Blanche et Adrien - Louise Rochette - E-Book

Blanche et Adrien E-Book

Louise Rochette

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Beschreibung

À travers ce roman, vous allez être témoin du chemin de vie d'une famille au 19 ème siècle, en plein coeur d'Alençon. Si en toile de fond, la conjugalité est le pilier majeur autour duquel s'articule l'ouvrage, l'accueil d'un enfant porteur d'une différence a une place de choix dans ce livre où les questions existentielles sont visitées en profondeur dans une authenticité saisissante. Les faits historiques réels et inédits donnent une saveur toute particulière au récit. Un livre dont on sort grandi.

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Seitenzahl: 183

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Je dédie ce livre à tous les Enfants et aux Adultes porteurs de trisomie, à tous ceux qui se sentent différents par le regard des autres.

Puisse le cœur des habitants de ce monde être touché par la merveille que représente chaque enfant, chaque personne, quelle qu’elle soit.

« Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux ! » Paroles de Jésus dans l’Évangile de Matthieu au chapitre 5, verset 3 (Bible Louis Segond).

Quelques repères pour commencer votre lecture :

Jacques & Thérèse Verville Blanche

Jean & Rosemonde Ambelton Adrien

Yves & Éloïse Ambelton Michael

Blanche & Adrien Ambelton Edgar

La mère Renard Adèle Maryse

Le personnel des Rosiers :

Michael – Madeline – Maria – Fanette

Ninon Thomas

Barnard & Alice Grégoire – Étienne – Paul

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

Chapitre XXII

Chapitre XXIII

Chapitre XXIV

Chapitre XXV

Chapitre XXVI

Chapitre XXVII

Chapitre XXVIII

Chapitre XXIX

Chapitre XXX

Chapitre XXXI

Chapitre XXXII

Chapitre XXXIII

Chapitre XXXIV

Chapitre XXXV

Chapitre XXXVI

Chapitre XXXVII

Chapitre XXXVIII

I

Jacques Verville posa délicatement sa plume, rangea les quelques feuilles qui constituaient ses derniers écrits et dit à sa femme :

— Écoute, Thérèse, je crois que j’attendrai le mariage de Blanche et Adrien pour reprendre l’écriture. Mon inspiration sera alors à la hauteur de mes espérances !

Thérèse sourit. Le mariage de Blanche, leur fille unique de vingt ans, approchait et avait été préparé dans la plus grande simplicité. Son désir était de réunir en une seule et même table sa famille, ses amis ainsi que tous les employés de maison qui la connaissaient depuis sa tendre enfance et pour qui elle éprouvait un réel attachement.

Dentellière à aiguille, elle avait appris son métier auprès d’une vélineuse de la manufacture royale d’Alençon. Rigoureuse et patiente, Blanche, en six années d’apprentissage, atteignit un haut degré de perfectionnement. Centrée sur la réalisation de chaque ouvrage, elle passait des heures sans relever la tête, absorbée dans sa création. La bordure en dentelle du châle de son mariage, qui allait lui recouvrir la tête et les épaules, avait été confectionnée par ses soins, et nécessita deux longues années de travail.

Adrien, son fiancé, travaillait le bois avec passion. Il venait de créer sa propre entreprise de menuiserie. Par ailleurs, ayant le cœur enclin à aider les autres, il servait depuis trois ans dans la compagnie des gardespompes d’Alençon.

Officier à vingt et un ans et très proche de son capitaine, il avait conscience de la confiance dont on faisait preuve envers lui. En effet, sa grande maturité et son discernement lui valaient d’être toujours concerté pour trancher dans les cas litigieux.

Jean et Rosemonde Ambelton, ses parents, avaient longtemps attendu sa naissance. Ils étaient mariés depuis presque dix ans, et leur espoir était ténu lorsqu’ils eurent la joie de l’accueillir. Ainsi, ils élevèrent leur fils dans la foi, la loyauté et la reconnaissance.

Leur château étant très proche de celui des Verville, les deux familles s’étaient fréquentées et avaient tissé peu à peu des liens profonds et durables.

Le jour du mariage, ce sont les jeunes filles des fermes voisines qui furent préposées au service. À côté de la table nuptiale, une table avait été dressée pour les enfants du village qui vinrent, telle une volée de moineaux, partager les réjouissances du jour. Dans toute la campagne environnante, on entendit résonner les rires et les chants jusque tard dans la nuit.

Ce qui avait considérablement forgé l’esprit de Blanche et renforcé son bon caractère était l’amitié que nouaient ses parents avec le missionnaire Pierre Jourdan. Celui-ci était rentré en France après quinze années passées à Bristol. Il avait pris la relève d’un couple pastoral à la tête d’un orphelinat et s’était occupé des enfants abandonnés en luttant contre leur pauvreté à la fois matérielle et spirituelle. Âgé de quarante-cinq ans, il avait confié sa charge à un couple d’amis et avait quitté l’Angleterre pour retourner dans sa ville natale d’Alençon.

Invité régulièrement chez Thérèse et Jacques, il avait vu Blanche grandir et prenait plaisir à échanger avec elle.

Quelques semaines après son mariage, elle retourna chez ses parents et fut saluée par les cris joyeux de Valentin, le fils de Justine, la cuisinière, qui vint vers elle en sautillant :

— Blanche ! Comme je suis heureux de te revoir ! s’écria-t-il en lui sautant dans les bras ; mais, dit-il ensuite en la scrutant avec attention, il y a quelque chose de changé en toi !

Intelligent et perspicace, Valentin remarquait chaque menu détail dans l’attitude de celle qu’il considérait comme « sa grande sœur ».

— Je crois que tu as raison, dit-elle ! Le docteur m’a annoncé que d’ici à peu près sept mois, un petit bébé sera parmi nous !

Valentin, tout en joie, partit en courant :

— Je file trier mes jouets… Il revint sur ses pas comme repris par la raison : Tu as dit quoi exactement, dans sept jours ou dans sept mois ?

Et, devant la réponse de Blanche, il se ravisa en comptant les mois restants, puis considéra que l’attente avait du bon ; il disposerait ainsi de plus de temps pour affiner ses choix.

Jacques et Thérèse se réjouirent. Le pasteur Jourdan alors présent se leva, félicita longuement Blanche avant de partir.

Ce début de mois de septembre offrait une douceur tout à fait appréciable, où la chaleur sans être écrasante semblait équilibrée, répandue sur la nature comme une grâce. Blanche s’apprêtait à poursuivre la broderie de quelques brassières quand on sonna à la porte. Le cousin d’Adrien, Michael Ambelton, pénétra dans le salon ; Adrien, voyant son visage hâve, alla vers lui :

— Mais que t’arrive-t-il donc, Michael ?

Il dit interloqué :

— Elle l’a mariée… elle l’a finalement mariée !

Adrien rétorqua vivement :

— Mais comment ça ?...

Adèle Renard était la fille de la boulangère ; elle vivait dans un tourment incessant, car sa mère jouait et perdait le peu d’argent qu’elle avait. Elle était proche d’un certain Léonard Boutu qui ne vivait que pour le jeu, la boisson et tous les vices liés à cette existence. Celui-ci avait parié avec la mère Renard d’épouser sa fille s’il remportait une nouvelle victoire. Ce qui arriva. Il se tint devant elle ivre et fier d’avoir gagné Adèle. Léonard et la mère Renard trinquèrent, et le mariage fut conclu.

Michael avait connu Adèle lors des fêtes de la moisson. Il l’avait invitée à danser et, au cours de la conversation, ils s’étaient rendus à l’évidence qu’une immense complicité déjà les unissait. Ils se revirent plusieurs fois, puis Michael décida d’aller demander sa main.

Armé de son courage et de son amour sincère pour Adèle, il pénétra dans la boutique de la mère Renard. Une fois exposées ses vues, celle-ci lui cria qu’elle préférerait que sa fille meure de faim plutôt que de lui faire épouser un bourgeois ; et elle avait accompagné ces dernières paroles en crachant par terre. Adèle, sous le choc, tomba en syncope. Sa mère, pour la ranimer, lui envoya un pichet d’eau froide. Elle se releva plus morte que vive, toute chancelante et se réfugia dans sa chambre. Tandis qu’Adèle devint encore plus la cible de sa mère, cette dernière s’enfonça davantage dans l’alcool…

C’est ainsi qu’Adèle fut contrainte d’épouser Léonard. À neuf heures du matin, le six septembre 1800, on la vit sortir de l’église, livide, accompagnée de son mari qui, pour la circonstance, s’était rasé et coiffé, ce qui lui donnait un air étrange, presque beau. Certains villageois qui assistaient à la messe s’y trompèrent et dirent entre eux : « Ce qu’il a changé, Léonard, c’est p’être la ptite qui l’a rendu comme ça ! »

Adèle, elle, ne s’y trompa pas.

Il n’y eut pas de repas de noces. Le soir, on put trouver à table la mère Renard qui trônait magistralement, riant en découvrant sa rangée de dents absentes et s’essuyant d’un revers de manche, avide de faire résonner son verre contre celui de Léonard et de son frère Gontran. Celui-ci, personnage cynique et calculateur, se tenait là, assis en face d’Adèle qu’il observait du coin de l’œil en adressant à ses bruyants voisins un mouvement de tête et un fin sourire à chaque clameur, tout en restant muet.

Adèle crut sa dernière heure arrivée. Seul Mirliton, son gros chat noir, resta blotti à ses pieds, comme prenant position face à cet entourage infâme. Lorsque Gontran fut parti, en voyant sa mère affalée sur le rebord de la table, incapable de se lever, elle débarrassa et nettoya la cuisine, brossa ici et là les taches encore fraîches de vin et de gras, puis coucha Mirliton dans son panier, quand elle vit que Léonard l’attendait, l’œil en alerte, dans l’escalier.

II

Adrien rentra chez lui, embrassa sa femme et lui annonça en souriant :

— Je me réjouis pour Michael ; le préfet, monsieur de Lamagdelaine, lui a autorisé l’achat des Rosiers. Voilà au moins une bonne nouvelle qui arrive dans sa vie !

Michael, notaire de formation, avait décidé de revendre son étude et d’investir une partie de sa fortune dans la réédification d’un ancien dépôt de mendicité presque entièrement détruit lors de la Révolution. Il subsistait de ce bâtiment une aile droite dont les pierres rouges et blanches bien alignées et encore intactes faisaient figure d’héroïnes dans un paysage dévasté. C’est ce lieu que Michael affectionnait tout en voyant symboliquement dans ces ruines l’espoir d’une renaissance dans sa propre vie. Le mariage d’Adèle n’avait pas éteint l’amour qu’il lui portait, mais désormais c’est seul qu’il envisageait son existence en trouvant dans le moyen d’aider les autres un sens profond à la sienne.

Disposant d’un grand confort au sein de sa demeure, il savait déjà quelles transformations apporter à cet endroit pour qu’il devienne un refuge aux plus démunis. En guise de dortoir, il voulait aménager des chambres individuelles aux parois bien isolées. L’hiver était rude et le froid, se prolongeant tard dans la saison, faisait toujours de nombreuses victimes.

Il prévoyait qu’une quinzaine de personnes logeraient les unes à côté des autres. Certaines pourraient contre de menus services être nourries et hébergées puis retrouver peu à peu une vie décente, mais il savait l’urgence aussi de prévoir des chambres pour celles qui ne pourraient ni travailler ni contribuer d’une façon ou d’une autre à leur propre subsistance.

Pendant plusieurs mois, toute la ville d’Alençon allait vivre au rythme des travaux, donnant peu à peu au nouvel édifice le temps de se profiler.

Un peu avant la fin de l’hiver, au début du mois de mars, en pleine nuit, Blanche sentit qu’elle perdait les eaux. En alerte, Adrien envoya chercher le docteur Chapuis, tandis qu’Honorée, la femme de chambre de Blanche, se tint à ses côtés et lui déclara :

— Ne vous alarmez pas, madame, vous avez encore du temps avant que votre petit ne sorte, allez, rendormezvous !

Le docteur Chapuis fit écho à ces paroles, mais Adrien insista pour que l’un et l’autre restassent près de son épouse.

S’assurant que Blanche fut bien installée et qu’elle ne manquait de rien, il s’agenouilla contre le lit et commença à prier. Blanche s’unit à lui en priant à haute voix, mais bientôt ne put prononcer aucun mot. Alors qu’elle fut prise d’une douleur très vive, le travail s’accéléra et le docteur l’encouragea à pousser. En un quart d’heure, Edgar, beau bébé de 3 kg, vit le jour. Blanche, cette fois, cria de joie et mit son bébé contre elle. Adrien embrassa son enfant et serra la main du docteur Chapuis avec émotion.

Un silence se fit dans la pièce. Le docteur, après que l’enfant eut bu, alla vers lui et le prit délicatement.

— Qu’y a-t-il, docteur ? demanda-t-elle légèrement inquiète.

Il ne répondit rien tout en la regardant.

— Qu’y a-t-il ? réitéra-t-elle. Quelque chose ne va pas?

— Blanche… il faut que j’examine ton fils.

Honorée, qui avait déjà effectué les gestes d’usage et lavé l’enfant, gardait le silence, la tête baissée.

— Tu te souviens du petit Pierrot ? consentit-il à formuler, brisant le silence devenu insupportable aux parents.

— Oui ! dit Blanche. Celui qu’on appelait…

Elle ne put dire un mot de plus. Elle avait compris. Elle regarda Adrien :

— Dis-moi que c’est pas vrai, Adrien, dis-moi qu’Edgar est normal…

Adrien saisit à son tour ce que le médecin avait tant de mal à prononcer. Son enfant était né privé d’une partie de son intelligence. Il le reprit dans ses bras et observa ses yeux ; c’est vrai qu’ils étaient petits et en amande, puis ses mains et ses pieds plutôt courts; son cou, petit aussi, trahissait une anomalie commune à certains enfants, mais dont l’origine était inconnue.

Adrien dit gravement sans l’ombre d’une hésitation :

— Ça m’est complètement égal qu’Edgar ne soit pas comme les autres. C’est mon enfant. Cela fait neuf mois que je l’aime, et plus encore si je considère que c’est à lui que je pensais lorsque je me disais que je serais père un jour.

Il se pencha vers sa femme qui détourna la tête.

— Laisse-moi. J’ai besoin d’être seule. Je t’en prie, Adrien, laisse-moi.

Le docteur Chapuis avait déjà commencé à s’éclipser, quand Honorée proposa :

— Madame voudrait peut-être…

— Dehors ! Laissez-moi tranquille vous aussi ! Vous ne comprenez donc rien ? hurla-t-elle. Et elle tomba en pleurs sur son lit.

III

Adrien lui présenta son fils, mais elle ne voulut plus le prendre ni le regarder. Il comprit que sa femme était submergée d’un chagrin qui l’empêchait de voir la réalité. Il murmura :

— Mais Blanche, c’est notre fils. C’est ton petit. Prends-le donc dans tes bras.

Blanche les repoussa tous les deux et resta prostrée.

Adrien, sur un signe d’Honorée, sortit de la chambre.

Le docteur, embarrassé, ne savait que faire. Honorée prit la parole, regarda Adrien droit dans les yeux et lui proposa :

— Si vous le permettez, monsieur, je peux confier Edgar à la Jeannette. Elle vient d’accoucher il y a deux semaines et elle a son enfant au maillot. Soyez sans crainte, madame va retrouver ses esprits. Elle est choquée, mais elle va s’y habituer !

Ces paroles pleines de bon sens convainquirent Adrien. Il embrassa son enfant, le couvrit d’un châle de laine appartenant à Blanche et accompagna Honorée au hameau.

Six heures venaient de sonner lorsque Jeannette ouvrit la porte. En voyant le visage d’Adrien, elle comprit que quelque chose de grave venait de se produire. Les cris de son bébé se firent entendre, mais elle accueillit tendrement Edgar tandis qu’Honorée à voix basse lui relatait la scène.

— Viens, mon petit Edgar, c’est moi qui vais m’occuper de toi pendant que ta maman se repose. Tout va bien se passer, tu verras…

Adrien eut grand mal à le laisser et promit de venir le chercher le soir même. Honorée lui dit :

— Que monsieur ne le prenne pas pour un manque de respect, mais, ce soir, je pense que ce sera trop tôt pour madame. Il faut lui laisser quelques jours. Votre bébé ne craint rien ici ; vous connaissez la Jeannette, vous savez que c’est une femme de bien…

Adrien acquiesça. Tout se mélangeait dans sa tête. D’un côté, il était tellement heureux d’avoir son fils et, en même temps, tout semblait si difficile pour Blanche. De retour au château, il vit ses parents s’entretenir avec le docteur. Venant d’apprendre la nouvelle, Jean et Rosemonde semblaient plus malheureux par l’effet que celle-ci produisait sur Blanche que par la nouvelle elle-même.

— Comment va Edgar ? demanda Rosemonde. Je voudrais le voir !

Adrien pria Honorée de l’accompagner pendant que son père et lui se rendirent auprès de Blanche.

Blanche fuit le regard de son mari, et en saluant son beau-père dit :

— Jean, vous n’avez pas le petit-fils que vous espériez avoir. Cet enfant n’est pas normal, et d’ailleurs, il ne vivra certainement pas !

— Blanche ! cria Adrien en s’étranglant dans un sanglot. Comment peux-tu dire une chose pareille ? Pourquoi Edgar ne vivrait-il pas ? Pourquoi ne mériterait-il pas de vivre ?...

— Pierrot, le petit Pierrot, regarde à quel âge il est mort ! À douze ans ! Tu te rends compte ?— Pierrot est mort parce qu’il était malade du cœur. Edgar a un cœur qui va bien, je le sens, je le sais ! Et puisque tu parles de Pierrot, rappelle-toi combien il était aimé et comme il était particulièrement gentil !

Jean ne pouvait rien dire tant il était anéanti.

Blanche lui cria :

— Moi, je me souviens que des personnes l’appelaient « l’idiot du village » et que certains enfants ne voulaient pas jouer avec lui ni même lui parler !

Et elle se mit à pleurer. Des pleurs de tristesse cette fois, non de colère, mais de peine profonde, comme si elle partageait à présent réellement ce qu’avait pu vivre ce jeune garçon ainsi que ses parents.

Jean se tourna vers elle et réussit à articuler :

— Blanche, je ne permettrai à personne de se moquer de notre petit Edgar. C’est mon premier petit-fils et c’est celui qui comptera le plus pour moi. Je te donne ma parole d’honneur que je ferai tout ce qui est en mon possible pour lui simplifier la vie et pour faire en sorte qu’elle soit belle !

Adrien s’approcha de Blanche. Il savait qu’elle se rendait responsable de la particularité de leur enfant. C’est elle qui l’avait conçu. C’est elle qui l’avait mis au monde. Il sentait des questions monter en elle et autant de réponses qui tombaient comme des accusations. Il se contenta de lui prendre longuement les mains et de les embrasser avant de quitter la pièce.

Jacques et Thérèse, prévenus par le mari d’Honorée, vinrent à leur tour. Ils félicitèrent Blanche et Adrien de la naissance d’Edgar. Blanche crut qu’ils se sentaient obligés de les féliciter sans avoir véritablement de joie vis-à-vis de cette naissance.

— Non, ma fille, lui dit Jacques. Ne t’imagine pas que ta mère et moi sommes déçus de la naissance de votre petit garçon. Nous sommes fiers de vous, du couple que vous formez avec Adrien, et de la famille que vous composez maintenant. Si Dieu a décidé de vous confier cet enfant, c’est parce qu’Il sait qu’Edgar est cette personne précise que vous devez accueillir. C’est pour nous une évidence : Edgar a toute sa place dans notre famille, dans notre village et dans la société.

— Mais pourquoi n’ai-je pas été capable de donner un enfant normal à Adrien ? reprit-elle comme une litanie.

— Parfois, se poser des questions pour lesquelles nous n’aurons aucune réponse nous empêche de vivre notre vie. Ne te laisse pas voler la tienne par des interrogations vides de sens. La place de notre petitfils est ici, dans notre famille, et pas chez Jeannette, c’est toi sa mère ! trancha Thérèse.

Il fallut trois jours à Blanche pour accepter de reprendre Edgar et de le nourrir elle-même, et quinze autres jours pour qu’elle ose porter sur lui un vrai regard de mère sans en éprouver de la culpabilité.

IV

Edgar était un bébé qui tétait avec application, mais lentement. Son visage tout rond était charmant. Il ouvrait ses petites mains comme s’il voulait saisir quelque chose d’imaginaire et les laissait retomber ensuite. Il pleurait rarement et semblait se contenter de ce que la vie lui offrait. Valentin, profitant des visites de Blanche chez ses parents, venait souvent le voir en cachette. Il était en admiration devant lui et lui disait souvent à l’oreille : « Edgar, tu es le petit frère que j’aurais rêvé d’avoir ! », et disparaissait dès qu’il entendait les bruits de pas de Blanche revenir vers son berceau.

Tout le monde savait que la réaction de Blanche était circonstancielle ; seul Valentin lui en tenait rigueur, car il n’avait pas réalisé en quoi l’arrivée d’un enfant un peu différent pouvait constituer une difficulté à assumer. Il attendait patiemment que Blanche revienne comme avant, avec la même spontanéité. Son rire aussi lui manquait beaucoup.

Presque consécutivement à la naissance d’Edgar, une vieille cousine de la mère d’Adrien, Adélaïde, vint vivre au château. Célibataire et remplie d’amertume, elle fut néanmoins recueillie par Jean et Rosemonde, qui voyaient plus en elle quelqu’un à plaindre qu’à blâmer.

Le premier jour que Blanche franchit le seuil de sa chambre avec son fils dans ses bras, elle croisa Adélaïde qui s’arrêta, haussa la tête pour voir le haut de la tête blonde d’Edgar, et poussa un soupir :

— Alors c’est lui votre bébé ! Je ne vais tout de même pas vous féliciter pour un tel enfant, cela serait bien hypocrite de ma part !

Blanche resta interdite. Ses yeux s’embuèrent. Adrien, qui sortait du corridor, devina aisément ce qui venait de se produire. Il se posta devant Adélaïde et lui dit :

— Adélaïde, je vous présente mon fils, mon premierné, il s’appelle Edgar. Ne le trouvez-vous pas joli ?

Son aplomb désarçonna Adélaïde qui lui répondit :

— Comme il est contre sa mère, je ne vois qu’un tas de cheveux… attendez… oui, enfin, c’est un bébé, mais…

— Mais quoi ? insista-t-il.

— Mais des bébés comme ça, ça ferait mieux de ne pas naître !

— Vous voulez mon avis, Adélaïde ? Moi, je pense qu’il y a des adultes qui feraient mieux d’être jamais nés !

Et ils lui tournèrent les talons.

Paradoxalement, cette attaque permit à Blanche de se positionner. Devant une telle cruauté, son instinct de mère refit surface et elle eut comme réflexe de protéger Edgar contre les regards malveillants.

— Blanche, dit Adrien, ne vois-tu pas comme notre fils est beau ? As-tu admiré l’éclat de ses yeux ? Et son sourire ?…

— Oui… mais… il ne sera jamais officier, non… il ne pourra pas, reprit-elle comme en se répondant à ellemême.