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Charlotte aurait aimé devenir une femme en se donnant à Grégory, son petit ami, le jour de ses seize ans. Hélas, elle perdit sa virginité à la suite d’un viol commis par un valet de ferme, amant de sa mère. Cet homme passa l’arme à gauche après une rencontre malencontreuse avec la cartouche d’un fusil. Traumatisée, Charlotte poursuivit son parcours terrestre sous le pseudonyme de Chriss. 15 ans plus tard, Chriss prend en charge un auto-stoppeur. L’homme, un maffieux en cavale, tentera d’abuser d’elle. Il le paiera de sa vie. Tant pis pour lui ! Par ailleurs, Grégory, qui avait disparu, est devenu un inspecteur et un enquêteur hors pair. Il connaissait l’agresseur de Chriss. Toujours amoureux d’elle, il découvrira la face cachée de sa chérie. Pourra-t-il rétablir la justice malgré ce tendre attachement qui les lie ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Les romans de cape et d’épée, puis d’espionnage ont nourri la jeunesse de
Maurice Fauvel. Ensuite, grâce à sa carrière de correspondant de presse, il a pris goût à l’écriture. Il signe avec
La pourvoyeuse du Diable son premier roman.
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Seitenzahl: 249
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Maurice Fauvel
La pourvoyeuse du Diable
Roman
© Lys Bleu Éditions – Maurice Fauvel
ISBN : 979-10-377-6115-6
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Lentement, Charlotte avança sa voiture dans la sente. Une perle de sueur coulait le long de sa tempe. Malgré la température plutôt fraîche, ses vêtements lui collaient au corps. Elle se surprit à frémir.
Il est vrai que le coin n’inspirait pas forcément confiance, mais en ce début de matinée, elle était sûre de ne pas faire une mauvaise rencontre.
Personne ! Toute petite, elle venait y lire des romans de gare sentimentaux ; de ceux qui finissent toujours bien. « L’eau de rose », elle n’aimait pas l’expression, le parfum non plus d’ailleurs ! Et que dire des roses sinon qu’elle les avait en horreur depuis ce jour où… ! (lointain souvenir, enfin bref, elle n’était pas là pour rêver).
Charlotte n’était pas une fille de la campagne mais ce petit matin dans les sous-bois, cette brume qui s’élevait à la caresse des premiers rayons lui donnaient la sensation d’être sur un petit nuage. Elle ouvrit sa vitre et passa la tête pour ne pas rouler dans l’ornière qui se présentait sur le côté. Surtout ne pas s’embourber sinon elle serait mal, pas besoin de ça, ni maintenant ni jamais.
Elle avançait doucement, mais d’une main ferme. Faire le moins de bruit possible et laisser la nature couvrir le ronronnement du moteur !
Ça tombait bien, l’éveil des oiseaux et peut-être quelques parades amoureuses offraient à souhait un joyeux tohu-bohu qui contrastait avec le silence régnant dans la voiture.
Elle était arrivée.
Les lieux avaient peu changé depuis ce jour de juin où elle était venue avec Grégory. Venue, le mot était faible. Elle l’avait attiré ici, traîné plutôt en lui faisant promettre de ne jamais révéler l’endroit.
En s’asseyant au pied d’un arbre, un bouleau, il sortit son canif, cadeau de Charlotte pour son anniversaire, et entreprit de graver un cœur avec leurs initiales.
— Sous ce chêne, je promets de t’aimer toujours ! murmura-t-il à Charlotte.
— C’est pas un chêne, c’est un bouleau, mon petit père ! le reprit-elle avec une pointe d’ironie et un sourire taquin.
— Pas grave, je t’aime quand même ! répliqua-t-il !
Elle se blottit alors dans ses bras ! Elle se sentait bien. Mais ses 16 ans étaient demandeurs d’un peu plus et ce n’était pas pour rien qu’elle l’avait attiré ici. Le matin, sa toilette avait été un peu plus longue que d’habitude et sa main dans la baignoire avait approfondi une caresse sur un endroit qu’il la pressait de voir disparaître.
La petite fille qu’elle était hier n’était plus. Sa chair s’animait, un désir animal la tenaillait.
Aujourd’hui serait le GRAND JOUR ! Et ce serait avec Grégory, et personne d’autre. De beaux dessous, achetés à l’insu de sa mère, un parfum de rose, et un corsage qui promettait de ne pas être sage longtemps. Elle se sentait prête à se donner !
Tendrement, elle embrassa Gregory, leurs lèvres s’unirent, l’avenir s’annonçait radieux.
Cependant, Gregory semblait tout d’un coup plus nerveux, sur la défensive. Il essayait de masquer son trouble mais n’y parvint pas. C’était pour lui aussi la première fois, Charlotte l’ignorait (il s’était tant vanté de ses belles fortunes).
Maladroit, il déchira le beau corsage blanc ! Et Charlotte se prit à lui dire : « en parlant de chêne, tu t’y prends comme un gland » (espérant détendre l’atmosphère).
Gregory, au contraire, se crispa et se releva.
D’amoureux, ce jour-là, il passa au rang de meilleur ami et confident.
Une ombre passa dans le regard de Charlotte.
Elle soupira en pensant à ce qu’aurait pu être sa vie sans cette pique malheureuse. Elle chercha du regard le bouleau où le cœur avait été gravé. Il avait bien grandi, cet arbre, et elle dut se hisser sur la pointe des pieds pour pouvoir caresser le cœur et le débarrasser de la mousse qui en cachait les contours.
15 ans étaient passés.
Charlotte se retourna, une branche craqua. Un animal, sans doute un chevreuil, détala. Charlotte sourit de sa propre peur.
La vie lui avait appris à surmonter ses démons.
Le temps n’était plus à la nostalgie mais à l’action. Charlotte rejoignit sa voiture et ouvrit le coffre.
Le corps était là. Comment aurait-il pu en être autrement ?
****
Elle releva la couverture qui recouvrait le cadavre. La mort, encore récente, n’avait pas eu le temps de faire son œuvre sur la rigidité de l’homme. Seule sa tête était encapuchonnée dans un sac poubelle ; pour le reste, il était aussi nu que le jour de sa naissance.
Charlotte regarda le cadavre sans la moindre pitié pour l’homme, sa virilité ramenée à l’état de celle d’un bébé venant de naître. Quelques heures auparavant ; il se pavanait fièrement devant elle, flamberge au vent.
Le malheureux auto-stoppeur n’avait pas pris cette heureuse rencontre à sa juste mesure. Il avait quitté, au petit matin, Chartres pour Cherbourg afin d’y retrouver une amoureuse rencontrée sur le net.
Le parfum de l’aventure, le manque d’argent l’avaient poussé à user de ce moyen de transport.
Jusqu’ici, le trajet s’était déroulé sous de bons auspices. Il avait réussi à trouver un poids lourd qui montait sur Le Mans, ce qui lui tira une belle épine du pied et des cailloux sous les souliers.
Le chauffeur en veine de confidences lui avait narré toute sa vie, et comme l’auditeur lui avait paru sympa, le gars l’avait invité au resto.
Quand on a la chance avec soi, il faut savoir la prendre !
Ce compagnonnage lui fut profitable puisque le routier l’aida grâce à ses relations dans le milieu à trouver un autre conducteur qui le mena jusqu’à Argentan.
De cette ville, il ne connaissait que les murs de la prison.
À ce rythme, il sera sous les fenêtres de sa dulcinée dès le soir. Seul hic, elle ne l’espérait que le lendemain. Il avait donc le temps de musarder et de trouver un gîte pour le soir.
Sa priorité pour l’heure était de s’éloigner au plus vite de la ville. Elle lui rappelait trop son séjour forcé à la centrale pénitentiaire locale suite à une proximité trop prégnante avec le milieu de la prostitution. « Le beau Patrice », c’était lui, ne voulait pas tomber par inadvertance sur un de ses anciens geôliers.
Il décida donc de poursuivre un peu sa route pour se rapprocher de sa destination finale.
Dormir à la belle étoile ne lui faisait pas peur.
Il avait sorti son carton indiquant Cherbourg, quêtant une âme charitable.
Le beau temps est un allié précieux pour l’auto-stoppeur, plus il fait beau plus les gens sont de bonne humeur et se sentent l’âme généreuse d’un bon samaritain.
Ce mois de juin augurait un bel été. Quelques voitures passèrent sans ralentir.
Une 407 stoppa.
Charlotte rentrait d’un reportage sur un terrible accident qui avait coûté la vie à toute une famille.
La route, espace de liberté pour certains, s’était muée en faiseuse d’anges, meurtrière insouciante du droit de vivre sereinement.
Charlotte ne s’émouvait pas facilement mais là, toute une famille, c’était trop ! Vu les âges, cela aurait pu être la sienne. C’était à gerber (sa rédac chef n’aurait pas aimé le mot mais il était juste).
La vue de l’auto-stoppeur lui sembla un moyen propice pour chasser le spleen qui commençait à l’envahir. Un bout de chemin sans avoir à penser aiderait sans doute à le faire fuir.
Quel imbécile ! Faire du stop à un endroit aussi dangereux. Impossible de s’arrêter sans risquer le carambolage ! Heureusement, un décrochement une cinquantaine de mètres plus loin lui permit de se garer !
Un regard dans le rétroviseur ! Il se hâtait lentement : tout ce qu’elle détestait. Elle faillit redémarrer. Le lourd barda qu’il trimballait lui donna un peu de compassion : elle patienta.
Arrivée à hauteur de sa porte, elle baissa sa vitre.
— Je monte sur La Manche, je peux vous avancer !
— Ce sera avec plaisir ! Merci à vous !
— Mettez vos affaires dans le coffre. J’ouvre !
Charlotte déverrouilla le coffre. Celui-ci était vide, seules une pelle américaine et une paire de gants de chantier l’occupaient.
Il y déposa son sac en prenant soin d’écarter la pelle. Son sac recelait toute son existence, il ne voulait pas le déchirer.
— Merci de me prendre en charge ! C’est sympa !
— Pas de quoi ! La route commençait à me paraître longue ! Et vous voir chargé comme vous êtes, j’ai eu un peu pitié !
— Oui ! C’est ma vie de nomade ! Un jour ici, un autre là. Mais il me faut un minimum de confort tout de même.
L’homme avait un accent qui sentait bon le Sud. Charlotte apprit qu’il venait de l’île de beauté : un Corse pure souche.
****
Il était bavard, un brin hâbleur.
Charlotte connaissait ce genre d’individus.
Son instinct, affûté par l’expérience de la vie et ses talents de journaliste, le classait de suite dans la case quatre-vingt/vingt : 20 % de vérité et 80 % grande gueule.
En général, Charlotte s’en amusait, démêlant le vrai du faux, trouvant rapidement le défaut de la cuirasse. Celui-ci ne ferait pas exception.
La partie de poker menteur pouvait commencer.
Tous les deux étaient sur la même longueur d’onde : en dire assez pour amener l’autre à se découvrir et pas trop pour ne pas perdre la partie.
« Le beau Patrice » donna les raisons de sa virée à Cherbourg, il avoua même le mensonge fait sur Internet pour séduire celle qu’il allait voir pour la première fois : le visage d’un de ses potes à la place du sien. (Un mensonge doit toujours être habillé d’une part de vérité.) Charlotte le taquina, disant qu’il n’aurait pas dû, qu’il avait du charme.
Par contre de sa vie passée, il ne parla que de ses amours, « Mossieur » était le chéri de ces dames vantant ses conquêtes sans lendemain, ses peines de cœur (omettant ses tendances à la jalousie et ses violences), oubliant la prostitution, la drogue et autres deals l’ayant mené en cabane.
Égocentrique, le gars, il posa quelques questions sans vraiment faire attention aux réponses. Une seule parut saugrenue à Charlotte : « C’est marrant, votre pelle dans votre coffre, toute seule ! »
La machine à mensonges se mit en route :
— Je fais beaucoup de route ! Même en hiver ! Vous est-il déjà arrivé, en pleine nuit, d’être pris dans une congère, sans âme qui vive autour ?
— Je dois vous avouer que non !
— Eh bien ! Croyez-moi, c’est flippant, et si vous n’avez pas de pelle pour vous dégager, il ne faut pas avoir vu de film d’horreur une heure avant ! Prise une fois mais pas deux !
Le gars éclata de rire.
— Vous êtes peu compatissant !
— Excusez-moi ! Vous n’aviez pas de téléphone ? Votre mari aurait pu venir vous secourir ! Ou vos voisins !
— Un téléphone, si ! Mais ni mari ni voisins !
J’habite en pleine cambrousse dans une maison léguée par mes parents ! En hiver, c’est la galère, même les corbeaux ne s’y aventurent pas.
****
« Le beau Patrice », jusque-là, n’avait pas trop fait attention à la conductrice.
C’était une jolie brune. Elle était représentante en produits de beauté (c’est ce qu’elle lui avait dit). Elle ne devait pas avoir beaucoup d’efforts à faire : elle était un catalogue à elle toute seule.
Tout était dans la discrétion, bien que l’habitacle de la voiture soit clos, son délicat parfum ne montait pas à la tête (il avait horreur de ça, ça lui donnait mal au crâne). Il n’avait même pas remarqué son maquillage, celui-ci était si léger, il soulignait à merveille la courbe de ses yeux.
Ses lèvres pulpeuses, mais point trop, mettaient en valeur une dentition qui devait faire la ruine des dentistes !
Il se demandait pourquoi il n’y avait pas fait attention plus tôt ! « je commence à vieillir », pensa-t-il.
Son regard continua à descendre, il examinait maintenant Charlotte tel un maquignon sur le champ de foire. Pour sa poitrine du 90 C, il en était certain ! L’échancrure de son corsage laissait entrevoir une peau nacrée et douce à la main ornementée par un soutien-gorge en dentelle.
Bien qu’elle portât une jupe, il devina à la fermeté de ses mollets tendus sur les pédales que c’était une femme sportive.
Bref une bête de concours !
Une telle beauté dans son cheptel, et son avenir aurait été assuré. Le maquereau remontait à la surface. Il avait quitté ce marécage suite à des bisbilles avec un autre « maque » mais les réflexes étaient toujours là.
Son intuition lui disait qu’une fille comme ça, seule dans la nature, il devait y avoir un loup quelque part. Elle travaillait dans un milieu où il était impossible qu’elle soit une oie blanche. Pas de mari, certes, peut-être un petit ami ou une petite amie, la question se posait !
« Le beau Patrice » n’avait pas froid aux yeux mais il sentait qu’une attaque franche était exclue.
— J’ai été un temps représentant auprès de la grande distribution. On payait nos mises en avant avec des échantillons, les choses ont bien changé, je pense ! Vous faites comment maintenant ? Je n’ai pas voulu être indiscret mais comme votre coffre est vide !
Charlotte sentit le piège. Elle répondit du tac au tac, impassible.
— En grande distribution ? Je ne sais pas ! Je fais des petites boutiques indépendantes, mais je peux vous répondre pour les échantillons. C’est un milieu qui vit en saisonnalité. La prochaine saison, c’est la rentrée de septembre : retour de vacances égal renouvellement du maquillage. Aujourd’hui était mon dernier jour avant mes congés donc bilan avec mon chef et prévisions pour la rentrée.
Ma nouvelle collection, et les échantillons qui vont avec, n’arrivera qu’en août ! J’aurais su que je vous rencontrerais, j’aurais pu vous en glisser quelques-uns pour votre nouvelle compagne.
(Fermez le ban ! songea-t-elle.)
— Excusez-moi ! c’est vrai que j’y pensais un peu ! Je suis pris à mon propre jeu. Votre mari doit avoir du mal à vous cacher quelque chose ; vous êtes une fine mouche !
(Il veut savoir si je suis seule, pensa Charlotte.)
— Ni mari ni qui que ce soit ! Je vous l’ai déjà dit ! Je tiens trop à mon indépendance et là, je pars me ressourcer dans la maison de mon enfance !
Elle avait appuyé intentionnellement sur le mot « indépendance ».
Elle avait senti la tentative d’intrusion dans sa vie privée. Il n’en était pas question.
Au jeu du chat et de la souris, il se croyait le chat, mais la souris savait qu’il ne pourrait gagner que si elle le désirait.
— Vous ne m’avez pas dit votre prénom ! Moi, c’est Christiane mais on m’appelle Chriss ! Et vous ?
— Patrice ! Mes amis m’appellent.
— Pat ! le roi de l’épate ! le coupa-t-elle.
Ils éclatèrent de rire. La glace était rompue.
Volontairement, elle avait donné son deuxième prénom. Depuis quinze ans, elle n’utilisait plus que lui, Charlotte était morte le jour de ses seize ans. Chriss était d’ailleurs son nom d’auteur pour le journal.
— Chriss ! c’est joli ! Chriss, cristalline, comme votre voix.
(Je rêve ou il me drague, pensa Charlotte.)
— C’est comme ça que vous séduisez les femmes ?
— Uniquement les plus ravissantes !
— Et bien sûr, elles sont toutes ravissantes !
(Touché ! Coulé ! Il en était pour ses frais.)
Ils arrivaient à Bayeux. Leurs chemins allaient bientôt bifurquer. Le « beau Patrice » tenta un coup de poker.
****
— Vous qui êtes du coin, vous pourriez me dire où je pourrais trouver un hôtel pas trop cher ou un camping pour planter ma tente ? Ma copine ne m’attend que demain et à cette heure-ci, je ne trouverai plus personne pour me pousser jusqu’à Cherbourg.
Il avait posé la question espérant secrètement une proposition de sa part.
— Aie ! Pour ça, ça va être dur ! Vous tombez en pleines commémorations du débarquement ! Ça va être complet partout !
Il prit une mine déconfite et inquiète.
— Tant pis ! j’essayerai un peu plus loin, au pire je trouverai bien un banc !
Charlotte se sentit coupable et incapable de le laisser ainsi.
— Écoutez ! j’ai une chambre d’amis chez moi. Je ne vais pas vous laisser à la rue ! Si vous voulez bien accepter, je vous remettrai sur votre route demain matin !
Bingo ! Good job ! « Le beau Patrice » avait réussi à se faire inviter. Résonnez musettes !
Un sourire illumina son visage. Apprendre le théâtre à l’école avait du bon. Merci à la prof !
— Attendez-moi là ! Je vais chercher du pain !
Charlotte adorait le pain de cette boulangerie.
Il n’arrivait jamais entier chez elle.
À cette heure-ci, il y avait un peu de monde !
Elle jeta un regard vers sa voiture.
L’homme fouillait dans sa boîte à gants. La colère monta d’un coup. Charlotte se maîtrisa mais elle savait maintenant le degré de confiance qu’elle pouvait avoir en lui.
Charlotte habitait une fermette de plain-pied.
Bien que ce soit sa résidence secondaire, elle y venait souvent. Elle avait confié l’entretien des extérieurs à un jardinier paysagiste. L’intérieur était meublé avec goût.
Le côté rustique du mobilier et l’odeur des parquets cirés était l’œuvre de sa mère. Elle avait passé sa vie ici. La fermette était dans la famille depuis des générations. Pour rien au monde, Charlotte s’en séparerait.
Ce bien, c’était ses tripes, son ancrage, son ressourcement. Au décès de sa mère, la seule chose qu’elle avait changée c’était sa chambre.
Cette pièce lui rappelait trop de souvenirs : de très bons mais aussi de très mauvais.
Elle s’y revoyait petite, s’installant entre son père et sa mère à l’occasion du petit déjeuner du dimanche.
C’était un rituel incontournable. Tous les jours de la semaine, son père se levait aux aurores. Le dimanche, l’heure était différente, selon le réveil paternel. Charlotte avait interdiction de pénétrer dans la chambre avant que son père aille préparer un plateau qui revenait rempli de viennoiseries entourant les bols de café au lait ou de chocolat.
Charlotte, en fille obéissante, ne bravait pas l’interdit, tout juste si elle écoutait un peu aux portes certains dimanches. Elle n’imaginait pas des mots si tendres dans la bouche de son père et si crus dans celle de sa mère.
Le trou de la serrure lui fit souvent de l’œil mais jamais elle n’osa céder à la tentation.
L’odeur de croissants chauds était le signal : elle avait alors le droit de réchauffer la place de son père, selon l’expression favorite de sa mère.
C’était l’heure des confidences ; on parlait de tout et de rien.
Un petit câlin pour les petits bonheurs, un gros câlin pour les gros chagrins.
Les chagrins il y en eut.
Son père fut victime d’un accident de tracteur.
C’était un dimanche de moissons. Dans l’urgence, il avait dû renoncer à leur plaisir dominical. Il partit à l’aube, accompagné du valet de ferme. L’orage menaçait, il fallait sauver la récolte.
Une heure après, le valet revint en claudiquant : seul. Il s’écarta pour parler en tête à tête avec la mère de Charlotte. Celle-ci poussa un beuglement lugubre et s’effondra dans les bras du valet.
Le père, le mari, n’était plus que bouillie, haché par le tambour de la moissonneuse-batteuse.
Charlotte ne fut pas autorisée à voir le corps.
Mais le dimanche, le lit était bien vide, seuls les sanglots troublaient le silence assourdissant de la pièce.
Le valet connaissait bien le fonctionnement de la ferme. Il soutint la mère de Charlotte dans son épreuve. Le « boiteux » comme le nommaient les gens alentour manœuvra si bien qu’un jour, elle se vit interdire la chambre de sa mère.
L’homme occupait les lieux et le corps de celle-ci : sans doute pas son cœur.
Charlotte en fut meurtrie.
Comment sa mère pouvait-elle laisser faire ça ?
Le plateau du dimanche fit sa réapparition.
Seulement, sur celui-ci il n’y avait qu’un seul bol, c’est sa mère qui l’apportait. Son sourire si rassurant n’était plus. Un rictus le remplaçait.
Elle, naguère si coquette, ne portait plus que des chandails et des vieilleries dignes d’une autre ère.
Sa soumission faisait peine à voir !
Charlotte n’en pouvait plus ! Sa mère refusait de se révolter. Un soir qu’il était au troquet du village avec quelques compagnons de beuverie, elle s’en ouvrit clairement à sa mère : si elle ne réagissait pas, elle quitterait la maison, à regret certes, mais elle la quitterait !
Charlotte s’était renseignée, dès l’âge de 16 ans elle aurait la possibilité de se faire émanciper.
Elle était bénéficiaire de l’assurance vie de son père. Son montant permettrait de couvrir les frais de scolarité et de subsistance jusqu’à la fin de ses études. Le plan de carrière était solide.
Le valet Albert était devenu Maître Albert !
Il gérait la ferme avec une main de fer. Charlotte ne lâcha pas le morceau et mit sa menace à exécution. La rentrée suivante, elle irait dans une petite pension près de Caen pour entreprendre des études de lettres avant d’intégrer une école de journalisme.
Lorsqu’il l’apprit, Albert, malgré son pied bot, fit des bonds. Charlotte était pour lui une source de profits : de constitution solide, elle pouvait effectuer des travaux à l’égal d’un homme ; nourrie, logée elle n’était guère payée que par un petit pécule qui ressemblait plus à de l’argent de poche qu’à un salaire. Il lorgnait l’assurance vie : quand elle serait bonne à marier, il ne doutait pas de réussir à l’épouser ; son Grégory ne ferait pas le poids.
****
La mère de Charlotte, à leur grand étonnement, soutint sa fille.
Un matin de juin, Albert disparut laissant en plan les deux femmes, au moment des moissons.
L’homme les avait lâchées au pire moment.
Décidément, juin était un mois maudit pour elles.
Comme d’habitude, elles firent face à l’adversité avec courage.
Son départ ne fut pas discret. Ça jasa beaucoup.
L’homme était un coureur invétéré. Il se vantait beaucoup auprès de ses amis de boisson. Selon ses dires, nombre de cotillons auraient volé sous ses mains. Les gens du voisinage guettèrent en vain, la donzelle avec laquelle il serait parti.
Tous les maris du coin, s’ils avaient des cornes, continuèrent à l’ignorer.
Une autre rumeur disait que la mort du père de Charlotte n’était pas si naturelle que ça, un vilain coup de pouce au destin y serait pour beaucoup.
Albert avait bien vite occupé le lit de la veuve, aux dires de certains.
Durant les foins, la mère de Charlotte fit des syncopes à répétition. On attribua ces malaises à des efforts répétés. La vie à la campagne malgré les bienfaits de la mécanisation n’était pas faite pour les gens au physique fragile.
Albert ne l’avait pas non plus ménagée de ce côté-là. Les bleus cachés malhabilement en témoignaient.
Un matin, Charlotte la trouva au lit, gémissant dans ses draps souillés par son sang. Elle venait de faire une fausse couche, l’enfant, une petite fille, emporta sa mère avec elle.
Le destin de Charlotte avait basculé. Elle était désormais seule pour gérer l’exploitation. C’était trop lourd pour elle.
Albert avait toujours proclamé qu’il voulait un héritier et pas d’une pisseuse. La rumeur établit définitivement qu’Albert avait quitté la ferme, furieux de voir une autre « femelle » s’installer sur le domaine.
À l’enterrement de sa mère : point d’Albert. (Qu’aurait-il eu à y gagner ?)
À la Saint-Michel, les terres passèrent en fermage assurant à Charlotte un revenu suffisant pour l’entretien de la maison qu’elle désirait conserver.
Comme prévu, elle entreprit ses études de lettres, manquant son premier trimestre avec la permission de ses professeurs. L’abandon de poste du valet (Charlotte ne lui reconnaissait pas son rôle de Maître), les foins, la disparition de sa mère : tout ça avait bouleversé son métabolisme.
Même ses règles n’étaient plus régulières.
À cette époque, des bouffées d’angoisse la prenaient. Dans ces cas-là, elle se précipitait dans la chambre de sa mère, allongée sur le lit, elle pleurait, tête enfouie dans l’oreiller imprégné de son parfum et ses odeurs.
Ces jours-là, elle se haïssait de ne pas l’avoir aidée suffisamment dans ses derniers moments, de ne pas lui avoir parlé plus. Elle lui en voulait de lui avoir caché l’arrivée prochaine de cette enfant restée à tout jamais une inconnue, disparue sans même avoir reçu un prénom.
Quelques fois, Grégory la surprenait dans ces moments de spleen, apportant un baume sur son cœur en détresse.
Sur leur rendez-vous raté avec l’amour, ils déposèrent un voile pudique. Ils avaient toujours les mêmes sentiments mais les exprimaient de façon différente.
Grégory était un taiseux. Pour lui, les grands mots ne servaient à rien s’ils n’étaient suivis d’actes les consacrant.
Grégory la regardait avec les yeux de l’amour, lui apportait les mets qu’elle aimait, la forçait à sortir. Les bains de soleil, sur le banc déposé devant la façade de la maison, paraissaient lui réchauffer l’âme. Il aurait aimé l’emmener en forêt, là où elle se ressourçait, elle s’y refusait obstinément.
Grégory en avait alors déduit qu’il lui serait désormais impossible d’effacer de la mémoire de leur histoire, ce 11 juin raté et il en était l’unique responsable. Il n’insista pas.
Lentement, la jeune femme sembla tomber dans la dépression, alternant périodes d’anorexie et de boulimie. Son corps se soumettait à cette torture selon sa volonté se rebellant parfois. De violents maux de ventre la courbaient à chaque fois. Grég craignait l’appendicite.
Elle l’avait rassuré. Elle avait déjà été opérée pour ça. C’était tout au plus quelques problèmes gastriques.
Il aurait aimé qu’elle voie un médecin, en vain.
Connaissant son caractère volcanique, il laissa tomber, se contentant d’en parler à son propre toubib. Ce dernier lui expliqua que le deuil était un traumatisme psychique et corporel que chacun vivait différemment en fonction de son parcours de vie. Il lui conseilla bienveillance et patience, la nature ferait son œuvre selon lui.
Grégory, par sa présence assidue, la soutint jusqu’à la fin novembre. Début décembre, il était appelé à suivre une formation, l’opportunité ne pouvait se refuser.
Sa présence, pour les fêtes de fin d’année, était compromise.
Charlotte assura qu’elle le comprenait.
Au fond de lui, il savait qu’elle le vivait comme un nouvel abandon de sa part et qu’elle mentait.
Ce mois de décembre fut pour Charlotte un mois de cauchemars qu’elle voulut effacer de sa mémoire à tout jamais.
Charlotte n’en pouvait plus de cette chambre.
Elle s’était imprégnée de parfums de mort, d’abandon et de désertion.
Sans doute par superstition, bien qu’elle se défende de croire à ces « foutaises ». Elle avait voulu la rendre plus accueillante, tout le mobilier avait été changé, de l’ancienne chambre, seul subsistait le parquet ciré. Malgré l’encaustique, il grinçait un peu.
Seule Charlotte en connaissait le secret, tant de fois, elle avait sauté dans le lit de ses parents sans faire le moindre bruit surprenant sa mère en plein milieu d’une sieste impromptue mais amplement méritée.
Elle la grondait et lui ouvrait tendrement ses bras.
Elle était prévue pour être une chambre d’amis : l’utilisation en fut chiche ; seule sa rédac chef y avait fait un court séjour (sa vie tumultueuse en amour nécessitait une mise au vert discrète, son amant trop pressant vivant mal leur rupture houleuse).
Le tic tac de l’horloge normande, au milieu du silence pesant de la nuit, eut raison d’elle. Elle préféra rejoindre son amant et finit par l’épouser (les femmes et leurs contradictions).
****
Les journées de juin sont toujours les plus agréables à la campagne selon Chriss.
Tous les ans, elle se réservait les premières quinzaines de juin et d’août pour les vacances.
Malheur à qui aurait voulu transiger avec elle sur ce point, ça pouvait coûter cher dans la négo.
Les qualités professionnelles de la dame étaient reconnues, elle y avait gagné son indépendance dans le choix de ses articles. Le salaire n’était pas sa motivation première mais elle exigeait qu’on ne rechigne pas sur les moyens mis à disposition pour réaliser ses missions. En voulant mégoter, deux rédac-chefs l’avaient payé de leur place, Charlotte ayant laissé tomber le reportage.
D’un autre côté, elle savait se rendre disponible en cas de pépin. Dans un journal comme le sien, c’était une constante.
Cependant, il fallait que ça soit en dernier recours, inutile d’insister si elle disait non. « Tête de mule elle était et tête de mule, elle resterait. »
Au fil du temps, tous savaient à quoi s’en tenir et faisaient avec.
Elle n’avait pas menti quand elle avait dit à son auto-stoppeur que pour elle c’était les vacances.
Elle avait simplement enjolivé la vérité.
Elle avait bien travaillé dans la journée mais pour son journal. Cette histoire de famille ravagée par un ivrogne l’avait sacrément remuée.