Bal de culs-de-jatte à la morgue - Maurice Fauvel - E-Book

Bal de culs-de-jatte à la morgue E-Book

Maurice Fauvel

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Beschreibung

Hugo Samson, commissaire de police, est resté plusieurs jours sans donner de nouvelles à son amie légiste, un peu, beaucoup, amoureuse de lui. En son absence, les cadavres ont tendance à s’amonceler à la morgue. Même le procureur Laurier a jugé utile d’y tester la fraîcheur des tiroirs. Mais que fait la loi ? Que fait Hugo ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après La Pourvoyeuse du diable pour premier roman, Maurice Fauvel se lance une nouvelle fois dans le domaine du crime. Pourquoi courir après les cadavres ? Ils se convient eux-mêmes dans un bal macabre de Culs-de-jatte à la morgue et ceci sans invitation au grand dam d’une légiste courroucée.


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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Maurice Fauvel

Bal de culs-de-jatte à la morgue

Roman

© Lys Bleu Éditions – Maurice Fauvel

ISBN : 979-10-377-7506-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

La légiste n’arrêtait pas de tourner.

Samson lui manquait. Le vieux bougre avait l’habitude de la baratiner autour d’un mauvais café encore pire que celui de la machine de la salle de repos.

La lavasse avec lui avait goût de nectar. Elle en était secrètement amoureuse mais lui n’était jamais allé plus loin que la flatterie et elle le haïssait amoureusement pour cela. Cet idiot aurait dû passer à l’action bien plus tôt mais non…

Pas de cadavre, pas de visite. Elle aurait tué pour avoir le plaisir de le voir. Elle se languissait de lui.

Depuis huit jours, elle avait eu le temps de faire le grand nettoyage dans son labo. Si elle pouvait parler aux morts, leur absence la réduisait au silence et pour une bavarde comme elle c’était une véritable torture. Alors s’il y avait un dieu pour les assassins, il serait temps qu’il se bouge un peu les fesses, ses pouces commençaient à s’ankyloser à force de se les tourner.

Elle tournait aussi en rond. Elle éprouva le besoin de s’aérer un peu l’esprit et nourrir son addiction à la caféine : direction la salle de repos appelée aussi salle des cancans.

Ici naissaient ragots et rumeurs plus ou moins bien fondés. Les couples s’y construisaient aussi vite qu’ils se détruisaient :

C’était le Facebook de la « Crim ». Elsa et Samson n’y avaient pas échappé, 25 fois, on les avait fiancés, 25 fois, on avait officialisé leur séparation. Nul ne savait où ils en étaient et eux laissaient courir, à quoi bon !

Il n’y avait jamais rien eu entre eux.

La cafette était aussi déserte que le Sahara en période de confinement : déprimant. Elsa fut envahie par une impression de vide qui la mena au bord de la nausée. Il fallait qu’elle sorte de là.

Elle s’assit sur un banc du square où elle avait pris l’habitude de fumer sa clope en compagnie de Samson. Aujourd’hui, il n’y était pas !

Seuls deux amants y échangeaient des baisers furtifs, rassurant Elsa sur le fait qu’elle n’était pas dans un monde parallèle.

En rentrant à son labo, un cadavre l’attendait sur un chariot.

Enfin, la vie reprenait son cours.

****

Sa présence la surprit. Mais ce qui la surprit encore plus fut qu’on ait pu le laisser là, sans de plus amples informations…

Il y avait des protocoles stricts à suivre.

Là, dès le commencement, on cumulait les vices de procédure. Elle n’était pas habituée à de telles négligences de la part de Samson. Un tel abandon rendrait caduc le début de l’enquête, Elsa n’aimait pas. Elle sera obligée de faire un signalement.

Cela impliquait une enquête interne, des sanctions administratives et disciplinaires.

Le souci était que son chéri serait incriminé. Il lui tardait d’entendre ses explications.

En attendant, elle ne s’était pas encore occupée du cadavre qui attendait sagement qu’on veuille bien lui porter attention.

Enfermé dans son linceul, il paraissait étrangement petit. Elle espéra que ce fut un nain, elle avait horreur d’avoir comme patient un enfant. C’était au-delà de ce qu’elle pouvait supporter. En approchant du sac contenant le cadavre, son cœur battait la chamade. Ses mains, en tirant la fermeture éclair, tremblaient un peu et pour disséquer un cadavre ce n’était pas l’idéal.

Elle n’eut pas à descendre beaucoup la fermeture éclair pour savoir que la mort n’était pas naturelle : la victime avait perdu la tête et ce n’était pas pour ses charmes.

Elsa eut un mouvement de recul.

Elle avait demandé un cadavre. Une décapitation, ce n’était pas trop top. Le café aromatisé au goudron de sa cigarette lui remonta en bouche, l’amenant au bord de l’asphyxie.

L’évier à proximité recueillit le breuvage. Elle avait failli souiller le mort.

Elsa n’était pas superstitieuse mais cette journée commençait à ressembler à une journée où rien n’irait droit. Elle en était certaine.

En poursuivant son exploration, elle acquit la certitude que l’homme ne la prendrait jamais dans ses bras et qu’il ne prendrait plus jamais son pied ; ni le droit ni le gauche.

Il avait été démembré et châtré.

Elle n’avait devant elle qu’un tronc, ficelé façon paupiette : un boulot de malade. La folie était devant ses yeux et le fou dans la nature. Était-il mort avant d’être émasculé ? Elle avait de sérieux doutes !

Pauvre diable ! C’était une vraie boucherie !

****

Elle appela Samson. Son adjoint décrocha.

⸺ Letort à l’appareil !
⸺ Bonjour, Elsa Monfort ! pourriez-vous me passer l’inspecteur Samson, s’il vous plaît !
⸺ Il a pris quelques jours, en quoi puis-je vous être utile ?

Elsa eut un instant d’hésitation, surprise qu’il ne l’ait pas prévenue. D’habitude, Samson lui laissait un message afin qu’elle lui mette de côté les éléments essentiels de ses enquêtes.

Ce n’est pas qu’il manquait de confiance en ses collaborateurs mais parfois, ce qui est important aux yeux des uns ne l’est pas aux yeux des autres. Sa hantise était l’erreur judiciaire.

Il ne voulait et ne pouvait se passer du médico-légal et c’était un domaine qu’il ne maîtrisait pas. Il avait besoin d’avoir une confiance absolue et Elsa était son phare.

⸺ J’aimerais que vous m’ameniez le dossier du cadavre que vous m’avez livré durant ma pause !
⸺ Je n’ai rien fait du tout et on n’a aucune affaire en cours. Je le saurais !
⸺ Alors, ramenez-vous ! Maintenant, vous en avez une !

Elsa ne comprenait rien et elle n’aimait pas ce qui se passait. Ça puait l’embrouille à plein nez.

En ce début août, les criminels devaient être en vacances.

Letort n’était pas submergé par le boulot. Samson en avait profité pour puiser dans ses RTT.

Le commissariat, attenant à l’Institut Médico-Légal, l’inspecteur Letort ne tarda pas à répondre à l’injonction d’Elsa. Ce n’était pas une question de hiérarchie, avec Elsa, il n’arrivait pas à en imposer, c’est tout. Il ne savait pas pourquoi, lui le beau parleur qui ne se laissait impressionner par quiconque, l’était par elle.

Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils n’avaient pas d’atomes crochus. Lorsqu’il avait obtenu sa mutation, la première personne qu’il croisa fut Elsa. Ce fut un choc pour lui, au propre comme au figuré, et aussi pour elle. En se retournant sur l’arrière-train d’une avenante fliquette, il ne trouva rien de mieux que de la bousculer en envoyant valdinguer un dossier réduisant à néant le classement des pièces de l’autopsie en cours. Le regard qu’elle lui lança était encore plus froid que celui des cadavres qu’elle manipulait.

Il y avait mieux pour faire connaissance.

Depuis il n’avait jamais réussi à sortir de la case où elle semblait l’avoir classé : superficiel.

En entrant dans le labo, il aperçut Elsa qui l’attendait assise sur son tabouret. Elle n’eut pas besoin de lui faire un topo sur la situation. Son œil tomba immédiatement sur la bâche noire.

La couleur tranchait sur le blanc de la pièce et le froid de l’inox la rendait presque chaude. Elsa avait remonté la fermeture éclair dans le but de conserver le corps le plus intact possible.

****

Elle s’approcha de lui, le prit par le coude et le guida vers la dépouille presque maternellement. Il en fut surpris. Comment cette femme si distante pouvait à la fois être aussi tendre ?

Décidément, elle le déconcertait.

Elle n’avait pas encore dit un mot. Le contraste était saisissant pour cette bavarde invétérée.

Dans les faits, ce mort ne lui appartenait pas et elle ne pouvait pas se l’approprier tant qu’elle n’aurait pas reçu l’autorisation d’y toucher.

Elle prit l’initiative de descendre la fermeture éclair.

Letort ne vit pas tout de la manœuvre : le sol venait lui sauter au visage.

Le tocsin sonnait dans son crâne lorsqu’il revint à la surface.

Elsa n’avait pas eu à chercher bien longtemps pour trouver des glaçons afin de limiter le gonflement de ses narines.

Il ne se souvenait pas avoir réussi à s’installer sur le tabouret mais il savait qu’à l’heure actuelle, il était incapable de se tenir en position verticale.

⸺ Bienvenue chez les morts ! Mon mort, quoique non : votre mort ! Clignez des yeux ! Suivez mon doigt ! OK ! Bon pour le service !
⸺ Euh, non ! Je préfère rester assis. Expliquez-moi ce qui se passe !
⸺ C’est très simple, en rentrant de ma pause, j’ai trouvé ce monsieur qui m’attendait dans le plus simple appareil. Ce n’était même pas un attentat à la pudeur. Je lui aurais bien demandé de s’excuser mais comme il est un peu tête en l’air ! Bref, cet homme a subi les pires sévices. Je ne sais pas qui c’est, qui l’a amené là et je n’ai pas de dossier de prise en charge. Donc, je ne peux rien faire et nous sommes sur une potentielle scène de crime avec une potentielle criminelle : moi ! Je ne vais pas vous apprendre votre métier. Je ne veux pas polluer outre mesure le lieu et donc je ne peux pas commencer la dissection de Monsieur X.
⸺ Je vous le laisse, vous me direz quand je pourrai officier.

Elsa sortit, laissant Letort circonspect.

Elle savait qu’elle ne devait pas rester dans la pièce, étant témoin indirect d’un meurtre.

Elle espérait que les experts lui rendraient son labo tel qu’il était avant cette invasion morbide.

Sa machine à café lui manquait déjà.

Il fallait qu’elle se vide la tête. Cela faisait près de vingt ans qu’elle faisait ce boulot ; jamais, elle ne s’était trouvée devant une telle situation. Elle avait besoin de marcher, de voir des êtres vivants.

Autant oublier la salle de repos et aller direct à l’accueil de l’hôpital pour y récupérer son courrier.

Elle avait obtenu le privilège d’y délocaliser sa boîte à lettres au grand soulagement du facteur qui venait à reculons à la vue du mot « morgue » sur le pli.

Si ce n’était pas la dénomination administrative, c’était resté le nom d’usage. Sans doute le préposé craignait-il d’y croiser un patient désireux d’échapper à la vindicte du scalpel ou au sex-appeal d’Elsa.

Elle était devenue copine avec Hélène, blonde de 35 ans et maîtresse incontournable de la tour de contrôle de l’hôpital : l’accueil.

Celle-ci était au courant de tout ce qui se tramait ici et ce n’était pas toujours joli-joli.

À maintes reprises, afin de faire accélérer des dossiers, cette amitié s’était révélée précieuse. C’était incroyable le nombre de personnes qui lui étaient redevables de menus services.

Elle était fidèle en amitié mais inflexible avec les personnes qui lui étaient antipathiques.

Aujourd’hui, elle s’ennuyait ferme !

À croire que les malades s’étaient donné le mot pour passer l’âme à gauche sur la Côte d’Azur.

Pas de veuve éplorée, suivie de près par une maîtresse tout autant effondrée, ni d’enfants légitimes ou non se chicanant pour un hypothétique héritage déjà dilapidé à leur insu : elle n’avait rien à se mettre sous la dent. Ce n’est pas le gamin au trousseau de clefs trouvé sur le parking qui fera sa journée.

Heureusement, Elsa venait d’apparaître, elle allait enfin pouvoir papoter. Ces deux-là s’étaient bien trouvées. Dès le premier regard, elle comprit qu’Elsa n’était pas au mieux de sa forme.

D’habitude, elle venait pimpante en tenue de ville.

C’était pour le cas où elle croiserait Samson.

Là, elle avait gardé sa blouse et remisé son sourire radieux au placard.

La carafe de café allait trinquer.

⸺ Oh ! Toi, ça n’a pas l’air d’aller !
⸺ Non, chômage technique pour moi !
⸺ Eh bien ! Réjouis-toi ! Pas de mort, pas de criminel ! La vie est belle !
⸺ Ben ! Justement ! Non !

Elsa lui raconta les derniers événements, l’absence de Samson, l’évanouissement de Letort, son labo sous scellés, le temps des constatations.

⸺ Heureusement que c’est la morte-saison pour les criminels ! dit en rigolant Hélène, pas avare en jeux de mots.
⸺ Mouais ! Sans doute pour ça que Samson est aux abonnés absents. Il aurait pu prévenir quand même. Il va m’entendre quand il va rentrer.

Hélène rigolait intérieurement : même s’ils ne se l’avouaient pas, Elsa et Samson fonctionnaient comme un vieux couple. En quoi était-il obligé de l’informer de ses absences ? À son retour, il se prendra une avoinée. Tout penaud, il s’excusera en l’invitant au resto ! Elsa le manipulait tout comme elle avec Letort (elle avait flippé en apprenant qu’il avait le nez en compote).

Letort, c’était le beau gosse du commissariat.

Toutes les infirmières célibataires étaient à ses pieds. Il n’aurait eu qu’à claquer des doigts.

Toutes sauf une ! Et comme la nature est taquine ; c’était la seule qui occupait son esprit et son cœur. Il courtisait Hélène, mais la fine mouche le faisait mariner.

Le moment passé avec Hélène avait apporté un peu de soleil au moral d’Elsa qui vivait ce début de journée comme un bagnard les boulets aux pieds. Tout se déroulait au ralenti dans un nuage cotonneux uniquement pollué par la tache noire de la bâche du mort.

Elle décida de passer au commissariat pour voir la suite des événements.

⸺ Dis à Letort qu’il a du courrier à récupérer. Je veux voir son pif et pouvoir en rigoler. Ne lui dis pas que je sais qu’il a tourné de l’œil… !
⸺ Promis !
⸺ En même temps si tu pouvais déposer ce trousseau de clefs aux objets trouvés. Il a été récupéré ce matin sur le parking de l’hosto par un gamin.

Elsa tendit la main. Son geste resta en suspens…

Elle vacilla !

Ce porte-clefs, il était impossible qu’il soit là ou alors c’est que quelque chose de grave était en train de se produire. Elle ressentit le besoin de s’asseoir.

Elle contourna le comptoir en se cramponnant à la barre.

⸺ Oh ! Là ! Ma chérie, t’as la ménopause qui te travaille ? T’es toute pâle !

Son trait d’humour tomba à plat.

L’infirmière eut à peine le temps d’installer Elsa sur une chaise. Ses jambes ne la soutenaient plus.

Le sang affluant à son cerveau le compressait, toute possibilité de raisonnement annihilée, ses yeux vitreux fixaient l’écran de l’ordinateur, quémandant une réponse rassurante de sa part.

Elsa se sentait incapable d’effectuer le moindre mouvement.

Hélène, d’habitude si prompte à réagir devant des situations d’urgences paraissait tétanisée par l’état de sa copine. Cela n’avait duré que quelques secondes mais cela avait paru être une éternité.

Elsa connaissait ce trousseau de clefs.

Le grand froid, qui l’avait envahie, fut submergé par une vague de lave qui traversa son corps à la vitesse de l’éclair.

Il en résulta une belle convulsion. Ce n’était pas un spasme de jouissance mais plutôt l’expression d’une souffrance diffuse.

Hélène comprit que l’instant critique était passé et qu’il suffisait maintenant de la laisser récupérer. La matinée qu’Elsa venait de passer ne pouvait pas ne pas laisser de trace. Même habituée à la mort, ce n’est pas pareil quand on est impliquée. La légiste n’en était pas moins humaine.

****

Letort avait bien tourné de l’œil alors pourquoi pas elle.

(Ça ne devait pas être beau à voir la salle d’autopsie ! songea Hélène.)

⸺ Ça va mieux ? Besoin de sucre ?
⸺ Oui ! Non !
⸺ Pas la grande forme quand même, Nénette !

Elsa éluda.

⸺ Tu peux rechercher aux admissions ?
⸺ Quel nom ?
⸺ Samson !

Les doigts d’Hélène volèrent sur le clavier.

⸺ Négatif ! Pourquoi ?

Elsa poussa un soupir de soulagement et montra le porte-clefs orné d’un caméléon éborgné.

⸺ C’est celui de Samson. C’est moi qui lui ai offert à mon retour de Madagascar.

Elsa reprenait peu à peu des couleurs même si le rose de ses joues ne semblait pas très naturel.

⸺ Oui ! Ben ! Ce n’est pas une raison pour jouer les caméléons avec moi. Tu viens de passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Explique !
⸺ Samson est absent, ce n’est pas dans ses habitudes de partir sans prévenir. Aujourd’hui, rien ne va, c’est une journée pourrie. Quand j’ai vu ses clefs, j’ai eu peur, j’ai eu un coup de bambou. J’ai craint une hospitalisation mais maintenant ça va mieux. Je respire !
⸺ Tu ne crois pas que ça serait mieux de lui dire que t’as le béguin. Tu réagis comme si tu étais sa femme, avec les inconvénients sans en avoir les avantages. Pense à ta libido quand même ! Tu ne vas pas passer ta vie à espérer des cadavres pour voir ton chéri. Et au moment de la retraite, tu vas faire quoi ? hein ? Te transformer en criminelle ? En souvenir du bon vieux temps ?

C’était dit cash : Hélène dans toute sa splendeur. En même temps, elle n’avait pas tort.

⸺ En attendant, je connais quelqu’un à qui il doit manquer des clefs, je connais quelqu’un qui a du temps à tuer pour cause de chômage technique. Si ce n’est pas un signe du destin, ça y ressemble bigrement !

Elsa n’aimait pas trop être mise au pied du mur. Elle était en panne d’arguments et préféra laisser le champ libre à Hélène, non sans avoir promis de ramener les clefs à Samson. Cette dernière voulait l’obliger à se remuer le popotin.

L’idée d’être déguisée en demoiselle d’honneur lui plaisait assez.

Elsa avait décidé de suivre les conseils en amour d’Hélène, en oubliant incidemment que celle-ci était autant célibataire qu’elle. Auparavant, elle avait décidé de passer par le commissariat.

Elle voulait savoir si elle pouvait réintégrer sa tanière et accessoirement si Samson était repassé dans la journée en s’inquiétant de ses clefs.

****

En fait, l’accessoire l’emportait.

Si Samson était passé, pourquoi s’était-il garé sur le parking de l’hôpital, plutôt que sur sa place réservée au poste ? Et surtout, s’il était en vacances, pourquoi n’était-il pas passé boire un jus avec elle ?

La nature a horreur du vide : pour l’instant, elle ne semblait pas s’inquiéter de Samson.

Un néant sidéral envahissait Elsa. L’inspecteur jouait aux fantômes. Personne ne l’avait vu de la journée.

Elsa avait simplement pu récupérer ses effets personnels sur les lieux supposés d’un meurtre.

Samson avait pris une semaine de RTT et son téléphone sonnait dans le vide. Il ne répondait pas aux messages d’Elsa.

Elle décida de se rendre chez lui. Jamais elle n’y était allée. D’ailleurs, elle, non plus, ne l’avait jamais invité chez elle.

Samson avait prétexté des raisons de sécurité. On vit une drôle d’époque où les flics sont des cibles même dans leur vie privée.

La sécurité de Samson ! Elsa aurait pu donner la même excuse. Elle aurait pu lui sauter dessus.

Elle ne voulait pas briser leur amitié ni troubler leurs relations professionnelles en passant à plus d’intimité. En fait, tous les deux avaient peur de s’engager.

Elle ne connaissait pas son adresse.

Ça sert d’avoir une copine qui connaît quelqu’un qui sait où habite son patron. (Merci Hélène !)

Dans l’affaire, Letort avait décroché un rendez-vous galant et Hélène un amant.

Un coup de canif venait d’être donné à leur contrat de non-ingérence. Devant Elsa, se dressait maintenant une agréable maison de banlieue.

L’aspect extérieur reflétait l’image de l’occupant, Samson étant un maniaque du rangement.

C’est une obsession chez lui ; il a en horreur de perdre son temps à chercher.

Il avait eu du mal à se faire à Letort qui était son exact contraire et au bureau ; le contraste faisait peur.

Pour Letort, l’ordre était simplement un désordre organisé. Tous les deux se demandaient si la hiérarchie n’avait pas voulu les punir en formant ce couple d’enquêteurs improbable. Les résultats, arrivant, ils s’en étaient accommodés l’un, l’autre.

L’entretien de la pelouse devait être suivi par un jardinier anglais. Les brins d’herbe semblaient au garde-à-vous et aucun d’entre eux ne sortait du rang. Ça la rendait belle mais rigide (à l’image de son propriétaire, songea Elsa).

Le parterre quant à lui présentait un délicat pastel de couleurs créant un contraste avec la pelouse.

Cette douceur guidait le visiteur vers le pas de porte surmonté d’un auvent protecteur. Elsa trouva cet accueil paisible et rassurant. Cette maison respirait la bienveillance et la simplicité. Aucun tape-à-l’œil.

Elle faisait contraste avec les maisons voisines qui étaient clôturées par de hauts murs, la sienne était ouverte sur la rue.

Elsa imagina ses enfants jouant sur la pelouse. Hélène se rappela à elle.

Elle lui murmurait : « ménopause. »

Retour violent à la réalité : elle avait perdu 15 ans à espérer…

Elle toqua à la porte. Elle n’avait pas trouvé de sonnette. Il n’aimait pas leurs bruits. Il les trouvait agressifs, voire intrusifs. Les ordres, c’est lui qui les donnait. Il n’était pas un toutou.

Elle l’imagina derrière le judas de la porte. Elle ne put le supporter. Le goujat ne répondait pas à ses messages, ne venait pas la voir pour la rassurer, elle voulait savoir pourquoi ?

Elle ne voulait pas : ELLE EXIGEAIT !

Elle toqua plus fort. La porte s’entrouvrit mais personne derrière.

La bordée d’injures qu’elle s’apprêtait à lui jeter à la figure resta au fond de sa gorge y forgeant un nœud d’angoisse. C’est en gémissant qu’elle put éructer son prénom.

⸺ Hugo !

Ses yeux imploraient le silence assourdissant qui enveloppait la bâtisse. Elle aurait aimé entendre un simple « oui ». Ça aurait suffi, mais rien.

Une voix intérieure lui souffla que ce n’était pas normal que la porte soit restée ouverte. Une autre lui dit qu’il y avait peut-être eu urgence pour qu’il en soit ainsi.

Elle était restée debout, hésitant entre pénétrer ou partir.

Il n’aurait peut-être pas aimé la voir dans sa maison même si elle aurait pu faire valoir son inquiétude.

C’était violer son intimité.

C’était cette même inquiétude qui la scotchait là, incapable de prendre une décision.

Elle resta un bon moment, dans l’expectative, assise sur les marches du perron. La sonnerie du téléphone la sortit de son semi-cauchemar. Lefort lui envoyait un message. Son patient avait pris place dans un des tiroirs de sa chambre mortuaire.

Elle pourrait officier au petit matin.

En son for intérieur, elle était soulagée.

Cette affaire allait lui occuper l’esprit.

Hugo attendra.

Il n’avait qu’à répondre à ses appels.

Hugo ! Elle ne l’appelait jamais par son prénom et aujourd’hui c’était la deuxième fois. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Hélène avait raison : elle avait le béguin, les événements de la journée la mettaient devant le fait accompli.

Elle se sentait telle une jeune ado à l’heure de ses premières amours. Tout juste si elle ne faisait pas une poussée d’acné.

Elle n’allait pas rester comme ça devant sa porte. Ça faisait toutou, attendant le retour de son maître.

****

Elle sentait déjà les regards des commères en vadrouille, leur toutou en laisse. Les langues allaient se délier et la réputation de Don Juan de Samson sera établie.

En même temps, il était bel homme, du moins le fantasmait-elle ainsi ! Elle ne le connaissait qu’en costume. C’était son uniforme. Jamais il ne tombait la veste. Sans doute était-elle cousue sur lui !

Découvrir l’endroit, où il vivait, était un choc. Il était impensable de croire que chez lui, il puisse rester en veste. Elle l’aimait mais ne savait pas comment il était construit.

On lui aurait demandé d’en faire un portrait-robot qu’elle en aurait été incapable. Elle venait de s’en rendre compte.

Elle avait envie d’un peu de compassion.

Hélène ayant bientôt fini son service, Elsa passa par l’accueil de l’hôpital. Elle avait grand besoin de s’épancher sur les événements de la journée et d’une soirée entre filles.

Hélène était toujours partante, les mecs et leurs plans dragues en faisaient souvent les frais. Elles appelaient ça, les soirées « langues de vipères ».

Manque de chance, pour une fois Hélène ne sera pas disponible. Elle avait rendez-vous avec un gars qui lui avait rendu un service pour une copine. Letort n’avait pas traîné. Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Il avait raté sa vocation de forgeron.

Elle avait cependant, un peu de temps à lui consacrer. Elle voyait bien la contrariété de sa copine, elle lui proposa de chercher la voiture de Samson sur le parking pour voir si elle était encore là.

Auparavant, elles vérifièrent quand même les admissions au cas où : négatif.

Le gamin avait localisé l’endroit de sa trouvaille, le périmètre de recherches s’en trouvait restreint.

Grâce à la fermeture électronique des portes et ses clignotants, le véhicule ne fut pas difficile à localiser. Depuis bien longtemps, les visiteurs avaient déserté l’endroit.

La Renault de Samson aurait de toute façon été aisée à retrouver. Il aurait suffi de trouver la plus rutilante.

Par contre, à jouer avec la clef, elles ne sauraient dire s’il avait ou non laissé les portes ouvertes.

La voiture n’avait pas bougé.

Sa fouille ne donna rien. Les deux femmes firent le point en squattant l’habitacle.

Quelles étaient leurs certitudes ?

Elles en avaient peu et pour ainsi dire aucune, sauf la découverte du trousseau de clefs et de la voiture.

Il n’y avait pas de quoi ouvrir une enquête.

Certes, il y avait de sérieuses inquiétudes mais elles pouvaient être apaisées aisément. Samson ne donnait pas signe de vie ! Et alors ! Il était en congés ? pas d’astreinte !

Pour l’abandon de sa voiture sur le parking de l’hôpital ?

Il y avait peut-être retrouvé un ami pour une virée entre potes. (Certainement pas une amie, affirma Elsa quelque peu jalouse.)

Et les trousseaux de clefs ? C’était monnaie courante aux objets trouvés ! Pour la porte de son domicile ? Peut-être un oubli de son employée de maison. (S’il en avait une !)

****

Elsa commençait à comprendre pourquoi il était si difficile de lancer des recherches pour les personnes disparues (surtout les adultes : le droit à disparaître étant reconnu). Il faudrait croire à un enlèvement.

Ce n’est pas au bout de douze heures qu’on pouvait l’affirmer.

Elsa se demanda soudain si Samson n’était pas responsable de la livraison du cadavre sans tête.

Après tout, il y avait eu deux faits majeurs qui avaient troublé sa journée : ils étaient peut-être liés.

Celle-ci avait été harassante, la lassitude s’emparant d’elle l’empêchait de raisonner correctement. Elle décida de s’octroyer un repos réparateur. Demain sera un autre jour.

Elle libéra Hélène. Son rendez-vous galant ne pouvait attendre.

⸺ Ne fatigue pas trop Letort ! Il faut qu’il soit en forme demain matin ! Je ne vais pas le lâcher. Tu veux des préservatifs ?

Hélène rigola et ouvrit son sac à main. La dame était prête au combat. L’expression « ce n’est pas la taille qui compte » n’était pas galvaudée. Elle avait dévalisé le distributeur de la pharmacie près de l’accueil.

Elsa se posant la question de l’utilité de cet appareil, dans un lieu où théoriquement on a la tête ailleurs, s’en était ouverte un jour à Hélène. Un sourire coquin lui avait répondu.

En rentrant chez elle, Elsa s’écroula sur le lit.

Le pays des songes, qui l’accueillit, fut peuplé de marionnettes désarticulées combattant dans le plus simple appareil. Elsa s’occupait à autopsier les cadavres qui s’entassaient à la porte de la morgue.

Son scalpel n’arrêtait pas d’officier, avec en bruit de fond le son d’une guillotine et le cri des suppliciés.

Elle sursauta, un bourreau rigolard brandissait la tête d’Hugo. Son propre hurlement la réveilla, transie de peur et de sueur. Elle se mit à pleurer. Combien de temps fera-t-elle encore ce boulot de boucher ?

Les premières lueurs de l’aube trouvèrent Elsa, yeux cernés, cheveux ébouriffés et en manque de sommeil. La douche lui fit du bien, par contre le petit-déj, avalé du bout des lèvres, avait du mal à passer.

Elle sentait confusément que sa journée, si elle était à l’image de la veille, serait complexe.

Elle avait décidé de passer chez Hugo avant de commencer le boulot.

Elle avait fait assez de dissections durant la nuit pour ne pas en rajouter une à son palmarès. Elle n’avait qu’une idée en tête : résoudre le mystère Hugo.

Elle espérait le trouver chez lui.

En cours de route, elle acheta des viennoiseries. Celles-ci serviraient d’alibi pour se faire inviter au cas où il serait là.

Elle sourit intérieurement. Elle faisait les choses à l’envers : normalement, on couche et après on prend le petit-déj.

Alors, désorganiser le quotidien d’Hugo relevait de la gageure. Elle était prête à relever le défi.

En arrivant devant la maison, Elsa constata que rien n’avait bougé. La bagnole d’Hugo n’était pas visible. Elle était sans doute restée sur le parking.

Elle se demandait comment il aurait pu revenir chez lui sans son sésame. Un second trousseau de clefs devait traîner quelque part. À qui aurait-il pu le confier ? Hugo n’était pas du style à les mettre dans les mains de n’importe qui !

Il aurait plutôt prévu une planque pour pallier ce genre de situation. Peut-être à son bureau ?

Seul souci, il n’y était pas passé la veille ! Elle gara sa voiture bien en évidence dans l’allée afin qu’il ne soit pas surpris par sa présence.

Comme la veille, elle frappa à la porte.

Mêmes causes ; mêmes effets sauf que là, Elsa, croissants à la main, osa franchir le seuil.

Hugo ne répondait pas à ses appels.

Pour calmer son stress, elle l’appelait, comme s’ils jouaient à cache-cache. Elle ouvrait au fur et à mesure les portes qui se présentaient à elle. Le sale gosse était bien caché.

Faire le tour des pièces ne fut pas long.

L’habitation était de plain-pied. Elle imaginait une annonce immobilière style : Maison rénovée, cuisine aménagée, salle de bain, deux chambres, bureau, spacieux séjour et salle à manger.

Cette maison semblait sortie d’un magazine de décoration d’intérieur. Prête à être visitée, sans un poil de poussière ni quoique ce soit qui traîne.

Elle se dit que tout compte fait, ils n’auraient pas pu vivre ensemble ou alors, il aurait dû faire beaucoup de concessions (et elle aussi !).

C’était peut-être pour ça qu’il ne l’avait jamais invitée. Cette maison était sans vie.

Elle et ses cadavres étaient plus vivants que cette bâtisse figée dans le papier glacé d’une page de mode.

Elsa s’assit sur une chaise-bar de la cuisine.

Elle aimait bien cette chaise.

Elle seule semblait conviviale. Elle nota malgré tout qu’il y en avait qu’une, pour la convivialité elle pouvait repasser.

La cuisine était ouverte sur la salle à manger.