, Josie s’occupait avec ses tableaux et n’aimait pas qu’on la dérange quand elle créait – « j’ai mon univers », disait-elle – si bien qu’on n’avait besoin de lui nulle part et que ça ne gênait personne que, parfois, de toute la semaine, on ne le voit que le dimanche midi, au moment du repas, le seul qu’on essayait de garder familial tout de même, il ne faut pas perdre les traditions.
C’est que, les trois premières années, Léon n’avait pas vu la lumière du jour. Il avait fallu apprendre le métier, la structure de l’entreprise, organiser les différents services, jauger les compétences et l’engagement des uns et des autres, s’habituer à la business intelligence, rééquilibrer les comptes – le précédent Directeur était parti en laissant des crasses qu’on n’avait repérées que des mois plus tard –, organiser la planification des ventes, et faire tout ce qui était nouveau pour lui : adapter les plannings de charges, les prises de commandes et les capacités de réalisation, stabiliser le tout par la maintenance. De sept heures du matin à vingt et une heures, quatorze heures par jour, du lundi au samedi, et finissant le dimanche le travail qu’il n’avait pas eu le temps d’achever dans la semaine dans l’espace qu’il s’était fait aménager sous les combles au deuxième, un endroit qui servait aussi de grenier, mais où il avait fait poser une cloison avec le débarras, poser un isolant, tout repeindre en blanc pour donner de la lumière, on le trouvait là souvent le dimanche matin après le jogging ou le soir, avant d’aller dormir – Léon sacrifiait trois ans, préparait sa dernière partie de carrière, structurait son métier pour être tranquille pour les trente dernières années de sa vie. Enfin c’était l’objectif. Avant que.
Au bout de ces trois années, Léon était entré dans une phase de consolidation. Il prenait conscience des choses, il avait des réflexes, il réagissait moins au quart de tour. Il avait identifié les alliés et repéré les antagonistes, mais quelque chose le gênait, Léon. Les antagonistes sont les gens qu’on ne comprend pas et qui ne vous comprennent pas ; des gens avec qui la communication ne se fait pas. On ne sait pas pourquoi, et il ne faut pas chercher à savoir, c’est humain, c’est corporel, c’est dans l’ordre des choses, la manière d’être au monde, vous ne changez pas les gens et vous ne vous changez pas vous-même, c’est comme ça, avec certains ça passe, avec d’autres, c’est suspicion, engueulade, défiance et coups bas assurés, ça se comprend dès les premiers mots, parfois, pas toujours, au premier regard, et ça se confirme à chaque fois, quoique que vous fassiez. Autre exemple, autant vous pouvez bavasser et plaisanter sans surveiller vos propos et votre comportement avec les alliés, parce que vous savez comment ils réagissent, la valeur de ce qu’ils disent, le contexte, l’étendue de leur propos, autant il faut limiter au maximum les interactions avec les antagonistes. Ça peut vous revenir en travers de la figure à n’importe quel moment, par des chemins impossibles à comprendre, et parfois sans possibilité de réagir. Donc il faut vite repérer ces gens et les éviter autant qu’on peut, réduire les échanges à des propos formels, ne pas insister, avancer de son côté en oubliant les tensions – inévitables. Ça marchait plutôt pas mal, et tout le monde y trouvait son avantage ; pour la sauvegarde de sa paix intérieure et de son efficacité propre. Mais là, c’est différent. Très différent. Ça ne marchait pas et ça ne pouvait pas marcher.