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Le royaume humain de la Framarie, riche et prospère, se relève d'une première guerre de scission perdue contre les duchés au sud de la Passe, un canal synonyme de prospérité. Au sud, à la tête des vainqueurs, le duc Théodore et ses deux filles aspirent à la paix. Seulement, dans ce monde où la race humaine côtoie celles des lutins, elfes et nains, de multiples dangers rôdent, notamment le désir de vengeance d'un jeune roi avide de gloire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Vincent Toussaint affectionne la fantasy, univers autour duquel son imaginaire s'est construit et où s'inscrit
Trahison, le premier tome de la série
Borros, une intrigue passionnante et pleine de rebondissements.
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Seitenzahl: 645
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Vincent Toussaint
Borros
Tome I
Trahison
Roman
© Lys Bleu Éditions – Vincent Toussaint
ISBN : 979-10-377-8985-3
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Berninim
Mémoire des peuples essentiels du monde :
Par Edgar, grand théoricien et érudit du royaume de Framarie avant sa nomination au titre de grand-prêtre du culte du jour premier.
Les elfes :
Catégorisés par la couleur de leurs peaux. De morphologie plus frêle que les humains, ils communiquent en une langue commune à toutes les races. Mais ils préfèrent les dialectes typiques de leurs couleurs de peau. Les elfes blancs ou hauts-elfes, maîtres en manipulation de magie et par leurs arts, sont rares. En effet, ils sont reclus sur leurs îles et ont édifié une barrière de brouillard magique pour les isoler. Les elfesverts n’ont plus été vus depuis de nombreuses décennies. Aussi appelés sylvains, ils ne vénèrent que les arbres. Les elfesrouges sont habituellement associés aux montagnes selon les légendes. Les elfes bleus, célèbres navigateurs d’au-delà les océans, possèdent des forteresses flottantes, toujours selon les légendes. Les elfesnoirs, tueurs de sang-froid, nous les voyons uniquement quand il est trop tard.
Les mi – ou demi – :
Erreur de la nature qui a vu deux rares s’acoquiner. Les rejetons auraient dû être massacrés, mais seuls les pouvoirs forts peuvent se le permettre. Le culte du jour premier, foi unique de notre bon royaume, appelle ses fidèles serviteurs à le faire. En notant, par avance, que les demi-elfes noirs doivent être approchés avec la plus extrême précaution.
Les nains :
Colériques, peu familiers avec les navires, ils se terrent sous les montagnes afin de creuser et d’amasser de l’or.
Les amazones :
Guerrières aux seins dénudés, elles sont considérées comme erreur de la nature. La foi du culte du premier jour les condamne solennellement à cause de cette exhibition de leurs corps et qui plus est lors des batailles.
Royaume d’Itak, d’Ibarra et de Gormanane :
Royaumes humains faibles et divisés qui devraient être soumis au royaume de Framarie puissant et honorable.
Vikings :
Groupuscule de tribus hétéroclites semant la terreur et la mort lors de leurs raids. Humains de corpulence plus épaisse que la moyenne, païens de surcroît.
Créatures surnaturelles :
Sorcières, magiciens, nécromants, vampires, géants… autant d’abominations que le culte du premier jour condamne et considère comme hérétique. En tuant ces abominations, vous ferez honneur à votre foi et au royaume de la Framarie, seul royaume éclairé par la cause légitime.
Hérésie de ces peuples païens :
Le nombre de dieux et de déesses est aussi nombreux qu’il y a d’individus hors de nos frontières. Autant d’erreurs auxquelles il nous faudra remédier pour amener à la lumière tant de peuples aux sombres desseins.
Peuple d’au-delà les mers et océans :
Seules particularités parmi l’ensemble des royaumes insignifiants, nous pouvons citer le royaume du désert et l’empire du soleil. Il est profitable de les nommer par courtoisie et par égard à un commerce des plus intéressants. Ce sont deux royaumes aux mœurs étranges, mais pouvant se comparer légèrement à notre illustre nation.
Lutins :
Peuple de petite taille, de couleur de peau brune et aux yeux prédominants. Ami des peuples et experts dans les prêts de sommes d’or colossales. Sept banques sont éparpillées dans les royaumes. Généreux et altruistes, tous les rois peuvent compter sur leur entière et totale coopération.
Royaume de Framarie :
Royaume divin, à la culture et aux mœurs éclairant ce monde sombre. La foi du culte du jour premier est étroitement liée à ses illustres rois. D’une force militaire écrasante, il est le joyau de ce monde. Cependant, une scission s’est faite entre les duchés du nord et ceux du sud qui se sont rebellés. Après une victoire lâche et volée des duchés du sud, les termes de la paix négociée sont des taxes amoindries et un pouvoir royal moins présent. À ce jour, le culte du premier jour a recensé dix-huit fois différentes qui ont profité de la lâcheté de ces duchés pour répandre leurs dieux et déesses faquins.
Peaux-vertes :
(…)
Recueil fermé après l’exécution publique du grand-prêtre Edgar
Accusé de se fourvoyer avec des enfants
Dans un lieu contrôlé par les démons de la chair tristement célèbre
De la capitale du royaume de Framarie.
Le commander faisait le tour du bivouac. Vingt mille cavaliers se rueraient le lendemain sur ce large pont en bas de la colline qui les masquait. Les colonnes de soldats ennemis le traversaient depuis maintenant deux jours sans discontinuer. Le commander le savait, ils étaient des dizaines, voire des centaines de milliers de soldats non essentiels. Le meilleur des troupes commencerait à passer le jour suivant lorsque leur maîtresse, la reine des ténèbres, traverserait à son tour. Seul moment où elle serait accessible avec si peu de cavaliers. L’endroit était stratégique et c’était là leur chance unique de pouvoir l’atteindre. En cas d’échec de leur part, elle accéderait à la cité stratégique de Borrosia.
En amont et en aval de cette armée colossale, d’autres hommes les attaqueraient afin de détourner l’attaque suicide que mènerait le commander. Vingt mille âmes prêtes au sacrifice pour lui accorder une chance de se battre contre la réincarnation d’un démon majeur. D’autres milliers d’âmes se sacrifiant eux aussi, l’homme n’appréciait guère cette idée. Mais il n’avait aucune autre solution avant que la démone n’obtienne la cité et mette en place son règne de terreur. L’ensemble des peuples avait répondu présent, des mages elfes blancs venus de leurs îles pour masquer avec leur magie les camps des combattants associés au Commander. Des elfes noirs s’étaient joints eux aussi. La situation était tendue quand autour d’un feu, on pouvait observer la silhouette d’un elfe assassin côtoyant plusieurs nains buvant des bières. Les femmes humaines avaient elles aussi voulu participer aux combats, ce qui sur ces terres était assez rarissime. Ailleurs, cela se faisait, mais pas dans ces royaumes humains. Ce signe démontrait tout le désespoir qui régnait sur les terres de ce continent.
Il tapa sur l’épaule du mage haut-elfe près de lui, qui hocha la tête en guise de salut. Il restait néanmoins concentré, afin de masquer le camp magiquement. Une faille dans l’ensemble des vingt mages suffirait à dévoiler l’embuscade et tout serait alors perdu.
Ses pieds l’emmenèrent à travers les enclos des montures, puis à travers les tentes de cavaliers. L’ambiance était conviviale, mais les visages exprimaient toute la tension qui régnait autour de tant de combattants de race et de royaumes différents. Tant qu’ils ne s’étripaient pas cette nuit, alors ils auraient acquis une petite victoire. Près de l’ouverture de sa tente spacieuse de commandement, Mélarios, son cheval blanc, restait calmement sur place à brouter les quelques herbes autour. Il le caressa longuement alors que sous sa tente, les humeurs s’échauffaient allègrement entre tous les officiers. Somme toute, se dit-il, il ne faudrait pas que la guerre commence sous sa propre tente. Il quitta sa monture et entra.
Les armures étaient rutilantes, les visages fermés, la tension pouvait être attrapée à mains nues dans cet endroit pourtant vaste. L’un des officiers d’un royaume lointain, à l’expression lente et ronronnante, parla :
Le commander écouta l’officier se plaindre en se déplaçant vers la table au centre de la tente qui contenait la carte. Les cavaliers qui l’entouraient représentaient trois cailloux blancs, seulement trois minuscules cailloux. Les soldats placés en amont et en aval pour faire diversion, huit cailloux chacun. L’armée de la reine des ténèbres en représentait plus d’une centaine. Le découragement l’engloba, les doutes prirent place dans son esprit, sa mâchoire se contracta. Il sentait que tous les regards des différents officiers étaient sur lui, guettant le moindre mot de sa part, mais pour le moment, il en était incapable.
Puis ses yeux furent attirés dans un coin de la tente devant lui, la nouvelle servante était là et lui sourit. Son corps svelte, sa robe aux motifs des vagues, ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus d’une mer calme lui redonnèrent du courage. Son sourire discret lui redonna de l’aplomb sans qu’il sache pourquoi. Il prit la parole d’une voix assurée :
Le commander saisit le plus gros caillou peint en jaune, quelle drôle de couleur pour représenter la reine des ténèbres, pensa le commander. Il leva le caillou et fit en sorte que l’ensemble des officiers puissent le voir.
Il posa le caillou jaune à la sortie du pont. Seul un petit rideau de cailloux noirs représentant l’armée ennemie le protégeait. Face à eux, trois malheureux cailloux blancs représentaient les cavaliers.
L’ensemble des officiers sortit de la tente en parlant entre eux. Ils laissèrent derrière eux, les deux lieutenants du commander. Un couple en provenance des îles dans le nord de ce continent. Robustes et excellents bretteurs, ils étaient d’une aide inestimable. Leofra était brune aux cheveux longs tressés selon leur tradition. Makkro, lui, était seulement vêtu d’un pantalon ordinaire et de bottes, refusant de se couvrir plus avec des températures si chaudes en cette saison.
Le commander fit signe à la servante de servir la femme du nord. Celle-ci renversa la cruche de vin sur le sol qui se brisa en essayant de la prendre. Leofra et Makkro rirent de concert devant la servante qui essayait de nettoyer sa bêtise.
Le couple sortit d’un pas léger, laissant derrière eux une tente vide et le commander et la servante ramassant toujours les dégâts causés.
Le commander se posa lourdement sur la chaise près de la table, se tourna vers la servante et l’interpella :
Elle se releva promptement, jeta par-dessus son épaule les débris ramassés et se frotta les mains pour les essuyer et s’approcha de la table. Le commander saisit la carafe en terre cuite posée sur la table et servit deux verres, puis en tendit un à la servante qui le prit en souriant.
Le commander se pencha sur la table de manière conspirationniste et murmura :
La servante hocha la tête, intriguée, le poussant à continuer.
L’homme se posa contre le dossier de son siège époustouflé et hocha la tête à la négative. La servante saisit le petit caillou jaune et dit.
La servante avala le vin d’un trait, grossit ses yeux splendides pour que l’homme en fasse autant puis, tendit son verre pour qu’il lui remplisse. En silence, ils burent cinq verres d’affilés avant que le commander demande d’une voix hésitante par l’alcool :
La femme finit à nouveau son verre d’un trait, le tendit une nouvelle fois et parla d’une voix enivrée :
Elle se pencha sur la table et manqua de tomber dessus en riant de sa gaucherie puis murmura :
Le commander trouvait cette discussion bizarre, cependant, il joua le jeu.
Puis elle vint se coller au commander et l’embrassa fougueusement. Alors qu’il la soulevait pour l’amener sur le lit au fond de la tente, entre deux baisers langoureux, il lui demanda :
L’instant plus tard, leurs corps nus se chevauchèrent dans une étreinte passionnelle. Dehors, l’orage se leva, éclairs et tonnerres couvrirent les ébats de ce couple. Au milieu de la nuit, Samara se réveilla et prit conscience du corps près d’elle, tous deux étaient nus. Des sensations intrigantes et délicieuses parcouraient son propre corps d’humaine. Elle se pencha près de l’oreille du commander qui somnolait et demanda dans l’élan de ce moment volé contre nature :
D’une voix subconsciente et endormie, le commander répondit sans hésiter :
Puis il s’endormit. Elle se leva, du coin de la tente, un loup géant en fit tout autant : Ferlor. La tête du loup arrivait à hauteur de celle de Samara complètement dépeignée. Un léger gémissement de la part du loup se fit entendre alors que l’orage cessait doucement.
Le loup montra ses crocs sans grognement, Samara pesta puis céda :
Le loup s’écarta et la silhouette de Samara disparut dans le camp.
Le lendemain, Mélarios était équipé de son armure de combat avec le commander en selle, prêt au combat. À ses pieds, Ferlor était assis. Derrière lui, Leofra avait la lèvre gonflée. Makkro arborait un œil boursouflé. Tous deux étaient prêts à le suivre. Comme les vingt mille cavaliers de tous les royaumes et de toutes les races. Intérieurement, le commander regrettait de ne pas avoir revu la servante. Se demandant si elle était bien ce qu’elle prétendait être. Toutefois, il savait que quelque chose avait changé en lui, mais il ne pouvait déterminer quoi. De toute façon, il n’avait plus de temps pour réfléchir à cela, la silhouette de la reine des ténèbres était sur le pont. Il était temps d’emmener vingt mille braves âmes à la mort dans un dernier acte héroïque. Il sortit son épée de son fourreau, suivi par vingt mille autres lames dans un bruit qui le fit frissonner. Puis il cria pour tous ces braves :
Terre du duché Igenois :
La troupe du capitaine Reynald avançait en silence, seul le bruit des sabots de leurs montures dans la neige épaisse se faisait entendre. Aucun de ses soldats ne parlait, tous plongés dans leurs réflexions. Voilà plus de dix jours qu’ils traquaient cette bande de peaux-vertes, qui avait attaqué le hameau de Builto. Ils avaient commencé leur traque à cet endroit sur ordre de leur seigneur Ilkik. Un marchand ambulant, qui avait découvert le carnage avec les cadavres encore chauds, s’était empressé de colporter la nouvelle dans la cité.
Une bande de peaux-vertes, pillant si profondément dans les terres de leur seigneurie, était impensable encore quelques années en arrière, réfléchissait Reynald. Ces derniers temps, le monde parut changer, plus dangereux et plus d’ennemis. Entre les guerres éternelles, entre seigneurs rivaux, peaux-vertes, sorcières, démons, vampires, tous profitaient de la faiblesse des royaumes humains. Comment pouvaient-ils se défendre contre tant de dangers ?
Il pensait à tous ces villages qui essayaient d’élever des défenses de fortune. Peu d’entre elles étaient réellement efficaces. Les paysans passant de leurs champs le jour à gardes du village la nuit. Non, ce monde n’était plus prospère pour les humains. Seuls la famine, les hivers de plus en plus rigoureux ou un raid sur leur village les libéreraient de leurs agonies interminables. Nombreux étaient les enfants orphelins fuyant les carnages, qui n’épargnaient aucune campagne, d’aucun royaume.
Le cœur du capitaine était lourd de ces pensées lorsque du coin de l’œil, il aperçut une légère fumée s’élevant d’un endroit situé vers le nord. Elle paraissait provenir non loin du grand lac Morge. Il se retourna vers son aide et ami Rudy, et d’un bref signe de tête, il lui fit remarquer. Malgré l’épaisse fourrure qui ne laissait qu’entrevoir les yeux, il le vit scruter consciencieusement la fumée puis quelques rides d’un sourire de réussite apparurent. Enfin, le moment de vérité, ils avaient réussi à les retrouver. Désormais, leur petite troupe devrait faire preuve de courage pour la fierté de leur duché. Mais au-delà de cette raison, s’ils parvenaient à infliger de pertes conséquentes aux peaux-vertes, les villages avoisinants seraient à l’abri d’un raid futur.
La vingtaine d’hommes qui composaient leur groupe ne leur assuraient pas une victoire franche. Les ordres étaient parfaitement clairs, il fallait briser ce groupe suffisamment pour ne pas leur laisser le choix que de se disperser. Personne n’était dupe dans le groupe, le duc éleva Reynald au grade de capitaine pour la mission, lui qui n’était guère plus qu’un chef de patrouille de la cité. Les effectifs de la patrouille avaient été gonflés pour l’occasion, mais ce n’était que de simples gardes.
Le ton avait été donné, une promotion, quelques pièces d’argent supplémentaires pour chaque famille, donnée avant le départ, plus d’hommes, quelques sous-entendus de la part du ministre. Ils étaient voués à mourir pour cette mission, et chacun l’avait accepté sans plaisir. Toute défaillance entraînerait un déshonneur et un bannissement de tous les proches, ou pire, une vente sur le marché d’esclaves, dans le meilleur des cas. Sinon, ce serait une exécution sauvage en public pour l’exemple.
Quelques ordres fusèrent de la part de Rudy, l’approche se ferait à pied. L’épaisse neige constituerait un handicap, mais autour du lac, le terrain ne pouvait permettre de charger avec des chevaux. Le sol était trop escarpé, trop instable, et le fraîchement nommé capitaine ne voulait pas gaspiller un seul homme dû à une chute de cheval. L’enjeu était trop considérable, ils ne connaissaient même pas le nombre de ces satanées peaux-vertes. Ce dernier se ferait peu à peu, dans un silence relatif. Le feu dans ce milieu d’après-midi ne voulait dire qu’une chose, le groupe ennemi resterait jusqu’à lendemain matin avant de bouger. La descente de la colline devrait être brève, suivrait un bois donnant accès aux abords du lac. Ils prendraient le temps, mais un placement judicieux des archers serait primordial. Ainsi, le capitaine espérait rendre l’assaut aussi équitable que possible. Un espoir futile effleura son esprit, celui d’un retour triomphal auprès du duc qui n’avait que mépris pour les gens modestes comme lui. Quel plaisir serait alors d’apercevoir son seigneur si hautain le regarder avec surprise, lui qui pensait envoyer une vingtaine d’hommes à la mort.
Reynald se ressaisit, il ne fallait pas se donner de faux espoirs. Il était satisfait de ses hommes qui avançaient d’un pas rapide, mais sans excès de bruits. Il se tourna vers Rudy, il était grand et bien bâti, tous étaient vêtus de leur uniforme de la cité avec par-dessus une épaisse fourrure. Elle protégeait de cet hiver rigoureux, le vent faisant danser les poils sombres. Par endroits, de la neige, qui tombait sans discontinuer depuis une lune complète, s’agglutinait dans les fourrures.
Par quelques signes, que chaque homme connaissait, Rudy réitéra les instructions. Merrick, court en taille, s’écarta d’eux rapidement avec quatre archers.
Tod, l’ancien du groupe avec plus de quinze années dans la garde de la cité, s’éloigna avec plus de difficulté flanquée des trois derniers archers. La traversée du bois sembla interminable, cependant Reynald savait qu’il pourrait donner l’assaut avant que la luminosité hivernale ne s’éteigne. Lorsque les ténèbres auraient englouti son groupe alors le combat serait perdu, les peaux-vertes pouvaient mieux voir la nuit grâce à leurs grands yeux. Ça en serait fini pour eux, sans compter que les archers seraient alors inutiles.
Lac Morgue :
Lors des derniers pas qui le menaient à l’orée du bois, Reynald fit une prière silencieuse à son dieu. Dans quelques instants, il pourrait observer cette affreuse bande. Il estimerait leur nombre et envisagerait la meilleure stratégie pour leur infliger le maximum de dégâts avant qu’ils ne répliquent. Reynald songea que c’étaient aussi inévitablement ses derniers moments de calme, ses dernières respirations non tendues du combat, son dernier instant pour penser à sa vie. Âgé de vingt-cinq printemps, pour une époque aussi mouvementée, il était désormais parmi les plus vieux célibataires… l’époque voulait que les humains s’unissent et enfantent rapidement. Avec la multitude de races en compétition pour la survie, les humains s’adaptaient en procréant plus rapidement que les autres.
La vue se dégagea sur leur cible. Reynald maudit ce jour, car à la sortie du bois, le terrain descendait abruptement sur quelques pas avant de s’aplanir pour finir dans le lac. Ni les chevaux ni les hommes ne pouvaient approcher le campement par surprise. Les archers, en hauteur, étaient à leur avantage si l’ennemi venait vers le bois. Cependant s’ils restaient près du lac, alors les flèches seraient hors de portée. Un emplacement judicieux, les peaux-vertes apprenaient vite de leurs escarmouches avec les humains. Dans un premier temps, ils fonçaient toujours tête baissée et s’installaient dans des campements mis là où ils s’arrêtaient. C’était fini ce temps-là, beaucoup de pertes les avaient poussés à évoluer, pensa Reynald.
Le feu était là, une silhouette cachée par une épaisse fourrure blanche était de dos. Celle-ci était maculée de taches vertes, même à cette distance, elle se voyait nettement. Se pourrait-il que ce soit du sang des peaux-vertes ? songea Reynald.
Alors il examina plus longuement les alentours de la silhouette. Il put distinguer des petites montagnes de neige de-ci, de-là, tout autour du campement. Ces petits amas ne semblaient pas naturels, il s’agissait sûrement de corps. La neige ne cessait de tomber. Elle avait patiemment attendu que les corps refroidissent pour enfin pouvoir s’installer dessus. Elle avait le pouvoir de faire disparaître dans le paysage toutes les couleurs autres que celle de l’hiver.
Reynald consulta Rudy du regard, il avait l’air tout aussi surpris que lui-même. Leurs regards se croisèrent, beaucoup de questions se bousculèrent dans l’esprit de Reynald. Il sentait le poids des regards de tous ses hommes, tous étaient prêts à une âpre confrontation. Tout compte fait, il ne restait plus qu’une silhouette devant eux pour opposer la moindre résistance. La confiance et le courage redoublèrent dans leurs rangs. Se battre contre un groupe de peaux-vertes représentait une fin honorable. Face à un unique ennemi contre vingt soldats, l’espoir devint à présent, leur compagnon de combat. Reynald put constater dans la posture de ses soldats qu’ils étaient parés à l’assaut, l’angoisse s’était envolée ainsi que leurs peurs.
Reynald décida de révéler toute la force de son groupe à la silhouette esseulée. Il fit signe à tous ses hommes d’avancer. Le bruit des épées tirées du fourreau simultanément et exagérément bruyant ne fit pas bouger la silhouette, peut-être était-elle morte. Il remercia intérieurement la silhouette de ne pas s’être retournée. Lorsque son groupe sortit de la forêt, ils luttèrent pour leur équilibre dans l’escarpement difficile. Il vit trois soldats glisser sur leurs fesses pour descendre, tels des enfants. Il put en voir d’autres tomber maladroitement dans la descente. Chacun luttant pour garder un air menaçant et un semblant de dignité alors que le sol se dérobait sous leurs pieds. Quel piètre spectacle, lorsque tous les soldats furent arrivés dans la descente plus douce, des regards échangés étaient, tous remplis d’une certaine honte. Cela n’avait plus d’importance, le groupe se ressaisit. Derrière leur capitaine, ils avancèrent vers la masse blanche tachetée de vert qui n’avait pas bougé.
Ils s’approchèrent de la multitude de petites bosses de neige qui les séparait de l’individu, c’est Tod qui rompit le silence :
Tous se figèrent, leurs assurances se volatilisèrent aussi vite que le froid hivernal les pénétra plus intensément en percevant ces mots. Les orcs noirs étaient la pire engeance des peaux-vertes, dépassant de plus d’une tête des plus grands des hommes. Ils pesaient couramment le poids de trois humains, le tout fait de muscles et de férocité. Généralement, les orcs noirs étaient équipés d’arme trop massive pour un homme. Beaucoup d’histoires parlaient d’eux et de leur capacité au combat. Généralement, ils ne laissaient guère plus qu’un tas de viande et de viscères coincés dans des armures complètement déformées, derrière eux.
Là où l’on pouvait lire la confiance et la détermination dans les yeux de ses hommes, on ne voyait plus qu’angoisse et peur. Reynald eut l’impression que le vent glacial hivernal était plus insistant et le froid plus vif. Une bourrasque vint lui faire plisser les yeux et fit s’envoler un peu de neige fraîche des amas au sol, laissant apparaître des corps.
La peur au ventre, ils prirent conscience qu’ils se trouvaient au milieu d’un véritable cimetière de guerriers peaux-vertes. En quelques battements de cœur, il en compta plus d’une vingtaine. La neige envolée fit apparaître de nombreuses traces de sang verdâtre dans le blanc immaculé d’une neige plus ancienne et plus dure. Le sang des orcs avait fait fondre celle-ci par endroit avant d’être recouvert. L’unique survivant, qui était la silhouette près du feu, le terrifiait dorénavant. Il s’interrogea brièvement : qu’est-ce que cette fourrure blanche pouvait dissimuler ? Un sorcier ? Ce qui pourrait expliquer de tels dégâts face aux peaux-vertes. Non, les blessures magiques ne produisent pas des blessures de taille ou d’estoc. Un elfe ? Non plus, ce n’étaient pas des blessures raffinées, signe distinctif de cette race. La taille de la silhouette ne pouvait ni être un orc ni un nain…
Le cerveau de Reynald fusait à vive allure lorsqu’une voix vigoureuse en provenance de la silhouette demanda :
La voix était humaine contre toute attente.
Les regards fusèrent dans le groupe mêlant peur et incrédulité. Un humain ? Comment cela serait-il réalisable ?
Reynald se devait de faire bonne figure, une vingtaine de peaux-vertes n’avaient pas fait le poids face à lui, mais était-il seul ou avait-il des complices ? Reynald savait qu’il avait agi à la hâte, il regrettait d’avoir pris les archers avec lui. Si des complices de cet homme s’étaient tapis quelque part autour d’eux, son groupe était à leur merci.
Reynald déplora son choix. Dix jours à suivre les orcs avec tant de difficultés, avec cette neige fraîche journalière qui recouvrait la moindre trace. Les suivre avait exigé tant d’efforts de pistage. Bon nombre de fois, ils avaient perdu la piste, les obligeant à effectuer des recherches plus poussées pour déceler leurs traces.
À force de détours, ils se trouvaient non loin de leur cité, à une journée de cheval. Reynald sentait la mort proche de lui. Il craignait d’avoir mis son groupe dans une fâcheuse posture, en se précipitant. Il prit une grande inspiration, se racla la gorge pour éviter qu’on puisse percevoir sa terreur dans la voix, avant de répondre du mieux qu’il pouvait :
Il voulait faire bonne figure, quitte à mourir, il ne voulait pas se faire piétiner par cet inconnu et ses sbires. Soudainement, une tête se releva près de l’homme. C’était celle d’un loup géant, ses yeux jaunes fixèrent Reynald avec une telle intensité que celui-ci trembla de tout son corps. Il essayait de se convaincre que c’était bien le froid qui le fit trembler de tout son corps, mais de toute évidence, ce n’était pas le cas. Son bras perdit de la force, la pointe de sa lame se baissa jusque dans la neige. Il déglutit, le temps fut comme suspendu devant tant d’incertitude.
La voix de l’humain demanda de nouveau :
Reynald avait peur et un regard furtif au sien, lui confirma qu’il n’était pas le seul. Tous attendaient qu’il puisse les extraire de cette impasse où la mort semblait rôder près d’eux. Rassemblant ce qui lui restait de courage, il répondit d’une voix à peine audible.
Le silence était pesant. Il semblait à Reynald qu’il aurait pu le toucher. Il savait que ses hommes devaient certainement le remercier de l’option choisie par leur nouveau capitaine, tellement la bête colossale les faisait frémir.
D’un geste, Reynald ordonna à ses hommes de ranger leurs armes. Une fois fait, une main sortit de la fourrure et vint se loger entre les oreilles de la tête du loup qui aussitôt se recoucha. C’était bien une main humaine, se dit Reynald. Ses hommes se détendirent un peu, légèrement ébranlés par la fatigue et les derniers évènements.
La voix de l’individu le tira de sa menue fierté futile.
Reynald saisit la menace si peu voilée. Si un homme perdait son sang-froid, il serait assuré de perdre la vie face à ce monstre. Tous se raidirent et observèrent le loup se lever. L’animal était si grand que son encolure devait arriver au poitrail de Reynald, il s’étirera nonchalamment, et partit en trottinant. Tous devaient incontestablement faire une prière intérieure. Les regards anxieux accompagnèrent la bête traversée leurs lignes et d’un bond disparaître dans le bois d’où leur groupe venait. Reynald éprouva une appréhension pour les chevaux restés en arrière, mais il préférait perdre un ou deux chevaux plutôt qu’un de ses hommes. Même si la bête avait disparu, rien ne prouvait que celle-ci n’était pas restée tapie juste derrière les premiers arbres. Elle pouvait attendre la moindre hostilité de la part des nouveaux venus afin de les anéantir. Un nouveau frisson glacial parcourut le corps du capitaine.
Il fallait ne pas trop y penser, pensa le capitaine, car ce gigantesque loup semblait obéir à cet étranger. D’ailleurs, ils ne pouvaient rien y faire. Il décida en conséquence de se concentrer sur la silhouette avec la fourrure.
Ne pouvant rien faire ni pour le monstre ni pour d’éventuels autres soldats camouflés. Ils étaient immanquablement à leur merci, autant qu’il puisse apporter un peu de réconfort à ses soldats, autour d’un feu dans ce terrible froid glacial.
L’individu répondit sans se retourner.
Spontanément, il retira la fourrure devant son visage pour humer l’air et effectivement, une odeur de viande grillée vint lui effleurer les narines. Aussitôt, son ventre grogna de faim, apparemment il en avait assez des gâteaux secs et viandes séchées de ces quelques jours.
Ils franchirent prudemment la vingtaine de pas qui les séparaient de la fourrure blanche constellée de tache verte de l’étranger dompteur de loup gigantesque. Ces hommes, eux, ne s’avancèrent que légèrement. Leurs regards exprimaient un mélange de peur, d’angoisse, mais aussi de leur envie de chaleur et de viande rôtie. Toutefois, ils restèrent prudents dans leur avancée pour laisser le temps à leur capitaine de contourner la fourrure et jauger la situation.
Le souffle court, Reynald fit le tour et regarda ce qui se cachait derrière cette fourrure maculée de sang de peaux-vertes. Il put apercevoir les tourbillons de fumée que provoquaient plusieurs broches, avec de la viande apparemment cuite sur le feu. Reynald pensa brièvement que cet homme savait le nombre de soldats qui arrivaient. Il lui sembla qu’il y en avait assez pour que tout le monde puisse en avoir d’épais morceaux. À moins qu’il les fît cuire pour son monstre. Il se ressaisit, de nouveau perdu dans d’étranges pensées de nourriture alors que quelques instants avant, il pensait côtoyer la mort. Son cerveau lui jouait des tours. Il observa attentivement la personne qui lui faisait face. Un homme d’une vingtaine d’années le dévisageait, ses yeux vert-bleu semblaient francs et l’on pouvait sentir de l’assurance. Son visage était paisible aux traits fins, complété avec un sourire imperceptible aux coins des lèvres. Il fut surpris de voir que l’homme bien bâtit et tout en muscle était habillé seulement d’un pantalon et de bottes en cuir. Torse-nu, des tatouages inondaient son corps et semblaient continuer sur son dos, cacher par l’épaisse fourrure. Comment, diable pouvait-il endurer ce froid ? Parmi la multitude de questions qui lui brûlaient les lèvres, c’est précisément cette interrogation qui sortit la première à son grand étonnement :
Reynald se maudissait intérieurement, entre la piètre sortie de la forêt de son groupe et cette question futile, il représentait un bien piètre capitaine. La honte l’envahit, mais les mots étaient déjà sortis de sa bouche.
L’inconnu fronça les sourcils, puis ses traits s’adoucirent. Il resta, néanmoins pantois devant cette question. Reynald avait réussi à le prendre de court, maigre consolation face à cet homme qui avait arrêté et terrifié sa compagnie par une unique question.
Il se mit à rire. Ce qui permit à l’ensemble de ses hommes de pouvoir enfin se permettre d’esquisser un sourire de soulagement.
L’étranger désigna avec son doigt le bord du lac. Reynald suivit la direction et vit que le lac gelé présentait un trou sur le bord, où l’eau et la glace s’affrontaient en petite vaguelette.
Voilà encore des mots échappés de sa bouche, Reynald se mordit la lèvre inférieure, il ne serait pas retenu pour être diplomate avec son talent à parler trop vite. Ses hommes s’étaient davantage rapprochés pour pouvoir assister à la conversation. Dans leurs yeux et leurs sourires craintifs, il comprit qu’ils connaissaient son inaptitude à la diplomatie. L’inconnu semblait amusé de sa gaucherie, le sourire moins discret qu’affichait son visage en disait long. Puis il tourna la tête de chaque côté et répondit :
Reynald réfléchissait ardemment. Il digérait les réponses de l’inconnu. Il ne semblait pas mentir à Reynald – que la viande sentait bon – mais un homme sans arme apparemment, une vingtaine de peaux-vertes mortes…
Le capitaine enchaîna les questions :
La main de Reynald se mit instinctivement sur le pommeau de son épée, les yeux rivés sur l’orée des bois. Ses hommes perçurent eux aussi le danger, dont parlait Reynald. Tous firent volte-face, les mains sur leurs armes, scrutant les bois. Cependant, aucune arme ne fut sortie de leurs fourreaux. La menace de l’inconnu était toujours gravée dans leur esprit, le loup rôdait toujours, telle une menace invisible.
Le temps s’égraina. Aucun mouvement ne parut au niveau de la forêt, hormis un hurlement puissant et proche du gigantesque animal, comme pour rappeler aux humains qu’un monstre rôdait.
Un rire puissant fut émis par l’inconnu, il se leva lentement, se retourna vers la forêt et ordonna :
La lumière du jour déclinait rapidement. Tous les sens aux aguets, Reynald scruta les bois. Puis il regarda l’inconnu se rasseoir lentement, replaçant sa fourrure sur ses épaules.
Reynald comprit que l’inconnu se jouait d’eux, il n’y avait personne. Il lâcha le pommeau de son épée et se détendit quelque peu.
Le capitaine en avait assez d’être le jouet de cet inconnu. Il voulait reprendre le contrôle de la situation, il ne pouvait plus se permettre de sembler, d’être aux abois avec ses hommes. Il ferait face aux conséquences si l’inconnu et eux devaient se battre, même avec son animal sauvage.
L’inconnu le regarda distribuer ses ordres sans intervenir ni même s’agiter. Reynald prit place près du feu en dévisageant cet homme serein au milieu d’un cimetière de peaux-vertes et entouré de soldats inconnus. L’homme paru faire un léger signe de tête au capitaine, approuvant celui-ci d’avoir ainsi regagné l’initiative. Ce fut si imperceptible que Reynald pensait que son esprit lui jouait des tours. L’inconnu demanda :
Reynald préféra dire la vérité avec cet inconnu au regard franc. Pas de vagues paroles qui seraient perçues pour un manque de respect. Il était persuadé qu’il devait éviter l’affrontement. Il sentait que malgré leur supériorité numérique, c’était eux qui étaient en danger.
Sa remarque fusa d’un ton acerbe. Reynald était reconnaissant qu’un inconnu mette le doigt sur le comportement odieux du duc Ilkik envers ses sujets. Comment lui dire que le seigneur du domaine ne reconnaissait que la noblesse et ses chevaliers. Le reste de ses sujets ne servait qu’à remplir ses coffres avec de larges taxes. Non, il ne pouvait s’y résoudre. Il avait la certitude que si son groupe était massacré, le duc continuerait à envoyer de pauvres bougres se battre, en espérant ralentir la bande de peaux-vertes. Celle-ci allait perturber l’arrivée des transports de taxes. Que pouvaient faire vingt gardes de cité ? Dont les seuls faits d’armes furent quelques rixes où leur supériorité numérique et leurs équipements les défendaient face aux ivrognes belliqueux, peu souvent armés. Face aux peaux-vertes, l’issue du combat était certaine : la défaite. Quelle gratitude ses hommes et lui avaient pour cet inconnu. Personne n’était dupe, tout le monde avait accepté de force ce suicide héroïque mais anonyme. Chacun avait fait leurs adieux. Mais maintenant l’espoir de vivre quelques jours de plus, fit sourire Reynald. Il ne pouvait pas en parler à l’homme face à lui, cela le mènerait immanquablement au bout d’une corde. En y réfléchissant, il devrait être extrêmement vigilant. Dès son retour dans la cité, le duc et son ministre seraient fortement contrariés d’avoir ce trouble-fête de la plèbe, au grade de capitaine.
Il prit soudain conscience que l’inconnu le dévisageait intensément, pouvait-il lire dans ses pensées ? se demanda Reynald. Il lui faudrait être plus vigilant face à cet individu dont son instinct ne cessait de l’alerter qu’il était un être d’une extrême dangerosité.
Il vit surgir les hommes avec les chevaux, ils devaient longer la corniche jusqu’à un endroit plus loin où ils pouvaient descendre les bêtes en sécurité. Les orcs avaient judicieusement choisi leur emplacement, il était impossible de les surprendre. Sauf en passant par le lac gelé. Par une bande de poisson peut-être ? Et un homme apparemment. Reynald bénit son dieu que ses hommes, partis chercher le bois ainsi que les chevaux, n’aient pas croisé la route du loup géant. Les hommes se rassemblèrent autour du feu. Les patrouilles étaient revenues sans que le moindre danger soit détecté. Les dernières mains des peaux-vertes gelées étaient découpées avec empressement, car la nuit glaciale était tombée autour d’eux et que le froid en devenait douloureusement supportable.
L’inconnu fit signe de se servir de la viande. Aussitôt, les hommes s’exécutèrent volontiers, savourant le repas chaud avec délectation. Ils l’accompagnèrent d’un vin au goût âcre, en provenance des grandes gourdes qui ne quittaient en aucun cas leurs selles. Les langues se délièrent autour du feu. L’inconnu écoutait attentivement sans intervenir. Les regards furtifs des soldats entre eux démontraient nettement à Reynald qu’il n’était pas le seul à sentir que cette situation était curieuse.
L’inconnu avait lancé la question d’une voix claire et assez forte pour dominer les murmures. Un silence pesant tomba instantanément sur la troupe. Le sujet était effectivement délicat, car les mains gelées des orcs ne suffiraient pas au duc. Reynald le savait, le seigneur allait vouloir voir celui qui avait terrassé ce groupe. Pire encore, ils leur ordonneraient de traquer l’inconnu et le capitaine se doutait déjà comment cela se finirait.
Les regards se tournèrent instinctivement vers Reynald, dans l’attente de sa réponse. Au même moment, Hort apparut de l’obscurité, il avait fini de couper la dernière preuve. Cependant, son visage était marqué par la préoccupation. Reynald connaissait cet homme des forêts, rude, et ne pas laisser fréquemment son visage extériorisé ses sentiments. Il vint se positionner derrière son capitaine, car lui aussi avait entendu la question de l’inconnu qui était toujours en suspens.
Reynald n’était pas surpris, il savait que cette question allait venir, cela faisait un moment qu’il y réfléchissait. Tout naturellement, il espéra employer le ton le plus neutre possible :
Puis il s’installa dans sa fourrure blanche parsemée de sang des peaux-vertes pour la nuit, coupant court à toutes questions pour la nuit. Décidément, l’inconnu était déconcertant. Reynald sourit, les hommes soufflèrent silencieusement. Reynald jubilait d’avoir eu l’audace de cette proposition et la facilité avec laquelle l’homme avait accepté celle-ci. Hort vint lui murmurer à l’oreille :
Son sourire se figea en rictus de surprise et de terreur. Comment ? pensa-t-il. Il fixa longuement la fourrure de l’inconnu, devait-il lui planter son épée dans le dos pour assurer la sécurité des siens ? Il ne pouvait s’y résoudre. Il prit à part Rudy. Il mit en place quatre sentinelles pour la nuit. Deux seraient réservées à la surveillance étroite de l’inconnu.
La nuit fut glaciale. Une de plus, mais certainement la dernière avant un long moment, pensa Reynald. Après une nuit difficile, le capitaine s’étira et aspira une grande bouffée d’air matinale qui lui brûla aussitôt les poumons, le faisant grimacer. Autour de lui, ses hommes s’activaient. Il ne devait certainement pas demeurer le seul à espérer la chaleur de son foyer, ils pourraient l’atteindre en soirée, si tout se passait bien.
Soudainement, ils purent entendre un cheval s’approcher au galop. Tous regardèrent dans la direction du bois où un splendide étalon blanc apparut puis il longea la corniche jusqu’au passage qui permettait d’accéder aux abords du lac. Peu de temps après, il traversa le groupe de soldats pour venir s’immobiliser devant l’inconnu. Soufflant de grand nuage de vapeur, il colla son naseau humide dans la fourrure que l’inconnu maniait pour se protéger au maximum de la morsure du froid.
La monture mit tant de fougue que le pauvre homme ne put retenir la chute du vêtement dans la neige à ses pieds. Le cheval hennit doucement, comme s’il se moquait de l’inconnu. Celui-ci grommela avant de replacer sa fourrure couverte de neige à même la peau du torse. Reynald sortit de son paquetage un tissu pour préserver le visage du froid et le tendit à celui-ci. L’homme le remercia alors Reynald en profita pour demander :
L’inconnu regarda l’animal avec intérêt avant de répondre :
C’était certainement un des plus beaux étalons que Reynald n’avait jamais vus, l’animal était tout en muscle et en puissance. La selle était finement ouvragée avec des matériaux onéreux. Décidément, cet inconnu était plein de ressource.
Le groupe ne perdit pas plus de temps pour prendre la direction de la cité. Ils avancèrent en file indienne sans que personne parle. Tous réfléchissaient à leurs soirées et au retour triomphal dans leur famille respective. Le capitaine jetait des coups d’œil bref à l’intrus, sans pouvoir déceler le moindre écart de conduite qui annoncerait qu’il veuille leur faire faux bond. Sans avoir besoin de faire du pistage, la colonne avançait à bon rythme.
Il se remémora le peu de dialogue et les évènements de la veille. Son cheval devait appartenir à quelqu’un de riche ou d’important, la selle lui confirmait que cette personne était soit de l’aristocratie ou soit d’un officier important. Il pencherait plus pour le militaire, mais le lac appartenait aux terres du duc Ilkik et aucune armée amie ou ennemie ne se trouvaient dans le secteur. Et où étaient ses hommes ? se demanda-t-il. À moins que ce soient ses hommes qui aient commis le carnage, mais il était peu probable qu’ils n’aient pas eu de perte. Si c’étaient des espions, ils auraient certainement dissimulé leurs traces. Était-il réellement amnésique ? À bien y réfléchir, l’inconnu était désarmé, pas une épée ni même une dague. Comment aurait-il pu tuer autant de peaux vertes ? Et notamment les trois orcs noirs. L’emplacement choisi par les orcs semblait être le meilleur qu’ils pouvaient trouver à des lieues à la ronde. Se pouvait-il que ce soient les orcs qui aient attaqué leurs campements ? L’explication la plus plausible pour Reynald était une troupe infiltrée de haut niveau. Aucun paysan n’avait signalé une troupe ennemie. Désarmé, il ne pouvait plus fuir la troupe du capitaine. L’inconnu était de toute évidence perspicace, la seule défense possible était de jouer l’amnésie pour gagner du temps. Tout s’imbriquait parfaitement dans l’esprit de Reynald. Autre détail, comment aurait-il pu avoir autant de viande grillée le soir s’il avait été seul ?
Cité Igenois :
La luminosité du jour déclinait à mesure qu’ils approchaient des remparts de la cité d’Igenois. Les gardes saluèrent la petite troupe avant de les laisser entrer. Ils traversèrent les ruelles sombres aux relents des déjections ainsi que des avenues boueuses peu éclairées. Ils parvinrent enfin à la caserne au pied du château. Il descendit de son cheval, et lança une poignée d’ordre pour les soldats, chevaux et hommes seraient convenablement traités et au chaud ce soir.
La jeune palefrenière, Erika, vint près de l’inconnu en haussant les sourcils. Son corps fluet et ses longs cheveux blonds étaient sa signature. Parmi l’armée de palefreniers de la caserne, on ne pouvait pas la manquer.
À peine avait-elle fini, qu’elle exécuta une brève révérence, bien qu’elle ne sache pas à qui elle avait à faire. L’inconnu sourit, Reynald savait qu’il la portait dorénavant en haute estime, comme beaucoup de gardes de la cité. Cette orpheline ne l’était plus. Elle avait été adoptée par tant de soldats. Maintenant, l’inconnu était devenu un père supplémentaire à son actif. Il mit un genou au sol sans prendre la peine de faire attention à la boue infâme que la caserne possédait comme sol. Il prit une petite bourse dans son pantalon, puis l’ouvrit. Il en sortit une pièce d’argent d’un royaume certainement lointain et la glissa dans les mains fines d’Erika.
Erika, les yeux fixés sur la pièce d’argent rutilante, jamais un si grand trésor n’avait été à elle. La bouche s’ouvrit, mais aucun son n’en sortit. Elle releva la tête, vit que l’homme attendait une réponse. Mais ses yeux redescendirent sur la pièce, certainement pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
Elle referma la bouche, ses yeux se levèrent et elle reprit son aplomb coutumier :
Elle lui sourit avant de s’emparer des rênes du cheval. L’animal obtempéra aussitôt. Elle l’amena dans les écuries en lui parlant comme si la monture pouvait tout comprendre. L’inconnu n’existait plus pour elle, seul le cheval comptait à présent. Reynald savait qu’à partir de maintenant bien qu’en déplaise au chef d’écurie, elle resterait au chevet de ce splendide animal.
Reynald sourit, mais ses pensées continuaient leur cheminement dans son esprit. Un espion ou un voleur, pensa-t-il. Une pièce d’argent pour une fille d’écurie, cela était trop flagrant. Sa réflexion cessa lorsqu’un messager du château l’interpella :
Le coursier opéra un demi-tour, éleva un pied pour constater la glaise collée à ses jolies ballerines royales. Un air de dégoût au visage, il repartit aussi promptement qu’il était venu. Reynald ne souriait plus. Le duc ne faisait que peu de cas des petites gens, le ministre était pire…
C’était le ministre qui l’avait convoqué en urgence, au milieu de la nuit. Il lui avait attribué son grade de capitaine, avec un air d’écœurement nullement dissimulé. Ordre du duc pour la mission, il ne pouvait aucunement le contester. Il avait dû avoir vent de leur retour et l’avait immédiatement fait demander. Le ministre savait que sa troupe et lui seraient fourbus, sales et non présentables. Reynald s’avança vers un tonneau d’eau, se passa une brassée d’eau fraîche vivifiante. Puis, il donna l’ordre à Rudy de saisir les preuves et de le suivre. Son regard se posa sur l’inconnu qui attendait les bras croisés, leurs mouvements brefs de tête furent simultanés. Il le suivrait.
Château Igenois :
Les trois hommes franchirent les grandes portes fortifiées du château, traversèrent la cour intérieure à longue enjambée. Ils passèrent devant de nombreuses sentinelles. À la grande porte du donjon, un domestique attendait. Les dirigeants d’Igenois avaient vraiment l’esprit tordu, pensa Reynald. Les domestiques, hommes, femmes ou esclaves, étaient vêtus de ballerine de toile, collant, juste aux corps ornés de froufrou à la taille et au cou. Cela les ridiculisait et rendait leur apparence vraiment risible. Il songea au froid glacial de cette soirée, ce pauvre bougre les attendait en grelottant. Assurément, au moindre écart, le fouet leur était administré. Au départ, leur tenue grotesque était de couleur crème, mais les blessures du fouet laissaient beaucoup de marques. Ils optèrent pour une tenue rouge, cela masquait celles-ci.
Il eut du mal à articuler ces paroles tellement il était transi de froid. Ils franchirent une multitude de couloirs et salles, tout ce trajet s’effectuait dans la pénombre et une fraîcheur intense. Les pierres sombres du château semblaient absorber la lumière. Ils débouchèrent sur un vaste hall avec deux portes massives. Un géant pouvait certainement entrer dans cette salle, pensa Reynald.
De chaque côté, un garde était posté en armure de plates de la tête aux pieds. Armé d’une hallebarde dont la lame dépassait largement les hommes. Cela avait pour vocation de faire étalage de la puissance du duc Ilkik. Cependant, au combat, ils ne pourraient pas franchir dix pas sans le prix de terribles efforts. Un sourire en coin ne put être réprimé par Reynald, en jetant un bref coup d’œil à l’inconnu. Il vit que lui aussi devait se faire la même réflexion. Une armure humaine parla à leur guide :
Le serviteur trembla plus fort. Le garde qui avait parlé lui ordonna de s’approcher de lui. L’homme s’exécuta, terrifié. Une fois à portée de son gant, il le frappa avec violence. Ils entendirent les os de la mâchoire se fracturer ainsi que des dents se briser. La victime tomba lourdement au sol, assommé par le choc et par la douleur. Reynald ne souriait plus, des sentiments d’impuissance devant cette injustice lui serrèrent la mâchoire. L’inconnu n’avait pas apprécié le spectacle, sa mâchoire se crispa. Une lueur de rage traversa son regard. L’inconnu s’avança vers le serviteur, d’où une mare de sang s’agrandissait en provenance de la tête. Reynald ferma les yeux. L’homme trouvé près du lac Morge, assassin d’une troupe de peaux-vertes, tuerait ce garde. Aucun doute n’était possible sur cette issue. Le capitaine et ses hommes seraient tenus pour responsable, car c’étaient eux qui l’avaient amené au château. La torture et la mort seraient alors leurs châtiments.
La réponse qui suivit fut glaciale.
Le garde eut un instant de stupeur, il était le gardien sacré de leur seigneur, il ne pouvait pas être traité de la sorte. Reynald sentit encore une fois la mort rodée autour de lui. Tout dans l’inconnu, de sa démarche à sa façon de faire, était un concentré de danger perceptible. Le garde n’eut pas le temps de répliquer ou d’attaquer, car une des portes s’ouvrit. L’homme d’acier se figea et ne dit mot, seule sa respiration était bestiale. Reynald agrippa le bras de l’inconnu, profitant de la diversion, pour amener l’homme dans la salle.
Il n’aurait jamais cru que celui-ci obtempérerait, son corps était tendu, mais il le suivit tout en dévisageant le bloc de métal.
Ils entrèrent dans une vaste salle de réception, deux immenses tables longeaient les poteaux soutenant le poids du toit. Au fond de la salle, la table en travers indiquait où étaient les plus hautes autorités. De chaque côté, les immenses tables étaient garnies de plats dorés. L’abondance de viande, fruit, poisson et divers légumes contrastait avec le monde hors de ces murs. Toute l’aristocratie devait se tenir là avec leurs épouses, aucun enfant n’était admis dans ces dîners obligatoires tenus par le duc Ilkik. Il devait y avoir plus de deux cents convives. Le brouhaha de cette salle cessa dès leur entrée. Ils empruntèrent les quelques marches et s’avancèrent posément devant tant de regards inquisiteurs. À quelques mètres devant la table du seigneur, deux serviteurs extrayaient le corps d’un artiste dont les talents n’eurent pas les faveurs du chef des lieux. Une traînée de sang marquait son dernier voyage au sol.
Le ministre se leva de sa chaise. Il était grand et maigre, les traits anguleux, les yeux noirs au regard haineux. Ses cheveux étaient brillants par l’application de gras de porc dont il vantait la vertu, mais à l’odeur répugnante. De sa voix de crécelle, il annonça :