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Caravage (1571-1610) révolutionna la peinture européenne à l'aube du XVIIe siècle par son emploi du clair-obscur et par des sujets empruntés à la vie ordinaire (musiciens, mendiants, tricheurs, diseuse de bonne aventure...). Le médecin et collectionneur Giulio Mancini (1558-1630) définissait sa technique par « une lumière unie, qui arrive de côté sans reflet, comme dans une chambre aux murs noirs, éclairée par une fenêtre ; les ombres très sombres et les lumières très claires donnent du relief à la peinture ». Nombre de peintres, dans toute l’Europe, suivront sa manière d'élever le contraste de lumière à un moyen d'expression dramatique.
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Dossier Universalis, dont les articles sont empruntés à l’Encyclopædia Universalis, fait le point sur une période clé de l’histoire de la peinture occidentale.
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Seitenzahl: 160
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Caravage (1571-1610) révolutionna la peinture européenne à l’aube du XVIIe siècle par son emploi du clair-obscur et par des sujets empruntés à la vie ordinaire (musiciens, mendiants, tricheurs, diseuse de bonne aventure...).
Le médecin et collectionneur Giulio Mancini (1558-1630) définissait sa technique par « une lumière unie, qui arrive de côté sans reflet, comme dans une chambre aux murs noirs, éclairée par une fenêtre ; les ombres très sombres et les lumières très claires donnent du relief à la peinture ».
Nombre de peintres suivront sa manière d’élever le contraste de lumière à un moyen d’expression dramatique.
E.U.
Si tout le XVIIe siècle garde l’empreinte des Bolonais (Carrache, Reni, Dominiquin), force nous est de reconnaître que les plus grands peintres de cette époque – à l’exception de Nicolas Poussin – bénéficient sous une forme ou sous une autre de l’exemple de Caravage : Velázquez et Zurbarán en Espagne, Rubens, Rembrandt et Vermeer dans le nord de l’Europe.
La vie de Caravage est rythmée par de nombreux épisodes douloureux. Karel van Mander (1548-1606), l’auteur de la Vie des peintres (1604), décrit l’existence dissolue de l’artiste et reconnaît que, malgré son talent, il est bien difficile de se faire un ami de cet homme. Il ne se passe pas d’année sans que Caravage soit mêlé à quelque affaire équivoque ou sans qu’il ait une histoire grave avec la police. En 1605, il purge une peine de prison ; à sa libération, il blesse un homme et pour échapper aux poursuites il se réfugie à Gênes. Mais cette vie de violence ne l’empêche pas de peindre de nombreux chefs-d’œuvre pour des églises ou pour des princes.
L’activité de Caravage peut être divisée en quatre périodes : la première se déroule à Milan où, vers 1584, l’élève de Simone Peterzano subit l’influence des peintres giorgionesques de la terra ferma, Savoldo, Moretto, Lotto, Romanino, Foppa, et aussi des peintres de Crémone, Giulio et Antonio Campi. La deuxième période concerne les premières années romaines, de 1591-1592 environ à 1599 : tableaux de jeunesse, clairs, comportant rarement plus de trois demi-figures ; de 1599 à 1606, date de son départ de Rome, Caravage peint de nombreux tableaux pour les églises de la Ville éternelle ou pour des collectionneurs privés ; les quatre dernières années de sa vie (1606-1610) se passent entre Naples, l’île de Malte et la Sicile. L’œuvre de Caravage, réalisé en une vingtaine d’années à peine, a subi une évolution remarquable.
Narcisse, Caravage. Caravage (vers 1571-1610), Narcisse, 1598. Huile sur toile (H. 1,12 m ; L. 0,92 m). Galleria Nazionale, palais Barberini, Rome. (Pirozzi/ AKG)
Saint Jérôme, Caravage. Caravage, «Saint Jérôme», 1608. Huile sur toile, 117 cm × 157 cm. Cathédrale Saint-Jean, La Valette, Malte. (Electa/ AKG)
Michelangelo Merisi ou Merighi dit il Caravaggio est originaire de Caravaggio en Lombardie. On pense aujourd’hui que Caravage est né vers 1571. Les débuts du peintre sont mystérieux. Quelle a été sa formation entre 1584 environ et 1590-1591 ? Quelles œuvres d’art a-t-il vues ? Quelles villes a-t-il traversées avant d’arriver à Rome ? Bien que Caravage ait souvent déclaré qu’il ne devait rien à personne (la nature, affirmait-il, l’avait suffisamment pourvu de maîtres), il est intéressant de comprendre, à la suite de R. Longhi, quelles influences il a subies. On voit apparaître au XVIe siècle les deux préoccupations majeures de Caravage, le jaillissement de la lumière dans la nuit et le réalisme populaire. Des éclairages nocturnes caractérisés sont attestés déjà chez Corrège (La Nuit, 1530, Gemäldegalerie, Dresde) et Raphaël (Délivrance de saint Pierre, 1514, Vatican). Ils deviennent fréquents et géométriquement stylisés chez le curieux Génois Luca Cambiaso (1527-1585) : Madone à la chandelle (1570-1575, Palazzo Bianco, Gênes). Le Siennois Domenico Beccafumi (1486-1551) aime aussi faire jaillir de petites figures des profondeurs nocturnes. À Venise, depuis Giorgione (1477-1510) : L’Orage (1506-1508, Accademia, Venise), l’étude de la lumière retient la plupart des peintres. Elle atteint à de grands effets de contrastes, avec des ombres immenses chez Tintoret (1512-1594). Les artistes de la Lombardie et de la vallée du Pô sont souvent attirés par les jeux lumineux. L’un des plus remarquables à cet égard est Savoldo, de Brescia (1480-1548), qui se plaît aux oppositions d’ombres denses et de grandes masses de lumière (L’Ange et Tobie, galerie Borghèse, Rome).
Quant au réalisme populaire, il est moins fréquent, mais plus nettement exclusif chez certains peintres, notamment aux Pays-Bas où Pieter Aertsen (1508-1573) se spécialisa dans les scènes de marché de grands formats. Un artiste réunit déjà ces tendances, effets nocturnes et réalisme rustique, dans ses compositions religieuses : Jacopo Bassano (1518-1592). Quant à Lorenzo Lotto (1480-1556), par l’unité dramatique de ses œuvres, le chromatisme froid, la lumière qu’il met dans la couleur, il préfigure les tableaux clairs de Caravage.
Le génie de celui-ci fut de faire la synthèse de ces tendances, et surtout de leur donner une rigueur dans l’observation réaliste, dans la précision du dessin et de la composition, qui leur confère une puissance, un éclat, une perfection vraiment classiques.
Les historiens d’art datent les « premières » toiles vers 1590-1591 ; il s’agit principalement de tableaux de chevalet de petites dimensions destinés à des collectionneurs comme le cardinal Del Monte ou le marquis Giustiniani. Ces œuvres de jeunesse aux teintes pures et vives, à la matière picturale fine et précieuse, senza istoria et senza azione (« sans histoire » et « sans action »), selon le jugement des académiciens contemporains, frappent par le choix nouveau des sujets et la libre interprétation des schémas iconographiques traditionnels ; le personnage de Bacchus est pour Caravage un jeune garçon romain attablé dans une auberge, non un héros de la mythologie. Grâce à un cadrage à mi-corps des personnages vus ainsi en gros plan (cette invention d’Hugo van der Goes fut popularisée en Italie par les Milanais et les Vénitiens), Caravage fait participer le spectateur à l’action. Un éclairage latéral met en valeur les protagonistes ; des effets de lumière subtils découpent des surfaces sombres sur un fond clair ; le chef-d’œuvre de cette période, Le Repos pendant la fuite en Égypte (1594-1596, galerie Doria, Rome) – une Égypte bien romaine à vrai dire par son paysage –, prouve l’importance des peintures bergamasque et bresciane sur la formation de Caravage. Le paysage qui, dans ses tendres tonalités de verts et de bruns, s’étend derrière la Vierge, comme le caractère profondément humain de cette maternité, rappelle l’intimité silencieuse de certaines œuvres de Lotto.
La Corbeille de fruits (1596, pinacothèque Ambrosienne, Milan), première nature morte traitée pour elle-même dans l’histoire de la peinture, est le résultat d’une nouvelle attitude mentale qui se tourne vers la réalité pour l’analyser et la recréer dans tout son naturel. En déclarant avec vigueur qu’« il lui coûtait autant de soin pour faire un bon tableau de fleurs qu’un tableau de figures », Caravage rompt avec l’idéal humaniste de la Renaissance qui s’était employé à créer un mythe de la personne humaine, en la représentant idéalisée et en lui subordonnant tout autre élément figuratif. L’absence de toute complaisance descriptive (les feuilles fanées à droite, vues comme des ombres chinoises, le prouvent), de tout intellectualisme, lui fait retrouver la vérité des objets.
La faveur que certains mécènes témoignent à Caravage lui permet de peindre pour des églises (San Agostino, Saint-Louis-des-Français, Sainte-Marie-du-Peuple) ou pour des particuliers de grands tableaux religieux. La nouvelle dimension conférée à sa peinture, son aspect monumental dérivent d’Annibal Carrache qui était présent à Rome depuis 1595. Pour la chapelle Contarelli de Saint-Louis-des-Français, Caravage a peint, entre 1599 et 1600-1602, trois tableaux ; dans La Vocation de saint Matthieu, le peintre a voulu opposer le temporel et le spirituel ; le Christ, dont la majesté et la solennité semblent dériver de Masaccio, d’un bras désigne Matthieu, tandis que de l’autre, représenté dans un saisissant raccourci, il veut convaincre le spectateur ; mais le Christ est déjà absent puisque la position de ses pieds indique qu’il va partir ; l’apôtre Pierre répète timidement et à l’échelle humaine le geste du Christ sans bien comprendre que celui-ci est déjà virtuellement absent. Caravage peint parfois les choses et la résonance des choses. Ce dialogue parallèle est, selon nous, une des plus belles idées de l’histoire de la peinture du XVIIe siècle. Le critique Bellori disait de Caravage qu’il avait restitué aux couleurs le sang et la carnation en un temps où elles n’étaient que fard et vanité. Caravage veut, en effet, rendre à la couleur sa dignité, c’est-à-dire son intensité. Par l’emploi du ton local, le rouge sera un vrai rouge, différent des teintes délavées des maniéristes.
En face de La Vocation, Caravage représenta Le Martyre de saint Matthieu : œuvre plus complexe, plus ambitieuse, malgré des éléments encore maniéristes comme les deux figures repoussoirs situées au premier plan ; l’ange donnant la palme au saint, posé sur un nuage, vient de Corrège, notamment de La Vierge à l’écuelle (Galerie nationale, Parme). Comme souvent chez Caravage, les figures sont mises en évidence et non pas noyées dans l’action. La lumière joue un rôle primordial. L’artiste s’arrête à tous les jeux de la lumière qui détermine, à ses yeux, la forme et par conséquent le dessin, le volume et la couleur même de l’objet pris pour modèle. La lumière telle qu’elle est utilisée par Caravage fige, dans l’éclair d’un instantané, les gestes, les attitudes en les chargeant parfois d’une signification intemporelle. Mais la lumière qui plonge la scène dans un clair-obscur silencieux et dramatique est dotée de qualités surnaturelles et immatérielles qui produisent un effet psychologique ou dramatique ; cette lumière, en général statique, qui se fait substance dans la matière picturale, souligne les moindres détails et révèle une exécution impeccable, un métier sans effets d’empâtement.
La Crucifixion de saint Pierre et La Conversion de Saül (Sainte-Marie-du-Peuple, Rome), terminés en novembre 1601, sont peut-être les tableaux qui font le mieux comprendre que Caravage est un « grand créateur de formes simples » (Longhi). Bellori critiquait le second tableau pour son manque total d’action. Comprenons qu’il le faisait pour mieux louer Carrache ; dans la représentation d’une histoire, Carrache accepte le développement naturel des faits en insistant sur les causes et les conséquences ; Caravage, lui, représente le fait à l’état brut, « cueille la vérité de l’instant et l’immobilise » (Argan).
Caravage est fondamentalement un peintre religieux et il ne rompt nullement avec la tradition de la Renaissance : Le Martyre de saint Matthieu, qui est presque un manifeste de savoir-faire, témoigne de sa virtuosité maniériste par le jeu avec les figures types, le contraposto, la complexité de l’espace. Mais son art vise autre chose ; il est véritablement humaniste, chrétien et tragique. Dans la traduction plastique des idéaux de la Réforme catholique selon saint Charles Borromée et saint Philippe Néri, il raconte la tragédie de l’Incarnation, celle de Dieu dans l’histoire, du Christ dans l’humanité souffrante, de l’âme éprise de lumière dans l’opacité du monde, de l’espace et du temps. Une telle pensée tend naturellement à voir la sanctification du monde, à déceler la présence du sacré dans l’objet le plus humble. Caravage invite à cette forme de religiosité affective et met au point un langage pour l’exprimer. Certains de ses procédés seront repris plus tard par les artistes baroques. La corbeille de fruits des Pèlerins d’Emmaüs (1601, National Gallery, Londres) est au bord de la table, elle partage notre espace comme le tabouret qui bascule sous saint Matthieu (Saint Matthieu et l’ange, Saint-Louis-des-Français, Rome). Cet art cependant n’est pas réaliste, il reste profondément tributaire de la tradition humaniste qui voit l’incarnation de la forme dans la nature sensible. Mais il rejette cependant tout savoir intellectuel et prétend exprimer le monde dans sa langue propre qui refuse le décorum classique, la hiérarchie entre les sujets nobles et les sujets bas. Ce refus de la rhétorique traditionnelle est parfaitement cohérent avec l’expression religieuse : La Mort de la Vierge (Louvre, Paris) en est l’un des plus profonds témoignages. Ce recours au langage quotidien, on a pu le comparer à l’émancipation des langues vulgaires par rapport à l’humanisme latin : Caravage est contemporain de Montaigne, Shakespeare et Cervantès.
La Madone des pèlerins, dite aussi La Madone de Lorète (env. 1604, San Agostino, Rome), compte parmi les tableaux les plus bouleversants de Caravage ; quel contraste entre la poignante pauvreté des paysans en prière et la Vierge représentée en élégante dame romaine, entre le riche chambranle d’un palais et le mur de briques mal crépi ! Quelle opposition entre l’attitude si naturelle, si simple des paysans et la femme qui esquisse un pas de danse à la porte d’un palais !
Mieux que tout autre tableau, La Madone de Lorète fait comprendre combien l’art de Caravage est fait de prodigieuses simplifications : les mains qui surgissent brusquement des vêtements, le modelé des jambes ou des pieds obtenu sans excès de peinture, les bâtons des pèlerins qui n’existent que par la lumière qu’ils reçoivent (insistons sur cette lumière qui se fait substance dans la matière picturale) sont à la limite du désincarné. Caravage – Marangoni avait beaucoup insisté sur ce point – prouve ses talents de stylisateur : peut-on parler de réalisme devant la ligne du cou de la Vierge, le pas de danse esquissé par une femme dont l’enfant semble trop lourd pour elle ? Caravage n’est-il pas trop italien pour priver ses personnages de toute idéalisation ? Cependant, cette madone est-elle la Vierge, mère du Christ ? N’est-elle pas plutôt une dame romaine, telle que les paroissiens de San Agostino pouvaient en connaître, devant laquelle s’agenouillent deux pèlerins comme eux simples gens du peuple ? Mais, si ces deux pèlerins n’étaient que de simples gens du peuple, le tableau n’aurait pas remporté le succès qu’il connaît toujours ; ici le réalisme s’unit à l’idéalisation.
Avec les années, l’obscurité de la couleur, l’absence de la lumière tendent à envahir les tableaux du Lombard. La Mise au tombeau, peinte en 1604 pour la Chiesa Nuova (pinacothèque du Vatican, Rome), annonce Rubens par sa gravité et sa forte monumentalité ; le clergé de l’église Santa Maria della Scala à Rome, qui commanda, au début de l’année 1605, La Mort de la Vierge (Louvre, Paris), puis refusa l’œuvre, n’avait pas compris que Caravage est un peintre de l’émotion. Quelles furent les raisons du refus ? Les commanditaires, prisonniers d’une attitude mentale héritée de la Renaissance, pensaient que la beauté extérieure doit être un privilège des saints, que la mère du Christ ne peut pas être représentée « enflée, les jambes découvertes » (Baglione). Pourtant, l’attitude de la Vierge dérive peut-être d’une Pietà de Annibal Carrache (1599-1600, Galerie nationale, Parme). Comme l’a remarqué Friedländer, « la faculté de remplir ses individus d’une vie interne, sensible et émouvante, sans le recours à l’idéalisation classique, ni à l’abstraction maniériste, est la qualité fondamentale de l’art du Caravage ». Avec La Mort de la Vierge, le Lombard prouve qu’il est resté fidèle à son principe de représenter seulement ce que les yeux peuvent voir. Pour lui, le réel suffit pour exprimer une émotion humaine intime et élevée, le réel est porteur des plus grands sentiments, et les corps les plus humbles peuvent traduire eux aussi des valeurs spirituelles.
À partir de mai 1606, la vie du peintre est largement occupée par les voyages : en 1607, premier séjour à Naples ; en 1608, il est dans l’île de Malte où il travaille pour les chevaliers de l’Ordre ; à la fin de 1608 et en 1609, il séjourne à Syracuse, Messine et Palerme ; en octobre 1609, second séjour à Naples ; en juillet 1610, alors que l’artiste est en route pour la Ville éternelle, c’est la mort tragique sur une plage, à Porto Ercole.
Les deux séjours de Caravage à Naples furent fondamentaux pour le développement de la peinture napolitaine du XVIIe siècle : Les Sept Œuvres de miséricorde (1607, Pio Monte della Misericordia) et La Madone du rosaire (Kunsthistorisches Museum, Vienne) se rattachent encore, du point de vue du style, à la période précédente, mais les créations postérieures, plus sévèrement construites, plus austères, témoignent de nouvelles recherches. L’espace vide qui envahit la toile, la recherche de monochromie, l’emploi de demi-teintes, la technique lâche traduisent une nouvelle spiritualité. Dans le renoncement progressif au décorum, Caravage ne meuble plus les parties hautes de ses tableaux de grandes draperies rouges comme dans La Mort de la Vierge ou dans La Madone du rosaire ; le vide qui surplombe les personnages de La Résurrection de Lazare (1609, Musée national, Messine) et de L’Enterrement de sainte Lucie (1608, Sainte-Lucie, Syracuse) ou les acteurs de La Décollation de saint Jean-Baptiste (1608, cathédrale Saint-Jean, La Valette) exprime l’angoisse des acteurs et la tragédie qu’ils vivent. Le changement de palette est radical. Caravage ne s’exprime plus qu’avec des rouges et des bruns ; la base de sa gamme colorée est la couleur de la terre, l’ocre dans une grande variété de tons, depuis le brun-rouille foncé jusqu’au jaune-bronze clair. Les bergers de L’Adoration de Messine (1609, Musée national de la ville) semblent « comme coulés dans le bronze » (Longhi). Le peintre utilise aussi, avec une étonnante économie de moyens, la première couche de peinture disposée sur la toile, la préparation, en s’en servant dans les parties claires pour marquer l’ombre et dans les noirs pour suggérer des effets de lumière. Cette utilisation de la préparation pour obtenir certains effets est on ne peut plus novatrice ; elle avait été décelée par Bellori, et Malvasia, plus critique, jugeait ainsi le procédé : « Le Caravage masque ses défaillances techniques sous un voile sombre » ! Le clair-obscur contrasté des œuvres de la jeunesse et de la maturité cède la place à une lumière feutrée qui ne cherche plus à lutter avec l’obscurité qui envahit les figures. La technique picturale enfin est libre, relâchée même : poursuivi par des juges impitoyables, Caravage peint dans la hâte et l’anxiété.
L’Annonciation (musée de Nancy) fut peinte en 1608-1609 par Caravage pour le duc Henri de Lorraine à Nancy. Le duc, qui régna sur la Lorraine de 1608 à sa mort en 1624, destinait ce tableau d’autel à l’église primatiale de sa ville. Il avait épousé, en 1606, Marguerite de Gonzague, sœur du cardinal Ferdinand. Les historiens d’art datent L’Annonciation vers 1608-1610, c’est-à-dire à la fin du séjour à Malte ou durant le second séjour napolitain de l’artiste lombard.